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Cour fédérale

 

Federal Court 

 


Date : 20110318

Dossier : IMM-4152-10

Référence : 2011 CF 336

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2011

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

JEAN LEONARD TEGANYA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant une décision, datée du 31 mai 2010, de l’agente chargée de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agente). L’agente a rejeté la demande d’ERAR du demandeur au motif que le demandeur n’avait pas qualité de personne à protéger.

 

Le contexte factuel

[2]               Le demandeur, Jean Leonard Teganya, est un citoyen du Rwanda. Il a d’abord quitté le Rwanda en juillet 1994 pour le Zaïre (Congo), où il est resté dans un camp de réfugié. Il est ensuite allé au Kenya et en Inde. Le 17 novembre 1999, il a quitté l’Inde pour venir au Canada.

 

[3]               À son arrivée au Canada, le demandeur a présenté une demande d’asile. Sa demande a été entendue en 2002. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a conclu qu’il était exclu de la Convention en application des alinéas a) et c) de la section F de l’article premier. La SPR a conclu qu’il avait travaillé comme interne en médecine dans un hôpital où plusieurs atrocités avaient eu lieu. Bien qu’il fût au courant des atrocités, le demandeur était demeuré à l’hôpital. La SPR a conclu qu’il avait été complice de crimes contre l’humanité. Cette décision a été annulée au terme d’un contrôle judiciaire. Lors d’un nouvel examen en 2005, la SPR a conclu encore une fois que le demandeur était une personne exclue en application des alinéas a) et c) de la section F de l’article premier. Le demandeur a demandé un contrôle judicaire de cette décision, mais sa demande a été rejetée.

 

[4]               Le 19 juillet 2006, Citoyenneté et Immigration Canada a produit un rapport selon lequel le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)a) de la Loi. Le demandeur a ensuite présenté une demande d’ERAR en septembre 2008. Il soutenait qu’il était exposé à des risques parce qu’il pourrait être emprisonné et assujetti à un traitement cruel.

 

[5]               Le demandeur allègue que son père était un dirigeant sous l’ancien régime, le Mouvement révolutionnaire national pour le développement (le MRND). Son père avait été emprisonné pendant 11 ans sans inculpation parce qu’il était soupçonné d’avoir été impliqué dans le génocide. Le demandeur soutient qu’il subira le même sort que son père. Il soutient aussi qu’il sera exposé à des risques parce qu’il est de l’ethnie hutue et qu'il est originaire de la région nord du Rwanda.

 

[6]               L’agente a examiné les observations du demandeur présentées au soutien de sa demande d’ERAR. Le 31 mai 2010, l’agente a conclu que la demande d’ERAR du demandeur devait être rejetée. Le demandeur demande le contrôle judiciaire de cette décision.

 

La décision attaquée

[7]               Dès le départ, l’agente a mentionné que, puisque le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)a) de la Loi, l’analyse serait faite uniquement au regard de l’article 97.

 

[8]               L’agente a examiné deux documents relatifs à la situation dans le pays. Elle n’a attribué aucun poids au premier document, intitulé « Rwanda, a nation with a dark past and tenuous future », parce que ce document avait été rédigé par une personne dont l’identité était protégée, de sorte qu’il n’y avait aucun moyen de déterminer l’objet et l’origine du document. Le deuxième document était un rapport de Human Rights Watch qui mentionnait des problèmes touchant la magistrature et les tribunaux. L’agente a reconnu que : (i) il y avait de problèmes dans les tribunaux gacaca, notamment de la corruption et de l’influence indue; (ii) des membres des forces de sécurité avaient maltraité des détenus; (iii) il y avait des arrestations arbitraires; (iv) les conditions de détention étaient difficiles; (v) des gens étaient détenus pendant de longues périodes sans inculpation. Cependant, l’agente a conclu que ce document ainsi que d’autres documents similaires ne menaient pas à la conclusion que le demandeur serait exposé à un risque injustifié à son retour au Rwanda.

