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Dossier : 2021-1679(IT)I

ENTRE :

JEAN-MARIE ROBILLARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[traduction française officielle]

 

Appel entendu le 30 mai 2024 à Montréal (Québec) et motifs du jugement rendu oralement par téléconférence le 17 juin 2024 à Ottawa (Ontario)

Devant : l’honorable juge Guy R. Smith


Comparutions :

Pour l’appelant :

Richard Venor

Avocat de l’intimé :

Me Simon Dufour

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement rendus oralement par téléconférence le 17 juin 2024, l’appel d’une nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard des années d’imposition 2016 et 2017, est par les présentes accueilli et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour réexamen et nouvelle cotisation au motif que l’appelant a droit à une déduction pour les montants payés à Fernand Doucet pour les années d’imposition 2016 et 2017. Aucuns dépens ne seront adjugés.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 17e jour de juin 2024.

« Guy R. Smith »

Le juge Smith

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de juin 2024.

Liette Girard, traductrice


Référence : 2024 CCI 90

Date : 20240617

Dossier : 2021-1679(IT)I

ENTRE :

JEAN-MARIE ROBILLARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé

[traduction française officielle]


TRANSCRIPTION DES MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Smith

I – Aperçu

[1] Je vais maintenant exposer mes motifs du jugement dans la présente affaire.

[2] Jean-Marie Robillard, l’appelant dans la présente procédure, interjette appel d’une nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») relativement aux années d’imposition 2016 et 2017, dans laquelle certaines dépenses d’emploi ont été refusées.

[3] L’appelant a réclamé des dépenses en vertu de l’alinéa 8(1)f) de la Loi qui permet à un employé rémunéré à la commission de déduire des dépenses si celles-ci étaient requises par le contrat de travail afin de gagner un revenu de commissions. Le ministre du Revenu national a autorisé des frais afférents à un véhicule à moteur, mais a refusé des dépenses de 25 748 $ et de 24 559 $ pour les années d’imposition 2016 et 2017, respectivement.

[4] Le ministre s’est appuyé sur un certain nombre d’hypothèses de fait que je résumerai comme suit :

  • a)L’appelant détenait 49 % des actions d’une compagnie connue sous le nom d’Entreprises Larry Chauffage Gaz Naturel Inc. Il était également dirigeant et administrateur de cette compagnie ainsi qu’employé;

  • b)Pour l’année d’imposition 2016, l’appelant a déclaré un revenu d’emploi total de 80 110 $, dont une somme de 32 500 $ à titre de revenu de commissions;

  • c)Pour l’année d’imposition 2017, l’appelant a déclaré un revenu d’emploi total de 90 516 $, dont une somme de 35 500 $ à titre de revenu de commissions;

  • d)Sur les dépenses d’emploi réclamées par l’appelant, la somme de 20 000 $ aurait été versée à Liette Robillard pour chacune des années d’imposition 2016 et 2017 n’a pas été engagée par l’appelant. De plus, les sommes de 5 748 $ et 4 599 $ qui auraient été versées à Fernand Doucet pour les années d’imposition 2016 et 2017 respectivement n’ont pas été engagées par l’appelant;

  • e)L’appelant n’a jamais signé de contrat avec ces personnes;

  • f)L’appelant n’a pas soumis d’autres détails et documents qui démontrent clairement qu’il a payé des commissions (ou des salaires) à Liette Robillard et à Fernand Doucet, ou qu’il existait une relation de travail entre eux, tel que : preuve de paiements, description de tâches, feuilles de temps, registre des employés, feuillets T4, etc.

II – Fardeau de la preuve en matière fiscale

[5] J’ai formulé ces hypothèses de fait en raison de la nature du litige fiscal et du fardeau de la preuve, comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hickson Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336 (« Hickson Motors »). Ces principes ont plus tard été résumés par la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt House c. Canada, 2011 CAF 234 (« House c. Canada ») ainsi :

  1. Dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités.

  2. Le contribuable a la charge initiale de « démolir » les présomptions sur lesquelles le ministre se fonde pour établir sa cotisation.

