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Date : 20050315

 

Dossier : T-1686-04

 

Référence : 2005 CF 374

 

 

ENTRE :

 

                                                  GRAND CHEF HERB NORWEGIAN,

                                                   PREMIÈRES NATIONS DEH CHO,

                                                  PREMIÈRE NATION LLIIDLI KOE,

                           NATION DES MÉTIS DE FORT SIMPSON, SECTION LOCALE 59,

                                                   PREMIÈRE NATION PEHDZEH KI,

                                              PREMIÈRE NATION T’THEK’EHDELI KI,

                                                  PREMIÈRE NATION KA’A’GEE TU,

                                                 BANDE DES DÉNÉS DE SAMBAA K’E

                                                                                                                                         demandeurs

                                                                             et

 

 

                                                   SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF

                                                     DU CANADA, représentée par le

                                                MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT, le

                                                PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                     IMPERIAL OIL RESOURCES VENTURES LIMITED,

                                               LE CONSEIL RÉGIONAL INUVIALUIT,

                                            LE CONSEIL INUVIALUIT SUR LE GIBIER,

                                                     LE SECRÉTARIAT SAHTU INC.

                                                  et LE CONSEIL TRIBAL GWICH’IN

                                                                                                                                           défendeurs

 

 

                                                  MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

 

 


[1]               Les présents motifs font suite à une requête visant à obtenir une liasse de documents d’un office fédéral en vertu de l’article 317 des Règles de la Cour fédérale. L’office fédéral qui a pris la décision en litige en l’espèce est le ministre de l’Environnement. Les documents réclamés concernent la décision de mettre sur pied une commission mixte chargée de procéder à une étude des incidences environnementales du projet de construction d’un gazoduc dans la vallée du MacKenzie (le gazoduc). Environ 40 pour 100 du gazoduc projeté traverserait le territoire traditionnel des demandeurs, qui composent les Premières Nations Deh Cho.

 

[2]               La requête présente un intérêt particulier, car bien que la décision à l’examen ait été prise le 3 août 2004, ses origines remontent à des faits survenus autour de l’année 2000 qui concernent divers projets d’ententes, ententes, cadres d’action, de même qu’un plan de coopération qui ont culminé par la décision à l’examen. Le motif à la base de la présente instance en contrôle judiciaire est le sentiment qu’ont les Premières nations Deh Cho non seulement de ne pas avoir été dûment consultées, mais aussi d’avoir été victimes de discrimination. Ces questions seront toutefois abordées à une autre occasion. Je vais maintenant examiner certains des aspects moins litigieux des faits à l’origine de la présente affaire.

 

RAPPEL DE CERTAINS FAITS

 

[3]               Le projet de gazoduc de la MacKenzie porte notamment sur un champ gazier situé dans la région du delta du MacKenzie. La présente instance concerne une décision prise au sujet de l’étude des incidences environnementales du gazoduc qui, en longeant le fleuve MacKenzie, relie le delta du MacKenzie à la frontière de l’Alberta, où il est raccordé au réseau existant de pipeline de gaz naturel en direction du sud. Il s’agit dans l’ensemble d’un projet fort ambitieux.


 

[4]               Compte tenu du nombre de régimes d’évaluation des répercussions environnementales applicables aux Territoires du Nord-Ouest, les divers organismes de réglementation et autorités investies d’un mandat d’évaluation des répercussions environnementales tentent, depuis environ 2000, d’harmoniser les multiples évaluations requises de manière à les intégrer en une seule. Cette démarche d’harmonisation a donné lieu en juin 2000 à la publication du Plan de coopération : évaluation des répercussions environnementales et examen réglementaire d'un projet de gazoduc dans les Territoires du Nord-Ouest (le Plan de coopération). Le Plan de coopération ne constituait pas en soi une décision, mais un aperçu de la façon dont les participants, au nombre d’une quinzaine, coordonneraient leur réponse à tout autre projet de construction d’un gazoduc dans la vallée du MacKenzie. Le 22 avril 2004, une entente est intervenue entre les responsables de la gestion pour la coordination de l’examen de la réglementation du gazoduc du MacKenzie. Le 3 août 2004, une entente sur la mise sur pied d’une commission d’étude mixte a été signée et le mandat de cette commission a été défini en août 2004. Ces divers documents étaient émaillés de projets d’entente sur l’examen des répercussions environnementales du projet du gazoduc de la vallée du MacKenzie (première ébauche, septembre 2002, deuxième ébauche, décembre 2003, troisième ébauche, juillet 2004 et une version définitive le 18 août 2004, accompagnée du mandat final et de l’énoncé des incidences environnementales du projet de gazoduc du MacKenzie).