 

[9]               L’agente a mentionné que, bien que le demandeur eût soutenu que son père avait été détenu pendant 11 ans sans inculpation, il n’avait pas produit d’éléments de preuve démontrant que son père avait été emprisonné pendant cette période ni que le processus avait été inéquitable. L’agente a noté en outre l’insuffisance des éléments de preuve relatifs à une arrestation possible, lors du retour du demandeur au Rwanda, à cause du lien avec son père. De plus, l’agente n’a relevé aucun élément de preuve selon lequel le demandeur serait exposé à des risques à cause de ses origines hutues.

 

[10]           Enfin, l’agente a examiné le rapport du Département d’État (le DÉ) des États-Unis pour l’année 2009, qui mentionnait les efforts de réconciliation déployés par le gouvernement. L’agente a reconnu que : (i) les droits des Rwandais étaient limités; (ii) la violence contre les survivants du génocide était persistante; (iii) les prisonniers étaient détenus dans des conditions difficiles; (iv) les forces de sécurité arrêtaient et détenaient des personnes arbitrairement; (v) il y avait des problèmes de corruption. Cependant, l’agente a conclu que ces éléments n’étaient pas reliés à la situation personnelle du demandeur, mais à la population générale. Par conséquent, l’agente a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il serait exposé à un risque différent de celui auquel était exposé n’importe quel autre Rwandais, et que, par conséquent, le risque n’était pas personnalisé.

 

Les questions en litige

[11]           La présente demande soulève les questions suivantes :

1.      L’agente a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le demandeur était exposé à un risque?

 

2.      Le demandeur a-t-il subi un manquement à la justice naturelle et à l’équité procédurale attribuable à l’incompétence de son avocat?

 

3.      L’agente a-t-elle manqué à son obligation d’équité en omettant de faire savoir son intention de s’appuyer sur l’évolution de la situation au Rwanda et de demander au demandeur de lui communiquer des renseignements mis à jour?

 

[12]           Pour les motifs suivants, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Les dispositions légales

[13]           La disposition suivante de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est pertinente dans la présente instance :

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations

as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

La norme de contrôle

[14]           Depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, les questions relatives au traitement et à l’examen des éléments de preuve par l’agent chargé de l’ERAR dans le cadre d’une demande d’ERAR sont susceptibles de contrôle selon la norme de raisonnabilité (Barzegaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 681, [2008] A.C.F. no 867; Kanaku c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 394, [2009] A.C.F. n493). Selon la Cour suprême du Canada, les facteurs à examiner sont la justification, la transparence et l’intelligibilité dans le cadre du processus décisionnel. L’issue doit pouvoir se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[15]           Le demandeur a également soulevé des questions de justice naturelle et d’équité procédurale. Il est établi depuis longtemps que la norme de contrôle applicable à ces questions est la décision correcte (Dunsmuir, précité, au paragraphe 129; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43).

 

Analyse

1.      L’agente a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le demandeur était exposé à un risque?

 

[16]           Le demandeur soutient que l’agente dans la présente affaire a décidé sans égard à tous les éléments de preuve dont elle disposait. Premièrement, le demandeur note que l’agente disposait de la décision de la SPR statuant sur la demande d’asile du demandeur et que l’agente s’est appuyée sur cette décision. Dans sa décision, la SPR s’est appuyée expressément sur le fait que le père du demandeur était le chef du MRND.

 

[17]           Le demandeur soutient en outre que la conclusion selon laquelle il a été complice de crimes contre l’humanité a été très médiatisée et que le gouvernement du Rwanda serait au courant de cette décision. En conséquence, le demandeur soutient qu’il a le profil d’un expulsé du Canada qui a été déclaré complice de crimes contre l’humanité et qui est le fils d’un ancien chef du MRND – auquel il est donc associé. Le demandeur affirme que son profil est particulier et que sa situation personnelle diffère de celle d’autres expulsés rwandais. Il soutient donc que l’agente a commis une erreur en omettant d’évaluer sa demande au regard de ce motif.

