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Dossier : 2019-1177(IT)G

ENTRE :

MF ELECTRIC INCORPORATED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 21, 22, 23 et 24 novembre 2022

à Halifax (Nouvelle-Écosse).

Devant : l’honorable juge Gabrielle St-Hilaire.


Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Derek B. Brett

Avocat de l’intimé :

Me Tokunbo Omisade

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2010, 2011, 2012, 2013 et 2015 est rejeté et les dépens sont adjugés à l’intimée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mai 2023.

« Gabrielle St-Hilaire »

La juge St-Hilaire

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de septembre 2024

Sébastien D’Auteuil, jurilinguiste


Référence : 2023 CCI 60

Date : 20230509

Dossier : 2019-1177(IT)G

ENTRE :

MF ELECTRIC INCORPORATED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge St-Hilaire

I. Introduction

[1] Notre Cour est saisie de l’appel interjeté par MF Electric Incorporated (« MF Electric » ou l’« appelante ») à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi »), pour les années d’imposition 2010, 2011, 2012, 2013 et 2015. Dans les nouvelles cotisations établies à l’égard de l’appelante, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé la déduction des honoraires professionnels, comptables et d’avocat ainsi que des frais de gestion et d’administration et a imposé des pénalités pour faute lourde.

[2] L’appelante exploite une entreprise d’entrepreneur-électricien. Richard MacInnis et Linda MacInnis sont actionnaires et administrateurs à parts égales de l’appelante et travaillent pour l’entreprise depuis sa création en 1995. Douglas (ou Doug) Rudolph a été le comptable de l’appelante pendant une vingtaine d’années, de 1996 à 2016, année où l’appelante a fait l’objet d’une vérification par le ministre.

[3] En 2010, Doug Rudolph a proposé à Richard et Linda MacInnis une stratégie fiscale (la « stratégie axée sur la propriété intellectuelle » ou la « stratégie de PI ») qui, selon ses dires, les aiderait à faire croître leur entreprise en générant du capital grâce à des économies d’impôt. Comme ils avaient confiance en M. Rudolph et pensaient qu’il agissait dans leur intérêt, ils ont accepté de mettre en œuvre la stratégie de PI.

[4] Pour l’essentiel, la stratégie de PI reposait sur la préparation par les MacInnis de biographies relatant leur expérience professionnelle et personnelle depuis l’enfance. Une valeur était ensuite attribuée aux biographies et, dans le calcul de ses revenus, l’appelante déduisait des [traduction] « frais de gestion et d’administration » (ci-après, les « frais de gestion ») établis en fonction de la valeur des biographies de ses actionnaires. L’appelante a déduit des frais de gestion pour les années d’imposition 2010, 2013 et 2015. En outre, l’appelante a déduit les honoraires professionnels, comptables et d’avocat (ci-après, les « honoraires professionnels ») payés pour des services liés à la stratégie de PI pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012.

II. Questions en litige

[5] Les questions en litige dans le présent appel découlent de la participation de l’appelante à la stratégie de PI et de la déduction des frais de gestion que celle-ci comportait. Lorsqu’il a établi les nouvelles cotisations, le ministre a refusé la déduction de ces frais et a imposé des pénalités pour faute lourde. L’appelante ne conteste pas que les frais de gestion n’étaient pas des dépenses déductibles et ne fait pas appel de cette décision. En revanche, elle fait appel de l’imposition des pénalités. En outre, le ministre a refusé la déduction des honoraires professionnels payés pour des services liés à la stratégie de PI. L’appelante fait appel de ce refus. De plus, les nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012 ont été effectuées au-delà de la période normale de nouvelle cotisation.

[6] Le tableau suivant indique les sommes visées par les refus pour les années d’imposition faisant l’objet de l’appel et les pénalités imposées :

Année d’imposition

2010

2011

2012

2013

2015

Frais professionnels refusés

28 354 $

43 970 $

54 715 $

 

 

Frais de gestion refusés

1 610 000 $

 

 

160 000 $

236 556 $

Pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2)

127 400 $

 

 

8 800 $

13 010 $

[7] Les questions en litige peuvent être résumées ainsi :

i. Le ministre était-il fondé à établir une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante au-delà de la période normale de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012?

ii. Le ministre était-il fondé à imposer des pénalités pour les années d’imposition 2010, 2013 et 2015?

iii. Le ministre était-il fondé à refuser la déduction des honoraires professionnels pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012?