 


[5]               Ainsi que je l’ai déjà précisé, le ministre de l’Environnement a mis sur pied le groupe d’étude mixte par une décision du 3 août 2004.  Les demandeurs affirment toutefois avoir été écartés du processus officiel bien qu’il y ait eu un abondant échange de correspondance entre, d’une part, le Grand Chef des Premières nations Deh Cho et, d’autre part, le ministre de l’Environnement et ses fonctionnaires. Les Premières nations Deh Cho n’ont été mises au courant de l’entente à l’examen  que le 18 août 2004, date à laquelle elle a été rendue publique.

 

[6]               Les Premières nations Deh Cho, qui auraient historiquement occupé un territoire situé dans le sud-ouest des Territoires du Nord-Ouest et couvrant une superficie d’environ 210 000 kilomètres carrés de terre et d’eau, s’opposent, en vertu du paragraphe 40(2) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37, à la décision du ministre de mettre sur pied un groupe d’étude mixte chargé d’évaluer les répercussions du projet de gazoduc de la vallée du MacKenzie du point de vue environnemental. En plus de réclamer une injonction, elles demandent l’annulation de la décision de constituer le groupe d’étude mixte, un jugement déclaratoire portant sur le présumé manquement du ministre à ses obligations fiduciaires et constitutionnelles, l’égalité de traitement en tant qu’«  instance » au sens de l’article 40 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale; un examen et un jugement déclaratoire portant sur l’exclusion des Premières nations Deh Cho du groupe d’étude mixte et, finalement, un jugement déclaratoire sur la question de savoir si l’entente du groupe d’étude mixte viole les droits qui leur sont garantis par l’article 15 de la Charte et l’article 35 de la Constitution.

 


[7]               Les défendeurs ont produit plusieurs documents se rapportant à la décision du 3 août 2004, y compris une note de service adressée au ministre le 28 juillet 2004 ainsi que ce qu’il est convenu d’appeler divers points de discussion utilisés par les ministres en cause. Toutefois, aucun de ces documents n’a été présenté sous la forme d’un résumé, d’un rapport ou de recommandations au ministre sur lesquels ce dernier pouvait fonder sa décision du 3 août 2004 de constituer le groupe d’étude mixte. 

 

[8]               Bien qu’ils disposent déjà d’un bon nombre de documents, les demandeurs cherchent à obtenir les écritures à l’origine de la décision du 3 août 2004 au motif qu’il s’agissait d’un processus graduel auquel le ministre et ses représentants ont participé et qui a donné lieu aux questions et aux éléments de preuve dont le ministre a certainement tenu compte pour prendre sa décision, contrairement à la situation habituelle où le ministre a en mains les résultats précis d’une enquête ou un résumé pour ce faire. Les demandeurs affirment que, en l’espèce, les documents dont le ministre et ses assistants se sont servis tout au long du processus devraient être produits vu qu’il s’agit de documents dont le ministre s’est servi pour prendre sa décision. Je tiens ici à signaler que les demandeurs ne réclament pas tous les documents qui ont été générés au cours des cinq dernières années, mais seulement les ébauches, procès-verbaux, compte rendu d’assemblées, notes documentaires, projets d’entente, projets de lettres et documents se trouvant en la possession du ministre, y compris les copies des lettres reçues par le ministre et les versions provisoires et définitives de communiqués de presse. Les demandeurs ne visent pas à obliger le ministre à communiquer avec d’autres personnes en vue d’obtenir des documents et le ministre n’aurait pas, légalement ou selon ce que les demandeurs proposent, à établir de nouveaux documents.