 

[18]           Après avoir examiné les éléments de preuve, la Cour n'est toujours pas convaincue par les arguments du demandeur. L’agente a expressément tenu compte du fait que le père du demandeur était un ancien dirigeant du MRND, et elle n’a pas mis en doute cette conclusion de fait. Il était toutefois loisible à l’agente de conclure que le demandeur n’avait pas établi qu’il serait exposé à des risques à cause des activités de son père au sein du parti, surtout compte tenu du fait que le demandeur n’a pas produit d’éléments de preuve établissant que son père avait subi un mauvais traitement à cause de son poste au sein du MRND. Le demandeur n’a pas non plus produit d’éléments de preuve relatifs à l’emprisonnement de son père. En outre, il ressort clairement des « Soumissions ERAR » (dossier certifié du tribunal, à la page 190) que le demandeur n’a pas été impliqué dans le génocide. C’est son père qui est soupçonné d’avoir pris part au génocide :

2. Si je risque de subir ce traitement, ce n’est pas parce que j’ai commis un crime quelconque au RWANDA.

 

C’est juste à cause de mon ethnie Hutu et du dossier de mon père qui est emprisonné au Rwanda depuis plus de 10 ans, sans inculpation ni jugement; juste pour les soupçons de son implication dans le génocide rwandais.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[19]           La Cour est d’avis qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer les arguments du demandeur. L’agente a examiné tous les éléments de preuve que le demandeur avait produits, et il était tout à fait raisonnable que l’agente conclue que le demandeur n’avait pas établi que son profil se distinguait de celui de tous les autres Rwandais.

 

[20]           Le demandeur soutient également que l’agente a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il serait considéré comme faisant partie de l’opposition et qu’il serait exposé à des risques à cause de ses origines hutues. Le demandeur note que la SPR s’est appuyée expressément sur le lien étroit entre lui et son père pour inférer que le demandeur était complice de crimes contre l’humanité, et que la Cour s’est aussi appuyée sur ce lien pour confirmer la décision de la SPR (Teganya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 590, [2006] A.C.F. no 778). Le demandeur soutient qu’il est déraisonnable que l’agente tire des inférences différentes des faits qui ont constitué le fondement de son exclusion. Le demandeur affirme également qu’il était déraisonnable que l’agente omette de mentionner cet élément de preuve, puisqu’il s’agissait d’un élément de preuve important qui contredisait carrément sa conclusion de fait (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n1425, 157 F.T.R. 35).

 

[21]           Encore une fois, la Cour ne peut souscrire aux arguments du demandeur. Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, l’agente n’a pas tiré des inférences différentes des faits qui avaient constitué le fondement de son exclusion. La SPR a conclu que le demandeur était exclu parce qu’il avait omis de partir et de se distancier des atrocités qui étaient commises à l’hôpital où il travaillait. En ce qui a trait au père du demandeur, la SPR a seulement conclu que le demandeur devait bien connaître les orientations politiques du MRND à cause du rôle de son père au sein du parti. Lorsque l’agente a examiné les observations présentées par le demandeur au soutien de sa demande d’ERAR, elle n’a pas expressément nié que le père du demandeur eût été un dirigeant du MRND. Cependant, l’agente ne disposait tout simplement pas de renseignements suffisants pour pouvoir conclure que ce fait à lui seul suffisait à exposer le demandeur à des risques au Rwanda. En outre, il n’y a rien qui porte à croire que le demandeur serait exposé à des risques sous le régime politique actuel à cause de son travail à l’hôpital de Butare. En l’absence d’autres éléments de preuve établissant que le demandeur serait identifié comme étant un membre de l’opposition, il était loisible à l’agente de conclure que le demandeur n’avait pas démontré qu’il était exposé à un risque.

 

[22]           Il est bien établi en droit qu’une demande d’ERAR n’est pas un appel ni un nouvel examen de la décision de la SPR (Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, [2007] A.C.F. n1632). Le demandeur était tenu de produire tous les éléments de preuve nécessaires pour établir ses prétentions. Puisqu’il ne l’a pas fait, la décision de l’agente était raisonnable.