  3. Le contribuable s’acquitte de cette charge initiale lorsqu’il présente une preuve prima facie.

  4. Lorsque le contribuable a établi une preuve prima facie, le fardeau de la preuve passe alors au ministre qui doit réfuter cette preuve en démontrant, selon la prépondérance des probabilités, l’exactitude de ses présomptions […]

  5. Si le ministre ne présente aucune preuve satisfaisante, le contribuable a gain de cause.

[6] La Cour d’appel fédérale a ensuite indiqué qu’« une preuve prima facie est celle qui est étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la Cour doit l’accepter si elle y ajoute foi, à moins qu’elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé […] ». En fin de compte, la question de savoir si un contribuable peut réfuter les hypothèses du ministre et établir un degré de probabilité en sa faveur dépendra souvent de la conclusion de la Cour quant à la crédibilité. La Cour doit se demander si le contribuable a présenté une preuve documentaire et testimoniale crédible pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que les hypothèses du ministre sont erronées en droit et en fait.

[7] J’ajouterai que le fardeau de la preuve n’incombe pas au ministre à moins que le contribuable n’ait établi une preuve prima facie. Si le contribuable ne l’a pas fait, le fardeau de la preuve n’incombe pas à la Couronne, et le ministre n’est pas tenu de présenter une preuve contraire ou ce que l’appelant a appelé une contre-preuve.

III – Requête en radiation

[8] Pour mettre les choses en contexte, je commencerai par examiner la requête préliminaire de l’intimé visant à faire radier certains paragraphes de l’avis d’appel. La requête a été accueillie parce que la Cour a convenu que de nombreux paragraphes soulevaient des questions relatives à la conduite de l’ARC comme fondement pour demander l’annulation de la nouvelle cotisation.

[9] Comme il a été mentionné à l’audience, la jurisprudence a établi à maintes reprises que la conduite de l’ARC n’est pas utile à la validité d’une cotisation établie en vertu de la Loi. Dans l’arrêt Main Rehabilitation Co. c. La Reine, 2004 CAF 403, la Cour d’appel fédérale a conclu que la Cour de l’impôt n’a pas compétence pour statuer qu’un avis de cotisation est nul parce qu’il constitue un abus de procédure reconnu en common law ou en violation de la Charte et qu’il en est ainsi parce que l’appel interjeté met en cause la validité de la cotisation et non du processus ayant conduit à l’établir. Autrement dit, il ne s’agit pas de déterminer si les fonctionnaires de l’ARC ont correctement exercé leurs pouvoirs, mais plutôt la question de savoir si les montants pouvaient valablement être cotisés sous le régime de la Loi.

[10] De même, dans l’arrêt JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Ministre du Revenu national, 2013 CAF 250, la Cour d’appel fédérale a déclaré au paragraphe 83 que la Cour canadienne de l’impôt « n’a pas compétence pour annuler une cotisation établie sur la base d’une conduite fautive du ministre, tel un abus de pouvoir ou un manquement à l’équité, ayant donné lieu à la cotisation » et en outre que « [s]i une cotisation est bien fondée au regard des faits et du droit, le contribuable doit payer l’impôt ».

[11] En l’espèce, je n’ai pas été en mesure de déceler une conduite de la part des fonctionnaires de l’ARC qui pourrait être qualifiée de répréhensible. Demander de la documentation dans le contexte d’une vérification n’est pas incorrect et correspond en fait au degré de diligence raisonnable auquel on s’attendrait de la part des fonctionnaires chargés de l’application de la Loi.

[12] Après avoir conclu que la conduite de l’ARC n’est pas importante quant à la validité d’une cotisation, je vais néanmoins aborder deux objections soulevées par l’appelant.

IV – Obligation de l’appelant de fournir des documents justificatifs

[13] La première objection soulevée par le représentant de l’appelant est qu’il n’avait aucune obligation de produire des documents en vertu des articles 231.1 et 231.2 de la Loi.

[14] Bien que la preuve donne à penser qu’il a produit certains documents, dont un formulaire T2200, des relevés de compte bancaire conjoints, ainsi qu’une facture et un reçu de Fernand Doucet, l’appelant a par la suite soutenu qu’il n’était pas tenu de fournir d’autres documents.