 


[9]               Les défendeurs estiment que ce que les demandeurs réclament va au-delà de ce qu’on entend habituellement par « dossier du tribunal » et revient non seulement à une recherche à l’aveuglette mais aussi à une communication intégrale des documents. Je ne prends pas au sérieux l’idée que les demandeurs auraient dû introduire une action plutôt qu’une instance en contrôle judiciaire ou qu’il leur était loisible de transformer la présente demande de contrôle judiciaire en action pour ensuite chercher à obtenir la communication préalable de tous les documents, car ce n’est pas ce qui est réclamé ou ce dont on a besoin. On a besoin d’une procédure sommaire permettant d’obtenir un résultat rapide et non d’un procès qui risquerait de s’éterniser pendant des années. Je prends toutefois également acte de la thèse des demandeurs, qui est tout à fait fondée et suivant laquelle, de nos jours, le contrôle judiciaire peut être fort complexe et porter sur des questions importantes ayant une vaste portée mais que, même dans ces circonstances, y compris celles de la présente affaire où la procédure ayant conduit à la décision a été très longue, le contrôle judiciaire est quand même plus expéditif que la simple action en justice.

 

ANALYSE

 

[10]           Dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire, le paragraphe 317(1) des Règles de la Cour fédérale permet à une partie d’obtenir les « documents et éléments matériels pertinents à la demande qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande ». Dans l’ensemble, la jurisprudence en matière d’obtention de documents d’un office fédéral limite la production de ces documents à ceux dont disposait l’office fédéral au moment de sa décision. Ce principe général souffre toutefois certaines exceptions limitées, sur lesquelles je reviendrai en temps utile.

 

[11]           En l’espèce, on a prétendu qu’il ressortait du sens ordinaire de l’article 317 que le critère applicable était simplement celui de la pertinence des documents. Toutefois, ainsi que je l’ai souligné dans le jugement Association Pauktuutit des femmes inuit c. Canada (2003), 229 F.T.R. 25, à la page 27, ce qui est considéré comme pertinent, dans le contexte de l’article 317, doit être examiné en fonction de l’objet du contrôle judiciaire, lequel n’est pas un appel :

Essentiellement, le contrôle judiciaire se limite à cette démarche, c'est-à-dire à la révision de la décision du tribunal à partir de la preuve dont disposait ce tribunal; permettre la production d'éléments supplémentaires serait non seulement dénué de pertinence, mais ferait de la procédure de contrôle, une procédure d'appel. (Toft c. Procureur général du Canada, décision non publiée en date du 18 juillet 2001, dossier n E T-264-01, 2001 CFP1 808)

 

 

 

Ce passage est tiré d’une brève décision non publiée rendue le 18 mai 1994 par le juge Nadon, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, dans le jugement Asafov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 713 (C.F. 1re inst.) IMM-7425-93. Le juge Nadon a exprimé essentiellement le même point de vue après avoir examiné la plupart des décisions pertinentes dans le jugement 1185740 Ontario Ltd. c. Ministre du Revenu national (1998), 150 F.T.R. 60, à la page 66, pour finalement exiger uniquement la production des documents qui se trouvaient en la possession du ministre du Revenu national lorsqu’il avait pris la décision en litige. La Cour d’appel fédérale a confirmé ce jugement à (1999) 247 N.R. 287, à la page 289 :

Dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455 (C.A.), la Cour a statué que seuls les documents qui étaient en la possession de la Commission des droits de la personne lorsqu'elle a pris sa décision devaient être produits. À défaut d'une preuve que l'enquêteur avait mal résumé les autres documents sur lesquels il s'appuyait, il n'était pas nécessaire de les produire. La décision de la Cour dans Terminaux portuaires du Québec Inc. c. Canada (Conseil canadien des relations du travail) (1993), 164 N.R. 60; 17 Admin. L.R. (2d) 16, va dans le même sens. J'accepte ces décisions et je les applique.

 

 

 