III. Les thèses des parties

La thèse de l’appelante

[8] L’avocat de l’appelante la décrit comme la victime d’un maître fraudeur, Doug Rudolph, et ajoute que les actionnaires de l’appelante ont été victimes à deux reprises de Doug Rudolph. L’appelante reconnaît qu’elle est responsable de la dette fiscale découlant de la déduction inappropriée des frais de gestion et indique qu’elle a payé le montant dû. Toutefois, l’appelante affirme qu’elle n’a pas fait de présentation erronée des faits par omission volontaire, mais qu’elle a participé à la stratégie de PI en raison de la relation de confiance entre les MacInnis et Doug Rudolph. L’appelante avance qu’elle n’a pas non plus fait de faux énoncés dans ses déclarations dans des circonstances équivalant à faute lourde ou à de l’aveuglement volontaire.

[9] Je pense qu’il est juste de dire que la thèse de l’appelante, réduite à sa plus simple expression, est que tous les faux énoncés qu’elle a faits dans ses déclarations sont imputables à Doug Rudolph. Les MacInnis, des gens simples appartenant à la classe ouvrière selon l’avocat de l’appelante, entretenaient depuis longtemps avec lui une relation de confiance. Par conséquent, le ministre n’était pas fondé (i) à établir une nouvelle cotisation au-delà de la période normale de cotisation et (ii) à imposer des pénalités pour faute lourde.

[10] En ce qui concerne les honoraires professionnels visés par les refus, l’appelante prétend qu’ils étaient déductibles parce que, notamment, une activité commerciale était exercée et parce que l’appelante pensait qu’elle payait ces dépenses pour des services fiscaux légitimes. En outre, l’appelante prétend que le montant des honoraires était raisonnable et vraisemblable pour des services de comptabilité.

La thèse de l’intimé

[11] L’intimé affirme que le ministre était fondé à établir une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante au-delà de la période normale de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012, car l’appelante a fait une présentation erronée des faits attribuable à la négligence, à l’inattention ou à l’omission volontaire. L’intimé fait valoir que l’appelante a reconnu avoir fait une présentation erronée des faits dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2010 en demandant une déduction pour des frais de gestion qu’elle n’a jamais supportés. L’intimé avance également que l’appelante a fait des présentations erronées dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012 en demandant des déductions pour les honoraires professionnels liés à la stratégie de PI. L’intimé soutient que l’appelante a fait preuve d’inattention et de négligence en faisant ces présentations erronées et qu’il est sans importance que le comptable de l’appelante ait préparé ses déclarations de revenus.

[12] En ce qui concerne l’imposition de pénalités, l’intimé affirme que l’appelante a fait de faux énoncés dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2010, 2013 et 2015 en demandant une déduction pour des frais de gestion qu’elle n’a jamais supportés. L’intimé avance que l’appelante a fait un faux énoncé dans des circonstances équivalant à faute lourde et, en outre, que l’examen des facteurs pertinents indique que l’appelante a fait preuve d’aveuglement volontaire, de sorte que la connaissance du faux énoncé peut lui être imputée.

[13] En ce qui concerne la déduction des honoraires professionnels, l’intimé affirme que l’appelante n’a pas payé ces honoraires pour tirer un revenu de son entreprise d’entrepreneur-électricien. Les honoraires se rapportaient plutôt à la stratégie de PI et à des factures concernant l’impôt évité par l’appelante et ses actionnaires. À titre subsidiaire, l’intimé fait valoir que les dépenses n’étaient pas raisonnables dans les circonstances.

