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Date : 20170912


Dossier : T-941-13

Référence : 2017 CF 825

Ottawa (Ontario), 12 septembre 2017

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

LAINCO INC.

demanderesse

et

COMMISSION SCOLAIRE DES

BOIS-FRANCS

et

PLURITEC LTÉE

et

LEMAY CÔTÉ ARCHITECTES INC.

et

CONSTRUCTIONS GAGNÉ ET FILS INC.

 

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(Jugement et motifs confidentiels émis le 12 septembre 2017)


Table des matières

I. Introduction  3

II. Contexte  3

A. Le projet du Complexe Victoriaville  3

(1) Sa genèse  3

(2) Son lancement et l’élaboration des plans et devis  6

(3) L’entrée en scène de Lainco  9

B. Les procédures judiciaires  12

III. Questions en litige  18

IV. Analyse  18

A. Le Concept Lainco bénéficie-t-il de la protection de la Loi?  18

(1) Le cadre juridique  18

(2) La position des parties  21

(3) Discussion et conclusions  23

a) Le Concept Lainco  23

b) Le Concept Lainco est-il le fruit du talent et du jugement de son auteur?  28

B. L’alinéa 64.1(1)(a) de la Loi fait-il échec à la réclamation de Lainco?  55

C. Les défenderesses, par leur participation à la conception, fabrication et installation de la structure d’acier du Complexe Victoriaville, ont-elles contrefait le Concept Lainco, tel qu’il se dégage des Plans et Œuvres architecturales Lainco, notamment ceux liés au Complexe Artopex?  60

(1) Le cadre juridique  60

(2) La position des parties  66

(3) Discussion et conclusions  69

a) L’accès au Concept Lainco  69

b) Les similitudes entre les structures des Complexes Artopex et Victoriaville  77

c) La structure du Complexe Victoriaville est-elle le fruit d’une création indépendante?  100

d) Toutes et chacune des défenderesses sont-elles imputables de la contrefaçon du Concept Lainco, tel qu’adapté au Complexe Artopex?  106

D. Quel est le dédommagement auquel Lainco a droit du fait de la violation de son droit d’auteur par les défenderesses?  115

(1) La réclamation pour perte de profits  117

(2) La restitution des profits des défenderesses  130

(3) Les dommages punitifs  131

V. Dispositif  134

 

I.  Introduction

[1]  Depuis le 1er octobre 2013, les élèves de la région des Bois-Francs, au Québec, ont, pour leur plus grand plaisir, accès à un stade de soccer intérieur neuf et moderne, construit à Victoriaville [le Complexe Victoriaville], par leur commission scolaire, la Commission scolaire des Bois-Francs [CSBF], et ses partenaires dans ce projet, la firme d’ingénierie Pluritec [Pluritec], la firme d’architectes Lemay & Côté [Lemay Côté] et l’entrepreneur général, Construction Gagné & Fils [Construction Gagné].

[2]  Pendant que les utilisateurs de ce complexe sportif s’adonnent à leurs activités favorites se déroule, dans une autre enceinte, celle des tribunaux, une joute d’un autre ordre opposant la CSBF et ses partenaires à la compagnie Lainco Inc. [Lainco], une entreprise se spécialisant dans la conception et la fabrication de structures d’acier. En effet, la Cour est ici appelée à déterminer si, comme le prétend Lainco, la conception, la fabrication et l’installation de la structure d’acier du Complexe Victoriaville se sont faites en contravention des droits qu’elle estime détenir aux termes de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C-42 [la Loi] sur les plans de structure – et la structure elle-même – d’un stade de soccer intérieur construit à Granby en 2011 (le Complexe Artopex), et à fixer, le cas échéant, la hauteur du dédommagement auquel elle a droit du fait de cette violation.

II.  Contexte

A.  Le projet du Complexe Victoriaville 

(1)  Sa genèse

[3]  Selon la preuve au dossier, l’idée de doter la Ville de Victoriaville et la région des Bois-Francs d’un stade de soccer intérieur prend naissance à la fin des années 2000. Le projet est alors piloté par le Cégep de Victoriaville, en collaboration avec la Ville de Victoriaville et la CSBF. Pluritec prête alors son soutien technique aux protagonistes du projet. Le complexe sportif envisagé comprend trois (3) terrains de soccer et son budget de réalisation est évalué à 12 millions de dollars. Faute de subventions gouvernementales, le projet est toutefois abandonné.

[4]  Le projet est ravivé à l’automne 2011, cette fois-ci avec un budget de réalisation plus modeste. Pluritec prête de nouveau son soutien technique au projet. Aux fins du développement de l’avant-projet, des représentants de la CBSF et de Pluritec, MM. Frédéric Gagnon et Louis Viens respectivement, procèdent à la visite de deux complexes sportifs quelque part à la fin de 2011 ou au début de 2012, soit le « Stinger Dome » de l’Université Concordia, à Montréal, doté d’une structure amovible, et le Complexe Multisport de Bois-de-Boulogne, à Ville de Laval, doté d’une structure en arches de bois.

[5]  Le 29 mars 2012, une visite du Complexe Artopex est organisée à l’instigation du maire de Victoriaville, un fervent amateur de soccer qui connaît déjà cette installation sportive. Le maire souhaite que des représentants de la CSBF et de Pluritec puissent visiter ce complexe afin, notamment, d’en apprendre davantage sur ses coûts de construction et d’opération.

[6]  Outre MM. Gagnon et Viens, la délégation victoriavilloise est également composée du maire, de trois (3) fonctionnaires municipaux ainsi que d’un autre représentant de la CSBF. Le gestionnaire du Complexe Artopex de même qu’un représentant du constructeur dudit Complexe, la compagnie Syscomax, sont également sur place pour les fins de la visite. Personne de chez Lemay Côté, dont les services n’ont pas encore été sollicités, n’assiste à cette rencontre.

[7]  L’Exposé conjoint de faits et d’admissions produit au dossier de la Cour par les parties en prévision du procès, rend compte de la façon suivante de cette visite du Complexe Artopex :

64.  Les deux principaux éléments du complexe Artopex que M. Gagnon a trouvé particulièrement intéressants lors de cette visite sont :

  1. la fonctionnalité des vestiaires; et

  2. le dégagement des aires de jeu.

65.  Cette visite a duré entre 45 et 60 minutes environ.

66.  Cette visite a notamment donné lieu à :

  1. La prise de notes manuscrites et croquis par M. Viens (pièce TX-176);

  2. La prise de notes personnelles par M. Gagnon (non-produites);

  3. La prise de photographies par M. Viens (pièce TX-229); et

  4. La préparation d’un compte-rendu de visite par M. Viens en date du 23 avril 2012 (pièce TX-177).

67.  M. Gagnon n’a pris aucune photographie ou fait de dessin de l’intérieur du Complexe Artopex durant cette visite.

68.  Aucune personne présente lors de cette visite n’a obtenu copie des plans de structure du Complexe Artopex.

[8]  Toujours selon l’Exposé conjoint de faits et d’admissions, au retour de la visite du Complexe Artopex, le maire de Victoriaville, le directeur-général de la CSBF et M. Gagnon conviennent de relancer sérieusement le projet du Complexe Victoriaville sous forme d’un complexe à deux (2) terrains de dimension « 2/3 » pour lequel la CSBF serait le maître d’œuvre. À cette fin, des esquisses et des plans « pré-concept » du futur complexe sont préparés par M. Gagnon et les services techniques de la CSBF. M. Gagnon procède aussi à certains calculs préliminaires en lien avec les coûts de construction et d’opération du futur complexe.

[9]  Le Complexe Artopex est le seul stade de soccer intérieur comportant deux (2) terrains de dimension « 2/3 », c’est-à-dire conçu pour des matchs de soccer à sept (7) joueurs contre sept (7), visité par la CSBF et Pluritec dans le cadre du développement de l’avant-projet du Complexe Victoriaville.

(2)  Son lancement et l’élaboration des plans et devis

[10]  La CSBF se lance résolument dans la réalisation du projet du Complexe Victoriaville le ou vers le 18 avril (2012) lorsque le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec [Ministère] annonce qu’il recevra des demandes d’aide financière pour des projets liés au développement du sport et de l’activité physique. La date butoir pour adresser une telle demande au Ministère est le 18 mai 2012.

[11]  Sans tarder, la CSBF retient les services de Pluritec et de Lemay Côté pour la préparation des plans et devis, préliminaires et définitifs, y compris les plans et devis de structure. Lemay Côté est aussi chargé de la coordination de l’éventuel appel d’offres. Au soutien de sa demande d’aide financière, la CSBF doit être en mesure de soumettre des plans préliminaires du projet.

[12]  Trois (3) rencontres de coordination, qui réunissent des représentants de la CSBF, incluant M. Gagnon, M. Viens, de Pluritec, et des représentants de Lemay Côté, se tiennent avant la date butoir du 18 mai 2012. Ces rencontres ont lieu les 18 et 30 avril de même que le 7 mai 2012. Elles ont leur importance. Pour le moment, il suffit de retenir ce qui suit :

  1. La première rencontre de coordination a notamment pour but « de présenter le projet aux professionnels », dont M. Gagnon « donne les grandes lignes ». Le rapport de cette première rencontre de coordination (Pièce TX-127), en son paragraphe 1.2.2, précise notamment ceci à cet égard:

Ainsi, la nouvelle construction inclura :

Deux surfaces de jeux de 95 pi x 180 pi (budget 1) ou 100 pi par 200 pi (budget 2)

[…]

Une superstructure en acier permettant de grandes portées et libérant l’espace de jeux en hauteur (2 poutres par terrain ayant 35 pi libre dessous les poutres et 50 pi libre dessous les poutrelles). M. Viens travaillera de concert avec la compagnie Canam afin de développer le concept structural le plus simple, efficace et économique. L’espace laissé entre les colonnes supportant chacune des poutres sera comblé au niveau de l’enveloppe extérieure par des fenêtres de type mur rideau. Les équipements d’éclairage et de chauffage devront aussi être intégrés aux poutres;

[…]

[Je souligne]

  1. Suivant le paragraphe 1.2.7 de ce rapport (Pièce TX-127), M. Viens, de Pluritec, doit, en guise de suivi à la rencontre : (i) « transmettr[e] rapidement à l’architecte les photos des diverses visites de projets similaires réalisées en vue du projet »; et (ii) « transmettr[e] aussi ses plans de structure à l’architecte au plus tard le mercredi 25 avril 2012, afin que ce dernier puisse inclure les axes de structure à ses plans ainsi que les éléments structuraux à ses coupes de mur »;
  2. Suite à la rencontre du 18 avril, M. Viens transmet aux différents intervenants les photographies qu’il a prises du Centre Artopex lors de la visite du 29 mars 2012; il élabore aussi des plans préliminaires pour une structure composée de poutrelles ajourées, comme celle conçue par Pluritec pour le Complexe sportif Alphonse Desjardins à Trois-Rivières;
  3. Lors de la deuxième rencontre de coordination, tenue le 30 avril 2012, M. Viens présente sa structure composée de poutrelles ajourées. Le rapport de cette seconde rencontre (Pièce TX-128) réitère que la nouvelle construction inclura, notamment, « une superstructure en acier permettant de grandes portées et libérant l’espace de jeux en hauteur (2 poutres par terrain ayant 35 pi libre dessous les poutres et 50 pi libre dessous les poutrelles) ». Ce rapport note par ailleurs ce qui suit en lien avec les travaux menés par M. Viens :

[…] M. Viens travaille présentement de concert avec la compagnie Canam. Il soumet un système traditionnel de poutrelles répétitives qui, bien qu’économique, ne libèrent toutefois pas l’espace de jeux en hauteur. Il veillera donc à développer la superstructure désirée et à évaluer les coûts qui y sont rattachés pour la prochaine rencontre.

[je souligne]

  1. Toujours suivant le rapport de la rencontre de coordination du 30 avril 2012, M. Viens s’engage à transmettre « le plus rapidement possible ses plans de structure révisés intégrant la superstructure désirée » (Pièce TX-128, au paragraphe 1.2.7).
  2. Le rapport de la troisième rencontre de coordination, tenue le 7 mai 2012 (Pièce TX-131), note que M. Viens « travaille présentement de concert avec la compagnie Canam et c’est avec eux que la superstructure désirée par le propriétaire a pu être conceptualisée et estimée ».
  3. Au début mai 2012, Pluritec émet les plans de structure préliminaires, nécessaires à la présentation de la demande d’aide financière de la CSBF. Quelques jours plus tard, Lemay Côté transmet à la CSBF deux perspectives, l’une de l’intérieur, l’autre de l’extérieur, du futur complexe. Ces perspectives serviront aussi à la présentation de la demande d’aide financière de la CSBF. La perspective intérieure, comme on le verra, a son importance dans le présent litige.

[13]  Le 16 octobre 2012, munie des approbations et du financement nécessaires, la CSBF convoque une nouvelle rencontre de coordination, une première depuis celle du 7 mai. Pendant les semaines qui suivent, Pluritec et Lemay Côté travaillent de concert pour compléter une estimation détaillée du projet et préparer les différents plans et devis pour l’appel d’offres.

[14]  L’appel d’offres est publié le 21 janvier 2013. L’ouverture des soumissions est prévue pour le 18 février 2013.

(3)  L’entrée en scène de Lainco

[15]  Dans les jours qui suivent la publication de l’appel d’offres, Lainco, après avoir eu accès aux plans et devis, se manifeste auprès de la CSBF, estimant que la structure d’acier du futur complexe reproduit celle du Complexe Artopex. Le 14 février 2013, soit quatre (4) jours avant l’ouverture des soumissions, Lainco transmet aux entrepreneurs généraux ayant soumissionné sur le projet un avis les informant de l’existence de ses droits d’auteur et les invitant à sous-contracter avec elle la conception, la fabrication et l’installation de la structure d’acier du nouveau complexe (Pièce TX-45).

[16]  À cet avis aux soumissionnaires, Lainco joint en copie les certificats de droit d’auteur qu’elle a fait enregistrer en marge de la conception et de l’érection, en 2009, de la structure d’acier du stade de soccer intérieur Antony-Carola de l’école St-Jean-Vianney, à Montréal [le Complexe Antony-Carola]. Les deux certificats portent sur les plans et la structure elle-même.

[17]  Lainco joint aussi à l’avis aux soumissionnaires les plans de la structure d’acier qu’elle propose pour le complexe à être construit selon deux options : une structure avec toiture cambrée et une autre avec toiture plate. Elle fait également part aux soumissionnaires de son prix pour la fabrication et l’érection de l’une et l’autre structure. Dans les quelques jours qui suivent la transmission de cet avis, Lainco, suite à des discussions informelles avec des représentants de la CSBF dont le projet de complexe comporte une toiture de type « monopente », se ravise et retire de son offre aux soumissionnaires l’option de la toiture cambrée.

[18]  Toujours dans le contexte de discussions informelles avec les représentants de la CSBF, en particulier M. Gagnon, Lainco propose de dénouer l’impasse en consentant une licence d’utilisation de son concept de structure [le Concept Lainco] pour un prix de ||||||||||||||||||||

[19]  Entre temps, la CSBF sollicite l’avis de Pluritec sur le bien-fondé des prétentions de Lainco eu égard à ses droits d’auteur. Le 15 février 2013, Pluritec réfute par écrit les allégations de Lainco (Pièce TX-148). Notamment, elle assure n’avoir jamais eu accès aux plans de structure utilisés pour la construction du Complexe Artopex ou encore copié ladite structure et affirme que le concept utilisé pour la structure du Complexe Victoriaville est un concept original dans la mesure où il résulte des recherches, analyses, calculs, modélisations informatiques et dessins effectués dans le cadre du mandat qui lui a été confié par la CSBF, et tient compte des conditions sismiques et météorologiques locales, lesquelles diffèrent de celles prévalant à Granby.

[20]  Le 18 février 2013, la CSBF invite les soumissionnaires à ne pas tenir compte de l’avis de Lainco, à procéder, comme à l’habitude, à l’analyse des soumissions de sous-traitants et à utiliser les sous-traitants de leur choix (Pièce TX-47).

[21]  Le même jour, le contrat de construction du Complexe Victoriaville est octroyé à Construction Gagné, pour un montant de 4 147 886$ (Pièce TX-151). La fabrication et l’érection de la structure du nouveau complexe sont plus tard confiées par Construction Gagné à la compagnie Acier Solider, laquelle sous-traite à son tour la fabrication de la structure à la compagnie Canam.

[22]  Le Complexe Victoriaville est inauguré le 1er octobre 2013. Suivant l’Exposé conjoint de faits et d’admissions, sa structure d’acier comprend, notamment, les quatre éléments suivants :

  1. Quatre (4) fermes maîtresses triangulées;

  2. Des poutres (membrures) secondaires de type « Gerber »;

  3. Des colonnes d’acier en périphérie du bâtiment; et

  4. Des contreventements en croix de Saint-André (« X-Brace »).

[23]  L’aire de jeu de ce Complexe, tout comme celle du Complexe Artopex, répond à la règlementation de la FIFA, la fédération internationale qui régit le sport du soccer à l’échelle de la planète, laquelle requiert un dégagement de 35 pieds entre la surface de jeu et le plafond de l’aire de jeu. Cela permet, suivant ce que j’ai compris, la présentation de compétitions de soccer de certains niveaux.

B.  Les procédures judiciaires

[24]  Lainco intente le présent recours le 27 mai 2013. Elle amende sa déclaration d’action une première fois en mai 2013 et une seconde fois en août 2016. Lainco plaide en substance être titulaire de droits d’auteur dans les plans qu’elle a conçus, entre 2009 et 2011, pour la structure d’acier du Complexe Antony-Carola, celle du hangar de la compagnie d’aviation Air Inuit situé à Montréal et celle du Complexe Artopex, de même que dans chacune des trois structures elles-mêmes, fabriquées et installées conformément auxdits plans.

[25]  Elle soutient plus particulièrement que les plans pour la structure d’acier du Complexe Antony-Carola, conçus en 2009, sont non seulement originaux, mais aussi innovateurs par rapport à ce qui se fait alors sur le marché en ce qu’ils permettent, notamment, « d’avoir une structure ayant un nombre limité de fermes optimisant ainsi l’esthétisme tout en diminuant les coûts » (Déclaration ré-amendée, au para 7). Elle ajoute que les plans des structures du hangar d’Air Inuit et du Complexe Artopex sont une variation du même concept innovateur à la différence que, dans le cas du hangar d’Air Inuit, ils sont conçus pour un toit plat de manière à permettre la rétention d’eau alors que dans le cas du Complexe Artopex, ils tiennent compte de la dimension réduite de l’espace occupé par les terrains de soccer. Lainco plaide que ces plans et structures sont non seulement originaux et uniques dans l’industrie, mais qu’ils sont également devenus distinctifs des produits et services qu’elle offre. Elle souligne avoir d’ailleurs remporté le « Prix d’excellence 2012 » décerné par l’Institut canadien de la construction en acier (ICCA) pour la structure d’acier du Complexe Artopex.

[26]  Lainco allègue qu’en tant que titulaire de droits d’auteur dans ces plans et structures, qu’elle nomme collectivement les « Plans Lainco » et les « Œuvres Architecturales Lainco » et à l’égard desquels elle a fait émettre des Certificats d’enregistrement du droit d’auteur aux termes du paragraphe 53(2) de la Loi, elle seule peut produire ou reproduire la totalité ou une partie importante des « Plans Lainco » et des « Œuvres Architecturales Lainco », ou encore autoriser l’un ou l’autre de ces actes.

[27]  Or, plaide-t-elle, les plans de la structure d’acier du Complexe Victoriaville préparés par Pluritec et Lemay Côté, et transmis par la CSBF aux personnes intéressées à construire ledit Complexe, de même que la structure d’acier construite à partir desdits plans par Construction Gagné, reproduisent, sans qu’elle ne l’ait autorisée, la totalité ou une partie importante du Concept Lainco que renferment les « Œuvres architecturales Lainco » et les « Plans Lainco », ce qui contrevient, selon elle, aux articles 3 et 27 de la Loi.

[28]  Lainco s’estime donc en droit de recevoir un dédommagement correspondant aux profits qu’elle aurait touchés en fournissant et érigeant la structure du Complexe Victoriaville, ce qu’elle seule pouvait faire ou autoriser un tiers à faire. Elle réclame aussi la somme de 50 000 $ à titre de dommages punitifs et exemplaires de même que les frais de la présente action, sur une base avocat-client, incluant toutes les taxes applicables et les frais d’experts.

[29]  Les parties défenderesses demandent le rejet de l’action de Lainco. En particulier, la CSBF plaide que les « Œuvres Architecturales Lainco » ne sont pas protégées par la Loi parce qu’elles ne résultent pas de l’exercice des compétences et des efforts intellectuels de leur auteur. Elle soutient, à tout événement, que les plans utilisés pour la construction du Complexe Victoriaville sont originaux et ne constituent aucunement une reproduction de la totalité ou d’une partie importante du Concept Lainco. Enfin, la CSBF allègue, sur la base de l’article 64.1 de la Loi, que le Concept Lainco échappe à la protection de la Loi dans la mesure où les éléments qui le compose sont des objets utilitaires intégrés audit Concept uniquement en raison de leurs fonctions utilitaires.

[30]  Pluritec, pour sa part, plaide que les plans qu’elle a préparés pour le Complexe Victoriaville sont originaux et ne reproduisent d’aucune façon tout aspect original, innovateur ou unique propre au Concept Lainco.

[31]  Quant à Lemay Côté, elle se défend à l’action de Lainco en plaidant que le Concept Lainco ne comporte aucune caractéristique jusqu’alors inconnue ou qui relève de l’innovation et ne constitue dès lors pas une œuvre au sens de la Loi. Tout comme la CSBF et Pluritec, elle estime aussi que les plans qu’elle a préparés pour le Complexe Victoriaville sont originaux et ne constituent aucunement une reproduction de la totalité ou d’une partie importante du Concept Lainco. Subsidiairement, Lemay Côté plaide que s’il s’avère qu’il y a eu violation du droit d’auteur en l’instance, la responsabilité pour cette violation doit incomber exclusivement à la CSBF et à Pluritec puisqu’elle n’a eu aucune implication dans la préparation des plans ayant servi à l’érection de la structure d’acier du Complexe Victoriaville.

[32]  Finalement, Construction Gagné, qui est représentée par les mêmes procureurs que la CSBF, reprend en substance les mêmes moyens de défense que la CSBF. Elle plaide aussi qu’on ne peut rien lui reprocher dans la mesure où elle n’a été aucunement impliquée dans la préparation des plans de la structure du Complexe Victoriaville et n’a fait que suivre les instructions de la CSBF, y compris celles contenues dans l’avis aux soumissionnaires daté du 18 février 2013 (Pièce TX-47) dans lequel la CSBF réfutait les allégations de Lainco et invitait les soumissionnaires à procéder aux choix des sous-traitants comme à l’habitude.

[33]  Par ailleurs, les parties défenderesses estiment les dommages réclamés par Lainco grossièrement exagérés.

[34]  Au procès, Lainco a fait entendre, comme témoin principal, un de ses deux principaux dirigeants et actionnaires, M. Éric Lachapelle, qui est ingénieur de formation. Elle a aussi fait témoigner deux experts, M. Vadim Siegel, qui est architecte, et M. Martin Fafard, qui est comptable professionnel agréé et spécialiste en juricomptabilité. Le mandat de M. Siegel était de comparer les plans de la structure du Complexe Victoriaville et la structure elle-même aux plans conçus – et aux structures construites – par Lainco, notamment pour le Complexe Antony‑Carola, le hangar d’Air Inuit et le Complexe Artopex, et d’en dégager, le cas échéant, les similitudes importantes. Celui de M. Fafard était de quantifier les dommages subis par Lainco, notamment, sa perte de profits, du fait de la violation alléguée de ses droits d’auteur.

[35]  Pour sa part, Pluritec a fait entendre quatre (4) témoins. Sur les questions de faits, elle a d’abord offert le témoignage de son chargé de projet pour le projet du Complexe Victoriaville, M. Viens, et ensuite celui de son contrôleur financier, M. Gilles Cousineau, qui a témoigné sur les profits qu’elle a réalisés en marge dudit projet. Sur les questions techniques et de quantification des dommages, elle a aussi fait entendre deux témoins experts, soit M. Norman Kadanoff, un ingénieur en structures qui a offert son opinion sur les différences et similitudes entre la structure du Complexe Victoriaville et celles, conçues par Lainco, intégrant les éléments du Concept Lainco, et M. Alain David, qui, lui-aussi comptable professionnel agréé et spécialiste en juricomptabilité, a donné la réplique à M. Fafard.

[36]  M. Alain Côté, architecte de formation et chargé de projet chez Lemay Côté pour le projet du Complexe Victoriaville, a témoigné pour le compte de cette dernière, tout comme M. Jacques Côté, qui est aussi architecte, et qui a offert son opinion, basée sur la pratique usuelle en matière d’architecture, sur le rôle de Lemay Côté dans ce projet, plus particulièrement quant à l’insertion des plans de structure dans les plans d’architecture dudit projet.

[37]  Enfin, la CSBF a fait entendre un témoin expert, M. Thomas Egli, qui est ingénieur. Le mandat de M. Egli consistait à déterminer si, à son avis :

  1. Les plans de structure conçus pour le Complexe Victoriaville reproduisent la totalité ou une partie importante des plans conçus par Lainco pour le Complexe Antony-Carola, le hangar d’Air Inuit et le Complexe Artopex;
  2. La structure elle-même du Complexe Victoriaville reproduit la totalité ou une partie importante des structures du Complexe Antony-Carola, du hangar d’Air Inuit et du Complexe Artopex, érigées à partir des plans conçus par Lainco;
  3. Le Concept Lainco peut être considéré comme le produit de l’exercice du talent et du jugement de son auteur; et
  4. Les éléments du Concept Lainco sont des objets utilitaires et si les caractéristiques qui leur sont attribuées résultent uniquement de leur fonction utilitaire.

[38]  Par ailleurs, la CSBF n’a fait entendre aucun représentant et Construction Gagné, aucun témoin.

[39]  Les parties ont aussi produit en preuve au procès des extraits d’interrogatoires préalables tenus dans ce dossier, soit ceux de MM. Lachapelle (Lainco), Viens (Pluritec), Alain Côté (Lemay Côté), Gagnon (CSBF), et Michel Dalcourt (Construction Gagné).

[40]  Enfin, il importe de mentionner qu’une ordonnance de confidentialité a été émise dans ce dossier le 26 mars 2014, et renouvelée le 12 octobre 2016, à quelques jours de l’ouverture du procès. Cette ordonnance restreint principalement la divulgation de renseignements de nature financière. Elle a nécessité, lors du procès, l’audition à huis clos de certains témoignages ou parties de témoignage. Deux versions des présents motifs, l’une publique, l’autre confidentielle, seront donc émises simultanément.

III.  Questions en litige

[41]  Le présent recours soulève, à mon sens, les quatre questions suivantes :

  • a) Le Concept Lainco, tel qu’il se dégage des Plans et Œuvres architecturales Lainco, notamment ceux liés au Complexe Artopex, est-il un œuvre originale au sens de la Loi?

