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Dossier : 2012-3804(IT)G

ENTRE :

DARREN JAMIESON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 29 novembre 2022 à Windsor (Ontario).

Devant : l’honorable juge Joanna Hill.


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Roland P. Schwalm

Avocat de l’intimé :

Me Jason Stober

 

JUGEMENT

L’appel de l’avis de cotisation pour l’année d’imposition 2009, daté du 12 août 2011 et établi en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, est rejeté avec dépens payables à l’intimé, calculés selon le tarif établi et conformément aux motifs du jugement ci-dessous.

Signé à Toronto (Ontario), ce 18e jour de mai 2023.

« Joanna Hill »

La juge Hill

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour d’août 2024.

Sébastien D’Auteuil, jurilinguiste


Référence : 2023 CCI 69

Date : 20230518

Dossier : 2012-3804(IT)G

ENTRE :

DARREN JAMIESON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Hill

I. Introduction

[1] Darren Jamieson, avec l’aide des spécialistes en déclarations de revenus Fiscal Arbitrators, a demandé la déduction de pertes d’entreprise fictives de près de 400 000 $ afin d’obtenir le remboursement de l’impôt déjà retenu à la source en 2009 et lors d’années d’imposition antérieures.

[2] Le ministre du Revenu national a refusé la déduction de pertes d’entreprise fictives demandée et a imposé une pénalité à M. Jamieson en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi sur l’impôt sur le revenu pour avoir inclus de faux renseignements dans sa déclaration de revenus. Dans le présent appel, il incombe à l’intimé d’établir que le ministre a imposé cette pénalité à juste titre.

[3] Compte tenu des faits et des éléments de preuve présentés, je juge que M. Jamieson est passible de la pénalité imposée, car il a fait preuve d’aveuglement volontaire à l’égard des faux énoncés contenus dans sa déclaration de revenus. Selon le cadre d’analyse énoncé par la Cour dans la décision Torres[1], les facteurs déterminants en l’espèce sont le caractère flagrant des faux énoncés et les explications inintelligibles fournies par les spécialistes en déclarations de revenus auxquels M. Jamieson a fait appel. M. Jamieson possédait un niveau d’instruction et une expérience suffisants pour voir les signaux indiquant la nécessité de s’informer davantage et de manière indépendante avant de signer et de produire sa déclaration de revenus.

II. Analyse – Aveuglement volontaire selon le cadre énoncé dans la décision Torres

[4] La seule question en litige dans le présent appel est celle de savoir si M. Jamieson a, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait de faux énoncés dans sa déclaration de revenus de 2009. La connaissance peut être déduite d’un aveuglement volontaire dans le cas d’un contribuable qui ferme les yeux sur la véracité et l’exactitude des renseignements fournis dans sa déclaration de revenus[2].

[5] M. Jamieson a été franc dans son témoignage et a reconnu que sa déclaration de revenus contenait de faux énoncés. Toutefois, son témoignage n’était pas toujours crédible ni fiable. Il n’a pas pu expliquer pourquoi il avait fait fi des importants signaux portant à croire que sa déclaration de revenus contenait de faux énoncés flagrants, d’autant plus qu’elle était fondée sur une [traduction] « méthode de déclarations de revenus non conventionnelle » qui n’avait guère de sens.

Niveau d’instruction et expérience

[6] M. Jamieson possédait un niveau d’instruction et une expérience suffisants pour reconnaître les faux énoncés et comprendre qu’il était nécessaire de s’informer davantage.

[7] Il a obtenu son baccalauréat en commerce de l’Université de Windsor en 1994. Peu de temps après, il a commencé sa carrière à la Ford Motor Company comme surveillant contractuel de la production, pour ensuite occuper un poste de superviseur de l’entretien. Il a été promu au poste de directeur de l’entretien en 2002, poste qu’il a occupé pendant dix ans.

[8] À titre de superviseur, M. Jamieson était responsable d’environ sept à douze employés. À titre de directeur, il était responsable de trois surveillants d’équipe et de leurs employés. Ses responsabilités consistaient notamment à s’assurer que ces groupes respectent un certain budget.

[9] M. Jamieson comprenait les concepts financiers, y compris les pertes et les profits. Malgré ses connaissances et son expérience, il a fait fi des signaux d’avertissement incontestables émanant de la méthode de déclaration employée par Fiscal Arbitrators.

Caractère flagrant des faux énoncés

[10] M. Jamieson a signé sa déclaration de revenus, de même que les formulaires État des résultats des activités d’une entreprise ou d’une profession libérale et Demande de report rétrospectif d’une perte qui y étaient joints, lesquels contenaient les faux énoncés flagrants suivants :

  • (i)un revenu d’entreprise brut de 135 537,77 $ [traduction] « REÇU À TITRE DE MANDATAIRE »;

  • (ii)des dépenses d’entreprise totales de 534 801,89 $, qualifiées de [traduction] « PAIEMENT DU MANDATAIRE AU MANDANT »;

  • (iii)une perte d’entreprise nette de 399 264,12 $;

  • (iv)une perte de 284 401,60 $, inscrite comme revenu total.