IV. Contexte entourant la stratégie axée sur la propriété intellectuelle

[14] L’appelante est un entrepreneur-électricien général qui travaille principalement pour des clients commerciaux. Pour décrire son rôle dans l’entreprise de l’appelante, Linda MacInnis a déclaré qu’elle était responsable de tout le [traduction] « travail de bureau », y compris la gestion des factures, le classement des documents et la prise des appels. Elle a reconnu qu’elle était la gestionnaire du bureau et qu’elle avait une bonne connaissance des revenus et des dépenses de l’appelante. Elle a déclaré que Richard MacInnis était responsable de la préparation des estimations et des devis et de l’exécution ou de la supervision des travaux d’électricité lorsqu’il décrochait des contrats. M. MacInnis n’a pas témoigné.

[15] Les MacInnis et Doug Rudolph viennent d’une petite collectivité où tout le monde se connaît; ils ont fréquenté la même école secondaire. Les MacInnis ont engagé Doug Rudolph en 1996 sur recommandation de leur agent d’assurance. Pendant les 20 années suivantes, il a été le comptable de l’appelante, qui lui confiait la préparation de ses déclarations de revenus. Linda MacInnis utilisait un logiciel de comptabilité pour tenir les livres de l’appelante et, à la fin de chaque année, elle remettait une copie des livres à M. Rudolph, qui préparait les déclarations de l’appelante et les feuillets de renseignements T4, ainsi que les déclarations de revenus personnelles des MacInnis. En janvier de chaque année, les MacInnis rencontraient M. Rudolph pour examiner leurs déclarations de revenus. Linda MacInnis a indiqué que Doug Rudolph expliquait brièvement leurs déclarations, sans entrer dans les détails. Elle supposait qu’il préparait correctement les déclarations de revenus de l’appelante et se sentait confortée dans cette conviction par le fait que l’appelante n’avait jamais fait l’objet d’une vérification avant 2016.

[16] En 2010, Doug Rudolph a proposé aux MacInnis une stratégie fiscale qu’il a qualifiée de stratégie axée sur la propriété intellectuelle. Il a expliqué que, pour le bien de l’appelante, les MacInnis devraient se mettre en valeur pour apporter de la valeur à leur entreprise; s’il [traduction] « réexaminait [leurs impôts] pour les restructurer », les MacInnis pourraient réaliser des économies d’impôts. Pour mettre en place la stratégie de PI, Doug Rudolph a travaillé avec Rudy Terracina et ce qui semblait être sa société, Agemo Corporation (« Agemo »).

[17] M. Rudolph a demandé aux MacInnis de préparer leurs biographies de la naissance à 2010 pour [traduction] « l’aider à produire une nouvelle déclaration » et leur a donné les instructions suivantes (pièce A-6) :

[traduction]

Créez une biographie pour vous et Richard, de votre naissance au 31 décembre 2010. Ajoutez le plus d’information possible sur votre éducation, vos emplois et vos voyages ou vacances durant cette période; en gros, tout ce qui aurait pu augmenter votre valeur personnelle ou élargir vos horizons personnels. Fournissez également le plus de détails possible sur le coût de tout ce que vous avez fait pendant la période mentionnée. Tout cela contribue à créer la valeur que nous utiliserons.

[18] Doug Rudolph a dit aux MacInnis que leurs biographies constituaient de la [traduction] « propriété intellectuelle » qui avait de la valeur pour l’appelante et que M. Terracina y attribuerait une valeur. Linda MacInnis a déclaré qu’elle ne comprenait pas vraiment la stratégie de PI, mais qu’elle faisait confiance à Doug Rudolph. Ce dernier transmettrait à Rudy Terracina toute l’information nécessaire au sujet des MacInnis.

[19] Linda MacInnis souligne qu’elle et Richard MacInnis ont eu de la difficulté à préparer leurs biographies parce qu’ils ne savaient pas trop ce qu’ils devaient faire. La seule biographie déposée en preuve est celle de Richard MacInnis (pièce A-9). Cette biographie comprend des notes manuscrites indiquant que Richard a été scout, a suivi des cours de natation, a construit son propre kart, a suivi un cours de sécurité pour chasseurs et fournit des renseignements sur divers emplois qu’il a occupés au fil des ans, y compris des emplois d’été pendant son adolescence et des emplois auprès d’entrepreneurs-électriciens avant de créer sa propre entreprise.