  • b) Dans l’affirmative, l’alinéa 64.1(1)(a) de la Loi fait-il néanmoins échec à la réclamation de Lainco?

  • c) Dans la négative, les défenderesses, par leur participation à la conception, fabrication et installation de la structure d’acier du Complexe Victoriaville, ont-elles contrefait le Concept Lainco, tel qu’il se dégage des Plans et Œuvres architecturales Lainco, notamment ceux liés au Complexe Artopex? et

  • d) Dans l’affirmative, Lainco a-t-elle droit, en tout ou en partie, au dédommagement qu’elle réclame, y compris aux dommages punitifs auxquels elle estime avoir droit aux termes de la Loi?

IV.  Analyse

A.  Le Concept Lainco bénéficie-t-il de la protection de la Loi?

(1)  Le cadre juridique

[42]  Au Canada, les droits et recours de celui qui se prétend titulaire d’un droit d’auteur sont prévus à la Loi. Ce régime, d’origine statutaire, est exhaustif (Théberge c Galerie d’Art du Petit Champlain Inc., 2002 CSC 34 au para 5, [2002] 2 RCS 336 [Théberge]; CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13 au para 9, [2004] 1 RCS 339 [CCH]). Il est construit de manière à établir « un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, la juste récompense pour le créateur (ou, plus précisément, l’assurance que personne d’autre que le créateur ne pourra s’approprier les bénéfices qui pourraient être générés) » (Théberge, au para 30; CCH, au para 10).

[43]  En ce sens, et comme l’ont souligné toutes les parties au présent litige, le droit d’auteur protège non pas les idées qui sous-tendent l’œuvre mais strictement l’expression de celles-ci dans l’œuvre (CCH, au para 8). L’idée appartient donc à tous et son utilisation n’est assujettie à aucun monopole. C’est l’œuvre, dans laquelle l’idée est incarnée, qui appartient à l’auteur et qui lui procure, pourvu qu’elle soit fixée sous une forme matérielle, les droits et protections prévus à la Loi (CCH, au para 8, citant Moreau c St. Vincent, [1950] Ex. C.R. 198, p 203).

[44]  Autrement dit, cette nécessité d’établir un juste équilibre entre la protection du talent et du jugement de l’auteur dans l’expression de ses idées et le fait de laisser des idées relever du domaine public de manière à ce que tous puissent s’en inspirer, constitue « la trame de fond » en fonction de laquelle la Loi doit être interprétée et les arguments des parties, examinés (Cinar Corporation c Robinson, 2013 CSC 73 au para 28, [2013] 3 RCS 1168, [Cinar CSC]; HCC, au para 10).

[45]  La Loi protège quatre (4) grandes catégories d’œuvres, les œuvres artistiques, dramatiques, littéraires et musicales. La catégorie d’œuvres dont se réclame Lainco est celle des œuvres artistiques, laquelle comprend les œuvres architecturales. Ces deux expressions sont définies comme suit dans la Loi:

œuvre artistique Sont compris parmi les œuvres artistiques les peintures, dessins, sculptures, œuvres architecturales, gravures ou photographies, les œuvres artistiques dues à des artisans ainsi que les graphiques, cartes, plans et compilations d’œuvres artistiques. (artistic work)

artistic work includes paintings, drawings, maps, charts, plans, photographs, engravings, sculptures, works of artistic craftsmanship, architectural works, and compilations of artistic works; (œuvre artistique)

œuvre architecturale Tout bâtiment ou édifice ou tout modèle ou maquette de bâtiment ou d’édifice. (architectural work)

architectural work means any building or structure or any model of a building or structure; (œuvre architecturale)

[Je souligne]

[46]  Toutefois, pour que le droit d’auteur existe à l’égard d’une œuvre appartenant à l’une de ces quatre (4) catégories d’œuvres, encore faut-il, suivant l’article 5 de la Loi, que l’œuvre soit « originale ». Le concept de l’originalité de l’œuvre n’est pas défini dans la Loi, cette tâche ayant été laissée aux tribunaux. Faisant l’objet d’une jurisprudence contradictoire jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada tranche la question dans l’affaire CCH, l’œuvre originale se veut, en termes généraux, celle qui émane d’un auteur et qui n’est pas la copie d’une autre œuvre. Toutefois, il ne suffira pas, pour franchir la barre de l’originalité, qu’elle émane de son auteur si elle n’est pas aussi le produit du talent et du jugement de celui-ci et si cet exercice de talent et de jugement est négligeable au point d’être purement mécanique (CCH, au para 16). Le talent est affaire d’habilité, d’adresse, de savoir-faire, de connaissances et d’expérience pratique, et le jugement, de discernement et de capacité d’évaluer ou de comparer diverses possibilités pour faire un choix (Construction Denis Desjardins Inc. c Jeanson, 2010 QCCA 1287 au para 6 [Construction Desjardins]).

[47]  Par contre, cette barre sera franchie même si cet exercice de talent et de jugement ne produit pas une œuvre novatrice et unique (CCH, aux paras 16 et 25). En effet, l’originalité envisagée par la Loi « ne vise ni n’exige aucunement du nouveau, de l’inédit, de l’unique ou de l’inventif» (Construction Desjardins, au para 6).

[48]  Je mentionne au passage que la Loi ne requiert plus, depuis 1988, que l’œuvre architecturale, jusqu’alors libellée « œuvre d’art architecturale » par le législateur, possède, pour atteindre la protection de la Loi, un « caractère ou aspect artistique ». C’est donc dire qu’il n’y a plus lieu désormais d’être plus exigeant envers les œuvres architecturales ou les plans de telles œuvres qu’on ne l’est à l’égard des autres types d’œuvres protégés par la Loi (Construction Desjardins, au para 14). Ceci n’est pas contesté d’ailleurs.

(2)  La position des parties

[49]  Lainco soutient que le Concept Lainco répond à la définition d’œuvre architecturale et d’œuvre artistique, et qu’il s’agit là d’une œuvre présentant le niveau d’originalité requis pour bénéficier de la protection de la Loi puisque la preuve démontre qu’elle est le fruit du talent et du jugement de son auteur. Elle a souligné au procès qu’une attention particulière devait être portée au dit Concept tel qu’adapté au Complexe Artopex puisqu’il s’agit là de l’œuvre qui aurait été contrefaite.

[50]  Citant l’ouvrage de Me Stéphane Gilker, La protection des œuvres architecturales par le droit d’auteur au Canada, (1991), 3:3 CPI 241, 1re partie, [Gilker], elle rappelle que les tribunaux ont déjà qualifié d’œuvres architecturales une grande variété d’ouvrages et structures, tels des immeubles commerciaux, des maisons d’habitation uniques et en rangée, un plan de façade de boutique, un quai d’embarquement de chemin de fer, un demi-court de tennis constitué d’un pavé de béton marqué de lignes de jeu et de poteaux destinés à tendre un filet, un aménagement paysager constitué d’un étang, d’une jetée, d’un escalier et d’une promenade, un centre de squash, une tour de de télécommunication, de même que le design intérieur d’une œuvre architecturale (Gilker, aux pp 268-269).

[51]  À cette liste, poursuit Lainco, s’ajoute la structure d’acier conçue pour l’ancien Centre civique d’Ottawa, laquelle permettait l’aménagement, dans un même complexe sportif, d’un stade de football et d’un aréna (Netupsky et al c Dominion Bridge Co. Ltd., 5 DLR (3d) 195, à la p 196 [Netupsky]), de même que le design et l’aménagement intérieur et extérieur d’une chaîne de magasins d’alimentation désireuse d’offrir une nouvelle expérience-client (2426-7536 Québec inc. c Provigo Distribution inc., [1992] J.Q. no 2565, EYB 1992-75117 ).

[52]  Les défenderesses soutiennent que le Concept Lainco ne possède pas le degré d’originalité requis pour recevoir la protection de la Loi, et ce, pour deux raisons. D’une part, le Concept Lainco souffrirait d’imprécision, la preuve révélant qu’il comporte tantôt quatre composantes clés, parfois trois, tantôt deux, faisant en sorte qu’il est impossible d’en cerner avec certitude ce qui lui confère son originalité et, par le fait même, ce qui est protégé et protégeable par le droit d’auteur.

[53]  D’autre part, les défenderesses soutiennent que le Concept Lainco ne serait le fruit que d’une simple mise en commun d’éléments structuraux déjà bien connus (fermes maîtresses, membrures secondaires de type Gerber et colonnes en périphérie de bâtiment), un exercice n’exigeant, selon elles, ni talent ni jugement particulier.

(3)  Discussion et conclusions

a)  Le Concept Lainco 

[54]  Les défenderesses soutiennent que dans la mesure où le droit d’auteur confère à son titulaire une forme de monopole sur la production ou la reproduction, sous une forme matérielle quelconque, de la totalité ou d’une partie importante de l’œuvre en cause, ce qui fait l’originalité de celle-ci doit pouvoir être défini avec précision, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

[55]  Elles estiment que la définition du Concept Lainco a évolué, dans tous les sens, selon les différentes étapes du présent dossier. C’est ainsi, soulignent-elles, que :

  1. Dans sa Déclaration d’action, Lainco le présente comme permettant « d’avoir une structure ayant un nombre limité de fermes optimisant ainsi l’esthétisme tout en diminuant les coûts », sans y spécifier le nombre de fermes requises et sans y faire mention de la présence et de l’apport de membrures secondaires, de colonnes périphériques ou de contreventements;
  2. Lors des interrogatoires préalables, son représentant, M. Éric Lachapelle, précise que le Concept Lainco comprend des fermes principales rapprochées avec utilisation de poutres ou membrures de type Gerber comme élément secondaire;
  3. Son expert, M. Siegel, y voit, pour sa part, quatre éléments principaux : (i) des colonnes d’acier en périphérie du bâtiment; (ii) des fermes maîtresses triangulées supportant des membrures en porte-à-faux; (iii) des membrures secondaires fixées aux membrures à porte-à-faux et au pontage de toiture; et (iv) des contreventements en croix de Saint-André;
  4. Au procès, M. Lachapelle témoigne que l’utilisation de membrures de type Gerber n’est pas essentielle et que le Concept Lainco peut s’accommoder de toute forme de fermes maîtresses alors que M. Siegel estime qu’au final, ni les colonnes en périphérie du bâtiment ni les contreventements en croix de Saint-André ne contribuent véritablement à la dimension esthétique du Concept Lainco.

[56]  Lainco, pour sa part, soutient que la preuve au dossier révèle que le concept qu’elle a développé se caractérise par la présence d’un nombre limité de fermes maîtresses triangulées de longue portée, volontairement apparentes, imposantes (environ 200 pieds de portée par 15 pieds de hauteur) et espacées, de poutres secondaires de type Gerber ayant l’avantage d’être discrètes, voire même effacées, et de colonnes doubles supportant les fermes maîtresses, mais aussi, et surtout, par le choix et l’agencement uniques de ces trois éléments.

[57]  Cette description me semble effectivement refléter ce que la preuve révèle. Le Concept Lainco, tel que je le comprends de la preuve, m’apparait le fruit de l’agencement particulier, dans le but de donner une facture esthétique distinctive à la structure de l’aire de jeu, laquelle est apparente, de deux éléments principaux, les fermes maîtresses triangulées, cambrées de préférence, qui sont en quelque sorte le principal attrait du concept et qui, depuis la réalisation du Complexe Artopex, sont au nombre de deux par terrain, et les poutres secondaires de type Gerber, qui servent à mettre les fermes maîtresses en évidence. Dans une moindre mesure, le Concept Lainco comprend aussi la présence de colonnes doubles servant de support aux fermes maîtresses.

[58]  À mon sens, c’est ce qui ressort clairement du témoignage de M. Lachapelle au procès (Transcriptions, vol 1, aux pp 65, 76, 154, 155, 190, 191, 195 et 196). D’ailleurs, il n’est pas tout à fait exact de dire que M. Lachapelle, lors de son interrogatoire préalable, n’a fait référence qu’aux fermes maîtresses et aux poutres de type Gerber en décrivant le Concept Lainco. Bien que plus discrète qu’au procès, on y trouve aussi une référence aux colonnes doubles (Pièce D-15A, aux pp 105-106).

[59]  Il n’est pas exact non plus de dire que M. Siegel a fini par reconnaître que les colonnes doubles n’apportaient aucune contribution au Concept Lainco. En contre-interrogatoire, il a précisé que c’est par leur configuration que lesdites colonnes contribuaient au Concept Lainco (Transcriptions, vol 2, aux pp 177-178) bien qu’il a reconnu qu’à elles seules, sauf si des fenêtres y sont intégrées, elles ne contribuaient pas à créer une ambiance à l’intérieur de la structure, les utilisateurs des lieux n’étant pas enclin à remarquer spécifiquement le rythme des colonnes (Transcriptions, vol 2, à la p 186). Je n’y vois pas là une répudiation de l’appartenance ou de l’apport des colonnes doubles au Concept Lainco. Encore une fois, ni M. Lachapelle, ni M. Siegel n’ont prétendu que les colonnes doubles y jouaient un rôle de premier plan.

[60]  Quant aux propos que l’on prête à M. Lachapelle voulant que l’utilisation de membrures de type Gerber ne soit pas essentielle ou encore que le Concept Lainco puisse s’accommoder de toute forme ou configuration de fermes maîtresses, des nuances s’imposent. D’une part, je comprends du témoignage de M. Lachapelle qu’il serait toujours possible d’installer d’autres types de poutres que la poutre de type Gerber, ou encore des poutrelles, ce qu’il a envisagé à un certain moment. Toutefois, j’ai aussi compris que cela donnerait une membrure secondaire plus dispendieuse, dans le cas de l’utilisation de poutres d’un type autre que Gerber, ou moins belle, dans le cas de l’utilisation de poutrelles, dénaturant ainsi le Concept Lainco. En d’autres termes, il n’y a aucune logique d’esthétique et d’affaires, selon M. Lachapelle, à modifier son concept de la sorte (Transcriptions, vol 1, aux pp 192-193). Il a aussi expliqué pourquoi des poutres en portée continue, plutôt que des poutres de type Gerber, avaient été utilisées pour le hangar d’Air Inuit, une structure beaucoup plus vaste avec toit plat pour faire de la rétention d’eau (Transcriptions, vol 2, aux pp 20 à 22). M. Lachapelle a témoigné que l’utilisation de ces poutres permettait néanmoins de préserver la facture esthétique distinctive du Concept Lainco (Transcriptions, vol 2, à la p 20).

[61]  D’autre part, quant à la forme des fermes maîtresses, il est vrai que M. Lachapelle a reconnu que le Concept Lainco ne dépendait pas d’une seule configuration de fermes maîtresses. Toutefois, il a rappelé que c’est la présence de fermes maîtresses, regroupées d’une certaine manière, qui est au cœur du Concept Lainco et non la configuration de celles-ci, laquelle n’est à tout événement pas de nature, selon lui, à modifier l’aspect esthétique général associé au dit Concept (Transcriptions, vol 1, aux pp 190 à 192).

[62]  J’ajouterais ceci. Je suis d’accord avec le procureur de Lainco pour dire que ce qui est d’abord et avant tout en jeu dans le présent litige, c’est le Concept Lainco tel qu’adapté au Complexe Artopex puisque ce sont les plans de ce Complexe, et la structure qui a été érigée sur la base de ces plans, qui auraient été contrefaits par les défenderesses. Les plans sont précis et la structure existe. L’œuvre à laquelle il faut ultimement s’attarder en l’espèce est donc celle-là et elle comprend des fermes maîtresses de formes triangulées, tout comme d’ailleurs le Complexe Antony-Carola et le hangar d’Air Inuit. La Loi n’interdit pas qu’une œuvre puisse être adaptée, pourvu que l’œuvre adaptée, pour bénéficier de la protection de la Loi, reproduise une partie importante de l’œuvre originale (Théberge, au para 73).

[63]  En l’espèce, je suis satisfait que le Concept Lainco se caractérise par le choix et l’agencement de fermes maîtresses triangulées de longue portée, volontairement apparentes, imposantes et espacées (deux par terrain dans le cas de stades de soccer intérieur), de poutres secondaires de type Gerber, et de colonnes doubles supportant les fermes maîtresses. Les contreventements en forme de croix St-André n’en font pas partie.

[64]  Une axonométrie 3D de la structure du Complexe Artopex rend bien compte des différentes composantes du Concept Lainco (Pièce TX-70) :

b)  Le Concept Lainco est-il le fruit du talent et du jugement de son auteur?

[65]  Il faut maintenant décider, pour pouvoir conclure à l’originalité du Concept Lainco, si ce choix et cet agencement sont le fruit du talent et du jugement de son auteur, ou simplement le résultat d’un exercice intellectuel purement mécanique.

[66]  Les défenderesses, je le répète, soutiennent que le Concept Lainco est le simple produit d’une mise en commun d’éléments structuraux déjà bien connus (fermes maîtresses, membrures secondaires de type Gerber et colonnes en périphérie de bâtiment), un exercice qui ne requiert ni talent ni jugement particulier. Elles ajoutent que ce sont d’abord et avant tout des considérations d’ordre financières qui ont présidé la sélection de ces éléments, ce qui tend à démontrer encore davantage l’absence d’originalité du Concept Lainco.

[67]  La position des défenderesses repose, pour l’essentiel, sur les rapports et témoignages de MM. Kadanoff et Egli, tous deux ingénieurs. M. Kadanoff, pour le compte de Pluritec, opine que les fermes maîtresses prismatiques de longue portée, comme celles du Concept Lainco, sont une variation des fermes de type Warren utilisées depuis plus de 100 ans pour des ponts de chemins de fer, comme le pont Victoria à Montréal. Depuis, précise-t-il, l’usage de fermes prismatiques, qui peuvent avoir une configuration rectangulaire, trapézoïdale ou triangulaire, a été étendu à d’autres types de structures, comme l’aréna Eugène Lalonde à Sherbrooke, l’aéroport Robin Hood, à Doncaster en Angleterre, l’aéroport de Hambourg en Allemagne, l’aéroport de Calgary et la traverse pour piétons et cyclistes du canal Lachine, à Montréal (Pièce D-7, à la p 6).

[68]  Quant aux poutres secondaires de type Gerber, qu’il décrit comme des poutres en porte-à-faux avec système Gerber, elles doivent leur nom, selon ce qu’indique M. Kadanoff, à leur concepteur, Heinrich Gerber, qui a, pour la première fois, fait usage de cette méthode de conception et de construction en 1866. Il précise que de nos jours, il s’agit là de la méthode la plus utilisée dans la construction de toits en raison de sa simplicité et de l’économie de coûts qu’elle représente (Pièce D-7, à la p 6).

[69]  M. Egli, pour le compte de la CSBF et Constructions Gagné, opine, pour sa part, que les complexes Antony-Carola, Air Inuit, Artopex et Victoriaville ont tous en commun une structure en profilé de poutres et ossature d’acier (« steel beam-and-purlin system »), un type de structure qui existe depuis la fin du 18e siècle et qui, aujourd’hui, est utilisé pour la construction d’entrepôts, d’aérogares, d’usines, d’hangars d’avions, et de complexes sportifs. Cette structure est constituée de cinq éléments, selon M. Egli : un tablier métallique qui recouvre la structure (« steel deck »), des poutres (« beams »), une ossature secondaire (« purlins »), des colonnes (« columns ») et des contreventements (« cross-bracing »).

[70]  Il précise que des firmes bien connues spécialisées dans la conception / construction clé en main de bâtiments (« design-build and turnkey contractors »), comme Butler Buildings Canada, de Burlington, en Ontario, et Rigid Global Buildings, de Houston, au Texas, conçoivent et érigent, chaque année, un nombre important de structures en profilé de poutres et ossature d’acier (Pièce D-9, à la p 10).

[71]  M. Egli rappelle, lui aussi, que les membrures de type Gerber ne datent pas d’hier, précisant qu’elles constituent une composante importante du pont Firth of Forth à Édimbourg, en Écosse, construit en 1882. Bien que la membrure de type Gerber soit surtout utilisée comme poutre principale dans un système de profilé de poutres et ossature d’acier, il n’est pas inhabituel, précise-t-il, qu’elle le soit aussi comme poutre secondaire comme c’est le cas, par exemple, pour la construction de planchers (Pièce D-9, aux pp 13-14). Pour ce qui est des poutres d’un tel système (« beams »), il indique qu’elles peuvent prendre la forme, comme c’est le cas ici, de fermes prismatiques, particulièrement lors qu’elles doivent couvrir une distance supérieure à 60 pieds. Il donne, lui aussi, comme exemples de l’utilisation de ce type de fermes dans un système de profilé de poutres et ossature d’acier, les aéroports de Hambourg et Calgary (Pièce D-9, aux pp 15-16). Quant aux colonnes, il n’y voit qu’une dimension utilitaire et précise qu’une ferme prismatique sera normalement supportée non pas par une, mais deux colonnes (Pièce D-9, à la p 17).

[72]  L’expert de CSBF et Constructions Gagné en conclut que le choix de fermes maîtresses prismatiques et de membrures secondaires de types Gerber pour les structures des Complexes Antony Carolla et Artopex, tout comme le choix de combiner ces deux éléments (« combining prismatic trusses as beams with a Gerber system as purlins »), ne requiert aucun talent, jugement ou effort intellectuel (« skill, judgment or intellectual effort »). Il fait le même constat en lien avec le choix de colonnes pour supporter les fermes prismatiques et la combinaison de ces trois éléments (« combining W-section columns with prismatic trusses and a Gerber system ») (Pièce D-9, aux pp 15 à 17).

[73]  Dans son rapport et son témoignage, M. Siegel, pour le compte de Lainco, reconnaît que considérés individuellement, les différents éléments du Concept Lainco ne sont pas nouveaux. Toutefois, il souligne que ce qui fait l’originalité du Concept Lainco, c’est la « combinaison et l’assemblage de ces éléments pour former l’ensemble de la structure […] pour un complexe sportif répondant aux besoins des usagers (notamment en ce qui a trait au dégagement requis pour le soccer) en plus d’être économique et, de notre avis, visuellement intéressant » (Pièce P-3, au para 66). M. Siegel poursuit :

67.  À notre avis, un des principes architecturaux du Concept Lainco est de proposer une structure apparente depuis l’intérieur. La présence de la structure est non-équivoque dans les complexes sportifs analysés. Les concepteurs ont fait le choix, selon nous, de développer les espaces intérieurs afin de percevoir les éléments de structure. Ces éléments contribuent à créer une ambiance des espaces qui soit distinctive.

[74]  Voici ce que le témoignage de M. Lachapelle révèle de la genèse et du développement du Concept Lainco.

[75]  Ce Concept est né, pour ainsi dire, de la perte d’un contrat, alors que Lainco soumissionne sans succès pour l’érection de la structure de l’aire de jeu (ou, dans le jargon de l’industrie, la partie « arrière » du bâtiment) d’un complexe sportif à Saint-Eustache, près de Montréal (Transcriptions, vol 1, à la p 57). Nous sommes en 2005. À l’époque, les structures pour complexes sportifs les plus courantes, du moins au Québec, sont (i) la structure conventionnelle de poutrelles ajourées de type « Canam » [Canam], (ii) la structure monocoque de type « Honco » [Honco], (iii) la structure arquée de type « Steelway » [Steelway], et (iv) la structure Nordique, faite de bois [Nordique] (Transcriptions, vol 1, aux pp 79, 84, 83 et 86). Lainco propose alors une structure de type Canam mais le client préfère une structure de type Steelway (Transcriptions, vol 1, à la p 57).

[76]  Des photos produites au procès (Pièces TX-35 à 38) rendent compte de l’aspect intérieur de ces quatre structures concurrentes :

Structure conventionnelle de poutrelles ajourées de type « CANAM »

(Centre de Soccer de Terrebonne – TX-35)

Structure monocoque de type « HONCO »

(Centre Multisport de Rosemère – TX-36)

Structure en bois

(Complexe Multisport de Laval – TX-37)

Structure arquée de type « STEELWAY »

(Complexe Multisport St-Eustache – TX-38)

[77]  Déterminé à ne plus jamais perdre ce genre de contrats, M. Lachapelle commence alors à travailler à trouver une solution qui permettrait « d’arriver avec quelque chose qui va donner un beau look à l’intérieur, que tu vas être capable de rentrer dans le centre sportif et puis avoir l’impression qu’il n’y a rien, que c’est très ouvert en haut » (Transcriptions, vol 1, à la p 58). Il cherche ainsi à concurrencer non seulement Steelway, mais « tout le monde, y compris la structure de bois » (Transcriptions, vol 1, aux pp 58 et 60).

[78]  Il rend compte ainsi du travail effectué pour en arriver à développer le Concept Lainco :

M. LACHAPELLE :

  Donc, l’idée c’était d’arriver avec un concept que j’allais … c’est beau le look intérieur, mais en plus, il faut s’assurer d’avoir le coût, parce que t’as beau faire quelque chose de super beau, mais si ça coûte 20 pourcent, 30 pourcent plus cher, tu l’auras pas plus.

  Donc ce que j’ai fait à ce moment-là, étant donné qu’on fait tout au niveau conceptuel, au niveau installation, au niveau fabrication, ben, ça me permettrait comme ingénieur d’avoir en plus mon frère qui était avec moi, qu’au fur et à mesure que j’essayais différentes options, on évaluait à chaque fois l’option que j’arrivais […]. Je vais vous dire l’évolution que j’ai faite.

Me GUAY : M’hm

M. LACHAPELLE :

  À peu près, pis je vais vous montrer que, au fur et à mesure que je faisais mes essais pour donner les choses qui étaient belles, mais quand on venait pour « coster », qu’on venait pour vérifier l’exécution, on se retrouvait trop cher. Parce que faut comprendre qu’à St-Eustache je connaissais un peu le coût que ça valait en arrière parce que j’avais proposé une solution Canam pis mon client m’avait dit que c’était à peu près le même coût que Steeway, mais que même à prix égal, il me l’aurait pas donné.

  Donc, je suis parti de cette enveloppe budgétaire là, pis j’avais fait un trois terrains comme ça, pis là la première chose que j’ai essayé de faire c’est j’ai dit j’vais mettre des fermes, parce qu’au niveau traditionnel ce qu’on voit souvent là c’est des fermes principales avec poutrelles, ce qui agit comme un élément secondaire, qui sont perpendiculaires aux fermes principales et qui feraient la largeur du terrain.

  Donc, j’ai parti avec ça. J’ai commencé par ça. Là, j’en mettais à tous les 30-40 pieds pis je mettais des poutrelles dans l’autre sens, pis là quand on faisait l’évaluation, on se rendait compte que les fermes principales, une, i étaient très dispendieuses à cause de la hauteur pis les charges que j’amenais dessus […]. Pis en plus la chose qu’on se rendait compte c’est que dans l’installation, ça s’installait mal parce que quand vous installez une ferme maîtresse qui est de même avec des poutrelles dans l’autre sens, ça prend des entremises comme ça de chaque côté pour la stabilité pour la membrure inférieures […]

  Donc, j’avais commencé par ça pis ça fonctionnait pas. Là finalement ce que j’ai fait c’est que j’ai commencé à les rapprocher. J’ai fait différentes options, pis quand j’suis arrivé un moment donné en option où ce que j’avais des fermes à toutes les 20 pieds, 25 pieds. Ça avait plus de sens-là. Ca faisait comme plein à l’Intérieur pis ça l’aidait pas.

