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Date : 20060901

Dossier : T-1024-05

Référence : 2006 CF 1053

 

 

ENTRE :

JOSEPH TAYLOR

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

LE JUGE MARTINEAU

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

[1]               Le 5 avril 2005, M.A. Hefferon, agente de la citoyenneté, a rejeté la demande d’attestation de la citoyenneté présentée par le demandeur en novembre 2003, ce qui a donné lieu au dépôt de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[2]               Le demandeur est le fils naturel d’un soldat canadien ayant servi outre-mer au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il est né en Angleterre en 1944. Ses parents se sont mariés en 1945 et il est arrivé au Canada avec sa mère en 1946. Le mariage de ses parents s’est brisé quelques mois plus tard. Le demandeur est retourné avec sa mère en Angleterre six semaines avant l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15 (la Loi sur la citoyenneté de 1947).

 

[3]               Les deux parents naturels du demandeur sont indiscutablement devenus citoyens canadiens le 1er janvier 1947 : (1) son père, parce qu’il était né au Canada et qu’il n’était pas devenu un étranger; (2) sa mère parce qu’elle était un sujet britannique ayant épousé à l’étranger un ressortissant canadien et qu’elle avait été légalement admise au Canada en vue d’une résidence permanente avant l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté de 1947.

 

[4]               Toutefois, selon le défendeur, le demandeur n’a aucun droit automatique à la citoyenneté parce que ses parents n’étaient pas mariés au moment de sa naissance. Pour paraphraser la position du défendeur à l’égard des personnes à la charge des soldats canadiens qui ont été rapatriés de l’Europe après 1945, bien que les épouses et les enfants aient été bien accueillis et même aidés financièrement par les autorités canadiennes pour venir s’établir au Canada, et se soient vu accorder le statut spécial de « citoyen canadien » en vertu de la Loi de l’immigration de 1910, S.C. 1910, ch. 27, et révisée à S.R.C. 1927, ch. 93 (la Loi de l’immigration de 1910), cela n’en faisait pas automatiquement des « citoyens canadiens » à l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté de 1947.

 

[5]               En vertu de la Loi de l’immigration de 1910, un membre d’une « catégorie refusée » ne pouvait entrer ou demeurer au Canada (voir Note 1). Malgré que le demandeur et sa mère aient été des « sujets britanniques », ce statut ne constituait pas soi un permis d’entrer, de s’établir ou de demeurer au Canada (voir Note 2). Seuls les « citoyens canadiens » et les personnes qui « possédaient un domicile canadien » au sens de la Loi de l’immigration de 1910 étaient autorisés à entrer et à demeurer au Canada. Le demandeur s’appuie sur l’Arrêté en conseil visant l’entrée au Canada des personnes à charge des membres des forces armées canadiennes, C.P. 1945-858 (le 9 février 1945), qui a été adopté en 1945 et qui est demeuré en vigueur jusqu’au 15 mai 1947. En vertu de cet arrêté en conseil, lorsqu’un ex-membre des forces armées canadiennes qui avait servi au cours de la Seconde Guerre mondiale était un « citoyen canadien » ou qu’il « possédait un domicile canadien » au sens de la Loi de l’immigration de 1910, son statut était automatiquement accordé aux personnes à sa charge dès leur entrée au Canada.

 

[6]               En l’espèce, le défendeur soutient que le demandeur ne peut acquérir la citoyenneté canadienne que s’il respecte toutes les conditions de l’article 5 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, et ses modifications (la Loi sur la citoyenneté actuelle), qui prévoit qu’une demande de citoyenneté doit être adressée au ministre.

 

[7]               Par analogie, l’avocat du défendeur porte à l’attention de la présente Cour une publication de la Direction de la citoyenneté canadienne remontant à 1964 et portant le titre suivant : [traduction] « Les sujets britanniques et les citoyens canadiens », dans laquelle on peut lire l’observation suivante :

[traduction]
La situation au Canada du sujet britannique qui n’est pas citoyen est comparable à celle d’un invité d’honneur dans la maison de son hôte. Bien qu’il puisse partager bon nombre ou même la totalité des privilèges dont jouissent les membres de la famille, il ne reste néanmoins qu’un invité.

 

[8]               Pour les raisons mentionnées ci-dessous, je suis parvenu à la conclusion que le demandeur est un citoyen canadien, que la décision contestée rendue par l’agente de la citoyenneté doit être annulée et que je dois ordonner au ministre de délivrer un certificat de citoyenneté au demandeur.

 

[9]               En arrivant à cette conclusion, j’ai également rejeté l’argument subsidiaire présenté par le défendeur selon lequel le demandeur a perdu sa citoyenneté canadienne dans l’intervalle. Dans la mesure où :

a)      le défendeur invoque le paragraphe 3(1), les alinéas 3(1)d) ou e), ou l’article 7 de la Loi sur la citoyenneté actuelle ou est autorisé par ces dispositions à s’appuyer sur les dispositions relatives à la perte de la citoyenneté qui se trouvaient dans les lois antérieures sur la citoyenneté, y compris l’article 13 de la Loi modificative de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1952-53, ch. 23 (la Loi de 1953 modifiant la Loi sur la citoyenneté) et le paragraphe 4(2) de la Loi concernant la citoyenneté, la nationalité et la naturalisation, ainsi que le statut des étrangers, S.R.C. 1970, ch. C‑19 (la Loi sur la citoyenneté de 1970);

ou

b)      le demandeur se voit refuser le droit de présenter une demande pour être réintégré dans la citoyenneté par suite de l’abrogation de la Loi sur la citoyenneté de 1970 par l’article 36 de la Loi concernant la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, ch. 108 (la Loi sur la citoyenneté de 1977) et l’application du paragraphe 3(1) et des articles 7 et 11 de la Loi sur la citoyenneté actuelle,

la Cour conclut que les dispositions législatives contestées sont contraires au principe de l’application régulière de la loi et contreviennent aux alinéas 1a) et 1e) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44, reproduite à L.R.C. 1985, Annexe III (la Déclaration des droits), ainsi qu’au droit d’une personne à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne auquel il ne peut être porté atteinte qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte). Ces contraventions ne sont pas justifiées au regard de l’article premier de la Charte et, par conséquent, les dispositions précitées sont inopérantes.

 

[10]           En outre, dans la mesure où le paragraphe 3(1), les alinéas 3(1)b), d) et e), et l’article 8 de la Loi sur la citoyenneté actuelle, lus de concert, autorisent le rejet de la demande d’attestation de la citoyenneté présentée par le demandeur aux motifs :

a)         que la citoyenneté d’un enfant né hors du mariage avant le 15 février 1977, à l’extérieur du Canada, ne peut lui venir que de sa mère, ou

b)         qu’il y a automatiquement perte de la citoyenneté si une demande de rétention n’a pas été présentée par l’enfant né hors du mariage avant le 15 février 1977, à l’extérieur du Canada, entre 21 et 24 ans,

la Cour estime que ces dispositions contreviennent au paragraphe 15(1) de la Charte et que ces contraventions ne sont pas justifiées au regard de l’article premier de la Charte.

 

[11]           Le contexte est très important dans la présente affaire et les nombreux arguments présentés par les parties s’articulent autour de l’interprétation et des effets de différentes lois et de différents arrêtés en conseil concernant les épouses de guerre et leurs enfants (incluant le demandeur), de même qu’autour de la question de savoir comment l’application passée ou actuelle des dispositions législatives contestées est contraire aux droits du demandeur à l’application régulière de la loi et à la reconnaissance de ses droits à l’égalité. Par conséquent, pour mieux comprendre les réponses qui ont été données aux questions juridiques complexes soulevées en l’espèce, les présents motifs seront exposés selon le plan général suivant :

I.                 Le contexte factuel

II.              La décision soumise au contrôle

III.            La norme de contrôle

IV.           Les questions soulevées et les prétentions des parties

V.              L’évolution de la législation sur l’immigration, la nationalité et la citoyenneté

VI.           Les arrêtés en conseil C.P. 7318 et C.P. 858

VII.         La Loi sur la citoyenneté de 1947

VIII.      La Loi sur la citoyenneté de 1952 et la Loi de 1953 modifiant la Loi sur la citoyenneté

IX.           La Loi sur la citoyenneté de 1970

X.              La Loi sur la citoyenneté de 1977 et la Loi sur la citoyenneté actuelle

XI.           La conduite des parties

XII.         L’interprétation des lois

XIII.      L’application rétroactive ou rétrospective de la Charte

XIV.      L’application régulière de la loi

XV.        Les droits à l’égalité

XVI.      La conclusion

 

I.          Le contexte factuel

 

[12]           Entre 1939 et 1945, près d’un million de soldats canadiens ont débarqué en Angleterre. [traduction] « […] Naturellement, les Canadiens ont rencontré des femmes britanniques, ce qui a donné lieu à de nombreuses histoires d’amour et à leurs inévitables résultats ». On estime à 30 000 le nombre d’enfants nés de Canadiens en Grande-Bretagne et en Europe au cours de la Seconde Guerre mondiale – soit quelque 22 000 enfants en Angleterre seulement, et entre 5 000 et 7 000 aux Pays Bas après la libération du pays : voir Melynda Jarratt, « The Canadians in Britain , 1939‑1946 » dans Olga Rains, Lloyd Rains & Melynda Jarratt, Voices of the Left Behind (Toronto : The Dundurn Group, 2006) 15, à la page 16; voir également Melynda Jarratt, « By Virtue of his Service » dans Voices of the Left Behind, précité, à la page 200. Le demandeur est l’un de ces enfants nés pendant la guerre.

 

[13]           Le père du demandeur, Joe Taylor, père, est né au Canada et il avait 18 ans quand il est arrivé en Angleterre en 1942. Il était membre des forces armées canadiennes. À la fin de 1943 ou au début de 1944, il a commencé à fréquenter la mère du demandeur, Jenny Rose Harvey, qui était née à l’île de Wight (en Angleterre) et avait deux ans de plus que lui. Le couple avait décidé de se marier au printemps de 1944. Toutefois, Joe Taylor, père, devait obtenir la permission de son commandant. En raison de la guerre, le statut du personnel des forces armées canadiennes faisait l’objet de plusieurs restrictions. Les préparatifs pour l’attaque du Jour J étaient bien avancés au printemps de 1944. Le matin du Jour J, soit le 6 juin 1944, Joe Taylor, père, a été envoyé en France avant que le couple obtienne la permission de se marier. Quand il a quitté l’Angleterre, Jenny Rose Harvey était enceinte. Le demandeur est né en Grande-Bretagne le 8 décembre 1944, alors que son père était toujours en garnison en France.

 

[14]           Joe Taylor, père, n’a obtenu la permission de revenir en Angleterre qu’en février 1945, date à laquelle il a obtenu de son commandant la permission d’épouser la mère du demandeur. Le mariage a été célébré le 5 mai 1945. Joe Taylor, père, est demeuré en Angleterre jusqu’en février 1946, date à laquelle il a été libéré des forces armées canadiennes. Il a ensuite été rapatrié au Canada et il est revenu à Cumberland, en Colombie-Britannique, où il a préparé l’arrivée de son épouse et de son fils.

 

[15]           Ce ne sont pas tous les soldats canadiens qui ont épousé les femmes rencontrées en Europe. Cela dit, entre 1942 et 1948, 43 454 épouses de guerre – dont environ 94 pour cent de Britanniques – et leurs 20 997 enfants sont arrivés au Canada. Leur transport a été parrainé par le gouvernement canadien par l’entremise d’un organisme portant le nom de Canadian Wives Bureau (le bureau des femmes canadiennes), associé au ministère de la Défense nationale. Ce bureau avait été mis sur pied en 1944 pour faire face à la cessation imminente de la guerre et à l’arrivée au Canada d’environ 70 000 personnes à la charge des membres des forces armées canadiennes.

 

[16]           Le demandeur et sa mère ont voyagé à bord du Queen Mary qui, pour l’occasion, n’était utilisé que pour le rapatriement des soldats canadiens et de leur famille. Ils sont arrivés au Canada le 4 juillet 1946 à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Il ne fait aucun doute qu’ils ont été légalement admis au Canada. L’arrivée des épouses de guerre et de leurs enfants était un événement heureux. En fait, quand le demandeur et sa mère sont arrivés à Vancouver, le Comox Newspaper, le journal local de la ville la plus importante située à proximité de Cumberland, a signalé leur arrivée. Malheureusement, la vie commune de la mère du demandeur avec Joe Taylor, père, était loin d’être idyllique. Il semble qu’après avoir connu les horreurs de la guerre, le père du demandeur n’était plus le même. Sa personnalité avait changé. Après quelques mois, le mariage a éclaté, apparemment en raison de la violence dont le père du demandeur faisait usage à l’égard de sa mère.

 

[17]           Comme la mère du demandeur n’avait aucun proche parent et nulle part où aller au Canada, elle n’avait guère d’autre choix que de rentrer en Angleterre avec son jeune fils (voir Note 3). Les parents de la mère du demandeur ont vendu leurs meubles pour payer son retour en Angleterre avec son fils.

 

[18]           Le demandeur n’avait pas deux ans quand il a quitté le Canada avec sa mère. Ils sont d’abord passés par New York aux États-Unis. De là, ils ont pu rentrer au Royaume-Uni grâce au passeport canadien délivré à la mère du demandeur à New York le 11 octobre 1946.

 

[19]           Pendant toute la jeunesse du demandeur en Angleterre, sa mère lui a toujours dit, et il le croyait lui-même, qu’il était « moitié Canadien » et « moitié Britannique ». En fait, ils croyaient tous deux qu’ils étaient citoyens du Royaume-Uni et du Canada. À l’âge de sept ou  huit ans, le demandeur a commencé à poser des questions au sujet de son père au Canada. Sa mère avait toujours son adresse en Colombie-Britannique. Le demandeur a correspondu de façon assez régulière avec son père pendant quelques années, jusqu’à ce que les lettres se fassent plus rares et finissent par cesser.

 

[20]           Le 8 décembre 1965, le demandeur a eu 21 ans. En vertu de la Loi canadienne sur la citoyenneté en vigueur à l’époque, il n’était plus mineur.

 

[21]           À l’âge de 24 ans, alors qu’il était déjà marié et père de deux enfants, le demandeur s’est rendu à la Maison du Canada à Londres pour s’informer de la possibilité de s’établir au Canada. Il a expliqué qu’il était le fils d’un ancien combattant canadien rapatrié et qu’il avait vécu au Canada pendant les premières années de sa vie. On lui a apparemment remis les formulaires d’immigration habituels qui exigeaient un « parrain » au Canada. Il a rempli les formulaires et les a envoyés à son père à sa dernière adresse connue.

 

[22]           Le demandeur a attendu une réponse de son père pendant de nombreux mois, mais en vain. Comme il ne recevait aucune réponse et qu’il n’avait pas d’autre adresse pour retrouver son père, il a continué à mener sa vie en Angleterre, en se concentrant sur sa profession de comptable et sur sa famille.

 

[23]           Pendant les 30 années qui ont suivi, le demandeur n’a plus fait de tentative pour venir au Canada (ni pour revendiquer sa citoyenneté canadienne). En 1999, le demandeur s’est rendu en Colombie-Britannique et, notamment, à Nanaimo où son père était né. À son retour en Angleterre, le demandeur s’est de nouveau rendu à la Maison du Canada à Londres pour s’enquérir de la possibilité de s’installer au Canada. On lui a dit qu’il avait perdu sa citoyenneté canadienne le jour de son 24e anniversaire.

 

[24]           En novembre 2000, le demandeur a appris que son père était mort en 1996 et qu’il avait sept demi-frères et demi-sœurs, vivant tous sur l’île de Vancouver. Entre-temps, il avait acheté une maison à Victoria (Colombie-Britannique) et, au cours des années 2000 à 2004, il a passé respectivement 8, 11, 14, 18 et 20 semaines au Canada (au moment où le demandeur a déposé sa demande devant la présente Cour en juin 2005, il avait l’intention de passer 22 semaines au Canada).

 

[25]           En février 2003, le demandeur a présenté une demande pour obtenir un certificat de citoyenneté canadienne (en s’appuyant sur le fait qu’il était le fils d’un membre des forces armées canadiennes envoyé en permanence en Angleterre qui avait été rapatrié, et qu’il avait vécu au Canada), mais on lui a répondu que sa demande ne serait pas traitée parce qu’il avait perdu sa citoyenneté canadienne le jour de son 24e anniversaire.

 

[26]           En novembre 2003, le demandeur a présenté une nouvelle demande d’attestation de la citoyenneté et, cette fois, le défendeur a accepté de la traiter. Toutefois, quelque 18 mois plus tard, le demandeur a été informé dans une lettre en date du 5 avril 2005, signée par M. A. Hefferon, agente de la citoyenneté, que sa demande avait été refusée au motif qu’il n’avait jamais obtenu le statut de citoyen canadien. C’est cette dernière décision que le demandeur cherche maintenant à faire examiner et annuler par la Cour.

 

[27]           Depuis 2003, le demandeur a adressé de nombreuses lettres à des agents d’immigration et à des hommes politiques, notamment au très honorable Paul Martin et à l’honorable Joe Volpe, respectivement premier ministre et ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à l’époque, pour solliciter leur aide, mais en vain. Une demande de réexamen de la décision contestée a été présentée à l’agente de la citoyenneté en 2005, mais, apparemment, cette demande est restée sans réponse.

 

[28]           À l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire à Vancouver, le 30 mai 2006, l’avocat du défendeur a affirmé qu’il n’y avait aucun moyen légal de reconnaître aujourd’hui le statut de citoyen canadien au demandeur, à moins qu’il ne soit naturalisé et qu’il ne présente une demande officielle pour obtenir la citoyenneté aux termes de l’article 5 de la Loi sur la citoyenneté actuelle. L’avocat du défendeur a également informé la Cour qu’il n’avait reçu aucune instruction pour régler le cas ou accepter une ordonnance sur consentement (comme cela a été fait dans l’affaire Augier  c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 4 R.C.F. 150 (C.F.), une affaire qui présente des caractéristiques semblables, mais non identiques, à l’espèce).

 

[29]           Après l’audience, les parties ont eu la possibilité de compléter leur dossier, de présenter d’autres observations concernant la jurisprudence et d’autres documents dont la Cour avait pris connaissance d’office, de préciser leur position concernant les questions constitutionnelles soulevées, et de faire des observations concernant les déclarations constitutionnelles et les réparations demandées.

 

II.         La décision soumise au contrôle

 

[30]           L’agente de la citoyenneté a fondé sa décision sur la Loi sur la citoyenneté de 1947 qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1947.

 

[31]           Étant donné que le demandeur est « né hors du mariage » (une situation que le demandeur ne peut changer), l’agente de la citoyenneté a déterminé que la citoyenneté canadienne ne pouvait lui venir de son père né au Canada. L’agente a conclu que, dans le cas d’un « enfant illégitime » né avant le 1er janvier 1947, la citoyenneté canadienne ne pouvait lui venir que de sa mère.

 

[32]           Comme la mère du demandeur est née en Angleterre et que, à la naissance du demandeur, elle ne résidait pas au Canada, l’agente a rejeté la demande d’attestation de la citoyenneté présentée par le demandeur.

 

III.       La norme de contrôle

 

[33]           En l’espèce, les parties font valoir que la décision contestée devrait être examinée en s’appuyant sur la norme de la décision correcte. Ayant examiné tous les facteurs pertinents (Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226), j’en arrive à la même conclusion.

 

[34]           Aux termes du paragraphe 12(2) de la Loi sur la citoyenneté actuelle, les certificats de citoyenneté sont décernés aux citoyens naturalisés une fois toutes les formalités accomplies, mais les citoyens canadiens de naissance doivent présenter une demande d’attestation de la citoyenneté avant qu’un certificat soit délivré par le ministre. Il faut donc que l’agent de la citoyenneté interprète et applique correctement toutes les lois et tous les règlements ou arrêtés en conseil applicables. Les conditions pour obtenir la citoyenneté sont énumérées à l’article 3 de la Loi sur la citoyenneté actuelle qui est entrée en vigueur le 15 février 1977. S’agissant des personnes nées avant cette date, « [s]ous réserve de [la Loi sur la citoyenneté actuelle], a qualité de citoyen toute personne ayant cette qualité au 14 février 1977, ou […] habile, au 14 février 1977, à devenir citoyen aux termes de l’alinéa 5(1)b) de l’ancienne loi » (voir les alinéas 3(1)d) et e) de la Loi sur la citoyenneté actuelle). Qui plus est, l’article 7 de la Loi sur la citoyenneté actuelle précise qu’un citoyen ne peut perdre sa citoyenneté que dans les cas prévus à la Partie II de la Loi.

 

[35]           La décision prise par l’agente de la citoyenneté ne doit pas être contraire à la loi : voir les alinéas 18.1(4)b) et f) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et ses modifications. Pour s’en assurer, la Cour doit avoir plus que la conviction que l’interprétation retenue par l’agente de la citoyenneté est conforme à toutes les lois (ou à tous les règlements ou arrêtés en conseil) relatifs à la citoyenneté : voir l’alinéa 18.1(4)b) de la Loi sur les Cours fédérales. À cet égard, la Constitution canadienne est la loi suprême du Canada, et toute règle de droit (loi, règlement, décision administrative ou ordonnance autorisée par la loi) qui est incompatible avec les dispositions de la Constitution est, dans la mesure de cette incompatibilité, inopérante (paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11) à moins que, dans les cas où il y a atteinte ou négation d’un droit garanti par la Charte, une telle atteinte ou négation puisse se justifier au regard de l’article premier de la Charte : voir Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038. La Déclaration des droits est une loi quasi constitutionnelle : en cas de conflit entre une loi fédérale et les garanties établies dans la Déclaration, celle-ci s’applique et rend inopérante la loi (ou la partie de cette loi) qui la contredit, à moins que la loi incompatible ne déclare expressément qu’elle s’applique nonobstant la Déclaration (comme l’exige l’article 2) : voir R. c. Drybones, [1970] R.C.S. 282; Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884, au paragraphe 28; Authorson c. Canada (Procureur général), [2003] 2 R.C.S. 40, au paragraphe 32.

 

[36]           Je note que l’agente de la citoyenneté n’a pas de connaissances spécialisées particulières sur les questions d’application de la loi qui sont soulevées dans la présente instance, notamment sur la façon de déterminer quand et comment la citoyenneté a été acquise en vertu de la loi, et si la citoyenneté a été perdue par l’opération de la loi. À cet égard, la Cour doit être convaincue que toute condition prescrite par la loi ou imposée par l’agente de la citoyenneté concernant l’acquisition ou la perte de la citoyenneté par l’opération de la loi ne porte pas atteinte aux droits et libertés constitutionnellement garantis par la Charte ou dont l’existence au Canada est reconnue dans la Déclaration des droits, ou qu’elle ne nie pas ces droits et libertés. Il n’y a  pas lieu de faire preuve de retenue judiciaire sur ces questions : voir Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2006] 1 R.C.S. 256. Par conséquent, la décision contestée doit être examinée d’après la norme de la décision correcte et au vu de la validité constitutionnelle de toute disposition applicable de la Loi sur la citoyenneté actuelle.

 

IV.       Les questions soulevées et les prétentions des parties

 

[37]           En résumé, la présente espèce soulève des questions (1) d’interprétation des lois, (2) d’application régulière de la loi, et (3) de droits à l’égalité. Les prétentions présentées par les parties relativement à ces questions peuvent être résumées de la façon suivante.

 

1.         L’interprétation des lois

 

[38]           Le demandeur soutient que l’agente de la citoyenneté a commis une erreur de droit en concluant qu’il n’était pas un citoyen canadien après avoir examiné les anciennes lois sur la citoyenneté. En particulier, le demandeur prétend que l’agente de la citoyenneté n’a pas tenu compte de l’applicabilité et des effets de l’arrêté en conseil C.P. 858. Étant donné que le père du demandeur a toujours été un « citoyen canadien » (avant ou après 1947), le demandeur et sa mère sont automatiquement devenus des « citoyens canadiens ».

 

[39]           Essentiellement, le défendeur prétend que l’arrêté en conseil C.P. 858 ne confère pas le « statut de citoyen »; il a simplement facilité l’entrée et l’établissement au Canada du demandeur et de sa mère pour les fins de la législation canadienne en matière d’immigration.

 

2.         L’application régulière de la loi

 

[40]           Subsidiairement, le défendeur fait valoir que si l’agente de la citoyenneté a commis une erreur de droit en concluant que le demandeur n’avait pas acquis la citoyenneté le 1er janvier 1947, il l’avait perdu dans l’intervalle du fait de l’application de la loi. Tout d’abord, le « domicile canadien » (au sens de la législation applicable en matière d’immigration) acquis ou réputé avoir été acquis par le demandeur et sa mère à leur arrivée au Canada le 4 juillet 1946, a été définitivement perdu du fait de leur départ volontaire du Canada (après le 11 octobre 1946) et du fait qu’ils ont résidé en Angleterre pendant plus d’un an. Deuxièmement, le demandeur a perdu sa citoyenneté le jour de son 24e anniversaire : il en est ainsi parce que les anciennes lois sur la citoyenneté précisaient qu’un citoyen né à l’extérieur du Canada avant le 15 février 1977 devait présenter une demande pour conserver sa citoyenneté entre son 21e et son 24e anniversaire, ce que le demandeur n’a pas fait en l’espèce. Bien que de telles exigences n’étaient pas connues du demandeur ou ne lui aient pas été communiquées avant son 24e anniversaire, il ne peut prétexter l’ignorance de la loi.

 

[41]           Essentiellement, le demandeur prétend qu’à son départ du Canada en octobre 1946, sous la garde de sa mère, il n’y avait pas d’exigence légale semblable. Si les exigences légales adoptées en 1953 peuvent s’appliquer en l’espèce (ce qui est une autre question soulevée dans la présente instance), le demandeur est d’avis que le défendeur ne peut les imposer ni les invoquer : voir l’alinéa 3(1)d) de la Loi sur la citoyenneté actuelle. Tout d’abord, parce que ces exigences n’ont jamais été prises en compte par l’agente de la citoyenneté, et deuxièmement, parce qu’elles ne respectent pas le principe de l’application régulière de la loi, non plus que les droits reconnus aux alinéas 1a) et 2e) de la Déclaration des droits (qui était applicable à l’époque où le demandeur aurait prétendument perdu sa citoyenneté), ou autrement garantis par l’article 7 de la Charte.

 

3.         Les droits à l’égalité

 

[42]           Le demandeur fait aussi valoir que les régimes antérieur et actuel des lois sur la citoyenneté sont « discriminatoires ». Les enfants nés à l’extérieur du Canada, dans les liens du mariage ou hors du mariage, avant et après le 15 février 1977, sont traités différemment pour ce qui concerne l’acquisition et la perte de la citoyenneté. Cette différence de traitement est actuellement fondée sur la date de naissance d’une personne (un motif analogue à l’âge) et, en fait, elle perpétue la différence de traitement antérieure qui se fondait sur l’état matrimonial et le sexe de l’un des parents, qui sont les facteurs clés pour déterminer si la citoyenneté s’acquiert par la filiation paternelle ou maternelle. Le demandeur soutient qu’une telle différence de traitement traduit une opinion déshonorante et préjudiciable des « enfants illégitimes », qui est discriminatoire et porte atteinte aux droits à l’égalité garantis au paragraphe 15(1) de la Charte.

 

[43]           Essentiellement, le défendeur soutient que les dispositions légales contestées n’établissent pas de différence entre les demandeurs en se fondant sur les motifs de discrimination énumérés dans la Charte ou sur des motifs analogues. Qui plus est, le défendeur soutient que la Charte ne peut être appliquée de façon « rétrospective » ou « rétroactive », de façon à ce que la citoyenneté soit conférée au demandeur.

 

V.                 L’évolution de la législation sur l’immigration, la nationalité et la citoyenneté

 

            1.         Les citoyens et les non-citoyens dans le contexte actuel

 

[44]           Pour parler simplement, disons que la citoyenneté est le statut conféré à un citoyen. À l’heure actuelle, on peut généralement dire que la citoyenneté canadienne représente le partage de la souveraineté et un contrat social entre des particuliers et notre société dans son ensemble. La citoyenneté n’est plus considérée comme un « privilège ». Des avantages pratiques découlent de ce statut, tel le droit de vote, le droit d’entrer et de demeurer au Canada, et le droit de voyager à l’étranger muni d’un passeport canadien. Les citoyens canadiens jouissent également d’un accès privilégié à la fonction publique fédérale : voir Lavoie c. Canada, [2002] 1 R.C.S. 769.

 

[45]           La distinction entre les « citoyens » et les « non-citoyens » est reconnue dans la Charte, la citoyenneté étant une condition essentielle pour avoir le droit de vote (article 3), la liberté de circulation et d’établissement (article 6) et le droit à l’instruction dans la langue de la minorité (article 23). Toutefois, cette distinction peut en même temps constituer un « motif de discrimination analogue » aux termes de l’article 15 de la Charte dans d’autres cas de préférence législative (voir Andrews c. Law Society of British Columbia,, [1989] 1 R.C.S. 143), et toute « discrimination » de ce genre doit pouvoir se justifier au regard de l’article premier de la Charte (R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103).

 

[46]           La législation actuelle en matière de citoyenneté canadienne veut que la citoyenneté s’acquiert soit automatiquement par l’opération de la loi, soit par l’octroi de la citoyenneté par le ministre (la naturalisation). Pour ce qui est de l’opération de la loi, la citoyenneté peut s’acquérir du fait de la naissance au Canada (le droit du sol) ou par filiation lorsque la personne est née à l’extérieur du Canada et que l’un de ses parents naturels est un citoyen (le droit du sang).

 

[47]           Il n’y a pas de définition du terme « citoyen » dans la Charte et toute définition légale, comme celle qui figure actuellement dans la Loi sur la citoyenneté, doit respecter la Charte : voir Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358. La démarche moderne qu’il convient d’adopter à cet égard est l’examen de la différence de traitement en fonction des droits et des libertés enchâssés dans la Charte et, dans le contexte du paragraphe 15(1), en fonction de la notion de dignité et de liberté humaines essentielles : voir Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497; Lavoie, précité.

 

[48]           Ceci m’amène à examiner certaines des hypothèses des parties en l’espèce.

 

2.         Les hypothèses des parties

 

[49]           Le défendeur soutient que la « citoyenneté » est une création du droit législatif et qu’elle n’a aucun autre sens que celui que lui reconnaît la loi : voir Solis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 407 (C.A.F.) (QL). Le défendeur reconnaît que le demandeur était un « sujet britannique » et également un « ressortissant canadien » au moment de sa naissance, au sens de la Loi des ressortissants du Canada, S.C. 1921, ch. 4, modifiée à S.R.C. 1927, ch. 21 (la Loi des ressortissants du Canada).

 

[50]           Cela dit, le défendeur soutient qu’avant l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté de 1947, le « citoyen canadien » n’existait pas. Il soutient que s’il y avait des « citoyens canadiens » dans ce pays avant 1947, alors il s’agissait de citoyens uniquement au « sens romain » et pour les fins limitées de l’application de la politique canadienne en matière d’immigration.

 

[51]           Le demandeur n’est pas disposé à accepter les propositions avancées par le défendeur et fait valoir que le concept juridique de « citoyen canadien » a été mentionné et utilisé dans au moins deux lois adoptées par le Parlement avant 1947, soit la Loi de l’immigration de 1910 et la Loi des ressortissants du Canada.

 

[52]           C’est la première fois qu’un tribunal examine d’une façon aussi approfondie l’évolution de la législation canadienne en matière d’immigration, de nationalité et de citoyenneté avant et après l’adoption de la Loi sur la citoyenneté de 1947.

