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Date :  20090702

Dossier :  T-962-08

Référence :  2009 CF 684

Ottawa (Ontario), le 2 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

JEAN LAVIGNE

demandeur

et

 

SOUS-MINISTRE DE LA JUSTICE

 

et

 

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               Un examen du préambule de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (LEFP), permet de révéler l’intention du législateur et d’aider à l’interprétation du concept d’abus de pouvoir. L’un des extraits dans le préambule démontre que le gestionnaire détient un pouvoir discrétionnaire considérable concernant des questions de dotation :

 

 

Préambule

Attendu :

 

[…]

 

que le pouvoir de dotation devrait être délégué à l’échelon le plus bas possible dans la fonction publique pour que les gestionnaires disposent de la marge de manoeuvre dont ils ont besoin pour effectuer la dotation, et pour gérer et diriger leur personnel de manière à obtenir des résultats pour les Canadiens;

Preamble

Recognizing that

 

 

delegation of staffing authority should be to as low a level as possible within the public service, and should afford public service managers the flexibility necessary to staff, to manage and to lead their personnel to achieve results for Canadians; and

 

[2]               La création des qualifications essentielles est confiée au gestionnaire, ce n’est ni  au Tribunal ni à la Cour d’établir les qualifications essentielles requises pour un poste ou de substituer leur appréciation des qualifications des candidats à celle du gestionnaire ou ses sous-délégués, le Comité de présélection en espèce. Le rôle du Tribunal consistait à examiner s’il y avait eu abus de pouvoir dans la façon dont le Comité de présélection a examiné les demandes.

 

[3]               Donc, cette Cour n’a pas la compétence pour répondre aux questions de si l’« expérience considérable » est bien décrite par « environ d’une dizaine d’années d’expérience » et si le demandeur a l’expérience considérable selon la qualification essentielle.

 

 

 

 

II.  Procédure judiciaire

[4]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision du 27 mai 2008 de la vice-présidente du Tribunal de la dotation de la fonction publique (Tribunal), rejetant les plaintes d’abus de pouvoir interjeté par le défendeur aux termes de l'alinéa 77(1)a) de la LEFP.

 

III.  Faits

[5]               Au début du mois d’août 2006, Me Henri Bédirian, directeur, Direction des affaires fiscales, ministère de la Justice du Canada à Montréal, a décidé de pourvoir des postes de juriste expert et de chef d’équipe au groupe et niveau LA-2B.

 

[6]               Au cours du mois d’août 2006, Me Bédirian a établi un énoncé de Critères de mérite, qui a contenu des qualifications essentielles, pour ces postes en consultation avec Me Valérie Tardif, Chef d’équipe, et Mme Monique Renaud, conseillère en ressources humaines.

 

[7]               Toujours au cours du mois d’août 2006 de manière concomitante avec la préparation de l’énoncé de Critères de mérite, Me Bédirian a clarifié le sens de certaines qualifications essentielles en guise d’instructions aux personnes chargées de la présélection; c’est-à-dire du tri préliminaire des candidatures sur le fondement de la lettre des présentations du Curriculum Vitae des candidats. Ces précisions de qualifications essentielles sont trouvées dans un document intitulé « Justification du/des Critères de mérite pour le choix d’une nomination ».

 

[8]               Le 18 septembre 2006, les postes de chef d’équipe (LA-2B 02) (processus nº 2006-JUS-MTL-DAF-1A-130) et de juriste expert (LA-2B 02) (processus nº 2006-JUS-MTL-DAF-1A-89) ont été affichés dans Publiservice. La date de clôture était le 2 octobre 2006 pour les deux postes, qui sont au sein du ministère de la Justice du Canada, Direction des affaires fiscales à Montréal. Pour se qualifier aux deux postes, les annonces dans Publiservice ont affirmé que les candidats devaient démontrer qu’ils répondaient aux qualifications essentielles.

 

[9]               Par un concours de circonstances, c’est-à-dire, des vacances et des raisons administratives, ces définitions étaient signées par Me Bédirian, le ou vers le 22 septembre 2006. Toutefois, la date du 8 septembre 2006 est apposée pour tenter de refléter approximativement le moment réel de la création de ces définitions. Ce document décrit comment les qualifications essentielles énoncées dans Publiservice seraient utilisées par le Comité de présélection pour l’évaluation des demandes aux postes à doter.

 

[10]           Pour la plupart de ses 30 ans de carrière, Me Jean Lavigne a travaillé dans le domaine du litige commercial. Il a œuvré en pratique privée de 1978 à 1981. Entre 1981 et 1989, il a travaillé au sein du gouvernement du Québec, au ministère de la Justice à titre d’avocat-plaideur, comme Chef des appels et affaires juridiques pour le ministère du Revenu, à Québec, et finalement à Montréal, aussi pour le ministère du Revenu comme Chef de division à la Direction des appels et oppositions. Au cours de ces années, il a également surveillé des équipes d’avocats; et à l’époque, il a traité des questions de droit d’impôt, mais elles étaient accessoires à sa pratique et il a comparu seulement dans les cours de Québec.

[11]           De 1989 à aujourd’hui, Me Lavigne occupe une fonction d’avocat-plaideur auprès du ministère de la Justice du Canada, à la direction des affaires civiles jusqu’en 2000 et ensuite à la direction des affaires fiscales au bureau régional du Québec ou il travaille actuellement. Il avait une expérience variée au sein du ministère de la Justice du Canada, comparu devant les cours de Québec, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale du Canada dans divers domaines du droit. Il a même été détaché auprès de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à temps plein pour une durée d’une année, de 2002 à 2003, et a comparu devant le Comité d'arbitrage chargé de sanctionner l’application du Code de déontologie de la GRC. Depuis 2003, il a œuvré dans des dossiers de cotisation variés, en matière d’impôt et d’assurance-emploi.

 

[12]           Le 18 septembre 2006, Me Lavigne a reçu les annonces pour le poste de chef d’équipe et juriste expert affichés dans Publiservice. Il a soumis deux demandes à la date d'échéance, soit le 2 octobre 2006.

 

[13]           Le Comité de présélection, qui était composé de Me Valérie Tardif, Me Marie-Andrée Legault et Me Daniel Verdon, a examiné la candidature de Me Lavigne, le 27 octobre 2006. À la lumière du curriculum vitae de Me Lavigne, le Comité de présélection a conclu que Me Lavigne ne remplissait pas une des qualifications essentielles. Il a été informé par courrier électronique, le 31 octobre 2006, que ses deux demandes n’avaient pas été retenues au stade de la présélection au motif que « les personnes responsables de l’évaluation sont arrivées à la conclusion que vous ne répondez pas au critère de mérite essentiel suivant fixé par la présélection : Expérience considérable et récente dans la conduite de litiges complexes et variés à la Cour canadienne de l’impôt » (Courrier électronique, le 31 octobre 2006).