Ce principe général a pour effet d’empêcher la communication complète et intégrale de tous les documents qui peuvent se trouver en la possession du ministre. Pourtant, dans le même paragraphe, le juge Sexton relève une des exceptions qui existent à ce principe, en l’occurrence le cas où l’enquêteur qui a établi le rapport sur lequel s’est fondé l’office fédéral a mal résumé les autres documents sur lesquels il s’est appuyé. Dans l’arrêt Société Radio-Canada c. Paul (2001), 274 N.R. 47, tout en soulignant qu’un office fédéral a le droit de se fier aux résumés rédigés par les enquêteurs et que le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire doit s’en tenir au dossier dont disposait l’office fédéral, le juge Strayer a fait remarquer qu’il pouvait exister des allégations spéciales qui justifiaient d’élargir la production des documents pertinents, notamment ceux concernant la procédure ou la compétence de l'auteur de la décision (voir page 66). De même, dans le jugement Ordre des architectes de l’Ontario c. Association of Architectural Technologists, [2003] 1 C.F. 331, (2002) 291 N.R. 61, le juge Evans a fait observer, à la page 69, que bien que « les demandes de contrôle judiciaire [soient] normalement jugées sur la base des documents soumis au décideur administratif [...] une preuve par affidavit est [...] recevable sur des questions d'équité procédurale et de compétence ». Ces allusions à la procédure et à l’équité procédurale comme moyen d’élargir la portée de la communication de documents pourraient être pertinentes dans le cas qui nous occupe et nous conduire logiquement à l’affaire Friends of the West Country, sur laquelle je reviendrai sous peu.

 


[12]           Le juge von Finckenstein a suivi une démarche quelque peu différente en ce qui concerne la conception élargie de la communication de documents dans le cadre d’un contrôle judiciaire dans le jugement Khadr c. Canada, décision non publiée rendue le 28 janvier 2005, 2005 CF 135.  Dans cette affaire, les demandeurs, qui sollicitaient des services consulaires et diplomatiques en faveur de M. Khadr, un adolescent qui était détenu depuis environ trois ans à Guantanamo Bay, réclamaient la production de toutes les communications et observations se rapportant à certains points précis. Il s’agissait donc de savoir si, dans le cas d’une procédure en cours, les demandeurs avaient droit à tous les documents dont disposait le ministre jusqu’à la date d’audience. Le juge von Finckenstein a commencé par citer l’extrait suivant de l’arrêt Pathak c. Tribunal canadien des droits de la personne,  [1995] 2 C.F. 455, à la page 460, de la Cour d’appel fédérale :

Un document intéresse une demande de contrôle judiciaire s'il peut influer sur la manière dont la Cour disposera de la demande. Comme la décision de la Cour ne portera que sur les motifs de contrôle invoqués par l'intimé, la pertinence des documents demandés doit nécessairement être établie en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l'avis de requête introductif d'instance et l'affidavit produits par l'intimé.

 

 

 

Le juge von Finckenstein a ensuite fait observer qu’il ressortait du dossier qu’il y avait eu des pourparlers au sujet de visites de fonctionnaire consulaires, des conditions de détention, des garanties de procédure régulière et de la légalité de la détention. Ce sont des questions que le ministre a abordées dans ses diverses lettres, de sorte que les documents portant sur ces questions sont pertinents, étant donné qu’ils faisaient partie du dossier dont disposait le ministre et dont on peut ainsi exiger la production en vertu de l’article 318 des Règles.

 



[13]           Bien que leur portée soit assez étroite, toutes les exceptions au principe général de la production de tous les documents dont disposait l’office fédéral sont maintenant reconnues admises, y compris celles relatives à la procédure. Ce qui nous conduit à l’affaire Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) (1997), 130 F.T.R. 206. Dans cette décision qui a été considérée dans bon nombre d’affaires subséquentes comme un cas d’espèce, sans jamais être écartée, le juge Muldoon a expliqué que le ministre exerçait un rôle de surveillance relativement à l’évaluation en litige et que la procédure ne comportait pas, dans un premier temps, une enquête distincte, et, dans un second temps, la prise d’une décision. Ainsi, comme il n’y avait pas de procédure comportant deux étapes distinctes, le juge Muldoon a permis que l’on s’écarte du principe général limitant la production aux documents dont disposait expressément le ministre au moment de sa décision. Certes, l’affaire Friends of the West Country portait sur une loi qui ne prévoyait pas d’étapes distinctes d’enquête et de décision et qui assignait au ministre, ou aux autres autorités responsables, un rôle de surveillance sur toute l’enquête plutôt qu’un simple rôle passif de destinataire du rapport ou des recommandations (Friends of the West Country, à la page 215). Bien que, dans la situation actuelle, la loi n’exige pas que le ministre joue directement un rôle de surveillance dans le cadre de l’enquête, il semble, à la lecture des affidavits qui m’ont été soumis, que c’est effectivement ce qui s’est produit, et que le ministre actuel et son prédécesseur ont, avec leurs assistants, joué directement un rôle de surveillance, qui a culminé avec la décision que le ministre a prise le 3 août 2004. Dans le cas qui nous occupe, il est légitime que les demandeurs disposent de documents complémentaires, c’est-à-dire de tous les documents pertinents qui peuvent être produits par le ministre ou que ce dernier a pu avoir en sa possession jusqu’à la date à laquelle la décision a effectivement été prise. On peut ainsi remonter à quatre ou cinq ans en arrière pour englober les documents à l’origine du Plan de coopération de juin 2002. Cela ne devrait cependant pas être considéré comme une tâche trop lourde. Ayant établi que les documents à l’origine de la décision du 3 août 2004 doivent être produits, cette production est restreinte par le fait que les demandeurs ont reconnu — et ont énuméré dans l’affidavit souscrit le 13 octobre 2004 par le Grand Chef Herb Norwegian — un grand nombre de documents qu’ils ont présentement en leur possession. Il nous reste à examiner la question de la pertinence.