[11] Il a signé la déclaration de revenus même s’il n’avait jamais exploité d’entreprise.

[12] M. Jamieson s’est rappelé avoir examiné sa déclaration de revenus et posé des questions à propos des chiffres qui y figuraient, mais avoir été convaincu par les réponses de la personne-ressource, qui lui a expliqué que cela faisait partie de la méthode de déclaration employée par Fiscal Arbitrators. Il a également affirmé qu’il croyait avoir compris ces chiffres à l’époque.

Explications inintelligibles des spécialistes en déclarations de revenus

[13] M. Jamieson a expliqué comment il avait commencé à faire affaire avec ses spécialistes en déclarations de revenus et à employer la méthode de déclaration de Fiscal Arbitrators. Un collègue lui avait présenté Bruce Blair, un ancien employé de la Ford Motor Company qui était parti travailler avec son frère, Roger Blair, pour DSC Lifestyle Services (« DSC »).

[14] M. Jamieson n’était pas satisfait de ses placements et la présentation de Bruce Blair sur les [traduction] « rentrées de fonds » a piqué sa curiosité. Il a ensuite participé à cinq ou six séances d’information offertes par DSC et est devenu membre de DSC pour avoir accès à divers instruments de placement.

[15] DSC a également parlé de Fiscal Arbitrators à M. Jamieson à la fin 2009. M. Jamieson a assisté à quelques présentations de Fiscal Arbitrators avant de souscrire à sa méthode.

[16] Il a signé un document intitulé [traduction] « Demande et entente (renseignements éducatifs sur une méthode de déclaration de revenus non conventionnelle) » le 27 novembre 2009. Même si ce document renvoyait à [traduction] « des renseignements, des documents, des produits ou des services éducatifs personnalisés présentant des méthodes de déclaration de revenus non conventionnelles », M. Jamieson n’a présenté à la Cour aucun document à l’appui.

[17] Plus important encore, l’explication de M. Jamieson concernant la méthode de déclaration de Fiscal Arbitrators n’avait guère de sens. Il a fourni les descriptions suivantes à divers moments pendant son contre-interrogatoire :

[traduction]

Alors ce qu’on nous a expliqué, c’est que ce modèle est une relation réciproque par laquelle le contribuable peut récupérer – utiliser ce processus de déclaration pour récupérer – les impôts payés au cours de la période de quatre ans pour débloquer des liquidités et obtenir des titres de créance ou des placements à court terme, mais qu’à une date ultérieure, il faudra rembourser le tout au gouvernement.

[…]

Il y avait un article – on nous a expliqué qu’il s’agissait d’un article du code des impôts qui pouvait être utilisé pour débloquer ou se faire rembourser l’impôt sur le revenu d’années antérieures à court terme, sous réserve de remboursement à une date ultérieure, presque comme – eh bien j’imagine qu’on appellerait ça un prêt commercial à soi-même prélevé sur les impôts que vous avez déjà payés au gouvernement. C’est comme ça qu’ils – mais ils ont clairement dit qu’à un moment donné, il faudrait rembourser l’argent.

[…]

Alors voici comment on nous a vendu l’adhésion : nous allions débloquer nos impôts d’années antérieures et investir cet argent dans des instruments de placement, générer des liquidités et des rentrées de fonds, et puis une fois que nous – vous savez, en supposant que ces placements soient fructueux, d’une façon ou d’une autre, vous alliez devoir rembourser le gouvernement lors de la production de déclarations de revenus antérieures – ou pardon, lors de la production de déclarations de revenus futures.

[…]

Non, je veux dire, oui, ils ont dit – ils ont dit, essentiellement, vous savez, au moyen de – votre processus de déclaration, vous demandez essentiellement de récupérer votre impôt sur le revenu, mais vous devez – en fonction de votre revenu, de votre âge, du nombre de personnes à charge dans votre famille, vous devez être admissibles. Donc, dans le processus, vous produisez votre déclaration – si vous êtes admissible, vous récupérez cet impôt sur le revenu. Ensuite vous pouvez retourner à des années futures à un moment donné et aussi demander le remboursement de cet impôt sur le revenu, mais vous pouvez utiliser cet argent pour des stratégies axées sur le revenu ou des titres de créance à court terme, mais dans tous les cas, vous allez devoir le rembourser. C’est comme ça qu’on nous l’a expliqué.