  Là c’est là qu’un moment donné i nous est venu l’idée, j’sais pas trop comment, on a dit on va les rapprocher, qui paraissait un peu ridicule parce que c’est comme t’en mettrais deux à chaque fois, mais le fait qu’on les rapprochait faisait en sorte on les mettait regroupés ensemble. I stabilisaient par eux-mêmes. Donc au niveau érection, on pouvait les monter au sol parce que comme je vous dis, tout ce que j’ai fait au niveau d’ingénierie pis au niveau calcul, ben je le faisais valider par Martin qui regardait au niveau installation pis fabrication.

  Pis on s’était rendu compte que ces grosses fermes-là, même si i étaient dispendieuses à la construction, pour l’installation, on pouvait se rattraper à ce niveau-là pis arriver dans les coûts. Pis en les rapprochant, i stabilisaient par eux-mêmes. Pis au début, en les mettant droites de même, j’étais obligé de rajouter des « X » au centre, pis ça ça rajoutait du temps pis on trouvant que c’était pas beau parce que ça faisait comme des --- parce que tout ça je le modélisais aussi sur mon logiciel qu’on va présenter tantôt, SAFI, pour vérifier les calculs. Pis une fois que je l’avais en 3D, on est capable de voir un peu qu’est-ce que ça va avoir d’l’air une fois ---

[…]

  --- installé, c’est ça. Donc on se rendait compte que ça avait pas de sens pis là, c’est moi ou Martin, on est venu à l’idée, on a dit on va les pencher de même pis i vont stabiliser par eux-mêmes. Pis quand j’ai fait mes calculs, ça marchait bien. J’étais plus obligé de rajouter des « X » au centre.

  Pis là au début, on les avait rapprochés de même, pis on mettait des poutrelles. On mettait des poutrelles partout parce que fondamentalement, o.k., la poutrelle c’est moins cher que la poutre. Les ingénieurs vont toujours aller vers la poutrelle. C’est pour ça que vous avez des poutrelles partout dans les entrepôts. Ç’a pas de sens de mettre des poutres.

[…]

  Mais le premier concept qu’on avait fait, on avait mis des poutrelles de même. Là vu que les poutres étaient rapprochées, les fermes principales étaient rapprochées, on essayait de mettre des poutrelles en haut pis là on disait que ça pas de sens. La portée est trop petite, pis ça s’installait mal, pis la poutrelle tu peux pas avoir des charges de compression dedans traction. Donc on disait durant l’installation, on va tout briser.

  Donc quand on est venu à ça, on a dit on va mettre des poutres. On a mis des poutres secondaires qui est les poutres en acier qui est le type « I » qui en compression traction travaillaient super.[…]

  On mettait des poutrelles au centre parce qu’on avait des portées de --- au centre on avait des petites portées, pis les autres grandes portées on avait des portées de 40 pieds. Donc on faisait selon la logique qu’on nous dit de faire. C’est d’avoir des poutrelles parce que c’est moins dispendieux.

  Mais là quand on regardait le concept, y avait deux choses qu’on avait pas de ça. Premièrement, l’effet de perdre – parce que tantôt on va expliquer les – on parle de trois ou quatre éléments. Dans le fond, c’est trois. La quatrième, c’est une coïncidence. Je les mets toujours aux mêmes endroits. C’est une coïncidence.

JUGE LEBLANC : Laquelle?

M. LACHAPELLE : C’est le « X ».

JUGE LEBLANC : Les croix Saint-André?

M. LACHAPELLE : C’est ça, c’est ça. Les trois c’est la ferme. Les poutres secondaires, pis les colonnes.

  Les poutres secondaires, quand j’y allais avec des poutrelles, les poutrelles ça faisait en sorte que quand on regardait, ça faisait pas un beau « look » parce que ça faisait comme si t’avais un gros toit. Pis en plus, quand vous mettez des poutrelles, on est obligé de mettre des entretoises partout. Donc ça commence à densifier un petit peu le toit, pis le désavantage – au niveau – au niveau monétaire, ben c’est – c’était presque le même prix.

  Mais son a eu l’idée à ce moment là, vu que je mettais déjà des poutres sur le dessus, j’ai dit je vais essayer des poutres – je vais essayer des poutres Gerber. Les poutres Gerber, dans le marché, l’ingénieur l’utilise principalement comme poutre principale parce que la fonctionnalité […]

  C’est surtout pour des entrepôts. Si vous allez voir des Costco-là, vous allez regarder au plafond. Vous allez voir les poutres Gerber, pis vous allez voir les poutres – les poutres secondaires ça se trouve à être des poutrelles. C’est ça qui est le plus économique. C’est ce que l’ingénieur va être tendance à faire.

  Mais là, dans le cas présent, ça avait un certain sens de mettre des poutres secondaires Gerber parce qu’on disait faillait déjà en mettre sur le dessus. Là ce qu’on a fait c’est que je les ai tirées, j’ai fait des poutres Gerber. J’ai tout changé les poutrelles pour mettre des poutres Gerber, pis là on regardait le « look ». Ben là, ça donnait – ça rapprochait plus de qu’est-ce qu’on voulait.

  Là on se retrouvait que quand tu regardais le toit-là, t’avais comme l’impression un peu comme y a dit en introduction quand c’est peinturé, tu les perçois presque plus. I sont comme fondues dans le mur, pis la seule chose que tu vois c’est les grosses fermes qui sont à tous les 40 pieds. T’as comme l’impression que les grosses fermes supportent le toi qui est plat.

[…]

  […] Donc normalement par défaut une poutre est plus dispendieuse qu’une poutrelle, mais dans le cas présent, on arrivait à rentrer dans les mêmes coûts, pis on donnait quelque chose de plus beau.

  Donc on a opté directement pour les poutres Gerber, pis – ben c’est ça.

(Transcriptions, vol 1, aux pp 60 à 67)

[79]  M. Lachapelle précise que pour des fins d’esthétique architecturale, l’objectif est d’installer des fermes maîtresses de même hauteur, quelles que soient les charges en cause. Il précise aussi que suite à la réalisation de la structure du Complexe Antony-Carola, Lainco a décidé de limiter le nombre de fermes maîtresses à deux par terrain (Transcriptions, vol 1, aux pp 75 à 77).

[80]  À propos des colonnes, M. Lachapelle indique avoir considéré l’option de ne mettre qu’une seule colonne en support aux fermes maîtresses de manière à contrôler les coûts puisque « plus que t’as d’acier, plus que ça fait de l’érection, plus que ça fait augmenter les coûts » (Transcriptions, vol 1, à la p 75). Il explique ainsi la décision de procéder néanmoins avec deux colonnes :

  […] Donc c’était pas forcément logique de mettre deux colonnes à six pieds l’une de l’autre.

  Sauf que dans le présent cas, on trouvait que ça faisait un bien meilleur « look ». Puis par la suite, même nos clients mettent des fenêtres là-dedans. Donc on a décidé de faire des doubles colonnes. Et puis les doubles colonnes, pour diminuer les coûts d’installation, ce qu’on a fait c’est qu’on les fabrique et puis on les monte en usine, puis sachant que deux colonnes à six pieds, t’es capable de le mettre dans un transport normal.

[81]  M. Lachapelle dit avoir travaillé sur ce projet les fins de semaine et les soirs de semaine de même que durant les heures régulières de travail, avec son frère Martin, coactionnaire et coadministrateur de l’entreprise. Il précise :

  […]. C’était vraiment un marché qu’on voulait aller chercher. Donc a mis beaucoup d’énergie là-dedans. J’ai passé de nombreuses heures, nombreuses modélisations. Tous les scénarios, toutes les options que je vous ai parlé, ben forcément fallait que je le design à chaque fois.

  Donc à chaque fois je faisais une modélisation, à chaque fois je donnais ça à Martin. Martin faisait un estimé. […]

  Donc je vous dirais qu’on a fait ça en tout cas jusqu’en 2006 que mon -- mon concept était pas mal arrêté parce qu’à ce moment-là c’est là que j’ai quelqu’un qui m’a appelé pour me demander si je pouvais faire un Soccerplex.

(Transcriptions, vol 1, à la p 68.)

[82]  Ce premier projet de Soccerplex est reporté. Le Concept Lainco sera retenu pour la première fois pour le projet du Complexe Antony-Carola, un stade de soccer intérieur à trois terrains, construit en 2009. M. Lachapelle raconte que pour l’obtention de ce contrat de structure, le Concept Lainco doit faire la lutte aux quatre « joueurs » habituels, Canam, Honco, Steelway et Nordique (Transcriptions, vol 1, aux pp 82-83). Lainco obtient le contrat sans être le plus bas soumissionnaire. Il estime que c’est la perspective intérieure du Concept Lainco, que réalise un graphiste aux fins de l’appel d’offres, qui fait la différence (Transcriptions, vol 1, à la p 87).

[83]  Tout cela suffit-il pour faire du Concept Lainco une œuvre architecturale originale au sens de l’article 5 de la Loi? J’estime que oui.

[84]  D’une part, le recours à des éléments déjà connus et sur lesquels l’auteur de l’œuvre ne détient pas de droit d’auteur, ne constitue pas une fin de non-recevoir à l’originalité de l’œuvre. Par exemple, une œuvre découlant de la compilation d'éléments produits ou conçus par d’autres peut être protégée par le droit d’auteur pourvu que l’arrangement produit par l’auteur résulte de l’exercice de son talent et de son jugement. En d’autres termes, nous dit la Cour suprême, on peut détenir un droit d’auteur « sur la forme que prend la compilation » puisque ce qui est visé par le droit d’auteur, ce ne sont pas les divers éléments à partir desquels la compilation est faite, mais bien « leur agencement global qui est le fruit du travail [de l’auteur] » (CCH, au para 33 ; voir aussi : Robinson c Films Cinar inc., 2009 QCCS 3793 [Cinar CSQ], au para 410, citant Production Avanti Ciné Video inc. c Favreau, [1999] RJQ 1939 (CA), aux pp 8-13).

[85]  Ce même principe a été repris dans l’affaire Construction Desjardins où la Cour d’appel du Québec a réitéré que « l’œuvre résultant du seul arrangement d’éléments sur lesquels l’auteur de la compilation ne possède pas de droits d’auteur peut néanmoins, en elle-même, faire l’objet d’un droit d’auteur » (Construction Desjardins, au para 10). Cette affaire est encore plus près de la réalité du présent dossier puisqu’elle porte sur la contrefaçon de plans d’architecte conçus pour une résidence unifamiliale.

[86]  Ce qu’il faut retenir de cet arrêt, pour le moment, c’est qu’une œuvre architecturale, et les plans qui y sont associés, peuvent passer le test de l’originalité même si, comme le prétendent les défenderesses en la présente instance, « les éléments retenus et agencés n’ont par hypothèse pas de valeur artistique particulière, sont banals ou donnent un résultat qu’on pourrait juger sans grande valeur esthétique ou conforme simplement au goût du jour » (Construction Desjardins, au para 17). La Cour d’appel, citant la juge en chef McLachlin dans CCH, rappelle à cet égard que l’originalité, aux termes de la Loi, ne requiert aucun « degré minimal de créativité » ou encore la présence de qualités artistiques particulières. Il suffit que l’œuvre résulte du talent et du jugement de son auteur (Construction Desjardins, au para 17).

[87]  Ici, Lainco ne prétend évidemment pas détenir de droits d’auteur sur les fermes maitresses prismatiques, les poutres de type Gerber ou les colonnes d’acier, des éléments qui, comme elle et son expert l’ont reconnu, n’ont rien de nouveau dans l’univers de l’ingénierie et de l’architecture. Ce qu’elle revendique c’est que lui soit reconnu des droits d’auteur dans l’arrangement, c’est-à-dire le choix et l’agencement, qu’elle en a fait et qui s’est matérialisé dans ce qui est devenu le Concept Lainco. Elle estime à cet égard avoir fait la preuve que cet arrangement est le fruit du talent et du jugement de ses deux actionnaires et dirigeants, les frères Lachapelle.

[88]  Ceci m’amène à mon deuxième point, celui de l’effort intellectuel derrière le Concept Lainco. S’agit-il d’un effort purement mécanique ou d’un effort nécessitant talent et jugement? Sur ce point, je ne saurais souscrire au point de vue de M. Egli qui, comme on l’a vu, ne voit dans le choix et l’agencement de fermes prismatiques, de poutres de type Gerber et de colonnes, l’exercice d’aucun talent, jugement ou effort intellectuel particulier. Je ne saurais le faire pour un certain nombre de raisons.

[89]  D’abord, ce point de vue me semble ne pas tenir d’un facteur important, et pertinent, celui de l’esthétisme que peut dégager une structure d’acier, lorsqu’elle est apparente. Il se dégage en effet du rapport et du témoignage de M. Egli une impression que l’ingénierie et l’architecture forment deux univers évoluant en parallèle et ne se rejoignant jamais. À ce sujet, l’observation suivante que l’on retrouve dans le rapport produit par M. Siegel en réplique à ceux de MM. Egli et Kadanoff (Pièce P-4), me paraît juste :

  1. Pour les fins de la préparation de notre Premier Rapport dans le cadre de ce litige en violation de droits d’auteur sur des œuvres architecturales, nous avons compris que le mandat qui nous était confié par Smart & Biggar était d’analyser la présence de similitudes architecturales et esthétiques entre les plans de structure et la structure d’acier du Complexe Victoriaville et les différentes œuvres conçues par Lainco (stade Antony-Carola, hangar Air Inuit, Complexe Artopex et Académie Lafontaine).

  2. En ce sens, les rapports de M. Thomas Egli et de M. Norman Kadanoff ne semblent pas directement répondre à notre Premier Rapport en ne s’intéressant pas véritablement aux similitudes architecturales et esthétiques des projets en cause, mais plutôt aux aspects techniques des structures (ex. : calculs d’ingénierie) et à l’originalité (dans le sens de la nouveauté) des principaux éléments du « Concept Lainco » (tel que défini dans notre Premier Rapport).

[90]  Lorsque questionné par le procureur de Lainco, M. Kadanoff, l’expert de Pluritec, a pour sa part reconnu, sans ambages, après avoir identifié un certain nombre de projets pour lesquels la firme qui l’emploie (SDK) s’est vu attribuer des prix et distinctions, notamment par l’ICCA, qu’ingénierie et esthétisme ne sont pas antinomiques, loin de là :

[Traduction]

  M. GUAY:

  Je dis donc cela à la blague, non pas dans le but de vous offenser, mais malgré le fait que vous êtes un ingénieur, vous vous intéressez tout de même à l’esthétique, n’est-ce pas?

  M. KADANOFF: Toujours.

(Transcriptions, vol 5, à la p 113)

[91]  D’ailleurs, il s’agit de voir les photos de certains de ces projets produites en preuve (Pièce P-12) pour s’en convaincre. Dans tous les cas, il s’agit de structures apparentes au design distinctif. Je reproduis ici les photos : (i) de l’Escalier monumental du Pavillon des sciences et technologies de la santé du Collège John Abbott, (ii) du Pont de la rue Notre-Dame/Faubourg Québec; et, (iii) de l’intérieur du Centre CPD, tous situés à Montréal :

i.  Escalier monumental du Pavillon des sciences et technologies de la santé du Collège John Abbott

ii.  Pont de la rue Notre-Dame/Faubourg Québec

iii.  Intérieur du centre CDP

 

[92]  L’ICCA, je le rappelle, est ce même organisme qui a attribué à Lainco son Prix d’excellence, catégorie Projets Commerciaux-Institutionnels, pour la réalisation de la structure du Complexe Artopex (Pièce TX-23). Ce prix, pour cette catégorie de projets, reconnaît, notamment, « l’expression architecturale de l’œuvre et/ou les défis techniques surmontés » (Pièce TX-22). D’ailleurs, il est intéressant de noter que dans un article paru le 15 mai 2013 dans le quotidien La Nouvelle Union, de Victoriaville, pendant les travaux d’érection de la structure du Complexe Victoriaville (« Un spectaculaire chantier pour Acier Solider au Complexe multisport », Pièce TX-122), des représentants de Acier Solider, le sous-traitant ayant obtenu le contrat d’érection de la structure et de Canam, le fournisseur des fermes maîtresses, notamment, y sont cités : le premier parle de « l’envergure et du gigantisme de ces structures autoportantes et du défi d’ingénierie que leur conception a nécessité », le second « de la « beauté » de ces structures d’acier ».

[93]  On a bien tenté de diminuer la valeur de ce prix d’excellence en faisant admettre à M. Lachapelle que Lainco avait contribué financièrement à la soirée de remise des prix. Toutefois, je note que Lainco était une parmi plusieurs sociétés et entreprises, une vingtaine en fait, à apporter une contribution financière à l’événement (Pièce TX-24). Cela, à mon avis, n’affecte en rien la valeur et la signification de ce prix.

[94]  Au procès, le procureur de Lainco a précisé, et c’est important de le souligner à ce stade-ci, que si la structure liée au Concept Lainco n’était pas apparente, le présent litige n’aurait probablement pas eu lieu. C’est son effet sur l’esthétisme et l’apparence intérieure de l’édifice dont il est une composante qui, a-t-il ajouté, lui procure un caractère distinctif et son originalité.

[95]  Résultat du choix et de l’amalgame d’éléments structuraux déjà bien connus, le Concept Lainco n’est pas à proprement parler une prouesse d’ingénierie. En ce sens, M. Egli n’a pas tort. Toutefois, comme on l’a vu, il n’a pas à l’être. Sans dire que le Concept Lainco en est une, il est utile de rappeler que les tribunaux ont reconnu le statut d’œuvre originale à des œuvres relativement simples comme des résumés jurisprudentiels (CCH, aux paras 29-36), un formulaire d’impôt conçu pour la formation d’employés (U&R Tax Services Ltd. c H&R Block Canada Inc., (1995) 62 CPR (3d) 257, à la p 265 (CF)), un guide d’achat d’automobiles faisant état du marché des ventes privées et des ventes au détail (Édutile Inc. c Automible Protection Assn. (APA) (2000), 6 CPR (4th) 211 à la p 220 (CAF)) de même qu’un annuaire téléphonique et un dictionnaire (John S McKeon, Fox on Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 4e édition, Thomson Carswell, Édition à feuilles mobiles, à la p 7-15 [Fox])

[96]  La preuve révèle ici que c’est d’abord et avant tout pour se démarquer de la compétition et se créer une niche dans un marché compétitif, avec comme premier objectif d’offrir un « look » distinctif qui répondrait bien évidemment aux critères de sécurité, de performance et de durabilité propres à l’ingénierie de structure, tel qu’énoncés par M. Kadanoff dans son rapport (Pièce D-7, à la p 4), que le Concept Lainco a été développé. Il faillait y penser. Cet objectif, à mon avis, ne pouvait se réaliser que par l’exercice du talent et du jugement des concepteurs, et non par une application purement mécanique de leurs connaissances et expérience.

[97]  Encore une fois, la preuve révèle, comme nous l’avons vu, que le Concept Lainco s’est développé à coup de modélisations et d’essais-erreurs de différents choix d’éléments et d’agencements, y compris leur espacement, leur dimensionnement, leur nombre et la résultante esthétique d’ensemble. Il y a bien sûr la question des coûts, qui est omniprésente, comme le lui reprochent les défenderesses. Toutefois, dans la mesure où Lainco était déterminée à conquérir le marché, pour ainsi dire, ou à tout le moins s’y positionner avantageusement, il lui fallait bien trouver un juste équilibre entre la structure envisagée, c’est-à-dire celle offrant la perspective de dégagement et l’esthétisme souhaités, et ce qu’il en coûterait pour la fabriquer et l’installer. Cela, à mon avis, ajoutait au défi.

[98]  D’ailleurs, Lainco a pu en arriver à créer une structure présentant une facture esthétique distinctive qui la démarque de ses principaux concurrents à l’époque. Ces photos le démontrent éloquemment :

Complexe Antony-Carola

Complexe Artopex

Structure conventionnelle de poutrelles ajourées de type « CANAM »

(Centre de Soccer de Terrebonne – TX-35)

Structure monocoque de type « HONCO »

(Centre Multisport de Rosemère – TX-36)

Structure en bois

(Complexe Multisport de Laval – TX-37)

Structure arquée de type « STEELWAY »

(Complexe Multisport St-Eustache – TX-38)

[99]  Les photos de complexes sportifs construits ici au Canada et aux États-Unis produites lors du contre-interrogatoire de M. Egli, et dont la structure a été réalisée par les entreprises Butler Buildings Canada ou Rigid Global Buildings, lesquelles, aux dires de M. Egli, conçoivent et érigent, chaque année, un nombre important de structures en profilé de poutres et ossature d’acier, montrent que ces diverses structures diffèrent toutes de façon appréciable, sur le plan du coup d’œil, de la structure du Concept Lainco. Ces photos (Pièce P-14, onglets 2 et 3) sont reproduites en annexe du présent jugement.

[100]  Je note enfin le réflexe initial de Pluritec lorsque Lainco s’est manifestée pour la première fois dans ce dossier au moment où l’appel d’offres pour l’octroi du contrat de construction du Complexe Victoriaville était en cours. Invitée par la CSBF à commenter l’avis du 14 février 2013 transmis par Lainco aux entreprises ayant soumissionné sur le projet, Pluritec, par le biais de M. Viens, a alors insisté que le concept utilisé pour la structure du Complexe Victoriaville dans le cadre du mandat que lui avait été confié était « un concept tout à fait original » résultant de « recherches », « analyses », « modélisations informatiques », « calculs » et « dessins » (Pièce TX-175). Le Complexe Victoriaville étant, selon M. Egli, doté, tout comme le Complexe Artopex et, avant lui, le Complexe Antony-Carola, d’une structure en profilé de poutres et ossature d’acier (« steel beam-and-purlin system »), j’ai de la difficulté à réconcilier cette idée que la réalisation de telles structures, étant chose courante, ne requiert ni talent, ni jugement, ni effort intellectuel particulier, avec ce que Pluritec prétendait à l’époque, et prétend toujours aujourd’hui d’ailleurs, sur l’effort consenti au développement de la structure du Complexe Victoriaville.

[101]  Pour paraphraser la Cour d’appel du Québec dans Construction Desjardins, si l'agencement des arrêts dans un recueil (compilation) passe le test de l'originalité aux fins de la Loi, on voit mal comment ce pourrait ne pas être le cas du Concept Lainco, tant dans sa version « plan » que dans sa version «bâtie » (Construction Desjardins, au para 17). À mon avis, et paraphrasant toujours la Cour d’appel du Québec, on peut dire tout autant du Concept Lainco qu’il est le fruit du travail personnel de son concepteur en ce sens qu’il agence divers éléments architecturaux et structuraux (volume, agencements, espacement, dimensionnement) repérés et assemblés grâce au talent et au jugement du concepteur (Construction Desjardins, au para 16).

[102]  Le passage suivant de l’arrêt Construction Desjardins illustre parfaitement bien, selon moi, la nature de l’apport intellectuel sous-tendant le Concept Lainco :

[16]  […] L’apport intellectuel à cette production n’est pas purement mécanique, au contraire : un choix a été fait, le concepteur a évalué et soupesé les différents éléments pouvant potentiellement être intégrés à ses plans, il les a amalgamés dans une perspective qui se veut esthétique et il y a en tout cela la manifestation à la fois d’une habilité et d’un discernement ».

[103]  Les défenderesses ont beaucoup insisté sur l’arrêt Bétaplex Inc. c B&A Construction ltée, 2006 QCCA 886 [Bétaplex], un jugement de la Cour d’appel du Québec sur lequel s’était appuyé le juge de première instance dans Desjardins Construction pour conclure à l’absence d’originalité des plans en cause dans cette affaire au motif qu’ils ne comportaient pas d’éléments novateurs ou particuliers, c’est-à-dire exclusifs, uniques ou distinctifs. Étaient aussi en cause, dans Bétaplex, les plans d’un modèle de maison unifamiliale.

[104]  Sans répudier sa décision antérieure dans Bétaplex, la Cour d’appel, dans Desjardins Construction, s’est permis de la distinguer de la façon suivante :

[26]  L'arrêt Betaplex inc. ne se propose pas d'ajouter aux critères dégagés par la Cour suprême en matière d'originalité. Si l'œuvre émane bien de son auteur en ce qu'elle n'a pas elle-même été copiée et si elle résulte de son talent et de son jugement, nul besoin de faire de surcroît la démonstration du caractère novateur, particulier ou caractéristique de l'œuvre. Or, dans Betaplex inc., le plan d'agencement des pièces dont il était question ne répondait justement pas aux critères du talent et du jugement, s'agissant d'une œuvre qui résultait en réalité d’un travail d’aménagement plutôt mécanique, n’ayant pas requis d’apport intellectuel particulier.

[27]  C'est en ce sens que les paragraphes 61 et 62 de l'arrêt doivent être entendus :

[61]  Si l'intimée avait raison, aucun de ses compétiteurs, même de bonne foi, ne pourrait durant des décennies disposer trois chambres à coucher et une salle de bain d'une façon semblable à celle qui fut faite par l'intimée. À supposer que les appelants aient voulu faire une disposition des chambres à coucher, de la salle de bain, des penderies et de la lingerie d'une façon différente de celle de la maison modèle de l'intimée, n'auraient-ils pas « plagié » le plan d'un autre constructeur quelque part? Bref, je ne vois dans les plans de la maison modèle aucune caractéristique inconnue des constructeurs ou qui relevait d'un travail créateur.

[62]  L'élaboration du modèle de l'intimée a également été déterminée par les règles d'un cahier de charges, les contraintes budgétaires, les tendances à la mode et les cadres physiques et réglementaires applicables. Dans ce contexte, la conception de plans architecturaux relève davantage d'un exercice de conciliation entre différentes contraintes que d'un travail créateur ou de l'exercice du talent de l'architecte.

[28]  Il faut lire ces passages à la lumière de l'arrêt CCH que la Cour cite par ailleurs abondamment. En ce sens, la mention du « travail créateur » ne peut que renvoyer non pas à l'idée de créativité et de nouveauté écartée expressément par la Cour suprême dans l'affaire CCH, mais plutôt au fait que l'agencement des pièces en cause dans cet arrêt ne requérait aucun talent particulier, c'est-à-dire connaissances personnelles, aptitudes acquises ou compétences issues de l’expérience (le savoir-faire, en somme), et n'avait aucunement sollicité « la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre », pour reprendre les termes de la juge en chef McLachlin.

[105]  L’affaire Bétaplex se distingue donc sur les faits. Comme la Cour d’appel l’a souligné, le plan d'agencement des pièces dont il était question dans cette affaire résultait d'un travail d'aménagement plutôt mécanique n'ayant requis aucun apport intellectuel particulier. Comme on vient de le voir, ce n’est pas le cas en l’espèce, tel que l’ensemble de la preuve, selon moi, le démontre.