 

[14]           Dans l’arrêt Pathak c. Commission canadienne des droits de la personne (précité) à la page 460, le juge Pratte explique qu’un document est pertinent s'il peut influer sur la manière dont la Cour tranchera la demande et que, par conséquent, la pertinence doit être appréciée en fonction des motifs de contrôle invoqués dans l’acte introductif d’instance et dans l’affidavit à l’appui (voir le passage déjà cité dans les présents motifs). Le juge Hugessen a adopté un point de vue similaire dans le jugement Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1997), 80 C.P.R. (3d) 550, à la page 555, où il souligne que, dans le cas d'une action, la question de la pertinence est délimitée par les actes de procédure, mais que « dans le cas d'une demande de contrôle judiciaire, où aucun acte de procédure n'est déposé (l'avis de requête lui-même ne devant faire état que du fondement juridique, et non factuel, de la demande de contrôle), [ces questions] sont circonscrites par les affidavits que déposent les parties » (à la page 555).  Il a poursuivi en assimilant la pertinence formelle à la pertinence juridique, une question soulevée en contre-interrogatoire. Dans le jugement Merck Frosst, le juge Hugessen aurait vérifié la pertinence formelle en fonction des affidavits déposés « par les parties ». En l’espèce seuls les demandeurs ont souscrit des affidavits. La décision du juge Hugessen a été confirmée par la Cour d’appel à (2000) 3 C.P.R. (4th) 286.

 

[15]           Je suis convaincu que les documents que les demandeurs réclament répondent à cette définition et qu’ils sont pertinents compte tenu de l’affidavit souscrit le 13 octobre 2004 par le Grand Chef Herb Norwegian.


 

[16]           La description des documents que les demandeurs réclament est un peu trop générale, mais elle ne dépasse pas la limite acceptable en se transformant en réclamation générale. Les demandeurs réclament plutôt les documents se rapportant aux diverses étapes ou phases du processus ayant conduit à la décision du 3 août 2004 de mettre sur pied le groupe d’étude mixte. La description est suffisamment précise pour que les défendeurs n’aient pas à se demander ce que les demandeurs veulent.

 