 

[53]           Il est bien accepté que les documents sur l’historique législatif sont admissibles dans des instances soulevant des questions constitutionnelles et non constitutionnelles pour aider à interpréter la loi, pourvu que les critères préliminaires de pertinence et de fiabilité soient respectés. Dans les instances exigeant l’interprétation de la loi, les tribunaux consultent bon nombre de publications universitaires et professionnelles, notamment des traités, des monographies, des études, des rapports et des articles spécialisés. Ces documents peuvent être utilisés pour démontrer l’existence d’un contexte externe ou comme preuve directe d’un objectif législatif. Le poids qu’il convient de donner à ces documents est établi au cas par cas : voir Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Markham, Ont. : Butterworths, 2002), aux pages 471 à 502; Lavoie, précité, aux paragraphes 40 et 57; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, [2000] 1 R.C.S. 783, au paragraphe 17; Law, précité, au paragraphe 77; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, aux paragraphes 21 et 35; Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252, aux paragraphes 48 à 50.

 

[54]           À cet égard, le défendeur soutient que deux caractéristiques constantes se retrouvent dans les documents historiques, la jurisprudence et les commentaires :

a)               Une propension générale à éviter le mot « citoyenneté » quand il était question de nationalité avant 1947. Les termes « sujet », « ressortissant », « naturalisation » et leurs dérivés sont utilisés comme synonymes de « citoyen » dans le sens dans lequel ce terme s’entend aujourd’hui.

 

b)               Quand le terme « citoyen » est utilisé avant 1947, il renvoie généralement au terme tel qu’il est défini dans la Loi de l’immigration de 1910, et il est précisé que ce terme a été défini pour les fins particulières de cette loi.

 

[55]           Prenons quelques instants pour explorer les propositions présentées par le défendeur et examiner ce que les expressions « sujet britannique », « ressortissant canadien » et « citoyen canadien » signifiaient avant 1947, et ce qu’elles veulent dire aujourd’hui.

 

3.         Le concept initial de citoyenneté

 

[56]           Dans son sens premier, le terme « citoyen » faisait référence à un membre d’une « société libre ou juridique » (civitas) qui possédait tous les droits et privilèges dont pouvait bénéficier une personne en vertu de la constitution et du gouvernement de cette société. Bien que nombre de sociétés aient eu un concept de citoyenneté, c’est dans les Cités-États grecques que ce statut a d’abord été défini pour ensuite être perfectionné à Rome : voir William Kaplan, « Who Belongs? Changing Concepts of Citizenship and Nationality », dans William Kaplan, éd., Belonging: The Meaning and Future of Canadian Citizenship (Montréal et Kingston : McGill-Queen’s University Press, 1993) 246, à la page 247.

 

[57]           La meilleure description du concept initial de citoyenneté est donnée par le professeur Kaplan, qui écrit ceci à la page 247 :

[traduction]
Athènes était la plus connue des Cités-États grecques, et elle était une démocratie en ce sens que tous les citoyens participaient au gouvernement, en tant qu’électeurs et dirigeants. Toutefois, ce ne sont pas toutes les personnes qui pouvaient devenir citoyens. Les femmes, les esclaves, les étrangers, et les résidents étrangers ne pouvaient obtenir ce statut et ne bénéficiaient que de droits limités dans la collectivité.

 

Le statut de citoyen a ensuite été perfectionné à Rome. La citoyenneté était plus largement accordée que dans les Cités-États grecques, mais il y avait encore des restrictions importantes. La république romaine faisait une distinction entre les droits civils, c’est-à-dire l’égalité devant la loi sans participation au gouvernement, et les droits politiques, ou l’appartenance à un organisme souverain avec pleine participation politique. Seules les personnes qui jouissaient à la fois des droits civils et politiques bénéficiaient des droits de la citoyenneté, qu’on appelait également « liberté de la cité ». Au fur et à mesure que les frontières se sont élargies ou que Rome, et ensuite l’Empire romain, se sont étendus, la citoyenneté a été accordée aux peuples conquis : « Il est intéressant de noter qu’au début la citoyenneté était le droit d’appartenir à la cité de Rome et qu’elle n’a acquis que plus tard ce sens plus large d’être membre de l’Empire. »

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[58]           Le concept de « citoyenneté » a été révisé à la fin du Moyen-âge et au cours de la Renaissance pour inclure l’appartenance à une cité ou à une ville libre. Toutefois, les distinctions fondamentales entre les citoyens et les autres ont été maintenues. Seuls les « citoyens » pouvaient participer pleinement à tous les aspects de la vie communautaire.

 

[59]           L’utilisation du terme « citoyen » s’est généralisée au cours de la Révolution française étant donné que [traduction] « les dirigeants et partisans des forces révolutionnaires croyaient que ce terme, et sa connotation de participation libre et égale au gouvernement, semblait mieux refléter la façon dont les individus percevaient leur nouvelle situation » (voir Derek Heater, Citizenship: the Civic Ideal in World History, Politics and Education (Londres : Longman, 1990), à la page 2, cité dans Kaplan, précité, à la page 248).

 

[60]           À la même époque, et pour des raisons assez semblables, le terme a été adopté dans les États-Unis nouvellement constitués. La Constitution américaine parle de « citoyens » plutôt que de « sujets » et de « citoyenneté » plutôt que de « nationalité ».

 

[61]           Bien que la « citoyenneté » décrive un statut qui peut être conféré à une personne, la « nationalité » s’entend de l’appartenance à une « nation ». Les concepts de « citoyenneté » et de « nationalité » semblent interchangeables ou synonymes aujourd’hui et je note qu’au Canada, depuis 1947, ils ont été amalgamés pour désigner un seul statut, celui de « citoyen canadien ». Toutefois, cela n’a pas toujours été le cas (voir Note 4).

 

4.         Le statut de sujet britannique ou la nationalité

 

[62]           Dans une république, l’État s’identifie à la nation elle-même et les personnes qui appartiennent à la nation doivent allégeance à l’État. D’un point de vue historique, il n’en vas pas de  même des personnes qui sont nées dans un pays gouverné par une monarchie. Elles doivent allégeance au souverain. C’est le cas au Royaume-Uni (voir Note 5).

 

[63]           Dans les pays de common law, la nationalité a tendance à précéder le concept de citoyenneté. Cela est particulièrement vrai en Angleterre et au Canada depuis la « conquête » anglaise. On peut dire que l’exercice des droits associés à la citoyenneté est subordonné à l’acquisition d’une certaine forme de statut de « ressortissant ».

 

[64]           Selon la common law anglaise, une personne devenait un « sujet britannique », de façon générale, si elle naissait en Angleterre (le droit du sol). Ce statut s’étendait aux personnes nées dans toutes les parties des « dominions de Sa Majesté et autres territoires sous son allégeance ». À la fin du dix-neuvième siècle, les « dominions » de la Couronne britannique incluaient aussi bien les colonies que les dominions autonomes (Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, Canada et Terre-Neuve). La « citoyenneté de naissance », si je peux m’exprimer ainsi faute de disposer d’une meilleure expression pour décrire le lien existant entre le particulier et l’« État », était perpétuelle et ne pouvait être révoquée, quel que soit le lieu de résidence. Suivant le même raisonnement, les « étrangers » ne pouvaient renoncer à leur lien d’appartenance avec leur pays de naissance. Par conséquent, dans la common law anglaise, aucune procédure ou cérémonie ne permettait aux personnes nées à l’étranger de devenir des « citoyens » ou des « ressortissants » britanniques.

[65]           Cela dit, il existait deux procédures dont un « étranger » pouvait se prévaloir pour devenir un sujet britannique et bénéficier de certains des droits associés à la citoyenneté. Tout d’abord, la « naturalisation » accordait tous les droits juridiques de la citoyenneté, à l’exception des droits politiques (par exemple, exercer une charge politique). La naturalisation exigeait l’adoption d’une loi par le Parlement. Deuxièmement, la « demi-naturalisation », comme la naturalisation, permettait à une personne d’acquérir les droits de la citoyenneté autres que les droits politiques. Toutefois, la demi-naturalisation était accordée par lettres patentes, conférées par le Roi dans le cadre de l’exercice de la prérogative royale. La demi-naturalisation était donc un exercice du pouvoir exécutif, alors que la naturalisation était un exercice du pouvoir législatif.

 

[66]           Plus tard, avec l’expansion de l’Empire, le Parlement impérial a autorisé les colonies et les dominions autonomes à adopter des lois « locales » traitant de la naturalisation des étrangers (voir 6. La législation relative à la naturalisation avant 1947, ci-dessous, au paragraphe 70).

 

5.         Les pouvoirs du Parlement canadien

 

[67]           En tant que membre de l’Empire britannique et plus tard du Commonwealth, le Canada a fait partie de la « communauté citoyenne britannique » pendant presque toute son existence (voir Note 6).

 

[68]           Avec la Confédération, le pouvoir législatif concernant la « naturalisation » a été confié au Parlement du Canada, qui partageait son pouvoir législatif avec les provinces pour ce qui a trait à « l’immigration » (paragraphe 91(25) et article 95 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 et 31 Vict., ch. 3, réimprimée dans L.R.C. 1985, Annexe II, no 5 (la Loi constitutionnelle de 1867)). En outre, le paragraphe 91(24) avait pour but de conférer la compétence relative aux « Indiens et [aux] terres réservées pour les Indiens » au Parlement du Canada (voir Note 7).

 

[69]           Cela dit, en 1867, les provinces faisant partie de la fédération étaient encore des « colonies britanniques » même si elles avaient un gouvernement responsable et étaient dans une large mesure autonomes dans les affaires locales. La nouvelle fédération était également devenue une « colonie » britannique, subordonnée au Royaume-Uni pour les affaires internationales et assujettie à d’importantes restrictions impériales dans les affaires locales (voir Note 8).

 

6.         La législation relative à la naturalisation avant 1947

 

[70]           Avant 1867, il y avait plusieurs lois locales relatives à la naturalisation des étrangers qu’il n’est pas nécessaire de mentionner ici : voir Clive Parry, Nationality and Citizenship Laws of the Commonwealth and of the Republic of Ireland (Londres : Stevens & Sons, 1957) vol. 1, pages 431 à 445.

 

[71]           En 1868, le Parlement du Canada a commencé à adopter des lois traitant de la naturalisation, qui établissaient les conditions en vertu desquelles un étranger pouvait être naturalisé comme « sujet britannique » (voir la Loi concernant les étrangers et la naturalisation, S.C. 1868, ch. 66 (la Loi sur la naturalisation de 1868); la Loi concernant la naturalisation et les étrangers, S.C. 1881, ch. 13 (la Loi sur la naturalisation de 1881)). Ces lois ont d’abord été considérées comme des « lois locales » jusqu’en 1914, quand le Parlement impérial a abrogé la restriction locale applicable aux certificats de naturalisation accordés à l’extérieur du Royaume-Uni.

 

[72]           En 1914, une tentative a été faite pour élaborer un régime commun de naturalisation dans tout l’Empire britannique. Les lois sur la naturalisation ont été plus ou moins « impérialisées » par l’adoption de la British Nationality and Status of Aliens Act, 1914 (R.-U.), 4 & 5 Geo. V, ch. 17 (la British Nationality and Status of Aliens Act, 1914), qui reconnaissait une naturalisation « impériale » plutôt que « locale », et précisait qu’elle n’avait effet dans les autres dominions que si ces derniers avaient adopté une mesure parallèle. Le Parlement canadien a accepté ce plan commun en réadoptant cette loi britannique, qui incluait les parties ayant trait à des questions plus générales de statut national plutôt que de « naturalisation » entendue dans son sens étroit : voir la Loi sur la naturalisation, S.C. 1914, ch. 44 (la Loi sur la naturalisation de 1914) (voir Note 9).

 

[73]           La législation en matière de naturalisation définissait largement le « statut national » de tous les particuliers. Toute personne née dans les domaines de Sa Majesté avant 1947, y compris le Canada, acquérait automatiquement le statut de sujet britannique d’origine par la seule opération de la loi, peu importe le statut de ses parents : voir l’alinéa (1)a) de la British Nationality and Status of Aliens Act, 1914, et l’alinéa 3a) de la Loi sur la naturalisation de 1914.

 

[74]           En outre, toute personne née avant 1947 en dehors des domaines de Sa Majesté, y compris le Canada, dont le père était (1) sujet britannique à l’époque de la naissance de cette personne; et (2) était né sous l’allégeance de Sa Majesté ou bien avait obtenu un certificat de naturalisation, acquérait automatiquement le statut de sujet britannique d’origine : voir l’alinéa 1b) de la British Nationality and Status of Aliens Act, 1914 et l’alinéa 3b) de la Loi sur la naturalisation de 1914.

 

[75]           Il existe un vieil adage français selon lequel « qui prend mari, prend pays ». En fait, la femme qui prend mari acquiert la nationalité de ce dernier et devient citoyenne du pays de son époux. Selon le droit romain, l’épouse disait : « Et ton peuple sera mon peuple et tes dieux seront mes dieux ». Cela était particulièrement vrai des femmes qui, à cette époque, épousaient des sujets britanniques. En vertu de plusieurs lois sur la naturalisation, elles devenaient automatiquement sujets britanniques si leur époux était lui-même sujet britannique au moment du mariage. De même, une femme devenait une étrangère si elle épousait un étranger à la date à laquelle son époux cessait d’être un sujet britannique (voir Note 10).

 

[76]           En vertu de la common law, le principe général voulait qu’un enfant obtienne la nationalité de son parent légitime (voir Note 11). Un enfant illégitime, né hors des domaines de Sa Majesté, ne pouvait acquérir la nationalité britannique par son père britannique. En règle générale, la nationalité britannique ne pouvait être transmise que par le père, et les parents devaient être mariés. L’enfant naturel ou le « bâtard », comme le qualifiait la common law, étant filius nullius, ne pouvait respecter cette condition : [traduction] « […] il faut démontrer que son père était un sujet britannique de naissance. Et s’il n’a pas de père, alors bien entendu il n’a aucun droit à ce statut » : voir Abraham v. Attorney General, [1934] P. 17, aux pages 21 et 27; Shedden v. Patrick (1854), 1 Macq. 535, page 640 (Chambre des lords).

 

[77]           Pour une personne réputée être un « bâtard » à la naissance, il n’existait aucune façon officielle de devenir « légitime », sauf par l’adoption d’une loi du Parlement. En fait, jusqu’à l’adoption de la Legitimacy Act, 1926 (R.-U.), 16 et 17 Geo. V, ch. 60 (la Legitimacy Act, 1926), le droit anglais avait toujours refusé d’accepter la doctrine selon laquelle un enfant « né hors du mariage » pouvait être légitimé par le mariage ultérieur de ses parents (Halsbury’s Laws of England, 3e éd. (Londres : Butterworths, 1953) vol. 3, paragraphes 146 et 147).

 

[78]           Au Canada, l’enfant de parents naturalisés était inclus dans le certificat de son père. Il semble que, malgré sa formulation libérale, la loi sur la naturalisation ait été appliquée de façon à limiter le droit du sang aux enfants nés « dans les liens du mariage ». Je note que, dans l’arrêt Abraham, précité, une cause britannique, il a été statué que le principe legitimatio per subsequens matrimonium en vertu de la Legitimacy Act, 1926 ne conférait à l’enfant ainsi légitimé aucun droit à une déclaration attestant qu’il était un sujet britannique de naissance (voir Note 12).

 

[79]           Cela dit, avant 1947, le Secrétaire d’État était autorisé à exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder un certificat de naturalisation à tout mineur, même si celui-ci ne satisfaisait pas à toutes les conditions législatives : voir le paragraphe 5(2) de la British Nationality and Status of Aliens Act, 1914 et le paragraphe 7(2) de la Loi sur la naturalisation de 1914. Ce pouvoir discrétionnaire exécutif a été maintenu dans la Loi sur la citoyenneté de 1947 et conféré au ministre : voir l’alinéa 11b) de la Loi sur la citoyenneté de 1947.

 

[80]           Un grand nombre d’enfants de soldats canadiens nés en Angleterre et aux Pays-Bas pendant la guerre sont nés hors du mariage : voir Melynda Jarrat, précité. En 1946, le fait que le demandeur soit né hors du mariage n’aurait soulevé aucune difficulté pour ce qui est de sa nationalité ou de sa citoyenneté britannique. Il était indiscutablement un sujet britannique du fait qu’il était né en Angleterre (le droit du sol). Toutefois, les enfants de la guerre nés à l’extérieur de l’Angleterre, comme les 6 000 enfants nés aux Pays-Bas, n’étaient pas dans la même situation que le demandeur eu égard à la nationalité ou à la citoyenneté britannique. Le droit du sol ne s’appliquait pas à eux parce qu’ils n’étaient pas nés sous l’allégeance de Sa Majesté. À moins qu’ils ne soient nés dans les liens du mariage, les enfants nés en Hollande devaient être « naturalisés » pour devenir sujets britanniques (comme tous les autres enfants qui n’étaient pas nés sous l’allégeance de Sa Majesté).

 

[81]           Cela dit, le statut de « sujet britannique » a également évolué avec le temps. À la suite de la décision du Canada d’adopter sa propre législation en matière de citoyenneté en 1946, les chefs de gouvernement des pays du Commonwealth ont décidé en 1948 de procéder à de grands changements dans les lois sur la nationalité dans tout le Commonwealth.

 

[82]           Je fais une pause ici pour mentionner qu’en 1949 l’effet de la « légitimation » sur la citoyenneté ou la nationalité d’un sujet ou d’un citoyen britannique ne posait plus de problème en droit anglais. En fait, une personne légitimée du fait du mariage ultérieur de ses parents est traitée dans la loi, à compter de la date du mariage ou du 1er janvier 1949, si cette date est ultérieure, comme si elle était née à l’intérieur du mariage, pour ce qui est de savoir si cette personne légitime était un citoyen du Royaume-Uni et des colonies, ou un sujet britannique immédiatement avant le 1er janvier 1949 : voir la British Nationality Act, 1948 (R.‑U.), 11 et 12 Geo. VI, ch. 56, paragraphes 23(1), et 34(2). Ces dispositions législatives ont préséance sur le droit antérieur tel qu’exprimé dans les arrêts Shedden, et Abraham, précités (voir Halsbury’s Laws of England, précité, au paragraphe 151).

 

[83]           Depuis 1948, la qualité de « sujet britannique » fait généralement référence à une personne qui est un « citoyen du Commonwealth ». Par conséquent, le statut de ressortissant ou de citoyen d’une telle personne (qui n’est pas réellement un citoyen ou un ressortissant britannique) sera généralement défini dans la loi dûment adoptée dans chacun des pays du Commonwealth (voir Note 13).

 

[84]           Cela dit, les citoyens canadiens continuent de devoir allégeance à la Reine du Canada (et non pas à la Reine d’Angleterre), Sa Majesté la Reine Élisabeth II, ses héritiers et successeurs. En fait, les citoyens canadiens naturalisés doivent prêter le serment d’allégeance à la Reine (voir la Loi sur la citoyenneté actuelle, paragraphe 12(3), article 24, et l’Annexe).

 

7.         Définition de l’expression « citoyen canadien » dans la Loi de l’immigration de 1910

 

[85]           S’agissant de l’institution de la « citoyenneté canadienne », le juge Rand écrit ce qui suit dans l’arrêt Winner c. S.M.T. (Eastern) Ltd., [1951] R.C.S. 887, aux pages 918 et 919:

 

[traduction]
[…] La première réalisation fondamentale de la Loi constitutionnelle [de 1867] a été la création d’une organisation politique unifiée de sujets de Sa Majesté dans les limites géographiques du Dominion, dont le postulat fondamental était l’institution de la citoyenneté canadienne. La citoyenneté est l’appartenance à un État; sont inhérents au citoyen les droits et les devoirs corrélatifs à l’allégeance et à la protection qui sont attachés à ce statut.

 

 

La loi ne prévoit pas expressément que la citoyenneté relève de la compétence législative du dominion ou des provinces; mais étant donné que la citoyenneté se trouve à la base même de l’organisation politique et qu’elle revêt un caractère national, et vu la rubrique 25 de l’article 91, « La naturalisation et les aubains », il faut conclure qu’elle fait partie des pouvoirs résiduels du dominion : voir l’affaire Canada Temperance [[1946] A.C. 193, à la page 205], à la page 205. Quoi qu’on ait pu dire avant 1931, le Statut de Westminster, jumelé aux déclarations des relations constitutionnelles de 1926 dont il est issu, créant essentiellement un État souverain, clôt le débat.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[86]           Avant 1947, le Parlement canadien n’avait déployé aucun effort pour définir de façon exhaustive dans une seule loi le statut de la citoyenneté canadienne, bien qu’il ait fait à l’occasion quelques incursions dans le domaine, comme je vais maintenant le démontrer.

 

[87]           Puisque le Parlement a le pouvoir d’adopter une politique en matière d’immigration, il s’ensuit qu’il peut adopter des lois prescrivant les conditions en vertu desquelles les « non-citoyens » ou « étrangers » seront autorisés à entrer et à demeurer au Canada : voir Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711. En fait, il a agi de la sorte dès 1869 (voir Ninette Kelley et Michael Trebilcock, The Making of the Mosaic, An History of Canadian Immigration Policy (Toronto : Presses de l’Université de Toronto, 1998), ch. 3).

 

[88]           Cela dit, la Loi de l’immigration de 1910 a été le premier instrument juridique canadien à introduire dans la loi le statut particulier de « citoyenneté canadienne ». L’article 2 de la Loi de l’immigration de 1910 définissait le « citoyen » dans les termes suivants :

(1)            quiconque est né au Canada et n’est pas devenu un étranger,

(2)            un sujet britannique qui a acquis domicile en Canada; ou

(3)            quiconque a été naturalisé sous le régime des lois du Canada et n’est pas, depuis, devenu un étranger ou n’a pas cessé d’avoir son domicile au Canada.

 

[89]           Les « citoyens canadiens » et les personnes « possédant un domicile canadien » au sens de la loi étaient autorisés à entrer et à demeurer au Canada. Cela équivaut à la liberté de circulation et au droit d’entrer et de demeurer au Canada qui sont conférés aujourd’hui aux citoyens et aux résidents permanents. Par ailleurs, les immigrants, les passagers ou toutes les autres personnes qui rentraient dans une des « catégories refusées » n’étaient autorisés ni à entrer, ni à s’établir ou à demeurer au Canada. Être un « citoyen canadien » (ou « posséder un domicile canadien ») signifiait qu’une telle personne avait le droit légal de s’établir partout au Canada. En outre, un « citoyen canadien » ne pouvait être expulsé (voir les articles 23 et 40 de la Loi de l’immigration de 1910).

 

[90]           Je note également que le statut de sujet britannique ne conférait pas, en lui-même, une autorisation d’entrer, de travailler, de vivre ou de demeurer au Canada  (voir Notes 1 et 2). À cet égard, dans un commentaire tiré de l’affaire Thirty-Nine Hindus (1913), 15 D.L.R. 189 (C.S.C.-B.), A. H. F. Lefroy, c.r., livre les observations et explications suivantes qui jettent de la lumière sur les objectifs que poursuivait le Parlement dans l’élaboration, dès 1910, du concept de « citoyenneté canadienne » :

[traduction]

Mais ce qui revêt plus d’importance à cet égard, c’est que le gouvernement impérial a officiellement reconnu le droit de ce dominion et des autres dominions autonomes de légiférer pour exclure les immigrants, même s’ils sont sujets britanniques. Lord Crewe, secrétaire d’État de l’Inde, prenant la parole à la dernière Conférence impériale, disait ceci :

 

Je reconnais pleinement, au même titre que le gouvernement de Sa Majesté, que d’après le mode de constitution de l’Empire, l’idée qu’il soit possible que les échanges entre tous les sujets de la Couronne soient absolument libres, c’est-à-dire que chaque sujet du Roi, quel qu’il soit ou quel que soit le lieu où il habite, a le droit naturel de voyager ou encore mieux de s’établir dans tous les domaines de l’Empire, est une opinion que nous admettons pleinement, et que je reconnais pleinement, en tant que représentant du Bureau de l’Inde, ne pouvoir être maintenue. D’après le mode de constitution de l’Empire, il est encore impossible que les sujets du Roi puissent aller et venir librement dans tous les domaines de l’Empire. Autrement dit, personne ne peut tenter de contester le droit des dominions autonomes de décider pour eux-mêmes qui, dans chaque cas, ils admettront comme citoyens dans leurs territoires respectifs.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

 

[91]           Lefroy cite ensuite les propositions faites à l’époque par sir Samuel Griffith, juge en chef de l’Australie et membre du Comité judiciaire du Conseil privé, qui sont résumées de la manière suivante dans son commentaire :

 

1.      la nationalité britannique confère aux titulaires du statut de ressortissants britanniques le droit de réclamer la protection du souverain britannique à l’encontre des puissances étrangères;

 

2.      ce statut en soi ne donne pas aux titulaires des droits ou des privilèges politiques dans un territoire quelconque de l’Empire, mais il peut être une condition pour jouir de ces droits et privilèges;

 

3.      en l’absence de toute règle de droit positif à l’effet contraire, un ressortissant britannique a probablement le droit de réclamer le droit d’entrer dans tous les territoires de l’Empire britannique;

 

4.      les autorités législatives compétentes d’un des territoires de l’Empire peuvent, par des règles de droit positif, restreindre ce droit d’entrer ou le refuser.

 

[92]           Lefroy conclut finalement sur ces mots :

[traduction]

[…] L’exclusion de sujets britanniques, de quelque couleur qu’ils soient, ou de quelque territoire britannique qu’ils proviennent, sera au mieux considérée comme une regrettable nécessité par ceux qui ont à cœur les intérêts de l’Empire. Il faudra faire preuve d’un sens politique de tout premier ordre, tout autant que d’une grande tolérance mutuelle, pour régler ces questions sans perturber la « pax Britannica ».

 

[93]           Je note qu’en vertu de la Loi de l’immigration de 1910, toute personne qui entrait au Canada était réputée être un « immigrant » à moins d’appartenir à l’une des « catégories de non‑immigrants » qui incluaient, entre autres, les « citoyens canadiens » et les personnes « possédant un domicile canadien ». L’article 2 de la Loi de l’immigration de 1910 définissait un « étranger » comme une personne qui n’était pas sujet britannique, alors que le « domicile canadien » ne pouvait s’acquérir que par un séjour d’au moins cinq ans au Canada par une personne qui y était « débarquée » au sens de la Loi de l’immigration de 1910. Cette loi précisait également que « Cesse d’avoir domicile au Canada […] toute personne qui réside volontairement en dehors du Canada, non pas simplement pour quelque objet particulier ou temporaire, mais avec l’intention réelle de demeurer permanemment [sic] en dehors du Canada, ainsi que toute personne qui appartient aux catégories interdites ou non désirables ». Cela équivaut aujourd’hui à la perte du statut de résident permanent au Canada.

 

[94]           Comme le notait Donald Galloway dans son article intitulé « The Dilemmas of Canadian Citizenship Law » (1999) 13 Geo. Immig. L.J. 201, la structure législative de la Loi de l’immigration de 1910 est assez particulière parce que la définition de « citoyen » semble chevaucher dans une large mesure la catégorie de personnes ayant un domicile au Canada. Les objectifs de cette loi en matière d’immigration auraient pu être réalisés en établissant simplement deux catégories : les personnes nées au Canada et les personnes nées à l’étranger qui avaient leur domicile au Canada. S’il n’était pas nécessaire de qualifier de citoyens les sujets britanniques et les personnes naturalisées ayant établi leur domicile au Canada, pourquoi l’a‑t‑on fait? À cet égard, Parry, précité à la page 451, note avec raison que l’on peut voir dans la loi l’intention du législateur d’affirmer son pouvoir de conférer le statut de « citoyens » à certaines personnes mais de le faire [traduction] « sans risquer de susciter une confrontation avec les autorités coloniales ».

 

[95]           Par conséquent, à mon avis, la prétention du défendeur qui tente aujourd’hui de banaliser le statut de « citoyen canadien » avant 1947, est bien en deçà de la réalité. Qui plus est, il semble que le « statut de citoyen » d’une personne pour les fins de la législation canadienne en matière d’immigration était inextricablement lié à la Loi des ressortissants du Canada, une loi qui donnait un sens très large à la nationalité canadienne et au statut de « ressortissant canadien », comme nous le verrons ci-dessous.

 

8.         La Loi des ressortissants du Canada

 

[96]           Le Parlement n’a pas immédiatement choisi de définir dans une seule loi les expressions « nationalité » et « citoyenneté ». Avant 1947, et parallèlement à l’adoption de lois ayant trait à la naturalisation des « étrangers » en tant que « sujets britanniques », le Parlement a décidé en 1921 qu’il était temps d’adopter sa propre loi ayant trait au « statut national » des personnes qui étaient déjà des « citoyens canadiens » au sens de la Loi de l’immigration de 1910, y compris de leurs épouses et de leurs enfants. C’est pourquoi on a adopté la Loi des ressortissants du Canada.

 

[97]           L’article 2 de la Loi édicte que les personnes suivantes sont des « ressortissants du Canada » :

a)      tout sujet britannique qui est citoyen canadien au sens de la Loi de l’immigration [de 1910];

b)      l’épouse de ce citoyen;

c)      toute personne née en dehors du Canada, dont le père était ressortissant du Canada à l’époque de la naissance de cette personne, ou, à l’égard des personnes nées avant le troisième jour de mai mille neuf cent vingt et un, toute personne dont le père possédait, à l’époque de cette naissance, toutes les qualités d’un ressortissant du Canada.

 

[98]           Au moment de son adoption, la Loi a eu pour effet immédiat d’assurer la participation du Canada à la Cour permanente de justice internationale (voir Note 14). Mais manifestement, le Parlement poursuivait en même temps d’autres objectifs plus larges et à plus long terme. La Loi conférait le statut de « ressortissant du Canada » à des personnes à l’extérieur du Canada qui ne pouvaient être des « citoyens canadiens » au sens de la Loi de l’immigration de 1910, par exemple l’épouse d’un citoyen canadien qui n’était pas établie (landed) au Canada (voir Note 15). Qui plus est, par l’application du droit du sang, toute personne née à l’extérieur du Canada, dont le père était un ressortissant du Canada à l’époque de la naissance de cette personne, était également un ressortissant du Canada (voir Note 16). Cela équivaut à la citoyenneté par filiation telle que nous la connaissons aujourd’hui dans la législation sur la citoyenneté.

 

[99]           Bien que des précautions aient été prises dans la Loi des ressortissants du Canada pour ne pas élargir le sens du terme « citoyen » utilisé dans la Loi de l’immigration de 1910, l’objectif fondamental de cette loi a été décrit de la façon suivante par l’honorable Charles Joseph Doherty, ministre de la Justice, en 1921 :

 

[…] ce projet de loi n’a pas pour but de modifier en rien le statut ou la position d’aucun Canadien comme sujet britannique. Malgré sa promulgation, nous resterons tous sujets britanniques; il va sans dire, et d’après la déposition proposée, nul ne sera ressortissant canadien s’il n’est sujet britannique. Mais ce projet de loi a pour but de définir une catégorie particulière de sujets britanniques qui, possédant déjà tous les droits et toutes les obligations de cette qualité, ont des droits particuliers du fait qu’ils sont Canadiens.