[15] L’appelant a invoqué la décision Duma Construction Company Limited v. HMTQ, rendue en 1974 par la Cour de district de l’Alberta. Il a fait valoir que cette décision appuie la proposition selon laquelle un contribuable n’a aucune obligation juridique de fournir des documents au ministre. L’obligation consiste uniquement à s’assurer qu’ils sont disponibles pour inspection.

[16] Je souligne que la décision en question portait sur le pouvoir du ministre de contraindre un tiers à produire des documents en vertu des paragraphes 231(3) et 238(2) de la Loi, dans leur version de l’époque. Cette affaire concernait une poursuite criminelle.

[17] La difficulté réside dans le fait que le présent appel ne vise pas de poursuite criminelle contre un tiers. Il s’agit d’une affaire civile qui concerne une nouvelle cotisation des déclarations de revenus de l’appelant.

[18] De façon générale, il est important de comprendre que les conséquences découlant du refus d’un contribuable de fournir d’autres documents justificatifs à l’appui des montants demandés dans une déclaration de revenus sont que la nouvelle cotisation sera probablement ratifiée par le ministre, comme cela a été fait en l’espèce, ce qui a mené au présent appel.

[19] De plus, le refus d’un contribuable de fournir des documents au cours de l’étape de la vérification n’élimine pas la nécessité de le faire à l’audition de l’appel lorsque le contribuable a le fardeau d’établir une preuve prima facie et de démolir les hypothèses du ministre, comme l’a établi l’arrêt Hickson Motors, précité.

[20] Je conclus que cette position n’est pas fondée et qu’elle devrait être rejetée.

V – Obligation du ministre de fournir des documents

[21] La deuxième objection est que la nouvelle cotisation devrait être annulée parce que le ministre n’a pas fourni les documents demandés aux termes des alinéas 241(4)a) et b) de la Loi.

[22] Je souligne d’entrée de jeu que l’objet de l’article 241 est la protection des renseignements confidentiels. Il empêche un fonctionnaire de divulguer des renseignements confidentiels à des tiers.

[23] Le paragraphe 241(4) prévoit diverses exceptions quant aux circonstances dans lesquelles un fonctionnaire peut « fournir un renseignement confidentiel ». L’alinéa a) fait référence à la fourniture « à une personne [d’]un renseignement confidentiel » exigé dans le cadre de « l’application ou l’exécution de la […] loi » et l’alinéa b) fait référence à la fourniture « à une personne [d’]un renseignement confidentiel » aux fins de « la détermination de quelque impôt, intérêt, pénalité ou autre montant » qui pourrait être mis à la disposition du contribuable à titre de crédit ou de remboursement.

[24] Je conclus que l’utilisation du mot « personne » renvoie à des tiers qui peuvent demander des « renseignements confidentiels » et non au contribuable en question. En d’autres termes, le paragraphe 241(4) n’est pas destiné à servir d’instrument financier pour recueillir des renseignements sur le dossier d’un contribuable. Ce n’était pas l’intention du législateur.

[25] Lorsque la nouvelle cotisation a été ratifiée le 13 avril 2021, elle était fondée sur la conclusion du ministre selon laquelle la documentation fournie était inadéquate, de sorte qu’il n’est pas clair quels autres documents auraient pu être communiqués par les fonctionnaires de l’ARC à la suite d’une demande présentée en vertu des alinéas 241(4)a) et b).

[26] Il est évident que l’appelant aurait pu présenter une demande d’accès à l’information, mais rien ne prouve qu’il l’ait fait. Quoi qu’il en soit, la preuve donne à penser que l’appelant a reçu le formulaire T401, Rapport sur une opposition, qui contient une explication complète des raisons pour lesquelles la nouvelle cotisation a été ratifiée.

[27] Je conclus donc que cette position n’est pas fondée et qu’elle devrait être rejetée.

Première question en litige : La première question de fond à trancher est celle de savoir si l’appelant avait le droit de demander une déduction de 20 000 $ qui aurait été versée à son épouse?

[28] L’appelant a témoigné pour son propre compte. Il vendait des climatiseurs, des fournaises et des thermopompes ou d’autres appareils connexes sous la marque Lennox. Il avait conclu un contrat avec Costco et possédait un territoire exclusif. À l’entrée de Costco, il y avait un kiosque où se trouvaient des formulaires vierges que les clients éventuels pouvaient remplir pour exprimer leur intérêt.