 

[14]           Me Lavigne a communiqué par courrier électronique avec Me Tardif, qui lui a fait parvenir un document contenant les qualifications essentielles incluses dans les annonces dans Publiservice dans la colonne gauche et les Critères de sélection, qui ne sont pas inclus dans les annonces, sous la colonne droite. C’était la première fois que Me Lavigne a vu l’information contenue dans la colonne droite. Il est utile de reproduire la portion du document qui est pertinent aux plaintes :

Document affiché sur Publiservice

Les critères de sélection devant le comité d’évaluation

 

Expérience considérable et récente dans la conduite de litiges complexes et variés à la Cour

canadienne de l’impôt.

 

On entend par expérience considérable et récente : une expérience acquise depuis environ une dizaine d’années dans la conduite de dossiers de complexité moyenne touchant les dispositions variées de la Loi de l’impôt sur le revenu et touchant la Loi de l’assurance-emploi, dont au moins deux années d’expérience acquise au cours des deux dernières années.

Très bonne expérience dans la conduite de dossiers devant la Cour d’appel fédérale.

 

On entend par très bonne expérience : l’avocat(e) est familier(ère) avec la conduite de ces dossiers ayant eu l’occasion durant ses années d’expérience de rédiger des mémoires et de plaider des dossiers en matière d’appel de cotisation ou d’assurance-emploi devant la Cour d’appel fédérale.

 

[15]           Malgré ses appréhensions, Me Lavigne a accepté d’avoir une discussion informelle, le 15 décembre 2006, avec le Comité de présélection ainsi que Mme Renaud. Puisque Me Lavigne n’a pas présenté une nouvelle preuve qui démontrerait qu’il a « une expérience acquise depuis environ une dizaine d’années dans la conduite de dossiers de complexité moyenne touchant les dispositions variées de la Loi de l’impôt sur le revenu » où qu’il y avait une erreur commise dans l’évaluation de ses demandes, le Comité de présélection a réaffirmé leur refus de ses demandes.  

 

[16]           Un bassin de candidats a été créé avec des candidats qui se sont qualifiés pour les deux processus de nomination. Le Comité de sélection a par la suite procédé à des nominations à partir du bassin de candidats.

 

IV.  La décision faisant l’objet de la demande

[17]           Après avoir été informé des résultats du concours et suite à des nominations, Me Lavigne a déposé sept plaintes au Tribunal sur la base que le Comité de présélection a abusé son pouvoir en l’excluant des concours.  

 

[18]           Le Tribunal a rejeté l’une des sept plaintes pour le motif qu’elle n’avait pas compétence pour instruire la plainte à l’égard d’une nomination intérimaire pour une durée de moins de quatre mois (Lavigne c. Canada (Sous-ministre de la Justice), 2007 TDFP 45). Le Tribunal a joint les six plaintes à l’égard de la décision.

 

[19]           Le Tribunal a préalablement décidé de procéder sur le dossier sans tenir d’audience. Ce faisant, Me Lavigne a prétendu que le Tribunal a enfreint les règles de justice naturelle en le privant du droit de faire entendre des témoins et de contre-interroger les témoins du gouvernement. Fondé sur les dispositions de la LEFP et sur le fait que le Tribunal avait assez d’information au dossier pour décider les questions soulevées, le Tribunal a rejeté cette prestation de Me Lavigne.

[20]           Me Lavigne soutient que Me Bédirian a sous-délégué, sans droit, son pouvoir de délégation en autorisant le Comité de présélection à utiliser les Critères de sélection qui n’étaient pas inclus dans l’annonce dans Publiservice. Ces Critères de sélection ont ensuite été utilisés par le Comité de présélection afin d’exclure Me Lavigne du processus de nomination.

 

[21]           Le Tribunal a conclu que c’était Me Bédirian et non pas le Comité de présélection qui a élaboré et approuvé les Critères de sélection. Me Bédirian, comme gestionnaire, avait la compétence d’établir et de définir les qualifications essentielles. Les Critères de sélection sont des précisions de qualifications essentielles. Il n’y a donc pas eu de sous-délégation au Comité de présélection de son obligation d’établir les Critères de mérite.

 

[22]           Me Lavigne a allégué que Me Bédirian a abusé de son pouvoir en datant le document « Justification du/des critères de mérite pour le choix d’une nomination », du 8 septembre 2006, plutôt que la date qu’il l’avait signé, à savoir, le 22 septembre 2006. Il a accusé Me Bédirian et Mme Renaud d’avoir fait de fausses représentations qui ont eu pour effet d’ajouter aux qualifications essentielles requises; donc, pour Me Lavigne, il s’agit d’un faux document qui n’aurait pas dû être utilisé suite à l’ajout aux Critères de mérite déjà publié dans l’annonce de Publiservice.

 

[23]           Le Tribunal a trouvé que l’agissement de Me Bédirian n’est pas une pratique à suivre : « Le geste de Me Bédirian manque certes de la transparence qui est attendue dans la fonction publique et particulièrement du système de dotation sous la LEFP » (Décision à la p. 11). Néanmoins, le Tribunal a conclu que l’inexactitude de la date ne vicie pas le processus entier :

[52]      Par ailleurs, le Tribunal ne peut ignorer ce document comme l’allègue le plaignant parce qu’il a été signé le 22 septembre. Le Tribunal considère qu’il est admissible en preuve et qu’il a été signé le 22 septembre, soit quelques jours après que les critères de mérite ont été annoncés sur Publiservice. Cependant, les candidats ont été évalués après cette date, car la date de clôture était le 2 octobre et le plaignant n’a pas démontré en quoi le fait d’avoir signé ce document le 22 septembre constituait en soi un abus de pouvoir.

 

[53]      Le Tribunal a examiné toutes les circonstances de cette plainte, mais ne peut conclure à un abus de pouvoir du fait d’avoir indiqué la date à laquelle le document a été élaboré plutôt que la date de la signature des documents.

 

[54]      De plus, que la date soit le 8 ou le 22 septembre 2006, le fait demeure que ce document émane de Me Bédirian et qu’il a le pouvoir en tant que gestionnaire délégué d’établir les critères de mérite et de sélectionner les candidats pour les postes à doter. Le processus entier ne devient pas une nullité telle que le soutient le plaignant simplement parce que la date du document n’est pas exacte.

 

[24]           Me Lavigne soutient qu’il n’était pas nécessaire de définir les termes « expérience considérable » comme une expérience d’environ une dizaine d’années et que son expérience de trois ans était suffisante pour répondre à cette exigence. Le Tribunal a noté que ce n’est pas à lui d’évaluer si l’expérience de trois ans de Me Lavigne est suffisante pour les exigences des postes à doter. Le Tribunal a expliqué qu’un gestionnaire, comme Me Bédirian, a le pouvoir discrétionnaire d’établir les qualifications liées à un poste à doter et de choisir le candidat qui serait qualifié pour occuper ce poste.

 

[25]           Finalement, le Tribunal a conclu qu’il n’était pas obligatoire d’informer les candidats des Critères de sélection au moment de poser leur candidature, même s’il aurait été préférable de le faire. Le Comité de présélection n’a pas abusé son pouvoir en éliminant Me Lavigne par l’utilisation de Critères de sélection, qui ne sont pas inclus dans l’annonce sur Publiservice.

