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Dossier : 2014-3959(IT)G

ENTRE :

MADISON PACIFIC PROPERTIES INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Requête tranchée par voie d’observations écrites / Ordonnance quant aux dépens

Devant : l’honorable juge David E. Graham

Participants :

Avocats de l’appelante :

 

Me David Davies

Me S. Natasha Kisilevsky

Me Tyler Berg

Avocats de l’intimé :

Me Perry Derksen

Me Yanick Houle

Me Eric Brown

Me Erin Krawchuk

 

ORDONNANCE

Des dépens fixes de 408 833,77 $ et des débours de 43 740,96 $ sont adjugés à l’intimé à l’égard de l’appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour d’avril 2024.

« David E. Graham »

Le juge Graham

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de février 2025.

Julie Blain McIntosh, jurilinguiste principale


Référence : 2024 CCI 47

Date : 20240419

Dossier : 2014-3959(IT)G

ENTRE :

MADISON PACIFIC PROPERTIES INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Graham

[1] Dans mon jugement daté du 27 décembre 2023, j’ai rejeté l’appel interjeté par l’appelante et adjugé les dépens à l’intimé. J’ai accordé un délai aux parties afin de leur donner l’occasion de parvenir à une entente quant aux dépens, à défaut de quoi elles devaient me présenter des observations écrites à cet égard. Les parties étant incapables de parvenir à une telle entente, elles m’ont présenté des observations écrites.

[2] L’intimé demande le versement d’une somme globale de 408 833,77 $ au titre des dépens, ce qui correspond à 35 % des frais de justice qu’elle a engagés. Il demande également le remboursement de ses débours de 43 740,96 $.

[3] Pour sa part, l’appelante demande à la Cour d’adjuger une somme globale de 109 350 $ au titre des dépens, ce qui correspond au double des dépens de l’intimé calculés selon le tarif. L’appelante accepte que l’intimé a droit à l’ensemble des débours qu’il demande, moins la somme de 19 680 $.

[4] Le paragraphe 147(3) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) énumère les facteurs suivants dont la Cour peut tenir compte en adjugeant les dépens.

Le résultat de l’instance

[5] L’intimé a entièrement eu gain de cause dans le cadre de son appel. Cependant, étant donné qu’il s’agissait d’un appel dont le résultat ne pouvait être partagé, l’intimé accepte que l’incidence de ce facteur soit neutre. Je souscris à ce point de vue (2078970 Ontario Inc. c. La Reine, 2018 CCI 214).

Les sommes en cause

[6] L’appel en cause portait sur une dette de 2 188 839 $ au titre de l’impôt fédéral. La Division des appels de l’Agence du revenu du Canada est également saisie de deux autres appels de l’appelante se rapportant aux mêmes pertes, mais à des années d’imposition différentes. En outre, un certain nombre d’autres appels connexes portent sur une dette de 10 millions de dollars également au titre de l’impôt fédéral[1].

[7] L’intimé fait valoir que ces autres dettes fiscales doivent également être prises en considération, car l’issue de l’appel en cause aura une incidence importante sur les appels connexes. Je suis d’accord. À mon avis, ce facteur milite en faveur de l’octroi de dépens majorés.

L’importance des questions en litige

[8] L’intimé soutient que les litiges concernant la RGAÉ revêtent toujours de l’importance. Je suis d’accord pour dire que ces litiges sont en général importants. Cependant, en l’espèce, l’appel a été instruit parallèlement à l’instance Deans Knight Income Corporation. La Cour canadienne de l’impôt a rendu la décision Deans Knight (2019 CCI 76) avant le début de l’audience relative à l’appel en l’espèce. Vers le milieu de l’audience, la Cour d’appel fédérale a rendu son arrêt (2021 CAF 160). La Cour suprême du Canada a accueilli la demande d’autorisation de pourvoi au cours de la deuxième moitié de l’audience. J’ai attendu que la Cour suprême du Canada rende son arrêt (2023 CSC 16) avant de rendre ma décision dans la présente affaire, et j’ai permis aux parties de me présenter des observations supplémentaires.

[9] Il ne fait aucun doute que la décision Deans Knight revêtait une importance considérable, car elle traitait de questions importantes. Cependant, à mon avis, on ne peut en dire autant de l’appel en l’espèce, car, pour le trancher, il suffisait essentiellement d’appliquer le droit défini dans la décision Deans Knight à des faits différents.

[10] Même si la décision relative à l’appel en l’espèce est la première décision relative à l’échange de pertes rendue par notre Cour depuis la décision Deans Knight, elle a été rendue après que la Cour d’appel fédérale a rendu l’arrêt MMV Capital Partners Inc. c. Le Roi (2023 CAF 234) et tout juste avant que le juge Pizzitelli rende la décision Total Energy Services Inc. c. Le Roi (2024 CCI 12).