[29] Ces formulaires ont été recueillis et des appels ont été faits pour qualifier les acheteurs potentiels. S’ils étaient admissibles, un rendez-vous était fixé. L’appelant rencontrait les clients potentiels et présentait une proposition. Si elle était acceptée, un contrat était signé et l’appelant avait droit à une commission.

[30] L’appelant soutient que Liette Robillard a fait les appels et a fixé les rendez‑vous et qu’elle a été rémunérée pour ses services en tant que travailleuse autonome. Il a admis qu’elle n’a pas été payée directement, mais il a soutenu que les montants suivants lui ont été payés indirectement, y compris 34 918 $ en 2016 et 31 417 $ en 2017.

[31] L’appelant fait valoir que ces montants ont été payés au titre de sa part des paiements hypothécaires, des retraits en espèces ou d’autres opérations de débit d’un compte bancaire conjoint. Il a produit des relevés bancaires à l’appui de ces paiements allégués.

[32] En contre-interrogatoire, l’appelant a admis qu’il n’avait pas conservé de registre des paiements faits à son épouse et que, bien que le montant réclamé soit inférieur au montant qui lui aurait été versé, il ne comprenait pas comment il avait été quantifié. Il s’est fié à son comptable pour déterminer le montant approprié à réclamer. Il a également admis que les retraits en espèces et les opérations de débit étaient des dépenses ordinaires et qu’ils n’étaient pas nécessairement propres à son épouse. Aucun dépôt n’a été fait dans son compte bancaire personnel.

[33] L’appelant a également fait valoir que la détermination d’une relation employeur-employé ou d’un contrat avec un travailleur autonome ou un entrepreneur indépendant était une question de droit provincial assujettie aux dispositions du Code civil du Québec (C.c.Q.) et que l’article 1683 s’appliquait. Ce dernier prévoit ce qui suit :

La réunion des qualités de créancier et de débiteur dans la même personne opère une confusion qui éteint l’obligation. Néanmoins, dans certains cas, lorsque la confusion cesse d’exister, ses effets cessent aussi.

[34] L’intimé a présenté un certain nombre d’arguments comme suit :

  1. Il n’y avait aucune preuve que le prétendu paiement de 20 000 $ a été engagé ou réellement versé à Liette Robillard;

  2. Tout montant qui aurait été versé à Liette Robillard était en fait composé des dépenses familiales conjointes qui ne lui étaient pas directement liées;

  3. Il n’y avait aucune preuve de services rendus par Liette Robillard et l’appelant n’a pas pu produire de registre, de carnet de notes ou de liste de clients qu’elle aurait contactés en 2016 ou en 2017;

  4. L’appelant n’a pas tenu les livres de compte et registres appropriés comme l’exige le paragraphe 230(1) de la Loi;

  5. L’article 1683 du C.c.Q. ne s’appliquait pas parce qu’il n’y avait aucune preuve que Liette Robillard était créancière;

  6. L’appelant n’a pas démoli les hypothèses du ministre.

[35] Cette question a été abordée dans la décision Burlando c. SMLR, 2014 CCI 92, où un époux a fait valoir qu’il ne serait pas logique de rémunérer son épouse au moyen d’un chèque qu’elle déposerait dans un compte conjoint. Le juge Miller a rejeté cet argument en soulignant, au paragraphe 12, que « s’il existe une présumée relation professionnelle entre parties ayant un lien de dépendance, la Cour devrait disposer de documents ou d’éléments de preuve indépendants à l’appui de [la] relation professionnelle ».

[36] De même, dans la décision Blott c. La Reine, 2018 CCI 1, le juge Campbell a traité d’une relation contractuelle alléguée entre un époux et son épouse. Il a conclu aux paragraphes 13 et 14 qu’il n’y avait aucune preuve des services rendus, aucune heure fixée ni aucun horaire fixe et que la preuve était « simplement trop vague pour appuyer l’existence d’une relation d’emploi ». Je conclus que ce raisonnement s’appliquerait si l’on avait prétendu que l’épouse du contribuable était une entrepreneuse indépendante.

