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Date : 20090930

Dossier : T-1579-06

Référence : 2009 CF 980

Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2009

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

ÉNERGIE ATOMIQUE DU CANADA LIMITÉE

 

demanderesse

 

et

 

 

AREVA NP CANADA LTD. et SOCIÉTÉ DES

PARTICIPATIONS DU COMMISSARIAT

À L’ÉNERGIE ATOMIQUE

 

défenderesses

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les défenderesses demandent à la Cour de rejeter sommairement l’action de la demanderesse en application de l’article 216 des Règles des Cours fédérales. À titre subsidiaire, elles demandent à la Cour d’ordonner l’instruction séparée de la question de la contrefaçon de marque de commerce.

Contexte

[2]               La demanderesse, Énergie atomique du Canada limitée (EACL), est une société d’État canadienne. La défenderesse AREVA NP Canada Ltd. est la filiale canadienne de l’autre défenderesse, la Société des Participations du Commissariat à L’Énergie Atomique, qui appartient en majorité à l’État français. Les défenderesses seront désignées dans les présents motifs sous le nom d’AREVA.

 

[3]               La présente action a été introduite par EACL le 31 août 2006. Dans sa nouvelle déclaration modifiée, en date du 8 janvier 2009, EACL soutient que l’enregistrement LMC 160039 qu’elle détient relativement à la marque de commerce (le dessin‑marque comportant un A fléché) reproduite ci‑dessous

                       

est valide et a été contrefait par AREVA. EACL soutient aussi que l’enregistrement LMC 651852 qu’AREVA détient relativement à la marque de commerce reproduite ci‑dessous (le dessin‑marque A) est invalide.

           

[4]               EACL affirme également qu’AREVA s’est livrée à de la commercialisation trompeuse, en violation de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13, qu’elle a provoqué une diminution de la valeur de sa marque de commerce, contrairement à l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce, et qu’elle a violé le droit d’auteur qu’elle possède sur le dessin‑marque comportant un A fléché.

 

[5]               Les parties à la présente action se livrent concurrence dans la fourniture de marchandises et de services nucléaires. Tous les réacteurs nucléaires qui existent au Canada utilisent la technologie CANDU d’EACL. AREVA n’a jamais vendu de réacteurs nucléaires au Canada.

 

[6]               AREVA a vendu des pièces et des composantes de réacteurs au Canada. La personne qui a souscrit un affidavit pour le compte d’AREVA, Steven Hamilton, a parlé plus précisément d’un contrat d’ingénierie, d’approvisionnement et de construction qu’AREVA a obtenu pour le système de ventilation de la centrale de Point Lepreau, au Québec. La Cour signale que Point Lepreau se trouve, non pas au Québec, mais bien au Nouveau-Brunswick. À la date à laquelle la présente requête a été déposée, EACL et AREVA avaient toutes les deux présenté des soumissions en réponse à un appel d’offres lancé par le gouvernement de l’Ontario pour la construction d’une nouvelle installation nucléaire désignée sous le nom de « New Build ».

 

[7]               AREVA livre également directement concurrence à EACL au Canada dans le domaine du nettoyage des tubes des générateurs de vapeur nucléaires. AREVA Canada poursuit présentement EACL en contrefaçon de brevet relativement à la technologie utilisée pour le nettoyage des tubes.

 

[8]               AREVA se fonde sur les éléments de preuve fournis par deux personnes qui ont souscrit des affidavits à l’appui de sa requête en jugement sommaire. Steven Hamilton est le vice‑président d’AREVA NP aux États-Unis et a déjà été vice-président d’AREVA Canada (2004‑2008), où il était chargé de la promotion et de la vente des réacteurs nucléaires et de la négociation de contrats portant sur les services de remise à neuf de réacteurs nucléaires. Son affidavit traite de la période de temps depuis laquelle les marques de commerce en litige sont employées, des dessins des marques de commerce en litige, de la nature des marchandises et des services d’AREVA, des différences entre la technologie d’AREVA et celle d’EACL, et enfin de la nature de l’industrie nucléaire. La seconde personne qui a souscrit un affidavit pour AREVA, M. John Senders, est un scientifique consultant spécialisé dans l’analyse de la perception et du comportement humains. Son témoignage porte sur les similitudes et les différences qui existent entre les marques de commerce d’AREVA et d’EACL et de la possibilité que ces marques créent de la confusion dans l’esprit des acheteurs des marchandises et services nucléaires.