 

V.  Points en litige

[26]           (1) Le Comité de présélection a-t-il abusé son pouvoir en rejetant les demandes de Me Lavigne sur la base des Critères de sélection qui ne sont pas annoncés?

(2) Le Tribunal a-t-il erré en omettant de donner acte aux valeurs de l’équité, du respect et de la transparence inscrites dans le préambule de la LEFP?

(3) Le Tribunal a-t-il erré en imposant au demandeur une obligation d’enquête préalable au dépôt de ses demandes après l’affichage des annonces dans Publiservice, le 18 septembre 2006?

(4) Le Tribunal a-t-il erré en droit en procédant par une audience sur ce dossier?

 

VI.  Analyse

            Mandat du Tribunal

[27]           Le mandat du Tribunal de la fonction publique est défini au paragraphe 88(2) de la LEFP :

88.      (1) [...]

 

Mission

 

(2) Le Tribunal a pour mission d’instruire les plaintes présentées en vertu du paragraphe 65(1) ou des articles 74, 77 ou 83 et de statuer sur elles.

88.      (1) …

 

Mandate

 

(2) The mandate of the Tribunal is to consider and dispose of complaints made under subsection 65(1) and sections 74, 77 and 83.

[28]           La plainte de Me Lavigne a été instruite en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP :

77.      (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

 

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

77.      (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Tribunal’s regulations — make a complaint to the Tribunal that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

 

 

 

 

(a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection 30(2);

 

 

[29]           Le paragraphe 30(2) de la LEFP prévoit :

30.      (2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

 

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

 

b) la Commission prend en compte :

 

(i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,

 

(ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,

 

(iii) tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

30.      (2) An appointment is made on the basis of merit when

 

 

(a) the Commission is satisfied that the person to be appointed meets the essential qualifications for the work to be performed, as established by the deputy head, including official language proficiency; and

 

(b) the Commission has regard to

 

(i) any additional qualifications that the deputy head may consider to be an asset for the work to be performed, or for the organization, currently or in the future,

 

(ii) any current or future operational requirements of the organization that may be identified by the deputy head, and

 

(iii) any current or future needs of the organization that may be identified by the deputy head.

 

            Norme de contrôle

[30]           Me Lavigne soulève plusieurs questions qui peuvent toutes être soumises à la norme de la décision raisonnable.

 

[31]           La norme de contrôle judiciaire des décisions du Tribunal concernant les procédures et la manière de procéder à l’audition des plaintes est la norme de la décision raisonnable. Il s’agit de questions mixtes de droit et de fait.

 

[32]           La norme de contrôle judiciaire des décisions du Tribunal, selon lesquelles le Comité d’évaluation a agi de manière fautive et qu’il a abusé de son pouvoir, est la norme de la décision raisonnable. Il s’agit de questions mixtes de droit et de fait, relevant du champ d’expertise du Tribunal.

 

[33]           Pour déterminer la norme de contrôle qui s’applique, la Cour doit d’abord vérifier si la jurisprudence a déjà établi la norme de contrôle s’appliquant à ce type de question. À ce jour, la Cour n’a pas été appelée à se prononcer sur la question (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au par. 62).

 

[34]           Comme la norme n’a pas été établie, la Cour doit procéder à une analyse contextuelle des facteurs permettant de déterminer quelle norme s’impose, ce qui comprend l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, la raison d’être du tribunal administratif, la nature de la question en cause et l’expertise du tribunal administratif (Dunsmuir, ci-dessus, aux par. 62 et 64).

 

Clauses privatives

[35]           La LEFP contient les clauses privatives suivantes :

102.      (1) La décision du Tribunal est définitive et n’est pas susceptible d’examen ou de révision devant un autre tribunal.

 

(2) Il n’est admis aucun recours ni aucune décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action du Tribunal en ce qui touche une plainte.

102.      (1) Every decision of the Tribunal is final and may not be questioned or reviewed in any court.

 

 

(2) No order may be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain the Tribunal in relation to a complaint

 

[36]           Sans être déterminant de la norme de contrôle, ces clauses témoignent de l’intention de la législature d’exiger une retenue sur les questions relevant de l’expérience et de l’expertise du Tribunal. La primauté du droit exige des cours supérieures qu’elles s’acquittent de leur rôle constitutionnel de sorte à assurer que les organismes administratifs respectent les limites de leurs attributions (Dunsmuir, ci-dessus, au par. 52).

 

Raison d’être du Tribunal

[37]           Le Tribunal doit instruire les plaintes déposées par des personnes n’ayant pas été nommées ou fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir de la part de la Commission de la fonction publique (Commission) ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2) de la LEFP. Le paragraphe 30(2) prévoit qu’une nomination est fondée sur le mérite lorsque, entre autres, la Commission est convaincue que la personne à nommer possède les qualifications essentielles pour accomplir le travail. Prises ensemble, ces dispositions exigent du Tribunal qu’il détermine si l’administrateur général a abusé de son pouvoir dans le cadre de l’établissement des qualifications, exigences ou besoins du travail à accomplir ou si la Commission a abusé de son pouvoir dans le cadre de l’évaluation du demandeur par rapport aux Critères de mérite (Paragraphes 30(2), 77(1), 88(2) de la LEFP).

[38]           S’il juge que la plainte est fondée, le Tribunal peut ordonner à la Commission ou à l’administrateur général de révoquer la nomination ou de ne pas faire la nomination, selon le cas, et de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées. Le Tribunal ne peut toutefois pas ordonner à la Commission ou à l’administrateur général de faire une nomination ou d’entreprendre un nouveau processus de nomination (Articles 81, 82 de la LEFP).

 

[39]           Les membres du Tribunal sont nommés par le gouverneur en conseil. Pour être nommés, ils doivent avoir de l’expérience ou des connaissances en matière d’emploi dans le secteur public (Paragraphes 88(1), (3) de la LEFP).

 

[40]           Les plaintes sont instruites par un membre agissant seul qui procède, dans la mesure du possible, sans formalisme et avec célérité. Le Tribunal peut, de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives, convoquer des témoins et les contraindre à comparaître et à faire sous serment des dépositions (Articles 98 et 99 de la LEFP).

 

[41]           En résumé, le Tribunal instruit les plaintes d’abus de pouvoir dans le cadre de processus de nomination internes et peut ordonner les mesures correctives qu’il juge nécessaires. Son expertise réside dans les pratiques d’emploi dans le secteur public, en reconnaissant les actes fautifs et en imposant des mesures de réparation en conséquence. Dans ces champs d’expertise, les décisions du Tribunal ont droit à une certaine déférence.

 

[42]           Les membres du Tribunal peuvent être appelés à interpréter des lois ou à analyser la jurisprudence au cours de leurs procédures, mais ils ne sont pas nécessairement des avocats. Il n’y a pas lieu de faire montre de retenue à l’égard de leurs décisions sur des questions de cette nature.

 

La nature des questions

[43]           La question visant à déterminer si le Tribunal a interprété correctement le terme « abus de pouvoir » est une pure question de droit touchant la compétence du Tribunal. Le Tribunal n’a pas la compétence nécessaire pour accueillir une plainte ou accorder une réparation si l’objet de contrôle ne constitue pas, en droit, un abus de pouvoir.