[106]  La position des défenderesses rappelle un peu celle mise de l’avant dans l’affaire Netupsky où la défenderesse dans cette affaire, Dominion Bridge, prétendait que les plans de la structure de ce stade à double vocation (football et aréna de hockey) n’avaient qu’une vocation purement technique et étaient dépourvus de tout aspect artistique. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique en a conclu autrement :

[Traduction]

Au nom de l’intimée, on a soutenu que les plans ne constituaient pas l’objet du droit d’auteur, car ils n’étaient effectivement ni des dessins ni des plans au sens de ces termes tels qu’ils sont utilisés dans les définitions de « œuvre artistique » et « œuvre littéraire », mais qu’ils étaient analogues à des outils utilisés dans la construction, c’est-à-dire des outils de papier ou sur papier, et qu’ils n’avaient aucune fonction artistique. En résumé, on a fait valoir que les plans étaient d’une nature technique dont la finalité et l’utilisation étaient simplement des indices schématiques des processus et des méthodes de construction. […]

Subsidiairement, on a laissé entendre que, s’il existe un droit d’auteur quelconque associé aux plans, celui-ci doit être limité aux éléments qui présentent un caractère artistique.

Je ne peux pas accepter ces arguments. À mon avis, il est manifeste que les plans de conception structurelle des ingénieurs relèvent d’une nature architecturale et conceptuelle, et qu’ils couvrent le même domaine et qu’ils ont les mêmes finalités que s’ils avaient été élaborés et préparés par un architecte. De toute évidence, les ingénieurs structurels sont des spécialistes en architecture, dans la mesure où leur travail porte sur la conception et la construction, à la fois de manière générale et détaillée ; par conséquent, leur travail doit être traité comme l’équivalent de plans d’architecte.

(Netupsky, à la p 214)

[107]  Ce jugement a été renversé par la Cour suprême du Canada mais sur un autre point, Dominion Bridge ne contestant plus la qualification des plans en tant qu’œuvre d’art architecturale (Netupsky et al c Dominion Bridge Co. Ltd., [1972] SCR 368). Netupsky a été rendu, il est vrai, sous le régime de l’ancienne définition d’œuvre architecturale mais comme on l’a vu, cette définition était plus exigeante que la définition actuelle dans la mesure où l’œuvre devait présenter un caractère ou un aspect artistique et où la protection offerte par la Loi se limitait à cet aspect ou caractère. Ce n’est plus le cas maintenant.

[108]  La position des défenderesses rappelle aussi celle prise par les appelants dans Cinar CSC. On y plaidait que l’œuvre du demandeur, M. Robinson, n’était que la reproduction d’éléments génériques d’une histoire reprise depuis des siècles, soit celle d’un homme abandonné sur une île qui interagit avec les animaux, les habitants et l’environnement de ce lieu (Cinar CSC, au para 44). La Cour suprême a rejeté cet argument, jugeant que cette ouvre n’était pas seulement la reproduction d’éléments génériques dont tous peuvent par ailleurs s’inspirer mais également la reproduction de la combinaison particulière et distincte de ces éléments, laquelle représente une partie importante du talent et du jugement de l’auteur (Cinar CSC, au para 46).

[109]  Sans évidemment prétendre que le Concept Lainco présente la même profondeur créatrice que celle de M. Robinson, une œuvre littéraire donnant vie à des personnages, un lieu et une histoire, il est permis de dire, je pense, que ce Concept est non seulement la reproduction d’éléments génériques connus, mais également la reproduction de la combinaison particulière de ces éléments, laquelle donne à l’ensemble ainsi créé une facture esthétique distinctive.

[110]  Finalement, les défenderesses ont également beaucoup insisté sur le fait que le Concept Lainco n’a rien d’innovateur, et donc d’original, puisqu’on le retrouvait déjà dans la structure de deux bâtiments existants au moment où il a été développé, les aérogares de Hambourg et de Calgary. En d’autres termes, le Concept Lainco serait la copie d’œuvres préexistantes.

[111]  Je ne peux retenir cet argument. D’une part, comme on l’a vu, l’originalité envisagée par la Loi « ne vise ni n’exige aucunement du nouveau, de l’inédit, de l’unique ou de l’inventif » (Construction Desjardins, au para 6; CCH, aux paras 16 et 25). D’autre part, la question n’est pas de savoir si les structures que l’on retrouve aux aérogares de Hambourg et de Calgary existaient avant le développement des plans du Concept Lainco. Elle est plutôt de savoir si Lainco a copié l’une ou l’autre de ces structures puisque, comme on l’a vu également, une œuvre peut ne pas être originale parce qu’elle n’émane pas de son auteur, c’est-à-dire parce qu’elle a été copiée d’une autre œuvre (CCH, au para 25).

[112]  Or, pour qu’il y ait contrefaçon, encore faut-il que cette autre œuvre ait été copiée de facto. En d’autres termes, si le présumé contrefacteur est arrivé au même résultat par l’exercice de son propre talent et de son propre jugement, ce que plaide Pluritec en l’instance, il n’y a ni contrefaçon, ni contravention à la Loi (Desjardins Construction, au para 29). Traitant de ce qui distingue la nature du droit d’auteur de celle des droits conférés au titulaire d’un brevet, Fox précise à ce sujet :

[Traduction]

Le droit de produire ou de reproduire l’œuvre est considérablement différent et ne confère pas un monopole. Si l’on montrait que deux œuvres précisément similaires, qui font l’objet d’un droit d’auteur, avaient été produites indépendamment l’une de l’autre, l’auteur de l’œuvre publiée en premier n’aurait pas le droit de limiter la publication par l’auteur subséquent de l’œuvre originale indépendante de ce dernier.

(Fox, aux pp 21-11)

[113]  Outre les dissimilitudes observables entre le Concept Lainco et celui des deux structures en cause, comme l’illustrent les photos ci-après reproduites (à Hambourg, les fermes maîtresses de la structure de l’aérogare de Hambourg sont en forme de « V » et non en forme trapézoïdale, l’ensemble de la structure donne une apparence moins épurée, les membrures secondaires sont en bois et non en acier, les fenêtres sont au plafond et non entre les colonnes supportant les fermes maîtresses et les colonnes supportant la structure n’ont pas la même forme; à Calgary, les fermes maîtresses sont supportées par des colonnes simples dont l’extrémité supérieure se transforme en fourche et les membrures secondaires semblent recouvertes d’un revêtement décoratif, tel qu’en font foi les photos reproduites ci-après), je n’ai pas de preuve devant moi que Lainco ait eu accès aux plans desdites structures, qu’elle ait visité l’u ou l’autre endroit ou encore qu’elle s’en soit inspiré pour concevoir le Concept Lainco.

Complexe Artopex

Aéroport Hambourg Terminal 1

Complexe Artopex

Aéroport Hambourg Terminal 2

Complexe Artopex

Aéroport Calgary

[114]  En d’autres mots, on ne m’a pas convaincu que le Concept Lainco n’est pas une œuvre indépendante, c’est-à-dire une œuvre résultant de l’exercice des seuls talents et jugement de ses concepteurs.

[115]  Tout en étant conscient de la nécessité d’interpréter la Loi de manière à établir un juste équilibre entre la protection du talent et du jugement de l’auteur dans l’expression de ses idées, et le fait de laisser des idées relever du domaine public de manière à ce que tous puissent s’en inspirer, je suis d’avis, particulièrement à la lumière du genre d’œuvres architecturales qui se sont vues reconnaître un caractère d’originalité, comme en font foi les quelques exemples énumérés aux paragraphes 50 et 51 des présents motifs, que Lainco a rencontré le fardeau qui était le sien d’établir que le Concept Lainco est une œuvre originale au sens de l’article 5 de la Loi.

[116]  Avant de déterminer si les défenderesses ont copié cette œuvre, il me faut toutefois d’abord décider si l’alinéa 64.1(1)(a) de la Loi fait obstacle au recours de Lainco.

B.  L’alinéa 64.1(1)(a) de la Loi fait-il échec à la réclamation de Lainco?

[117]  L’alinéa 64.1(1)(a) de la Loi stipule que le fait de conférer à un « objet utilitaire » des caractéristiques de celui-ci résultant uniquement de sa « fonction utilitaire » ne constitue pas une violation du droit d’auteur ou des droits moraux sur une œuvre. Le paragraphe 64.1(1) se lit comme suit :

Non-violation : caractéristiques d’objets utilitaires

Non-infringement re useful article features

64.1 (1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur ou des droits moraux sur une oeuvre le fait :

64.1 (1) The following acts do not constitute an infringement of the copyright or moral rights in a work:

a) de conférer à un objet utilitaire des caractéristiques de celui-ci résultant uniquement de sa fonction utilitaire;

(a) applying to a useful article features that are dictated solely by a utilitarian function of the article;

b) de faire, à partir seulement d’un objet utilitaire, une reproduction graphique ou matérielle des caractéristiques de celui-ci qui résultent uniquement de sa fonction utilitaire;

(b) by reference solely to a useful article, making a drawing or other reproduction in any material form of any features of the article that are dictated solely by a utilitarian function of the article;

c) d’accomplir, avec un objet visé à l’alinéa a) ou avec une reproduction visée à l’alinéa b), un acte réservé exclusivement au titulaire du droit;

(c) doing with a useful article having only features described in paragraph (a), or with a drawing or reproduction made as described in paragraph (b), anything that the owner of the copyright has the sole right to do with the work; and

d) d’utiliser tout principe ou toute méthode de réalisation de l’œuvre.

(d) using any method or principle of manufacture or construction.

[118]  Les termes, « objet utilitaire » et « fonction utilitaire » sont définis au paragraphe 64(1) de la Loi :

objet utilitaire Objet remplissant une fonction utilitaire, y compris tout modèle ou toute maquette de celui-ci. (useful article)

useful article means an article that has a utilitarian function and includes a model of any such article; (objet utilitaire)

fonction utilitaire Fonction d’un objet autre que celle de support d’un produit artistique ou littéraire. (utilitarian function)

utilitarian function, in respect of an article, means a function other than merely serving as a substrate or carrier for artistic or literary matter. (fonction utilitaire)

[119]  La CSBF et Construction Gagné sont les seules à invoquer l’alinéa 64.1(1)(a) comme moyen de défense à l’action de Lainco. Elles soutiennent que les structures des complexes analysés par M. Egli (Antony Carola, Air Inuit, Artopex et Victoriaville) sont des objets utilitaires au sens de cette disposition et que les éléments qui les composent (les fermes maîtresses, les membrures secondaires et les colonnes) leur confèrent des caractéristiques (configuration, longueur, hauteur, inclinaison, pente et espacement desdits éléments) résultant uniquement de la fonction utilitaire desdites structures. Cela fait en sorte, plaident-elles, qu’il ne saurait y avoir violation du droit d’auteur que détient Lainco dans le Concept Lainco du fait que l’on retrouve ces mêmes éléments dans le Complexe Victoriaville puisqu’ils ne remplissent, là aussi, qu’une fonction strictement utilitaire.

[120]  Ces deux défenderesses s’en remettent au rapport de M. Egli dont le mandat consistait aussi à examiner les spécifications des fermes maîtresses, membrures secondaires, colonnes et contreventements afin de déterminer si leurs caractéristiques remplissent uniquement une fonction utilitaire (« [review] the specifics of the purlins, beams, columns and cross-bracing in order to determine whether their features were predicated solely by their utilitarian function ») (Pièce D-9, à la p 25).

[121]  Dans chaque cas, M. Egli a jugé que les différences au niveau des spécifications (configuration, longueur, hauteur, inclinaison, pente et espacement entre les quatre éléments) résultaient non pas d’exigences architecturales ou de préférences artistiques, mais plutôt d’une optimisation du design d’ingénierie destinée à répondre aux charges appliquées sur chaque élément (« The differences in the (purlins, beams, columns and cross-bracing) are not due to any architectural requirements or artistic interpretation, but rather to an optimization of the engineering design in response to the loads that are applied to them »). (D-9, aux pp 26 à 28).

[122]  Il en a conclu que les caractéristiques de chaque élément pour chacune des structures des quatre complexes en cause résultaient uniquement de leur fonction utilitaire (« Based on the above, I am of the opinion that the features of the purlins, beams, columns and cross-bracing) of all four structures under consideration are predicated solely by their utilitarian function ») (D-9, aux pp 26 à 28).

[123]  Le paragraphe 64.1(1) de la Loi, adopté en 1988, crée une exception particulière au régime de protection des droits d’auteurs. On retrouve cette disposition dans la partie VI de la Loi (« Divers » / « Miscellaneous Provisions »), plus particulièrement sous l’intertitre « Dessins industriels et topographies » / « Industrial Designs and Topographies ». Ce volet « Dessins industriels et topographies » comprend trois articles (64, 64.1 et 64.2). Ces dispositions ont été insérées dans la Loi de manière à assurer un meilleur arrimage entre la Loi et la Loi sur les dessins industriels, LRC 1985, c I-9. On jugeait à l’époque le régime de droits d’auteur trop généreux pour des articles présentant des caractéristiques purement fonctionnelles (Débats de la Chambre des communes, 33e parl, 2e sess, no 5, au pp 7669, 7689 et 7692).

[124]  Cette disposition permet donc l’accomplissement d’un nombre restreint d’actes qui autrement constitueraient une violation du droit d’auteur (Robic: Canadian Copyright Act Annotated (Carriere), Toronto (On), Thomson Reuters 2015, à 64.1§5.0).

[125]  Ici, j’estime que cette exception ne s’applique pas. Comme le fait remarquer Lainco, toute œuvre architecturale possède un certain caractère fonctionnel ou utilitaire. Une structure comme celles des Complexes Artopex et Victoriaville constitue la coquille principale de ces édifices et leur conception doit satisfaire, comme l’a rappelé M. Kadanoff, aux trois exigences de l’ingénierie de structure : la sécurité (résistance, équilibre et stabilité), la performance (fonctionnement et confort) et la durabilité (Pièce D-7, à la p 4). Ces exigences sont nécessairement de nature fonctionnelle et utilitaire et supposent, comme on le verra plus en détail, que chaque structure soit conçue en fonction d’un certain nombre de contraintes, y compris les conditions locales du site où elle est aménagée.

[126]  D’ailleurs, il est en preuve que les Complexes Antony-Carola et Artopex ne pourraient être construits à Victoriaville selon les mêmes plans car leur structure n’a pas été conçue pour résister aux contraintes locales, plus élevées qu’à Granby et Montréal. Ce n’est pas les cas du Complexe Victoriaville qui pourrait être aménagé à l’un ou l’autre endroit à partir des mêmes plans.

[127]  Toutefois, l’approche préconisée par la CSBF et Construction Gagné évacue totalement la dimension esthétique ou architecturale qu’une structure peut, à dessein, posséder. Comme on l’a vu, c’est le cas ici. Adopter cette approche pourrait ultimement avoir pour effet, il me semble, de soustraire la majorité des œuvres architecturales du champ d’application de la Loi. Ainsi, dans la mesure où le choix et l’agencement d’éléments structuraux par ailleurs utilitaires confèrent à l’ensemble qu’ils forment une valeur architecturale ou esthétique, et que ce choix et cet agencement sont le fuit du talent et du jugement de l’auteur, je ne vois pas en quoi il faudrait faire perdre à l’œuvre la protection du droit d’auteur. Cela ne peut avoir été l’intention du législateur lorsque l’alinéa 64.1(1)(a) a été adopté.

[128]  Je rappelle que Lainco revendique un droit d’auteur non pas sur les éléments à partir desquels le Concept Lainco a été développé, mais bien sur le choix de ces éléments et l’agencement qu’il en fait, lesquels donnent à la structure qui en résulte, laquelle est apparente, une facture esthétique et architecturale distinctive.

[129]  J’en conclus donc que l’exception prévue à l’alinéa 64.1(1)(a) de la Loi ne trouve pas application en l’espèce. Cela nous amène donc à se demander si les droits d’auteur que détient Lainco dans le Concept Lainco ont été violés par les défenderesses.

C.  Les défenderesses, par leur participation à la conception, fabrication et installation de la structure d’acier du Complexe Victoriaville, ont-elles contrefait le Concept Lainco, tel qu’il se dégage des Plans et Œuvres architecturales Lainco, notamment ceux liés au Complexe Artopex?

(1)  Le cadre juridique

[130]  Suivant le paragraphe 3(1) de la Loi, le droit d’auteur sur une œuvre comporte le droit exclusif, pour la durée prévue par la Loi, de, notamment, produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre sous une forme matérielle quelconque, et celui, tout aussi exclusif, d’autoriser de tels actes. Ainsi, commet une violation du droit d’auteur, selon le paragraphe 27(1) de la Loi, celui qui, sans le consentement du titulaire du droit d’auteur, accomplit un acte que seul ce titulaire a la faculté d’exercer en vertu de la Loi.

[131]  En cas de violation du droit d’auteur, le titulaire du droit est admis, aux termes du paragraphe 34(1) de la Loi, à exercer tous les recours que la Loi met à sa disposition, notamment le recours en dommages et intérêts. Lorsque dans une procédure civile engagée à cette fin, comme c’est le cas ici, le défendeur conteste l’existence du droit d’auteur ou encore la qualité du demandeur, le paragraphe 34.1 de la Loi prévoit que jusqu’à preuve du contraire, l’œuvre est présumée être protégée par le droit d’auteur et l’auteur, présumé être le titulaire de ce droit.

[132]  L’article 2 de la Loi définit le terme « contrefaçon » (« infringing »), lorsqu’elle concerne une œuvre sur laquelle existe un droit d’auteur, de la façon suivante :

toute reproduction, y compris l’imitation déguisée, qui a été faite contrairement la Loi ou qui a fait l’objet d’un acte contraire à la Loi 

any copy, including any colourable imitation, made or dealt with in contravention of this Act 

[133]  Afin d’établir la contrefaçon d’une œuvre sur laquelle existe un droit d’auteur, le titulaire du droit doit, faute d’une preuve directe, laquelle est souvent impossible à obtenir, démontrer que la partie qu’il tient responsable de la contrefaçon a eu accès à l’œuvre et qu’il existe des similitudes entre celle-ci et l’œuvre contrefactrice. Si ce fardeau est rencontré, il y a renversement du fardeau de la preuve sur les épaules du défendeur qui doit alors démontrer, pour espérer repousser l’action du titulaire du droit d’auteur, que les similitudes que son œuvre présente avec l’œuvre présumée avoir été copiée, sont le fruit d’une création indépendante (Cinar CSQ, aux para 246 à 249 , citant les ouvrages Canadian Copyright Act annotated, vol 2, Toronto, Thomson Carswell, mise à jour continue, aux pp 27-7 et 27-8; Normand TAMARO, La Loi sur le droit d’auteur annotée, 7e éd, , Scarborough, Thomson Carswell , 2006, à la p 596, et MCKEOWN, Fox on Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 4e éd, Scarborough, Thomson Carswell, Édition à feuilles mobiles, aux pp 24-54.5 et ss; Robinson c Films Cinar inc., 2011 QCCA 1361, au para 104 [Cinar CAQ]; voir aussi Gilker, (1991), 4 :1 CPI 7, 2e partie, à la p 27). Il est à noter que dans Cinar CSC, la question de l’accès à l’œuvre ne se posait pas puisque les appelantes ne la contestaient plus (Cinar CSC, au para 29).

[134]  La contrefaçon n’est pas limitée à la copie conforme de l’œuvre puisqu’elle peut prendre la forme d’une imitation déguisée pour autant qu’elle reprenne sinon la totalité, à tout le moins, une partie substantielle ou importante de l’œuvre (Cinar CAQ, au para 57). Le concept de « partie importante » d’une œuvre a été discuté en détail par la Cour suprême dans Cinar CSC. Toutes les parties au présent dossier s’y sont abondamment référées d’ailleurs.

[135]   Ce concept est un concept « souple » et avant tout une question de fait et de degré, nous dit la Cour suprême. On détermine, poursuit-elle, ce qui constitue une partie importante de l’œuvre « en fonction de l’originalité de l’œuvre qui doit être protégée par la [Loi] » (Cinar CSC, au para 26). Une partie importante d’une œuvre sera donc celle, règle générale, « qui représente une part importante du talent et du jugement de l’auteur exprimés dans l’œuvre » (Cinar CSC, au para 26). Ce qui importe à cet égard, c’est l’importance qualitative, et donc quantitative, de la reproduction (Cinar CSC, au para 26). Cet exercice requiert une approche globale (Cinar CSC, aux para 35-36).

[136]  En optant pour cette approche souple et globale, la Cour suprême a écarté celle en trois étapes préconisée par les appelantes. Selon cette approche, le juge des faits, afin de déterminer l’importance de la reproduction, aurait : (i) à déterminer quels éléments de l’œuvre contrefaite sont originaux, au sens de la Loi; (ii) à exclure les caractéristiques de cette œuvre qui ne peuvent être protégées (comme les idées, les éléments qui relèvent du domaine public et les éléments génériques qui se retrouvent couramment dans les séries télévisées pour enfants); et (iii) à comparer, après ce processus d’élimination, l’œuvre contrefactrice avec ce qui reste de l’œuvre contrefaite et à ensuite juger si une partie importante de cette dernière a été reproduite (Cinar CSC, au para 34).

[137]  Comparant cette méthode d’analyse à celle utilisée par les tribunaux américains pour évaluer l’importance de la partie reproduite d’une œuvre dans des cas de violation du droit d’auteur sur des logiciels (« abstraction-filtration-comparaison »), méthode qu’elle a qualifiée de « réductrice » et de mal adaptée à de nombreux types d’œuvres, la Cour suprême a rappelé que les tribunaux canadiens avaient, de façon générale, adopté une approche qualitative et globale, où l’accent est mis non pas sur l’examen d’extraits isolés des œuvres en cause, mais sur celui des deux œuvres dans leur ensemble (Cinar CSC, au para 35).

[138]  Il importe donc, selon la Cour suprême, non pas d’« analyser l’importance des caractéristiques reproduites en les examinant chacune isolément », mais bien plutôt d’examiner « l’effet cumulatif des caractéristiques reproduites de l’œuvre afin de décider si elles constituent une partie importante du talent et du jugement dont a fait preuve [l’auteur] dans l’ensemble de son œuvre » :

[36]  En général, il importe de ne pas analyser l'importance des caractéristiques reproduites en les examinant chacune isolément: Designers Guild, p. 705, lord Hoffman. Si elle était retenue, l'approche proposée par les appelants Cinar risquerait de mener à la dissection de l'œuvre de M. Robinson en ses éléments constitutifs. L'« abstraction » qui consisterait à réduire l'œuvre de M. Robinson à l'essence même de ce qui la rend originale et l'exclusion des éléments non susceptibles d'être protégés dès le début de l'analyse aurait pour effet d'empêcher le juge d'effectuer une évaluation réellement globale. Cette approche mettrait indûment l'accent sur la question de savoir si chacune des parties de l'œuvre de M. Robinson, prise individuellement, est originale et protégée par la législation sur le droit d'auteur. Il faut plutôt examiner l'effet cumulatif des caractéristiques reproduites de l'œuvre afin de décider si elles constituent une partie importante du talent et du jugement dont a fait preuve M. Robinson dans l'ensemble de son œuvre.

[139]  Par ailleurs, pour qu’il y ait contrefaçon, il suffit qu’il y ait eu exécution d’un acte que, suivant l’article 3 de la Loi, seul le titulaire du droit d’auteur a la faculté d’exécuter. Cela ne requiert pas la preuve de la connaissance, par le contrefacteur, de l’existence du droit d’auteur ou celle du fait que l’acte constitue une contrefaçon (Compo Co. Ltd. c Blue Crest Music, [1980] 1 RCS 357, à la p. 375 [Compo]; Fox, à la p. 21-5).

[140]  Je rappelle, en complétant ce survol du droit applicable, que l’examen de la question de la contrefaçon doit tendre, lui aussi, à établir un juste équilibre entre la protection du talent et du jugement qu’ont exercés les concepteurs du Concept Lainco dans l’expression de leurs idées et le fait de laisser des idées et des éléments relever du domaine public afin que tous puissent s’en inspirer (Cinar CSC, au para 28).

[141]  Il y a lieu aussi de rappeler les problèmes particuliers que pose la contrefaçon d’œuvres architecturales liée à la difficulté, souvent, de mettre en jeu la protection offerte par la Loi. Comme le souligne Gilker, il s’agit là d’un domaine « où des contraintes de nature tant physique qu’économique ou légale peuvent restreindre de façon sensible la latitude laissée au créateur en risquant, par le fait même, d’engendrer les répétitions de styles, forme ou dimension que l’on retrouvera entre les œuvres de différents créateurs soumis aux mêmes contraintes » (Gilker, 2e partie, à la p 27).

[142]  Au-delà de ces contraintes, il y a celles, ajoute-t-il, « des traditions ou modes stylistiques ainsi que la quasi-nécessité, pour un architecte, de répondre aux exigences esthétiques de ses clients qui pourront, dans bien des cas, se fonder sur l’attrait d’œuvres architecturales préexistantes », ce qui place souvent l’architecte « dans l’obligation de rencontrer les vœux de son client, actuel ou potentiel, tout en prenant garde d’éviter, en ce faisant, non seulement de reproduire de façon exacte l’œuvre d’un tiers mais aussi de s’aventurer trop près de la reproduction substantielle ou de l’imitation déguisée d’une telle œuvre » (Gilker, 2e partie, à la p 28).

[143]  J’en comprends que l’auteur d’une œuvre architecturale naviguera souvent, bien malgré lui, en « eaux troubles » (Gilker, 2e partie, à la p 30) et que la ligne sera souvent mince en ce domaine entre ce qui constitue une contrefaçon d’une œuvre et ce qui n’est pas défendu par le droit d’auteur. Je ne vois pas de raison de ne pas appliquer ce constat à l’œuvre architecturale conçue par un ingénieur, particulièrement lorsque celle-ci comporte un caractère esthétique (Netupsky, à la p 214).

(2)  La position des parties

[144]  Lainco soutient que la CSBF et Pluritec, en visitant le Complexe Artopex le 29 mars 2012, soit moins d’un mois avant la première réunion de coordination tenue le 18 avril 2012, laquelle lançait sur les rails le projet du Complexe Victoriaville, ont eu accès au Concept Lainco. Elle souligne que des photographies ont alors été prises, dont trois des aires de jeu, et que ces photos ont été montrées et discutées lors de cette première rencontre qui réunissait aussi des représentants de Lemay Côté. Ces photos, précise-t-elle, ont été transmises le lendemain à ceux qui étaient présents à cette rencontre. Ce sont les seules photos de toutes les visites de stades de soccer intérieur faites en marge du développement du projet du Complexe Victoriaville, ajoute‑t‑elle, à avoir été transmises aux différents intervenants comme suite à cette première rencontre de coordination.

[145]  Lainco soutient également avoir établi qu’il existe des similitudes importantes entre les structures des Complexes Artopex et Victoriaville, lorsque considérées dans leur ensemble. En fait, dit-elle, il est évident des axonométries et des photographies des deux structures que quiconque peut reconnaître le Concept Lainco, tel qu’adapté au Complexe Artopex, dans la structure du Complexe Victoriaville, comme l’a admis d’ailleurs, ajoute-t-elle, M. Kadanoff, l’expert de Pluritec. Lainco plaide que les similitudes entre les structures des deux Complexes démontrent qu’une partie importante du talent et du jugement des concepteurs du Concept Lainco a été reproduite.