 

[9]               EACL a déposé cinq affidavits en réponse. William Bohlke est consultant en gestion et en ingénierie nucléaires et il possède une vaste expérience dans le domaine de l’énergie nucléaire. Son témoignage porte sur le processus d’attribution de marchés dans cette industrie. Il a aussi formulé des observations au sujet de l’affidavit de Steven Hamilton. Dale Coffin est directrice des communications intégrées chez EACL. Son affidavit porte sur la marque de commerce d’EACL en litige et sur l’utilisation qu’EACL en a fait. Ruth Corbin est associée directrice générale chez CorbinPartners Inc., société spécialisée dans la science du marketing. Elle a analysé l’affidavit souscrit par M. John Senders. Ida Berger est professeure de marketing à la Ted Rogers School of Business Management de l’Université Ryerson. Son témoignage porte sur les « probabilités de préjudice » auquel EACL s’expose si AREVA continue à employer sa marque en liaison avec la vente et la commercialisation de marchandises et de services nucléaires au Canada. Douglas Brophy est directeur des Opérations commerciales et d’affaires chez EACL. Son témoignage porte sur la confusion. Il a affirmé sous serment qu’un certain M. Goldsmith, vice-président des Produits nucléaires chez WorleyParsons, une société américaine, a déclaré, le 3 juin 2008, en voyant les logos d’EACL et d’AREVA : [traduction] « il doit y avoir une certaine confusion dans l’industrie nucléaire, vu la similitude qui existe entre le logo d’EACL et celui d’AREVA ».

 

Questions en litige

[10]           Les parties ont formulé en des termes quelque peu différents les questions en litige dans la présente requête. Voici la liste des questions que la Cour doit trancher :

                              (i)            AREVA a-t-elle établi qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse en ce qui concerne l’allégation de contrefaçon de la marque de commerce d’EACL et, dans la négative, y a-t-il malgré tout suffisamment d’éléments de preuve pour trancher la question de la contrefaçon dans le cadre de la présente requête?

                            (ii)            AREVA a-t-elle établi qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse en ce qui concerne l’allégation de commercialisation trompeuse d’EACL, et, dans la négative, y a-t-il malgré tout suffisamment d’éléments de preuve pour trancher cette question dans le cadre de la présente requête?

                           (iii)            EACL a-t-elle établi qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse en ce qui concerne l’allégation de contrefaçon de la marque de commerce d’EACL, et, dans la négative, y a-t-il malgré tout suffisamment d’éléments de preuve pour trancher cette question dans le cadre de la présente requête?

 

Analyse

[11]           Les jugements sommaires sont un outil précieux. Comme la Cour suprême du Canada l’a fait observer dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Lameman, 2008 CSC 14, au paragraphe 10, le jugement sommaire permet d’empêcher les demandes et les défenses qui n’ont aucune chance de succès de se rendre jusqu’à l’étape du procès, libérant ainsi du temps que le tribunal serait autrement forcé de consacrer au litige et réduisant les frais et le temps que les parties auraient autrement à consacrer au procès. En revanche, la Cour a fait observer que « la justice exige que les prétentions qui soulèvent de véritables questions litigieuses susceptibles d’être accueillies soient instruites ».