[37] Dans ses observations finales, il a soutenu qu’il n’était pas nécessaire de produire un contrat réel et que le témoignage de l’appelant était suffisant pour établir le statut de son épouse en tant qu’entrepreneuse indépendante et les montants qui lui ont été versés. Il a également soutenu que l’intimé n’avait pas produit de contre‑preuve.

[38] Je conclus que cet argument doit être rejeté et je suis d’accord avec l’intimé pour dire qu’il n’y a pas de livres de compte et de registres ni de documents justificatifs. Le témoignage de l’appelant ne suffit pas à lui seul à réfuter l’hypothèse du ministre selon laquelle les montants réclamés n’ont pas été engagés ni réellement versés à Liette Robillard.

[39] Pour ce motif, je conclus que le ministre a eu raison de refuser les dépenses. Si cela soulève une question de double imposition, il pourrait être possible pour elle de produire une demande de redressement d’une T1 afin de réduire le revenu déclaré au cours des années d’imposition en cause.

Deuxième question en litige : La deuxième question de fond à trancher par la Cour est celle de savoir si l’appelant avait le droit de demander une déduction pour les montants qui auraient été versés à Fernand Doucet pour chacune des années d’imposition 2016 et 2017.

[40] L’appelant a témoigné que M. Doucet était bien connu dans la région comme étant un [traduction] « ferrailleur », en ce sens que son travail consistait à enlever les vieilles fournaises, les systèmes de chauffage ou les climatiseurs utilisés principalement dans les écoles ou les églises. Bien que cela n’ait pas été expliqué, ces articles ont vraisemblablement été vendus pour les pièces ou comme ferraille.

[41] Si M. Doucet recommandait une occasion de vente potentielle et que l’appelant pouvait soumettre une proposition pour un système Lennox et obtenir un contrat, il avait droit à une commission de référence. Le montant n’était pas un pourcentage fixe et dépendait de la nature de la recommandation et du potentiel de bénéfice de l’occasion de vente pour l’appelant.

[42] Comme l’a expliqué l’appelant, M. Doucet n’était pas un employé ou un sous‑traitant. Il était simplement un agent libre qui faisait parfois des recommandations.

[43] M. Doucet n’a pas témoigné, mais l’appelant a produit une facture de lui datée du 1ᵉʳ décembre 2016 pour 5 000 $, plus la TPS et la TVQ. Une deuxième facture de 4 000 $, plus la TPS et la TVQ, datée du 17 décembre 2017 a également été produite. Les factures étaient des formulaires préimprimés standard qui faisaient mention de [traduction] « main-d’œuvre et matériaux ». Il y avait une note manuscrite indiquant [traduction] « sollicitation », mais aucune autre note manuscrite n’était lisible. Aucun autre détail n’a été fourni quant au nombre ou à la nature des recommandations.

[44] L’appelant a également soumis un reçu censément signé par Fernand Doucet pour accuser réception d’un paiement en espèces de 5 748 $ de l’appelant « pour la sollicitation de clientèle potentielle dans la région de Laval et Laurentides ». Il n’y avait aucune indication quant à la date ou à l’endroit de la signature du reçu, mais celui-ci portant le titre [traduction] « 30 décembre 2016 ». Un deuxième reçu a été fourni pour un paiement en espèces de 4 599 $. Il contenait le même libellé pour expliquer le paiement et portant le titre [traduction] « 30 décembre 2017 ».

[45] À la question de savoir à quel moment les reçus avaient été signés, l’appelant a fait référence aux dates des reçus. Il n’a pas été en mesure de fournir d’autres preuves de paiement, comme un chèque oblitéré, parce que les montants avaient été versés à M. Doucet avec de l’argent comptant accumulé à partir de ressources personnelles et surtout de dons en argent reçus de sa belle-mère qui avait toujours été très généreuse.

[46] L’appelant a fait valoir que les factures comportaient chacune un numéro de TPS et de TVQ, de sorte que si l’ARC avait contre-vérifié les renseignements, elle aurait pu constater que les montants avaient été déclarés par M. Doucet, du moins aux fins de la TPS/TVQ.