[17]           L’avocat des défendeurs estime redoutable la tâche consistant à rassembler tous les documents réclamés par les demandeurs. Toutefois, dans l’arrêt Terminaux portuaires du Québec c. Canada, (1993) 17 Admin. L.R. (2d), la Cour d’appel souligne, à la page 21, qu’une telle demande  se limite aux documents qui se trouvent en la possession de l’office fédéral et à ceux qui existent déjà au moment de la demande : l’office fédéral n’est pas obligé de préparer autre chose que ce qu’il a déjà. Dans l’arrêt Terminaux portuaires du Québec, le juge Décary a poursuivi en soulignant, à la page 22, que l’office fédéral n’est pas tenu de produire quoi que ce soit que la partie réclamante est déjà censée avoir en mains. La Cour d’appel a apporté une autre restriction dans l’arrêt Trans Quebec & Maritimes Pipeline c. Office national de l’énergie, [1984] 2 C.F. 432, à la page 442, en précisant que la production de documents par un office fédéral ne doit pas se transformer en occasion de procéder à une enquête à l’aveuglette, de sorte que la production prévue par les dispositions régissant le contrôle judiciaire ne saurait aller jusqu’à permettre à la partie adverse d’exiger le contenu intégral du dossier de l’office fédéral de manière à le fouiller pour y déceler des motifs à l’appui d’une requête. Pour cette raison, la production se limite, comme la Cour l’a souligné dans l’arrêt Pathak, à ce qui est pertinent selon l’avis de requête introductif d’instance et l’affidavit déposé à l’appui ou, pour reprendre la formule employée par le juge Hugessen dans le jugement Merck Frosst Canada Inc. (précité), aux questions précisées par les affidavits déposés par les parties. Suivant ce critère, il peut y avoir un nombre considérable de documents, mais en pareil cas, il s’agira du résultat inévitable d’un processus qui ne comporte pas de phase d’enquête suivie d’une étape de prise de décision, mais où le ministre et ses assistants supervisent la procédure conduisant à la décision. J’abonde dans le sens de l’avocat des demandeurs lorsqu’il affirme que, dans un contexte moderne, le contrôle judiciaire peut porter sur des questions importantes ayant une vaste portée, de sorte que la taille du dossier n’est limitée que par la teneur des affidavits. La production réclamée dans l’avis de demande est assez précise. Les demandeurs réclament les documents qui existaient à chacune des étapes suivies par le ministre et par ses représentants et qui ont conduit à l’étape finale, la décision d’août 2004, ces documents étant les seuls documents pertinents que les demandeurs n’ont pas déclarés dans leurs longs affidavits.

 

[18]           Obliger le ministre ou ses représentants à approcher d’autres entités et à produire ainsi des documents qui n’ont pas déjà été versés au dossier du ministre et de ses représentants déborderait le cadre de l’article 317 des Règles. L’article 317 permet d’exiger la production des documents se trouvant en la possession de l’office fédéral, en l’occurrence le ministre et les personnes qui le représentent. Il n’est pas nécessaire de réclamer ou de produire les documents se trouvant en la possession d’autres personnes.

 


[19]           L’échéancier de production des documents du ministre doit être considéré comme une question ressortissant à la gestion de l’instance. Les dépens de la requête sont adjugés aux demandeurs ou, à défaut d’entente, seront examinés sur dossier. Je remercie les avocats pour leurs plaidoiries éclairantes et raisonnables compte tenu de l’ampleur des documents.

 

« John A. Hargrave »

      Protonotaire

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

 

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :               T-1686-04

 

 

 

INTITULÉ :              GRAND CHIEF HERB NORWEGIAN et autres

c. SA MAJESTÉ LA REINE et autres

                                                     

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (C.-B.)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 11 MARS 2005

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 15 MARS 2005

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gregory J. McDade, c.r.

Michelle Ellison                                                 POUR LES DEMANDEURS

 

Kirk N. Lambrecht, c.r.                                                POUR LES DÉFENDEURS, SA MAJESTÉ LA REINE et PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Mary Comeau                                                  POUR LA DÉFENDERESSE, IMPERIAL OIL RESOURCES VENTURE LTD.

 

Brian Crane                (par téléphone)               POUR LES DÉFENDEURS, SAHTU SECRETARIAT INCORPORATED et le CONSEIL TRIBAL GWICH’IN

 

Darin Hannaford         (par téléphone)               POUR LES DÉFENDEURS, LE CONSEIL RÉGIONAL INUVIALUIT et  LE CONSEIL INUVIALUIT SUR LE GIBIER


 


 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ratcliff & Company

Vancouver (C.-B.)                                           POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada                               POUR LES DÉFENDEURS, SA MAJESTÉ LA REINE et PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Macleod Dixon srl

Calgary (Alberta)                                              POUR LA DÉFENDERESSE, IMPERIAL OIL RESOURCES VENTURES LTD.

 

Gowlings, LaFleur, Henderson

Ottawa (Ontario)                                              POUR LES DÉFENDEURS, SAHTU SECRETARIAT INCORPORATED et le CONSEIL TRIBAL GWICH’IN

 

Miller Thompson

Edmonton (Alberta)                                          POUR LES DÉFENDEURS, LE CONSEIL RÉGIONAL INUVIALUIT et  LE CONSEIL INUVIALUIT SUR LE GIBIER

 

 

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