 

[23]           Enfin, le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur d’appréciation de la documentation relative à la situation dans le pays. Le demandeur note que l’agente a clairement admis qu’il y avait d’importants problèmes au Rwanda, mais elle a conclu que les faits qui y étaient relatés n’étaient pas reliés à la situation personnelle du demandeur. Le demandeur soutient qu’une telle conclusion est déraisonnable, puisque les éléments de preuve documentaire établissent clairement que les personnes que l'on considère liées au génocide, ce qui cadre avec le profil du demandeur, sont exposées au risque de subir des procès inéquitables et d’être détenues arbitrairement. Le demandeur affirme en outre que la conclusion de l’agente selon laquelle tous les Rwandais sont exposés au même risque est déraisonnable, puisqu’il est clair que le demandeur n’est pas comme tous les autres Rwandais.

 

[24]           Le demandeur invoque la décision Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 65, [2009] A.C.F. n59, dans laquelle la Cour a annulé un avis de danger parce que l’agent avait omis de tenir compte d’éléments de preuve documentaire selon lesquels le demandeur était exposé à un risque différent de celui auquel étaient exposés les autres Sri-Lankais à cause de ses liens avec les TLET.

 

[25]           En l’espèce, le demandeur n’a pas réussi à établir qu’il serait lié au génocide à son retour. L’agente a raisonnablement conclu que les éléments de preuve documentaire ne révélaient pas que le demandeur était exposé à un risque personnalisé. À l’audience de la Cour, l’avocat du défendeur a soutenu avec raison que, bien que le demandeur soit déclaré complice, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’il soit exposé à un risque. Compte tenu des éléments de preuve produits dans la présente affaire, il n’y a aucun lien qui permette à la Cour de conclure que le demandeur serait soumis à la torture au Rwanda parce qu’il a été déclaré complice. De même, puisque le demandeur n’a pas réussi à établir que sa situation se distinguait de celle des autres Rwandais, l’agente, se fondant sur les éléments de preuve dont elle disposait, n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que tous les Rwandais étaient exposés au même risque que le demandeur. Par conséquent, la Cour conclut que l’agente n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a analysé les éléments de preuve que le demandeur avait présentés.

 

2.            Le demandeur a-t-il subi un manquement à la justice naturelle et à l’équité procédurale attribuable à l’incompétence de son avocat?

 

[26]           Le demandeur soutient qu’il y a eu un manquement à la justice naturelle dans la présente affaire parce que son ancien avocat ne l’a pas bien représenté et que le demandeur en a subi un préjudice. Le demandeur invoque l’arrêt R c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520, dans lequel la Cour suprême du Canada a statué que, pour déterminer si l’avocat d’une partie a été incompétent, la partie doit établir que : (i) l’inconduite de l’avocat déborde le cadre de ce qui serait un jugement professionnel normal; (ii) il s’est ensuivi un déni de justice.

 

[27]           Le demandeur soutient que ce critère a été appliqué dans la jurisprudence de la Cour en matière d’immigration (Shirwa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.F. 1re inst.), [1994] 2 C.F. 51, [1993] A.C.F. no 1345; Drummond c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 477, 112 F.T.R. 33; Osagie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1368, [2004] A.C.F. no 1656).

 

[28]           Le demandeur soutient en outre que lorsqu’un avocat est engagé pour représenter un client dans le cadre d’une demande d’ERAR, il est de pratique normale que l’avocat s’entretienne avec le client, qu’il l’informe des renseignements qu’il convient de communiquer à l’agent d’ERAR, qu’il demande au client de lui fournir tout élément de preuve documentaire corroborant sa crainte, qu’il présente des copies certifiées conformes de tout document original et qu’il rédige des observations écrites au soutien de la demande.

 

[29]           En l’espèce, le demandeur affirme que son ancien avocat a fait preuve d’incompétence dans plusieurs domaines en omettant d’examiner les formulaires d’ERAR que le demandeur avait remplis, en omettant de rédiger des observations au soutien de la demande, en omettant de conseiller au demandeur de présenter les originaux des lettres d’appui, en omettant de présenter une autre lettre d’appui que le demandeur lui avait remise, en omettant d’informer le demandeur que celui-ci devait produire des éléments de preuve pour établir le fait que son père avait été arrêté, que les personnes comme son père étaient exposées à des risques et que le demandeur serait aussi exposé à des risques du fait qu’il portait le même nom que son père, et en omettant d’aviser le demandeur qu’on avait demandé à celui-ci de produire des éléments de preuve additionnels. En un mot, le demandeur soutient que son ancien avocat ne s’est pas acquitté de ses obligations et qu’en conséquence, le demandeur a clairement subi un préjudice.