[20] Le 9 décembre 2010, Linda MacInnis et Douglas Rudolph ont signé une lettre de mission (pièce A-2) qui comportait les passages suivants : [traduction] « J’engage par la présente Agemo pour mettre en œuvre une stratégie d’évitement fiscal basée sur ses connaissances exclusives afin de récupérer l’impôt payé par la société pour les années 2003 à 2009 »; en outre, la lettre de mission précisait que les honoraires étaient de [traduction] « 30 % de l’impôt récupéré ». Doug Rudolph a envoyé un courriel le 10 décembre 2010, expliquant qu’il y avait eu une erreur de calcul et que le remboursement d’impôt serait plus important que prévu. Selon Linda MacInnis, cela signifiait que l’appelante allait devoir payer une somme plus élevée à Agemo, comme celle-ci avait généré une plus grande économie d’impôt.

[21] Le 1er avril 2011, Linda MacInnis a envoyé un courriel à Doug Rudolph pour s’enquérir d’une garantie qu’il avait mentionnée précédemment. Dans le courriel, il est écrit ce qui suit (pièce A-10; transcription, vol. 1, p. 140) :

[traduction]

Richard a de nouveau des doutes. Vous avez mentionné qu’il existe une garantie que nous pouvons obtenir si nous payons un pourcentage plus élevé (40 %). Nous choisissons cette garantie. Pouvez-vous nous en envoyer une copie pour que nous puissions la lire?

[22] Le même jour, M. Rudolph a répondu par courriel et envoyé une copie de la garantie qui est, en partie, ainsi libellée (pièce A-8; transcription, vol. 1, p. 141) :

[traduction]

En cas de nouvelle cotisation entraînant une dette fiscale au titre de la participation à la coentreprise Partners in Research, la dette fiscale sera payée par Partners in Research.

[23] M. Rudolph n’a fourni aucune information sur « Partners in Research ». Linda MacInnis explique qu’ils ont tout de même souscrit la garantie pour que Doug Rudolph s’occupe des éventuels problèmes, notamment une vérification. Elle reconnaît que la garantie l’a rassurée, car en cas de problème, le pire qui puisse arriver serait que la garantie couvre les impôts résultant des dépenses qui feraient l’objet d’un refus. En ajoutant la garantie, qui représentait une tranche supplémentaire de 10 % de l’éventuelle économie d’impôt, l’appelante devait payer une commission totale équivalant à 40 % des économies d’impôt générées par la stratégie de PI.

[24] L’appelante a déposé en preuve plusieurs estimations de Doctor Tax concernant les honoraires à payer pour la stratégie de PI (pièces A-12, A-14, A-16 et A-18) ainsi que des traites bancaires pour les paiements effectués à Doctor Tax (pièces A-11 et A-15). Linda MacInnis indique qu’elle a traité les estimations comme des factures et immédiatement payé les sommes indiquées à Doctor Tax. Il est difficile de rapprocher les estimations de Doctor Tax, les paiements effectués par l’appelante et les honoraires professionnels dont la déduction a été demandée et refusée, et l’appelante n’a pas tenté de procéder au rapprochement lors de l’audience. Il suffit de noter les renseignements suivants concernant les estimations :

  1. une estimation concerne les remboursements prévus pour 2007, 2008 et 2009;

  2. une estimation concerne l’impôt évité prévu (déclaration T1) pour 2011;

  3. une estimation concerne l’impôt évité (déclarations T1 et T2) pour 2011;

iv. une estimation concerne le bénéfice prévu (déclarations T1 et T2) pour 2012.