[47] Il a également soutenu que l’intimé n’avait pas produit de contre-preuve.

[48] L’intimé a soulevé un certain nombre d’objections, notamment le fait que M. Doucet n’avait pas témoigné, que le témoignage de l’appelant n’était pas corroboré et qu’il n’y avait aucun détail sur les services reçus, aucune preuve des paiements en espèces, aucun livre de compte et aucun registre pour fournir une forme quelconque de consignation des paiements.

[49] L’intimé a invoqué la décision récente Pierre Juneau Rénovations Inc. c. SMLR, 2020 CCI 54, dans laquelle le juge Masse s’est appuyé sur la décision antérieure Garage Gilles Gingras c. SMLR, 2010 CCI 343, où la Cour a indiqué ce qui suit :

[74] L’utilisation d’argent comptant est quelque chose de légal et de légitime. Il s’agit cependant d’une pratique qui soulève, avouons-le, un certain scepticisme du fait qu’il s’agit d’une pratique courante dans le cadre du travail au noir, de l’évitement fiscal et ainsi de suite. L’argent comptant ne laisse pas de traces ou en laisse si peu que l’on peut toujours fournir une explication vraisemblable selon le contexte.

[50] Aux paragraphes 50 et 51, le juge Masse conclut ainsi :

[50] Il n’est pas contesté que l’utilisation d’argent comptant laisse généralement moins de pistes. C’est le contribuable qui doit, lorsqu’il exploite une entreprise, tenir des livres et registres appropriés. C’est une obligation imposée par la Loi : […] En l’espèce, il n’y a aucun livre, il n’y a aucun registre, il n’y a aucune pièce justificative.

[51] L’appelante ne m’a pas convaincu par une preuve et des explications claires, cohérentes, raisonnables et crédibles que les chèques payables à « cash » s’appliquaient aux contrats de sous-traitance.

[51] En l’espèce, la Cour peut raisonnablement inférer que les paiements en espèces ont été faits à la demande de Fernand Doucet, puisque l’appelant n’avait rien à gagner de cette façon de faire. Ainsi, il est difficile de concilier la demande de liquidités avec la signature d’un reçu. Pourquoi M. Fernand Doucet aurait-il demandé de l’argent et signé un reçu? L’appelant a indiqué que la signature a été apposée le 30 décembre 2016 et le 30 décembre 2017. La Cour a l’impression que l’appelant n’a pas été tout à fait franc sur cette question et que les reçus ont probablement été signés à une date ultérieure afin de créer une trace documentaire dans le contexte de la demande de documents de l’ARC et de la préparation du présent appel.

[52] Encore une fois, la difficulté réside dans le manque de détails qui permettraient à la Cour de déterminer comment les montants ont été calculés. Les factures fournissent peu de détails et sont de nature très générale. Tout ce qu’il est possible de dire, c’est que l’appelant a produit certains [traduction] « documents justificatifs ».

[53] En fin de compte, le critère consiste à déterminer si l’appelant a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a versé à M. Doucet les sommes réclamées à titre d’honoraires de référence. Je suis d’avis qu’il l’a fait et je conclus que les montants réclamés ont effectivement été payés à des fins commerciales, de sorte que l’appelant avait le droit de les réclamer.

[54] L’appel est donc accueilli et la nouvelle cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour réexamen et nouvelle cotisation au motif que l’appelant a droit à une déduction pour les montants versés à Fernand Doucet pour les années d’imposition 2016 et 2017.

[55] Aucuns dépens ne seront adjugés.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 17e jour de juin 2024.

« Guy R. Smith »

Le juge Smith

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de juin 2024.

Liette Girard, traductrice


RÉFÉRENCE :

2024 CCI 90

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2021-1679(IT)I

INTITULÉ :

JEAN-MARIE ROBILLARD ET SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 mai 2024

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Guy R. Smith

DATE DU JUGEMENT :

Le 17 juin 2024

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

Richard Venor

Avocat de l’intimé :

Me Simon Dufour

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Richard Venor

Cabinet :

Richard Venor &Co

Pour l’intimé :

Me Shalene Curtis-Micallef
Sous-procureure générale du Canada
Ottawa, Canada

 

 

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