 

[12]           Chacune des parties à une requête en jugement sommaire a l’obligation de présenter sa cause sous son meilleur jour pour établir l’existence ou l’inexistence de véritables questions litigieuses. Toutefois, ainsi que la Cour d’appel fédérale l’explique, dans l’arrêt Succession MacNeil c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2004 CAF 50, [2004] 3 R.C.F. 3, au paragraphe 37 : « Aucune disposition des Règles n’oblige la partie qui répond à avancer suffisamment d’éléments de preuve pour que les véritables questions litigieuses puissent être réglées dans le cadre d’une requête en jugement sommaire. »

 

[13]           La Cour d’appel fédérale a examiné, dans l’arrêt Succession MacNeil, l’ambiguïté que semble comporter l’article 216 des Règles au sujet de l’ordonnance à rendre lorsque la Cour conclut qu’il existe une véritable question litigieuse. La Cour d’appel a fait observer que, d’une part, le juge qui conclut à l’existence d’une véritable question litigieuse doit normalement ordonner que la question soit jugée dans le cadre d’un procès, mais que, d’autre part, le juge saisi de la requête peut trancher la question et statuer sur l’affaire malgré l’existence d’une véritable question litigieuse s’il parvient, à partir de l’ensemble de la preuve, à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit. La Cour souligne toutefois qu’il faut éviter le risque qu’une telle ambiguïté ne transforme les requêtes en jugement sommaire en procès sommaires jugés uniquement sur la base d’affidavits.

 

[14]           Ayant à l’esprit ces principes, je passe maintenant à l’examen du fond de la requête.

 

(i)         Contrefaçon de marque de commerce

[15]           Pour obtenir gain de cause dans une action en contrefaçon de marque de commerce, le demandeur doit établir, selon la prépondérance des probabilités : (1) qu’il est le propriétaire inscrit de la marque de commerce; (2) que le défendeur se sert d’une marque de commerce identique ou sensiblement semblable; (3) que l’usage que le défendeur fait est susceptible de créer de la confusion ou a créé de la confusion. Le paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce prévoit que, pour décider si des marques de commerce créent de la confusion, la Cour doit tenir compte : (1) du caractère distinctif inhérent des marques de commerce et de la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; (2) de la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; (3) du genre de marchandises, services ou entreprises; (4) de la nature du commerce; (5) du degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. La liste n’est pas exhaustive et le poids à accorder à ces facteurs dépend des « circonstances de l’espèce ».

 

[16]           AREVA et EACL formulent les observations suivantes au sujet de ces facteurs.

 

[17]           En ce qui concerne le caractère distinctif, AREVA affirme que le dessin‑marque comportant un A fléché d’EACL présente un caractère distinctif inhérent faible. Les marques composées de lettres sont des marques « faibles » qui n’ont droit qu’à une protection limitée. AREVA soutient également qu’EACL n’a pas produit d’éléments de preuve démontrant que sa marque a été employée pour la commercialisation de produits et de services ayant trait à des réacteurs nucléaires de manière à acquérir un caractère distinctif. EACL soutient que le dessin‑marque comportant un A fléché d’EACL et le dessin‑marque comportant un A d’AREVA possèdent toutes les deux un caractère distinctif inhérent équivalent. Elle soutient qu’AREVA n’a pas présenté d’éléments de preuve démontrant que sa marque a acquis un caractère distinctif, alors que la Cour dispose d’éléments de preuve démontrant que le dessin‑marque comportant un A fléché d’EACL figure sur pratiquement la totalité des papiers à en-tête, cartes professionnelles, propositions, factures, brochures, camions, uniformes, casques protecteurs, produits, publicités ainsi que de l’affichage et de l’équipement d’EACL.

 

[18]           En ce qui concerne la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage, AREVA affirme que, même si le dessin‑marque comportant un A fléché d’EACL est enregistré depuis la fin des années soixante, le témoin d’EACL, Dale Coffin, n’a pas réussi, lors de son contre‑interrogatoire, à confirmer que la marque était employée depuis la date de son enregistrement. EACL affirme qu’une marque qui est en usage depuis aussi longtemps peut être présumée avoir produit une certaine impression sur les consommateurs et que le dessin‑marque comportant un A fléché d’EACL est en usage depuis beaucoup plus longtemps que le dessin‑marque A d’AREVA.