[11] L’intimé fait valoir que ma décision interlocutoire quant à l’admissibilité d’une lettre de l’Agence du revenu du Canada au ministère des Finances constituait un élément important sur le plan de la preuve. J’accepte que cette décision a fait évoluer le droit; cela dit, elle portait seulement sur quelques heures de l’instance et elle ne justifie pas à elle seule l’octroi de dépens majorés.

[12] L’intimé soutient également que la question du « groupe de personnes » a fait évoluer le droit. Il se peut qu’il en soit ainsi, mais, encore une fois, je ne vois pas en quoi cela justifierait l’octroi de dépens majorés.

[13] Compte tenu de ce qui précède, je ne pense pas que l’appel en cause revêt une quelconque importance sur le plan de l’évolution du droit fiscal ou de l’intérêt public ou qu’il touche un grand nombre de personnes. Cela dit, on ne saurait soutenir que l’appel portait exclusivement sur une question d’intérêt privé à trancher par l’application ordinaire du droit et qu’il n’intéressait que les parties en cause. Par conséquent, j’estime que ce facteur a une incidence neutre.

La complexité des questions en litige

[14] Les appels fondés sur la RGAÉ sont, de par leur nature même, complexes sur le plan juridique. L’appel en l’espèce était également complexe sur le plan des faits. Même si les questions juridiques en cause étaient moins importantes compte tenu de la décision Deans Knight, le fait que le droit a continué d’évoluer pendant que ce dossier cheminait jusqu’à la Cour suprême du Canada a forcé les parties à revoir continuellement leurs arguments et leurs observations.

[15] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la complexité des questions en litige milite en faveur de l’octroi de dépens majorés.

La charge de travail

[16] L’appel en l’espèce a donné lieu à une importante charge de travail sur le plan de la préparation, notamment la préparation de documents, et du temps consacré à l’instance. Cela dit, j’estime que l’incidence de ce facteur est neutre. Les honoraires facturés reflètent déjà cette charge de travail et, comme j’ai l’intention d’accorder à l’intimé un pourcentage de ces honoraires, accorder un pourcentage plus élevé en raison de la charge de travail ferait double emploi avec le calcul déjà effectué.

[17] L’appelante soutient que l’intimé a fait appel aux services d’un plus grand nombre d’avocats qu’elle-même en première instance (quatre contre trois). Je ne crois pas que le fait de retenir les services de quatre avocats était inapproprié compte tenu de la charge de travail à accomplir.

[18] L’appelante fait également valoir que le fait que plusieurs avocats de l’intimé ont été remplacés par d’autres avocats au cours du litige a résulté en des dédoublements inutiles, car il fallait chaque fois expliquer l’état du dossier aux nouveaux avocats. Il n’est pas surprenant qu’un certain nombre d’avocats de l’intimé aient été remplacés par d’autres avocats, car presque dix années se sont écoulées avant que l’appel soit finalement tranché. À mon avis, ces changements d’avocats n’étaient pas suffisamment importants pour avoir une incidence sur les dépens.

[19] Je fais remarquer que les frais de justice de l’intimé ont été calculés sur la base de taux qui s’écartent considérablement de ceux auxquels les cabinets d’avocats facturent les services d’avocats ayant une expérience et des aptitudes comparables et que, à cet égard, l’appelante a donc déjà bénéficié d’un rabais substantiel.

La dénégation de faits ou le refus d’admettre des faits

[20] L’intimé invoque un certain nombre de faits que l’appelante a refusé d’admettre pour étayer son argument selon lequel ce facteur milite en faveur de l’adjudication de dépens majorés. J’estime que ce facteur est important, mais pour d’autres raisons.

[21] À l’audience, beaucoup de temps a été consacré aux témoignages se rapportant à l’objectif de la série d’opérations. L’appelante faisait valoir que cette série d’opérations visait principalement des objectifs légitimes autres que la simple recherche d’un avantage fiscal. Or, ce n’est qu’au stade des plaidoiries que l’appelante a concédé que la création et l’utilisation d’actions sans droit de vote de catégorie C avaient pour seul objectif de préserver les pertes.

[22] Je reconnais que les parties ne peuvent pas savoir à l’avance comment les témoins se comporteront à l’audience ou quel poids le juge accordera au témoignage de ces derniers. Cependant, dans les cas où, comme en l’espèce, la faible valeur probante des éléments de preuve étayant un argument est évidente[2], il convient d’en tenir compte au stade des dépens. Le temps consacré à l’instance (notamment à la préparation et à l’exécution des contre-interrogatoires) aurait pu être réduit si l’appelante avait concédé ce point dès le départ.