 

[30]           La Cour n’est pas d’accord avec les observations du demandeur pour les motifs suivants. Le critère applicable pour déterminer si les actes d’un avocat dénotent une telle incompétence qu’ils constituent un manquement à la justice naturelle et à l’équité procédurale tient aux questions de savoir, d’une part, si les actes de l’avocat débordent le cadre des normes professionnelles et, d’autre part, si le demandeur a subi un préjudice par suite de ces actes. Cependant, le fardeau qui incombe au demandeur est passablement lourd. Comme la Cour l’a noté dans la décision Parast c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 660, [2006] A.C.F. n844, au paragraphe 11 :

[11] Le demandeur doit accepter les conséquences du choix de son conseiller et de la décision qu'il a délibérément pris de mentir sur sa situation personnelle. Ce n'est que dans les circonstances les plus exceptionnelles que la Cour peut tenir compte de l'incompétence d'un avocat. Selon la jurisprudence, la preuve de l'incompétence de l'avocat doit être si claire et sans équivoque et les circonstances si déplorables que l'injustice causée au requérant crèverait pratiquement les yeux : voir Dukuzumuremyi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 278 au para. 9, [2006] A.C.F. no 349 (QL); Drummond c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 112 F.T.R. 33 au para. 6 (C.F. 1re inst.).

 

[31]           Par exemple, en l’espèce, le demandeur soutient que l’agente a rejeté la lettre d’appui à cause de l’incompétence de son ancien avocat. Cependant, comme le défendeur l’a noté, l’agente a accordé peu de poids à la lettre non seulement parce que celle-ci était une copie, mais aussi parce que les allégations que contenait la lettre étaient non corroborées et parce que la lettre visait à établir que le demandeur n’avait commis aucun crime – un fait qui était non pertinent au regard de la demande d’ERAR, puisqu’il avait déjà été établi que le demandeur était complice de crimes contre l’humanité.

 

[32]           Le demandeur soutient également qu’il a subi un préjudice parce que l’agente ne disposait pas de la deuxième lettre d’appui. Le dossier ne permet pas de déterminer précisément quels renseignements cette lettre contenait, et le demandeur n’a pas expliqué en quoi le défaut d’inclure cette lettre aurait nui à sa demande d’ERAR. La Cour est d’avis que la question n’est toujours pas claire de savoir si le demandeur en a subi un préjudice quelconque.

 

[33]           Dans la décision Nunez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 189 F.T.R. 147, [2000] A.C.F. no 555, la Cour a affirmé que la « [p]reuve administrée à l'appui [d’une allégation d’incompétence de l’avocat] doit être à la mesure de la gravité des conséquences pour tous les intéressés ».

 

[34]           L’avocat du demandeur a attiré l’attention de la Cour sur une lettre signée par le demandeur et adressée au Bureau du syndic, l’organisme professionnel qui réglemente la conduite des avocats dans la province de Québec. Cependant, il ne ressort pas de la lettre que la responsabilité professionnelle de l’avocat dont il y est question aurait été retenue (dossier certifié du tribunal aux p. 245 à 247), et il serait donc inapproprié que la Cour en tire quelque conclusion que ce soit dans la présente affaire (Dukuzumuremyi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 278, [2006] A.C.F. n349).

 

[35]           Enfin, le demandeur affirme dans son affidavit que son ancien avocat a reçu une demande de l’agente d’ERAR dans laquelle celle-ci demandait au demandeur de présenter de la documentation additionnelle, et que l’avocat n’a pas informé le demandeur de cette demande. Cependant, le dossier du demandeur et le dossier certifié du tribunal ne comportent aucun élément de preuve selon lequel l’agente aurait tenté de communiquer avec le demandeur pour lui demander des observations additionnelles mises à jour. En l’absence d’une telle preuve, la Cour ne peut pas conclure qu’une telle demande a été faite.

 

[36]           La Cour est d’avis qu’elle ne peut pas conclure que le demandeur a subi un préjudice, non seulement par suite des actes de son ancien avocat d’après ces éléments de preuve à eux seuls, mais aussi en l’absence d’éléments de preuve relatifs aux conditions du contrat de services entre le demandeur et son ancien avocat.