 

[…]

 

[…] la loi de l’immigration reste intacte et conserve son autorité en ce qui touche l’immigration. Nous ne nous en servons que pour faire de tous les citoyens, en vertu de la loi de l’immigration, autant de ressortissants canadiens. Cette loi ne fait pas de citoyens canadiens de ceux qui ne le sont pas en vertu de la loi de l’immigration, elle ne fait disparaître aucune incapacité, comme, par exemple, dans le cas d’une épouse, l’incapacité résultant du fait qu’elle n’a pas été débarquée au Canada. La loi de l’immigration reste absolument intacte. Tout ce que fait la loi nouvelle, c’est de définir la qualité de ressortissant canadien.

 

[…]

 

[…] Au Canada, nos nationaux seront les sujets britanniques qui d’une façon spéciale sont sujets et doivent obéissance aux lois du Canada qu’applique le Parlement et le Gouvernement au nom de Sa Majesté, qui est le souverain des dominions comme il est le souverain de la Grande-Bretagne et de tout l’empire.

[…]

 

[…] Nous définissons nos propres nationaux canadiens. Quelqu’autre des dominions autonomes peut juger sage de définir ses nationaux – l’Australie, par exemple – mais l’Australie en fera juste comme il lui plaira. Je ne pense pas que le parlement canadien se sente obligé d’aller demander à qui que ce soit la permission de définir qui nous sommes. C’est à nous de dire qui est un Canadien et qui ne l’est pas.

 

(Non souligné dans l’original. )

 

(Voir Débats de la Chambre des communes (8 mars 1921), aux pages 661, 789, 798 et 803.)

 

[100]       Comme il ressort des observations ci-dessus, l’objectif de la Loi des ressortissants du Canada était de « définir une catégorie particulière de sujets britanniques qui, possédant déjà tous les droits et toutes les obligations de cette qualité, ont des droits particuliers du fait qu’ils sont Canadiens ». Cette définition est très semblable au concept actuel de « citoyenneté », qui ne confère pas automatiquement le statut de citoyen canadien à un citoyen du Commonwealth.

 

[101]       Malgré sa forme imparfaite, la Loi des ressortissants du Canada confère néanmoins, à mon avis, un statut distinct et spécial aux ressortissants canadiens. L’intention du législateur de faire en sorte que ce statut soit virtuellement immuable et qu’il demeure attaché à la personne est attestée par le fait qu’une personne née au Canada (droit du sol) ou à l’extérieur du Canada (droit du sang) ne peut cesser d’être ressortissant canadien qu’en remplissant une déclaration officielle de renonciation (article 3 de la Loi des ressortissants du Canada); cette procédure est semblable à la déclaration de renonciation à la citoyenneté qui se trouve dans la loi actuelle sur la citoyenneté canadienne.

 

[102]       De 1921 à 1947, le Canada n’a pas adopté d’autre loi touchant la nationalité. Cela dit, le concept de « ressortissant canadien » n’était pas purement « symbolique ». Par exemple, en 1937, il a été utilisé précisément pour empêcher les ressortissants canadiens d’aller combattre dans la guerre civile espagnole (voir Débats de la Chambre des communes (5 avril 1946), à la page 603). En fait, la Loi sur l’enrôlement à l’étranger, S.C. 1937, ch. 32, édicte qu’est coupable d’une infraction tout « ressortissant canadien » qui s’enrôle au service d’un État étranger en guerre avec un État ami et qui se livre à l’un des actes interdits par la loi. En agissant ainsi, le législateur a aboli, dans la mesure où elle faisait partie du droit du Canada, une loi impériale antérieure traitant de l’enrôlement à l’étranger des sujets britanniques, c’est-à-dire la Foreign Enlistment Act 1870 (R.‑U.), 33 et  34 Vict., ch. 90.

 

9.         Les passeports délivrés au Canada avant 1947

 

[103]       Tous les États doivent protection à leurs ressortissants ou à leurs citoyens. La délivrance d’un passeport est étroitement liée au concept de la protection de l’État et elle a d’importantes conséquences juridiques, notamment la sécurité et la liberté de circulation du titulaire. Les passeports canadiens d’aujourd’hui sont toujours délivrés au nom de Sa Majesté la Reine et constituent la pièce d’identité nationale et internationale la plus importante qu’un citoyen ou un ressortissant canadien peut avoir sur lui quand il voyage au Canada ou à l’étranger.

 

[104]       L’histoire du passeport canadien se conjugue avec l’histoire du Canada, aussi bien à titre de colonie de la Grande-Bretagne qu’à titre de voisin des États-Unis. Les observations suivantes sont tirées d’une documentation de nature générale dont la Cour a pris connaissance d’office et qui a été portée à l’attention des avocats : voir en particulier Passeport Canada, « Regard historique », en ligne : le site Internet de Passeport Canada : <http://www.ppt.gc.ca/about/history.aspx?lang=f)>.

 

[105]       Jusqu’en 1862, les Canadiens (en tant que sujets britanniques) pouvaient se rendre aux États‑Unis et en revenir librement sans passeport. Par contre, pour se rendre en Europe, tout Canadien devait obtenir un passeport britannique du ministère des Affaires étrangères de Londres. Les personnes qui n’étaient pas sujets britanniques de naissance pouvaient toujours se rendre aux États-Unis munis d’un certificat de naturalisation. Ces certificats étaient délivrés par les maires canadiens, notamment pour voter aux élections municipales.

 

[106]       Toutefois, au cours de la guerre de Sécession aux États-Unis, les autorités américaines exigèrent des attestations plus fiables de la part des résidants canadiens. En 1862, le vicomte Monck, Gouverneur général, mit en œuvre un système centralisé de délivrance des passeports. Pendant une cinquantaine d’années, le passeport canadien était en fait une « lettre de sollicitation » signée par le Gouverneur général.

 

[107]       Une série de conférences internationales sur les passeports (1920, 1926 et 1947) aboutit à un certain nombre de changements au passeport canadien. La conférence de 1920 recommandait que tous les pays adoptent un passeport sous forme de livret, ce que fit le Canada en 1921. Cette conférence recommandait également que tous les passeports soient rédigés en deux langues au moins, l’une d’elles devant être le français, et c’est ainsi qu’en 1926, le premier passeport canadien bilingue vit le jour. La conférence de 1920 recommandait aussi que les passeports soient valides pour au moins deux ans, et de préférence cinq ans. Il est intéressant de noter que, depuis 1919, les passeports canadiens délivrés en temps de paix étaient valides pour cinq ans, avec une prolongation possible de cinq ans.

 

[108]       En 1930, les règlements sur les passeports furent modifiés afin de tenir compte de la croissance du Canada et de son importance sur la scène internationale. Les voyageurs à l’étranger ayant besoin de services de passeport étaient dirigés vers la délégation canadienne la plus proche plutôt que vers un bureau consulaire britannique.

 

[109]       Lorsque la guerre éclata en 1939, le gouvernement des États-Unis annonça que les Canadiens auraient besoin d’un passeport et d’un visa pour traverser la frontière. À cette époque, environ un demi million de Canadiens se rendaient aux États-Unis chaque année sans aucun document de voyage. La tension augmenta aux postes frontaliers lorsque les douaniers américains commencèrent à fouiller les voyageurs canadiens. Un corbillard, retenu à la frontière, provoqua une émeute, point culminant d’une série d’incidents qui incitèrent le Canada à délivrer des passeports spéciaux pour les voyages aux États-Unis en temps de guerre.

 

[110]       Jusqu’en 1947, deux sortes de passeports, de couleurs différentes, étaient délivrés au Canada : un pour les citoyens britanniques et l’autre pour les citoyens naturalisés (voir Note 17). Le livret bleu aux pages roses, semblable au livret aux pages bleues des sujets britanniques, fit son apparition après l’adoption de la Loi sur la citoyenneté de 1947. Dès juillet 1948, le gouvernement canadien délivrait des passeports aux citoyens canadiens seulement.

 

[111]       Je note que le document en vertu duquel le demandeur et sa mère ont voyagé en octobre 1946 était le passeport de couleur bleue délivré aux sujets britanniques de naissance. À l’endos de la couverture on trouve une lettre émanant du secrétaire d’État aux Affaires extérieures du Canada demandant, au nom de Sa Majesté le Roi, la protection à l’étranger ainsi que toute assistance dont pouvait avoir besoin le porteur (en l’espèce la mère du demandeur accompagnée de son fils). À la lecture de ce passeport, on voit qu’il a été délivré à New York par le consulat canadien et qu’il est demeuré valide au moins jusqu’au 11 octobre 1948.

 

[112]       Apparemment, la mère du demandeur n’a présenté aucune demande pour renouveler son passeport canadien ou pour en obtenir un autre après son expiration le 11 octobre 1948.

 

[113]       D’après la preuve au dossier, j’estime que, jusqu’au 11 octobre 1948 au moins, les autorités canadiennes accordaient au demandeur et à sa mère tous les droits et privilèges normalement conférés aux citoyens canadiens qui voyagent à l’étranger. Qui plus est, comme nous le verrons maintenant en vertu de la législation canadienne en matière d’immigration, ces deux personnes étaient réputées être des « citoyens canadiens » depuis leur débarquement au Canada. À ce titre, elles étaient autorisées à revenir, à s’établir ou à demeurer au Canada comme tous les autres citoyens canadiens.

 

VI.       Les arrêtés en conseil C.P. 7318 et C.P. 858

 

[114]       D’après la preuve au dossier, je constate que, malgré les nombreux obstacles juridiques que l’on retrouve dans la Loi de l’immigration de 1910, un traitement spécial a été accordé aux personnes à la charge des membres des forces armées canadiennes qui ont servi au cours de la Seconde Guerre mondiale, au nombre desquelles figurent le demandeur et sa mère. En fait, à l’exception de l’obligation de passer un examen médical, le gouvernement canadien a dispensé les épouses de guerre et leurs enfants des autres conditions relatives à l’entrée et à l’établissement au Canada. Qui plus est, lorsque les membres des forces armées canadiennes étaient des « citoyens canadiens » ou avaient un « domicile au Canada », les personnes à leur charge se voyaient accorder le même statut. À cet égard, on fait référence à deux arrêtés en conseil pris sous l’autorité de la Loi sur les mesures de guerre, S.R.C. 1927, ch. 206 (la Loi sur les mesures de guerre) (voir l’article 3 de l’arrêté en conseil C.P. 858, précité; comparer à l’article 2 de l’arrêté en conseil C.P. 1944-7318 (le 21 septembre 1944), qui a été révoqué par l’arrêté en conseil C.P. 858).

 

[115]       À cet égard, l’arrêté en conseil C.P. 858, qui s’applique en l’espèce, édictait qu’avant d’entrer au Canada, la personne à charge devait se soumettre à un examen médical. Si elle souffrait d’une maladie infectieuse ou contagieuse, son admission au Canada pouvait être différée jusqu’à ce qu’elle puisse produire un certificat médical établissant que son état n’était plus infectieux ou contagieux. À l’exception de ces cas d’inadmissibilité pour raisons médicales, toutes ces personnes à charge « [ont] la permission d’entrer au Canada et, lors de [leur] admission, [sont censées] y être [entrées] selon les prévisions de la loi d’immigration du Canada […] [et sont censées] pour les fins de la loi d’immigration du Canada, être [citoyens canadiens] si le membre des forces à qui [elles sont] à la charge est un citoyen canadien, et [sont censées] posséder un domicile canadien si le membre possède un domicile canadien ».

 

[116]       Comme on peut le constater, l’arrêté en conseil C.P. 858 n’avait pas uniquement pour but de régler les questions d’admission au Canada du point de vue de l’immigration. Il a été conçu, comme le précise le texte lui-même, pour donner un statut spécial à des personnes qui étaient des enfants ou des personnes à la charge du personnel des forces armées ayant servi à l’étranger. L’intention du législateur ressort clairement du libellé de l’arrêté en conseil C.P. 858, tant dans le préambule que dans l’ordonnance spécifique qu’il contient.

 

[117]       Les arrêtés en conseil C.P. 7318 et C.P. 858 renferment des mesures législatives qui auraient pu être adoptées par le Parlement lui-même. En vertu de la Loi des mesures de guerre, le gouverneur en conseil avait le pouvoir d’adopter toute loi que le Parlement aurait pu adopter, pourvu que les exigences énoncées dans cette Loi soient respectées. En fait, le pouvoir conféré au gouverneur général en conseil [traduction] « est un pouvoir législatif plénier, à la fois d’adopter des ordonnances et de les maintenir en vigueur », comme en a décidé en 1947 la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Reference Re Deportation of Japanese, [1946] R.C.S. 248, 3 D.L.R. 321 aux pages 338 et 339 (C.S.C.), le juge Rinfret, confirmé à [1947] 1 D.L.R. 577 (C.P.).

 

[118]       En vertu de la Loi de 1945 sur les pouvoirs transitoires résultant de circonstances critiques nationales, S.C. 1945, ch. 25, et ses modifications (la LPTCCN), le gouverneur en conseil avait le pouvoir d’ordonner que les arrêtés et règlements légalement édictés en vertu de la Loi des mesures de guerre et en vigueur immédiatement avant le 1er janvier 1946, continuent d’avoir plein effet tant et aussi longtemps que la LPTCCN resterait en vigueur. En fait, aux termes du pouvoir conféré par la LPTCCN, l’arrêté en conseil C.P. 858, en date du 9 février 1945, de même que tous les autres arrêtés et règlements pris en vertu de la Loi des mesures de guerre ont été prorogés après l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté de 1947, savoir jusqu’au 15 mai 1947 (voir l’arrêté en conseil C.P. 1945-7414 (28 décembre 1945) et l’arrêté en conseil C.P. 1947-1112 (25 mars 1947)).

 

[119]       Le 14 mai 1947, la Loi modifiant la Loi de l’immigration et abrogeant la Loi de l’immigration chinoise, S.C. 1947, ch. 19 (la Loi de 1947 modifiant la Loi sur l’immigration) a été proclamée. La législation applicable en matière d’immigration avait été modifiée afin de permettre l’établissement au Canada des épouses de guerre et de leurs enfants qui se trouvaient toujours en Europe. Dans les statuts révisés du Canada de 1952, la disposition précitée est devenue l’article 83 de la Loi sur l’immigration, S.R.C. 1952, ch. 145. Il semble que cette disposition soit demeurée dans la loi jusqu’en 1970, quand la Loi sur l’immigration a de nouveau été révisée et que l’article en a été retranché (voir la Loi sur l’immigration, S.R.C. 1970, ch. I-2).

 

[120]       Par conséquent, quel qu’ait pu être le statut du demandeur et de sa mère aux termes de la Loi sur la citoyenneté de 1947, j’estime qu’en vertu de l’arrêté en conseil C.P. 858, de la Loi de l’immigration de 1910 et de la Loi de 1947 modifiant la Loi sur l’immigration, ils avaient tous deux le droit d’entrer, de s’établir, de prendre domicile et de demeurer au Canada, ainsi que de quitter le pays ou d’y revenir. (À l’audience, l’avocat du défendeur a reconnu qu’un tel droit existait jusqu’à l’adoption de la Loi de 1970 sur la citoyenneté.)

 

VII.      La Loi sur la citoyenneté de 1947

 

[121]       La Loi sur la citoyenneté de 1947 a été adoptée en troisième lecture le 16 mai 1946 et est entrée en vigueur le 1er janvier 1947. Elle abrogeait la Loi sur la naturalisation de 1914 et la Loi des ressortissants du Canada (voir le paragraphe 45(1) de la Loi sur la citoyenneté de 1947). Par suite de modifications ultérieures adoptées en vertu d’une autre loi, la définition de l’expression « citoyen canadien » qui se trouve dans la Loi de l’immigration de 1910 a été abrogée et remplacée par un nouveau texte qui précisait qu’un « citoyen canadien » était une personne qui était un citoyen canadien en vertu de la Loi sur la citoyenneté de 1947 (voir la Loi modifiant la Loi sur l’immigration, S.C. 1946, ch. 54).

 

[122]       Comme le notait le juge Bastarache dans l’arrêt Lavoie, précité, au paragraphe 57, la Loi sur la citoyenneté de 1947 cherchait à dissiper la confusion entourant l’emploi des termes « citoyen » et « ressortissant » dans la législation fédérale et à créer un symbole unificateur pour les Canadiens (voir Débats de la Chambre des communes (22 octobre 1945), à la page 1368 et suiv. (l’hon. Paul Martin, père)). En fait, la Loi sur la citoyenneté de 1947 fusionne les concepts de « nationalité » et de « citoyenneté » en un seul statut, celui de « citoyen canadien », tout en incorporant et en adaptant les formalités de naturalisation mises en place antérieurement au Canada (voir Parry, précité, aux pages 467 à 522).

 

[123]       Le paragraphe 45(2) de la Loi sur la citoyenneté de 1947 édictait ce qui suit :

45. (1) […]

 

(2)   Si, dans une loi du Parlement du Canada ou un arrêté ou règlement établi sous son régime, quelque disposition vise

 

a)  un « sujet britannique de naissance », elle s’applique à l’égard d’un « citoyen canadien de naissance », ou

 

b)  un « sujet britannique naturalisé », elle s’applique à l’égard d’un « citoyen canadien autre qu’un citoyen canadien de naissance », ou

 

c)   un « ressortissant du Canada », elle s’applique à l’égard d’un « citoyen canadien »;

 

sous le régime de la présente loi et lorsque, dans quelque loi, arrêté ou règlement susdit, une disposition est établie sur le statut d’une telle personne comme ressortissant du Canada ou sujet britannique, elle s’applique à l’égard de son statut de citoyen canadien ou sujet britannique aux termes de la présente loi.

 

[124]       La Loi sur la citoyenneté de 1947 répartissait les citoyens canadiens en deux catégories : (1) les citoyens canadiens de naissance et (2) les autres citoyens canadiens (voir les Parties I et II de la Loi sur la citoyenneté de 1947). Ces catégories rappellent les anciennes catégories de sujets britanniques de naissance et de sujets britanniques naturalisés.

 

[125]       Les articles 4, 5 et 9 de la Loi sur la citoyenneté de 1947 sont rédigés comme suit :

4.   Une personne, née avant l’entrée en vigueur de la présente loi, est citoyen canadien de naissance

 

      a)    Si elle est née au Canada ou sur un navire canadien et n’est pas devenue étrangère lors de la mise en vigueur de la présente loi; ou

 

      b)    Lorsqu’elle est née hors du Canada ailleurs que sur un navire canadien et que son père ou, dans le cas d’une personne née hors du mariage, sa mère

 

(i)         est né (ou née) au Canada ou sur un navire canadien et n’était pas devenu étranger (ou devenue étrangère) lors de la naissance de ladite personne, ou

 

(ii)       était, à la naissance de ladite personne, un sujet britannique possédant un domicile canadien,

 

si, à l’entrée en vigueur de la présente loi, ladite personne n’est pas devenue étrangère et a été licitement admise au Canada en vue d’une résidence permanente ou est mineure.

 

5.   Une personne, née après l’entrée en vigueur de la présente loi, est citoyen canadien de naissance

 

      a)    Si elle naît au Canada ou sur un navire canadien;

 

      b)    Si elle naît hors du Canada ailleurs que sur un navire canadien, et si

 

(i)         son père ou, dans le cas d’un enfant né hors du mariage, sa mère, à la naissance de ladite personne, est citoyen canadien en raison de sa naissance au Canada ou sur un navire canadien, ou parce qu’il lui a été accordé un certificat de citoyenneté ou du fait d’avoir été citoyen canadien lors de la mise en vigueur de la présente loi, et si

 

(ii)       le fait de sa naissance est inscrit à un consulat ou au bureau du Ministre, dans les deux années qui suivent cet événement ou au cours de la prorogation que le Ministre peut autoriser, dans des cas spéciaux, en conformité des règlements.

 

[…]

 

9 (1)   Une personne, autre qu’un citoyen canadien de naissance, est citoyen canadien

 

                             a)    si elle a obtenu un certificat de naturalisation, ou si son nom était inclus dans un tel certificat, et qu’elle ne soit pas devenue étrangère lors de l’entrée en vigueur de la présente loi; ou

 

                             b)    si, immédiatement avant la mise en vigueur de cette loi, elle était un sujet britannique possédant un domicile canadien;

 

                             ou dans le cas d’une femme,

 

                             c)     lorsque,

 

(i)         avant l’entrée en vigueur de la présente loi, elle était mariée à une personne qui, si cette loi était entrée en vigueur immédiatement avant le mariage, aurait été citoyen canadien de naissance comme le stipule l’article quatre de la présente loi ou citoyen canadien comme le prévoient les alinéas a) et b) du présent paragraphe, et lorsque,

 

(ii)       à l’entrée en vigueur de la présente loi, elle est sujet britannique et a été licitement admise au Canada en vue d’une résidence permanente.

 

  (2)    Toute personne, citoyen canadien aux termes du paragraphe premier du présent article, est, aux fins de la partie III de la présente loi, censée devenue citoyen canadien, –

 

      a)   Si elle a obtenu un certificat de naturalisation ou si son nom était inclus dans un tel certificat, – à la date du certificat;

 

      b)   Si elle est citoyen canadien parce que sujet britannique possédant un domicile canadien, – à la date où elle a acquis ce dernier, et

 

      c)   Dans le cas d’une personne du sexe féminin visée par l’alinéa c) du paragraphe premier du présent article, – à la date du mariage ou à laquelle elle est devenue sujet britannique, ou à laquelle elle a été licitement admise au Canada en vue d’une résidence permanente, selon la date postérieure aux autres.

 

[126]       En substance, les personnes suivantes sont des « citoyens canadiens de naissance » : (1) les personnes nées au Canada; (2) les personnes nées à bord d’un navire canadien; (3) les personnes qui ne font pas partie des catégories précédentes mais dont le père, ou dans le cas d’une personne « née hors du mariage », dont la mère fait partie de l’une ou l’autre de ces catégories ou est un sujet britannique possédant un domicile canadien et qui remplit un certain nombre de conditions qui varient selon que cette personne est née avant ou après le 1er janvier 1947 (voir les articles 4 et 5 de  la Loi sur la citoyenneté de 1947). Par ailleurs, les personnes suivantes qui, bien qu’elles ne soient pas des « citoyens canadiens de naissance », sont néanmoins des « citoyens canadiens » : (1) les sujets britanniques possédant un domicile canadien immédiatement avant le 1er janvier 1947; (2) les sujets britanniques qui ont été naturalisés en vertu de toute loi fédérale et qui n’étaient pas devenus des étrangers au 1er janvier 1947; (3) les femmes sujets britanniques licitement admises au Canada en vue de la résidence permanente qui ont épousé des hommes qui, si la Loi sur la citoyenneté de 1947 était entrée en vigueur immédiatement avant le mariage, auraient été des « citoyens canadiens » (voir l’article 9 de la Loi sur la citoyenneté de 1947).

 

[127]       Cela dit, le ministre peut, à sa discrétion, délivrer ou accorder un certificat de citoyenneté à «  toute personne dont le statut de citoyen canadien est l’objet d’un doute », et également à « un mineur dans un cas particulier que les conditions requises par la présente loi aient été observées ou non » (alinéas 11a) et b) de la Loi sur la citoyenneté de 1947, modifiée par l’article 6 de la Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1950, ch. 29 (la Loi de 1950 modifiant la Loi sur la citoyenneté) et par l’article 7 de la Loi de 1953 modifiant la Loi sur la citoyenneté). En outre, la Loi sur la citoyenneté de 1947 prévoit que la question de savoir si une personne avait un « domicile canadien » immédiatement avant l’entrée en vigueur de cette loi « [sera] décidée par la même autorité et de la même manière que si elle eût surgi en vertu de la Loi de l’immigration » (voir l’article 43 de la Loi sur la citoyenneté de 1947). Par suite de modifications ultérieures à la Loi de l’immigration de 1910, les définitions de « domicile », « domicile canadien » et « citoyen canadien » ont été modifiées et précisées (voir la Loi modifiant la Loi de l’immigration, S.C. 1946, ch. 54).

 

[128]       Par conséquent, toutes les personnes qui n’étaient pas des « citoyens canadiens » le 1er janvier 1947 et qui n’étaient pas non plus des « citoyens canadiens de naissance » devaient être « naturalisées » avant de devenir des « citoyens canadiens » (article 10 de la Loi sur la citoyenneté de 1947). Cela s’applique manifestement aux « sujets britanniques » de même qu’aux « étrangers » et aux épouses des « citoyens canadiens » qui ne tombent pas sous le coup de la disposition transitoire (voir l’article 9 de la Loi sur la citoyenneté de 1947) (voir Note 18).

 

[129]       Les dispositions définissant la citoyenneté dans la Loi sur la citoyenneté de 1947 sont demeurées pratiquement intactes pendant plus de 30 ans. Il convient de noter qu’une disposition a été précisément ajoutée en 1950 pour donner au ministre le pouvoir d’accorder un certificat de citoyenneté dans les cas d’adoption légale ou de légitimation si l’homme qui adoptait ou le père était un citoyen canadien (voir l’article 6 de la Loi de 1950 modifiant la Loi sur la citoyenneté). Jusqu’à l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté actuelle, le ministre a également conservé son pouvoir discrétionnaire d’accorder un certificat de citoyenneté à un mineur dans tout cas particulier que les conditions posées par la Loi sur la citoyenneté de 1947 aient ou non été respectées.

 

[130]       À ce point de mon analyse, je note que la Loi sur la citoyenneté de 1947 n’envisageait pas la possibilité qu’un citoyen canadien de naissance ou un citoyen canadien perde sa citoyenneté canadienne sauf dans les cas et de la manière prévus à la Partie III (voir les articles 16 à 25 de la Loi sur la citoyenneté de 1947). Cela dit, l’article 6 de la Loi sur la citoyenneté de 1947 traite expressément des conditions en vertu desquelles des personnes nées à l’extérieur du Canada pouvaient conserver leur citoyenneté canadienne.

 

[131]       L’article 6 de la Loi sur la citoyenneté de 1947 est rédigé comme suit :

6.      Nonobstant toute disposition contenue à l’article quatre ou à l’article cinq de la présente loi, une personne qui, lors de l’entrée en vigueur de la loi, est un mineur né hors du Canada ailleurs que sur un navire canadien et n’a pas été licitement admise au Canada en vue d’une résidence permanente, ou est née après l’entrée en vigueur de la présente loi et hors du Canada, ailleurs que sur un navire canadien, cesse d’être citoyen canadien un an après qu’elle a atteint l’âge de ving et un ans sauf si, après avoir atteint cet âge et avant l’expiration de l’année en question

 

         a)  Elle affirme sa citoyenneté canadienne par une déclaration de rétention de cette dernière, enregistrée selon les règlements; et sauf si

         b)  Étant ressortissant ou citoyen d’un pays, autre que le Canada, d’après la loi duquel elle peut, lors de l’affirmation de sa citoyenneté canadienne, renoncer à la nationalité ou à la citoyenneté dudit pays en faisant une déclaration d’extranéité ou autrement, la personne en question renonce à cette nationalité ou citoyenneté.

 

Toutefois, dans un cas particulier, le Ministre a la faculté de proroger la période pendant laquelle cette personne peut affirmer sa citoyenneté canadienne et renoncer à l’autre nationalité ou citoyenneté. En agissant ainsi dans le délai en question, elle redevient immédiatement citoyen canadien.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

 

[132]       Il est clair que l’article 6 de la Loi sur la citoyenneté de 1947 a pour objet de réglementer la situation des mineurs nés à l’extérieur du Canada qui n’avaient jamais été légalement admis au Canada avant 1947. Par conséquent, cet article 6 ne s’applique pas en l’espèce (voir Note 19). En outre, en vertu de la Loi de l’immigration de 1910, quand le demandeur et sa mère ont quitté le Canada en octobre 1946, ils n’ont pas perdu le statut de « citoyens canadiens » qu’ils étaient réputés avoir acquis à leur arrivée au Canada en vertu de l’arrêté en conseil C.P. 858.

 

VIII.     La Loi sur la citoyenneté de 1952 et la Loi de 1953 modifiant la Loi sur la citoyenneté

 

[133]       La Loi sur la citoyenneté de 1947 a été codifiée en 1952 : voir la Loi concernant la citoyenneté, la nationalité et la naturalisation, ainsi que le statut des étrangers, S.R.C. 1952, ch. 33, et ses modifications, aux articles 4, 5 et 9 (la Loi sur la citoyenneté de 1952).

 

[134]       Le Parlement a adopté la Loi modificative de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1953, ch. 23 (la Loi de 1953 modifiant la Loi sur la citoyenneté) le 14 mai 1953. Dans la mesure où il est question en l’espèce de l’interprétation et de l’application de l’article 4 de la Loi sur la citoyenneté de 1947, il faut tenir compte de l’effet de la Loi de 1953 modifiant la Loi sur la citoyenneté, parce qu’elle est rétroactive au 1er janvier 1947 (voir Note 20).

 

[135]       En vertu du paragraphe 2(1) de la Loi de 1953 modifiant la Loi sur la citoyenneté, l’article 4 de la Loi sur la citoyenneté de 1947 a été abrogé et remplacé par les dispositions suivantes :

4(1) Une personne, née avant le premier jour de janvier 1947, est un citoyen canadien de naissance, si

 

         a)  elle est née au Canada ou sur un navire canadien et n’était pas une personne étrangère au premier jour de janvier 1947; ou si

         b)  elle est née hors du Canada, ailleurs que sur un navire canadien, et n’était pas, au premier jour de janvier 1947, une personne étrangère et qu’elle était mineure à cette date ou avait, avant cette date, été légalement admise au Canada pour y résider en permanence, et si son père ou, dans le cas d’une personne née hors du mariage, sa mère

(i)                        est né (ou née) au Canada ou sur un navire canadien et n’était pas une personne étrangère au moment de la naissance de cette personne;

(ii)                      était, au moment de la naissance de cette personne, un sujet britannique ayant un domicile canadien,

(iii)                     était, au moment de la naissance de cette personne, une personne à qui avait été accordé un certificat de naturalisation ou dont le nom était porté sur un certificat de naturalisation; ou

(iv)                    était un sujet britannique ayant son lieu de domicile au Canada depuis au moins vingt années avant le premier jour de janvier 1947, et n’était pas, à cette date, sous le coup d’une ordonnance d’expulsion.

 

(2) Une personne qui est un citoyen canadien aux termes de l’alinéa b) du paragraphe premier et qui était mineure au premier jour de janvier 1947, cesse d’être un citoyen canadien à la date d’expiration de trois années après le jour où elle a atteint l’âge de vingt et un ans ou le premier jour de janvier 1954, selon la plus tardive de ces dates, à moins

       a)  qu’elle n’ait son lieu de domicile au Canada à pareille date; ou

       b)  qu’elle n’ait, avant pareille date et après avoir atteint l’âge de vingt et un ans, produit en conformité des règlements, une déclaration de rétention de citoyenneté canadienne. 

 

[136]       L’article 13 de la Loi de 1953 modifiant la Loi sur la citoyenneté procédait de la même manière pour abroger et modifier de façon identique l’article 4 de la Loi sur la citoyenneté de 1952.

 

IX.       La Loi sur la citoyenneté de 1970

 

[137]       En 1970, il y a eu une nouvelle codification de la Loi sur la citoyenneté de 1952 et de ses modifications : voir la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, ch. 19.

 

[138]       Les articles 4 et 5 de la Loi sur la citoyenneté de 1970 définissent qui sont les citoyens canadiens de naissance. Ces dispositions font une distinction entre les personnes nées avant et après le 1er janvier 1947.