 

[44]           Les organismes administratifs doivent déterminer correctement les véritables questions de compétence ou vires, les questions visant à établir si un tribunal a le pouvoir d’entreprendre l’enquête dont il est saisi. La norme de la décision correcte doit être maintenue pour favoriser le prononcé de décisions justes tout en évitant l’application incohérente et irrégulière du droit (Dunsmuir, ci-dessus aux par. 50 et 59).

 

[45]           Le sens du terme « abus de pouvoir » est précisément une question de compétence. Avant d’examiner les faits d’une plainte, le Tribunal doit comprendre ce qui signifie un « abus de pouvoir » de sorte à poser les bonnes questions, à mener les enquêtes pertinentes et à évaluer la conduite à l’aide d’une norme de droit reconnue. Si le Tribunal ne répond pas correctement à cette question, il peut outrepasser les limites de sa compétence.

 

[46]           Le sens de l’expression « abus de pouvoir » est également une question de droit général qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui est étrangère au domaine d’expertise du Tribunal. Même si le sens de ce terme est bien connu dans d’autres contextes, comme en témoigne le recours du membre du Tribunal à des textes de loi et des décisions d’autres tribunaux judiciaires et administratifs, il est important que le Tribunal interprète le terme correctement dans le contexte de la LEFP.

 

[47]           Par conséquent, ce facteur indique clairement que la norme de la décision correcte s’applique lorsqu’il s’agit de déterminer en droit le sens de l’expression « abus de pouvoir ».

 

[48]           Ceci étant dit, les décisions du Tribunal selon lesquelles le Comité d’évaluation a agi de manière fautive et qu’il a donc abusé de son pouvoir sont des questions mixtes de droit et de fait, des questions qui sont normalement évaluées par rapport à la norme de la décision raisonnable.

 

[49]           Les décisions du Tribunal concernant sa procédure sont également des questions mixtes de droit et de fait. Notamment, la LEFP permet expressément au Tribunal de statuer sur une plainte sans tenir d’audience. Ce droit ou pouvoir est donc clair, mais son exercice par le Tribunal exige la considération des faits particuliers de chaque affaire. Ces questions devraient être soumises à la norme de la décision raisonnable (Articles 98 et 99 de la LEFP).

 

 

 

Le champ d’expertise du Tribunal

[50]           Encore une fois, les membres du Tribunal sont des experts de l’emploi dans le secteur public, et non en matière d’interprétation des lois et d’analyse de la jurisprudence. Ces questions juridiques commandent des réponses uniformes et cohérentes, ce qui relève du mandat des tribunaux judiciaires.

 

Conclusion relative à la norme de contrôle

[51]           Pour les motifs susmentionnés, l’ensemble des questions en litige est soumis à la norme de la décision raisonnable.

 

(1) Le Comité de présélection a-t-il abusé son pouvoir en rejetant les demandes de Me Lavigne sur la base des Critères de sélection qui ne sont pas annoncés?

 

[52]           L’argument principal de Me Lavigne est que le gestionnaire Me Bédirian et le Comité de présélection ont abusé de leurs pouvoirs à son égard dans l’évaluation de la qualification essentielle concernant l’expérience considérable. Il prétend que Me Bédirian a abusé son pouvoir dans l’établissement des Critères de sélection utilisés par le Comité de présélection pour l’exclure du processus de nomination. Il a également allégué que le Comité de présélection a abusé de son pouvoir dans l’évaluation des qualifications essentielles concernant sa candidature. Pour régler ces questions, il faut d’abord définir le terme « abus de pouvoir ». Ensuite, il est nécessaire d’analyser si les actions de Me Bédirian et du Comité de présélection constituent un tel abus de pouvoir. 

 

 

 

(a)    Définition de l’abus de pouvoir

[53]           L’abus de pouvoir n’est pas défini dans la LEFP. Mais, ce terme est essentiel pour comprendre l’obligation de la Commission de la fonction publique (Commission) sous la LEFP et l’existence d’abus de pouvoir justifie l’intervention de cette Cour; donc, l’interdiction d’abuser de pouvoir est toutefois une valeur que la LEFP cherche à protéger. Le préambule exprime cette volonté en mettant l’accent sur l’obligation de la fonction publique d’agir selon l’équité, la transparence, et le respect dans ses pratiques d’emploi (Préambule de la LEFP).

 

[54]           L’alinéa 77(1)a) de la LEFP prévoit un mécanisme permettant aux candidats internes non reçus d’interjeter un appel d’une nomination auprès du Tribunal à la suite d’une constatation de l’abus de pouvoir :

Motifs des plaintes

 

77.      (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

 

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

Grounds of complaint

 

77.      (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Tribunal’s regulations — make a complaint to the Tribunal that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

 

 

 

 

(a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection 30(2)

 

[55]           L’article 30 de la LEFP prévoit que les nominations sont fondées sur le principe du mérite lorsque la personne à nommer possède les qualifications essentielles comme établies par l’administrateur général, qui en espèce est le sous-ministre et ses gestionnaires délégués :  

Principes

 

 

30.      (1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

 

Définition du mérite

 

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

 

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

 

b) la Commission prend en compte :

(i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,

 

(ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,

 

(iii) tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

Appointment on basis of merit

 

30.      (1) Appointments by the Commission to or from within the public service shall be made on the basis of merit and must be free from political influence.

 

Meaning of merit

 

(2) An appointment is made on the basis of merit when

 

 

(a) the Commission is satisfied that the person to be appointed meets the essential qualifications for the work to be performed, as established by the deputy head, including official language proficiency; and

 

 

(b) the Commission has regard to

(i) any additional qualifications that the deputy head may consider to be an asset for the work to be performed, or for the organization, currently or in the future,

 

(ii) any current or future operational requirements of the organization that may be identified by the deputy head, and

 

(iii) any current or future needs of the organization that may be identified by the deputy head.

 

[56]           Ces dispositions considérées dans leur ensemble démontrent qu’il y a un lien entre l’abus de pouvoir et la responsabilité de la part de la Commission de nommer une personne qui possède les qualifications essentielles; mais, ce lien n’est pas clairement établi et il faut analyser la LEFP pour comprendre les obligations du gestionnaire et du Comité de présélection.