 

[37]           De manière générale, la Cour conclut que, bien que l’ancien avocat du demandeur ait pu agir d’une manière qui s’inscrit en dehors du cadre de ce à quoi on s’attendrait normalement dans la profession, les éléments de preuve ne démontrent pas une incompétence extraordinaire (Huynh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 642, 65 F.T.R. 11) qui aurait causé un préjudice au demandeur par suite des actes de l’avocat. Le demandeur n’a pas convaincu la Cour que les lacunes dans la preuve résultaient directement des actes de l’avocat. Compte tenu des éléments de preuve produits par le demandeur, celui-ci n’a pas réussi à s’acquitter de ce fardeau. Par conséquent, la Cour ne peut pas conclure que l’avocat du demandeur a été incompétent au point où le demandeur aurait subi un déni de justice naturelle ou d’équité procédurale.

 

3.            L’agente a-t-elle manqué à son obligation d’équité en omettant de faire savoir son intention de s’appuyer sur l’évolution de la situation au Rwanda et de demander au demandeur de lui communiquer des renseignements mis à jour?

 

[38]           Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur lorsqu’elle s’est appuyée sur le rapport du DÉ des États-Unis pour l’année 2009. Le demandeur invoque l’arrêt Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)(C.A.), [1998] 3 C.F. 461, [1998] A.C.F. no 565, dans lequel la Cour a affirmé que lorsqu’un agent souhaite s’appuyer sur des documents provenant de sources publiques qui sont devenus disponibles après le dépôt des observations, l’obligation d’équité exige que l’agent communique les documents si ceux-ci sont « inédits et importants et [font] état de changements survenus dans la situation du pays qui risquent d'avoir une incidence sur sa décision ». Le demandeur invoque aussi la décision Mahendran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1236, [2009] A.C.F. no 1554, dans laquelle la Cour a conclu encore une fois que l’agente avait manqué à son obligation d’équité en s’appuyant sur un article de presse qui était postérieur aux observations du demandeur sans donner à ce dernier la possibilité de produire ses propres renseignements mis à jour.

 

[39]           La Cour ne peut pas conclure que l’agente a commis une erreur en l’espèce. Dans l’arrêt Mancia, précité, la Cour d’appel fédérale affirme clairement :

[26] […] Le fait qu'un document ne devienne accessible qu'après le dépôt des observations d'un demandeur ne signifie absolument pas qu'il contient des renseignements nouveaux ni que ces renseignements sont pertinents et qu'ils auront une incidence sur la décision. À mon avis, l'obligation de communiquer un document au demandeur se limite aux cas où un agent d'immigration s'appuie sur un document important postérieur aux observations et où ce document fait état de changements survenus dans la situation générale du pays qui risquent d'avoir une incidence sur sa décision.

 

[40]           En l’espèce, le paragraphe du rapport du DÉ des États-Unis que l’agente a cité ne contenait pas d’éléments de preuve « inédits » ou « importants », ni ne faisait état de changements survenus dans la situation du pays. Le rapport du DÉ des États-Unis pour l’année 2007, qui était disponible en septembre 2008, à l’époque où le demandeur a présenté ses observations au soutien de sa demande d’ERAR, contient les mêmes renseignements concernant les efforts de réconciliation ethnique déployés par le gouvernement. Par conséquent, ces renseignements ne sont clairement pas de la nature des éléments de preuve dont il était question dans l’arrêt Mancia, précité. L’agente n’a pas manqué à son obligation d’équité en ne communiquant pas ce rapport au demandeur avant de s’appuyer sur son contenu.

 

[41]           La Cour conclut que l’agente a agi de manière équitable et qu’elle est arrivée à une conclusion qui était raisonnable, compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait. Compte tenu des motifs qui précèdent, la présente demande sera rejetée. La présente affaire ne soulève pas de question grave de portée générale qu’il y aurait lieu de certifier.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit : la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-4152-10

 

INTITULÉ :                                       Jean Leonard Teganya c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 février 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Leila Jawando

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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