[146]  Ayant établi, selon elle, qu’il y a eu accès à l’œuvre et qu’il existe des similitudes importantes entre les structures des Complexes Artopex et Victoriaville, Lainco prétend que les défenderesses ne se sont pas déchargées du fardeau qui était désormais le leur de faire la preuve que ces similitudes sont le fruit d’une création indépendante.

[147]  Elle soutient à cet égard que le simple fait d’avoir dû faire un certain exercice de talent et de jugement pour concevoir la structure du Complexe Victoriaville n’est pas pertinent. Ce qui est pertinent, selon elle, c’est de se demander si la structure du Complexe Victoriaville reproduit une partie importante de la structure du Complexe Artopex, c’est-à-dire une partie qui représente une part importante du talent et du jugement des concepteurs de cette structure.

[148]  Lainco précise que ce ne sont pas les aspects utilitaires ou fonctionnels qui ont été copiés en l’espèce, puisque la géolocalisation des deux Complexes en cause commandait que les aspects purement fonctionnels ou utilitaires de chaque structure soient nécessairement différents en raison des dissimilitudes des charges devant être prises en compte aux fins de leur conception. C’est plutôt, avance-t-elle, l’agencement des divers éléments de la structure du Complexe Artopex, qui, lui, bénéficie de la protection de la Loi, qui a été copié. Elle rappelle à cet égard qu’une multitude d’options permettant de remplir les mêmes fonctions utilitaires s’offraient aux concepteurs des deux structures en cause mais que les deux seules qui se ressemblent visuellement, selon la preuve au dossier, sont celles des Complexes Artopex et Victoriaville.

[149]  Les défenderesses soutiennent, pour leur part, qu’il n’y a rien d’irrégulier à s’inspirer d’une œuvre existante et que quoi qu’il en soit, il y a absence de similitudes importantes entre les deux structures en cause. Elles avancent qu’une comparaison de ces deux structures et de leurs plans respectifs, fait ressortir, telles que l’ont démontré MM. Kadanoff et Egli, des différences importantes. Elles notent à cet égard que les éléments structurels qui sont à la base du Concept Lainco, soit les fermes maîtresses, les membrures secondaires et les colonnes de support des fermes maîtresses, varient sensiblement d’un Complexe à l’autre tant sur le plan de la configuration et du design que sur celui de la façon dont ils sont raccordés entre eux. Notamment, précisent-elles, les fermes maîtresses du Complexe Artopex se présentent sous trois configurations différentes alors que la configuration des quatre fermes du Complexe Victoriaville est uniforme.

[150]  Elles notent aussi que le toit du Complexe Victoriaville est plat alors que celui du Complexe Artopex est cambré et que cette différence est cruciale puisque chaque forme de toit va dicter ce que sera le reste de la structure, les charges, notamment, n’étant plus les mêmes tout comme les hauteurs et dimensions de l’édifice abritant la structure. L’apparence visuelle ne sera pas la même non plus, soutiennent-elles. Notamment, on ne retrouvera pas dans une structure à toit plat ce qui fait la particularité première du Concept Lainco, soit, selon la publicité qu’en fait Lainco, la présence de « fermes de toit provoquant un effet dôme impressionnant, plus grand que nature » (Pièce TX-28).

[151]  Les défenderesses invitent par ailleurs la Cour à ne donner qu’une faible valeur probante aux rapports et au témoignage de M. Siegel, l’expert de Lainco, parce que ce dernier n’a procédé à aucune mesure et comparaison des éléments structurels en cause en plus de n’avoir visité le Complexe Artopex qu’après avoir remis son rapport alors qu’il y déclare que les deux Complexes en cause produisent le même effet visuel. Elles estiment que Lainco ne peut revendiquer un droit d’auteur dans le « look » d’une structure sans qu’il soit aussi tenu compte des éléments structurels à partir desquels ce « look » a été créé, ce que M. Siegel a négligé de faire.

[152]  Pluritec et Lemay Côté plaident aussi ne jamais avoir eu accès aux plans de la structure du Complexe Artopex ou encore à ceux du Complexe Antony-Carola et du hangar d’Air Inuit. Pluritec ajoute avoir consacré une énergie considérable, en temps et en efforts, au développement des plans de la structure du Complexe Victoriaville.

[153]  Enfin, Pluritec prévient la Cour que de faire droit à l’action de Lainco et lui reconnaître, ce faisant, un monopole sur le Concept Lainco, risquerait d’avoir un effet paralysant sur l’industrie des structures d’acier, particulièrement à la lumière de l’intention déclarée de Lainco d’étendre ce Concept, comme elle l’a déjà fait d’ailleurs, à d’autres types de complexes sportifs et bâtiments. Elle soutient que d’agir de la sorte heurterait de front les enseignements de la Cour suprême du Canada suivant lesquels il importe, aux fins de la mise en équilibre des objectifs de politique générale qui sous-tendent la Loi, de non seulement de reconnaître les droits du créateur mais aussi d’accorder l’importance qu’il convient à la nature limitée de ceux-ci.

(3)  Discussion et conclusions

a)  L’accès au Concept Lainco

[154]  Il ne fait aucun doute, évidemment, qu’en visitant le Complexe Artopex à la fin mars 2012, la CSBF et Pluritec ont eu une forme d’accès au Concept Lainco. Des photographies, dont trois où l’on peut apercevoir l’intérieur de la structure dudit Complexe, y ont été prises et un dessin à la main d’une coupe transversale des fermes maîtresses, avec indication des hauteurs des fermes et de la distance entre le terrain et la partie inférieure des fermes, y a été fait par M. Viens (Pièces TX-229 et TX-176). Il ressort clairement des témoignages, même si M. Viens a prétendu le contraire pendant un certain moment, que les photographies prises lors de cette visite ont par la suite été montrées et discutées lors de la première réunion de coordination tenue le 18 avril 2012 en présence, cette fois, de représentants de Lemay Côté (Transcriptions, vol. 4, p. 8 et vol. 6, p. 109). Le lendemain, ces photos, incluant celles montrant la structure du Complexe Artopex, étaient distribuées par M. Viens, via un courriel, à tous les participants de cette réunion, y compris Marjory Giroux, de Lemay Côté (Pièce TX-229).

[155]  Cette visite a une influence certaine sur le choix de la structure « désirée » par le client, la CSBF, pour le Complexe Victoriaville. On peut lire, je le rappelle, du rapport de la première rencontre de coordination, laquelle a notamment pour but « de présenter le projet aux professionnels », que la « nouvelle construction inclura […] « [u]ne superstructure en acier permettant de grandes portées et libérant l’espace de jeux en hauteur (2 poutres par terrain ayant 35 pi libre dessous les poutres et 50 pi libre dessous les poutrelles) », des « fenêtres de type mur rideau » pour combler « [l]’espace laissé entre les colonnes supportant chacune des poutres » et des « équipements d’éclairage et de chauffage … intégrés aux poutres » […] (Pièce TX-127).

[156]  Lorsque M. Viens soumet, comme concept de structure, un « système traditionnel de poutrelles répétitives », il se fait en quelque sorte rappeler à l’ordre. Il devra plutôt veiller, selon ce qu’indique le rapport de la deuxième rencontre de coordination tenue le 30 avril 2012, « à développer la superstructure désirée et à évaluer les coûts qui y sont rattachés pour la prochaine rencontre » [Je souligne] (Pièce TX-128). Un courriel qui précède cette rencontre, et qui est daté du 22 avril 2012, que M. Viens transmet à M. Alain Côté de Lemay Côté et M. Gagnon de la CSBF, fait de toute évidence une référence au complexe Artopex et aux photos qui y ont été prises lors de la visite du 29 mars (Pièce TX-160). Personne n’a prétendu que M. Viens ne référait pas au Complexe Artopex et aux photos du 29 mars. On y lit :

En début de semaine, j’étudierai l’alternative avec les fermes maîtresses tel que construit à Granby (voir photos envoyées sur le site ftp)

[157]  Je reproduis ici les trois photos prises lors de la visite du Complexe Artopex où l’on peut apercevoir l’intérieur de la structure :

[158]  Un autre événement qui intervient dans la phase du développement du projet Victoriaville qui précède le dépôt, en mai 2012, de la demande de subvention auprès du gouvernent du Québec, et qui, à mon sens, ne ment pas quant à l’impact de la visite du Complexe Artopex et des photographies qui y ont été prises sur le développement dudit projet, est la perspective intérieure du futur complexe préparée par Lemay Côté et transmise au gens de la CSBF le 14 mai 2012 (Pièce TX-248). La ressemblance avec l’une des photos prises le 29 mars 2012 du Complexe Artopex est frappante, c’est le moins qu’on puisse dire. Comme le veut l’adage, une image vaut mille mots :

[159]  Même les petits cônes oranges que l’on voit sur la photographie et qui délimitent l’aire de jeu sont sensiblement aux mêmes endroits. En contre-interrogatoire, M. Alain Côté, de Lemay Côté, dira que c’est un hasard (Transcriptions, vol. 6, aux pp 164-165). La citation du sémiologue Umberto Uco, reproduite par le juge Auclair, j.c.s., dans Cinar CSQ, me paraît fort à propos dans les circonstances : « Assoyez un singe devant une machine à écrire et le hasard permettra peut-être qu’il écrive Roméo et Juliette de Shakespeare, mais c’est peu probable » (Cinar CSQ, au para 1).

[160]  À cela s’ajoute le fait que M. Côté a indiqué avoir examiné, comme « précédent » dans le cadre de son « travail de conception de l’architecture du bâtiment de Victoriaville », outre les photographies du Complexe Artopex, des images du complexe sportif de Terrebonne et le complexe Agri-Sport de Victoriaville, dont les plans d’architecture ont été conçus par Lemay Côté (Transcriptions, vol 6, aux pp 113-114). En contre-interrogatoire, toutefois, M. Côté a admis que seule l’apparence extérieure du complexe de Terrebonne présentait un intérêt pour lui et qu’aucun document démontrant que le complexe Agri-Sport avait pu servir de référence dans le développement du projet du Complexe Victoriaville n’avait été produit au présent dossier que ce soit par Lemay Côté, la CSBF ou encore Pluritec (Transcriptions, vol 6, aux pp 151-152).

[161]  En d’autres mots, je n’accorde aucun poids à l’affirmation de M. Côté voulant que les ressemblances, plutôt frappantes, entre la perspective intérieure du futur Complexe Victoriaville préparée en mai 2012 par Lemay Côté (Pièce TX-248) et la photo de l’intérieur de la structure du Complexe Artopex reproduite ci-devant, soit le fruit du hasard.

[162]  Le Complexe Artopex est aussi le seul stade de soccer intérieur comportant deux terrains à avoir été visité par la CSBF et Pluritec (Exposé conjoint de faits et d’admissions, au para 63). M. Viens, en contre-interrogatoire, a d’ailleurs fini par admettre qu’il était clair lors de la première rencontre de coordination du 18 avril 2012, soit celle qui, comme je l’ai déjà dit, devait servir à « présenter le projet aux professionnels » (Pièce TX-127), que ce que M. Gagnon, de la CSBF, voulait « c’était des fermes maîtresses telles que celles construites à Granby » (Transcriptions, vol. 4, aux pp. 37-38). Auparavant, M. Viens avait insisté sur l’importance de la première rencontre de coordination de tout projet, puisque c’est à ce moment, notamment, « qu’on discute des principaux enjeux » […] et « qu’on recueille les besoins de notre client » (Transcriptions, vol. 3, à la p. 110).

[163]  M. Viens a bien tenté de qualifier son admission en précisant que la référence aux fermes maîtresses telles que construites à Granby se voulait un simple exemple de ce que M. Gagnon souhaitait comme structure pour le futur complexe, mais, à la lumière de l’intérêt du maire de Victoriaville pour le Complexe Artopex, de la visite du 29 mars, initiée par le maire, des photos prises lors de cette visite, du libellé des rapports de coordination en lien avec la « superstructure désirée », du courriel du 22 avril (Pièce TX-160) et de la perspective intérieure du futur complexe produite par Lemay Côté (Pièce TX-248), je n’y accorde aucun poids.

[164]  D’ailleurs, l’insistance de M. Viens à d’abord diriger ses énergies à vouloir proposer à la CSBF une structure de type Canam, c’est-à-dire une structure traditionnelle de poutrelles répétitives, alors que cela n’était clairement pas le type de structure qu’avait en tête la CSBF, dépasse l’entendement. M. Viens a tenté de justifier cette approche contre-intuitive par son désir d’offrir une option moins coûteuse à son client. Il a « la tête dure » pour ce genre de choses s’est-il contenté de répondre lorsque questionné à ce sujet en contre-interrogatoire (Transcriptions, vol. 4, à la p 35). Il a nié avoir fait cela parce qu’il ne se sentait pas à l’aise avec l’idée de doter le futur Complexe de Victoriaville d’une structure avec fermes maîtresses « comme à Granby », selon les vœux de M. Gagnon de la CSBF comme le lui a suggéré le procureur de Lainco. En termes de plausibilité, cette hypothèse vaut bien, au regard de l’ensemble des circonstances, la justification avancée par M. Viens.

[165]  Les défenderesses ont bien tenté de minimiser l’intérêt de la CSBF pour la structure du Complexe Artopex en insistant sur le fait que la visite de l’aire de jeu elle-même n’avait duré qu’une quinzaine de minutes, que le but premier de la visite était de s’informer des coûts de construction et l’opération, que seulement trois des dix-sept photos prises lors de la visite montraient la structure dudit Complexe et que c’est la surface synthétique et son équipement d’entretien qui constituait la partie la plus importante d’un stade de soccer intérieur.

[166]  Toutefois, et bien que ni Pluritec ni Lemay Côté, pas plus d’ailleurs que la CSBF et Construction Gagné, n’aient eu accès aux plans du Complexe Artopex, je suis satisfait qu’à tout le moins la CSBF, Pluritec et Lemay Côté, par le biais de la visite du 29 mars et des photos prises à cette occasion, ont eu un accès au Concept Lainco, tel qu’adapté au Complexe Artopex, qui rende possible sa reproduction. D’ailleurs, tel que je viens de le mentionner, on voulait, du côté de la CSBF, « des fermes maîtresses telles que celles construites à Granby ». L’intérêt pour ce qui a été fait au Complexe Artopex, du moins quant à la structure, m’apparait omniprésent dans tout le travail qui est fait par la CSBF, Pluritec et Lemay Côté, entre le 18 avril 2012 et le 18 mai 2012, date d’échéance pour le dépôt de la demande de subvention. On demande même à l’entrepreneur général qui a construit le Complexe Artopex le nom de la « compagnie qui a fabriqué et fourni les fermes maîtresses de l’enceinte de soccer » (Pièce TX-162). Il n’y aura pas de réponse à cette demande, ce qui fera dire à M. Viens, lorsqu’interrogé par le procureur de Pluritec que « [p]robablement qu’on ne serait pas ici si j’avais eu une réponse » (Transcriptions, vol. 3, aux pp 45-46).

[167]  La reproduction contrefactrice peut résulter d’un exercice de mémoire (Gilker, 2e partie, à la p 30). Ici, on avait en plus les photos montrant clairement ce qui fait l’originalité du Concept Lainco. Encore une fois, l’accès au Concept Lainco était suffisant, à mon avis, pour en permettre la reproduction.

[168]  Il y a donc maintenant lieu de se demander si les similitudes entre les structures des Complexes Artopex et Victoriaville sont telles qu’elles permettent, malgré ce qui les différencie, de conclure qu’une partie importante du Concept Lainco, tel qu’adapté au Complexe Artopex, a été reproduite dans la structure du Complexe Victoriaville.

b)  Les similitudes entre les structures des Complexes Artopex et Victoriaville

[169]  Je rappelle qu’en procédant à l’analyse qualitative et globale visant à déterminer si une partie importante d’une œuvre a été reproduite, il faut s’attarder à examiner l’effet cumulatif des caractéristiques reproduites de l’œuvre que l’on allègue avoir été contrefaite (Cinar CSC, au para 36). Ce faisant, il faut se demander si les caractéristiques reproduites constituent une partie importante de cette œuvre, et non de celle que l’on dit avoir reproduit lesdites caractéristiques (Cinar CSC, au para 39).

[170]  La Cour suprême nous rappelle aussi qu’il pourra y avoir contrefaçon même si certaines des caractéristiques reproduites ont été modifiées ou encore intégrées dans une œuvre considérablement différente de celle que l’on estime avoir été contrefaite puisque la contrefaçon, au sens de la Loi, comprend toute « imitation déguisée » (Cinar CSC, au para 39). Cela dit, ceci ne veut pas dire, ajoute-t-elle, que « les différences n’ont pas leur place dans l’analyse de l’importance de la partie reproduite de l’œuvre ». Elles auront leur importance si elles « sont telles que l’œuvre, prise dans son ensemble, constitue non pas une imitation, mais plutôt une oeuvre nouvelle et originale ». Dans un tel cas, il n’y aura pas violation du droit d’auteur (Cinar CSC, au para 40).

[171]  Tout est « question de nuance, de degré et de contexte » (Cinar CSC, au para 40, citant Cinar CAQ, au para 66).

[172]  En l’espèce, la preuve fait état de similitudes mais aussi de différences entre les structures des Complexes Artopex et Victoriaville. Il n’y a pas de véritables contradictions dans la preuve à ce niveau. Tout est ici question, donc, « de nuance, de degré et de contexte » mais aussi, à travers cela, de perspectives, celle de l’architecte et celle de l’ingénieur. En bout de ligne, il s’agit de voir laquelle de ces perspectives s’arrime le mieux avec le droit d’auteur, particulièrement lorsqu’il est question d’œuvres architecturales, et les enseignements de la Cour suprême à cet égard.

[173]  Commençons, comme il se doit, par la preuve de l’expert de Lainco, M. Siegel, un architecte. Bien qu’il ait aussi considéré les plans et photographies des structures d’acier du Complexe Antony Carola et du hangar Air Inuit, l’expert de Lainco, M. Siegel dit s’être employé de façon plus particulière à comparer les structures des deux Complexes en cause, Artopex et Victoriaville, compte tenu de la similarité de leur fonction et configuration – deux stades de soccer intérieur avec un grand terrain principal divisible en deux terrains à sept joueurs – et de leur pertinence particulière au présent litige compte tenu de la visite du Complexe Artopex par les protagonistes du projet du Complexe Victoriaville peu de temps avant que ne soit entrepris l’élaboration de ce projet (Pièce P-3, Rapport Siegel, aux para 70 à 72).

[174]  M. Siegel a ainsi comparé chacun des principaux éléments de structure des deux Complexes en cause de même que le résultat d’ensemble, c’est-à-dire la combinaison de ces éléments, laquelle, selon lui, permet mieux d’apprécier l’étendue des similitudes entre lesdits éléments (Pièce P-3, Rapport Siegel, au para 81).

[175]  Au niveau des éléments eux-mêmes, il a noté :

  1. la similarité du rythme structural des colonnes périphériques des deux Complexes, de même que la présence de colonnes doubles en support aux fermes maîtresses (Pièce P-3, Rapport Siegel, au para 74);
  2. la présence de fermes maîtresses triangulées apparentes de même type permettant un dégagement optimal des aires de jeu et une ambiance distinctive, à la seule nuance que les fermes maîtresses du Complexe Artopex possèdent une membrure supérieure cambrée, ce qui n’est pas le cas de celles du Complexe Victoriaville, une nuance qui, selon lui, a peu d’impact sur l’aspect esthétique et l’impact visuel des deux structures dans leur ensemble, surtout du point de vue du piéton (Pièce P-3, Rapport Siegel, aux para 75 à 77); et
  3. la présence de membrures secondaires de même type permettant un dégagement similaire pour les surfaces de jeu en plus de donner une ambiance générale équivalente (Pièce P-3, Rapport Siegel, au para 79).

[176]   Pour illustrer ces constats, je reproduis les infographies que l’on retrouve aux pages 31, 33 et 35 du rapport de M. Siegel, Pièce P-3 :

Colonnes d’acier en périphérie du bâtiment

Fig. 17 – Colonnes d’acier en périphérie du bâtiment (Infographie ABCP sur photographie représentative du Complexe Artopex)

Fig. 18 – Colonnes d’acier en périphérie du bâtiment (Infographie ABCP sur photographie représentative du Complexe Victoriaville)

Fermes maitresses triangulées supportant des membrures en porte-à-faux

Fig. 19 – Fermes maitresses triangulées supportant des membrures en porte-à-faux (Infographie ABCP sur photographie représentative du Complexe Artopex)

Fig. 20 – Fermes maitresses triangulées supportant des membrures en porte-à-faux (Infographie ABCP sur photographie représentative du Complexe Victoriaville)

Membrures secondaires fixées aux membrures en porte-à-faux et pontage de toiture

Fig. 22 – Membrures secondaires fixées aux membrures en porte-à-faux et pontage de toiture (Infographie ABCP sur photographie représentative du Complexe Artopex)

Fig. 23 – Membrures secondaires fixées aux membrures en porte-à-faux et pontage de toiture (Infographie ABCP sur photographie représentative du Complexe Victoriaville)

[177]  Quant au résultat d’ensemble, M. Siegel l’a évalué à partir d’une comparaison à la fois de représentations schématiques (vue piéton) des structures des deux Complexes et de l’impact visuel pour les usagers, une « considération importante dans la conception de ce type de complexes sportifs » (Pièce P-3, Rapport Siegel, au para 83). La comparaison des représentations schématiques l’a amené à constater que les éléments de structure ont été combinés de la même façon et que le résultat qui en découle est, à quelques nuances près, pratiquement identique. Il précise :

82.  […] Les espaces créés et développés pour les deux complexes sportifs se définissent par des bâtiments de grande surface dont les quatre fermes maitresses triangulées franchissent les aires de jeu. Ces fermes maîtresses supportent une structure secondaire très discrète et réduite à sa plus simple expression, contribuant ainsi à la similitude des deux bâtiments.

[178]  Encore une fois, pour illustrer ces constats, je reproduis les axonométries et représentations schématiques examinées par M. Siegel, que l’on retrouve aux pages 39 et 40 de son rapport, Pièce P-3:

Fig. 26 – Axonométrie 3D de la structure du Complexe Artopex

Fig. 27 – Axonométrie 3D de la structure du Complexe Victoriaville

[179]  Enfin, en ce qui a trait à l’impact visuel pour les usagers et utilisateurs, lesquels, précise-t-il, ne portent pas nécessairement attention aux fins détails architecturaux et structuraux, il paraît produire, aux yeux de M. Siegel, essentiellement le même effet général dans les deux Complexes (Pièce P-3, Rapport Siegel, au para 84). Il tirera les conclusions générales suivantes :

(a)  Les deux Complexes en cause sont composés d’une structure d’acier;

(b)  Les deux Complexes présentent une structure apparente;

(c)  La structure des deux Complexes est composée de quatre (4) fermes maîtresses triangulées permettant d’obtenir un dégagement optimal pour le jeu et une ambiance distinctive des lieux;

(d)  Les élévations de ces fermes maîtresses sont similaires, sauf pour la membrure supérieure qui est cintrée (ou cambrée) dans le cas du Complexe Artopex;

(e)  Le système des membrures secondaires des deux Complexes est identique; et

(f)  Les fermes maîtresses des deux Complexes sont supportées par des colonnes doubles en périphérie du bâtiment.

(Pièce P-3, Rapport Siegel, au para 85)

[180]  Comme j’en ai déjà fait mention, les défenderesses reprochent à M. Siegel de n’avoir visité que le Complexe Victoriaville aux fins de la préparation de son rapport alors qu’il indique dans celui-ci, lorsqu’il compare l’impact visuel des deux structures en cause, que « rien ne vaut une visite sur place pour ressentir le volume du bâtiment et son ambiance générale » (Pièce P-3, Rapport Siegel, au para 84). N’ayant pas visité le Complexe Artopex, du moins au moment de la préparation de son rapport, elles invitent la Cour à n’accorder que peu de poids à cette conclusion, importante, de son rapport.

[181]  Je ne suis pas d’accord. En ré-interrogatoire, M. Siegel a précisé que l’examen des plans ou des photos d’un projet lui était largement suffisant pour comprendre le projet et que de voir un bâtiment était probablement essentiel pour quelqu’un qui n’est pas impliqué dans le domaine de la conception de bâtiments. Il a aussi précisé que sa visite du Complexe Artopex, faite après le dépôt de son rapport, a simplement confirmé visuellement les photos et les plans qu’il a utilisés pour la rédaction de son rapport (Transcriptions, vol 2, aux pp 205-206). Par ailleurs, je comprends ce passage du rapport de M. Siegel comme référant à la perspective de l’usager et de l’utilisateur, c’est-à-dire à ce qu’il est susceptible de ressentir une fois sur place. Quoi qu’il en soit, comme on le verra plus en détail, M. Kadanoff a, en contre-interrogatoire, reconnu que les structures des deux Complexes en cause produisaient le même impact visuel. Cela corrobore, en quelque sorte, ce que M. Siegel a constaté, au moment d’écrire son rapport, de son examen des photographies du Complexe Artopex. La Cour ne peut quand même pas ignorer ces constats convergents sur la seule base que M. Siegel n’aurait pas, en temps utile, visité le Complexe Artopex.

[182]  Ceci m’amène à parler de la preuve produite par MM. Kadanoff et Egli, deux ingénieurs en structures, qui ont comparé le Complexe Victoriaville aux Complexes Antony-Carola et Artopex et au hangar d’Air Inuit. Ni un ni l’autre n’a visité les complexes sur lesquels ils se sont prononcés.

[183]  M. Kadanoff, l’expert de Pluritec, je le rappelle, a examiné un vaste éventail de comparatifs : identité du concepteur, utilisation de chaque bâtiment, dimension des terrains, orientation des pistes, type de fermes, forme de toit, fermes H/L, portée, profondeur, membrures, orientation des diagonales, espacement, espacement des supports, force dans les membrures, hauteur libre, solives de toit, pontage, charge de neige, contreventements, administration et vestiaires et conditions de sol.

[184]  Les résultats de cet exercice de comparaison font ressortir en fait des différences entre chacune des quatre structures, tel qu’en fait foi le Tableau 1 apparaissant à son rapport, Pièce D‑7:

[185]  M. Kadanoff décrit ainsi les différences, du point de vue de la conception et de l’apparence, entre la structure du Complexe Victoriaville et celles du Concept Lainco:

a.  La forme du toit : plat au Complexe Victoriaville, cambré aux Complexes Artopex et Antony-Carola;

b.  La hauteur des fermes maîtresses : uniforme au Complexe Victoriaville, variable aux Complexes Artopex et Antony-Carola;

c.  Le volume et l’apparence de l’espace libre à l’intérieur de la structure : ils sont beaucoup plus grands au Complexe Victoriaville;

d.  La conception de la structure du Complexe Antony Carola : les plans sont aussi signés par une autre firme d’ingénieurs, CIMA+;

e.  Les forces des membrures des fermes maîtresses : elles ne sont pas indiquées sur les plans de la structure du Complexe Artopex;

f.  Les types de fermes maîtresses : un seul au Complexe Victoriaville, trois au Complexe Artopex; et

g.  La capacité portante de charge de neige : celle des structures des Complexes Antony-Carola et Artopex est trop faible par rapport à celle du Complexe Victoriaville;

(Pièce D-7, Rapport Kadanoff, aux p. 10-11)

[186]  M. Egli, l’expert de la CSBF et Construction Gagné, s’est pour sa part livré à une analyse encore plus fine des quatre complexes examinés par M. Kadanoff. Il a d’abord comparé les bâtiments eux-mêmes, leurs hauteurs intérieure et extérieure respectives, leur longueur et profondeur, et les charges dont il fallait tenir compte dans la conception de chaque bâtiment (Pièce D-9, Rapport Egli, aux pp 18-19). Il s’est ensuite employé à mesurer, dans les plus fins détails, les cinq composantes des structures en cause, qu’il considère être, comme je l’ai déjà mentionné, des structures en profilé de poutres et ossature d’acier (« steel beam-and-purlin systems »), soit le tablier métallique qui recouvre la structure (« steel deck »), les poutres (« beams »), l’ossature secondaire (« purlins »), les colonnes (« columns ») et les contreventements (« cross-bracing »).