 

[139]       Une personne née au Canada (ou sur un navire canadien) avant le 1er janvier 1947 est un citoyen canadien de naissance si le 1er janvier 1947 elle n’était pas un « étranger ». Le terme « étranger » désigne une personne qui n’est pas un citoyen canadien, un citoyen du Commonwealth, un sujet britannique ou un citoyen de la République d’Irlande (voir l’article 2 et l’alinéa 4(1)a) de la Loi sur la citoyenneté de 1970). Cela dit, toute personne née au Canada (ou sur un navire canadien) après le 1er janvier 1947, est un citoyen canadien de naissance (voir l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur la citoyenneté de 1970). Le défendeur reconnaît que le père du demandeur était « un citoyen canadien de naissance » jusqu’à sa mort en 1996.

 

[140]       Une personne née hors du Canada (ailleurs que sur un navire canadien) avant le 1er janvier 1947, est un citoyen canadien de naissance, si elle n’était pas au 1er janvier 1947, un étranger, ou qu’elle était mineure à cette date, ou avait, avant cette date, été légalement admise au Canada pour y résider en permanence, et si son père ou, dans le cas d’une personne née hors du mariage, sa mère (i) était né (ou née) au Canada (ou sur un navire canadien) et n’était pas un étranger au moment de la naissance de cette personne, (ii) était, au moment de la naissance de cette personne, un sujet britannique ayant domicile canadien [selon la définition donnée dans les lois concernant l’immigration qui étaient en vigueur à l’époque], (iii) était, au moment de la naissance de cette personne, une personne à qui avait été accordé un certificat de naturalisation ou dont le nom était porté sur un certificat de naturalisation, ou (iv) était un sujet britannique ayant son lieu de domicile au Canada durant au moins 20 ans immédiatement avant le 1er janvier 1947 (voir l’alinéa 4(1)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1970).

 

[141]       Une personne née hors du Canada (ailleurs que sur un navire canadien) après le 1er janvier 1947, est un citoyen canadien de naissance, si (i) son père ou, dans le cas d’un enfant né hors du mariage, sa mère, au moment de la naissance de cette personne, était un citoyen canadien, et si (ii) le fait de sa naissance est inscrit au cours des deux années qui suivent cet événement (ou au cours de la période prolongée que le ministre peut autoriser dans des cas spéciaux) (voir le paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté de 1970).

 

[142]       Toutefois, un citoyen canadien de naissance né hors du Canada cesse automatiquement d’être un citoyen à l’âge de 24 ans (ou le premier jour de janvier 1954, si cette date est postérieure) à moins qu’il n’ait son lieu de domicile au Canada à pareille date ou qu’il n’ait, entre 21 et 24 ans, produit une déclaration de rétention de citoyenneté canadienne (paragraphes  4(2) et 5(2) de la Loi sur la citoyenneté de 1970). Cela dit, cette personne peut déposer auprès du ministre une requête pour reprendre sa citoyenneté (voir l’article 6 de la Loi sur la citoyenneté de 1970).

 

[143]       La Partie II de la Loi sur la citoyenneté de 1970 traite des personnes qui sont des citoyens canadiens autrement que par la naissance. Pour les fins de la présente instance, il n’est pas nécessaire d’examiner cette partie, sauf pour mentionner encore une fois que la mère du demandeur était une « citoyenne canadienne », puisqu’elle était un sujet britannique ayant un « domicile canadien » et qu’elle avait épousé un homme qui aurait été un citoyen canadien de naissance, si cette loi était entrée en vigueur immédiatement avant le mariage (voir l’alinéa 9(1)d) de la Loi sur la citoyenneté de 1970).

 

[144]       La Loi sur la citoyenneté de 1970 a été abrogée et remplacée en 1977 par la Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, ch. 108, et ses modifications (la Loi sur la citoyenneté de 1977).

 

X.        La Loi sur la citoyenneté de 1977 et la Loi sur la citoyenneté actuelle

 

[145]       La Loi sur la citoyenneté de 1977 est entrée en vigueur le 15 février 1977 et a été modifiée à quelques reprises (voir la Loi sur l’immigration, S.C. 1976-77, ch. 52, art. 128 (Annexe, point 5); la Loi régissant l’emploi et l’immigration, S.C. 1976-77, ch. 54, par. 74(2) (Annexe, point 2); la Loi corrective de 1978, S.C. 1977-78, ch. 22, art. 8; la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, ch. 21, art. 75; et la Loi sur Investissement Canada, L.C. 1985, ch. 20, art. 50). Ses dispositions ont été codifiées en 1985 et modifiées selon les besoins : voir la Loi régissant la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, modifiée (la Loi sur la citoyenneté actuelle).

 

[146]       L’article 3 de la Loi sur la citoyenneté actuelle définit la citoyenneté en utilisant un texte presque identique à celui qui se trouve dans la Loi sur la citoyenneté de 1977. (La Loi sur la citoyenneté de 1977 et la Loi sur la citoyenneté actuelle sont en fait la même loi, mais pour plus de commodité, j’y ferai référence de façon distincte.)

 

[147]       Le paragraphe 3(1) de la Loi sur la citoyenneté actuelle prévoit ce qui suit :

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne :

 

        a)   née au Canada après le 14 février 1977;

 

        b)   née à l’étranger après le 14 février 1977 d’un père ou d’une mère ayant qualité de citoyen au moment de la naissance;

 

        c)   ayant obtenu la citoyenneté — par attribution ou acquisition — sous le régime des articles 5 ou 11 et ayant, si elle était âgée d’au moins quatorze ans, prêté le serment de citoyenneté;

 

        d)   ayant cette qualité au 14 février 1977;

 

        e)   habile, au 14 février 1977, à devenir citoyen aux termes de l’alinéa 5(1)b) de l’ancienne loi.

 

[148]       L’alinéa 3(1)e) de la loi actuelle doit être lu en corrélation avec l’alinéa 5(2)b) de la loi actuelle qui prévoit ce qui suit :

(2) Le ministre attribue en outre la citoyenneté

 

[…]

 

b) sur demande qui lui est présentée par la personne qui y est autorisée par règlement et avant le 15 février 1979 ou dans le délai ultérieur qu’il autorise, à la personne qui, née à l’étranger avant le 15 février 1977 d’une mère ayant à ce moment-là qualité de citoyen, n’était pas admissible à la citoyenneté aux termes du sous-alinéa 5(1)b)(i) de l’ancienne loi.

 

[149]       Pour plus de commodité, le texte de l’alinéa 5(1)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1970 est reproduit ci-dessous :

5(1) Une personne née après le 31 décembre 1946 est un citoyen canadien de naissance,

 

[…]

b) si elle est née hors du Canada ailleurs que sur un navire canadien, et si

(i)         son père ou, dans le cas d’un enfant né hors du mariage, sa mère, au moment de la naissance de cette personne, était un citoyen canadien, et si

(ii)       le fait de sa naissance est inscrit, en conformité des règlements, au cours des deux années qui suivent cet événement ou au cours de la période prolongée que le Ministre peut autoriser en des cas spéciaux.

(Non souligné dans l’original.)

 

[150]       Le but et l’objet de l’alinéa 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1977 ont été examinés en profondeur en 1992 par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Glynos c. Canada, [1992] 3 C.F. 691 (C.A.F.). Les faits pertinents de cette affaire sont résumés ci-dessous.

 

[151]       Jason Glynos est né aux États-Unis en 1967, de parents canadiens, Anita Glynos et Michael Glynos. Comme son père était citoyen canadien, il est lui-même devenu citoyen canadien dès sa naissance aux termes du sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi sur la citoyenneté de 1970. En 1985, la mère de Jason, Anita Glynos, a été informée par le Bureau de la citoyenneté de Vancouver que ses fils Jason et Byron n’étaient plus citoyens canadiens. Elle a présenté une demande de citoyenneté canadienne au nom de son fils mineur Byron, aux termes de l’alinéa 5(2)a) de la Loi sur la citoyenneté de 1977 (dont le texte est le même que celui de la Loi sur la citoyenneté actuelle). Le ministre a accordé la citoyenneté à Byron Glynos en date du 5 janvier 1987. La Cour a été informée à l’audience qu’Anita Glynos n’aurait pu présenter une telle demande au sujet de son fils Jason parce qu’à cette époque Jason Glynos avait atteint l’âge de 18 ans et n’était plus un enfant « mineur » pour les fins de la loi (paragraphe 2(1) de la Loi sur la citoyenneté de 1977).

 

[152]       Anita Glynos était néanmoins convaincue qu’elle avait le droit en vertu de la Loi sur la citoyenneté de 1977 de transmettre sa citoyenneté canadienne à son fils Jason et elle a établi une correspondance avec le Secrétaire d’État. Elle a finalement déposé une demande de citoyenneté au nom de son fils Jason le 6 août 1987. Le 1er décembre 1987, le Secrétaire d’État a refusé la demande essentiellement pour le motif que l’alinéa 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1977 ne s’appliquait, à son avis, qu’aux personnes qui n’avaient jamais eu le statut de citoyens canadiens. Le 12 septembre 1989, Anita Glynos et Jason Glynos ont intenté une action devant la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que, d’après une juste interprétation de l’alinéa 5(2)b), Jason Glynos était admissible à la citoyenneté canadienne. Ils demandaient également à la Cour de décerner un bref de mandamus contraignant le Secrétaire d’État à attribuer la citoyenneté canadienne à Jason Glynos. Bien que la réparation demandée soit rédigée dans des termes qui se rapportent à la Charte, le juge de première instance et les avocats des parties ont traité la question comme s’il s’agissait non seulement d’une question d’application de la Charte, mais aussi d’une question d’interprétation de la loi (voir Glynos c. Canada (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 83 (C. F. 1re inst.)).

 

[153]       À l’audience devant la Cour d’appel fédérale, l’avocat des appelants n’a pas insisté sur l’argument relatif à la Charte. Cela dit, le juge Décary, qui a prononcé le jugement de la Cour d’appel fédérale, note néanmoins dans ses motifs que, en adoptant l’alinéa 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1977, « […] le Parlement a, à mon avis, fourni aux personnes admissibles à la citoyenneté de naissance une voie procédurale offrant la citoyenneté instantanément, que le juge en chef adjoint a appelée un « traitement préférentiel » (Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1992] 1 C.F. 771 (1re inst.), à la page 788, et qui, selon cette Cour, permet de « solutionner le problème dont Jason Glynos souhaite saisir la Cour de façon rapide et économique » (Benner c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 93 N.R. 250 (C.A.F.), à la page 251, le juge Mahoney).

 

[154]       Après avoir répondu à la question préliminaire du caractère théorique soulevée par le défendeur, le juge Décary a examiné l’historique législatif et les débats parlementaires se rapportant à l’alinéa 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1977 et il a fait les observations suivantes aux paragraphes 19 à 22, 28 et 30 :

 

L'alinéa 5(2)b) a été introduit dans la Loi sur la citoyenneté de 1976 précisément pour éliminer la politique discriminatoire à l'égard des femmes découlant de l'ancienne Loi et selon laquelle la femme canadienne mariée ne pouvait transmettre sa citoyenneté à son enfant né à l'étranger. En proposant la deuxième lecture du Projet de loi C-20, qui est finalement devenu la Loi sur la citoyenneté, le Secrétaire d'État d'alors, l'honorable James Faulkner, a remarqué que le nouveau Projet de loi visait à corriger « cinq manifestations graves de discrimination à l'égard des femmes dans l'actuelle Loi sur la citoyenneté ». Ces manifestations avaient été soulignées dans le Rapport de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada [à la page 410] (Débats de la Chambre des Communes, le 21 mai 1975, à la page 5984) qui avait, particulièrement, recommandé la modification des articles 4 et 5 de la Loi « de façon à ce qu'un enfant né à l'étranger soit canadien de naissance du moment que l'un des parents est canadien ».

 

À la suite de la deuxième lecture, le Projet de loi C-20 a été soumis à l'examen du Comité permanent de la radiodiffusion, des films et de l'assistance aux arts. Au cours des délibérations du Comité, le silence du Projet de loi C-20 sur l'attribution de la citoyenneté aux enfants nés à l'étranger de femmes canadiennes avant le 15 février 1977 a fait l'objet d'un long débat et a soulevé de nombreuses inquiétudes. L'ajout des alinéas 5(2)a) et b) a donc été proposé afin d'accorder un traitement identique à "ceux qui sont nés après l'entrée en vigueur de la Loi" et à « ceux que l'ancienne Loi a défavorisés » (Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la radiodiffusion, des films et de l'assistance aux arts, volume 36, 27 février 1976, 39 : 6‑7).

 

Le 13 avril 1976, le Projet de loi C-20 renfermant les modifications recommandées par le Comité permanent, dont celle au paragraphe 5(2), a passé la troisième lecture à la Chambre des communes. Le Projet de loi C-20 est ensuite entré en vigueur le 15 février 1977 sous le titre de Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, ch. 108.

 

Ce qui précède démontre que le législateur visait à rendre admissible à la citoyenneté, en vertu du paragraphe 5(2), toute personne née d'une mère canadienne à tout moment avant l'adoption de la Loi, et que les dispositions discriminatoires de l'ancienne Loi avait lésée. Il reste à savoir si cette intention a été rendue dans le libellé utilisé par le Parlement.

 

[…]

 

L'alinéa 3(1)c) qui figure à la Partie I confère le droit à la citoyenneté à une personne « ayant obtenu la citoyenneté - par attribution ou acquisition - sous le régime des articles 5 ou 11 ». Comme l'article 11 figure à la Partie III, on peut difficilement avancer que la Partie I exclut la Partie III. En outre, le frère de Jason, Byron, qui avait cessé d'être citoyen avant le 15 février 1977 pour la même raison que Jason, s'est néanmoins vu attribuer la citoyenneté par le ministre en vertu de l'alinéa 5(2)a). Le ministre ne peut tout simplement pas prétendre aujourd'hui que la Partie I, qui renferme l'alinéa 5(2)a), ne s'applique qu'aux personnes qui n'ont jamais été citoyennes. Il serait absurde, en l'absence d'un texte formel affirmant le contraire, de soutenir que deux frères nés à l'étranger avant l'entrée en vigueur de la Loi et ayant le même statut en vertu de l'ancienne Loi reçoivent un traitement différent en vertu de la nouvelle Loi. Il serait également absurde de donner à entendre que le processus de demande prévu à l'alinéa 5(2)b) s'offre aux personnes nées à l'étranger d'une mère canadienne et d'un père non canadien au moment de la naissance (voir Benner c. Canada (Secrétaire d'État), précité), mais qu'il est refusé aux personnes nées à l'étranger d'une mère et d'un père canadiens au moment de la naissance.

 

[…]

 

Lues conjointement, ces dispositions portent inévitablement à conclure que tous les enfants nés à l'étranger d'un père canadien ou d'une mère canadienne avant l'entrée en vigueur de la Loi de 1976 ont droit à la citoyenneté en vertu de la Partie I de la Loi.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[155]       Par conséquent, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel et a déclaré que Jason Glynos était, d’après l’interprétation qu’il convient de donner de l’alinéa 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1977, admissible à la citoyenneté.

[156]       En l’espèce, je note que le demandeur est né en Angleterre le 8 décembre 1944. C’était donc avant le 15 février 1977. Les alinéas 3(1)d) et 3(1)e) de la Loi sur la citoyenneté actuelle régissent les cas de ce genre. Le demandeur n’a pas prétendu qu’il avait droit, immédiatement avant le 15 février 1977, de devenir un citoyen aux termes de l’alinéa 5(1)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1970 qui traite des personnes nées hors du Canada après le 31 décembre 1946 (alinéa 3(1)e) de la Loi sur la citoyenneté actuelle). La situation particulière des personnes nées hors du Canada avant 1947 est régie par l’alinéa 4(1)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1970. Par conséquent, l’agente de la citoyenneté devait déterminer si le demandeur était ou non un citoyen immédiatement avant le 15 février 1977 (alinéa 3(1)d) de la Loi sur la citoyenneté actuelle).

 

[157]       Toutefois, comme nous le verrons plus loin dans les présents motifs, même si l’interprétation retenue par l’agente de la citoyenneté est correcte en droit, le demandeur fait subsidiairement valoir que le paragraphe 3(1), de même que les dispositions connexes de la Loi sur la citoyenneté actuelle, établissent un régime discriminatoire se fondant sur l’âge de la personne née hors du Canada avant 1947 qui a pour effet de perpétuer une discrimination fondée sur l’état matrimonial et le sexe de l’un des ses parents ou de ses deux parents.

 

XI.       La conduite des parties

 

[158]       Le demandeur a cru toute sa vie qu’il était « moitié Canadien » et « moitié Britannique ». Cette conviction se fonde sur le fait qu’il a eu droit à une déclaration de citoyenneté canadienne, qu’il a eu un passeport, et que son père était un citoyen canadien de naissance. La présente instance se fonde sur l’hypothèse que le droit canadien n’empêche pas la double nationalité ou citoyenneté (une hypothèse que le défendeur n’a pas contestée en l’espèce).

 

[159]       J’estime que les déclarations contemporaines faites par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et son sous-ministre adjoint, qui sont responsables de l’application de la législation et de la politique en matière de citoyenneté canadienne, favorisent la position juridique adoptée par  le demandeur selon laquelle les épouses de guerre et leurs enfants n’étaient pas obligés en vertu de la Loi sur la citoyenneté de 1947 de demander au ministre de leur attribuer la citoyenneté (voir la lettre datée du 21 septembre 2005 de M. Joe Volpe, ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration; voir également Canada, Parlement, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration (10 mai 2005), témoignage de M. Daniel Jean, sous-ministre adjoint, Développement des politiques et programmes, ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration).

 

[160]       En fait, la preuve documentaire prédominante produite par les parties, ou dont la Cour a pris connaissance d’office, appuie la conviction générale selon laquelle les personnes à la charge des Canadiens de naissance (ou naturalisés) qui faisaient partie des forces armées canadiennes, qui ont légalement été admises au Canada avant le 1er janvier  1947, sont automatiquement devenues « des citoyens canadiens » à l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté de 1947. Cette conviction  se fonde sur l’hypothèse juridique selon laquelle ces soldats étaient eux-mêmes, le 1er janvier 1947, des citoyens canadiens de naissance ou naturalisés. Par conséquent, leurs épouses (qu’elles aient ou non été des sujets britanniques) et leurs enfants (qu’ils soient ou non nés dans les liens du mariage), n’étaient pas tenus de demander la naturalisation.

 

[161]       À l’exception de cette question d’interprétation des lois dans la présente instance, on peut dire que la conduite et l’inaction du défendeur et de ses anciens fonctionnaires ont certainement fait naître une attente légitime selon laquelle les épouses de guerre et leurs enfants seraient traités comme des « citoyens canadiens » une fois légalement admis au Canada. À cet égard, rien dans le dossier n’indique que les épouses et les enfants des membres des forces armées canadiennes qui n’avaient pas qualité de « citoyens canadiens » aient jamais été informés par les autorités canadiennes qu’ils devaient présenter une demande de naturalisation. Dans la présente instance, on n’a soumis en preuve aucun communiqué contemporain qui nous permette de croire que les « enfants illégitimes » des membres des forces armées canadiennes nés hors du Canada (qui ont été légalement admis au Canada avec leurs mères avant le 1er janvier 1947) aient dû demander la citoyenneté canadienne.

 

[162]       Quoi qu’il en soit, l’avocat du défendeur affirme que la conduite passée des fonctionnaires canadiens et les déclarations faites à l’époque par le ministre ou le sous-ministre adjoint n’ont pas force de loi. Ces déclarations proposent tout simplement une interprétation de la loi. Elles ne créent aucun droit qui n’existe pas en droit. On fait valoir que les déclarations publiques en question [traduction] « ne tiennent pas pleinement compte des subtilités de la législation pertinente en matière de citoyenneté et de la façon dont elle s’applique à la situation d’un individu en particulier ». Le défendeur affirme aujourd’hui que le Parlement a déterminé en 1946 que les « enfants illégitimes » nés hors du Canada de pères canadiens n’avaient pas le droit de réclamer la citoyenneté à moins que leurs mères n’aient également été des citoyennes canadiennes au moment de la naissance de ces enfants.

 

[163]       En 2006, soit quelque soixante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, il est probable que la moitié des épouses de guerre et un grand nombre de leurs enfants vivent toujours au Canada. Comme dans le cas du demandeur, leur prétention à la citoyenneté canadienne peut se fonder sur leur établissement (landing) au Canada aux termes de l’arrêté en conseil C.P. 858. Si l’interprétation du défendeur est correcte et que la Cour a tort, il s’ensuit que la majorité de ces enfants de guerre (dont bon nombre sont nés « hors du mariage ») ne sont pas des « citoyens canadiens de naissance  » (malgré le fait qu’ils ont peut-être toujours vécu au Canada). Cela signifie que, comme tous les autres résidents permanents au Canada, ils devraient tous demander au ministre que la citoyenneté leur soit attribuée (par exemple, les enfants nés hors du mariage aux Pays-Bas étaient des « étrangers » en 1947 et ne pouvaient obtenir la citoyenneté canadienne en vertu du droit du sol ou du droit du sang).

 

[164]       Il est difficile de croire aujourd’hui que le droit à la citoyenneté puisse être refusé aux fils et aux filles des anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale qui ont donné leur vie pour le Canada simplement parce que leurs parents n’étaient pas mariés au moment de leur naissance. Si tel est le cas, il se pourrait que l’équité procédurale exige que les enfants de guerre se trouvant dans une situation semblable aient la possibilité de se présenter devant le défendeur pour réclamer leur droit à la citoyenneté canadienne (voir Veleta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 138, aux paragraphes 15, 22 et 23). Cela dit, pour les motifs exposés dans la prochaine section, je conclus que le demandeur est un citoyen canadien.

 

XII.      L’interprétation des lois

 

[165]       La question relative à l’interprétation des lois qui est soulevée dans la présente instance a trait à l’intention présumée du législateur ou de son délégué juridique en temps de guerre, le gouverneur en conseil. La Loi sur la citoyenneté de 1947 est une loi d’application générale traitant de la citoyenneté. Par ailleurs, l’arrêté en conseil C.P. 858 est un texte de loi particulier qui avait précisément pour but d’accorder, pour les fins de la législation en matière d’immigration, le statut de citoyen canadien dès l’entrée au Canada des personnes à la charge des membres des forces armées canadiennes qui étaient nés au Canada ou qui étaient citoyens canadiens.

 

[166]       Comme le mentionne le professeur Ruth Sullivan dans l’introduction de l’ouvrage Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, précité, à la page 1, il y a plus de 25 ans, Elmer Driedger a décrit la démarche qu’il convient d’adopter pour l’interprétation des lois et qu’il appelle le « principe moderne » :

[traduction]

Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

[167]       Ce principe moderne a été cité et suivi dans d’innombrables décisions des tribunaux canadiens, et, dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), précité, la Cour suprême du Canada déclare que c’est cette méthode qu’elle privilégie (voir également Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 26). À cet égard, une interprétation qui irait à l’encontre de l’esprit de la loi, tout en se conformant au sens littéral des mots utilisés, doit être évitée si un sens plus plausible peut raisonnablement être dégagé des mots. Qui plus est, les tribunaux ont compétence pour corriger les erreurs de rédaction, remédier aux mesures inappropriées d’évitement et combler les lacunes dans les régimes législatifs (voir Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, précité, ch. 6).

 

[168]       La décision soumise au contrôle fait référence à la Loi sur la citoyenneté de 1947. Étant donné que le demandeur est né à l’extérieur du Canada avant le 1er janvier 1947, l’agente de la citoyenneté a fondé sa décision sur les effets présumés de l’alinéa 4b) de la Loi sur la citoyenneté de 1947 (voir Note 21). Le demandeur ne conteste pas qu’une interprétation littérale de l’article 4 de la Loi sur la citoyenneté de 1947 appuie la conclusion à laquelle est parvenue l’agente de la citoyenneté. Toutefois, il soutient que cette disposition ne doit pas être lue de façon isolée. Elle doit être interprétée d’une manière qui soit compatible avec l’esprit, l’objet et les effets de l’arrêté en conseil C.P. 858, qui prévoit expressément que les personnes à la charge des membres des forces armées canadiennes qui sont des « citoyens canadiens » ou qui ont un « domicile canadien » acquièrent, dès leur entrée au Canada, le même statut que les membres des forces armées. Étant donné que le père du demandeur était un citoyen canadien de naissance, le demandeur soutient qu’il doit également avoir le statut de citoyen canadien de naissance.

 

[169]       Les parties pertinentes de l’arrêté en conseil C.P. 858 sont rédigées comme suit :

Attendu que le ministre des Mines et ressources, avec l’assentiment du secrétaire d’État aux Affaires extérieures et l’approbation du Comité de guerre du Cabinet, signale qu’il est opportun de faciliter l’entrée au Canada des personnes à charge des membres des forces armées canadiennes et, lorsque lesdits membres sont citoyens canadiens ou possèdent un domicile canadien, de conférer le même statut auxdites personnes à leur charge; et […]

 

1.          Dans la présente ordonnance, à moins que le contexte ne s’y oppose, l’expression :

 

(a)                « personne à charge » signifie l’épouse, la veuve ou l’enfant âgé de moins de dix-huit ans d’un membre ou d’un ex‑membre des forces armées canadiennes qui a servi ou qui sert hors du Canada pendant la présente guerre;

[…]

 

2.            Chaque personne à charge qui demande admission  au Canada aura la permission d’entrer au Canada et, lors de son admission, sera censée y être entrée selon les prévisions de la loi d’immigration du Canada.

 

3.            Chaque personne à charge qui a obtenu permission d’entrer au Canada, en vertu de l’article deux de la présente ordonnance, sera censée, pour les fins de la loi d’immigration du Canada, être citoyen canadien si le membre des forces à qui elle est à charge est un citoyen canadien, et sera censée posséder un domicile canadien si ledit membre possède un domicile au Canada.

 

[…]

 

7.      L’arrêté en conseil C.P. 7318 du vingt et un septembre 1944 est révoqué par les présentes.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[170]       Le défendeur reconnaît que l’agente de la citoyenneté n’a pas examiné les effets de l’arrêté en conseil C.P. 858. L’arrêté n’avait pas été abrogé par le Parlement et il était pleinement en vigueur le 1er janvier 1947; il l’est demeuré jusqu’au 15 mai 1947. Toutefois, le défendeur soutient que l’agente de la citoyenneté a correctement appliqué l’article 4 de la Loi sur la citoyenneté de 1947 et il s’appuie, à cet égard, sur l’arrêt Bell c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1996), 136 D.L.R. (4th) 286 (C.A.F.) et la décision Kelly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1880 (C.F.P.I.) (voir Note 22). De plus, le défendeur prétend que cet arrêté en conseil C.P. 858 se limite à l’application de la législation canadienne en matière d’immigration et qu’il ne confère pas le statut de citoyen canadien aux épouses de guerre et à leurs enfants.

 

[171]       Je note que les arrêtés en conseil C.P. 7318 et C.P. 858 font référence aux concepts législatifs de « citoyen canadien » et de « domicile canadien » que  la Loi sur la citoyenneté de 1947 avait l’intention d’inclure ou de modifier. Les expressions « citoyen canadien » et « ressortissant canadien » ne sont pas des concepts gratuits. Outre leur usage vernaculaire, ces expressions ont été utilisées et définies dans des lois fédérales adoptées avant 1947. Elles accordent des privilèges et des droits particuliers à des personnes qui ont le statut de « citoyens canadiens » ou de « ressortissants canadiens ». Il incombe à la Cour d’interpréter et d’harmoniser ces expressions avec la véritable intention du législateur.

 

[172]       Comme on l’a noté ci-dessus, la seule loi au Canada adoptée avant 1947 qui fait référence à l’expression « citoyen canadien » était la loi d’immigration. Par conséquent, la référence au paragraphe 3 de l’arrêté en conseil C.P. 858, « pour les fins de la loi d’immigration du Canada être citoyen canadien », ne règle pas le problème. Quand l’arrêté en conseil C.P. 858 a été adopté, la législation en matière de citoyenneté n’était pas indépendante. Cela dit, la définition de l’expression « citoyen canadien » qui se trouve dans la Loi de l’immigration de 1910 a été modifiée à l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté de 1947 le 1er janvier de la même année, de façon à désigner, à compter de cette date, toute personne qui était « citoyen canadien » au sens de la Loi sur la citoyenneté de 1947. Depuis, l’interaction entre la « législation en matière de citoyenneté » et la « législation en matière d’immigration » n’a jamais cessé. Mais il convient d’insister ici sur un autre point encore plus important. Par implication nécessaire, les personnes à la charge des membres des forces armées canadiennes qui sont devenues citoyennes canadiennes le 1er janvier 1947 étaient censées, à compter de cette date, être des « citoyens canadiens » au sens à la fois de la Loi sur la citoyenneté de 1947 et de la Loi de l’immigration de 1910. Cela équivaut à attribuer la citoyenneté par voie législative (Reference Re Deportation of Japanese, précité).

 

[173]       En fait, le défendeur reconnaît que [traduction] « pour les personnes qui sont arrivées après le 1er janvier 1947 et avant le 15 mai 1947, l’arrêté en conseil C.P. 858 peut avoir entraîné l’acquisition automatique de la citoyenneté canadienne si le membre des forces armées dont elles étaient alors à la charge était également devenu un citoyen ou si elles étaient des sujets britanniques ». Le défendeur note en outre ce qui suit :

[traduction]

Bien que l’arrêté en conseil C.P. 858 limite lui-même sa portée « aux fins de la loi d’immigration du Canada », les modifications apportées à la Loi de l’immigration, qui sont également entrées en vigueur le 1er janvier 1947, ont changé la définition du mot citoyen pour incorporer la définition qui se trouvait dans la nouvelle Loi sur la citoyenneté canadienne. En outre, le fait combiné de se voir octroyer le domicile et d’être un sujet britannique aurait eu en soi l’effet de répondre aux conditions de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 ». (Observations écrites du défendeur (1er août 2006), au paragraphe 15).

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[174]       Cela dit, si l’arrêté en conseil C.P. 858 peut avoir mené à l’octroi automatique de la citoyenneté canadienne pour les personnes à charge qui sont arrivées après le 1er janvier 1947 et avant le 15 mai 1947, comme le reconnaît le défendeur, il doit également avoir accordé ces droits à l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté de 1947 aux personnes à charge qui avaient également le  « statut de citoyen » à cette date. Je ne vois pas pourquoi les personnes à charge qui ont été admises légalement au Canada avant le 1er janvier 1947 devraient être traitées différemment à l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté de 1947 et de la modification de la définition de l’expression « citoyen canadien  » qui se trouve dans la Loi de l’immigration de 1910.

 

[175]       L’arrêté en conseil C.P. 858 ne fait pas de distinction entre les personnes à charge qui sont entrées avant le 1er janvier 1947 et celles qui sont entrées après cette date. La distinction juridique faite par le défendeur a pour effet de placer les personnes à charge qui sont entrées au Canada entre le 1er janvier 1947 et le 15 mai 1947 dans une meilleure position que les personnes à charge qui sont entrées au Canada avant le 1er janvier 1947. Ce n’était certainement pas là l’intention des rédacteurs de l’arrêté en conseil C.P. 858 ou du gouverneur en conseil qui l’a promulgué. Par conséquent, je ne peux accepter l’interprétation restrictive proposée par le défendeur (par analogie avec Schavernoch c. Canada (Commission des réclamations étrangères, [1982] 1 R.C.S. 1092).