[23] L’appelante a mentionné certains points que l’intimé aurait dû, selon elle, concéder plus tôt au cours du processus, ce qui lui aurait évité d’engager certaines dépenses en vue de se préparer pour le procès. Ces arguments sont fondés, mais ils ne l’emportent pas sur les éléments que je viens de décrire.

[24] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que ce facteur milite en faveur de l’adjudication de dépens considérablement plus importants.

La conduite ayant une incidence sur la durée de l’instance

[25] À mon avis, ce facteur a une incidence neutre. L’appelante a mentionné le nom d’une personne qui, selon ce que les avocats de l’intimé avaient dit, témoignerait pour cette dernière à l’audience, mais qui, en fin de compte, n’a pas été appelée à témoigner. L’appelante fait valoir qu’elle a perdu du temps à se préparer en vue du contre-interrogatoire de ce témoin.

[26] La décision de l’intimé de ne pas faire témoigner cette personne ne m’a pas surpris. En effet, les témoins de l’appelante avaient manifestement si peu de crédibilité que l’intimé n’avait pas à produire de preuve pour réfuter leurs affirmations. En fait, la décision de l’intimé a eu pour effet d’écourter le procès.

Les étapes inappropriées, vexatoires ou inutiles

[27] Rien n’indique que quelque étape que ce soit de l’appel était inappropriée, vexatoire ou inutile.

Les étapes accomplies de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection

[28] Rien n’indique que quelque étape que ce soit de l’appel a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection.

Les offres de règlement

[29] Ce facteur ne s’applique pas.

Autres éléments pertinents

[30] L’intimé n’a pas demandé le remboursement des sommes qu’il a engagées au titre des frais de déplacement de ses avocats, de la requête de l’appelante en vue de l’obliger à accomplir certains actes ou du travail lié à l’appel interlocutoire interjeté par l’appelante devant la Cour d’appel fédérale.

Analyse

[31] Comme je l’ai déjà dit, l’intimé demande le versement d’une somme globale de 408 833,77 $ au titre des dépens, ce qui correspond à 35 % des frais de justice qu’elle a engagés, qui s’élèvent au total à 1 168 096 $. Ce pourcentage est conforme à celui qui a été utilisé dans le cadre d’appels similaires[3].

[32] J’ai appliqué le même pourcentage dans la décision Banque de Montréal c. La Reine (2021 CCI 3). Dans cet appel, la question du refus de l’appelante de concéder un point déjà perdu ne se posait pas. Compte tenu de ce facteur, en l’espèce, j’aurais été enclin à accorder au titre des dépens une somme avoisinant 40 % des frais engagés, si l’intimé l’avait demandé.

[33] Compte tenu de ce qui précède, j’estime que les dépens demandés par l’intimé sont appropriés.

[34] L’intimé cherche également à obtenir le remboursement de la somme de 43 740,96 $ au titre des débours. La dépense la plus importante que l’intimé a engagée à ce titre s’élevait à 19 680 $ et visait à retenir les services d’un expert que l’intimé s’attendait à faire témoigner. Il s’agit de la seule dépense que l’appelante conteste, au motif que le témoignage de cet expert était inutile.

[35] Je suis convaincu que, compte tenu du déroulement de la présente affaire et, notamment, de la question de l’objectif fiscal décrit ci-dessus, l’intimé a agi de manière appropriée en retenant les services de l’expert au moment où il l’a fait. J’estime donc que cette dépense était justifiée.

Conclusion

[36] Compte tenu des motifs qui précèdent, des dépens fixes de 408 833,77 $ et des débours de 43 740,96 $ sont adjugés à l’intimé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour d’avril 2024.

« David E. Graham »

Le juge Graham

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de février 2025.

Julie Blain McIntosh, jurilinguiste principale


RÉFÉRENCE :

2024 CCI 47

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-3959(IT)G

INTITULÉ :

MADISON PACIFIC PROPERTIES INC. c. SA MAJESTÉ LE ROI

DATE DE L’AUDIENCE :

Requête tranchée par voie d’observations écrites

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge David E. Graham

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 19 avril 2024

PARTICIPANTS :

Avocats de l’appelante :

Me David Davies

Me S. Natasha Kisilevsky

Me Tyler Berg

Avocats de l’intimé :

Me Perry Derksen

Me Yanick Houle

Me Eric Brown

Me Erin Krawchuk

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me David Davies

Cabinet :

Thorsteinssons LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour l’intimé :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Dossiers d’appel numéros 2013-3885(IT)G, 2013-3888(IT)G et 2018-540(IT)G.

[2] Voir mes commentaires aux par. 127 à 133 des motifs du jugement que j’ai exposés.

[3] Voir le résumé utile fait par le juge Spiro au sujet de l’adjudication des dépens dans la décision CELI de Fareed Ahamed c. Le Roi, 2023 CCI 177.

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