[25] En 2016, des fonctionnaires du Programme des enquêtes criminelles de l’Agence du revenu du Canada (ARC) ont rencontré les MacInnis pour leur poser des questions sur leurs rapports avec Doug Rudolph et leur participation à la stratégie de PI. Linda MacInnis affirme que les fonctionnaires de l’ARC ont conclu à l’absence d’acte criminel. Peu de temps après, l’appelante a fait l’objet d’une vérification qui a conduit aux nouvelles cotisations visées par le présent appel. Autour du moment de la vérification, les MacInnis ont engagé un avocat et un nouveau comptable, Earl MacLeod, pour examiner les déclarations de revenus de l’appelante et les conseiller pour l’avenir. Ils ont tous rencontré le vérificateur, Ryan Sampson. Je note que M. Sampson dit avoir effectué sa vérification sans pouvoir consulter le dossier d’enquête criminelle. M. Sampson n’a pas contacté Rudy Terracina, car ce dernier était décédé entre-temps, mais il a contacté Doug Rudolph, qui l’a renvoyé à son avocat. Ce dernier n’a jamais rappelé M. Sampson.

[26] Dans son témoignage, M. MacLeod a déclaré avoir conseillé aux MacInnis et à MF Electric de remettre les remboursements liés à la déduction des frais de gestion, car, selon lui, leur déductibilité ne pouvait être établie. Les MacInnis ont reconnu que les frais de gestion n’étaient pas déductibles et, sur les conseils de M. MacLeod et sur la base de ses calculs, l’appelante a remboursé plus de 400 000 $. Toutefois, comme il est indiqué plus haut, l’appelante conteste le refus de la déduction des honoraires professionnels et l’imposition des pénalités.

[27] Pour mettre en contexte le présent appel, il est pertinent de mentionner qu’en 2006, les MacInnis ont placé 25 000 $ à titre personnel par l’intermédiaire de Doug Rudolph. Linda MacInnis affirme que M. Rudolph lui a dit, ainsi qu’à Richard, que leur argent serait placé dans un prêt-relais auprès de CanGlobe. Le placement devait durer un an et générer un rendement de 25 %, qui ne s’est jamais concrétisé. M. Rudolph a dit aux MacInnis qu’il y avait des problèmes avec les banques à l’étranger et a continué à leur promettre qu’ils recevraient leur argent. Ils ne l’ont jamais reçu. En décembre 2010, les MacInnis ont été convoqués devant la Commission des valeurs mobilières de la Nouvelle-Écosse dans le cadre d’une enquête sur Douglas Rudolph et les investissements de CanGlobe (pièce R-1). Linda MacInnis affirme qu’ils ont défendu M. Rudolph, car lorsqu’ils l’ont interrogé sur l’enquête de la Commission des valeurs mobilières, il leur a dit qu’il s’agissait d’un malentendu, qu’il faisait l’objet de fausses accusations et qu’il récupérerait leur argent.

[28] L’appelante a fait témoigner David Worrell, un inspecteur de police à la retraite, au sujet de ses rapports avec Doug Rudolph. Pour résumer son témoignage, il suffit de dire que M. Worrell a, lui aussi, participé au stratagème de prêt-relais de CanGlobe. J’ajoute que, sur la recommandation de M. Rudolph, il a également fait des dons à Global Learning Gifting Initiative en 2006 et 2007 et a obtenu un reçu fiscal pour un montant de cinq fois la somme donnée. Il a déclaré qu’il avait trouvé M. Rudolph très convaincant, qu’il semblait bien informé [traduction] « et qu’il offrait un rendement très intéressant » (transcription, vol. 3, p. 23). Le fait que M. Worrell ait été persuadé d’investir dans CanGlobe, comme beaucoup d’autres, n’aide pas l’appelante pour ce qui est des questions soulevées dans le présent appel relativement à sa participation à la stratégie de PI.

V. Analyse

Établissement d’une nouvelle cotisation au-delà de la période normale de cotisation

[29] Pour trancher la première question en litige dans le présent appel, la Cour doit déterminer si le ministre était fondé à établir une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante au-delà de la période normale de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012.