 

[176]       Bien que le demandeur et sa mère n’aient pu être des « citoyens canadiens » pour les fins de la législation en matière de citoyenneté qui n’existait pas encore, il semble qu’en 1946 ils ont néanmoins joui, en vertu de la Loi de l’immigration de 1910, des droits et privilèges dont jouissaient seuls les « citoyens canadiens » (voir A.H.F. Lefroy, « Annotation – Deportation from Canada of British subjects of Oriental Origin » dans Re Thirty-Nine Hindus, précité). En insistant aujourd’hui pour que l’on adopte une interprétation et une application stricte de l’article 74 de la Loi sur la citoyenneté de 1947, le défendeur ne tient pas compte des circonstances particulières de l’espèce et de la situation des épouses de guerre et de leurs enfants. Il semble que les épouses de guerre et leurs enfants aient tous été traités de la même manière par le gouvernement canadien en vertu de l’arrêté en conseil C.P. 858. Qu’ils aient ou non été des sujets britanniques (il faut se rappeler que quelque 6 000 enfants sont nés aux Pays-Bas pendant la guerre), qu’ils soient ou non nés dans les liens du mariage (il est raisonnable de présumer qu’une grande partie de ces enfants sont nés hors du mariage), il n’en reste pas moins qu’à leur arrivée au Canada ils ont tous acquis le statut de leur époux ou de leur père canadien. À proprement parler, il s’agit là d’une reconnaissance légale des effets du mariage licite de leurs parents sur la nationalité des enfants nés hors du mariage.

 

[177]       Je conclus que l’arrêté en conseil C.P. 858, dont l’effet a été prorogé jusqu’au 15 mai 1947, équivaut à l’octroi par voie législative de la citoyenneté canadienne aux épouses de guerre et à leurs enfants qui sont entrés au Canada avant le 15 mai 1947, lorsque  leur époux et leur père était né au Canada et était devenu citoyen canadien le 1er janvier 1947, à l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté de 1947. Si ces arrêtés en conseil avaient été adoptés après l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté de 1947, il ne fait aucun doute que les mots utilisés auraient reflété l’intention du gouverneur en conseil d’accorder à ces épouses de guerre et à leurs enfants le « statut de citoyen » à toutes fins utiles. Je conclus donc que, le 1er janvier 1947, la mère du demandeur et celui-ci étaient des citoyens canadiens.

 

XIII.     L’application rétroactive ou rétrospective de la Charte

 

[178]       J’aborderai maintenant la question de la présomption qui empêche l’application rétroactive ou rétrospective de la loi, qui est soulevée subsidiairement par le défendeur pour empêcher la Cour d’examiner les arguments du demandeur fondés sur la Charte et la Déclaration des droits.

 

[179]       Dans de nombreuses instances, il a été décidé que la Charte ne peut s’appliquer ni rétroactivement ni rétrospectivement : voir R. c. Stevens, [1988] 1 R.C.S. 1153, à la page 1157; R. c. Stewart, [1991] 3 R.C.S. 324, à la page 325; Renvoi : Workers’ Compensation Act, 1983 (T.‑N.), [1989] 2 R.C.S. 335; R. c. Dubois, [1985] 2 R.C.S. 350. Cela dit, une loi ou un règlement adopté avant le 17 avril 1982 (ou avant le 17 avril 1985), et qui est incompatible avec les dispositions de la Charte, sera rendu « inopérant » par l’application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Toutefois, cela ne s’applique qu’à compter du 17 avril 1982 ou du 17 avril 1985, selon le cas (voir Stevens, précité).

 

[180]       En l’espèce, la confusion qui règne au sujet de la question de savoir si le refus de décerner un certificat de citoyenneté se prête à un examen fondé sur la Charte découle en partie de la position ambivalente adoptée par les parties. Le défendeur a invité la Cour à examiner, de façon subsidiaire, des motifs qui n’ont pas été invoqués par l’agente de la citoyenneté dans la décision contestée de refuser la demande d’attestation de la citoyenneté présentée par le demandeur.

 

[181]       À cet égard, le défendeur fait valoir que [traduction] « la conclusion selon laquelle il y a eu une erreur qui pourrait autrement faire l’objet d’un contrôle n’entraîne pas toujours l’annulation d’une décision et son renvoi pour nouvel examen ». En fait, lorsque le résultat est inévitable, le tribunal de révision peut décider de ne pas accorder la réparation recherchée : voir Abasalizadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1407, au paragraphe 24. En l’espèce, le défendeur invite la Cour à conclure que le demandeur a perdu son statut de citoyen soit parce que sa mère et lui sont retournés au Royaume-Uni en 1947 et y sont demeurés pendant plus d’un an, soit parce qu’il a omis de déclarer qu’il souhaitait conserver sa citoyenneté canadienne avant son 24e anniversaire. Selon la prétention du défendeur, la Cour devrait rejeter la présente demande de contrôle judiciaire nonobstant toute erreur commise par l’agente de la citoyenneté.

[182]       L’alinéa 3(1)d) de la Loi sur la citoyenneté actuelle, qui prescrit que « sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne […] ayant cette qualité au 14 février 1977 », est essentiel pour que soit reconnu au demandeur le droit d’obtenir un certificat de citoyenneté en vertu de l’article 12 de la Loi sur la citoyenneté. Il convient également de noter que l’alinéa 3(1)e) de la Loi sur la citoyenneté actuelle prévoit ce qui suit : a qualité de citoyen toute personne habile, au 14 février 1977, à devenir citoyen aux termes de l’alinéa 5(1)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1970.

 

[183]       À cet égard, le demandeur soutient que les alinéas 3(1)b), 3(1)d) et 3(1)e), et l’article 8 de la Loi sur la citoyenneté actuelle perpétuent jusqu’à ce jour la différence de traitement qui existait dans la Loi sur la citoyenneté de 1947, la Loi sur la citoyenneté de 1952, la Loi sur la citoyenneté de 1970 et la Loi sur la citoyenneté de 1977, ce qui est contraire au paragraphe 15(1) de la Charte (les droits à l’égalité). Il soutient également que, par implication nécessaire, la Loi sur la citoyenneté actuelle applique les dispositions d’extinction des paragraphes 4(2) et 5(2) de la Loi sur la citoyenneté de 1952 jusqu’à la date du 14 février 1977, inclusivement, ce qui est contraire aux alinéas 1a) et 1e) de la Déclaration des droits et à l’article 7 de la Charte (l’application régulière de la loi).

 

[184]       Plus particulièrement, le demandeur fait valoir que l’alinéa 4(1)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1970 n’est pas mentionné dans la Loi sur la citoyenneté actuelle, ce qui en fait distingue le groupe de personnes nées avant le 1er janvier 1947 du groupe de personnes nées après cette date. La combinaison des alinéas 3(1)d) et e) de la Loi sur la citoyenneté actuelle a pour effet d’empêcher une personne de présenter une demande de réintégration dans la citoyenneté du fait qu’elle a perdu sa citoyenneté avant le 15 février 1977, si elle est née avant le 1er janvier 1947, mais pas si elle est née après le 1er janvier 1947. Il soutient de plus que la différence de traitement qui existait auparavant et qui était fondée sur le fait que le demandeur était né à l’intérieur du mariage ou hors du mariage a été perpétuée par la condition voulant que le statut devait déjà avoir été « acquis » pour que la citoyenneté puisse être attribuée au demandeur.

 

[185]       Le défendeur note que l’alinéa 3(1)d) de la Loi sur la citoyenneté actuelle affirme simplement que si une personne était un citoyen immédiatement avant le 15 février 1977, elle l’est demeurée à l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté actuelle le 15 février 1977. Il conclut donc que cette disposition, [traduction] « adoptée avant la Charte, cristallise le statu quo pour les fins de la détermination d’un statut en cours (ou permanent) – il fige le passé en tant que passé » (observations écrites du défendeur, le 31 juillet 2006, paragraphe 28).

 

[186]       S’agissant de l’application à l’espèce des protections garanties par la Charte, par exemple les droits garantis à l’article 7 et au paragraphe 15(1), le défendeur soutient que ces dispositions ne peuvent être invoquées par le demandeur pour corriger tout préjudice subi ou toute forme de discrimination commise avant l’entrée en vigueur de la Charte ou de sa disposition concernant les droits à l’égalité (le 17 avril 1982 et le 17 avril 1985, respectivement), soit en vertu de la législation antérieure en matière de citoyenneté soit en vertu de la Loi sur la citoyenneté actuelle. Le défendeur fait valoir que le demandeur, qui est né avant le 15 février 1977, est dans la même position que les demandeurs dans les décisions Dubey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2002), 222 F.T.R. 1, 2002 CFPI 582; et Wilson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 244 F.T.R. 148, 2003 CF 1475, dans lesquelles deux juges de la présente Cour ont confirmé la légalité des décisions prises par des agents de la citoyenneté qui ont refusé les demandes d’attestation de la citoyenneté (voir Note 23).

 

[187]       Le défendeur soutient de plus que, du fait qu’il s’agit d’un document quasi constitutionnel de « moindre importance » que la Charte, la Déclaration des droits ne peut être utilisée pour remédier à des cas de discrimination, et que les dispositions concernant la perte de citoyenneté que l’on retrouve dans la Loi sur la citoyenneté de 1970 et la Loi sur la citoyenneté actuelle ne contreviennent pas aux protections offertes par la Déclaration des droits concernant l’application régulière de la loi.

 

[188]       Je ne peux accepter les arguments présentés par le défendeur pour les raisons suivantes.

 

[189]       Tout d’abord, je ne vois pas de problème à vérifier la légalité de la perte présumée du statut de citoyen au vu des protections offertes par la Déclaration des droits concernant l’application régulière de la loi, que ce soit du point de vue des droits procéduraux ou de celui des droits fondamentaux (Authorson, précité, au paragraphe 50). À la date à laquelle le demandeur a atteint l’âge de 24 ans, soit le 8 décembre 1968, la Déclaration des droits était applicable. Cela dit, je doute que l’on puisse qualifier la Déclaration des droits de document quasi constitutionnel de « moindre importance », comme le laisse entendre le défendeur. Dans les motifs de son jugement dans l’arrêt Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, le juge Beetz a réhabilité la Déclaration des droits en écartant pour de bon le concept selon lequel « [elle] n’est qu’un simple outil d’interprétation » (voir MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856, aux pages 875 à 879 (C.A.F.)). Comme le notait le juge Beetz dans l’arrêt Singh, au paragraphe 85 : « [c]omme [la Déclaration des droits a été rédigée différemment de la Charte, elle est susceptible] de produire des effets cumulatifs assurant une meilleure protection des droits et des libertés. Ce résultat bénéfique sera perdu si [la Déclaration des droits tombe] en désuétude. Cela est particulièrement vrai dans le cas où [elle contient] des dispositions qu’on ne trouve pas dans la [Charte] … ».

 

[190]       Deuxièmement, la Cour suprême du Canada a examiné la constitutionalité de certaines dispositions de la Loi sur la citoyenneté actuelle relativement à l’application de la disposition concernant les droits à l’égalité dans l’arrêt Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358, dans lequel l’interdiction d’appliquer la Charte de façon rétroactive ou rétrospective était également soulevée par le défendeur. D’après la méthode élaborée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Benner, la question à laquelle la présente Cour doit répondre est de savoir si la Loi sur la citoyenneté actuelle continue de perpétuer un cas de discrimination passé. Malgré son abrogation, sa modification ou son remplacement, la Loi sur la citoyenneté de 1947 continue d’être invoquée aujourd’hui pour empêcher que soit revendiquée la citoyenneté en vertu de la Loi sur la citoyenneté actuelle. Je conclus donc qu’il s’agit tout simplement en l’espèce d’évaluer l’application et la légalité contemporaines de lois qui continuent aujourd’hui à produire des effets juridiques.

 

[191]       Les dispositions législatives contestées dans l’arrêt Benner, précité, étaient les alinéas 3(1)e), 5(2)b) et l’article 22 de la Loi sur la citoyenneté de 1977. La Cour suprême du Canada a jugé qu’elles imposaient des conditions plus exigeantes aux personnes revendiquant la citoyenneté canadienne en se fondant sur leur filiation maternelle qu’à celles qui invoquaient leur filiation paternelle. Pour les enfants nés avant le 15 février 1977, la Loi sur la citoyenneté de 1977 faisait une distinction entre les personnes nées d’un père canadien, qui avaient automatiquement le droit de s’inscrire comme citoyens, et celles nées d’une mère canadienne, qui devaient présenter une demande de citoyenneté, ce qui supposait de se soumettre à une enquête de sécurité.

 

[192]       M. Benner est né en 1962 d’une mère canadienne et d’un père américain. En 1987, quand il a présenté  une demande de citoyenneté canadienne, l’enquête de sécurité exigée a révélé qu’il avait été accusé de meurtre (il a par la suite plaidé coupable à une accusation d’homicide involontaire), et la citoyenneté lui a été refusée. Si son père (au lieu de sa mère) avait été citoyen canadien, il aurait eu automatiquement le droit de se déclarer citoyen sans qu’il soit tenu compte de son casier judiciaire. Il a donc intenté des poursuites pour faire annuler le refus de lui octroyer la citoyenneté au motif que traiter les enfants nés de mères canadiennes d’une façon différente des enfants nés de pères canadiens constituait une atteinte à ses droits à l’égalité.

 

[193]       Le juge en chef adjoint Jerome a statué que la Charte ne pouvait s’appliquer à la situation de l’appelant puisqu’il demandait une application rétrospective de la Charte (voir Benner c. Canada (Secrétaire d’État) (C.F. 1re inst.), [1992] 1 C.F. 771 (C.F.P.I.)). La Cour d’appel fédérale a unanimement rejeté son appel (voir Benner c. Canada (Secrétaire d’État) (C.A.), [1994] 1 C.F. 250 (C.A.F.)). Les juges Marceau et Létourneau ont statué que la Charte ne s’appliquait pas, parce que la plainte avait trait aux circonstances de sa naissance, qui s’était produite 20 ans avant l’entrée en vigueur de la Charte en 1982. Le juge Linden a conclu que le paragraphe 15(1) de la Charte s’appliquait à la situation de l’appelant, et que la législation était discriminatoire, mais qu’elle était justifiée en vertu de l’article premier de la Charte.

 

[194]       Le juge Marceau déclare ceci, aux pages 259 et 260 : « Ce n’est pas le moment où le demandeur est effectivement touché par les dispositions d’une loi […] qu’il faut prendre en considération pour décider s’il demande ou non l’application rétroactive de la Charte; il s’agit plutôt de savoir si la discrimination supposée découle de ces dispositions elles-mêmes ou du statut juridique antérieur qui en fait l’objet ».

 

[195]       Le juge Létourneau a signalé que la véritable source du grief de l’appelant était la Loi sur la citoyenneté de 1947, qui attribuait la citoyenneté canadienne uniquement aux enfants nés hors du Canada, à l’intérieur du mariage, d’un père canadien. La Loi sur la citoyenneté de 1977 a tenté de corriger cette situation en reconnaissant la citoyenneté à tout enfant né à l’étranger d’une mère ou d’un père canadiens après le 14 février 1977. Selon le juge Létourneau, le grief de l’appelant était qu’en n’incluant pas les personnes nées avant le 14 février 1977, la nouvelle loi n’allait pas assez loin pour réparer les injustices passées de la Loi sur la citoyenneté de 1947, et tout comme le paragraphe 15(1) de la Charte ne pouvait être appliqué rétroactivement pour harmoniser la Loi sur la citoyenneté de 1947 avec la Charte, il ne pouvait pas non plus être appliqué à la Loi sur la citoyenneté de 1977. Selon le juge Létourneau, la discrimination qu’a subi l’appelant « s’est cristallisée » à la date de sa naissance dans un pays étranger, lorsque la Loi sur la citoyenneté de 1947 lui refusait la qualité de citoyen parce que son père n’était pas canadien. C’est au jour de sa naissance – le 29 août 1962 – que des conséquences juridiques se sont rattachées à sa situation. (Le juge Létourneau a également conclu que, si la Charte s’appliquait, il n’y avait pas de discrimination fondée sur le sexe puisque, en vertu de la Loi sur la citoyenneté de 1977, les enfants nés à l’étranger après le 14 février 1977 pouvaient tirer leur citoyenneté soit de leur père, soit de leur mère.)

 

[196]       Toutefois, le juge Linden a exprimé son désaccord. À son avis, la Charte pouvait être appliquée au cas de l’appelant. Il a souligné que l’appelant ne demandait pas que la citoyenneté lui soit reconnue rétroactivement à la date de sa naissance; il voulait simplement devenir citoyen canadien à la date de la demande – soit le 27 octobre 1988. La loi en vigueur au Canada à ce moment était la Loi sur la citoyenneté de 1977, et cette loi était susceptible d’examen en regard de la Charte. La question de savoir s’il était citoyen canadien avant de présenter sa demande n’était pas directement pertinente, car la véritable question à trancher était celle de la légitimité constitutionnelle de l’accès à la citoyenneté prévu par la Loi sur la citoyenneté de 1977 au moment de la présentation de la demande. Aucune application rétroactive ou rétrospective de la Charte n’était donc nécessaire. La date pertinente était celle du rejet de la demande de citoyenneté de l’appelant, et non pas celle de sa naissance (toutefois, bien qu’il ait conclu que la loi était discriminatoire, il a déclaré que cette discrimination était néanmoins justifiée en regard de l’article premier de la Charte, en grande partie pour les motifs exposés par le juge Létourneau).

 

[197]       La Cour suprême du Canada a accueilli le pourvoi de Benner. Exprimant le jugement unanime de la Cour, le juge Iacobucci a statué qu’il y avait lieu de caractériser la plainte de l’appelant en disant qu’elle visait un statut ou une condition imposant un préjudice qui a continué d’exister après l’entrée en vigueur de la disposition de la Charte concernant les droits à l’égalité. La discrimination s’est produite quand on a refusé au demandeur la citoyenneté en se fondant sur ce statut, et le refus a eu lieu en 1987. Par conséquent, le demandeur avait le droit de contester le refus de lui attribuer la citoyenneté en faisant intervenir la Charte (la Cour a ensuite statué qu’il y avait eu atteinte aux droits à l’égalité de Benner et il a obtenu gain de cause dans sa contestation de la décision et de la disposition législative sur laquelle celle-ci s’appuyait).

[198]       Au paragraphe 45 de l’arrêt Benner, le juge Iacobucci a indiqué ce qui suit :

La question à trancher consiste donc à caractériser la situation : s’agit‑il réellement de revenir en arrière pour corriger un événement passé, survenu avant que la Charte crée le droit revendiqué, ou s’agit‑il simplement d’apprécier l’application contemporaine d’un texte de loi qui a été édicté avant l’entrée en vigueur de la Charte?

 

[199]       Je fais une pause ici pour mentionner que les faits dans l’arrêt Mack c. Canada (Procureur général) (2002), 60 O.R. (3d) 737 (C.A.), autorisation d’en appeler à la Cour suprême rejetée à [2002] A.C.S.C. no 476, illustre de façon intéressante une tentative de corriger des événements qui ont eu lieu avant l’adoption de la Charte. Dans cette affaire, ce sont les lois fédérales sur l’immigration chinoise qui étaient en vigueur de 1885 à 1923 qui étaient en cause; ces lois d’immigration imposaient une « taxe » aux personnes d’origine chinoise à leur entrée au Canada, ce qui rendait très difficile l’immigration au Canada en provenance de la Chine. Les demandeurs incluaient à la fois des personnes qui avaient payé cette taxe et les descendants de personnes qui soit avaient payé la taxe, soit avaient souffert de diverses façons de l’application de ces lois. Ils demandaient à ce que cette taxe (majorée des intérêts) leur soit remboursée, ainsi que l’octroi de dommages-intérêts. La Cour d’appel de l’Ontario, confirmant le jugement de première instance, a reconnu que les lois avaient donné lieu à une discrimination fondée sur la race, et qu’elles porteraient aujourd’hui atteinte à la Charte. Toutefois, ces lois avaient été abrogées en 1923, et comme elles n’étaient plus en vigueur au moment de l’adoption de la Charte, les personnes dont les droits avaient été bafoués en vertu de ces lois n’avaient plus de recours pouvant se fonder sur la Charte.

 

[200]       Pour revenir au raisonnement qui lui a permis d’autoriser une contestation fondée sur la Charte dans l’arrêt Benner, précité, le juge Iacobucci a examiné l’argument du défendeur selon lequel les droits accordés en vertu de la législation en matière de citoyenneté « s’étaient cristallisés » au moment de la naissance. Il écrit ceci au paragraphe 50 :

L’intimé nous a demandé avec insistance de conclure que le moment clé de la chronologie des événements était la naissance de l’appelant, en 1962. L’intimé a soutenu que l’importance attachée à la naissance par des dispositions législatives sur la citoyenneté contestées tend à indiquer que les droits conférés par ces dispositions « se cristallisent » à la naissance : voir Crease c. Canada, [1994] 3 C.F. 480 (D.P.I.). S’il y a eu discrimination contre l’appelant, celle-ci se serait produite au moment de sa naissance, étant donné que c’est à ce moment que ses droits ont été établis sous le régime des dispositions contestées. De l’avis de l’intimé, le réexamen de ces droits en regard de l’art. 15 équivaut inévitablement à revenir en arrière et à modifier l’attribution des droits survenue de nombreuses années avant l’édiction de la Charte.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[201]       Je note que, dans la décision Crease c. Canada, [1994] 3 C.F. 480 (D.P.I.), dont il est question ci-dessus dans le passage tiré de l’arrêt Benner de la Cour suprême, le juge Wetston s’était largement appuyé sur l’opinion du juge Létourneau de la Cour d’appel fédérale dans la décision rendue antérieurement par cette Cour dans l’affaire Benner (C.A.), et il avait conclu que la Charte ne s’appliquait pas et que les droits du demandeur en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte n’avaient pas été enfreints (voir Crease, précité, aux paragraphes 41 et 42, 46, 66 et 67) (voir Note 24).

 

[202]       Cela dit, s’agissant du pouvoir des tribunaux d’examiner les allégations de discrimination dans le contexte du statut relatif à la citoyenneté, le juge Iacobucci a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Benner, aux paragraphes 51 et 52 :

 

L’idée que des droits se cristallisent au moment de la naissance me crée certaines difficultés, particulièrement dans le contexte de l’art. 15. Cette situation suggérerait que chaque fois qu’une personne née avant le 17 avril 1985 subirait les effets discriminatoires d’une mesure législative, ces effets seraient à l’abri des contestations fondées sur la Charte. Comme la couleur de notre peau est déterminée à notre naissance, suivant cette logique, des droits attribués en fonction de la couleur de la peau par une loi particulière «se cristalliseraient» donc à ce moment. Selon la thèse avancée par l’intimé, les personnes nées avant l’entrée en vigueur de l’art. 15 seraient donc dans l’impossibilité d’invoquer la Charte pour contester l’application, même récente, d’une telle mesure législative. En fait, le Parlement du Canada ou une législature pourraient soustraire des lois discriminatoires à tout examen en disposant qu’elles s’appliquent uniquement aux personnes nées avant 1985.

 

Il est préférable, selon moi, de caractériser la situation de l’appelant en disant qu’il s’agit d’un statut ou d’une condition en cours. Depuis sa naissance, il est un enfant né hors du Canada, avant le 15 février 1977, d’une mère canadienne et d’un père non canadien. Il s’agit tout autant d’un « statut » que le sont le fait d’avoir la peau d’une certaine couleur ou celui d’appartenir à une origine ethnique ou religieuse donnée : c’est un état de fait en cours. Les personnes dans la situation de l’appelant continuent aujourd’hui d’être privées du droit à la citoyenneté qui est conféré d’office aux enfants nés d’un père canadien.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[203]       Au paragraphe 59, le juge Iacobucci conclut de la façon suivante :

Pour dire les choses simplement, j’estime que la discrimination, si discrimination il y a eu, ne s’est pas produite avant que l’État ait rejeté concrètement la demande de citoyenneté de l’appelant en s’appuyant sur des critères qui, de prétendre l’appelant, violent l’art. 15 de la Charte. Jusqu’à ce qu’il ait tenté d’obtenir la citoyenneté et qu’on la lui ait refusée, l’appelant ne pouvait pas vraiment prétendre avoir fait l’objet de discrimination. Il n’avait pas de cause d’action sur laquelle fonder une demande : Reference re Workers’ Compensation Act, 1983 (T.-N.), précité. Sa demande a été rejetée le 17 octobre 1989, longtemps après l’entrée en vigueur de l’art. 15. Ce rejet peut donc être examiné en regard de la Charte.

 

[204]       Par conséquent, compte tenu du fait que la décision très détaillée de la Cour suprême dans Benner fait autorité, j’hésite à m’appuyer sur les opinions incidentes antérieures exprimées dans les affaires Benner et Crease de la Cour d’appel fédérale et de la présente Cour concernant la rétroactivité et la discrimination. Les décisions de la présente Cour dans Dubey et Wilson, précités, sont des tentatives visant à établir une distinction avec la décision de la Cour suprême dans Benner (voir Notes 23, 24 et 25). À mon avis, ces précédents ne sont pas déterminants, et je signale qu’un résultat contraire a été obtenu dans la décision Augier c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 4 R.C.F. 150 (C.F.), une décision plus récente de la présente Cour.

 

[205]       Dans l’affaire Augier, précitée, l’agente de la citoyenneté a déterminé que, puisque le demandeur était né hors du mariage, et à l’extérieur du Canada, le 9 mai 1966, selon la loi alors en vigueur il ne pouvait tenir sa nationalité canadienne que de sa mère. Si les parents du demandeur avaient été mariés au moment de sa naissance, il aurait pu tenir la nationalité canadienne de son père. Toutefois, puisque ses parents naturels n’étaient pas mariés et que la mère du demandeur n’était pas citoyenne canadienne au moment de sa naissance, l’agente de la citoyenneté a refusé la demande d’attestation de la citoyenneté.

 

[206]       Dans la décision Augier, précitée, la présente Cour a décidé d’annuler la décision de l’agente de la citoyenneté et a statué que l’alinéa 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté actuelle (qui est aussi contesté en l’espèce) contrevenait au paragraphe 15(1) de la Charte et n’était pas justifié au regard de l’article premier. À cet égard, le juge Mosley a signalé que le législateur avait omis, quand il a adopté la Loi sur la citoyenneté actuelle en 1977, de traiter de la question des enfants nés hors du mariage de pères canadiens et de mères non canadiennes. Il a été établi que l’alinéa 5(2)b) de la loi actuelle visait à pallier l’injustice faite à l’enfant qui ne pouvait tenir la citoyenneté de sa mère canadienne mariée à un père étranger. L’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté actuelle a également aboli, pour les enfants nés à l’étranger après le 14 février 1977, l’exigence d’être né à l’intérieur du mariage; toutefois, il ne fournit aucun redressement pour les personnes qui sont dans la situation du demandeur, c’est-à-dire les personnes nées à l’étranger, hors du mariage, de pères canadiens et de mères non canadiennes avant le 15 février 1977.

 

[207]       Dans la décision Augier, précitée, le juge Mosley a suivi la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Benner. Aux paragraphes 16 à 18, il écrit ceci :

Selon l'arrêt Benner, la violation alléguée de la Charte en l'espèce ne soulève pas l'application rétroactive de la Charte ni l'absence de qualité pour agir du demandeur. Sur ces deux points, la situation en cause est semblable à celle dans l'arrêt Benner. Dans Benner, précité, la Cour suprême a dit que les modifications apportées en 1977 aux dispositions législatives en matière de citoyenneté permettaient à un enfant de tenir sa citoyenneté canadienne de son père ou de sa mère, que ses parents soient mariés ou non. Les modifications apportées à la Loi ne s'appliquent toutefois qu'aux enfants nés après le 14 février 1977.

 

Auparavant, un enfant né du mariage d'une mère canadienne ne pouvait pas se réclamer de sa filiation maternelle, sauf si sa mère n'était pas mariée au moment de sa naissance. L'alinéa 5(2)b) a donc été ajouté en 1977 et il fait toujours partie de la Loi actuelle. Selon cette disposition, un enfant né d'une mère canadienne mariée qui, autrefois, ne pouvait réclamer la citoyenneté en vertu du sous-aliéna 5(1)b)(i) de la Loi de 1970, pouvait demander la citoyenneté qui lui était accordée si la personne prêtait un serment d'allégeance et acceptait de se soumettre à une enquête de sécurité et à une vérification de ses antécédents judiciaires. Toutefois, l'enfant né du mariage d'un père citoyen canadien n'était pas obligé de prêter un serment ni de se soumettre à une vérification des antécédents et sa citoyenneté était reconnue dès l'inscription de sa naissance. La Cour suprême du Canada a décidé que cette distinction était contraire à l'article 15 de la Charte et n'était pas sauvegardée en vertu de l'article premier.

 

Cependant, la situation du demandeur n'est pas tout à fait analogue à celle dont la Cour était saisie dans Benner, précité, puisque, en l'espèce, la discrimination alléguée découle d'une application ou vision stéréotypée d'enfants nés hors du mariage et que, à cause de ce statut, les enfants nés hors du mariage d'une mère étrangère sont empêchés, en vertu de la loi, de tenir la citoyenneté canadienne de leur père canadien. Si le père canadien et la mère étrangère étaient mariés au moment de la naissance de l'enfant, avant le 15 février 1977, cet enfant pouvait se réclamer de sa filiation paternelle. L'état matrimonial des parents d'un enfant, et non seulement le sexe du parent canadien, est donc un facteur de distinction important en l'espèce.

 

[208]       Je ne vois aucune raison de m’écarter de la démarche suivie par le juge Mosley dans la décision Augier, précitée. À mon avis, l’arrêt Benner ne se limite pas à traiter de la constitutionnalité de l’alinéa 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté actuelle, mais reconnaît la proposition plus large selon laquelle il est discriminatoire de considérer que les enfants nés à l’étranger ont des droits différents selon le sexe du parent sur lequel ils fondent leur revendication de la citoyenneté. Le fait que, dans la décision Augier, on traitait d’une personne née hors du mariage après 1947, dans des circonstances qui n’étaient pas tout à fait semblables à celles de l’arrêt Benner, a été jugé par la Cour comme n’étant pas important. Je suis également conforté par le fait que la Cour d’appel fédérale a décidé en 2001 que le raisonnement élaboré dans l’arrêt Benner s’applique aussi à une personne née dans les liens du mariage à l’extérieur du Canada avant le 1er janvier 1947 d’une mère canadienne de naissance (voir McLean c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.), [2001] 3 C.F. 127 (C.A.F.), aux paragraphes 9 à 18).

 

[209]       J’ai également examiné la décision rendue par la présente Cour dans Veleta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 801, qui a également été citée par les parties. La décision soumise au contrôle dans cette affaire rejetait la demande d’attestation de la  citoyenneté présentée par les demandeurs aux termes de l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté actuelle, parce qu’ils étaient nés à l’extérieur du Canada après le 14 février 1977, et qu’aucun de leurs parents n’était citoyen canadien. On leur a refusé la citoyenneté parce que leur grand-père était né hors du mariage. Par conséquent, leur père ne pouvait pas non plus être un citoyen canadien. Dans ce contexte, la Cour a déterminé que les demandeurs cherchaient à faire redresser un préjudice historique qui s’était produit bien avant que l’article 15 n’entre en vigueur (voir Note 26). Cela dit, je signale que le 19 avril 2006, environ un mois et demi avant l’audition de la présente instance (ce qui explique peut-être pourquoi les avocats n’ont pas mentionné le jugement de la Cour d’appel fédérale), la décision de la présente Cour dans l’affaire Veleta a été infirmée. La Cour d’appel fédérale a jugé que l’équité procédurale exigeait qu’on donne au grand-père une possibilité de comparaître et de présenter des observations concernant son droit à la citoyenneté canadienne : voir Veleta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 C.A.F. 138. Le jugement de la Cour d’appel fédérale est discuté dans la partie qui suit (voir  XIV. L’application régulière de la loi).