[187]  Je reproduis ici les cinq tableaux du rapport de M. Egli consignant ces données:

8.2.  Tabliers métalliques

8.3  Ossatures secondaires

8.4.  Poutres

8.5.  Colonnes

8.6.  Contreventements

[188]  Je reproduis également le graphique produit par M. Egli, illustrant les différences dans la configuration des fermes maîtresses de chaque structure (pièce D-9, p. 23) :

[189]  Comme je l’ai mentionné plus tôt, ces mesures ne sont pas contredites ni même contestées, et elles font dire à MM. Kadanoff et Egli que les plans de la structure du Complexe Victoriaville ne reproduisent pas la totalité ou encore une part importante des plans des Complexes Antony-Carola et Artopex et du hangar d’Air Inuit, pas plus que la structure elle‑même ne reproduit la totalité ou encore une part importante des structures de ces trois bâtiments.

[190]  Ce regard, pointu, sur les structures en cause, notamment celles du Complexe Victoriaville, que l’on dit être l’œuvre contrefactrice, et du Complexe Artopex, que l’on dit être l’œuvre contrefaite, lequel fait ressortir une série de différences entre ces structures, doit-il prévaloir sur celui, davantage porté sur l’esthétisme de la structure, de M. Siegel? J’estime que non.

[191]  Encore une fois, les différences entre les deux structures en cause, lesquelles sont d’abord et avant tout liées aux dimensions fines et exactes et au raccordement des éléments composant chaque structure, sont indéniables. Toutefois, comme on l’a vu, l’analyse ne doit pas s’arrêter là puisqu’il me faut aussi, et surtout, m’attarder à examiner l’effet cumulatif des caractéristiques de la structure du Complexe Artopex qui ont été reprises dans la structure du Complexe Victoriaville et me demander si les caractéristiques ainsi reproduites constituent une partie importante de cette œuvre (Cinar CSC, aux paras 36 et 39).

[192]  À cet égard, il ne fait aucun doute que la structure du Complexe Victoriaville reproduit le choix et l’agencement des fermes maîtresses, des membrures secondaires et des colonnes périphériques doubles supportant les fermes maîtresses que l’on retrouve au Complexe Artopex et, donc, qu’elle en reproduit la facture esthétique distinctive. L’impact visuel de l’intérieur des deux structures est essentiellement le même. Encore une fois, une image vaut mille mots :

Complexe Artopex

Complexe Victoriaville

Fig. 32 – Vue d’ensemble du Complexe Artopex avec comparaison des éléments de structure similaires (Infographie ABCP)

Fig. 33 – Vue d’ensemble du Complexe Victoriaville avec comparaison des éléments de structure similaires (Infographie ABCP)

[193]  D’ailleurs, M. Kadanoff, a reconnu qu’il s’est intéressé davantage aux plans qu’aux photographies des deux structures en cause en raison de la nature de son mandat :

[traduction]

  M. GUAY : D’accord. D’après ce que j’ai compris, vous étiez davantage – votre attention était plus axée sur les plans que sur les photographies elles-mêmes lorsque vous avez fait la comparaison.

  M. KADANOFF : Oui, parce que, comme vous pouvez le constater d’après mon rapport, je les examine d’après mon expérience en tant qu’ingénieur en structures, et j’examinais ces aspects de la construction, la structure.

  M. GUAY : Et comme vous l’avez dit ce matin, en utilisant – si je peux répéter, je crois que vous avez utilisé ces mots, vous avez dit utilisant votre point de vue en génie.

  M. KADANOFF : Oui.

(Transcriptions, vol. 5, à la p. 80)

[194]  Comme je l’ai évoqué plus tôt, M. Kadanoff a aussi admis, bien candidement, que si une personne se rendait à l’intérieur de l’une ou l’autre de ces structures, elle aurait l’impression que ce qu’elle voit est similaire :

[traduction]

  M. GUAY : Donc, sur le plan conceptuel, ou, je suis désolé, sur le plan architectural, laissant de côté le point de vue en génie et acceptant le fait que les dimensions sont différentes, que les matériaux pourraient être différents, si j’examine ces éléments depuis une certaine distance, pas moi, Norman Kadanoff, mais moi, François Guay, qui n’est pas un expert comme vous, je constate quatre similitudes. Pas des identités, mais je vois quatre similitudes entre les principaux éléments de l’œuvre architecturale de Granby et celle de Victoriaville.

  Êtes-vous d’accord avec moi?

  M. KADANOFF : Eh bien, certes, il y a des similitudes, mais l’ensemble des – chacune des similitudes sont – ont leurs particularités.

  M. GUAY : Je comprends. Cependant, sur le plan architectural, notamment à une certaine distance, si j’entrais dans ces deux immeubles, je sais que les structures ne seront pas identiques. Je sais que les calculs ne seront pas identiques, plus particulièrement après avoir lu votre rapport. J’ai désormais plus de connaissances, mais seulement en regardant ce que je vois sur le plan artistique dans une certaine mesure, je verrai quatre similitudes entre les principaux éléments.

  M. KADANOFF : Je serais d’accord pour dire que quiconque – si une personne qui entre dans un immeuble ou dans l’autre, elle aurait l’impression que ce qu’elle voit est similaire.

  […]

  M. KADANOFF : Eh bien, les éléments structurels ne sont pas exactement les mêmes.

  M. GUAY : Mais, je les perçois de la même façon?

  M. KADANOFF : À partir de la face intérieure de la ferme jusqu’au bas, oui. À partir du haut de la ferme -- -

  M. GUAY : Je ne suis pas un ingénieur. Je suis seulement le client.

  M. KADANOFF : Oui, mais je vous que c’est – il existe une différence – une différence majeure dans les deux systèmes de structure. En tant que ferme, il s’agit d’une ferme, mais en tant que structure, elle a une forme différente, une conception différente, et les différents éléments et la façon dont ils sont liés entre eux sont différents. Et même si nous les appelons fermes Gerber, elles ont des fonctions multiples dans le projet de Granby, mais pas les mêmes dans celui de Victoriaville, mais il est question de pièces qui sont essentielles à tout immeuble. Il ne s’agit pas nécessairement d’un complexe pour le soccer.

  Donc, la personne moyenne qui entre dans cet immeuble, elle verra – vous savez, lorsqu’elle entre dans un immeuble, puis dans l’autre, il est possible qu’elle ne se souvienne pas dans lequel elle est entrée en premier.

  M. GUAY : C’est exactement le point.

(Transcriptions, vol. 5, aux pp 93-94 et 100-101)

[Je souligne]

[195]  Cela corrobore la preuve de M. Siegel voulant que l’impact visuel pour les usagers et utilisateurs des deux structures en cause, qui ne portent pas nécessairement attention aux fins détails architecturaux et structuraux, est essentiellement le même. On a voulu que la structure du Concept Lainco soit apparente et on a voulu, à cette fin, qu’elle projette une facture esthétique distinctive. C’est là le cœur du Concept Lainco généralement et tel qu’adapté au Complexe Artopex. En cela, je n’ai aucune hésitation à conclure que la structure du Complexe Victoriaville, par le choix et l’agencement des fermes maîtresses, des membrures secondaires et des colonnes périphériques qu’on y retrouve, reproduit une partie importante de l’œuvre architecturale qu’est la structure du Complexe Artopex. Ce choix et cet agencement, je le rappelle, s’avèrent le fruit de l’exercice du talent et du jugement des concepteurs du Concept Lainco. L’emprunt est patent. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, aucune des structures de complexes sportifs réalisées ailleurs au Québec et au Canada par des compagnies autres que Lainco, et réalisées aux États-Unis, que l’on peut voir des photographies mises en preuve au procès, ne ressemble de près ou de loin aux Complexes Artopex et Victoriaville.

[196]  Les différences dans le fin détail de la composition et de la configuration des éléments de chaque structure observées par MM. Kadanoff et Egli n’y changent rien à mon avis. Je rappelle qu’il pourra y avoir contrefaçon même si certaines des caractéristiques reproduites ont été modifiées ou encore intégrées dans une œuvre considérablement différente de celle que l’on estime avoir été contrefaite (Cinar CSC, au para 39). En effet, il importe peu que le contrefacteur ait ajouté des éléments à l’œuvre contrefaite puisque ce qui compte ultimement, c’est qu’il n’ait pas repris dans son œuvre une partie importante de l’œuvre contrefaite (Cinar CSQ, au para 668).

[197]  À cet égard, je note que dans l’affaire Cinar, il existait des « différences notables » entre les deux œuvres (Cinar CSC, au para 9). D’ailleurs, l’une d’elles, celle de M. Robinson, était à l’état de projet et toujours en cours d’élaboration alors que l’autre, l’œuvre contrefactrice, était un produit fini (Cinar CSC, au para 54). Devant la Cour supérieure, M. Robinson avait reconnu que l’œuvre contrefactrice ne reprenait pas son histoire mais plutôt des personnages principaux de son histoire, leur caractère et certains dessins (Cinar CSQ, au para 502). Dans Netupsky, les plans contrefaits avaient été modifiés de façon importante par la défenderesse et malgré cela, on a conclu à la violation du droit d’auteur (Netupsky, à la p. 216).

[198]  Ici, les différences découlent surtout des conditions locales, lesquelles vont nécessairement affecter le dimensionnement et la conception des éléments structurels d’un bâtiment de manière à ce qu’il puisse résister aux charges habituelles que sont les conditions de sol, les conditions sismiques, les forces de vent et l’accumulation de neige (Rapport Kadanoff, aux pp 4-5; Transcriptions, vol 1, à la p. 186 (Lachapelle); vol. 2, aux pp 143-144 (Siegel); vol. 3, à la p. 71 (Viens); vol. 6, à la p. 13 (Egli)). Elles découlent aussi ici en grande partie de la forme du toit – plate au Complexe Victoriaville et cambrée au Complexe Artopex – laquelle, dans tous les cas, va dicter ce que sera le reste de la structure quant à la forme des fermes maîtresses, la dimension de l‘enveloppe du bâtiment, et la hauteur des colonnes (Transcriptions, vol. 1, à la p. 156 (Lachapelle); vol. 5, aux pp 33-34, 42 (Kadanoff)).

[199]  À ce dernier égard, même si les toits sont de forme différente, cela n’a pas empêché M. Kadanoff de dire, comme on l’a vu, qu’un utilisateur des deux structures en cause ne saurait les différencier. Cela rejoint l’avis de M. Siegel pour qui cette nuance a peu d’impact sur l’aspect esthétique et l’impact visuel de la structure dans son ensemble (Pièce P-3, Rapport Siegel, aux paras 76-77). M. Kadanoff n’a pas dit non plus que le fait que le Complexe Artopex compte trois types de fermes maîtresses et le Complexe Victoriaville, un seul, y changeait quoi que ce soit sur le plan visuel.

[200]  En ce sens, je ne vois pas de raison d’écarter l’opinion de MM. Siegel et Kadanoff sur la question de l’impact visuel des structures en cause, laquelle est évaluée du point de vue de l’utilisateur, au profit de celle de M. Egli. Même si le point de vue de l’expert doit être pris en compte aux fins de déterminer si une partie importante d’une œuvre a été reproduite, celui de l’utilisateur ou du « profane faisant partie de l’auditoire visé par les œuvres en question » demeure utile puisqu’il « présente un avantage, soit celui que l’analyse des similitudes demeure concrète et fondée sur les œuvres elles-mêmes plutôt que sur des théories ésotériques à propos des œuvres » (Cinar CSC, au para 51). Ici, il n’y a pas lieu, à mon avis, de ne pas tenir compte du point de vue de l’utilisateur, tel qu’étayé par M. Siegel.

[201]  Je note à cet égard que dans Cinar CSC, la Cour suprême a jugé que le point de vue de l’expert était nécessaire pour trois raisons. D’abord, l’auditoire visé par les œuvres en cause en était un de jeunes enfants, ce qui limitait indûment, selon la Cour, la capacité du juge des faits de répondre à la question de l’importance de la reproduction de l’œuvre contrefaite du simple point de vue du profane (Cinar CSC, au para 53). Ensuite, la nature des œuvres en cause rendait la comparaison difficile puisque dans un cas, l’œuvre était encore à l’état de projet, en pleine élaboration, et dans l’autre, un produit fini qui avait été diffusé à la télévision (Cinar CSC, au para 54). Enfin, la présence d’un expert était nécessaire, de l’avis de Cour, parce que les œuvres en question partageaient des similitudes « perceptibles » et « latentes » ou « intelligibles ». Les premières pouvaient être directement observées tandis que les secondes – l’ambiance, la dynamique, les motifs et la structure de l’œuvre – n’influaient qu’indirectement sur l’expérience vécue par le spectateur de l’œuvre et exigeaient dès lors le point de vue de l’expert pour permettre au juge des faits de les distiller et de les comparer (Cinar CSC, au para 55).

[202]  Nous ne faisons pas face ici, à l’évidence, au même genre de difficultés qui justifierait que l’on écarte le point de vue de l’utilisateur.

[203]  J’en conclus donc que la structure du Complexe Victoriaville reproduit une partie importante de celle du Complexe Artopex et qu’en conséquence, le Concept Lainco, tel qu’adapté au Complexe Artopex, est présumé avoir été contrefait. Pour repousser cette présomption, les défenderesses doivent établir que la structure du Complexe Victoriaville, même si elle reproduit une partie importante de celle du Complexe Artopex, est le fruit d’une création indépendante.

c)  La structure du Complexe Victoriaville est-elle le fruit d’une création indépendante?

[204]  Pluritec soutient avoir consacré de nombreuses heures à la conception de la structure du Complexe Victoriaville. Trois de ses employés y auraient consacré plus de 100 heures entre le 18 avril et le 19 mai 2012, bien qu’il faille rappeler que M. Viens a passé une bonne partie de son temps à ce moment, à vouloir développer un concept de structure dont la CSBF ne voulait pas, soit un système traditionnel de poutrelles répétitives. Elle ajoute que même si on pouvait dire que la structure du Complexe Artopex lui a servi d’inspiration, cela ne s’est certes pas traduit par une réduction du temps et des efforts qu’elle a investis dans la conception de la structure du Complexe Victoriaville. Cette structure est le fruit, rappelle-t-elle, de « recherches », « analyses », « modélisations informatiques », « calculs » et « dessins » (Pièce TX-175).

[205]  Pluritec soumet donc que la structure du Complexe Victoriaville se qualifie au titre de création indépendante. Je ne suis pas d’accord. Comme le fait valoir Lainco, le simple fait d’avoir dû faire un certain exercice de talent et de jugement pour produire l’œuvre contrefactrice n’est pas pertinent. Dans l’affaire Cie Générale des Établissements Michelin-Michelin & Cie c C.A.W.-Canada et al. (1996), [1997] 2 CF 306, 71 CPR (3d) 348 (CF 1re inst) [Michelin], l’on reprochait au défendeur, un syndicat cherchant à devenir l’agent négociateur d’employés d’usines Michelin situées au Canada, d’avoir violé le droit d’auteur de la demanderesse en reproduisant dans les pamphlets de sa campagne de recrutement, le célèbre Monsieur Michelin (ou Bibendum).

[206]  Le défendeur dans cette affaire prétendait qu’il pouvait y avoir à la fois reproduction importante de l’œuvre et non-violation du droit d’auteur pourvu qu’il y ait un effort intellectuel suffisant. Cette Cour a rejeté l’argument en ces termes;

Deuxièmement, durant les plaidoiries orales, les défendeurs ont mal caractérisé le critère approprié pour la contrefaçon en tirant de Joy Music la conclusion qu'il peut y avoir à la fois reproduction d'une partie importante et absence de contrefaçon pour autant qu'il y ait un effort intellectuel suffisant.

[…]

Par conséquent, le véritable critère de la contrefaçon consiste à se demander si l'acte reproché est un acte que seul le titulaire du droit d'auteur a la faculté d'exécuter en vertu du paragraphe 27(1), y compris la reproduction de l'original ou d'une partie importante de l'œuvre. La présence d'un certain effort intellectuel ne suffit pas à éclipser le fait qu'il y a eu reproduction d'une partie importante d'une œuvre. Les personnes qui adaptent des romans pour le théâtre (comédie musicale) ou pour le cinéma appliquent aussi leur esprit, mais s'il y a reproduction d'une partie importante de l'original, il y a tout de même contrefaçon si le consentement du titulaire du droit d'auteur n'a pas été obtenu. Pour échapper à l'accusation de contrefaçon, le « Bibendum » des défendeurs doit représenter une œuvre entièrement nouvelle, un [traduction] « résultat original », pour reprendre les paroles du juge McNair dans Joy Music. En effet, il importe peu que les défendeurs aient appliqué leur esprit et fait preuve d'originalité s'il y a néanmoins reproduction d'une partie importante de l'original. De toute façon, j'estime tout à fait dénué de fondement l'argument des défendeurs que le « Bibendum » sur leurs affiches et dans leurs prospectus attestait un effort intellectuel et une originalité suffisants pour constituer un résultat entièrement nouveau. Il est vrai que les défendeurs TCA n'ont pas simplement photocopié un « Bibendum » Michelin existant et accolé le « Bibendum »identique de la société aux documents utilisés dans leur campagne. L'avocat des défendeurs a mis en évidence les différences apparentes entre le « Bibendum » montré dans les prospectus et sur les affiches, et l'original protégé, notamment le sourire distinctif, l'éclat particulier des yeux, le pied levé, les bottes surdimensionnées, les travailleurs placés sous la botte menaçante et le dialogue dans les bulles. Malgré toutes ces distinctions subtiles, ainsi que la finesse de la critique et l'analyse rigoureuse de l'avocat, je ne peux pas conclure à l'existence dans le "Bibendum" du syndicat d'un effort intellectuel et d'une idée indépendante suffisants pour constituer une œuvre entièrement nouvelle.

(Michelin, aux pp 375-376)

[207]  En d’autres termes, le fait que Pluritec ait pu déployer talent et jugement dans la conception de la structure du Complexe Victoriaville n’avance pas sa cause si, utilement, ladite structure reproduit une partie importante de celle du Complexe Artopex. J’ai déjà conclu que c’était le cas. On peut très bien imaginer le talent, le jugement et les moyens déployés par les contrefacteurs de l’œuvre de M. Robinson, dans Cinar, pour créer l’œuvre contrefactrice, laquelle comportait des différences notables avec l’œuvre de M. Robinson et constituait un projet fini, déjà diffusé sur les écrans de télévision.

[208]   Ici, c’est l’attrait même de la structure du Complexe Artopex et ce qui la distingue des autres, qui a été reproduite par Pluritec. Je ne dis pas que la conception de la structure du Complexe Victoriaville n’a pas requis d’efforts de la part de Pluritec dans la mesure où il fallait bien concevoir ses différents éléments structuraux en fonction des charges et autres conditions et contraintes locales. Il fallait aussi la concevoir en fonction d’un toit plat et assurer, sur la base de l’ensemble de ses paramètres, sa sécurité, sa performance et sa durabilité. Tout cela exigeait sans doute des recherches, des analyses, des modélisations informatiques, des calculs et des dessins mais cela portait d’abord et avant tout sur les aspects utilitaires ou fonctionnels de la structure du futur Complexe. C’est en ce sens, je crois, que M. Kadanoff, dans son rapport, écrit que « le concept d’un bâtiment est unique en soi » (Pièce D-7, Rapport Kadanoff, à la p. 5).

[209]  Toutefois, on ne peut en dire autant du choix et de l’agencement des principaux éléments qui allaient former la structure du futur Complexe, soit les fermes maîtresses, les membrures secondaires et les colonnes doubles en périphérie du bâtiment. Comme j’en ai fait état en traitant de la question de l’accès à l’œuvre, il a semblé acquis dès le départ que le futur Complexe de Victoriaville serait doté d’une « superstructure en acier permettant de grandes portées et libérant l’espace de jeu en hauteur (2 poutres par terrains ayant 35 pi libre dessous les poutres et 50 pi libres dessous les poutrelles) » (TX-127), c’est-à-dire, photos en appui, de « fermes maîtresses tels que construit à Granby » (TX-229 et TX-160), conformément aux vœux de M. Gagnon de la CSBF (Transcriptions, vol. 4, aux pp 37-38). On n’a jamais semblé vouloir déroger à ce plan, tel qu’en font foi, comme nous l’avons vu, les rapports des réunions de coordination des 30 avril et 7 mai 2012.

[210]  En d’autres termes, il ressort de l’ensemble de la preuve que malgré ce qu’a pu en dire M. Viens, on n’a jamais considéré sérieusement une autre option que celle d’une structure avec « fermes maîtresses, tel que construit à Granby » et on n’a jamais sérieusement considéré cette option avant la visite du Complexe Artopex à peine trois semaines avant que le projet du futur Complexe Victoriaville ne soit formellement et résolument mis en marche.

[211]  Pluritec plaide qu’il n’y a rien d’irrégulier en droit d’auteur à s’inspirer d’œuvres existantes. En soi, c’est exact sauf que quand on a eu accès à l’œuvre contrefaite peu de temps avant que ne s’amorce la conception de l’œuvre contrefactrice et que le client exprime des préférences pour ce qui est de toute évidence un élément important de l’œuvre contrefaite, il faut alors redoubler de prudence pour éviter la reproduction de la totalité ou d’une partie importante de cette dernière. Comme Gilker le mentionne, je le rappelle, la quasi-nécessité, pour l’architecte, de répondre aux exigences esthétiques de ses clients, souvent fondées sur l’attrait d’œuvres architecturales préexistantes, le place souvent « dans l’obligation de rencontrer les vœux de son client, actuel ou potentiel, tout en prenant garde d’éviter, en ce faisant, non seulement de reproduire de façon exacte l’œuvre d’un tiers mais aussi de s’aventurer trop près de la reproduction substantielle ou de l’imitation déguisées d’une telle œuvre » (Gilker, à la p. 28). En cela, il navigue en « eaux troubles » (Gilker, à la p. 30).

[212]  Encore une fois, je ne vois aucune raison pour que cette règle de prudence ne s’applique pas aussi à l’ingénieur, particulièrement lorsque les exigences de son client sont aussi d’ordre esthétique. Ici, c’est l’attrait, le « look » de la structure du Complexe Artopex qui a été reproduit. On peut peut-être s’inspirer d’une œuvre préexistante mais on ne peut, ce faisant, en reproduire une partie importante sans l’autorisation de son auteur.

[213]  Je conviens que dans le domaine de la conception d’œuvres architecturales, la ligne peut être mince entre ce qui constitue une contrefaçon et ce qui n’est pas défendu par le droit d’auteur en raison des contraintes physiques, économiques et légales identifiées par Gilker, lesquelles peuvent restreindre de façon sensible la latitude laissée aux concepteurs et ainsi engendrer des répétitions de styles, de formes ou de dimensions avec des œuvres préexistantes (Gilker, à la p. 27). Toutefois, ici, cette ligne, à mon avis, a été franchie.

[214]  J’en arrive donc à la conclusion que la présomption que le Concept Lainco, tel qu’adapté au Complexe Artopex, a été contrefait n’a pas été repoussée.

[215]  La Loi protégeant le titulaire du droit d’auteur contre la reproduction, sous une forme matérielle quelconque, de la totalité ou d’une partie importante de son œuvre, je suis aussi d’avis que la contrefaçon de la structure elle-même du Complexe Artopex emporte, par ricochet, celle des plans dudit Complexe. En d’autres mots, l’œuvre contrefactrice peut prendre une forme matérielle autre que celle de l’œuvre contrefaite. Ainsi, des plans peuvent être contrefaits indirectement par la reproduction d’un objet tridimensionnel réalisé à partir de ceux-ci, et vice versa (Théberge, aux para 47 et 73; King Features Syndicate, Incorporated v O. and M. Kleenan, Limited, [1940] Ch. 523 aux p. 531-532, confirmé par [1941] A.C. 417 (H.L.); Bayliner Marine Corp. v Doral Boats Ltd (1985), 5 CPR (3d) 289 (CF), aux p. 305-306; renversée en appel pour d’autres motifs, (1986) 10 C.P.R. (3d) 289 (CAF); Fox, aux p. 21-19 à 21-22).

[216]  Maintenant, la contrefaçon est-elle, ici, l’affaire de toutes les défenderesses?

d)  Toutes et chacune des défenderesses sont-elles imputables de la contrefaçon du Concept Lainco, tel qu’adapté au Complexe Artopex?

[217]  Je rappelle que le droit d’auteur sur une œuvre confère à son titulaire le droit exclusif de produire ou reproduire, sous une forme matérielle quelconque, la totalité ou une partie importante de l’œuvre. Il lui confère aussi le droit, exclusif également, d’autoriser ces actes. Il y a violation du droit d’auteur, comme on vient de le voir, lorsque, sans son consentement, est accompli un acte que seul le titulaire de ce droit a, aux termes de la Loi, la faculté d’accomplir.

[218]  La Cour suprême, dans CCH, précise sur ce qu’il faut entendre par le terme « autorisé » :

« Autoriser » signifie « sanctionner, appuyer ou soutenir » (« sanction, approve and countenance ») : Muzak Corp. c. Composers, Authors and Publishers Association of Canada, Ltd., [1953] 2 R.C.S. 182, p. 193; De Tervagne c. Belœil (Ville), [1993] 3 C.F. 227 (1re inst.). Lorsqu’il s’agit de déterminer si une violation du droit d’auteur a été autorisée, il faut attribuer au terme « countenance » son sens le plus fort mentionné dans le dictionnaire, soit [traduction] « approuver, sanctionner, permettre, favoriser, encourager » : voir The New Shorter Oxford English Dictionary (1993), vol. 1, p. 526. L’autorisation est néanmoins une question de fait qui dépend de la situation propre à chaque espèce et peut s’inférer d’agissements qui ne sont pas des actes directs et positifs, et notamment d’un degré suffisamment élevé d’indifférence : CBS Inc. c. Ames Records & Tapes Ltd., [1981] 2 All E.R. 812 (Ch. D.), p. 823-824. Toutefois, ce n’est pas autoriser la violation du droit d’auteur que de permettre la simple utilisation d’un appareil susceptible d’être utilisé à cette fin. Les tribunaux doivent présumer que celui qui autorise une activité ne l’autorise que dans les limites de la légalité : Muzak, précité. Cette présomption peut être réfutée par la preuve qu’il existait une certaine relation ou un certain degré de contrôle entre l’auteur allégué de l’autorisation et les personnes qui ont violé le droit d’auteur : Muzak, précité; De Tervagne, précité. Voir également J. S. McKeown, Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs (4e éd. (feuilles mobiles)), p. 21-104, et P. D. Hitchcock, « Home Copying and Authorization » (1983), 67 C.P.R. (2d) 17, p. 29-33.