[30] Le paragraphe 152(4) de la Loi confère au ministre le droit d’établir une cotisation au-delà de la période normale de nouvelle cotisation déterminée en application du paragraphe 152(3.1). En ce qui concerne plus précisément le présent appel, le sous-alinéa 152(4)a)(i) dispose ce qui suit :

152 (4) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu’aucun impôt n’est payable pour l’année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d’imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans les cas suivants :

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi,

152 (4) The Minister may at any time make an assessment, reassessment or additional assessment of tax for a taxation year, interest or penalties, if any, payable under this Part by a taxpayer or notify in writing any person by whom a return of income for a taxation year has been filed that no tax is payable for the year, except that an assessment, reassessment or additional assessment may be made after the taxpayer’s normal reassessment period in respect of the year only if

(a) the taxpayer or person filing the return

(i) has made any misrepresentation that is attributable to neglect, carelessness or wilful default or has committed any fraud in filing the return or in supplying any information under this Act, or

[31] Selon le libellé du sous-alinéa 152(4)a)(i), il suffit au ministre d’établir qu’il y a eu négligence ou inattention sans avoir à examiner s’il y a eu omission volontaire ou fraude (voir Deyab c. Canada, 2020 CAF 222, par. 58 à 61). Cela dit, il incombe au ministre d’établir que le contribuable ou la personne qui remplit la déclaration de revenus a fait une présentation erronée des faits et que celle-ci est imputable à la négligence, à l’inattention, à l’omission volontaire ou à la fraude (voir Vine (Succession) c. Canada, 2015 CAF 125, par. 23 et 24).

[32] Il incombe au ministre d’établir qu’il y a eu une présentation erronée des faits au moment de la production de la déclaration de revenus. Dans ses observations sur la question du moment dans la décision Nesbitt c. Canada, [1996] A.C.F. no 1470 (QL), au paragraphe 8, la Cour d’appel fédérale a exprimé son point de vue sur l’objet du paragraphe 152(4) :

Il me semble que l’un des objets du paragraphe 152(4) est de favoriser l’établissement soigné et exact des déclarations de revenus. C’est au moment où la déclaration est produite que l’on peut déterminer s’il y a eu ou non présentation erronée de faits par négligence ou inattention en remplissant la déclaration. Des faits ont été présentés erronément s’il se trouve un élément inexact dans la déclaration, du moins un élément qui est important pour les fins de la déclaration ainsi que de toute nouvelle cotisation ultérieure. Cela demeure une présentation erronée de fait même si le ministre pourrait relever ou relève effectivement l’erreur dans la déclaration en procédant à une analyse attentive des documents justificatifs. Le caractère autodéclaratif du système fiscal serait miné si les contribuables pouvaient remplir avec négligence les déclarations tout en fournissant dans les documents de travail des données de base exactes, en espérant que le ministre ne trouve pas l’erreur mais que, si cela arrivait dans les quatre années suivantes, la pire conséquence serait l’établissement d’une nouvelle cotisation exacte à ce moment-là.

[Non souligné dans l’original.]

[33] Il est bien établi en droit que le critère applicable pour déterminer s’il y a présentation erronée des faits n’est pas strict. À l’appui de ce point de vue, le juge Bocock a écrit ce qui suit au paragraphe 20 de la décision Francis & Associates c. La Reine, 2014 CCI 137 :

Une présentation erronée de faits s’entend de n’importe quelle déclaration « inexacte » : MNR v. Foot, [1964] C.T.C. 317 (CSC). Par ailleurs, il a été indiqué dans plusieurs décisions que « toute » erreur commise dans une déclaration produite est assimilable à une présentation erronée des faits : MNR v. Taylor, [1961] C.T.C. 211 (C. de l’É.), Nesbitt c. La Reine, 1996 (CAF) et Ridge Run Developments Inc. v. R, [2007] 3 C.T.C. 2605 (CCI) [procédure générale]). C’est donc dire que le critère qui permet d’établir l’existence d’une présentation erronée des faits n’est pas strict.