 

[210]       Bien que l’article 15 de la Charte ne puisse être utilisé pour contester une mesure distincte qui a été prise avant l’entrée en vigueur de la Charte, ce ne sont pas toutes les situations mettant en jeu des événements qui se sont produits avant l’entrée en vigueur de la Charte qui impliqueront nécessairement son application rétrospective. Quand une loi a simplement pour effet d’imposer de façon permanente un statut ou une incapacité discriminatoire à une personne, elle ne pourra pas échapper à un examen fondé sur la Charte uniquement parce qu’elle a été adoptée avant avril 1985. Si ses effets continuent aujourd’hui de s’imposer aux nouveaux demandeurs, alors elle est susceptible d’examen en regard de la Charte : voir Andrews, précité.

 

[211]       Par exemple, avant la guerre de Sécession, de nombreux ressortissants américains, en particulier des esclaves, n’étaient pas citoyens. L’esclavage a été aboli en Amérique et il serait inconcevable aujourd’hui de refuser le statut de citoyen aux Afro-Américains au motif que leurs ancêtres du dix-neuvième siècle n’étaient pas eux-mêmes des citoyens. Néanmoins, imaginons le scénario fictif suivant :

 

a)      Une ancienne loi sur la citoyenneté prescrit que tous les « hommes libres » nés dans ce pays sont des citoyens. Par conséquent, les esclaves et les femmes ne sont pas citoyens. La loi est discriminatoire parce qu’elle établit une distinction fondée à la fois sur le sexe et l’état civil de la personne au moment de sa naissance. Qui plus est, elle exclut tous les esclaves noirs en raison de leur race.

 

b)      Trente ans plus tard, la loi est modifiée pour prévoir que tous les « hommes et femmes libres » nés dans ce pays sont citoyens. En passant, je note que la loi modificatrice donne maintenant une qualification juridique différente à un état permanent (le fait d’être femme) et à un événement isolé (celui d’être né libre) qui, pris ensemble, ne conféraient pas antérieurement le statut de citoyen. On pourrait également soutenir que la présomption de non-rétroactivité empêcherait les « femmes libres » nées dans ce pays avant l’entrée en vigueur de la loi modificatrice de prétendre qu’elles sont « citoyennes » depuis la date de leur naissance et, par conséquent, qu’elles avaient le droit avant l’entrée en vigueur de la loi modificatrice de jouir de tous les privilèges et avantages de la citoyenneté.

 

c)      Trente ans plus tard encore, la même loi est abrogée et remplacée par une autre loi qui énonce maintenant que toutes les personnes nées dans ce pays après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sont citoyens. La nouvelle loi renferme également une disposition indiquant que les personnes qui étaient des citoyens immédiatement avant son entrée en vigueur sont des citoyens de ce pays. On pourrait prétendre que l’« âge » n’est pas un motif analogue de discrimination parce que la disposition transitoire de la nouvelle loi s’applique indépendamment de l’âge qu’avait une personne au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. La seule condition imposée par la nouvelle loi aux personnes nées avant son entrée en vigueur est qu’elles devaient être des citoyens à cette date. Toutefois, après 60 ans, il se peut qu’il y ait encore un groupe d’hommes et de femmes noirs vivant dans ce pays qui ne sont pas nés « libres ». Ce groupe n’avait pas droit à la citoyenneté en vertu de l’ancienne loi. Par conséquent, le statut de citoyen continue de leur être refusé et ils ne sont pas considérés comme des citoyens de naissance de ce pays. Donc, en vertu de la nouvelle loi, ils n’auraient pas le droit d’obtenir un certificat de citoyenneté.

 

[212]       Je donnerai maintenant un deuxième exemple fondé sur la Loi sur la citoyenneté actuelle. Jean et Marie ne sont pas mariés. Ils décident néanmoins d’avoir des enfants. Jean est Canadien et Marie est Britannique. Ils vivent ensemble en Angleterre. Le 14 février 1977, Marie est admise dans un hôpital londonien. À 23 h 58, elle donne naissance à Albert. Quelques minutes plus tard, elle donne naissance à un deuxième enfant, Robert. Ce deuxième enfant est né le 15 février 1977, à précisément 00 h 02. Les deux naissances sont inscrites le même jour. Albert, le premier jumeau, n’est pas un citoyen canadien de naissance (puisqu’il est né hors du mariage avant le 15 février 1977 et que sa mère est Britannique), alors que Robert est un citoyen canadien de naissance (puisqu’il est né après le 14 février 1977 d’un père canadien).

 

[213]       Après l’entrée en vigueur de la Charte, les parents demandent des certificats de citoyenneté. Ils apprennent à ce moment que seul Robert est citoyen canadien. On peut donner une variante du même exemple en prenant le cas d’Albert. Il a maintenant 25 ans et il souhaite obtenir un passeport canadien. Ce passeport lui est refusé parce qu’il n’est pas Canadien. Bien qu’Albert soit du même âge que son frère (après tout, quatre minutes seulement séparent la naissance des deux frères), il apprend qu’il n’est pas citoyen canadien. Par ailleurs, on lui apprend qu’il avait la possibilité de  réclamer sa citoyenneté, mais qu’il a perdu ce droit à l’âge de 24 ans puisqu’il n’a pas présenté de demande de rétention de sa citoyenneté. Ici encore, je ne vois pas comment une instance introduite par Albert ou ses parents pour faire déclarer inopérante la disposition législative contestée en se fondant sur la Charte et la Déclaration des droits puisse être rejetée au motif que la Charte ou la Déclaration des droits ne peuvent s’appliquer rétrospectivement, à moins de restaurer la théorie de la « cristallisation des droits » qui a été rejetée par la Cour suprême dans l’arrêt Benner.

 

[214]       Dans Benner, précité, la Cour suprême a statué que, dans l’analyse, il était essentiel de déterminer à quel moment une personne s’était heurtée pour la première fois à un texte de loi qui tenait compte du motif de discrimination invoqué. À cet égard, le défendeur soutient que la première fois que la non-citoyenneté du demandeur lui a été opposée n’était pas le 5 avril 2005, mais bien en 1968 quand il s’est présenté à la Maison du Canada à Londres, en Angleterre, pour demander à venir au Canada, et qu’on lui a remis les formulaires habituels pour fins d’immigration qui exigeaient qu’il soit parrainé.

[215]       Le demandeur a présenté une demande d’attestation de la citoyenneté qui a été rejetée le 5 avril 2005. Je conviens avec lui que la « discrimination » dont il se plaint en l’espèce coïncide avec la décision de l’agente de la citoyenneté d’appliquer la condition voulant que sa mère devait être Canadienne puisqu’il est né hors du mariage. Selon la preuve non contredite déposée par le demandeur, c’est à cette seule et unique occasion qu’il a fait l’objet d’une « discrimination » fondée sur sa filiation et le sexe de ses parents naturels qui n’étaient pas mariés au moment de sa naissance. Pour cette raison, les faits de l’espèce sont tout à fait différents de la situation de fait considérée par la Cour d’appel fédérale dans McLean, précité.

 

[216]       S’agissant de l’argument présenté par le défendeur selon lequel le statut de citoyen a été perdu en 1968 quand le demandeur a eu 24 ans, la preuve à cet égard n’est pas concluante. Je ne peux pas affirmer que « le résultat est inévitable » et que le demandeur a effectivement perdu son statut de citoyen. Quant à la question de déterminer à quel moment ont pris naissance les droits du demandeur, rien dans la preuve n’indique que les personnes en poste à la Maison du Canada à Londres, en Angleterre, en 1968, l’ont informé des dispositions concernant la perte de la citoyenneté dans la Loi sur la citoyenneté de 1947 ou de 1952. Il semble d’après la preuve que le demandeur a tout simplement fait une demande et qu’on lui a remis les formulaires d’immigration habituels. Ces formulaires ont pu lui être remis par n’importe quel commis en poste au comptoir d’accueil. Le fait qu’ils lui aient été remis n’autorise pas la présente Cour à inférer que la loi a été examinée ou qu’une décision juridique, concernant le statut de citoyen et les droits du demandeur à cet égard, a été rendue par un agent de la citoyenneté responsable.

 

[217]       Par conséquent, au vu de la preuve versée au dossier, je conclus que le demandeur s’est « heurté » (au sens du paragraphe 55 de l’arrêt Benner, précité) aux dispositions relatives à la perte de citoyenneté uniquement (1) quand il a été informé en 1999 qu’il avait « perdu » son statut de citoyen canadien le jour de son 24e anniversaire, et (2) en février 2003 quand on lui a appris que sa première demande de certificat de citoyenneté canadienne ne serait pas traitée plus avant parce qu’il avait « perdu » sa citoyenneté le jour de son 24e anniversaire. Ces deux événements se sont produits bien après l’entrée en vigueur de la Charte et ils supposent l’interprétation et l’application de la Loi sur la citoyenneté actuelle.

 

[218]       Pour conclure sur ce point, la présente instance porte sur un refus contemporain (en 2005) de délivrer un certificat de citoyenneté au demandeur en s’appuyant sur la condition  énoncée à l’alinéa 3(1)d) de la Loi sur la citoyenneté actuelle selon laquelle il devait être un « citoyen » immédiatement avant le 15 février 1977. La légalité de cette exclusion peut être examinée aujourd’hui au regard de la Charte et de la Déclaration des droits (malgré le fait que les Lois sur la citoyenneté de 1947, de 1952 et de 1970 ont été abrogées et n’existent plus).

 

XIV.    L’application régulière de la loi

 

[219]       L’omission de l’agente de la citoyenneté d’examiner et d’appliquer l’arrêté en conseil C.P. 58 est décisive en l’espèce. Cette erreur de droit vicie la décision dans sa totalité et justifie en soi une ordonnance infirmant la décision contestée. Il ne s’agit pas d’un cas où la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en refusant d’infirmer une décision administrative au motif qu’elle pourrait autrement être maintenue pour des motifs qui n’ont pas été pris en compte par l’agente de la citoyenneté. Le dossier de la preuve ayant trait à la perte de la citoyenneté du demandeur est incomplet et ne permet pas à la Cour d’en arriver à des conclusions probantes à cet égard. Quoi qu’il en soit, j’ai d’autres motifs pour rejeter les arguments du défendeur et, subsidiairement, pour faire une déclaration d’inconstitutionnalité.

 

[220]       Le défendeur présume que, puisque le demandeur a quitté le Canada avant 1947, il n’était pas un sujet britannique ayant un domicile canadien quand la Loi sur la citoyenneté de 1947 est entrée en vigueur. Cela n’est pas exact. Il est clair que le demandeur était un sujet britannique de naissance. En vertu de l’arrêté en conseil C.P. 858, il était réputé être un citoyen canadien et il ne lui était pas nécessaire d’avoir un domicile canadien puisque son père était né au Canada. Je note également que, à l’entrée en vigueur sur la Loi sur la citoyenneté de 1947, le demandeur ne se trouvait à l’étranger que depuis six semaines.

 

[221]       Je ne peux accepter l’argument du défendeur selon lequel le demandeur et sa mère ont automatiquement perdu leur citoyenneté un an après leur retour en Angleterre. C’est un argument qui a été présenté pour la première fois en 2005 dans l’exposé des faits et du droit du défendeur. Je ne peux accepter ce nouvel argument en l’absence d’un dossier de preuve adéquat, en plus du fait que la mère du demandeur n’a jamais fait partie de la présente instance. L’équité procédurale exige que la mère du demandeur ait le droit de présenter ses observations quant à la perte présumée de sa citoyenneté canadienne (voir ci-dessus la discussion ayant trait à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Veleta).

 

[222]       Bien qu’il n’y ait aucune preuve de l’intention de la mère du demandeur au 1er janvier 1947, je n’en ai pas besoin pour rejeter l’argument du défendeur. Aucune des formes proposées pour calculer le temps écoulé ne devrait porter préjudice à un enfant mineur qui était considéré comme une « personne frappée d’incapacité » en vertu de la loi. Cela va carrément à l’encontre de l’application régulière de la loi. En tant qu’enfant mineur, le demandeur n’a pas fait de choix volontaire. Cela m’amène à discuter de l’argument du défendeur selon lequel le demandeur a automatiquement perdu sa citoyenneté le jour de son 24e anniversaire parce qu’il n’a pas présenté de demande pour la conserver conformément à l’alinéa 4(2)b) de la Loi de 1953 modifiant la Loi sur la citoyenneté ou de la Loi sur la citoyenneté de 1970 (c’est-à-dire entre l’âge de 21 et de 24 ans).

 

[223]       La principale difficulté que pose cette proposition du défendeur découle du fait que le statut de citoyen du demandeur ne lui vient pas de l’application de l’alinéa 4(1)b) des Lois sur la citoyenneté de 1947, de 1952 ou de 1970. Comme je l’ai déjà décidé, l’arrêté en conseil C.P. 858 équivaut à la délivrance ou à l’octroi d’un certificat de citoyenneté par le ministre ou le Parlement. Je ne vois pas comment, en l’espèce, le statut de citoyen aurait pu être perdu, après le 1er janvier 1954, par l’opération du paragraphe 4(2) de la Loi de 1952  modifiant la Loi sur la citoyenneté (modifiée par l’article 13 de la Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté de 1953) ou la Loi sur la citoyenneté de 1970. En fait, l’alinéa 4(1)b) des Lois sur la citoyenneté de 1947, de 1952 ou de 1970 refuse le statut de citoyen à des enfants nés hors du mariage de mères non canadiennes, un point sur lequel je reviendrai ci-dessous sous la rubrique des droits à l’égalité.

 

[224]       Cela dit, si je présume néanmoins que les dispositions législatives contestées et citées ci-dessus s’appliquent, quand elles sont interprétées en regard du cadre législatif actuel, j’en viens à la conclusion qu’elles sont contraires aux principes de l’application régulière de la loi et de l’équité procédurale.

 

[225]       C’est la première fois que la présente Cour a l’occasion d’examiner la légalité de dispositions législatives prévoyant la perte automatique de la citoyenneté dans le contexte des droits procéduraux et fondamentaux d’une personne concernant son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne, auquel il ne peut être porté atteinte qu’en conformité avec le principe de l’application régulière de la loi. Cela dit, dans l’arrêt Veleta, précité, la Cour d’appel fédérale a remis en question la légalité de la pratique normalisée du défendeur, selon laquelle celui-ci n’informait pas officiellement les personnes de la perte de leur citoyenneté tant que celles-ci ne lui demandaient pas un certificat de citoyenneté ou un passeport.

 

[226]       Dans l’arrêt Veleta, la Cour d’appel fédérale a tranché un appel concernant le contrôle judiciaire du refus d’un agent de la citoyenneté d’accorder les attestations de la citoyenneté canadienne demandées. Le grand-père des demandeurs était né hors du mariage au Mexique en 1933; ses parents s’étaient mariés dans le cadre d’une cérémonie religieuse, mais non civile, avant sa naissance. Le grand-père et son fils (le père des demandeurs) ont tous deux obtenu des certificats de citoyenneté canadienne. L’agent a conclu que, parce que le grand-père était né hors du mariage, il n’avait pas acquis la citoyenneté canadienne en vertu des lois en vigueur à cette époque et que, par conséquent, il n’avait pas été en mesure de transmettre ce statut de citoyen à son fils et à ses petits-enfants. Le père a déposé une demande de contrôle judiciaire de la déclaration voulant qu’il ne soit pas citoyen canadien, dont l’audition a été reportée sine die en attendant le règlement de l’appel.

 

[227]       La Cour d’appel fédérale a conclu que l’équité procédurale exigeait que le grand-père ait l’occasion de comparaître et de présenter des observations concernant son droit à la citoyenneté canadienne. Compte tenu du fait que deux instances distinctes avaient été intentées, il était possible que des verdicts incompatibles soient rendus si l’appel était rejeté et le contrôle judiciaire déposé par le père accueilli. Pour ce motif, l’appel a été accueilli et la question a été renvoyée pour nouvel examen.

 

[228]       Les motifs du jugement ont été rendus par le juge Sexton qui écrit ceci, aux paragraphes 15, et 21 à 25 :

Il est étonnant - c'est le moins que l'on puisse dire - que Jacob Giesbrecht (le père) n'ait pas été officiellement avisé qu'il n'était plus considéré comme un citoyen canadien. L'avocat de l'intimé a indiqué à la Cour que son client avait pour pratique courante de ne pas aviser officiellement une personne de la perte de sa citoyenneté, mais d'attendre plutôt que cette personne demande un certificat de citoyenneté ou un passeport avant de l'en informer.

 

[…]

 

Tant Jacob (le fils de David Giesbrecht) que les appelants (les petits-enfants de David Giesbrecht) se sont fondés sur le statut de citoyen canadien de David Giesbrecht pour demander la citoyenneté. Il est donc nécessaire dans ces deux instances d'établir si David Giesbrecht était citoyen canadien à l'époque en cause. En fait, dans la cause soumise à la Cour, la juge de première instance a conclu que David Giesbrecht n'a jamais eu le droit de devenir citoyen canadien.

 

C'est donc dire que David Giesbrecht (le grand-père) se trouve dans la situation où les tribunaux doivent délibérer et décider s'il a jamais acquis la citoyenneté canadienne, et ce, même si on lui a délivré un certificat de citoyenneté canadienne il y a une quarantaine d'années et si l'intimé ne l'a jamais avisé qu'il n'est plus considéré comme un citoyen canadien.

 

Je trouve qu'il s'agit là d'une situation intolérable. L'équité procédurale exige que David Giesbrecht (le grand-père) ait une possibilité de comparaître et de faire valoir son droit à la citoyenneté canadienne.

 

J'ai également considéré que, vu l'état actuel des deux séries d'instances, la Cour d'appel pourrait rejeter le présent appel pour le motif que Jacob Giesbrecht (le père) n'était plus citoyen canadien et que les appelants ne pouvaient donc pas acquérir la citoyenneté canadienne. Plus tard, la Cour fédérale pourrait vraisemblablement conclure, compte tenu de la preuve soumise, que Jacob Giesbrecht (le père) n'a pas perdu la citoyenneté canadienne, ce qui donnerait ainsi lieu à des verdicts incompatibles. Il s'agit là d'une situation des plus insatisfaisantes.

 

Par conséquent, l'appel devrait être accueilli, la décision de la juge de première instance devrait être annulée et l'affaire devrait être renvoyée à la Cour fédérale afin que celle-ci rende une nouvelle décision.

 

[229]       Bien au-delà des définitions juridiques, il reste que le caractère archétypal et la valeur symbolique de la « citoyenneté » ont toujours été étroitement liés à la liberté, depuis les temps anciens jusqu’à aujourd’hui. En fait, le statut de citoyen a été utilisé par les tribunaux pour faire avancer les droits fondamentaux et prévenir le chauvinisme et l’arbitraire quand la Constitution canadienne ne garantissait pas explicitement les droits et libertés politiques (voir Note 27). Qui plus est, le concept de « citoyenneté » permet à une personne de s’identifier à sa mère patrie ou à son pays d’adoption. Ce concept est maintenant identifié à la nationalité d’origine ou acquise d’une personne.

 

[230]       Pour la plupart d’entre nous, la citoyenneté est un héritage qui nous échoit dès la naissance (droit du sol ou droit du sang). Pour d’autres, c’est un choix qui peut avoir des conséquences  importantes. En fait, comme le déclarait le juge La Forest dans l’arrêt Andrews, précité, au paragraphe 70 : « […] la citoyenneté confère un statut très particulier qui ne comporte pas seulement des droits et des obligations, mais qui remplit la fonction très importante de symbole identifiant les gens comme membres de l’État canadien. »

 

[231]       Dans l’arrêt Lavoie, précité, au paragraphe 57, le juge Bastarache note ce qui suit :

Dans toute démocratie libérale, la notion de citoyenneté est liée à des objectifs politiques, émotifs et incitatifs importants; elle favorise à tout le moins un sentiment d’unité et de civisme partagé dans une population hétérogène : W. Kymlicka, Multicultural Citizenship : A Liberal Theory of Minority Rights (1995), p. 173‑176.  La Cour le reconnaît dans Winner, précité, où le juge Rand définit la citoyenneté comme s’entendant simplement de [traduction] « l’appartenance à un État », puis décrit le fondement même de la politique canadienne de citoyenneté : « sont inhérents au citoyen les droits et les devoirs corrélatifs à l’allégeance et à la protection qui sont attachés à ce statut ».

 

[232]       Le droit d’une personne à la sécurité (par exemple, d’obtenir la protection de l’État) et à la liberté de circulation est inextricablement lié à son statut national ou, selon le cas, à son statut de citoyen. La nationalité et la citoyenneté sont si intimement liées à la personne que je suis tout disposé à accepter l’idée que la perte de nationalité ou de citoyenneté découlant d’un acte de l’État – faisant ainsi ou non du citoyen un « apatride » - fait intervenir les droits d’une personne à la « liberté » et à la « sécurité de sa personne » (Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307).

 

[233]       Par conséquent, toute tentative législative visant à abolir ou restreindre d’une façon ou d’une autre la nationalité ou la citoyenneté d’une personne doit respecter le principe de l’application régulière de la loi, y compris tout droit reconnu comme existant au Canada en vertu des alinéas 1a) et 2e) de la Déclaration des droits, ou qui est constitutionnellement garanti par l’article 7 de la Charte, selon la façon dont ces droits ont été définis par la jurisprudence (voir Singh, précité; Renvoi sur le paragraphe 94(2) de la Motor Vehicle Act (Colombie-Britannique), [1985] 2 R.C.S. 486).

 

[234]       Il est bien établi que les exigences rattachées à l’équité procédurale (et de façon plus large celles liées à l’application régulière de la loi) ne sont pas statiques et que leur teneur doit être déterminée dans le contexte spécifique de chaque espèce (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817). Il faut analyser ce que le statut de citoyen implique dans la pratique et la façon dont il est étroitement lié à la vie, à la liberté ou à la sécurité d’une personne, y compris à sa liberté de circulation et à son droit à la protection de l’État, selon le cas.

 

[235]       Pour une personne qui réside actuellement au Canada, la perte de la citoyenneté a de lourdes conséquences. La teneur des garanties procédurales doit être directement proportionnelle à l’importance et à l’impact que la perte automatique de la citoyenneté peut avoir sur la vie de la personne en cause. Si cette personne n’était pas un résident permanent au Canada avant d’obtenir sa citoyenneté, elle peut se trouver au Canada sans statut et pourrait donc faire l’objet d’une mesure de renvoi en vertu des formalités actuelles en matière d’immigration. Quant à la personne qui réside à l’extérieur du Canada, elle pourrait se voir refuser l’entrée au Canada (à moins qu’elle ne vienne à titre de visiteur). Cette personne devra naturellement obtenir un visa de résident permanent avant de pouvoir s’établir au Canada.

 

[236]       Alors que le terme « citoyenneté » décrit un statut qui peut être conféré par l’État à une personne, la « nationalité » désigne l’appartenance à une « nation ». En fait, on qualifie les citoyens de « ressortissants » quand ils voyagent à l’étranger. Le demandeur était un ressortissant canadien par filiation (droit du sang) parce qu’il était le fils d’un citoyen canadien. Le père du demandeur est né au Canada et était un citoyen canadien en vertu de la Loi de l’immigration de 1910. Le demandeur est demeuré un ressortissant canadien jusqu’à l’abrogation de la Loi des ressortissants du Canada et j’ai conclu qu’il est devenu citoyen canadien le 1er janvier 1947. Il ne peut être privé de son statut de ressortissant ou de citoyen canadien en dehors de l’application régulière de la loi.

 

[237]       Avant l’entrée en vigueur de la Déclaration des droits en 1960, l’application régulière de la loi signifiait déjà qu’une personne ne pouvait être arbitrairement privée de sa nationalité ou de sa citoyenneté.

 

[238]       L’article 15 de la Déclaration universelle des droits de la personne, Doc. off., A.G., 3e session, première partie, résolution 217 A(III), p. 71, Doc. N.U., A/810 (1948), reconnaît que toute personne a droit à une nationalité et que personne ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité. À cet égard, je note que le paragraphe 46(1) de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 prescrivait ce qui suit :

46(1)    Nonobstant l’abrogation de la Loi de naturalisation et de la Loi des ressortissants du Canada, la présente ne doit pas s’interpréter comme privant quiconque est ressortissant canadien, sujet britannique ou étranger selon la définition contenue dans lesdites lois ou une autre loi en vigueur au Canada, du statut national qu’il possède lors de l’entrée en vigueur de la présente loi.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[239]       Bien que les ressortissants canadiens eussent pu perdre leur statut de citoyen de bien des façons avant 1977 (et 1960), dans la plupart des cas (sauf dans le cas des dispositions contestées invoquées par le défendeur), il semble que les conditions relatives à l’application régulière de la loi aient été respectées.

 

[240]       Dans les cas les plus fréquents où une personne pouvait perdre sa citoyenneté, il s’agissait d’une décision volontaire et officielle de sa part, pourvu qu’elle ne soit pas « aliénée » ou « idiote » et qu’elle ait 21 ans révolus, d’acquérir la nationalité ou la citoyenneté d’un pays autre que le Canada ou de déposer une déclaration de renonciation à sa citoyenneté canadienne en cas de double nationalité (voir les articles 15 et 16 de la Loi sur la citoyenneté de 1970). Par exemple, la question de la renonciation peut s’être posée dans des situations où des citoyens naturalisés étaient incapables de porter leur cas à l’attention du gouvernement de leur pays de naissance, ou dans les cas où ils souhaitaient le servir officiellement, et où il leur était impossible de le faire à moins de reprendre ou de conserver leur citoyenneté étrangère exclusivement. On peut toujours aujourd’hui renoncer à sa citoyenneté (voir l’article 9 de la Loi sur la citoyenneté actuelle). Ces cas ne posent aucun problème du point de vue de l’application régulière de la loi, parce que la Loi exige que la personne soit majeure au moment de la présentation de la demande de renonciation (ou en cas de déficience mentale, qu’elle soit en mesure de saisir la portée de la répudiation de sa citoyenneté).

 

[241]       Dans la deuxième série de cas, il s’agissait de la décision volontaire du gouverneur en conseil de révoquer la citoyenneté d’une personne qui avait obtenu la citoyenneté canadienne par fraude, par fausse déclaration ou par dissimulation intentionnelle de faits essentiels. En pareilles circonstances, une ordonnance ne pouvait être prise qu’à la suite d’un rapport du ministre. La Loi sur la citoyenneté de 1970 énonce la procédure que le ministre devait suivre, dont la première étape était l’envoi d’un avis à l’intéressé. Cette personne pouvait demander que le ministre renvoie l’affaire à une commission constituée à cette fin par le gouverneur en conseil aux fins de mener une enquête. La procédure suivie par la commission était de nature judiciaire et la personne en question avait la possibilité de présenter une preuve et d’exposer ses arguments. Une procédure assez semblable existe aujourd’hui, à l’exception du fait que l’enquête est confiée à un juge de la présente Cour (voir les articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté actuelle). Par conséquent, ces cas ne posent aucun problème, du moins pour ce qui est des droits procéduraux rattachés au principe de l’application régulière de la loi.

 

[242]       Dans la troisième série de cas, une personne perdait sa citoyenneté si elle avait servi dans les forces armées d’un pays en guerre avec le Canada. Bien que la perte de citoyenneté ait été « automatique » dans ce cas, la loi exigeait que la personne soit un ressortissant ou un citoyen de cet autre pays et que la perte ne se soit pas produite, en vertu des lois de ce pays étranger, lorsque l’intéressé en était devenu ressortissant ou citoyen alors que ce pays était en guerre avec le Canada (voir l’article 17 de la Loi sur la citoyenneté de 1970). Ici encore, l’application régulière de la loi ne pose aucun problème.

 

[243]       La quatrième série de cas est problématique. Les citoyens canadiens de naissance par filiation (droit du sang) de la première génération de personnes nées à l’extérieur du Canada avant et après 1947 perdaient automatiquement leur citoyenneté (et leur nationalité) à moins qu’ils n’aient un domicile au Canada ou qu’ils n’aient produit une déclaration de rétention de citoyenneté canadienne entre leur 21e et leur 24e anniversaire de naissance (voir les paragraphes 4(2) et 5(2) de la Loi sur la citoyenneté de 1970). En outre, les enfants nés après 1947 devaient faire enregistrer leur naissance. Cela signifie également que la citoyenneté pouvait être refusée aux personnes à la charge d’un militaire canadien et nées à l’étranger, à l’intérieur du mariage, entre 1947 et 1977, dans le cas où leurs parents n’étaient pas au courant du fait qu’il fallait inscrire le fait de cette naissance au consulat ou auprès du ministre dans les deux ans suivant la naissance ou à l’intérieur de tout autre délai que le ministre pouvait autoriser dans des cas spéciaux (voir le sous-alinéa 5(1)b)(ii) de la Loi sur la citoyenneté de 1970).

 

[244]       Le défendeur concède que les personnes visées par ces circonstances peuvent n’avoir jamais été mises au courant de telles exigences et peuvent avoir perdu leur statut de citoyen à cause de leur ignorance de la loi.

 

[245]       Ce problème a été résolu en partie en 1977. La première génération de citoyens par filiation nés après le 14 février 1977 n’était plus tenue de produire une déclaration de rétention de citoyenneté ou d’avoir un domicile au Canada. En vertu de la Loi sur la citoyenneté actuelle, seuls les citoyens de deuxième génération qui ont acquis leur citoyenneté du fait qu’ils sont nés à l’étranger de citoyens canadiens nés eux-mêmes à l’extérieur du Canada, sont tenus de présenter une demande de rétention de leur citoyenneté avant leur 28e anniversaire de naissance. Ils doivent se faire immatriculer comme citoyens, et (1) soit avoir résidé au Canada depuis au moins un an à la date de la demande, (2) soit avoir démontré qu’ils ont conservé avec le Canada des liens manifestes (voir l’article 8 de la Loi sur la citoyenneté actuelle).

 

[246]       En l’espèce, je conclus que l’application automatique des dispositions relatives à la perte de la citoyenneté prive le demandeur de la nationalité canadienne qui lui avait été octroyée antérieurement en vertu de la Loi des ressortissants du Canada, et également de son statut de citoyen, ce qui est contraire au principe de l’application régulière de la loi.

 

[247]       En l’espèce, l’applicabilité des dispositions législatives contestées est aussi remise en question par le demandeur qui affirme que, de 1947 à 1953, un citoyen canadien par filiation, qui était entré au Canada alors qu’il était mineur et qui avait été légalement accepté avant 1947, n’était nullement tenu de présenter une demande de rétention de citoyenneté ou d’avoir un domicile au Canada.

 

[248]       La réponse du défendeur voulant que l’ignorance de la loi n’est pas une excuse me met mal à l’aise. Il y a plusieurs pays dans le monde où la citoyenneté n’est pas automatiquement conférée aux personnes qui naissent sur le territoire (droit du sol). Certains pays étrangers exigent qu’au moins l’un des parents de l’enfant soit citoyen de ce pays. En pratique, cela signifie que les personnes nées à l’extérieur du Canada avant le 15 février 1977, dont les deux parents étaient des citoyens ou des ressortissants canadiens au moment de la naissance, risquaient de perdre leur citoyenneté canadienne, soit le seul statut national qu’elles possédaient le jour de leur 24e anniversaire.