[CCH, au para 38)

[219]  Par ailleurs, l’acte de reproduire la totalité ou une partie importante d’une œuvre et celui d’autoriser cette reproduction, sans autorisation du titulaire du droit d’auteur, sont des délits distincts en matière de droit d’auteur « rendant chaque délinquant responsable envers le titulaire du droit d’auteur, indépendamment des actes et responsabilités de l’autre délinquant » (Compo, à la p. 373). Et comme on vient tout juste de le voir, la reproduction non-autorisée d’une œuvre bidimensionnelle, comme des plans, sous une forme tridimensionnelle, comme un bâtiment, constitue un acte de contrefaçon. Le contraire est aussi vrai.

[220]  Lainco impute aux défenderesses les actes de violation du droit d’auteur suivants.

[221]  Eu égard à Pluritec, elle lui reproche d’avoir reproduit une partie importante de la structure du Complexe Artopex (œuvre architecturale) sous forme de plans de structures préliminaires à 30% (Pièce TX-216), de plans pour soumission (Pièce TX-40) et le plans pour construction (Pièce TX-220). Elle lui reproche aussi d’avoir autorisé la reproduction, par Construction Gagné, d’une partie importante de la structure du Complexe Artopex en sanctionnant et permettant la construction du Complexe Victoriaville et en supervisant les travaux pour en assurer la conformité avec les plans de structure.

[222]  Quant à Lemay Côté, Lainco lui reproche d’avoir reproduit une partie importante de la structure du Complexe Artopex sous forme d’une perspective intérieure du Complexe Victoriaville (Pièce TX-248) et sous forme de plans d’architecture (Pièce TX-140 et TX-264) réalisés à partir des plans de structures contrefacteurs de Pluritec. Selon Lainco, Lemay Côté aurait aussi autorisé la reproduction, par Construction Gagné, d’une partie importante de la structure du Complexe Artopex en sanctionnant et permettant la construction du Complexe Victoriaville.

[223]  Construction Gagné, selon Lainco, aurait, pour sa part, reproduit, sans son autorisation, une partie importante de la structure du Complexe Artopex sous forme du Complexe Victoriaville.

[224]  Enfin, Lainco reproche à la CSBF d’avoir autorisé l’ensemble de ces actes en les approuvant, sanctionnant, permettant et encourageant, notamment en donnant des instructions spécifiques sur le type de structure à concevoir et fabriquer.

[225]  Lainco rappelle que la CSBF, Pluritec et Construction Gagné ont été informées de sa revendication de droit d’auteur avant l’octroi du contrat de construction du Complexe Victoriaville, la confection des plans pour construction et la construction elle-même.

[226]  Il ne fait aucun doute dans mon esprit que Pluritec est imputable de la contrefaçon des droits d’auteur de Lainco pour avoir, sans l’autorisation de celle-ci, reproduit, sous formes de plans de structure, une partie importante de la structure du Complexe Artopex et pour avoir sanctionner et permis la construction de la structure du Complexe Victoriaville et en avoir superviser les travaux de manière à en assurer la conformité aux dits plans.

[227]  J’estime aussi que Construction Gagné est imputable de la contrefaçon des droits d’auteur de Lainco pour avoir, sans l’autorisation de celle-ci, reproduit une partie importante de la structure du Complexe Artopex sous forme du Complexe Victoriaville. Construction Gagné plaide n’avoir été aucunement impliquée dans la préparation des plans de structure dudit Complexe ou encore dans celle de l’élaboration de l’appel d’offres. Elle plaide aussi avoir été bien fondé, en fait et en droit, de se fier aux instructions de la CSBF d’analyser les soumissions de sous-traitants en structure comme à l’habitude et de faire affaire avec le soumissionnaire de son choix.

[228]  Il n’en demeure pas moins que Construction Gagné a, dans les faits, reproduit une partie importante de la structure du Complexe Artopex sous forme du Complexe Victoriaville. Construction Gagné ne peut s’en défendre en plaidant ce qui revient à invoquer l’absence d’intention, d’autant plus qu’elle était au courant des récriminations de Lainco (Fox, à la p. 21-5). Suivant Compo, la contrefaçon « consiste simplement en l’exécution d’un acte que seul le ‘titulaire [du droit d’auteur] a la faculté d’exercer’ » (Compo, à la p. 375).

[229]  En d’autres mots, seule Lainco pouvait reproduire une partie importante de la structure du Complexe Artopex sous forme du Complexe Victoriaville ou encore autoriser un tiers à le faire. Comme elle n’y a pas été autorisée par Lainco, Construction Gagné ne pouvait, même si elle n’avait aucune intention de violer les droits d’auteur de cette dernière, reproduire, par ses travaux, une partie importante de la structure du Complexe Artopex sous la forme du Complexe Victoriaville. En le faisant, elle a commis un acte de contrefaçon.

[230]  La CSBF est aussi imputable de la contrefaçon du droit d’auteur de Lainco puisqu’en sa qualité de propriétaire et donneur d’ouvrage, elle a autorisé les actes de contrefaçon commis par Pluritec et Construction Gagné. Son imputabilité est d’autant plus claire qu’elle a donné des instructions spécifiques, comme le souligne Lainco, sur le type de structure à concevoir, fabriquer et installer, lequel reproduisait une partie importante de la structure du Complexe Artopex.

[231]  Reste le cas de Lemay Côté. Celle-ci rappelle qu’elle n’est pas l’auteur des plans de structure du Complexe Victoriaville, pas plus qu’elle a été impliquée dans la conception et la réalisation de ceux-ci. Elle précise que si son nom et logo apparaissent dans la cartouche des plans de structure de Pluritec, c’est strictement à titre strictement informatif et qu’on se saurait, par conséquent, en inférer quelque participation de sa part à la rédaction desdits plans. Elle poursuit en disant que les plans d’architecture préparés par Lemay Côté pour le Complexe Victoriaville ne reproduisent ni la totalité ni une partie importante des plans du Concept Lainco. Ces plans, selon elle, sont distincts et autonomes des plans de structure préparés par Pluritec. En fait, dit-elle, les plans d’architecture préliminaires préparés par Lemay Côté pour ce projet ne comportent aucune reproduction d’une quelconque partie des plans du Concept Lainco alors que les plans pour soumission et ceux pour construction ne reproduisent ni en totalité ni de façon importante les plans dudit Concept.

[232]  La seule partie des plans préparés par Pluritec reproduite dans les plans d’architecture serait une coupe transversale destinée à reproduire l’information apparaissant aux plans de structure, le tout, selon l’expert de Lemay Côté, l’architecte Jacques Côté, conformément à une pratique essentielle et courante lors de la préparation des plans pour un bâtiment destinée à faciliter la bonne compréhension desdits plans par l’ensemble des parties impliquées (Pièce D-13, Rapport Côté, à la p. 4; Transcriptions, vol. 7, à la p. 20 (Jacques Côté)). Lemay Côté soutient que cette représentation des plans de la structure du futur complexe ne révèle aucun des éléments du Concept Lainco.

[233]  Quant à la perspective intérieure du futur Complexe Victoriaville qu’elle a préparée pour les fins de la demande de subvention, Lemay Côté estime, dans la mesure où je devais en venir à la conclusion qu’elle reproduit une partie importance de la structure du Complexe Artopex, qu’elle tombe sous l’exception prévue au paragraphe 32.2(b)(i) de la Loi. Cette disposition prévoit, notamment, que la reproduction dans un dessin d’une œuvre architecturale ne constitue pas une violation du droit d’auteur si ce dessin n’a pas le caractère de dessins ou plans architecturaux. Ici, plaide-t-elle, ladite perspective n’a pas le caractère d’un dessin ou d’un plan architectural.

[234]  Finalement, Lemay Côté soutient qu’elle ne peut être considérée comme ayant autorisé la reproduction de la totalité ou d’une partie importante des plans du Concept Lainco. Elle plaide qu’elle n’exerçait pas de contrôle sur le processus décisionnel de la CSBF ni sur la réalisation des plans de structure, un acte réservé à l’ingénieur, Pluritec. Elle ajoute que sa relation avec la CSBF, d’une part, et la relation entre la CSBF, Pluritec et Construction Gagné d’autre part, ne permet pas de conclure qu’elle ait pu exercer un quelconque contrôle à l’égard des décisions de la CSBF ou des co-contractants de cette dernière, Pluritec et Construction Gagné.

[235]  Elle n’a donc pu, dit-elle, permettre ou sanctionner la construction du Complexe Victoriaville et soutient que la chronologie des événements, entre le début de son implication dans le projet du futur Complexe Victoriaville, le 18 avril 2012, et le 9 mai 2012, date à laquelle Pluritec émet les plans de structure préliminaires à 30 % nécessaires à la demande d’aide financière, lui donne raison.

[236]  À mon avis, c’est ici que le bât blesse. Il y a lieu de préciser, d’entrée de jeu, que Lainco ne reproche pas à Lemay Côté d’avoir autorisé la reproduction d’une partie importante des plans du Concept Lainco. Elle lui reproche plutôt d’avoir autorisé la reproduction, par Construction Gagné, d’une partie importante de la structure du Complexe Artopex en sanctionnant et permettant la construction du Complexe Victoriaville.

[237]  Ce reproche met en cause le rôle de l’architecte. Lemay Côté prétend que bien que l’architecte soit généralement appelé à jouer un rôle de coordination, assimilé à celui d’un chef d’orchestre, cela n’est pas systématique. Elle ajoute que bien que cela ne soit pas la norme, il arrive qu’un architecte soit appelé à concevoir l’architecture d’un bâtiment en fonction d’un concept structural entièrement conçu et réalisé de façon indépendante par un ingénieur. Elle prétend que ce fût le cas en espèce.

[238]  À mon avis, Lemay Côté s’absout trop facilement de toute responsabilité. M. Siegel, dans son rapport en réplique (Pièce P-6), note que selon l’édition 2009 du Manuel canadien de pratique de l’architecture, qui s’avère selon lui, être la référence canadienne sur la pratique professionnelle de l’architecture, l’architecte est l’équivalent du « chef d’orchestre qui agit comme généraliste et intégrateur des différentes composantes d’un projet ». Il poursuit en citant cet extrait dudit Manuel :

La coordination des apports des divers ingénieurs ou autre spécialistes devient donc une partie importante de la pratique de l’architecture. L’architecte joue habituellement un rôle de leader et agit comme administrateur et coordonnateur, pour synthétiser et incorporer les services fournis par les divers spécialistes »

. . . au cours du processus de conception et de réalisation d’un projet, les architectes ont à fournir une gamme étendue de services et à déployer une vaste expertise, ce qu’ils font habituellement avec l’assistance d’ingénieurs conseils et autres spécialistes »

. . . on demande à l’architecte de comprendre, de rassembler et de coordonner toutes les disciplines du bâtiment, alors qu’habituellement l’ingénieur se spécialise dans une seule discipline »

(Rapport Siegel, réplique, au para 14)

[239]  M. Siegel conclut qu’il lui apparaît discutable de conclure, comme le fait l’expert Côté, que Lemay Côté n’a eu aucune implication dans la conception et la coordination de la réalisation de la structure du Complexe Victoriaville (Rapport Siegel, réplique, au para 16). Je suis du même avis. D’ailleurs, à moins qu’elle n’ait pas joué son rôle, qu’elle n’ait eu aucune interaction avec Construction Gagné et qu’elle n’ait exercé aucune forme de contrôle auprès de l’entrepreneur général lors de la phase de l’érection de la structure de ce Complexe, qui est l’ossature principale du bâtiment, dépasse l’entendement.

[240]  Cette situation diffère de celle de l’affaire De Tervagne c Beloeil (Town) (1993), [1993] 3 FC 227 (CF 1re inst.), sur laquelle s’appuie le procureur de Lemay Côté pour prétendre que sa cliente n’a pas pu autoriser l’acte de contrefaçon commis par Construction Gagné.  Dans cette affaire, un producteur de théâtre avait loué une salle de spectacle, propriété de la ville de Beloeil, pour y présenter une pièce de théâtre.  Les droits d’auteur sur cette pièce ne lui appartenaient pas et il n’avait pas obtenu l’autorisation du titulaire de ces droits pour produire ladite pièce à Beloeil. Le titulaire des droits d’auteur avait non seulement poursuivi ce producteur et sa compagnie de théâtre mais également la ville de Beloeil, la société de spectacles à but non lucratif de la région de Beloeil ayant servi d’entremetteur entre la ville et le producteur pour la location de la salle de spectacles et deux artistes considérés comme des employés du producteur.

[241]  La Cour a jugé que la ville et la société de spectacles, qui n’avaient fait que louer la salle de spectacles au producteur de la pièce, ne pouvait avoir autorisé la violation du droit d’auteur puisqu’elles n’exerçaient aucune forme de contrôle sur le producteur et la pièce qu’il avait présentée.  Quant aux deux artistes, la Cour s’est dite d’avis que leur responsabilité ne pouvait être engagée puisqu’ils étaient, en tout temps pertinent, sous l’autorité du producteur. La Cour a ajouté que seul le producteur avait le contrôle de la pièce qu’il avait présentée.

[242]  Je ne crois pas que nous puissions en dire autant ici dans la mesure où Lemay Côté était partie prenante, au même titre que les co-défenderesses, à la réalisation du Complexe Victoriaville. En fait, elle était la seule à pouvoir comprendre, rassembler et coordonner l’ensemble des activités reliées à la réalisation de ce projet, y compris l’érection de la structure. On ne peut donc dire, à mon avis, qu’elle n’avait aucun forme de contrôle sur le déroulement du chantier.

[243]  Lemay Côté n’a peut-être pas produit les plans de la structure du Complexe Victoriaville mais elle en était bien au fait. Elle était présente aux réunions de coordination et c’est elle qui avait même le mandat de rédiger les rapports de coordination. Elle savait pertinemment que la « superstructure désirée » s’inspirait fortement de la structure du Complexe Artopex, comme le démontre la perspective intérieure du futur Complexe Victoriaville qu’elle a préparée en mai 2012 à partir d’une des photos prises par M. Viens lors de la visite du Complexe Artopex quelques semaines auparavant (Pièce TX-248). Ses plans intégraient chacune des grandes composantes du futur bâtiment, incluant, même si c’était sous une forme schématique, les plans de structure.

[244]  En ce sens, Lemay Côté a sanctionné et permis la reproduction, par Construction Gagné, d’une partie importante de la structure du Complexe Artopex. Il y avait entre elles un rapport, une relation professionnelle, dans le cadre d’un projet de construciton, que l’on  peut ignorer. Le fait qu’elle ignorait tout des revendications de Lainco avant l’institution des présentes procédures n’avance pas sa cause puisque, comme je l’ai déjà mentionné, l’ignorance qu’un acte constitue un acte de contrefaçon ne libère pas celui qui le pose de sa responsabilité envers le titulaire du droit d’auteur (Fox, à la p. 21-5).

[245]  J’en arrive donc à la conclusion que les défenderesses ont toutes violé le droit d’auteur que Lainco détient dans le Concept Lainco, tel qu’adapté au Complexe Artopex. On ne m’a pas demandé de départager leur responsabilité respective. Je ne le ferai donc pas.

D.  Quel est le dédommagement auquel Lainco a droit du fait de la violation de son droit d’auteur par les défenderesses?

[246]  Selon le paragraphe 35(1) de la Loi, quiconque viole le droit d’auteur se rend passible de payer au titulaire du droit qui a été violé, des dommages et intérêts de même que la proportion, que le tribunal estime équitable, des profits que le contrefacteur a réalisés du fait de la violation et qui n’ont pas été pris en compte dans le calcul des dommages et intérêts.

[247]  En l’espèce, Lainco réclame des dommages et intérêts correspondant à la perte des profits que lui aurait rapportés la réalisation de la structure du Complexe Victoriaville. Comme je le mentionnais au début des présents motifs, deux experts en juricomptabilité se sont affrontés sur cette question, M. Martin Fafard, pour le compte de Lainco, et M. Alain David, pour celui des défenderesses.

[248]  Dans la mesure où la Cour ne lui accorde pas la restitution intégrale de sa perte de profits, elle réclame, en sus, une proportion équitable des profits engrangés par Pluritec, Lemay Côté et Construction Gagné en marge de la réalisation du Complexe Victoriaville. À ce dernier égard, le montant des profits bruts réalisés par Lemay Côté et Construction Gagné, respectivement, a été admis. Ce n’est pas le cas de ceux réalisés par Pluritec.

[249]  Lainco réclame enfin des dommages punitifs, mais seulement à l’encontre de la CSBF et Pluritec, ce à quoi ces deux défenderesses s’opposent farouchement. Sa réclamation à cet égard s’élève à 50 000 $.

[250]  On dit qu’il est souvent difficile d’évaluer le préjudice pécuniaire résultant d’une violation du droit d’auteur. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de méthode spécifique pour ce faire. Le tout dépendra des circonstances particulières de chaque cas. En ce domaine, la Cour dispose d’un large pouvoir discrétionnaire. Il lui est ainsi loisible, à cette fin, d’appliquer toute méthode qui lui paraît raisonnable (Leuthold c Société Radio Canada, 2012 CF 748, aux para 133 et 138; Fox, à la p. 24-71).

[251]  En l’espèce, il n’y pas de véritable débat sur la nature du préjudice pécuniaire invoqué par Lainco, soit la perte de profits liée à la réalisation du Complexe Victoriaville. Le débat porte plutôt sur le quantum de la réclamation.

[252]  Quant à la restitution des profits, « [s]a raison d’être n’est pas d’indemniser le demandeur » mais plutôt « [d’] empêcher l’enrichissement injustifié, bien qu’elle ait aussi une fonction dissuasive secondaire » (Cinar CSC, au para 86). Comme je viens de le dire, Lainco renonce à ce volet de sa réclamation si je fais droit intégralement à celle pour perte de profits.

(1)  La réclamation pour perte de profits

[253]  M. Fafard, pour le compte de Lainco, établit la perte de profits relative à la réalisation du Complexe Victoriaville à 722 996 $, avant de tenir compte des projets que Lainco a réalisés au lieu et place du projet dudit Complexe et qu’elle n’aurait pas réalisés autrement. Ce chiffre descend à 647 085 $ lorsqu’il est tenu compte de ces projets.

[254]  M. David, pour sa part, évalue la perte de profits de Lainco à 318 661 $ en tenant compte des projets que Lainco a réalisés au lieu et place du projet dudit Complexe et qu’elle n’aurait pas réalisés autrement.

[255]  Les deux experts juricomptables ont utilisé la même approche, celle de la marge de profits à coûts variables. M. Fafard la définit comme suit dans son rapport :

Plus précisément, les profits perdus des suites de la violation des droits d’auteurs correspondent à l’excédent des revenus qui auraient été générés par Lainco pour le projet du Complexe Victoriaville sur les coûts variables qui auraient été encourus pour réaliser ce projet (ci-après, la « Perte de profits). Seuls les coûts variables du projet du Complexe Victoriaville ont été retenus étant donné que les coûts fixes ont été encourus par Lainco même si la structure du Complexe Victoriaville n’a pas été réalisée.

(Pièce P-5, Rapport Fafard, à la p. 7)

[256]  Selon cette méthode, la perte de profits nette se calcule de la façon suivante :

Ventes perdues

Moins :

Coûts variables pour réaliser la structure du Complexe Victoriaville

Sous-total

Perte de profits

Moins :

Profits réalisés sur les projets qui n’auraient pas été exécutés

Total

Perte de profits, nette des projets qui n’auraient pas été exécutés

(Pièce P-5, Rapport Fafard, réplique, à la p. 8)

[257]  Entrent dans le calcul des coûts variables les coûts de matières premières et de fournitures de fabrication, la main-d’œuvre directe, la sous-traitance (peinture blanche, tablier métallique, érection de la structure, transport et gestion de projet), l’électricité, la réparation et l’entretien d’équipement, les fournitures d’usine, et les dépenses d’amortissement de l’équipement d’usine (Pièce P-5, Rapport Fafard en réplique, à la p. 10).

[258]  Il y a trois points de divergences dans les calculs faits par MM. Fafard et David : le montant des ventes perdues, les coûts de la main-d’œuvre directe et les profits réalisés sur les projets qui n’auraient pas été exécutés. Sur tous les autres postes de dépenses, les deux experts arrivent sensiblement aux mêmes chiffres.

[259]  Le tableau suivant, tiré du rapport mémoire en réplique de M. Fafard, résume les calculs des deux experts :

 

 

[260]  Comme on peut le voir, l’écart le plus significatif, et de loin, se situe au niveau du montant des ventes perdues. M. Fafard le situe à 1 650 000 $, qui est le montant proposé par Lainco, le 14 février 2013 (Pièce TX-45), pour réaliser, avec toiture plate, la structure du Complexe Victoriaville. M. David le situe, pour sa part, à 1 395 000 $, qui est le montant du contrat consenti à Acier Solider par Construction Gagné pour l’érection de la structure dudit Complexe. L’écart est de 255 000 $.

[261]  Pour M. David, ce choix permettait une « comparaison équitable » (Pièce D-5, Rapport David, p. 9, au para 37). Lors de son témoignage, il s’est dit d’avis que dans un processus à compétition vive, régi par surcroit par les règles d’appel d’offres des contrats publics, Lainco n’aurait jamais eu le contrat pour la structure du Complexe Victoriaville au prix proposé de 1 650 000$, bien qu’il ait dit ignorer, en contre-interrogatoire, que les choix des sous-traitants en structure d’acier pour la région de Victoriaville n’était pas soumis auxdites règles à l’époque où le projet du Complexe Victoriaville a été réalisé (Transcriptions, Huis clos, vol. 4, aux p. 40 à 44, 57, et 114; voir aussi : Pièce P-8, Interrogatoire après défense, M. Gagnon (CSBF); Transcriptions, vol. 4, à la p. 45 (Viens)).

[262]  M. Fafard a motivé son choix en posant comme hypothèse que Lainco, en raison de ses droits d’auteur, était la seule à pouvoir réaliser la structure du Complexe Victoriaville, telle qu’elle apparaissait des plans de l’appel d’offres. Selon lui, la CSBF avait dès lors le choix entre payer davantage, c’est-à-dire le prix demandé par Lainco, pour avoir ce type bien précis de structure, parce qu’elle ne pouvait se la procurer ailleurs, ou payer moins pour un autre type de structure. Il reproche à M. David de ne pas avoir tenu compte de ce facteur.

[263]  Dans son rapport en réplique à celui de M. David, M. Fafard précise :

La majorité des projets de Lainco sont des projets sans valeur ajoutée et lui permettent de couvrir une bonne partie de ses frais généraux et de procureur une base de production à ses employés d’usine, aux dessinateurs, aux techniciens et aux ingénieurs. Par ailleurs, la stratégie de Lainco est de conserver du temps de production disponible pour des projets à valeur rajoutée ou pour des projets dont les exigences de livraison sont rapides, la rentabilité de ces projets étant beaucoup plus élevée.

En retenant le prix de la soumission de Solider, Accuracy calcule des dommages liés à la violation de droits d’auteur en prenant comme point de départ le prix d’un produit de nature générique sans valeur ajoutée. En effet, nous comprenons que Solider n’a pas eu à investir de ressources dans le développement du produit et l’a vendu comme si aucune propriété intellectuelle n’existait.

[…]

L’existence de droits de propriété intellectuelle permet à son titulaire d’avoir l’exclusivité de la commercialisation de produits, de réaliser des profits intéressants permettant de récupérer le temps et les montants investis dans le développement de la technologie et de compenser l’auteur pour les risques d’échec assumés au cours du développement du produit.

Ces raisons expliquent pourquoi Lainco a été en mesure de réaliser les projets Antony Carola, Artopex, Académie Lafontaine et Air Inuit avec des marges moyennes de plus de ||||||||, un pourcentage nettement supérieur aux projets qui ne sont pas protégés par des droits de propriété intellectuelle. C’est dans ce contexte que Mareval a retenu le prix de vente de 1 650 000$ (tel que soumissionné par Lainco) et non un prix de vente d’un produit générique.

En résumé, nous sommes en désaccord avec Accuracy quant aux revenus de 1 395 000$ retenus par ce dernier pour les raisons suivantes :

  Les revenus retenus par Accuracy de 1 395 000$ sont basés sur le prix de vente facturé par Solider qui ne revendique pas de droit de propriété intellectuelle dans la structure du Complexe Victoriaville;

  Le montant de la soumission de Lainco à 1 650 000$ a été établi sur la base d’une marge sur coûts variables similaire aux quatre autres projets qui ont été réalisés avec la même propriété intellectuelle et qui ont été payés par les clients de Lainco; et

  La marge sur coûts variables calculé à |||||||||| dans le Premier Rapport Mareval ne peut être comparée à la marge sur coûts variables de |||||||||| pour l’ensemble des opérations de Lainco puisque la majorité de ces revenus ne sont pas protégés par des droits de propriété intellectuelle.

(Pièce P-6, Rapport Fafard, réplique, aux p. 4-5)

[264]  Je préfère l’approche de M. Fafard qui me paraît davantage compatible avec la nature des droits que détient Lainco dans le Concept Lainco, tel qu’adapté au Complexe Artopex, et à leur valeur commerciale, tel que les marges de profits réalisées par Lainco sur les projets intégrant ce Concept, lesquelles tournent autour de |||||||| en moyenne, le démontrent. On connaissait déjà, parmi ces projets à valeur ajoutée, les Complexes Antony-Carola et Artopex de même que le hangar d’Air Inuit mais M. Fafard réfère aussi, comme on vient de le voir, au complexe de soccer intérieur de l’Académie Lafontaine, située à St-Jérôme, près de Montréal.

[265]  Or, tôt dans le procès, les procureurs des défenderesses se sont objectés à toute preuve concernant ce complexe sportif au motif que Lainco ne l’a pas allégué dans sa Déclaration d’action. J’ai pris l’objection sous réserves et permis, sous cette réserve, les questions sur ce complexe, lesquelles, du reste, ont été fort peu nombreuses. Dans toute la trame de fond du présent litige, le complexe de l’Académie Lafontaine occupe une place marginale. D’ailleurs, c’est la première fois que j’en fais état dans les présents motifs.

[266]  Toutefois, la marge de profits réalisée sur ce projet m’apparait une donnée pertinente. Le rapport en réplique de M. Fafard, dans lequel cette donnée apparait, a été déposé en novembre 2015, soit un an avant le procès. Je note aussi que des questions portant sur ce complexe sportif ont été posées lors des préalables et qu’une preuve documentaire relative à ce complexe a été communiquée aux défenderesses par le biais de la règle 222 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, telles qu’amendées [les Règles]. Je ne saurais donc dire, dans ces circonstances, que le complexe sportif de l’Académie Lafontaine, bien qu’il en ait été peu question au procès, est complètement étranger au présent litige. Autrement dit, je suis satisfait que les défenderesses n’ont pas été placées dans une position où il leur était impossible de vérifier cette donnée. Je ne vois donc pas de raison de ne pas la considérer.