 

[19]           Les deux parties ont présenté des observations détaillées sur la nature des marchandises et services associés à la marque ainsi que sur la nature du commerce nucléaire se rapportant aux marques en question. AREVA affirme que le critère de l’« impression hâtive » ne s’applique pas aux activités du secteur du nucléaire parce que les clients examinent attentivement les produits et les services qu’ils achètent. Elle soutient qu’EACL et AREVA vendent et réparent des types de réacteurs nucléaires différents et que tous les réacteurs nucléaires qui existent au Canada sont des réacteurs CANDU d’EACL. Présentement, il n’y a pas de débouchés au Canada pour aucun des produits de réacteurs nucléaires à eau ordinaire d’AREVA. Elle ajoute que les acheteurs de réacteurs nucléaires connaissent bien la technologie sous-jacente et qu’en tout état de cause, AREVA et EACL commercialisent respectivement leurs réacteurs en employant leurs marques de commerce EPR et CANDU / ACR 1000. Tous les experts d’EACL ont reconnu lors de leur contre‑interrogatoire que les clients visés ne risquaient pas d’être confus au point de ne pas acheter le bon réacteur nucléaire.

 

[20]           AREVA signale que l’achat de réacteurs nucléaires n’est pas quelque chose qui se produit régulièrement au Canada. EACL n’a pas vendu un seul réacteur au Canada depuis dix ans et AREVA n’a jamais vendu de réacteurs au Canada. Les activités commerciales se rapportant aux produits et services afférents aux réacteurs nucléaires sont des activités d’ampleur mondiale et le nombre de concurrents à l’échelle planétaire qui sont connus des intervenants de cette industrie est limité. AREVA fait valoir que, s’agissant de la vente de produits et services concernant des réacteurs nucléaires, il est tout à fait sans intérêt de savoir si de la confusion pourrait être créée dans l’esprit du grand public. La clientèle visée est, souligne-t-elle, constituée des gouvernements provinciaux et des principaux services publics d’électricité. Le marché des produits et services nucléaires est largement réglementé. Les fournisseurs de produits liés à la sûreté doivent être autorisés par le gouvernement et ils sont soumis à un contrôle de la qualité effectué par CANPAC, un organisme unifié créé par les intervenants de cette industrie. Les décisions qui sont prises en matière d’approvisionnement font intervenir de nombreuses personnes, qui procèdent à une série d’examens et d’approbations qui s’échelonnent sur une période relativement longue. Il arrive souvent que les clients signent avec les fournisseurs des ententes générales qui portent sur la fourniture de pièces et de services à la suite de négociations échelonnées sur plusieurs années. Les services liés aux réacteurs nucléaires qui font effectivement l’objet d’un appel d’offres sont des contrats d’une valeur de plusieurs millions de dollars. Dans ces conditions, aucune confusion n’est créée dans l’esprit des consommateurs en ce qui concerne l’interlocuteur avec lequel ils traitent.

 

[21]           EACL fait valoir qu’ AREVA et elle sont des concurrentes directes et qu’elles se livrent concurrence en ce qui concerne la fourniture de pièces et de services pour les réacteurs CANDU. En ce qui concerne l’approvisionnement en produits et services nucléaires, EACL a présenté des éléments de preuve illustrant le point de vue du consommateur, contrairement à AREVA. William Bohlke a expliqué que la technologie particulière d’un vendeur n’est qu’un des facteurs qui entrent en ligne lorsqu’il s’agit de prendre une décision en matière d’attribution de marchés. D’après son expérience, un logo peut influencer considérablement l’impression générale des capacités du vendeur que peuvent avoir les personnes appelées à prendre une décision. Les liens qui sont établis avec la province où habite le client revêtent également de l’importance. En ce qui concerne l’appel d’offres lancé par Ontario Power en vue de la construction d’une nouvelle usine appelée « New Build », il serait important que l’entreprise retenue soit perçue comme ayant de l’expérience ainsi qu’une présence significative en Ontario. Comme le nombre de personnes qui prennent part aux décisions en matière d’attribution de marchés est élevé, et que ce n’est pas la totalité d’entre elles qui possèdent des compétences techniques, le risque de confusion est accru en raison du facteur de la première impression.