 

[249]       Le simple fait que la perte automatique de la citoyenneté ait été « prescrite par une règle de droit » ne signifie pas qu’elle respecte davantage le principe de l’application régulière de la loi si elle peut avoir comme conséquence de priver une personne de son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne (voir Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), précité). La loi ou le règlement devrait prévoir une forme d’avis approprié qui soit donné à la personne concernée. Toutefois, ce n’est pas le rôle de la Cour de corriger les lacunes actuelles et passées des lois ou des règlements. Il suffit de déclarer que la perte automatique de la citoyenneté ne pouvait pas et ne peut toujours pas être appliquée à l’encontre du demandeur parce qu’elle était et continue d’être contraire au principe de l’application régulière de la loi et qu’elle contrevient aux droits garantis par les alinéas 1a) et 2e) de la Déclaration des droits ainsi que par l’article 7 de la Charte.

 

[250]       Le fait qu’une personne qui a perdu sa citoyenneté puisse présenter au ministre une demande de réintégration dans la citoyenneté peut constituer une forme de réparation subsidiaire acceptable, surtout si le certificat de citoyenneté délivré par suite de cette demande a un effet rétroactif, comme c’était le cas dans la loi antérieure sur la citoyenneté (voir l’article 6 de la Loi sur la citoyenneté de 1970). Mais, à cet égard, le défendeur fait valoir que le 31 décembre 1970 est la date ultime à laquelle une personne née à l’extérieur du Canada, avant 1947, pouvait avoir conservé sa citoyenneté canadienne du fait qu’elle avait produit une déclaration de rétention de citoyenneté, ou du fait qu’elle avait établi son domicile permanent au Canada. Par conséquent, le 1er janvier 1971, le droit à la citoyenneté canadienne d’une personne née à l’extérieur du Canada avant 1947, d’un parent né au Canada, a été aboli. Ces personnes ne pouvaient plus revendiquer le statut de citoyen, autrement qu’en demandant la naturalisation, quel qu’ait été le statut de leurs parents au moment de leur naissance ou ultérieurement.

 

[251]       Compte tenu de la position rigide adoptée par le défendeur selon laquelle le demandeur n’est pas citoyen, celui-ci est ou a effectivement été empêché de déposer auprès du ministre une demande de réintégration dans la citoyenneté. Quoi qu’il en soit, il n’est pas clair si le ministre pourrait accorder aujourd’hui une telle demande en vertu de l’article 11 de la Loi sur la citoyenneté actuelle, étant donné que la Loi sur la citoyenneté de 1970 a été abrogée en 1977, et que le cas particulier du demandeur ne tombe pas sous le coup des exceptions mentionnées aux paragraphes 11(1.1) et 11(2) de la Loi sur la citoyenneté actuelle.

 

[252]       Dans la mesure où

 

a)      le défendeur invoque le paragraphe 3(1), les alinéas 3(1)d) ou e), ou l’article 7 de la Loi sur la citoyenneté actuelle ou est autorisé par ces dispositions à s’appuyer sur les dispositions relatives à la perte de citoyenneté qui se trouvaient dans les lois antérieures en matière de citoyenneté, y compris l’article 13 de la Loi de 1953 modifiant la Loi sur la citoyenneté et le paragraphe 4(2) de la Loi sur la citoyenneté de 1970; ou

 

b)      le demandeur se voit refuser le droit de présenter une demande pour être réintégré dans la citoyenneté par suite de l’abrogation de la Loi sur la citoyenneté de 1970 par l’article 36 de la Loi sur la citoyenneté de 1977 et l’application du paragraphe 3(1) et des articles 7 et 11 de la Loi sur la citoyenneté actuelle ;

 

je conclus que les dispositions législatives contestées sont contraires au principe de l’application  régulière de la loi et contreviennent aux alinéas 1a) et 1e) de la Déclaration des droits, ainsi qu’au droit d’une personne à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne auquel il ne peut être porté atteinte qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale, droit garanti par l’article 7 de la Charte. Comme elles ne sont pas non plus justifiées au regard de l’article premier de la Charte, les dispositions précitées sont inopérantes.

 

XV.      Les droits à l’égalité

 

[253]       J’ai déjà conclu que l’arrêté en conseil C.P. 858 équivaut à une attribution de la citoyenneté par voie législative. Ma conclusion signifie que les personnes à la charge des membres des forces armées canadiennes constituaient un groupe particulier de personnes. Les enfants nés hors du mariage ou à l’intérieur du mariage tiraient leur citoyenneté canadienne de leur père naturel ou légitime. Il en était ainsi malgré le fait que l’alinéa 4(1)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1947 prévoyait que, dans le cas des enfants nés hors du mariage et à l’extérieur du Canada avant le 1er janvier 1947, la citoyenneté ne pouvait leur être transmise que par leur mère naturelle.

 

[254]       Si l’arrêté en conseil C.P. 858 n’a pas les présumés effets susmentionnés, il devient nécessaire de traiter de la constitutionalité des dispositions législatives contestées à la lumière des droits à l’égalité qui sont garantis au paragraphe 15(1) de la Charte. (Il n’est pas nécessaire de tirer une conclusion distincte pour ce qui est de savoir si la disposition législative contestée respecte le droit d’un individu à l’égalité devant la loi et à la protection de la loi qui est mentionné à l’alinéa 1b) de la Déclaration des droits.)

 

[255]       La disposition relative aux droits à l’égalité se lit comme suit :

15.(1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

[256]       Comme on peut le constater, en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte, l’égalité s’exprime de quatre façons différentes : égalité devant la loi et égalité dans l’application de la loi, protection égale de la loi et égalité de bénéfice de la loi. L’article accorde également des garanties à l’encontre des « discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques ». Ce sont des motifs de discrimination prévus par la Charte. L’utilisation du terme « notamment » fait clairement ressortir que ces motifs ne sont pas exhaustifs.

 

[257]       Le demandeur fait valoir, subsidiairement, que les régimes législatifs antérieurs et actuel en matière de citoyenneté sont « discriminatoires ». Les enfants nés à l’extérieur du Canada, dans les liens du mariage ou hors du mariage, avant et après le 15 février 1977, sont traités différemment pour ce qui est de l’acquisition et de l’extinction du statut de citoyen. Cette différence de traitement est actuellement fondée sur la date de naissance d’une personne (un motif analogue à celui de l’âge) et, en fait, perpétue une différence de traitement antérieure fondée sur l’état matrimonial et le sexe de l’un des parents, qui sont les éléments clés pour déterminer si la citoyenneté est transmise par le père ou par la mère. Le demandeur soutient qu’une telle différence de traitement reflète une opinion déshonorante et préjudiciable à l’égard des « enfants illégitimes » qui est discriminatoire et qui porte atteinte aux droits à l’égalité garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte.

 

[258]       En réponse à ce que soutient le demandeur, le défendeur fait valoir qu’il n’y a pas de différence de traitement fondée sur un motif de discrimination analogue. En outre, si il y a de la « discrimination », celle-ci s’est produite en vertu de la Loi sur la citoyenneté de 1947 qui n’est plus en vigueur au Canada depuis son abrogation. En fait, la Loi sur la citoyenneté actuelle adoptée en 1977 a précédé l’entrée en vigueur de l’article 15 de la Charte. Toutefois, j’ai déjà disposé de ce dernier argument dans une section précédente (voir XIII : L’application rétroactive ou rétrospective de la Charte).

 

[259]       En l’espèce, nous sommes confrontés à l’application de la Loi sur la citoyenneté canadienne d’une façon qui fait en sorte que la citoyenneté canadienne est refusée aux enfants nés hors du mariage à l’extérieur du Canada avant le 15 février 1977 et où il semble qu’au moment de la naissance de l’enfant, la mère n’était pas née au Canada, et ne possédait pas de domicile canadien (avant 1947), et qu’elle n’était pas non plus citoyenne canadienne (après 1947). Il est clair que les modifications adoptées en 1977 qui ont entraîné l’adoption de la Loi sur la citoyenneté actuelle étaient conçues pour supprimer les injustices apparentes qui existaient en vertu des lois antérieures sur la citoyenneté.

 

[260]       Pour ce qui est d’un enfant né à l’extérieur du Canada après le 14 février 1977, la Loi sur la citoyenneté actuelle vise maintenant à supprimer tout obstacle juridique antérieur basé sur l’état matrimonial des parents au moment de la naissance de l’enfant. Il n’importe plus que l’enfant soit né dans les liens du mariage ou hors de ceux-ci. Tant et aussi longtemps que l’un des parents est un citoyen, cet enfant devient automatiquement citoyen. Cela dit, cette nouvelle disposition limite le statut de citoyen à l’enfant naturel d’un parent canadien. Selon mon interprétation, cela signifie qu’un enfant adopté héritera de la citoyenneté canadienne uniquement si, au moment de sa naissance, l’un de ses parents biologiques est un citoyen canadien (voir l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté actuelle).

 

[261]       Les droits à l’égalité enchâssés au paragraphe 15(1) de la Charte nous amènent à nous demander s’il est constitutionnellement admissible aujourd’hui de continuer à exclure des catégories de personnes du statut de citoyen en s’appuyant, comme on le fait ici, sur leur âge et leur filiation, selon que, dans le cas d’un enfant né hors du mariage, la mère était ou non citoyenne canadienne.

 

[262]       Dans l’arrêt Law, précité, la Cour suprême du Canada énonce la démarche à suivre pour déterminer si une disposition législative enfreint le paragraphe 15(1) de la Charte. À cet égard, pour faire l’analyse d’une revendication fondée sur le paragraphe 15(1), la Cour doit se poser trois grandes questions:

 

  1. La règle de droit contestée (a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et les autres sur la base d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou (b) omet-elle de prendre en compte la situation déjà défavorisée du demandeur au sein de la société canadienne, ce qui entraîne une différence de traitement importante entre lui et les autres sur la base d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?

 

  1. Le demandeur fait-il l’objet d’une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés et analogues?

 

et

 

  1. Cette différence de traitement constitue-t-elle de la discrimination, du fait qu’elle impose un fardeau au demandeur ou qu’elle le prive d’un avantage d’une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de favoriser l’opinion que cette personne est moins capable ou moins digne d’être reconnue ou valorisée en tant qu’être humain ou que membre de la société canadienne, méritant le même intérêt, le même respect et la même considération?

 

[263]       Comme il est dit au paragraphe 51 de l’arrêt Law, le paragraphe 15(1) de la Charte « a pour objet d’empêcher toute atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l’imposition de désavantages, de stéréotypes et de préjugés politiques ou sociaux, et de favoriser l’existence d’une société où tous sont reconnus par la loi comme des êtres humains égaux ou comme des membres égaux de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect, et la même considération ». La citoyenneté n’est pas seulement une définition  légale; c’est aussi l’illustration de la façon dont une personne est traitée dans une société donnée. Par conséquent, la citoyenneté est le statut le plus élevé qu’un État peut conférer à ses ressortissants.

 

[264]       Cela dit, si la situation des non-citoyens diffère de celle des citoyens, c’est uniquement parce que le législateur leur a donné un statut juridique unique. À cet égard, comme le notait le juge Bastarache dans l’arrêt Lavoie, précité : « [s]ous tous les points de vue pertinents – sociologique, économique, moral, intellectuel – les non-citoyens sont des membres tout aussi essentiels de la société canadienne et méritent la même attention et le même respect. La seule exception reconnue à cette règle s’applique lorsque la Constitution elle-même prive le non-citoyen d’un avantage, comme dans Chiarelli, précité » (Lavoie, précité, au paragraphe 44).

 

[265]       La législation en matière de citoyenneté est le mécanisme par lequel une société parvient à se régénérer, à préserver son identité pendant que les membres qui la constituent naissent et meurent, arrivent et s’en vont. Afin de déterminer si la distinction législative résultant de l’exclusion d’une catégorie de personnes du statut de citoyen est discriminatoire, il faut une analyse en fonction de l’objet visé et du contexte. À cet égard, les facteurs contextuels qui déterminent si la mesure législative contestée porte atteinte à la dignité d’un demandeur doivent être interprétés et examinés du point de vue du demandeur. La perspective appropriée est à la fois subjective et objective.

 

[266]       Je n’ai aucune difficulté à conclure que le régime législatif actuel établit une distinction formelle entre le demandeur et les autres en s’appuyant sur une ou plusieurs caractéristiques personnelles, ce qui a pour objet d’établir une différence de traitement importante entre lui et les autres.

 

[267]        Bien que l’arrêt Benner ait été rendu avant l’arrêt Law, il est toujours utile dans le présent contexte (voir Note 28). Dans l’arrêt Benner, le juge Iacobucci déclare ceci aux paragraphes 70 et 72 :

Les dispositions contestées de la Loi sur la citoyenneté de 1977 établissent expressément une distinction entre les enfants nés à l’étranger, avant 1977, d’une mère canadienne et ceux nés à l’étranger, avant 1977, d’un père canadien.

 

[…]

 

Ce fait semble démontrer clairement une absence d’égalité de bénéfice de la loi.

 

[268]       En vertu de la Loi sur la citoyenneté actuelle, toute personne née au Canada après le 14 février 1977, est un citoyen, sauf quelques exceptions (voir l’alinéa 3(1)a) et le paragraphe 3(2) de la Loi sur la citoyenneté actuelle). Par conséquent, un enfant né au Canada après le 14 février 1977 d’un parent qui n’a pas de statut juridique au Canada est néanmoins un citoyen (droit du sol). Il est à noter que les citoyens canadiens de naissance peuvent quitter le Canada en tout temps et ne sont pas tenus de maintenir des liens avec leur pays. Une absence prolongée du Canada n’entraînera pas la perte de la citoyenneté canadienne à moins que, dès l’âge de sa majorité, une personne renonce à sa citoyenneté canadienne en faveur de la citoyenneté d’un autre pays (article 9 de la Loi sur la citoyenneté actuelle).

 

[269]       Pour ce qui est d’un enfant né à l’extérieur du Canada après le 14 février 1977, la Loi sur la citoyenneté actuelle stipule que ce dernier est un citoyen, pourvu qu’au moment de sa naissance l’un de ses parents, autre qu’un parent qui l’a adopté, était un citoyen. Il n’est plus nécessaire qu’au moment de la naissance de l’enfant, ses parents aient ou non été mariés. Tant et aussi longtemps que l’un des parents naturels est un citoyen, cet enfant devient automatiquement citoyen (voir l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté actuelle). Les enfants nés à l’extérieur du Canada d’un citoyen canadien qui est lui-même né à l’extérieur du Canada est également un citoyen canadien (droit du sang). Cela dit, la Loi sur la citoyenneté actuelle n’exige plus qu’un enfant de la première génération présente une demande de rétention de citoyenneté, réside au Canada ou établisse des liens manifestes avec ce pays. Toutefois, l’enfant de la deuxième génération cesse d’être un citoyen dès qu’il atteint l’âge de 28 ans, à moins qu’il ne présente une demande afin de conserver sa citoyenneté, qu’il se fasse immatriculer comme citoyen et qu’il réside au Canada depuis un an à la date de sa demande ou démontre qu’il a conservé avec le Canada des liens manifestes (voir l’article 8 de la Loi sur la citoyenneté actuelle).

 

[270]       Je conclus également que le deuxième volet du critère établi dans Law, à savoir si le demandeur fait l’objet d’une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs motifs énumérés et analogues, est respecté en l’espèce.

 

[271]       Ici encore, il est utile de se référer au raisonnement du juge Iacobucci dans l’arrêt Benner, aux paragraphes 78 et 82, où il écrit ceci :

[…]  Elles ne déterminent pas les droits à la citoyenneté de la mère de l’appelant, mais uniquement ceux de l’appelant lui‑même.  La mère de l’appelant n’est concernée que parce que l’étendue des droits de celui-ci est tributaire du sexe de celui de ses parents qui est canadien.

 

[…]  Le lien entre un enfant et son père ou sa mère a un caractère particulièrement unique et intime.  L’enfant ne choisit pas ses parents.  Leur nationalité, leur couleur ou leur race sont des caractéristiques tout aussi personnelles et immuables pour l’enfant que si elles étaient les siennes propres.

 

[272]       Je conclus également que le troisième volet du critère de Law est respecté dans le cas des enfants nés hors du mariage qui ne peuvent obtenir la citoyenneté du fait que leur mère n’était pas canadienne. La différence de traitement constitue de la discrimination puisqu’elle prive le demandeur d’un avantage d’une manière qui reflète l’application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe, ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de favoriser l’opinion selon laquelle cette personne est moins capable ou moins digne d’être reconnue ou valorisée en tant qu’être humain ou que membre de la société canadienne, méritant le même intérêt, le même respect et la même considération.

 

[273]       Une personne raisonnable estimerait que la Loi sur la citoyenneté actuelle reflète une opinion désobligeante qui porte atteinte à la dignité du demandeur tout simplement parce qu’il est né « hors du mariage » (voir Augier, précité, au paragraphe 23). Il faut se rappeler qu’en vertu de la common law, [traduction] « l’enfant d’une femme non mariée est toujours un « bâtard »  (voir Halsbury’s Laws of England, précité, aux paragraphes 137 et 138). La Loi sur la citoyenneté actuelle perpétue l’opinion que les « bâtards », même après leur légitimation, ne sont pas dignes de tirer leur citoyenneté de leur père naturel.

 

[274]       Bien que les faits dans Benner ne soient pas exactement les mêmes que ceux de l’espèce, la discrimination dont il était fait état dans cette affaire était peut-être encore moins évidente que celle qui est en cause ici. Aux paragraphes 90 et 91, le juge Iacobucci en vient à la même conclusion :

[…] Ces mesures législatives continuent de suggérer que, à tout le moins dans certains cas, les hommes et les femmes n’ont pas une capacité égale de transmettre à leurs enfants ce qu’il faut pour être un bon citoyen canadien. […]

 

Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les dispositions contestées de la Loi sur la citoyenneté sont effectivement discriminatoires et violent l’art. 15 de la Charte.

 

[275]       Je suis également conforté par le fait que dans Augier, précité, la présente Cour a déclaré en 2004 que l’alinéa 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté actuelle tel qu’il est rédigé est inconstitutionnel, à moins qu’il soit interprété pour inclure le mot « père » qui avait été omis au moment de l’adoption de la Loi sur la citoyenneté de 1977.

[276]       J’ai discuté de la décision Augier, précitée, pour ce qui a trait à la rétroactivité, mais par souci de commodité, il est peut-être utile de revoir les faits cette espèce. Le demandeur est né hors du mariage, à Sainte-Lucie, le 9 mai 1966, d’un père citoyen canadien et d’une mère résidente permanente. En septembre 2002, le demandeur a déposé une demande d’attestation de la citoyenneté canadienne, prétendant tenir sa citoyenneté canadienne de son père naturel. L’agente de la citoyenneté a conclu que, puisque le demandeur était né hors du mariage à l’extérieur du Canada, la citoyenneté canadienne ne pouvait provenir que de sa mère en vertu de la loi alors en vigueur. L’agente de la citoyenneté a déclaré que, puisque la mère du demandeur n’était pas Canadienne au moment de la naissance du demandeur, la demande de citoyenneté devait être refusée.

 

[277]       La Cour a examiné le sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi sur la citoyenneté de 1970. Le juge Mosley a conclu comme suit aux paragraphes 21, 23 et 24 :

Selon moi, la disposition en cause en l'espèce établit une distinction formelle entre M. Augier et d'autres personnes en raison de deux caractéristiques personnelles, savoir la relation entre son père et sa mère au moment de sa naissance et le sexe du parent canadien lors de sa naissance. La Cour suprême a dit que l'état matrimonial était un motif analogue de discrimination.

 

[…]

 

Selon moi, une personne raisonnable, se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur estimerait que l'alinéa 5(2)b) de la Loi actuelle reflète une opinion désobligeante qui porte atteinte à la dignité du demandeur tout simplement parce qu'il est né « hors du mariage » . Le demandeur ne peut prétendre tenir la citoyenneté canadienne de son père canadien, un avantage dont bénéficient et profitent les personnes dans une situation semblable qui sont nées à l'extérieur du Canada avant le 15 février 1977 et dont les parents étaient mariés. En outre, l'avantage est refusé à cause du sexe de son père, puisqu'un père canadien non marié ne peut conférer sa citoyenneté à son enfant alors qu'une mère canadienne non mariée peut le faire.

 

L'alinéa 5(2)b) de la Loi actuelle est en cause en l'espèce. Aux termes de la disposition actuelle, l'enfant d'une mère canadienne qui n'aurait pas eu le droit d'avoir qualité de citoyen en vertu du sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi de 1970 peut réclamer la citoyenneté; toutefois, l'enfant d'un père canadien exclu en vertu du sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi de 1970 ne bénéficie pas du même avantage. Par conséquent, l'alinéa 5(2)b) de la Loi actuelle, tel qu'il est rédigé, viole le droit du demandeur au traitement égal de la loi, conformément à l'article 15 de la Charte.

 

[278]       Je ne vois aucune raison d’établir une distinction entre l’affaire Augier et la présente espèce. Les mêmes principes et considérations s’appliquent ici.

 

[279]       Les principes généraux régissant une analyse fondée sur l’article premier de la Charte ont  été énoncés à de nombreuses reprises depuis l’arrêt de principe Oakes, précité. Dans l’arrêt Benner, précité, le juge Iacobucci a fait référence à ces principes de la façon dont ils ont été reitérés dans Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, à la page 605 :

[…] L’atteinte à une garantie constitutionnelle sera validée à deux conditions.  Dans un premier temps, l’objectif de la loi doit se rapporter à des préoccupations urgentes et réelles.  Dans un deuxième temps, le moyen utilisé pour atteindre l’objectif législatif doit être raisonnable et doit pouvoir se justifier dans une société libre et démocratique.  Cette seconde condition appelle trois critères:  (1) la violation des droits doit avoir un lien rationnel avec l’objectif législatif; (2) la disposition contestée doit porter le moins possible atteinte au droit garanti par la Charte, et (3) il doit y avoir proportionnalité entre l’effet de la mesure et son objectif de sorte que l’atteinte au droit garanti ne l’emporte pas sur la réalisation de l’objectif législatif.  Dans le contexte de l’article premier, il incombe toujours au gouvernement de prouver selon la prépondérance des probabilités que la violation peut se justifier.

 

[280]       Dans Benner, la Cour suprême a conclu que les mesures législatives en question n’étaient pas conformes au premier volet de la deuxième condition – le lien rationnel – et par conséquent qu’elles n’étaient pas justifiées en vertu de l’article premier de la Charte. Plus particulièrement, la Cour suprême a déclaré que les alinéas 3(1)e) et 5(2)b) et l’article 22 de la Loi sur la citoyenneté actuelle, L.R.C., ch. C-29, de même que l’article 20 du Règlement sur la citoyenneté, C.R.C., ch. 400, ne constituaient pas une limite raisonnable prescrite par une règle de droit au sens de l’article premier de la Charte.

 

[281]       En l’espèce, le défendeur n’a pas essayé de justifier au regard de l’article premier de la Charte la différence de traitement découlant de l’application des alinéas 3(1)b), d) et e), et de l’article 8 de la Loi sur la citoyenneté actuelle.

 

[282]       Je ne vois aucun objectif se rapportant à des préoccupations suffisamment urgentes et réelles qui justifie de continuer de refuser le statut de citoyen à des personnes nées hors du mariage à l’extérieur du Canada avant le 15 février 1977. On n’a pas expliqué à la Cour pourquoi certaines dispositions seulement de la Loi sur la citoyenneté actuelle ont un aspect rétroactif. Si le législateur était prêt en 1977 à corriger rétroactivement la discrimination faite à l’encontre des femmes découlant d’un traitement discriminatoire passé fondé sur le sexe, je ne vois pas pourquoi il n’y aurait pas de raisons contraignantes de corriger l’injustice faite à « tous les enfants illégitimes » nés à l’étranger avant et après 1947 qui ne peuvent, par filiation, tenir leur citoyenneté canadienne de leur père naturel. À l’exception du fait qu’elle coïncide avec l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté actuelle, la date du 15 février 1977 semble tout à fait arbitraire.

 

[283]       Dans la mesure où le paragraphe 3(1), les alinéas 3(1)b), d) et e), et l’article  8 de la Loi sur la citoyenneté actuelle, quand ils sont lus de concert, autorisent le rejet de la demande d’attestation de la citoyenneté du demandeur au motif :

a)         que la citoyenneté d’un enfant né hors du mariage avant le 15 février 1977, à l’extérieur du Canada, ne peut provenir que de la mère de l’enfant, ou

 

b)         qu’il y a perte automatique de citoyenneté si une demande en vue de conserver sa citoyenneté n’a pas été faite par l’enfant né hors du mariage, avant le 15 février 1977 et à l’extérieur du Canada, entre l’âge de 21 et de 24 ans,

 

j’estime que ces dispositions contreviennent au paragraphe 15(1) de la Charte et ne sont pas justifiées au regard de l’article premier de la Charte.

XVI.    La conclusion

 

[284]       Pour les motifs ci-dessus, j’ai décidé d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. La décision contestée rendue par l’agente de la citoyenneté est infirmée. La Cour déclare que le demandeur est un citoyen canadien. La Cour ordonne au ministre de délivrer un certificat de citoyenneté canadienne au demandeur. Subsidiairement, la Cour déclare également que les dispositions législatives contestées sont inopérantes dans la mesure déjà indiquée dans les présents motifs. Les dépens sont adjugés à l’encontre du défendeur et en faveur du demandeur. Une ordonnance est rendue en conséquence.

 

« Luc Martineau »

Juge

Ottawa (Ontario)

le 1er septembre 2006

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.


NOTES

 

Note 1

 

La liste des immigrants indésirables énoncée dans la Loi de l’immigration de 1910 était longue. Elle dénote un certain nombre de stéréotypes. Les personnes dépeintes comme possédant des caractéristiques indésirables n’étaient pas les bienvenues au Canada, même pour un séjour temporaire et elles pouvaient toujours faire l’objet d’une détention ou d’une expulsion. Des groupes particulièrement vulnérables de personnes, comme « les idiots, imbéciles, faibles d’esprit, épileptiques, déments […] », « les immigrants qui sont muets, aveugles ou autrement affligés de quelque défaut physique » ou « les personnes d’une infériorité psychopathique de constitution » étaient exclus. Des jugements moraux étaient également à l’origine de l’exclusion de « personnes souffrant d’alcoolisme chronique », des « prostituées, femmes et filles qui viennent au Canada pour la prostitution […] » ou des « mendiants ou vagabonds de profession », pour ne citer que quelques exemples.

 

Un grand nombre des exclusions qui se trouvent dans la législation en matière d’immigration qui était en vigueur quand la Loi sur la citoyenneté de 1947 a été adoptée ne résisteraient pas à un examen fondé sur le paragraphe 15(1) de la Charte. Bon nombre de ces exclusions étaient basées sur des caractéristiques personnelles immuables. Elles dénotent une opinion déshonorante et préjudiciable de ces personnes d’une manière qui porte atteinte à la dignité humaine (voir Law, précité).

 

Il faut se rappeler que, dans les premières décennies du vingtième siècle, en plus de faire obstacle à l’immigration des personnes qui tombaient dans l’une des catégories refusées, la politique canadienne en matière d’immigration empêchait par règlement l’entrée de certaines catégories d’immigrants du fait de leur « nationalité ou race ». Ces exclusions discriminatoires étaient toujours en vigueur à la fin de la Seconde Guerre mondiale et ont été maintenues jusque dans les années 50 (voir Ninette Kelley et Michael Trebilcock, précité).

 

Note 2

 

Par exemple, les autorités de l’immigration refusaient systématiquement l’entrée au Canada aux « Orientaux d’une certaine classe », malgré le fait qu’ils aient pu être des « sujets britanniques ». En fait, la catégorie des exclusions réglementaires a été élargie dans les années 50 pour autoriser la prise de règlements visant l’interdiction des personnes du fait de leur [traduction] « nationalité, citoyenneté, groupe ethnique, profession, classe ou origine géographique », ou en limitant le nombre.

 

Dans l’arrêt Samejima v. The King, [1932] R.C.S. 640, à la page 642, le juge Duff a laissé entendre, dans une opinion incidente, que l’article 23 de la Loi de l’immigration de 1910, qui interdisait aux tribunaux de contrôler une mesure d’expulsion à moins que le demandeur soit un citoyen canadien ou qu’il ait un domicile au Canada, devait être interprété d’une manière qui ne privait pas de tout recours les sujets britanniques, qui n’étaient pas des citoyens canadiens, à l’égard d’actes arbitraires et non autorisés commis sous le prétexte d’exercer des pouvoir conférés par la Loi de l’immigration de 1910. À la page 342, le juge Duff écrit ceci :

[traduction]
Je crains fort que, trop souvent, le fait que ces lois sont, en pratique, utilisées le plus fréquemment à l’encontre d’Orientaux d’une certaine classe, a engendré un climat qui a obscurci leur véritable effet. Inutile de dire que ces lois sont également applicables aux Écossais. J’avoue être horrifié à la pensée que la liberté d’un sujet britannique puisse être exposée au fouillis qui, sous le nom d’instances juridiques, est illustré dans certains des dossiers qui ont incidemment été portés à notre attention.

 

Comme on peut le voir, bien que les tribunaux aient pu être autorisés à examiner la légalité des mesures d’expulsion prises contre des sujets britanniques, cela ne les autorisait aucunement à infirmer une mesure d’expulsion au motif qu’elle était discriminatoire. Tant et aussi longtemps que l’exclusion discriminatoire d’un immigrant (qu’il ait été sujet britannique ou non) était autorisée par une loi ou un règlement, les tribunaux étaient obligés de confirmer la légalité de l’ordonnance d’expulsion. Par exemple, la légalité d’une ordonnance d’expulsion prise en 1953 par un enquêteur spécial nommé en vertu de la  Loi sur l’immigration, S.R.C. 1952, ch. 325, à l’encontre de deux sujets britanniques nés à Trinidad (leurs parents et grand-parents étaient également nés à Trinidad) a par la suite été confirmée par la Cour suprême du Canada au motif que les appelants tombaient sous le coup du Règlement sur l’immigration, [1953] D.O.R.S. 536, qui interdisait l’entrée au Canada de [traduction] « tout Asiatique en raison de son origine ethnique » en l’espèce un ressortissant des « Indes orientales » (Narine-Singh c. Canada (Procureur général), [1954] O.R. 784 (C.A.), confirmé à [1955] R.C.S. 395).

 

Il ne fait aucun doute que l’adoption par le Parlement de la Déclaration des droits en 1960 a accéléré et forcé la révision de ces lois et règlements discriminatoires.

 

 

Note 3

 

La situation du demandeur n’est ni unique ni exceptionnelle. Dans sa contribution à l’ouvrage Voices of the Left Behind, précité, aux pages 113 à 115, Melynda Jarrat écrit ceci :

[traduction]
En mars 1947, la Direction du rapatriement du ministère canadien de
la Défense nationale signalait avec optimisme que, quand toutes les 48 000 épouses de guerre et leurs enfants auraient été amenés au Canada, le nombre total de personnes à la charge des militaires pourrait très bien dépasser les 70 000.

 

Ce que ces chiffres ne nous disent pas, cependant, c’est que ces 48 000 mariages entre des militaires canadiens et leurs épouses de guerre ne se sont pas tous poursuivis dans des circonstances idylliques, une fois au Canada. En février 1947, le programme de transport des épouses de guerre tirait à sa fin et près de 10 pour cent, soit 4 500 épouses de guerre, avaient décidé de ne pas venir au Canada, malgré les offres de transport gratuit faites par le Bureau des épouses canadiennes à Londres et sur le continent.

 

[…]

 

D’autres femmes et d’autres enfants sont en fait venus au Canada à bord des navires réservés aux épouses de guerre, mais leur mariage n’a pas résisté à la réalité de la vie au Canada. Elles ont fait la part du feu et, sans la participation du gouvernement canadien, sont rentrées chez elles avec les enfants dès qu’elles ont pu le faire. Elles font partie d’un groupe pour qui l’incompatibilité, la pauvreté et l’alcoolisme étaient le lot commun, et l’on peut dire que ces femmes ont fait le bon choix pour leurs enfants parce que leur vie était bien meilleure chez elles.