[18] Finalement, il a utilisé la méthode de déclaration de Fiscal Arbitrators pour obtenir un remboursement d’impôt de 33 000,00 $ qui [traduction] « fait partie d’une stratégie axée sur les rentrées de fonds et devra être remboursé à une date ultérieure ». Ce faisant, il a fait fi des principes de base de la comptabilité et du bon sens.

Défaut de s’informer comme il se doit

[19] M. Jamieson a affirmé qu’il avait parlé de la méthode de déclaration de Fiscal Arbitrators à son père et à son ancien spécialiste en déclarations de revenus. Sans surprise, ces derniers n’ont pas compris grand-chose à ses explications. Je suis d’accord avec l’avocat de l’intimé que cela aurait dû lui mettre la puce à l’oreille.

[20] Bien qu’il ait eu du mal à comprendre et à expliquer la méthode de déclaration de Fiscal Arbitrators, M. Jamieson n’a pas communiqué avec l’Agence du revenu du Canada pour vérifier si elle était effectivement fondée sur des dispositions fiscales en vigueur. Par ailleurs, même si M. Jamieson a affirmé avoir reçu une copie de [traduction] « l’article du code des impôts » en cause, il ne l’a pas montrée à un avocat ou à un comptable.

[21] L’avocat de M. Jamieson a fait valoir que son client avait été convaincu par la qualité des arguments de vente, qui lui avaient été présentés au cours de plusieurs rencontres et présentations.

[22] Je ne puis retenir cet argument. Même si, à l’origine, M. Jamieson a été convaincu par les présentations de Fiscal Arbitrators sur sa méthode de déclaration , ce qu’il a décrit n’a aucun lien avec les faux énoncés dans sa déclaration de revenus de 2009.

[23] Sa déclaration ne faisait état d’aucun programme de prêt gouvernemental lié aux impôts déjà payés. Elle ne contenait pas de documents justificatifs ou de formulaires d’un programme approuvé par l’ARC qui permettrait à M. Jamieson d’emprunter de l’argent sur les impôts qu’il avait déjà payés en 2009 et avant. La déclaration renvoyait plutôt à une entreprise fictive ayant un revenu fictif et des pertes fictives.

[24] M. Jamieson aurait dû consulter des tiers afin de déterminer si la méthode de Fiscal Arbitrators avait été appliquée de manière valide ou exacte dans sa déclaration de revenus de 2009. Or, il n’a pas discuté des renseignements figurant dans sa déclaration avec des professionnels en comptabilité ou en fiscalité, ni avec l’ARC.

[25] Ses conversations avec son père et son ancien spécialiste étaient insuffisantes pour satisfaire au critère de la nécessité de s’informer. Ces personnes ne sont pas fiscalistes[3] et, plus important encore, il ne leur a pas donné de documents écrits leur permettant de bien évaluer la méthode de déclaration.

[26] M. Jamieson a choisi de ne pas consulter de professionnels de la comptabilité ou l’ARC parce qu’il ne voulait pas connaître la vérité.

III. Conclusion

[27] M. Jamieson est passible de la pénalité parce qu’il avait les connaissances, l’expérience et les ressources nécessaires pour savoir qu’il faisait de faux énoncés lorsqu’il a produit sa déclaration de revenus de 2009. Il a choisi d’ignorer d’importants signaux d’avertissement parce que son but était de s'enrichir au moyen du [traduction] « processus de remise en argent » annoncé par Fiscal Arbitrators. Ce faisant, il a manqué aux obligations que lui impose notre régime d’autocotisation.

[28] Par conséquent, l’appel est rejeté avec dépens payables à l’intimé, calculés selon le tarif.

Signé à Toronto (Ontario), ce 18e jour de mai 2023.

« Joanna Hill »

La juge Hill

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour d’août 2024.

Sébastien D’Auteuil, jurilinguiste



RÉFÉRENCE :

2023 CCI 69

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-3804(IT)G

INTITULÉ :

DARREN JAMIESON c. SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Windsor (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 novembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Joanna Hill

DATE DU JUGEMENT :

Le 18 mai 2023

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

Me Roland P. Schwalm

Avocat de l’intimé :

Me Jason Stober

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me Roland P. Schwalm

Cabinet :

Roland P. Schwalm Barrister & Solicitor

Pour l’intimé :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Torres c. La Reine, 2013 CCI 380 (conf. par Strachan c. Canada, 2015 CAF 60), par. 65.

[2] Wynter c. Canada, 2017 CAF 195, par. 13 et 16.

[3] L’ancien spécialiste de M. Jamieson était un ancien collègue de la Ford Motor Company détenteur d’un baccalauréat en comptabilité qui préparait des déclarations de revenus comme travail d’appoint. Son père était propriétaire retraité d’une petite entreprise.

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