 

[22]           AREVA affirme que la différence qui existe entre les deux marques saute aux yeux en raison de l’atome ou boule fléché qui figure à l’avant du dessin‑marque comportant un A fléché d’EACL. AREVA cite la décision Anamet Inc. c. Acklands Ltd., (1996), 67 C.P.R. (3d) 478 (C.F. 1re inst.) à l’appui du principe que le degré de ressemblance entre les marques doit être apprécié en faisant abstraction de l’usage courant de la lettre A. AREVA affirme en conséquence que la présentation et les idées que les deux marques suggèrent sont très différentes.

 

[23]           EACL rappelle pour sa part qu’AREVA a admis que les deux marques sont composées d’un A stylisé et affirme que, si l’on s’en tient à la première impression, elles sont par conséquent très semblables.

 

[24]           Après avoir examiné les affidavits sur lesquels les parties se sont appuyées ainsi que la jurisprudence qui a été présentée, je suis d’accord avec AREVA pour dire que les facteurs relatifs à la confusion qui sont énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce, en l’occurrence la nature des marchandises, des services et des activités et la nature du commerce, revêtent une importance capitale, voire déterminante. Il est difficile d’imaginer des clients plus avisés et un processus d’acquisition plus prudent que ceux qui existent dans l’industrie de l’énergie nucléaire. Dans ces conditions, il est illogique de se placer du point de vue du consommateur « quelque peu pressé » comme EACL le préconise, puisqu’il n’existe pas de « consommateur pressé » lorsqu’il s’agit d’acheter des produits et des services nucléaires. Vu l’ensemble de la preuve dont la Cour dispose, on peut dès lors conclure qu’il est exclu que de la confusion pourrait être créée dans l’esprit d’un service public d’électricité du fait de la ressemblance des marques d’AREVA et d’EACL au point qu’il « se trompe » d’entreprise lorsqu’il achète un réacteur ou des services (comme les témoins et l’avocat d’EACL l’ont d’ailleurs admis). Le processus d’attribution des marchés long et détaillé que l’on doit suivre pour acquérir des marchandises et des services d’AREVA ou d’EACL rend tout simplement impossible cette éventualité.

 

[25]           William Bohlke, qui a témoigné pour EACL, a expliqué en détail les nombreuses étapes que comporte le processus d’attribution des marchés dans cette industrie lorsqu’il s’agit d’acheter un réacteur, de remettre à neuf un réacteur ou d’attribuer un contrat de maintenance. Il explique que les étapes suivantes sont suivies à chacune des phases du processus d’attribution du marché : définition du projet, création d’un comité de sélection, mesures prises avant le lancement de l’appel d’offres, évaluation des soumissions, y compris la phase II – évaluation quantitative et phase II – évaluation qualitative, demande d’éclaircissements au sujet des offres, classement global et adjudication du marché. Il s’agit donc d’une situation dans laquelle aucun des éléments de preuve qui ont été présentés au procès ou qui auraient pu l’être n’aurait pu changer quoi que ce soit au fait que toute confusion passagère susceptible d’être créée par la ressemblance qui existe entre les marques de commerce sera dans tous les cas dissipée au cours du processus d’attribution du marché, et ce, avant que les marchandises ou les services nucléaires ne soient effectivement achetés.

 

[26]           Ceci étant dit, le témoignage de M. Bohlke soulève une question de confusion indépendamment du processus d’attribution du marché. Il conteste l’affirmation de la personne qui a souscrit un affidavit pour AREVA suivant laquelle même s’il y a pu y avoir de la confusion au départ, [traduction] « il est inconcevable qu’il existe encore de la confusion dans l’esprit d’un tel consommateur une fois que le processus d’attribution du marché est enclenché […] ». Suivant M. Bohlke, un logo est associé à la réputation du vendeur. Il écrit :

[traduction] L’expérience globale vécue avec un vendeur ne dépend pas uniquement des contacts directs. Elle est également  façonnée par des facteurs qui semblent accessoires. Il arrive souvent qu’une couleur, un logo ou un casque de protection soit l’élément que l’intéressé associe spontanément à une marque ou un produit. Dans le même ordre d’idées, le consommateur reconnaîtra la présence d’un entrepreneur par le logo ou la marque de commerce figurant sur ses véhicules ou dans ses bureaux. Enfin, certains équipements arborent une marque et le rendement (ou absence de rendement) de l’équipement peut contribuer à former une opinion générale au sujet du vendeur en question.