 

Nous ne saurons jamais combien de femmes sont retournées en Grande-Bretagne et en Europe après être venues au Canada en tant qu’épouses de guerre. Une fois que l’urgence créée par la guerre fût réglée, les autorités de l’immigration n’ont plus considéré ces femmes comme un groupe distinct, de sorte qu’elles se sont fondues dans les statistiques de l’émigration. Nous ne pouvons qu’imaginer combien d’épouses de guerre qui se sont retrouvées dans la misère au Canada auraient aimé rentrer chez elles, mais n’ont pu le faire parce qu’elles n’ont reçu aucune aide du gouvernement canadien et qu’elles n’avaient pas les  ressources financières pour payer leur billet de retour.

 

 

Note 4

 

Ici encore, je renvoie à l’article du professeur Kaplan, précité, aux pages 248 et 249 :

[traduction]
Bien que la « citoyenneté » décrive un statut qui peut être conféré à une personne, la « nationalité » s’entend de l’appartenance à une « nation ». Ce dernier terme en est venu à être défini non pas uniquement comme une entité politique, mais aussi comme une entité ethnologique et sociologique. Avant les révolutions française et américaine, les liens entre un particulier et l’État prenaient généralement la forme d’un serment personnel d’allégeance entre le souverain et le sujet. Les révolutions française et américaine ont permis d’élaborer des formes de gouvernement républicain qui découlaient en fin de compte des notions d’allégeance de Locke. Les théories de Locke mettaient l’accent sur le fait que la relation entre le peuple et son gouvernement était consensuelle et contractuelle.

 

De la même façon que les révolutions française et américaine ont ravivé le concept de citoyenneté, elles ont également introduit l’idée que les personnes qui avaient une langue et une culture communes formaient une nation. Il s’ensuit qu’il fallait reconnaître à une telle nation le droit à l’autodétermination et à l’indépendance. L’État en est venu à être identifié à la nation, et les individus appartenant à la nation devaient allégeance à l’État : Ainsi, avec l’avènement de l’État-nation et l’émergence de l’idée que ceux qui vivaient à l’intérieur de ses frontières étaient membres d’une « communauté imaginée » ayant des intérêts collectifs enracinés dans un héritage commun, la possession de caractéristiques communes et l’universalisation des droits politiques, la dichotomie entre les ressortissants et les étrangers s’est développée. Les ressortissants, en tant que citoyens, étaient considérés comme ayant le droit de résider dans le pays et de participer aux activités politiques de l’État-nation, alors que les étrangers ne pouvaient entrer dans le pays qu’avec la permission de l’État qui assumait la souveraineté à l’égard de la nation.

 

Par conséquent, la nationalité, à la fois en tant qu’idéal juridique et en tant qu’idéal politique, est d’origine moderne, tout comme l’utilisation synonyme des termes « citoyenneté » et « nationalité ». En fait, quand ils voyagent à l’étranger, les citoyens sont désignés par le terme « ressortissants ». Bien que la « citoyenneté » et la « nationalité » soient utilisés de façon interchangeable, ils peuvent signifier des choses différentes et décrire un statut très différent. Aux États-Unis, par exemple, tous les citoyens sont des ressortissants américains, mais certains ressortissants américains, comme les personnes nées dans les îles Samoa américaines, ne sont pas des citoyens. Avant la guerre de Sécession, de nombreux ressortissants américains, en particulier les esclaves, n’étaient pas des citoyens. Les exemples provenant d’autres contextes nationaux sont innombrables.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

Note 5

 

La législation britannique en matière de nationalité et de citoyenneté remonte au Moyen‑Âge. En droit anglais, il y a toujours eu une distinction entre les « sujets » et les « non-sujets » du Roi ou de la Reine. Tous les non-sujets sont considérés comme des « étrangers ». Qui plus est, dans le système féodal, l’individu ne naît pas « libre ». Son rapport au souverain est un rapport personnel. On peut dire que, à cet égard, tous les sujets doivent « témoigner leur gratitude » à leur souverain pour la protection qu’il leur offre pendant leur minorité.

 

Note 6

 

Après la « conquête » anglaise, le premier événement important à se produire au pays dans la législation en matière de nationalité a été l’adoption d’une disposition dans le traité d’Utrecht de 1713, selon laquelle dès la restitution ou la cession de la Nouvelle-Écosse et la cession de Terre-Neuve par la France, les sujets français avaient un an pour se retirer en emportant leurs biens meubles. Ceux qui demeureraient dans les territoires visés étaient libres de pratiquer leur foi catholique romaine dans la mesure permise par le droit de la Grande-Bretagne. Quand le Roi d’Angleterre est devenu Roi du Canada, les personnes nées au Canada sont devenues ses sujets. Le traité de Paris, en 1763, prévoyait la cession du Canada à la Grande-Bretagne, de même que la cession de tous les droits sur les habitants de la colonie, ainsi que la possibilité pour tous les habitants de se retirer dans un délai de 18 mois. Par la suite, c’est le droit anglais (et non pas le droit français) qui a régi les questions de nationalité.

 

Note 7

 

En 1763, les vainqueurs britanniques se sont rapidement acquittés de leurs obligations à l’égard des Premières nations alliées. Chaque Première nation avait son propre territoire et son propre système de gouvernement. Les habitants avaient leurs propres droits et responsabilités en matière d’allégeance. La Proclamation royale de 1763 établissait une politique officielle pour la reddition des terres. Cette politique interdisait aux coloniaux d’acheter des terres autochtones à l’Ouest ou de s’y établir sans « autorisation et permis spécial » de la Couronne. On a laissé entendre que ce document comportait de façon implicite l’idée que, bien que les Premières nations aient été sous la protection de la Couronne britannique, leurs « citoyens » ne figuraient pas au nombre des sujets du souverain (voir Darlene Johnston, « First Nations and Canadian Citizenship » dans William Kaplan, éd. Belonging: The Meaning and Future of Canadian Citizenship (Montréal et Kingston : McGill-Queen’s University Press, 1993) 349, à la page 352).

 

Au Canada, les membres des Premières nations se trouvent dans une situation unique en raison des textes constitutionnels et légaux concurrents et, par conséquent, ils ont été traités de manière différente. Je note qu’à cet égard les « Indiens » et « Esquimaux » n’étaient pas « citoyens » jusqu’à l’adoption, en 1956, d’une modification à la Loi sur la citoyenneté de 1947 visant à les inclure dans la catégorie des « citoyens canadiens autres que les citoyens canadiens de naissance », pourvu qu’ils aient eu un domicile au Canada le 1er janvier 1947 et qu’ils aient résidé au Canada depuis plus de 10 ans le 1er janvier 1956 (voir la Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1956, ch. 6).

 

Note 8

 

À cette époque, il y avait une distinction entre (1) les lois « reçues » (et la common law), qui s’appliquaient dans une colonie du fait de l’établissement, de la conquête ou de l’adoption, et (2) les lois impériales, qui s’appliquaient dans une colonie de leur propre chef (voir Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 4e éd. (Toronto: Carswell, 1997) ch. 2). L’article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867 prorogeait les lois antérieures à la Confédération qui étaient en vigueur dans les provinces unies, et elle donnait au gouvernement fédéral ou aux législatures provinciales (selon le palier de gouvernement compétent) le pouvoir d’abroger, d’abolir ou de modifier ces lois.

 

            Ces restrictions coloniales ont maintenant disparu, par convention sinon du fait de la loi, lorsque l’Empire britannique est devenu le Commonwealth, et que les colonies sont devenues des États indépendants au sein du Commonwealth. En fait, la souveraineté du Canada a été acquise au cours de la période entre le moment où il a apposé sa propre signature au traité de Versailles en 1915 et le statut de Westminster en 1931 (voir Reference Re : Ownership of Off Shore Mineral Rights (British Columbia), [1967] R.C.S. 792, à la page 816). Dans cet intervalle, le Canada a obtenu le droit d’être un membre de la Société des nations (1919), et s’est vu reconnaître le statut d’égalité dans la Déclaration Balfour (1926) (voir Peter W. Hogg, précité, au ch. 3).

 

Note 9

 

Le professeur Galloway prétend que cela suppose que, du point de vue canadien, il était important d’avoir au moins l’apparence de disposer du pouvoir sur toutes les questions ayant trait à la nationalité et à la citoyenneté. La raison la plus plausible qui explique qu’on ait voulu projeter cette image est que le gouvernement canadien estimait qu’il était utile de créer un élan qui lui permettrait d’acquérir son indépendance du Royaume-Uni (voir Galloway, précité, à la page 213).

 

Note 10

 

La Loi sur la naturalisation de 1881 édictait qu’une femme mariée et un enfant de moins de 21 ans ne pouvaient personnellement demander la naturalisation étant donné qu’ils étaient frappés d’incapacité en vertu de la loi. Elle précisait que la femme d’un sujet britannique était sujet britannique et que la femme d’un étranger était une étrangère. Par conséquent, une femme devenait automatiquement sujet britannique dès que son époux acquérait le statut de sujet britannique. De même, une femme devenait étrangère lors de son mariage à un étranger ou à la date à laquelle son époux cessait d’être un sujet britannique.

 

La Loi sur la naturalisation de 1914 prévoyait qu’une personne pouvait être naturalisée après trois années de résidence au Canada à compter de la date de son entrée en tant qu’immigrant reçu, si elle n’était pas frappée d’incapacité. Cette période de trois ans a été portée à cinq ans le 6 juin 1919. Une femme mariée ou un enfant de moins de 21 ans étaient considérés comme incapables. La Loi de naturalisation de 1914 précisait que le nom de la femme devait être  inscrit au verso du certificat de naturalisation de son époux. Toutefois, même si le nom de l’épouse n’y figurait pas, elle acquérait le statut de sujet britannique si le certificat avait été accordé avant le 15 janvier 1932.

 

Le 15 janvier 1932, une modification à la Loi de naturalisation de 1914 concernant les épouses est entrée en vigueur. Les épouses n’obtenaient plus automatiquement le statut de leur époux, que ce soit le statut de sujet britannique ou d’étranger. À compter du 15 janvier 1932, si l’époux obtenait la naturalisation, son épouse devait déposer une déclaration dans laquelle elle exprimait le désir de devenir sujet britannique. Elle acquérait ce statut de sujet britannique en prêtant le serment d’allégeance. Une épouse demeurait une étrangère si elle ne respectait pas cette condition.

 

Pour résumer, une étrangère qui devenait sujet britannique en vertu de l’une des différentes lois de naturalisation en vigueur au Canada avant le 1er janvier 1947 devenait automatiquement sujet britannique si son époux était Britannique au moment du mariage. Une femme britannique qui avait épousé un étranger avant le 15 janvier 1932 devenait automatiquement étrangère au moment du mariage. Une femme britannique qui épousait un étranger le ou après le 15 janvier 1932 ne devenait étrangère que si, au moment du mariage, elle acquérait automatiquement la nationalité étrangère de son époux.

 


Note 11

 

Un enfant était automatiquement réputé être inclus dans le statut de naturalisation de son père s’il était entré au Canada avant le 1er janvier 1915,  y avait établi sa  résidence avec son père et était âgé de moins de 21 ans au moment de la naturalisation.

 

Après 1914, le nom d’un enfant mineur résidant avec son père quand celui-ci demandait la naturalisation était inscrit au verso du certificat. Le père devait demander que le nom de son enfant soit ajouté à son certificat si le nom de cet enfant avait été omis parce qu’il était entré au Canada après la date de la demande de naturalisation présentée par le père.

 

Note 12

 

La question de savoir si la Legitimacy Act, 1926 était applicable au Canada est devenue théorique. Je note que la restriction ayant trait aux lois impériales définies par la Colonial Laws Validity Act, 1865 (R.-U.), 28 et 29 Vict., ch. 63, a continué de s’appliquer aux dominions jusqu’à l’adoption du Statute of Westminster, 1931 (R.-U.), 22 Geo V, ch. 4 (le Statut de Westminster). En fait, en 1926, le Conseil privé a annulé une loi fédérale de 1888 (cette loi avait pour but d’abolir les appels au Conseil privé dans les causes criminelles), au motif que la loi outrepassait le pouvoir législatif canadien du fait qu’elle avait un effet extra-territorial et qu’elle était incompatible avec deux lois impériales (R. v. Nadan, [1926] 2 D.L.R. 177 (C.P.).

 

 

Note 13

 

Comme le note Parry, précité, aux pages 466 et 467 :

[traduction]
Le projet de loi touchait aussi inévitablement le reste du Commonwealth. Il pouvait déclarer qu’un citoyen canadien était un sujet britannique. Mais il ne pouvait pas édicter qu’un tel citoyen était un sujet britannique assujetti à l’ancienne common law du Commonwealth, et ainsi au droit de toute autre partie du Commonwealth en particulier, sauf par l’énoncé d’une condition négative. Il n’en restait pas moins que, immédiatement après l’adoption du projet de loi, une personne née au Canada était un sujet britannique, par exemple, au Royaume-Uni. Toutefois, cela découlait, non pas de la disposition canadienne selon laquelle il était un citoyen canadien et donc un sujet britannique, mais du fait que le Canada était et demeurait sous l’allégeance de
la Couronne, de sorte que le fait de naître au Canada entraînait l’acquisition du statut de sujet selon le droit du Royaume-Uni. Quant à la disposition concernant l’octroi d’un certificat de citoyenneté à un étranger après cinq années de résidence et moyennant le respect de certaines autres conditions, on ne s’éloignait pas de façon importante des conditions du régime de naturalisation impériale normalisé, mais cela ne pouvait avoir aucun effet ailleurs qu’au Canada, tout simplement parce que cela n’équivalait pas au fait d’être naturalisé par les autorités impériales.

 

Note 14

 

            À la suite de la Conférence de paix de 1919 à Paris, les pays participants, y compris le Canada, ont accepté de créer une Cour de justice internationale après l’établissement de la « Société des Nations ». Mais la Société n’est jamais parvenue à exercer un rôle dynamique et n’a pas réussi à empêcher l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale en 1939. La Société a été officiellement dissoute en 1946 (voir Margaret Macmillan, Paris 1919: Six Months that Changed the World (Random House : 2003), aux pages 83 à 97).

Cela dit, en vertu de la loi établissant cette Cour, chaque membre de la Société des Nations avait le droit de nommer deux de ses « ressortissants » comme candidats aux postes de juges, mais pas plus d’un membre d’une « nationalité » particulière ne pouvait être élu. L’une des raisons qui expliquent l’utilisation du mot « ressortissant » plutôt que du mot « citoyen » dans la Loi des ressortissants du Canada, se trouve dans le fait que, dans la loi en question, le terme « ressortissant » désignait une personne, qu’elle soit sujet ou citoyen, qui faisait partie du peuple d’un membre de la Société (voir Les débats de la Chambre des communes (8 mars 1921), à la page 661 (l’hon. Charles Joseph Doherty)).

 

Note 15

 

            Il faut se rappeler qu’avant 1932 la nationalité des femmes mariées suivait celle de leur époux, que ce dernier soit au moment du mariage un sujet britannique ou un étranger (voir Note 10, ci-dessus). Il n’est donc pas surprenant de constater que l’alinéa 2b) de la Loi des ressortissants du Canada stipule que l’épouse d’un citoyen canadien était également un ressortissant canadien.

 

Note 16

 

Le début de l’alinéa 2c) de la Loi des ressortissants du Canada (« Toute personne née en dehors du Canada […] ») laisse entendre que cette disposition s’applique non seulement dans les pays du Commonwealth ou dans les colonies britanniques, mais partout ailleurs dans le monde. Qui plus est, dans la formulation utilisée par le législateur, aucune distinction n’est faite entre un enfant né dans les « liens du mariage » et « hors du mariage ».

Note 17

 

            Dans ses prétentions écrites, le demandeur prétend que le passeport rouge était destiné aux « Canadiens ayant un domicile dans le pays » et le passeport bleu aux « Canadiens de naissance ». Je ne tire aucune conclusion sur ce point, mais il me semble plus probable que le passeport bleu était destiné à « tous les citoyens nés en Grande-Bretagne » (qu’ils soient ou non nés ou qu’ils soient ou non domiciliés au Canada) et que le passeport rouge était délivré aux sujets ou citoyens britanniques naturalisés (voir le site Internet de Passeport Canada, précité).

 

Note 18

 

En exigeant d’un sujet britannique né à l’extérieur du Canada qu’il réside au Canada pendant cinq ans comme condition préalable à l’octroi de la « citoyenneté » (dans le nouveau sens de ce terme), la Loi sur la citoyenneté de 1947 perpétuait tout simplement les conditions énoncées dans la Loi de l’immigration de 1910 qui exigeaient qu’une personne ait résidé au Canada pendant au moins cinq ans après y être entrée avant de pouvoir acquérir le  « domicile canadien ».

 

Cela dit, la Loi sur la citoyenneté de 1947 apportait néanmoins un changement important. Comme le note Parry, précité, à la page 466 :

 

[traduction]

[…] En vertu du droit antérieur, une fois qu’un sujet britannique était légalement entré au Canada, il n’avait qu’à laisser le temps s’écouler et à s’abstenir de toute activité pouvant l’exposer à l’expulsion, et dans les cinq années suivantes il acquérait automatiquement le droit de revenir au pays s’il s’en absentait. Mais en vertu de la nouvelle loi, même s’il pouvait dans le même délai acquérir la citoyenneté, et donc le même droit, il ne pouvait le faire qu’en vertu d’un pouvoir discrétionnaire : il était dans la même situation que l’étranger et donc dans la position d’avoir à demander ce qui était en fait la naturalisation. En outre, même en présumant que le pouvoir discrétionnaire exécutif soit exercé en sa faveur et que la citoyenneté lui soit accordée, il demeurait susceptible de voir sa citoyenneté révoquée pour, notamment, le même type d’infraction qui l’aurait auparavant simplement empêché d’acquérir son domicile canadien.

 

[…]

 

(Non souligné dans l’original.)

 

Note 19

 

Je présumerai pour le moment que le demandeur est un citoyen canadien de naissance aux termes de l’alinéa 4b) de la Loi sur la citoyenneté de 1947. (Il faut se souvenir que cette disposition refuse la citoyenneté canadienne à un enfant né hors du mariage à l’extérieur du Canada avant 1947 d’une mère qui n’était pas née au Canada (ou à bord d’un navire canadien) ou qui n’était pas un sujet britannique ayant un domicile canadien au moment de la naissance de cette personne.) Il est clair qu’en vertu de l’article 6 de la Loi sur la citoyenneté de 1947, le demandeur ne serait pas tenu d’affirmer sa citoyenneté canadienne en faisant une déclaration de rétention. Premièrement, quand le demandeur est arrivé au Canada en juillet 1946, il n’avait pas encore deux ans et il était toujours mineur. Deuxièmement, dès l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté de 1947, le demandeur avait déjà été légalement admis avec sa mère au Canada en vertu du pouvoir de l’arrêté en conseil C.P. 858, qui les considérait tous deux comme des « citoyens canadiens » pour les fins de la loi canadienne en matière d’immigration.

 

Note 20

 

            Voir le paragraphe 2(2) de la Loi de 1953 modifiant la Loi sur la citoyenneté. Toutefois, bien que cette disposition soit rétroactive au 1er janvier 1947, elle prévoit que toute déclaration de rétention de la citoyenneté canadienne qui a été déposée aux termes de l’article 6 de la Loi sur la citoyenneté de 1947 par une personne qui était un citoyen canadien en vertu de l’alinéa 4b) de la Loi sur la citoyenneté de 1947 avait le même effet que si elle avait été déposée en vertu de l’article 2 de la Loi de 1953 modifiant la Loi sur la citoyenneté.

 

Note 21

 

L’agente de la citoyenneté écrit ceci dans sa décision :

                        [traduction]

[…]

 

Les renseignements et les documents que vous avez déposés ont été soigneusement examinés et j’ai le profond regret de vous informer que nous n’avons pas été en mesure d’établir que vous êtes véritablement un citoyen canadien.

 

Je dois préciser que le statut de citoyen canadien d’une personne doit être établi en se fondant sur la législation en matière de citoyenneté et que cela n’est pas une question discrétionnaire.

 

La première Loi sur la citoyenneté du Canada, adoptée en 1947, prévoyait qu’une personne née en dehors du Canada avant cette date pouvait prétendre à la citoyenneté canadienne si certaines conditions étaient respectées. Un enfant né dans les liens du mariage pouvait tenir sa citoyenneté de son père canadien; s’il était né hors du mariage, la citoyenneté ne pouvait lui venir que de sa mère.

 

Après avoir examiné le certificat de mariage de vos parents, qui est daté du 5 mai 1945, il est devenu évident que toute prétention à la citoyenneté devrait se fonder sur le statut de citoyenneté de votre mère au moment de votre naissance le 8 décembre 1944. Malheureusement, comme votre mère n’est pas née au Canada et que rien n’indique qu’elle résidait au Canada avant votre naissance, je regrette de ne pouvoir faire droit à votre prétention à la citoyenneté canadienne.

 

 

[…]

 

Note 22

 

            Je note que les affaires Bell et Kelly traitent toutes deux de la validité d’une ordonnance d’expulsion délivrée contre une personne (dont le statut de citoyen ne peut provenir que de la mère parce que cette personne est née « hors du mariage » avant le 15 février 1977). La question juridique soulevée dans la présente instance n’a pas été soumise à la Cour d’appel fédérale ni à la Cour fédérale dans ces causes respectives. Dans l’arrêt Bell, la Cour d’appel fédérale a déterminé que les conditions énoncées à l’alinéa 3(1)e) de la Loi sur la citoyenneté actuelle n’avaient pas été respectées parce que le défendeur n’était pas visé par le texte de l’alinéa 5(1)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1970. Alors que l’arrêt Kelly traitait d’un « enfant de la guerre » né en 1941 en Angleterre, il semble qu’on n’ait pas demandé au juge Dubé d’examiner l’applicabilité et les effets de l’arrêté en conseil C.P. 858. Par conséquent, je conclus que je ne suis lié par aucune de ces décisions.

 

 

Note 23

 

Dans l’affaire Dubey, précitée, décidée en 2002, le juge Nadon a reconnu que l’alinéa 3(1)d) de la Loi sur la citoyenneté actuelle ne permet pas aux personnes nées à l’étranger d’une mère canadienne, avant 1947, d’acquérir la citoyenneté  (Dubey, précité, paragraphes 20 et 27). Toutefois, ce genre d’injustice ou de traitement discriminatoire a été institué en premier lieu par la Loi sur la citoyenneté de 1947. Étant donné que la Loi sur la citoyenneté actuelle adoptée en 1977 n’a pas remédié à « l’injustice » résultant de la Loi sur la citoyenneté de 1947, à son avis, c’est cette dernière loi qui empêchait les demandeurs dans cette cause d’obtenir la citoyenneté canadienne.

 

Dans l’affaire Wilson, précitée, décidée en 2003, le juge Harrington a conclu qu’il y avait « discrimination » dans ce cas : « Il est évident que le droit à la citoyenneté par son père et non par sa mère, à moins d’être une personne née hors du mariage, comme le prévoyait la Loi de 1914, la Loi de 1947 et la loi de 1970, viole l’article 15 de la Charte. » (Wilson, précité, au paragraphe 19). Toutefois, le juge Harrington note que « [t]outes ces lois ont été abrogées bien avant l’entrée en vigueur de l’article 15 » (ibid). De l’avis du juge Harrington, la Loi sur la citoyenneté actuelle adoptée in 1977 « a fait une rupture dans le lien de causalité entraînant que ce que M. Wilson demande en fait c’est de corriger un événement passé. » (Wilson, précité, au paragraphe 25). À cet égard, le juge Harrington a adopté l’opinion du juge Nadon, dans Dubey et a conclu que : « [é]tant donné que la Loi de 1977 ne traite pas des personnes comme M. Wilson qui sont nées en 1946, cette loi n’a pas repris de dispositions législatives discriminatoires qui auraient eu à être appréciées au regard de la Charte » (voir Wilson, précité, au paragraphe  26).

 

Note 24

 

Dans l’affaire Crease, le demandeur, M. Robert Crease, est né au Venezuela en 1943. Sa mère était née à Toronto en 1904 mais elle avait quitté le Canada en 1932, après avoir épousé le père du demandeur, un sujet britannique, et être partie pour le Venezuela avec lui. En 1979, le demandeur a déposé auprès du ministre une demande pour obtenir la citoyenneté canadienne aux termes de l’alinéa 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1977. À la suite du refus du ministre, il a intenté une action dans laquelle il réclamait une déclaration attestant qu’il était admissible à la citoyenneté canadienne aux termes de l’alinéa 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1977. Sa demande a été refusée au motif que « l’expression “ citoyen canadien ” n’existait pas [au moment de sa naissance en 1943] ». Dans la situation de M. Crease, sa mère était sujet britannique et non « citoyenne canadienne ». En l’espèce, le défendeur fait valoir la même proposition. Toutefois, contrairement aux arrêts Crease et Benner, le dossier de la preuve en l’espèce autorise en fait la présente Cour à évaluer, dans un contexte factuel et juridique approprié, la proposition du défendeur au vu des définitions des expressions « citoyen canadien » et « ressortissant canadien » que l’on retrouve respectivement dans la Loi de l’immigration de 1910 et dans la Loi des ressortissants du Canada.

 

Cela dit, dans Crease, précité, au paragraphe 48, le juge Wetston a accepté l’argument du défendeur selon lequel la discrimination présumée s’était dans ce cas « cristallisée » à la date de la naissance de M. Crease :

La Cour estime que le plus important dans l'application de l'alinéa 5(2)b), c'est de savoir si la mère de M. Crease avait qualité de citoyen à la naissance de celui-ci. Puisque la citoyenneté canadienne n'existait pas avant 1947, l'alinéa 5(2)b) se rapporte à l'événement et, de ce fait, l'application du paragraphe 15(1) aux faits de la cause serait rétroactive.

À mon avis, le raisonnement soutenu dans la décision rendue par le juge Wetston dans Crease est discutable aujourd’hui à la fois pour ce qui est de la question du caractère rétrospectif de la Charte et de la violation de l’article 15 de la Charte. Au sujet de la première question, le juge Wetston note ceci, au paragraphe 66 :

Il n'y a pratiquement aucune preuve produite devant la Cour au sujet de la politique fondamentale qui présidait à l'adoption de la Loi en 1947. La Cour n'est donc pas en mesure de déterminer le but visé par le législateur en 1947 lorsqu'il décida de réserver un traitement différent aux personnes nées de mère canadienne [sic] avant cette date à l'étranger, but que poursuit toujours l'alinéa 5(2)b) de la Loi.

 

En plus, comme on l’a déjà dit, la Cour suprême du Canada a décidé dans Benner que la disposition contestée contrevenait à la disposition relative aux droits à l’égalité.

 

Note 25

 

Je note que dans l’arrêt Dubey, précité, le juge Nadon s’est appuyé sur les observations du juge Létourneau dans Benner (C.A.), précité, aux paragraphes 52 à 55. Le juge Nadon était d’avis que certaines des observations du juge Létourneau demeuraient valides malgré le fait que la Cour suprême du Canada a finalement infirmé le jugement de la Cour d’appel. Je préfère m’appuyer sur l’analyse faite par le juge Iacobucci dans Benner.

 

Note 26

 

Dans la décision Veleta, précité, la juge Mactavish a noté à cet égard ce qui suit aux paragraphes 68 à 74 :

Dans cette affaire, les demandeurs se sont vu refuser la citoyenneté canadienne en vertu de l'alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté actuelle.

 

Contrairement aux dispositions législatives en cause dans Benner et Augier, l'alinéa 3(1)b) n'établit aucune distinction fondée sur l'état matrimonial des parents d'un demandeur. Dans ce cas, les demandeurs se sont vu refuser les certificats de citoyenneté, non pas parce que leur grand-père était né hors du mariage, mais parce qu'ils étaient nés hors du Canada et que ni l'un ni l'autre de leurs parents n'était citoyen canadien.

 

Même si je ne cherche d'aucune manière à minimiser la discrimination à laquelle les personnes nées hors du mariage se sont heurtées au cours de la première moitié du siècle dernier, le fait est que les demandeurs cherchent à obtenir en l'espèce le redressement d'un tort commis dans le passé, lequel s'est produit bien avant l'entrée en vigueur de l'article 15 de la Charte.

 

En effet, les dispositions de la Loi de naturalisation de 1914 constituent la source réelle de la discrimination en cause en l'espèce. Elles ont empêché David Giesbrecht de devenir un sujet britannique. Cela a eu pour effet de lui donner le statut d'étranger lorsque la Loi sur la citoyenneté de 1947 est entrée en vigueur et de lui refuser ainsi la citoyenneté canadienne.

 

En l'espèce, les demandeurs cherchent non seulement à donner à la Charte un effet rétrospectif mais également à lui donner un effet rétroactif. En d'autres termes, ils cherchent à changer les conséquences passées des dispositions législatives abrogées, de manière à conférer ex post facto la citoyenneté canadienne à David Giesbrecht. La Charte ne s'applique pas rétroactivement : voir Benner, au paragraphe 40, et Mack.

 

Comme la Cour d'appel de l'Ontario l'a mentionné dans Mack, les effets négatifs de la discrimination peuvent se faire sentir pendant des générations. Cela ne signifie pas toutefois que les descendants des victimes de discrimination par le passé ont droit à une réparation fondée sur l'article 15, lorsque cette réparation dépend d'une application rétroactive de la Charte.

 

Par conséquent, j'estime que l'article 15 de la Charte n'aide pas les demandeurs.

 

 

Note 27

 

Par exemple, le juge Rand de la Cour suprême du Canada a affirmé que le fait d’être un « citoyen » supposait qu’une personne était en mesure d’exercer les libertés et droits fondamentaux de la personne dans toutes les parties du pays (voir Ronald R. Price, « Mr. Justice Rand and the Privileges and Immunities of Canadian Citizens » (1958) 16 U. T. Fac. L. Rev. 16). Il avait déjà identifié le droit à la libre expression et la liberté de circulation comme étant des éléments constituants du statut de « citoyen ». Par conséquent, toute tentative ayant pour but de réduire ces droits constituerait une atteinte au statut de citoyenneté lui-même et outrepasserait donc les pouvoirs des provinces (voir Galloway, précité, à la page 221).

 

Note 28

 

Dans l’arrêt Benner, le juge Iacobucci a adopté la méthode exposée par la juge McLachlin dans Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, à la page 485. À cet égard, le juge Iacobucci écrit ceci au paragraphe 60 :

L’analyse fondée sur le par. 15(1) comporte deux étapes.  Premièrement, le demandeur doit démontrer qu’il y a eu négation de son droit «à la même protection» ou «au même bénéfice» de la loi qu’une autre personne.  Deuxièmement, le demandeur doit démontrer que cette négation constitue une discrimination.  À cette seconde étape, pour établir qu’il y a discrimination, le demandeur doit prouver que la négation repose sur l’un des motifs de discrimination énumérés au par. 15(1) ou sur un motif analogue et que le traitement inégal est fondé sur l’application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1024-05

 

 

INTITULÉ :                                       Joseph Taylor c. Le ministre de la Citoyenneté

                                                            et de l’Immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B.)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 30 mai 2006

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Martineau

 

 

DATE DES MOTIFS :                      le 1er septembre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rory Morahan

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Peter Bell

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Morahan and Company

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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