 

[57]           Un examen du préambule de la LEFP, permet de révéler l’intention du législateur et d’aider à l’interprétation du concept d’abus de pouvoir. L’un des extraits dans le préambule démontre que le gestionnaire détient un pouvoir discrétionnaire considérable concernant des questions de dotation :

Préambule

Attendu :

 

[…]

 

que le pouvoir de dotation devrait être délégué à l’échelon le plus bas possible dans la fonction publique pour que les gestionnaires disposent de la marge de manoeuvre dont ils ont besoin pour effectuer la dotation, et pour gérer et diriger leur personnel de manière à obtenir des résultats pour les Canadiens;

Preamble

Recognizing that

 

 

delegation of staffing authority should be to as low a level as possible within the public service, and should afford public service managers the flexibility necessary to staff, to manage and to lead their personnel to achieve results for Canadians; and

 

[58]           Le pouvoir absolu n’existe pas dans les décisions administratives. Le juge Ivan Cleveland Rand de la Cour suprême du Canada a souligné ce principe dans Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, 16 D.L.R. (2d) 689 à la page 140:

In public regulation of this sort there is no such thing as absolute and untrammelled "discretion", that is that action can be taken on any ground or for any reason that can be suggested to the mind of the administrator; no legislative Act can, without express language, be taken to contemplate an unlimited arbitrary power exercisable for any purpose, however capricious or irrelevant, regardless of the nature or purpose of the statute. Fraud and cor­ruption in the 'Commission may not be mentioned in such statutes but they are always implied as exceptions. "Discretion" necessarily implies good faith in discharging public duty; there is always a perspective within which a statute is intended to operate; and any clear departure from its lines or objects is just as objectionable as fraud or corruption. Could an applicant be refused a permit because he had been born in another province, or because of the colour of his hair? The ordinary language of the legislature cannot be so distorted.

 

[59]           La discrétion dans l’exercice du pouvoir est restreinte par les principes motivants de la LEFP, qui sont décrits dans le préambule :

Préambule

Attendu :

 

[…]

 

que le gouvernement du Canada souscrit au principe d’une fonction publique qui incarne la dualité linguistique et qui se distingue par ses pratiques d’emploi équitables et transparentes, le respect de ses employés, sa volonté réelle de dialogue et ses mécanismes de recours destinés à résoudre les questions touchant les nominations,

Preamble

Recognizing that

 

 

the Government of Canada is committed to a public service that embodies linguistic duality and that is characterized by fair, transparent employment practices, respect for employees, effective dialogue, and recourse aimed at resolving appointment issues;

 

[60]           De plus, le paragraphe 2(4) de la LEFP fournit certains indices quant à la définition d’abus de pouvoir :

Abus de pouvoir

 

(4) Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par « abus de pouvoir » la mauvaise foi et le favoritisme personnel

References to abuse of authority

(4) For greater certainty, a reference in this Act to abuse of authority shall be construed as including bad faith and personal favouritism.

 

[61]           Donc, une plainte d’abus de pouvoir sera jugée fondée lorsque la mauvaise foi ou le favoritisme personnel a été établi. Le principe de la mauvaise foi exige un élément d’intention.

 

[62]           L’abus de pouvoir exige plus que l’erreur ou l’omission, ou même une conduite irrégulière.

(b)   Le gestionnaire a-t-il abusé son pouvoir en émettant les Critères de sélection sans les annoncer?

 

[63]           Aux termes du paragraphe 30(2)b) de la LEFP, « [...] la Commission prend en compte : (i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir, (ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général, (iii) tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général. »

 

[64]           Ces interprétations sont confirmées par l’article 36 de la LEFP, qui habilite la Commission avec un pouvoir discrétionnaire quant aux méthodes d’évaluation disponibles pour évaluer les candidats :

Méthode d’évaluation

 

36.  La Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluation — notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues — qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i).

 

Assessment methods

 

36.  In making an appointment, the Commission may use any assessment method, such as a review of past performance and accomplishments, interviews and examinations, that it considers appropriate to determine whether a person meets the qualifications referred to in paragraph 30(2)(a) and subparagraph 30(2)(b)(i).

 

[65]           Dans le présent cas, Me Lavigne a prétendu que le pouvoir discrétionnaire conféré au gestionnaire de déterminer et de définir les qualifications essentielles ne saurait emporter celui de ne pas annoncer ce qu’il a défini. Il a prétendu que Me Bédirian a changé substantiellement les données formulées dans les annonces affichées dans Publiservice et par ce fait, a causé injustement son élimination du processus de nomination qui autrement pouvait se reconnaître.   

 

[66]           Malgré ces prétentions, il était dans le pouvoir de Me Bédirian de créer des Critères de sélection, bien qu’elles n’ont jamais été publiées ou bien qu’elles n’ont pas été finalisées qu’après l’affichage des annonces du poste. Le paragraphe 1.5 de la Série d'orientation de la Commission portant sur l’évaluation, la sélection et la nomination, décrit le premier stage d’évaluation, soit le stage de la présélection :

1.5 Présélection

 

[...] Un processus initial de présélection est souvent une des premières étapes de ce processus d'élimination de candidatures, avant de procéder à une évaluation exhaustive des qualifications et d'appliquer les critères de mérite. La présélection comprend habituellement une première décision quant à l'admissibilité des candidats et candidates fondée sur les renseignements fournis dans leur demande d'emploi ou disponibles dans le dossier afin d'identifier les candidats et candidates qui passeront à l'étape suivante.

 

Il est important que tous les critères de mérite qui seront utilisés à des fins de présélection soient précisés de façon claire dans les annonces et les renseignements à propos des répertoires afin que les candidates et candidats éventuels puissent déterminer si le poste les intéresse et afin qu'ils ou elles connaissent les renseignements à inscrire sur leur demande d'emploi ou leur fiche d'inscription à un répertoire dans le but de démontrer s'ils ou elles répondent à ces critères.

 

Les qualifications d'une personne sont évaluées selon le mode de notation « satisfait» ou « ne satisfait pas » en fonction des critères établis par le ou la gestionnaires aux fins de présélection, comme les études, l'expérience et l'accréditation professionnelle.

1.5 Screening

 

… An initial screening process is often one of the early stages of this elimination process, before proceeding to a further assessment of the qualifications and applying any merit criteria. Screening usually involves an initial determination of the eligibility of applicants based on information provided in an application or available on file to determine which persons will be further considered.

 

 

 

 

 

 

It is important that any criteria that will be used for screening purposes be clearly identified in advertisements and information about inventories so that potential applicants can determine whether they are interested, and so that they are aware of what information they must provide in their application or inventory entry to demonstrate whether they meet these criteria.

 

 

 

 

 

A person's qualifications may be assessed on a meets/does not meet basis against the criteria that the manager has identified for screening purposes, such as education, experience and occupational certification.

 

 

[67]           Ces propositions sont bien fondées, surtout quand on considère que les Critères de sélection en espèce visent à préciser les qualifications essentielles et d’aider le Comité de présélection dans leur évaluation des demandes.

 

[68]           Pour éviter l’apparence d’un manque d’équité, les définitions doivent être établies avant l’examen des demandes d’emploi des personnes dont la candidature est prise en considération. En espèce, le Tribunal a trouvé que les Critères de sélection ont été finalisés, le 8 septembre 2006, même si le document n’a pas été signé que le 22 septembre 2006. Les courriers électroniques soumis dans la preuve soutiennent cette conclusion. De toute façon, les Critères de sélection ont été établis avant que le Comité de présélection ait commencé à les utiliser pour l’évaluation des candidatures. Il n’y a aucune preuve que le Comité de présélection ou que Me Bédirian a utilisé les Critères de sélection pour un motif suspect ou que les Critères de sélection étaient conçut pour exclure Me Lavigne abusivement. Me Bédirian était bien dans sa compétence en établissant les qualifications essentielles et les Critères de sélection.