 

En d’autres termes, il y a un achalandage rattaché à la marque de commerce et de la confusion peut être créée au sein de l’industrie nucléaire en dehors du processus d’attribution du marché. Ce témoin laisse entendre qu’un acheteur canadien potentiel de marchandises ou de services nucléaires qui verrait, par exemple, le dessin‑marque comportant un A d’AREVA sur le casque protecteur d’un ingénieur, pourrait attribuer « par erreur » à EACL les associations positives ou négatives qu’il en déduit, ce qui influencerait sa perception de la marque et influerait de façon subtile sur ses rapports avec les vendeurs.

 

[27]           Les éléments de preuve présentés par AREVA ne traitent pas de ce type de confusion ou d’influence subtile sur le comportement des consommateurs. Toutefois, lorsqu’on examine la question de la confusion qui existe entre les deux marques, il faut tenir compte de la présentation globale utilisée par les parties relativement à leur marque (United Artists Corp. c. Pink Panther Beauty Corp. (1998), 80 C.P.R. (3d) 247 (C.A.F.)).

 

[28]           Le dessin‑marque comportant la lettre A d’AREVA est intégré à la première et à la dernière lettre du mot AREVA. Il n’est pas employé seul; il fait partie du nom AREVA ou se trouve accolé à ce nom. EACL n’a présenté aucun élément de preuve démontrant que son dessin‑marque comportant un A fléché figure seul. Il semble qu’il apparaisse plutôt près de sa raison sociale EACL/AECI. Bref, les deux marques apparaissent toujours en compagnie de la raison sociale ou de l’acronyme de l’entreprise. En conséquence, la confusion qui, selon M. Bohlke, peut survenir en dehors du processus d’attribution du marché n’existe, à mon avis, que si l’on applique le mauvais critère. Ainsi que lord Denning le dit dans l’arrêt Newsweek Inc. c. British Broadcasting Corp., [1979] R.P.C. 441, à la page 446 :

[traduction] Le critère consiste à se demander si de la confusion serait créée dans l’esprit de membres du public ordinaires et sensés. Il ne suffit pas que seule une tranche minime de citoyens peu perspicaces soient dans la confusion, ou, comme le juge Foster l’a expliqué récemment, que la seule personne qui serait induite en erreur serait « un crétin empressé ».

 

Dans l’industrie nucléaire, le fait que Homer Simpson puisse être confus ne suffit pas à conclure qu’il y a confusion.

 

[29]           Je conclus donc qu’AREVA a établi qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse en ce qui concerne l’allégation de contrefaçon de marque de commerce d’EACL. L’action en contrefaçon de marque de commerce d’EACL est par conséquent rejetée.

 

(ii)        Commercialisation trompeuse

[30]           L’article 7 de la Loi sur les marques de commerce codifie le délit de commercialisation trompeuse de la common law. EACL se dit notamment victime d’une violation de l’alinéa 7b), qui interdit à quiconque d’« appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre ».

 

[31]           Pour obtenir gain de cause dans une action en commercialisation trompeuse sur le fondement de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, EACL doit prouver, selon la prépondérance des probabilités :

                           (i)               qu’elle est la propriétaire inscrite de la marque de commerce;

                         (ii)               qu’un achalandage est associé à sa marque de commerce;

                        (iii)               qu’AREVA emploie une marque suffisamment similaire;

                       (iv)               que cet emploi vise à appeler l’attention du public sur les marchandises, services ou activités d’AREVA;

                         (v)               que cet emploi causera vraisemblablement ou cause effectivement de la confusion au Canada (à l’époque où AREVA a commencé cet emploi);

                       (vi)               qu’EACL subit un préjudice réel ou potentiel.

 

[32]           Il n’y a aucun élément de preuve démontrant que de la confusion a été créée dans l’esprit des consommateurs des marchandises et des services des parties à l’instance et, pour les motifs qui ont déjà été exposés, je conclus qu’il n’existe présentement aucune probabilité d’une telle confusion au Canada.