[267]  M. David a admis que les marges de profit des projets à valeur ajoutée réalisés par Lainco, lesquelles oscillent entre |||||||||||| et |||||||||||| (Pièce P-6, Rapport Fafard, réplique, à la p. 4), ne sont pas déraisonnables (Transcriptions, Huis clos, vol. 4, à la p. 80). Il a aussi reconnu qu’un produit avec propriété intellectuelle ou valeur ajoutée se vendait généralement plus cher qu’un produit générique (Transcriptions, Huis clos, vol. 4, aux p. 102-104). J’estime, à l’instar de M. Fafard, qu’en négligeant ce facteur, M. David a opéré un choix, au titre du montant de ventes perdues, qui ne peut être retenu.

[268]  Le deuxième point de divergence porte sur ce qu’il en aurait coûté à Lainco, en termes de coûts de main-d’œuvre directe, si elle avait réalisé le projet du futur Complexe Victoriaville. Suivant le tableau reproduit au paragraphe 259 des présents motifs, un écart de 30 169 $ sépare les deux experts. Pour estimer les coûts de main-d’œuvre directe, M. David a appliqué un pourcentage de 11,7 % sur son prix de ventes perdues. Ce pourcentage représente l’ensemble des charges salariales du poste « main-d’œuvre directe » par rapport au chiffre d’affaires de Lainco pour l’exercice se terminant le 28 février 2014 (Pièce D-5, Rapport David, à la p. 10).

[269]  M. Fafard critique cette approche qui, selon lui, ne tient pas compte de la profitabilité plus élevée des projets à valeur ajoutée de Lainco comparée à celle, plus faible, de la majorité des projets que réalise Lainco dans une année. Cette approche, poursuit-il, assume de façon erronée que les heures imputables à des tâches dites « non-imputables » à des projets, lesquelles sont comptabilisées dans l’ensemble des charges salariales du poste « main-d’œuvre directe » des états-financiers de Lainco, auraient augmenté si Lainco avait réalisé le projet du Complexe Victoriaville. Or, ce n’est pas le cas, conclut-il, puisque la plupart des tâches non-imputables sont réalisées lorsqu’il n’y a pas de projet de construction en cours. Ainsi, plus les heures imputées par les employés sur des projets de construction augmentent, plus les heures improductives diminuent (Pièce P-6, Rapport Fafard, réplique, aux p. 4-5).

[270]  C’est effectivement ce que M. Lachapelle a expliqué lors de son témoignage à huis clos. Ces tâches non-imputables peuvent être déplacées « n’importe comment » dans une année, particulièrement pour occuper les employés lors des périodes où il y a ralentissement des activités de l’usine, le plan d’affaires étant toujours d’avoir le taux de productivité le plus élevé possible (Transcriptions, Huis clos, vol. 1, aux pp. 13 à 15).

[271]  M. Fafard, pour sa part, a estimé le caractère raisonnable des taux horaires estimés par Lainco pour la réalisation du projet du Complexe Victoriaville à partir d’un rapport compilant les heures et les salaires des employés de Lainco dans les départements de conception, détaillage (dessin), fabrication (usine) et construction (gestion). À partir de ces données, il a calculé les taux horaire moyens, sans et avec charges sociales, pour chacun de ces départements en considérant le montant total des salaires et en le divisant par le nombre d’heures totales travaillées par fonction (Pièce P-5, Rapport Fafard, aux pp. 13 et 14). Cela lui a donné un coût de main‑d’œuvre directe pour le projet du Complexe Victoriaville de ||||||||||||||||||, jugeant ainsi raisonnable celui de |||||||||||||||||| estimé par Lainco.

[272]  J’estime, ici aussi, qu’il faut préférer l’approche suivie par M. Fafard puisqu’elle tient compte de la profitabilité plus élevée des projets à valeur ajoutée. Ici, M. David a basé ses calculs sur l’année 2014 où la marge de profits générée par Lainco s’est élevée à |||||||||||| alors que, comme on l’a vu, sa marge de profits pour les projets à valeur ajoutée dépasse, en moyenne, les ||||||||. L’approche de M. Fafard tient aussi compte davantage du rôle des tâches non-imputables chez Lainco.

[273]  Le troisième point de discorde concerne les profits réalisés sur les projets qui n’auraient pas été exécutés par Lainco si celui du Complexe Victoriaville l’avait été. À la période où le projet du Complexe Victoriaville a été réalisé, Lainco a effectué des travaux pour la compagnie Zellers en plus de fabriquer des structures pour la construction d’une école à Haïti. Ce dernier projet était à caractère caritatif. Lainco n’en a touché aucun revenu et il n’a donc pas été pris en compte par ni l’un ni l’autre des deux experts dans le calcul des profits réalisés par Lainco pendant cette période. M. David est plus généreux envers Lainco que ne l’est M. Fafard en ce qui a trait aux profits réalisés en lien avec le contrat de Zellers. En d’autres termes, il retrancherait un montant moindre aux profits qu’aurait réalisés Lainco si elle avait obtenu le contrat de sous-traitance pour le Complexe Victoriaville, que ne le fait M. Fafard. L’écart est de 6 502 $.

[274]  Toutefois, il estime qu’en plus des profits du projet Zellers, il faut retrancher un montant additionnel de 54 163$ de profits qui n’aurait pas pu être réalisés, faute de capacité de production, si Lainco avait obtenu ledit contrat (Pièce D-5, Rapport David, aux p. 15-16).

[275]  Sur ce point, Lainco est en désaccord non seulement avec M. David mais avec son propre expert. Son procureur plaide, d’une part, qu’il n’existe aucune autorité en matière de droit d’auteur faisant de la capacité de production un facteur pertinent dans la quantification d’un dommage. Il plaide aussi que le facteur de la capacité de production est une forme de mitigation des dommages propre au droit civil alors que la Cour suprême nous enseigne que le droit d’auteur est un droit autonome régi non pas par le droit de la responsabilité délictuelle ou le droit de propriété mais par un texte législatif, la Loi, lequel parle de lui-même (Compo, aux p. 372-373). Je note toutefois que l’extrait de Compo auquel réfère le procureur de Lainco, pas plus que l’arrêt lui-même, ne traite de dommages et intérêts. Dans un texte plus récent de la Revue canadienne de propriété intellectuelle, on peut lire que les principes applicables aux dommages en matière de propriété intellectuelle « are generally consistent with a modern understanding of general tort principles » (Damages Calculations in Intellectual Property Cases in Canada, (2008) 24 R.C.P.I., 153, à la p. 155).

[276]  Le meilleur argument à cet égard me paraît être que la question de la capacité de production est théorique dans les circonstances de la présente affaire puisque, à la lumière du témoignage de M. Lachapelle, la prémisse de base voulant que Lainco n’aurait pas pu faire à la fois le projet du Complexe Victoriaville et un autre contrat – ou d’autres contrats – semble erronée. Selon M. Lachapelle, Lainco n’aurait jamais refusé un contrat de la sorte, à valeur ajoutée. Il ajoute qu’en ayant comme politique de toujours garder une capacité de production supplémentaire au niveau du département de la conception, le projet du Complexe Victoriaville aurait pu être réalisé « sans difficulté », surtout qu’à l’époque, l’usine fonctionnait à deux quarts de travail. Elle fonctionne aujourd’hui à trois quarts de travail (Transcriptions, Huis clos, vol. 1, aux p. 7 à 9).

[277]  D’ailleurs, M. David a admis que s’il avait su, au moment d’écrire son rapport, que Lainco aurait pu passer à trois quarts de travail, « on serait pas venu déduire les heures … le profit qu’on a fait sur les autres projets, le Zellers, et ainsi de suite, qu’on aurait … on aurait pu les conserver, là » (Transcriptions, Huis clos, vol. 5, à la p. 6). Or, comme on vient de le voir, cette possibilité existait, la volonté de le faire aussi.

[278]  Je suis donc satisfait que l’ajustement à la baisse de la perte de profits de Lainco en lien avec le Complexe Victoriaville sur la base du facteur de la capacité reproduction n’avait pas à être fait. J’en conclus donc que Lainco a droit à la restitution intégrale de sa perte de profits, telle que calculée par M. Fafard avant la prise en compte du facteur de la capacité de production.

[279]  Un dernier point. M. David, à la fin de son rapport, note que Lainco, dans son avis du 14 février 2013 (Pièce TX-45), a avisé les destinataires de l’avis que son prix de 1 650 000 $ incluait une licence d’utilisation du droit d’auteur. Il propose donc une méthode pour évaluer ce que pourrait être le montant d’une redevance pour une telle licence si je devais décider qu’il s’agit là de la réparation appropriée dans les circonstances de la présente affaire (Pièce D-5, Rapport David, aux p. 17 à 20). Chose certaine, ce n’est pas ce que Lainco demande comme réparation.

[280]  Ainsi, sur la base d’un extrait d’un site internet du Gouvernent du Canada intitulé « Droits d’auteur et propriété intellectuelle », M. David note qu’en général, les redevances varient entre 3 % et 7 %. Appliquant ces taux au montant de son prix de ventes perdues, 1 395 000$, il estime que la redevance que pourrait exiger Lainco en l’espèce se situerait quelque part entre 41 822 $ et 97 584 $, selon qu’on applique un taux qui va de 3 à 7 %. M. David prend bien soin de noter toutefois que ces montants de redevance « pourraient varier suite à l’obtention d’informations plus précises de la part de Lainco » (Pièce D-5, Rapport David, à la p. 19).

[281]  Les défenderesses plaident que la fourchette de montants proposée par M. David reflète les prix que Lainco aurait pu espérer obtenir pour l’utilisation de son droit d’auteur en l’espèce et qu’il s’agit là des seuls dommages et intérêts qu’elle peut réclamer en l’espèce.

[282]  Je ne suis pas d’accord. D’une part, les pourcentages tirés du site du gouvernement du Canada demeurent fortement aléatoires compte tenu de la nature générale et générique de l’information qu’on y trouve, du public à qui il s’adresse (ceux désireux d’obtenir une licence d’un concédant) et de l’absence d’information sur la nature des droits de propriété intellectuelle ayant fait l’objet des transactions sur la base desquelles les taux de redevance qui y sont indiqués ont été calculés.

[283]  D’autre part, en contre-interrogatoire, M. David a admis ne pas avoir fait de recherche pour trouver des comparables qui se rapprocheraient des droits de propriété intellectuelle de Lainco, pas plus qu’il n’a consulté la littérature, dont il a convenu qu’elle existait, sur la négociation de licence dans différents secteurs de l’industrie, notamment le domaine de la construction. Il a reconnu ne pas avoir poussé son analyse de la question en examinant des facteurs comme les similitudes et les différences entre les droits de propriété intellectuelle, les caractéristiques et l’ampleur des marchés couverts par les licences, la rentabilité additionnelle générée par la propriété intellectuelle en comparaison avec celle d’un produit générique, et les termes et conditions des licences. Il a précisé qu’un économiste aurait pu apporter un éclairage sur la question. M. David a concédé que ce volet de son rapport n’avait qu’un objectif informatif et a reconnu que la situation pouvait, dans les faits, être différente pour une entreprise comme Lainco (Transcriptions, Huis clos, vol. 5, aux p. 7 à 15).

[284]  Dans ce contexte, je ne saurais accorder beaucoup de poids à cette preuve. En écoutant le témoignage de M. Lachapelle, j’ai compris que Lainco ne concède pas de licences d’utilisation du droit d’auteur. Cela ne cadre pas avec le plan d’affaires et la philosophie de l’entreprise. Questionné sur la raison d’être de cette approche, M. Lachapelle a répondu ceci :

  ME GUAY : Pouvez – vous pouvez expliquer au Tribunal pourquoi?

  M. LACHAPELLE : Bien j’ai spécifié un petit peu tantôt là. C’est que dans le fond toute la recherche et développement qu’on fait avec les universités, tous les cours, la formation que je fais quand je vais aux États-Unis, les jeunes que j’envoie là-bas, ce n’est pas pour vendre des licences. C’est pour vraiment alimenter une usine.

  Pour nous c’est très lucratif ce genre de contrat-là. La raison est simple. C’est parce qu’on s’améliore aussi. On devient de plus en plus performants dans nos projets.

  Voyez-vous pour estimer ça j’ai pris la même maquette puis j’ai changé les charges de neiges, puis ça l’a été quand même assez vite.

  Donc on n’aurait pas – on aurait aucun intérêt à vendre des licences, surtout notre usine grossie d’année en année. On a – on est rendu à 90 employés et plus. Si on se mettrait à vendre des licences on se tirerait un peu dans le pied là. Ce n’est pas ---

  Quand Martin l’a proposé c’était vraiment – vaut mieux une mauvaise entente qu’un bon procès et c’était réglé la chicane-là.

(Transcriptions, Huis clos, vol. 1, p. 5)

[285]  À part cette offre qui a été faite à M. Gagnon de la CSBF, lors d’un coup de téléphone, sans vraiment que les deux frères Lachapelle ne se soient consultés, pour tenter de trouver une espèce de compromis lors des discussions qui ont suivi l’avis du 14 février 2013 (Pièce TX-45), je n’ai pas de preuve devant moi de ce que pourrait valoir une licence d’utilisation du droit d’auteur dans le domaine dans lequel œuvre Lainco pour le type de droits de propriété intellectuelle qu’elle revendiquait en l’instance. Ce que je sais, comme je viens de le dire, c’est que Lainco n’en concède jamais sur la base d’une saine logique d’affaires.

[286]  Cette alternative à la restitution de la perte de profits de Lainco a été amenée sur le tapis – et défendue – sans grande vigueur. Elle est rejetée.

[287]  Lainco aura donc droit de recouvrer des défenderesses, conjointement et solidairement, sa perte de profits en lien avec le Complexe Victoriaville, perte dont le montant est fixé à 722 996$.

(2)  La restitution des profits des défenderesses

[288]  Vu ma conclusion quant au montant du dédommagement relatif à la perte de profits relative à la réalisation du Complexe Victoriaville, il ne sera pas nécessaire d’aborder la question de la restitution des profits des défenderesses puisque Lainco, ayant obtenue la restitution intégrale de cette perte, se trouve à y renoncer.

(3)  Les dommages punitifs

[289]  Lainco soutient qu’en matière de droit d’auteur au Québec, des dommages punitifs peuvent être accordés lorsqu’il y a atteinte illicite et intentionnelle à un droit garanti par la Charte des droits et libertés de la personne, L.Q. ch. C-12 [Charte], laquelle, notamment, consacre le droit de toute personne à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.

[290]  Elle prétend que la CSBF a intentionnellement autorisé la reproduction de la « superstructure désirée », avec l’assentiment de Pluritec, et ce même après qu’elle les ait informées de ses droits. Elle avance que la CSBF a opté d’ignorer ceux-ci en faisant le pari qu’elle n’oserait pas entreprendre de procédures judiciaires pour les faire valoir.

[291]  Comme je l’ai indiqué précédemment, Lainco réclame le versement d’un montant de 50 000$ à ce titre. Sa réclamation n’est toutefois dirigée que contre la CSBF et Pluritec.

[292]  La Cour d’appel du Québec rappelle, dans Constructions Desjardins, que bien que l’attribution de dommages punitifs ne soit pas prévue comme telle dans la Loi, la possibilité d’octroyer de tels dommages en cas de violation intentionnelle du droit d’auteur a été reconnue dans certains jugements (Constructions Desjardins, au para 47). Encore faut-il, cependant, qu’il soit démontré que le contrefacteur a enfreint le droit d’auteur « d’une manière délibérée et intentionnelle, empreinte de mauvaise foi » (Constructions Desjardins, au para 48). La seule désinvolture ne donnera pas ouverture à l’octroi de dommages punitifs (Constructions Desjardins, au para 47).

[293]  L’atteinte intentionnelle est celle où l’auteur de l’atteinte illicite au droit garanti par la Charte « a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite ou […] agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera » (Cinar CSC, au para 118, citant Québec (Curateur public) c Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 RCS 211). La gravité de la faute demeure le facteur le plus important à considérer (Cinar CSC, au para 137).

[294]  En l’espèce, je suis incapable de conclure que la violation du droit d’auteur commise par la CSBF et Pluritec a ce degré de gravité, c’est-à-dire qu’elle dénote un désir, une volonté de nuire à Lainco. La CSBF a certes été malavisée de procéder comme elle l’a fait mais on ne peut pas l’accuser d’avoir ignoré les droits de Lainco et de l’avoir fait dans l’intention consciente de lui nuire. Après tout, la preuve révèle qu’après avoir pris connaissance de l’avis transmis par Lainco le 13 février 2013, la CSBF a consulté des avocats mais qu’elle a reçu des avis divergents. Elle s’est tournée ensuite vers Pluritec, sa firme de génie-conseil pour la réalisation du Complexe Victoriaville, qui l’a avisé que les plans de structure du futur Complexe était le fruit d’une création indépendante. Pluritec ne partageait pas la position de Lainco.

[295]  Cela suffit, à mon sens, pour conclure à l’absence de toute intention consciente de nuire à Lainco de la part de la CSBF.

[296]  Je rappelle une fois de plus que dans le domaine des œuvres architecturales, la ligne sera souvent mince entre ce qui constitue une contrefaçon et ce qui ne l’est pas. D’ailleurs, comme me l’a rappelé le procureur de Lainco au début des plaidoiries, il n’y a pas beaucoup de causes de droit d’auteur dans le domaine des œuvres architecturales (Transcriptions, vol. 8, à la p. 14 (Me Guay)). Nous sommes en terrain peu défriché. Des gens compétents et crédibles, les experts, ont présenté, avec conviction, deux visions des choses. Il fallait choisir laquelle s’arrimait le mieux avec le droit. Deux semaines de procès ont été nécessaires pour débattre de la question.

[297]  Pour ces raisons, je ne suis également pas prêt à dire que Pluritec s’est rendu coupable de contrefaçon en l’espèce dans le but de nuire à Lainco. Elle devait rencontrer les vœux de son client et lui livrer un produit qui s’inspirait du Complexe Artopex. La preuve, comme on l’a vu, est claire à ce sujet. Un certain malaise a en découlé. Toutefois, elle a cru qu’avec le toit plat et les différences structurales entre les deux Complexes, elle en était arrivée, légitimement, à créer une œuvre indépendante. J’en ai décidé autrement mais cela ne suffit pas pour exposer Pluritec, en sus de la condamnation à la restitution de la perte de profits encaissée par Lainco, au paiement de dommages punitifs. Qu’elle ait été téméraire est une chose; qu’elle ait voulu, ce faisant, nuire intentionnellement à Lainco en est une autre. Il s’agit là d’un pas que je ne suis pas prêt à franchir dans les circonstances de la présente affaire.

[298]  Ce chef de dommages sera donc rejeté.

V.  Dispositif

[299]  L’action de Lainco est donc accueillie en partie.

[300]  Outre la compensation financière qu’elle recherchait en l’instance, Lainco demande aussi des conclusions de nature déclaratoire en lien avec les plans et œuvres des Complexes Antony-Carola et Artopex et du hangar d’Air Inuit. Toutefois, et comme j’en ai déjà fait état, le procureur de Lainco a insisté en plaidoirie pour dire que seul le Complexe Artopex était pertinent pour les fins de la présente affaire puisque c’est ce Complexe qui a été visité par des représentants de la CSBF et de Pluritec et que ce sont ses plans et sa structure qui ont été contrefaits. Les deux autres réalisations – le Complexe Antony-Carola et le hangar d’Air Inuit – ne sont pas en cause, ayant été « expliqué en grande partie pour vous donner l’historique, qu’est-ce qui les a amené là » (Transcriptions, vol. 9, à la p. 126 (Me Guay).

[301]  Les conclusions de nature déclaratoire seront donc ajustées en conséquence.

[302]  Dans sa déclaration d’action ré-amendée, Lainco demande les frais de la présente action sur une base avocat-client, incluant toutes taxes applicables et les frais d’expert. Devant moi, elle réclame le remboursement partiel des honoraires extrajudiciaires qu’elle a encourus en l’instance et elle me demande aussi de réserver jugement sur le remboursement des déboursés.

[303]  Lainco invoque, au soutien de ses prétentions, l’affaire Louis Vuitton Malletier S.A. c Yang, 2007 CF 1179 [Louis Vuitton], rendue en contexte de marques de commerce et de droit d’auteur. Dans cette affaire, la Cour, après avoir rappelé qu’elle possède le pouvoir discrétionnaire d’adjuger les dépens sur une base avocat-client, a aussi rappelé que ce type de dépens ne sera adjugé « que lorsqu’une partie a fait preuve d’une inconduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante » ou lorsque des « raisons d’intérêt public » le justifient (Louis Vuitton, au para 55). Elle a conclu de la preuve qui lui avait été faite « que l’attitude méprisante des défendeurs à l’égard de la présente instance et des jugements précédents de la Cour ainsi que la violation flagrante qu’ils ont commise constamment à l’égard des droits de propriété intellectuelle des demanderesses appellent une réprimande » (Louis Vuitton, au para 59).

[304]  Aucune preuve de cette nature n’a été faite devant moi. Sur cette base, la demande de Lainco que lui soit remboursée une partie des honoraires extrajudiciaires qu’elle a encourus en l’instance doit échouer.

[305]  Toutefois, Lainco invoque aussi la décision de la Cour d’appel fédérale dans Philip Morris Products S.A. c Marlboro Canada ltée, 2015 CAF 9 [Philip Morris], une affaire de marques de commerce et de droit d’auteur également où la Cour d’appel évoque une tendance judiciaire, particulièrement dans les litiges de propriété intellectuelle, à l’adjudication d’une somme globale tenant lieu de dépens, calculée selon un pourcentage de l’ensemble des coûts réellement encourus par la partie à qui les dépens sont adjugés. Lainco soutient que cette somme globale a déjà pris la forme d’un pourcentage des honoraires extrajudiciaires sans qu’il soit nécessaire de faire la preuve d’une conduite répréhensible de la part de la partie adverse dans l’exercice de son droit d’ester en justice. Je note que cette tendance à accorder une somme globale tenant lieu de dépens s’observe surtout dans les litiges impliquant des « parties commerciales averties » (Philip Morris, au para 4). Les parties impliquées dans cette affaire l’étaient sans l’ombre d’un doute. Rien n’est moins sûr en l’espèce. Je pense notamment à la CSBF, qui est une institution publique du réseau de l’éducation.

[306]  Quoi qu’il en soit, cet arrêt porte d’abord et avant tout sur le pouvoir de la Cour d’accorder une somme globale tenant lieu de dépens et de déroger, ce faisant, au tarif B des Règles (Philip Morris, au para 4). Normalement, la somme globale va couvrir les déboursés, y compris les frais d’expert. En d’autres termes, Lainco ne peut, à mon sens, dans le contexte envisagé par Philip Morris, demander à la fois le remboursement d’une partie des honoraires extrajudiciaires qu’elle a encourus et me demander de réserver jugement sur les déboursés. L’exercice doit tendre à régler la question des dépens dans son ensemble.

[307]  Je dois dire que la démarche de Lainco à ce niveau manque quelque peu de clarté. D’ailleurs, les parties défenderesses ont cru jusqu’au procès, la Cour aussi, que la demande de dépens sur une base avocat-client en était une de la nature de celle traitée dans l’affaire Louis Vuitton. Or, il semble que ça ne soit pas le cas.

[308]  Dans les circonstances, je vais considérer la demande de Lainco sur la question des dépens comme un demande sur l’à-propos d’accorder une somme globale tenant lieu de dépens et de déroger, ce faisant, au Tarif B des Règles. Tout comme l’avait fait le juge de première instance dans Philip Morris (répertorié à 2010 CF 1099), je donne aux parties 30 jours suivant le prononcé des présents motifs et jugement pour me présenter des observations écrites relativement à cette question.


JUGEMENT au dossier T-941-13

LA COUR:

  1. DÉCLARE que des droits d’auteur valides subsistent dans l’œuvre intitulée « Plans de la structure du complexe sportif Artopex » faisant l’objet du Certificat d’enregistrement du droit d’auteur no 1,103,943 de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, et que ces droits sont détenus par la demanderesse;

  2. DÉCLARE quedes droits d’auteur valides subsistent dans l’œuvre intitulée « Structure du Complexe sportif Artopex » faisant l’objet du Certificat d’enregistrement du droit d’auteur no 1,103,944 de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, et que ces droits sont détenus par la demanderesse;

  3. DÉCLARE que la production, la reproduction ou l’exécution des plans des défenderesses pour la construction d’un complexe sportif intérieur à Victoriaville et la construction de ce complexe sportif par les défenderesses conformément à ces plans, ou l’autorisation de l’un ou l’autre de ces actes, constitue une violation des droits d’auteur de la demanderesse dans les plans conçus par elle pour le complexe sportif Artopex, contrairement à l’article 27 de la Loi sur le droit d’auteur;

  4. DÉCLARE que la construction du complexe sportif intérieur à Victoriaville, ou l’autorisation de cet acte, par les défenderesses constitue une violation des droits de la demanderesse dans la structure d’acier construite par elle à partir des plans qu’elle a conçus pour le complexe sportif Artopex, contrairement à l’article 27 de la Loi sur le droit d’auteur;

  5. CONDAMNE les défenderesses à payer à la demanderesse, conjointement et solidairement, la somme de 722 996 $, incluant les intérêts payables, conformément aux articles 36 et 37 de la Loi sur les Cours fédérales, depuis l’institution de la présente action;

  6. RÉSERVE sa décision sur les dépens, les parties étant requises de présenter des observations écrites relativement à cette question dans les 30 jours suivant le prononcé des présents motifs et jugement.

« René LeBlanc »

Juge


ANNEXE

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-941-13

 

INTITULÉ :

LAINCO INC. c COMMISSION SCOLAIRE DES BOIS-FRANCS et PLURITEC LTÉE et LEMAY CÔTÉ ARCHITECTES INC. et CONSTRUCTIONS GAGNÉ ET FILS INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

du 17 au 28 octobre 2016

 

JUGEMENT et motifs PUBLICS :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 septembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Me François Guay et

Me Jean-Sebastien Dupont

 

Pour la demanderesse

LAINCO INC.

 

Me Richard Uditsky,

 

Pour les défenderesses

COMMISSION SCOLAIRE DES BOIS-FRANCS et

CONSTRUCTIONS GAGNÉ ET FILS INC.

 

Me Daniel Grodinsky

Pour la défenderesse

PLURITEC LTÉE

Me Jean-François de Rico

Pour la défenderesse

LEMAY CÔTÉ ARCHITECTES INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SMART & BIGGAR

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

LAINCO INC.

 

Robinson Sheppard Shapiro

S.E.N.C.R.L. L.L.P.

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

Pour les défenderesses

COMMISSION SCOLAIRE DES BOIS-FRANCS et

CONSTRUCTIONS GAGNÉ ET FILS INC.

 

 

 

Borden Ladner Gervais LLP

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

Pour la défenderesse

PLURITEC LTÉE

 

 

Langlois Avocats

S.E.N.C.R.L.

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

Pour la défenderesse

LEMAY CÔTÉ ARCHITECTES INC.

 

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