 

(c)    Le Comité de présélection a-t-il abusé de son pouvoir en excluant les demandes de Me Lavigne sur la base qu’il n’a pas « environ une dizaine d’années » d’expérience?

 

[69]           Les Critères de mérite étaient déjà annoncés de façon ou les candidates pouvaient être mises en garde quant aux qualifications essentielles. La preuve a relevé que tous les candidats ont été évalués par le Comité de présélection de la même façon et avec les mêmes Critères de sélection. Le fait que Me Lavigne ne soit pas au courant des Critères de sélection n’a porté préjudice à aucun candidat.

 

[70]           La création des qualifications essentielles est confiée au gestionnaire, ce n’est ni au Tribunal ni à la Cour d’établir les qualifications essentielles requises pour un poste ou de substituer leur appréciation des qualifications des candidats à celle du gestionnaire ou ses sous-délégués, le Comité de présélection en espèce. Le rôle du Tribunal consistait à examiner s’il y avait eu abus de pouvoir dans la façon dont le Comité de présélection a examiné les demandes.

 

[71]           Donc, cette Cour n’a pas la compétence pour répondre aux questions de si l’« expérience considérable » est bien décrite par « environ d’une dizaine d’années d’expérience » et si Me Lavigne a l’expérience considérable selon la qualification essentielle.

 

[72]           Au même temps, cette Cour a compétence de décider si le Tribunal a commis plus qu’une erreur, une omission, ou une conduite irrégulière en prenant sa décision. La question de savoir si un demandeur avait ou non l’expérience requise pour le poste à doter nécessite essentiellement une réponse basée sur un ou des faits (De Micco c. Canada (Procureur général) (1996), 113 F.T.R. 182, 62 A.C.W.S. (3d) 1125 au par. 7). Selon l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, pour réussir, Me Lavigne devait établir que le Tribunal a rendu une décision « fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ». En espèce, il est clair que la décision du Tribunal affirmant la décision du Comité de présélection que Me Lavigne n’a pas rempli la qualification essentielle d’une expérience considérable était raisonnablement appuyée par les faits.

 

[73]           Me Lavigne a soutenu devant le Tribunal que son expérience de plus de 30 ans de pratique consacrée au litige commercial, dont trois années à plaider devant la Cour canadienne de l’impôt, est une expérience considérable selon le sens ordinaire des mots « expérience considérable ». Dans sa soumission devant le Tribunal (Argumentation du Plaignant Jean Lavigne à la p. 6), mais qui n’était pas devant le Comité de présélection au moment de l’évaluation de ses demandes, Me Lavigne a essayé de démontrer qu’il possède l’expérience considérable requise :

Comment expliquer que l’expérience recherchée à l’origine devait s’être manifestée « à la Cour canadienne de l’impôt » (colonne de gauche), alors qu’il n’est ensuite fait aucune référence à la « Cour canadienne de l’impôt » (colonne de droite)? Est-ce à dire que les quatre (4) années consacrées par le Plaignant à Revenu Québec devaient effectivement être prises en considération, compte tenu du fait que bon nombre de dispositions de la Loi sur les impôts sont rédigées en termes semblables aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu et qu’elles sont interprétées d’une manière souvent semblables, à l’aide des mêmes précédents? Est-ce à dire aussi que les quelque deux (2) années consacrées par le Plaignant à administrer une division de la Direction des oppositions à Revenu Québec auraient également dû être prises en compte? Pour un total mathématique de neuf (9) années, auxquelles s’ajoutent les six (6) années consacrées par le Plaignant à co-piloter quatre (4) dossiers de recours collectifs en matière d’ « abri fiscaux » au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu. Pour un grand total de quinze (15) années!

 

[74]           Dans le présent cas, le gestionnaire Me Bédirian a droit d’exiger « environ une dizaine d’années » d’expérience spécifique dans la conduite de dossiers à la Cour canadienne de l’impôt. Un gestionnaire a de bonnes raisons pour remplir les postes à doter avec les personnes qui sont compétentes pour remplir les exigences spécifiques des fonctions de l’emploi. Les gestionnaires ne sont pas tenus d'utiliser des qualifications essentielles semblables pour les postes du même niveau; les gestionnaires sont simplement tenus d'établir les qualifications pour le travail à accomplir. Me Bédirian a défini les qualités requises dont il a eu besoin; donc, sous la LEFP, il peut favoriser certaines exigences plus que d’autres.

 

[75]           En espèce, même si Me Lavigne avait une longue carrière en litige commercial, il a pratiqué seulement trois ans dans le domaine qui fait l’objet de cette dotation, soit la conduite de litige devant la Cour canadienne de l’impôt. Bien que la Cour canadienne d’impôt ne soit pas mentionnée dans les Critères de sélection, il est entendu que les Critères de sélection sont définis par rapport aux qualifications essentielles exigeant une expérience explicitement nommée. Parfois l’employeur a besoin d’un généraliste; parfois la situation demande un spécialiste avec une connaissance profonde développée pendant plusieurs années. Le gestionnaire a choisi ce dernier.    

 

[76]           Me Lavigne a aussi prétendu que le Comité de présélection a agi d’une manière inéquitable envers lui parce qu’il a par ailleurs qualifié deux candidats qui ont chacun huit (8) ans d’expérience en litige fiscal, complexité moyenne. Selon Me Lavigne, huit ans n’est pas « une dizaine d’années » et donc le Comité de présélection a agi d’une façon arbitraire.

 

[77]           Le mot « environ » est important dans ce contexte. Même si on peut être d’accord que le mot « environ » manque une certaine précision et peut être considéré comme approximatif, cette marge de manœuvre peut bien servir les besoins du processus de nomination.

 

[78]           Dans l’arrêt Anderson c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2003 CFPI 667, 234 F.T.R. 227, qui est décidé sous l’ancienne LEFP mais qui est toujours applicable en espèce, le mot « approximativement » a été utilisé dans l’annonce du poste pour qualifier la durée d’expérience requise. La juge Eleanor Dawson a expliqué que le décideur ne peut pas ignorer l’exigence quantitative bien qu’il y ait une marge de manœuvre :

[69]      Le mot « approximativement » utilisé dans l'avis de poste vacant donne au décideur une certaine liberté de déclarer admissibles des candidats dont l'expérience a pu être acquise en dehors des limites temporelles précisées, mais il n'autorise pas le décideur à ignorer la nécessité d'une expérience récente et significative. Le décideur n'est pas autorisé à considérer plutôt les années totales de service d'un candidat, ni à voir comment un candidat pourrait d'une autre manière compenser l'absence de l'accomplissement de tâches à temps plein dans les recouvrements, pendant environ deux années consécutives au cours des trois années antérieures.

 

[70]      Par ailleurs, même s'il peut être difficile dans certains cas de savoir où se trouve les limites du pouvoir discrétionnaire d'un jury de sélection, je suis d'avis qu'il n'était pas déraisonnable pour M. Charles de dire, lors de la séance de rétroaction individuelle, que le jury de sélection n'avait pas le pouvoir de réduire de moitié l'exigence d'une expérience récente. C'est ce qu'aurait fait le jury de sélection s'il avait accepté comme expérience récente des recouvrements l'expérience acquise par M. Anderson au cours des 13 mois allant d'avril 2000 à mai 2001.