 

[33]           En conséquence, je conclus qu’AREVA a établi qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse en ce qui concerne l’allégation de commercialisation trompeuse d’EACL. L’action en commercialisation trompeuse est par conséquent rejetée.

 

(iii)       Violation du droit d’auteur

[34]           Pour obtenir gain de cause dans une action en violation du droit d’auteur, EACL doit prouver, selon la prépondérance des probabilités :

                              (i)            que l’œuvre à l’égard de laquelle elle revendique un droit d’auteur est une œuvre originale (et qu’elle est antérieure à la violation présumée);

                            (ii)            que cette œuvre a été plagiée sans son consentement;

                           (iii)            que ce plagiat s’est traduit par la reproduction d’une partie substantielle de l’œuvre.

 

[35]           Pour qu’il y ait plagiat, il doit exister un lien de causalité entre l’œuvre originale et l’œuvre qui résulterait du plagiat. Le demandeur doit présenter des éléments de preuve démontrant qu’il y a effectivement eu plagiat ou que le défendeur a eu accès à l’œuvre et que, combiné à l’existence d’une importante similitude, ce facteur permet de conclure au plagiat (Shewan c. Canada (Attorney General), (1999), 87 C.P.R. (3d) 475 (C.S.J. Ont.)). Or, EACL n’a présenté aucun élément de preuve démontrant qu’il y a effectivement eu plagiat.

 

[36]           Sera qualifiée de copie présentant une importante similitude celle qui [traduction] « se rapproche de l’original à tel point que quiconque y distinguerait l’idée créée par l’original; une telle similitude constitue une preuve prima facie de plagiat » (Roger T. Hughes, Susan J. Peacock & Neal Armstrong, Hughes on Copyright & Industrial Design, 2e éd., édition à feuilles mobiles (Markham (Ontario), LexisNexis, 2009) §63). Toutefois, « plus une œuvre protégée par un droit d’auteur est simple, plus la copie de celle-ci doit être parfaite pour constituer une violation de ce droit » (DRG Inc. c. Datafile Ltd., [1988] 2 C.F. 243, à la page 256 (C.F. 1re inst.), conf. par (1991), 35 C.P.R. (3d) 243 (C.A.F.)).

 

[37]           Le dessin‑marque comportant un A d’AREVA a été créé en 2001 par un cabinet de design de France. En réponse à un engagement donné lors de l’interrogatoire préalable, AREVA a produit une lettre datée du 14 novembre 2008 de Yann Guitton (Carré Noir), confirmant qu’il avait créé le dessin A pour AREVA en 2001, sans être au courant de l’existence du dessin A d’EACL. EACL n’a pas présenté d’éléments de preuve pour prouver le contraire. Ainsi, même si l’on pouvait dire que le dessin‑marque A d’AREVA se rapproche suffisamment du dessin‑marque comportant un A fléché d’EACL pour que quiconque y distingue l’idée créée par l’original, AREVA a soumis des éléments de preuve non contredits qu’il n’y a pas eu de plagiat, écartant ainsi toute inférence contraire.

 

[38]           AREVA a par conséquent établi qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse en ce qui concerne l’allégation de violation du droit d’auteur d’EACL et son action doit donc être rejetée.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.         La requête en jugement sommaire présentée par les défenderesses en application de l’article 216 des Règles des Cours fédérales est accueillie et l’action de la demanderesse est rejetée.

2.         Les défenderesses ont droit à leurs dépens.

   « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1579-06

 

INTITULÉ :                                                   ENERGIE ATOMIQUE DU CANADA LIMITÉE c.

                                                                        AREVA NP CANADA LTD. et SOCIÉTÉ DES PARTICIPATIONS DU COMMISSARIAT À L’ÉNERGIE ATOMIQUE

                                                                       

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 29 juin 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 30 septembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Diane E. Cornish

Joseph R. Marin

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

May Cheng

Leanne Shaughnessy

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OSLER, HOSKIN & HARCOURT s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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