[79]           En espèce, il était loisible au Tribunal de trouver que trois (3) ans n’a pas rempli l’exigence d’ « environ une dizaine d’années » d’expérience, mais que huit (8) ans l’ont satisfaite. Soumise dans la preuve devant le Tribunal était une grille d’évaluation des candidats. Cette grille a démontré que parmi les treize (13) candidats, deux sont exclus pour n’avoir pas environ une dizaine d’années expérience. L’un était Me Lavigne, qui avait trois (3) ans d’expérience, et l’autre candidat exclu avait 2.5 ans d’expérience. Un candidat était exclu pour ne pas avoir rempli la deuxième qualification essentielle. À la fin, neuf candidats étaient retenus au stage de la présélection. Parmi les candidats retenus, dix (10) avaient entre 12 à 20 ans d’expérience, et deux (2) avaient huit (8) ans d’expérience.

 

[80]           Compte tenu que la plupart des candidats retenus avaient plus d’ « une dizaine d’années d’expérience », le Comité de présélection a agi d’une façon raisonnable, selon la marge de manœuvre, en décidant que les deux candidats ayant huit ans d’expérience ont rencontré les qualifications essentielles. Le Comité de présélection n'avait pas le pouvoir de réduire l’exigence d’une expérience considérable, que le gestionnaire a défini comme « environ une dizaine d’années d’expérience ». Si le Comité de présélection avait retenu les deux candidats qui avaient trois ans ou moins d’expérience, il aurait ignoré la nécessité d’expérience considérable établie par le gestionnaire.

 

(d)   Conclusion sur la première question

 

[81]           On entend par le terme « abus de pouvoir » qu’il exige plus que de simples erreurs, omissions, ou une conduite irrégulière. Me Bédirian a une discrétion large d’émettre les Critères de sélection sans les publier. Les Critères de sélection étaient formulés pour aider le Comité de présélection à distinguer les demandes qui remplissaient les qualifications essentielles. Le demandeur a le fardeau de présenter des éléments de preuve et des arguments convaincants, sur la prépondérance de probabilité, pour obtenir gain de cause. Me Lavigne n’a pas soumis une preuve pour démontrer que les Critères de sélection étaient utilisés d’une façon indiquant que Me Bédirian a abusé son pouvoir aux termes de la LEFP. 

 

[82]           Même s’il est préférable de donner tous les détails quant aux postes à doter, les annonces ont été assez claires en spécifiant qu’une qualification essentielle se compose de l’expérience considérable dans la conduite de litige devant la Cour canadienne de l’impôt. Les faits soutiennent qu’il était raisonnable pour le Comité de présélection de trouver que Me Lavigne n’a pas rempli cette qualification essentielle.

 

[83]           Me Lavigne a refusé d’accepter le fait qu’il manque la qualification essentielle concernant l’expérience considérable dans la conduite de litiges complexes et variés à la Cour canadienne de l’impôt. Malgré les explications des Critères de sélection, la discussion informelle avec les membres du Comité de présélection, et l’information fournie par ce dernier, Me Lavigne croit toujours que ses 30 ans d’expérience en litige commercial sont équivalant et que le processus de nomination vise à l’exclure.

 

[84]           Malgré la frustration de Me Lavigne, il n’a produit aucune preuve qui permettrait à la Cour de conclure au bien-fondé d’une plainte d’abus de pouvoir.

(2) Le Tribunal a-t-il erré en omettant de donner acte aux valeurs de l’équité, du respect et de la transparence inscrites dans le préambule de la LEFP?

 

[85]           Me Lavigne a soulevé que le Tribunal a omis de poursuivre l’obligation imposée par le législateur dans le préambule de la LEFP; c’est-à-dire, selon lui, de mettre en œuvre et de conduire le processus interne de nomination selon les valeurs de la transparence, de l’équité et du respect.

 

[86]           C’est à noter que la nouvelle LEFP a donné plus de discrétion au gestionnaire de choisir, non seulement la personne la plus qualifiée comme l’ancienne LEFP a fait, mais la personne qui est la meilleure pour le poste à doter. Dans l’ancienne LEFP, un processus de nomination pouvait être contesté si la ou les personnes les plus qualifiées n’étaient pas choisies. L’ancien système n’existe plus. La législature a reconnu que ce n’est pas nécessairement la personne qui a rempli les exigences d’un poste qui est la meilleure pour le poste à doter, mais plutôt l’alinéa 30(2)b) de la LEFP spécifie d’autres bases d’évaluation, soit les qualifications supplémentaires considérées comme un atout pour le travail à accomplir; c’est-à-dire, les besoins actuels ou futurs, et les exigences opérationnelles. Pour donner suite à cette disposition, il faut l’interpréter comme ayant donné une marge de manœuvre plus large au gestionnaire pour choisir le candidat qui aurait la meilleure combinaison de qualités recherchée pour la poste à doter.

 

[87]           La transparence est sauvegardée par l’interdiction d’abuser de pouvoir et rien n’empêche un candidat non reçu de porter plainte à l’égard d’abus de pouvoir par un gestionnaire ou un Comité d’évaluation.

 

(3) Le Tribunal a-t-il erré en imposant au demandeur une obligation d’enquête préalable au dépôt de ses demandes après l’affichage des annonces dans Publiservice le 18 septembre 2006?

 

[88]           Le Tribunal a décidé que le gestionnaire n’a pas abusé son pouvoir en émettant les Critères de sélection et de les faire publier après l’affichage des annonces dans Publiservice. Après avoir pris cette décision sur la base des principes expliqués ci-dessus, le Tribunal a ajouté que Me Lavigne a eu l’opportunité de demander plus de renseignements :

[84]    Le Tribunal remarque que l’annonce sur Publiservice contentait les coordonnées de Mme Renaud, la conseillère en ressources humaines, pour des renseignements généraux. Rien n’empêchait le plaignant de communiquer avec elle afin d’obtenir des renseignements supplémentaires pour savoir ce en quoi consistait l’expérience considérable et récente pour ce poste.

 

[89]           En espèce, le Tribunal n’a imposé aucune obligation par ce paragraphe. Plutôt, le Tribunal a réitéré la politique existante de la Commission telle qu’annoncée dans le Guide sur la mise en œuvre des Lignes directrices en matière d'annonce dans le processus de nomination, section VI. Exigences des lignes directrices :

Les administrateurs généraux et les administratrices générales doivent fournir d'autres renseignements sur demande

 

À l'appui des valeurs directrices que sont la justice, la transparence, l'accessibilité et la représentativité, l'information additionnelle pourrait comprendre :

 

·        l'exigence que les critères de mérite soient fournis sur demande, de sorte que les candidats et les candidates puissent comprendre les exigences de l'emploi et savoir sur quoi portera l'évaluation. Cela permet aux personnes de prendre une décision, à savoir, poser leur candidature ou pas;

 

 

 

·        le nom de la personne ou de l'organisation à qui faire part de toute question concernant le processus de nomination, ce qui peut aider les candidates et candidats éventuels à obtenir plus d'information pour prendre une décision, discuter des exigences en matière d'accès ou des mesures d'adaptation, demander de la rétroaction lorsque leur candidature n'a pas été retenue et de l'information sur le processus de plainte.

Deputy Heads must provide further information upon request

 

 

 

In support of the guiding values of fairness, transparency, access and representativeness, further information could include:

 

 

·        the requirement to have the merit criteria available upon request, so that persons can understand the requirements of the job and have the necessary information regarding the criteria against which they will be assessed. This allows the person to make a decision whether to self-screen or pursue the appointment opportunity; and

 

·        the name of the person or organization to whom questions about the appointment process may be directed, which helps potential applicants seek more information to make a decision, discuss access and/or accommodation requirements, seek feedback after elimination from the process and seek information on the complaint process.

 

 

[90]           Cette exigence des lignes directrices envisage la provision de plus de renseignements sur les Critères de mérite sur demande pour que les candidats puissent comprendre les exigences de l'emploi et savoir sur quoi portera l'évaluation. Le libellé du paragraphe cité de la décision, surtout le mot « remarque », indique que le Tribunal a pris note du fait que les Critères de sélection ne sont pas cachés et qu’il n’y avait aucune mauvaise foi ou manque de transparence. De plus, en lisant la décision dans sa totalité, il est clair que le Tribunal n’a pas basé sa décision quant à l’abus de pouvoir sur le paragraphe cité. Rien dans ce paragraphe n’impose une obligation d’enquête préalable pour plus de renseignements après l’affichage des annonces.

 

(4) Le Tribunal a-t-il erré en droit en procédant par une audience sur ce dossier?

 

[91]           Les dispositions de la LEFP sont claires et disposent de cette question. Dans l’article qui traite les pouvoirs du Tribunal, le paragraphe 99(3) de la LEFP déclare clairement que le Tribunal a la discrétion de statuer sur une plainte sans tenir d’audience :

Décision sans audience

 

99.

 

[…]

 

(3) Le Tribunal peut statuer sur une plainte sans tenir d’audience.

Decision without oral hearing

 

99.

 

[…]

 

(3) The Tribunal may decide a complaint without holding an oral hearing.

 

[92]           Pour donner sens au paragraphe 99(3) de la LEFP, il faut l’interpréter comme confirmant que le Tribunal n’est pas dans l’obligation de tenir des audiences dans tous les cas. Les autres dispositions de la LEFP soutiennent le sens usuel de cette disposition. Par exemple, le paragraphe 98(1) de la LEFP souligne la valeur d’efficacité dans les résolutions des plaintes :

Instruction par un membre unique

 

98.      (1) Les plaintes sont instruites par un membre agissant seul qui procède, dans la mesure du possible, sans formalisme et avec célérité.

 

[…]

Hearing by single member

 

 

98.      (1) A complaint shall be determined by a single member of the Tribunal, who shall proceed as informally and expeditiously as possible.

 

 

[93]           De plus, le Tribunal a une large discrétion d’accepter des éléments de preuve :

Pouvoirs

 

99.      (1) Le Tribunal peut, pour l’instruction d’une plainte :

 

[…]

 

d) accepter des éléments de preuve, qu’ils soient admissibles ou non en justice;

 

[…]

Powers of Tribunal

 

99.      (1) The Tribunal has, in relation to a complaint, the power to

 

 

(d) accept any evidence, whether admissible in a court of law or not;

 

 

[94]           Dans les circonstances de l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a conclu qu'il n'y avait aucune obligation de tenir une audience ou une entrevue avant que la décision ne soit rendue. Dans sa décision, le Tribunal a cité la décision antérieure concernant le même plaignant, Lavigne, ci-dessus, ou le même argument de Me Lavigne a été rejeté :

[15]      [...] De façon générale, l'instruction d'une requête ou d'une plainte sur le fond par voie de documentation écrite est plus efficace, réduit le temps d'attente d'une décision et favorise une meilleure utilisation des ressources limitées du Tribunal. La décision de tenir ou non une audience revient au Tribunal, décision qu'il prend de façon éclairée compte tenu de toutes les circonstances d'une affaire. Ceci ne veut pas dire que les parties n'ont pas l'occasion de faire valoir leur point de vue.

 

[95]           Dans Lavigne, ci-dessus, le Tribunal a reconnu qu’il y a des cas où le Tribunal ne peut trancher une question sans audience :

[21]      […] il faut entendre des témoins lorsque des questions de crédibilité sont en jeu et une preuve testimoniale est nécessaire […]. Dans d’autres cas, il faut entendre la preuve parce que les faits sont trop compliqués ou contestés, ou lorsque la preuve semble contradictoire […].

 

[96]           En espèce, le Tribunal a trouvé que malgré le fait qu’une audience n’ait pas été tenue, Me Lavigne a eu une pleine opportunité d’être entendu :

[26] Lorsque le Tribunal a décidé de procéder sans audience pour ces plaintes, il avait beaucoup d’information au dossier soit : la plainte, les allégations du plaignant qui comptent plusieurs pages ainsi que la réponse de l’intimé. De plus, les parties ont échangé un nombre impressionnant de documents (environ 90) incluant de nombreux courriels dont le Tribunal a obtenu copie à sa demande. Certes, il y en avait en double mais le Tribunal avait néanmoins une idée précise du motif de la plainte, de la position des parties et toute l’information nécessaire pour procéder sans audience.

 

[27] Le plaignant soutient qu’il aurait pu faire entendre des témoins et contre-interroger ceux de l’intimé et il donne des exemples de témoignages potentiels. Toutefois, le Tribunal est d’avis qu’il n’était pas nécessaire d’entendre des témoins pour décider les plaintes, le point principal en litige étant l’utilisation de la justification du critère de mérite qui a servi à éliminer le plaignant des processus de nomination.

 

[97]           Le Tribunal a fourni à Me Lavigne la pleine opportunité de faire valoir ses représentations par écrit et d’exposer les faits qui, de son avis, démontraient un abus de pouvoir à l’égard du fait qu’il ne fasse pas l’objet d’une proposition de nomination. De plus, les faits à la base de la requête ne sont pas contestés. Il ne s’agit pas d’un dossier qui requiert une preuve ou plaidoirie orale. Compte tenu que le droit d’être entendu est un droit à une opportunité de faire valoir ses points de fait et ses arguments, cette Cour est d’avis que le Tribunal a eu suffisamment d’information pour rendre sa décision sans tenir d’audience. Le Tribunal n’a commis aucune erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de tenir ou non une audience suite aux faits particuliers de la présente affaire.  

 

VII.  Conclusion

[98]           Le Tribunal n’a pas erré en droit dans sa décision.

 

[99]           Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée mais sans dépens (compte tenu que la législation est relativement récente).

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-962-08

 

INTITULÉ :                                       JEAN LAVIGNE c. SOUS-MINISTRE DE LA JUSTICE ET COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 15 juin 2009

 

MOTIFS  :                                         LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 2 juillet 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jean Lavigne

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Martin Desmeules

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ME JEAN LIVIGNE

Westmount (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

 

 

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