[34] Dans sa déclaration pour 2010, l’appelante a déduit des frais de gestion de 1 622 000 $ (pièce A-5), dont 1 610 000 $ se rapportaient à la stratégie de PI. Linda MacInnis dit ne pas se souvenir d’avoir examiné la déclaration en détail, mais suppose que M. Rudolph lui a montré le bilan de l’appelante. Interrogée sur les états financiers de l’appelante pour 2010 (pièce A-4), Linda MacInnis explique qu’elle ne saisissait pas les détails, mais qu’elle comprenait que le passif à court terme de 2010 était nettement plus élevé que celui de 2009 en raison des déductions liées à la stratégie de PI. Mme MacInnis ne comprenait peut-être pas les subtilités de la stratégie de PI, mais en sa qualité de gestionnaire du bureau et teneuse de livres, elle savait que l’appelante n’avait pas subi ou payé de frais de gestion en lien avec la stratégie de PI. En outre, l’appelante reconnaît qu’elle a eu tort de déduire les frais de gestion liés à la stratégie de PI et, sur les conseils de son comptable actuel, elle a maintenant remboursé plus de 400 000 $ pour acquitter tout ou partie de la dette fiscale découlant de cette déduction inappropriée. Par conséquent, l’appelante, par l’intermédiaire de son administratrice et gestionnaire de bureau, savait qu’elle déduisait une dépense qu’elle n’avait pas faite et n’a pas cherché à confirmer le bien-fondé de la déduction.

[35] L’appelante n’a pas déduit de frais de gestion liés à la stratégie de PI en 2011 et 2012, mais elle a déduit des honoraires professionnels s’y rapportant. Comme il est indiqué plus haut, l’appelante devait payer 30 % des économies d’impôt résultant de la stratégie de PI. Mme MacInnis a reçu des estimations relatives à ces honoraires et, les traitant comme des factures, les a payées rapidement. Comme il est expliqué plus haut, certaines estimations de Doctor Tax concernaient l’impôt évité, et d’autres, l’impôt évité en lien avec les déclarations T1 et T2. Les tribunaux considèrent que, « [l]orsque le contribuable, après un examen réfléchi et attentif de la situation, évalue celle-ci et produit une déclaration selon la méthode qu’en bonne foi il croit appropriée, il ne peut y avoir présentation erronée des faits au sens de l’article 152 » (voir Canada c. Regina Shoppers Mall Ltd, [1991] A.C.F. no 52, par. 7 [Regina Shoppers]). Je conclus que l’appelante et ses administrateurs n’ont pas effectué « un examen réfléchi et attentif de la situation » avant de remplir les déclarations de l’appelante; ils se sont contentés de continuer de faire confiance à M. Rudolph. J’ajoute qu’à ce moment-là, les MacInnis avaient déjà été cités à comparaître devant la Commission des valeurs mobilières de la Nouvelle-Écosse dans le cadre d’une enquête sur Douglas Rudolph.

[36] Pour reprendre les termes du juge Muldoon dans la décision Reilly, succession c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1983] A.C.F. no 1114 (C.F. 1re inst.), « il faut se rappeler que la sagesse n’est pas infaillible et que la prudence n’est pas la perfection ». Toutefois, en l’espèce, l’appelante n’a pas fait preuve de diligence raisonnable (voir Venne c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1984] A.C.F. no 314 (C.F. 1re inst.), par. 16). Dans l’arrêt Regina Shoppers, précité, au paragraphe 7, la Cour d’appel fédérale reconnaît qu’il a été établi « que le soin nécessaire doit correspondre à celui d’une personne sage et prudente et que la déclaration doit être faite d’une façon que le contribuable croit véritablement appropriée ». Lors de l’audience, Linda MacInnis a indiqué à plusieurs reprises que l’appelante avait simplement fait confiance à Doug Rudolph et que, par conséquent, aucune question ne lui avait été posée et aucune autre demande n’avait été faite. L’appelante ne peut pas se protéger des conséquences du sous-alinéa 152(4)(a)(i) en rejetant la responsabilité sur Doug Rudolph (voir, par exemple, Snowball c. R., [1996] A.C.I. no 276, par. 18).

[37] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’appelante a fait une présentation erronée des faits dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012 et que cette présentation erronée était attribuable à la négligence ou à l’inattention. Par conséquent, le ministre s’est acquitté du fardeau qui lui incombait pour pouvoir établir une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante au-delà de la période normale de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012.

Pénalités prévues au paragraphe 163(2)

[38] Pour trancher la deuxième question en litige dans le présent appel, la Cour doit déterminer si le ministre était fondé à imposer des pénalités en application du paragraphe 163(2) de la Loi relativement à la déduction des frais de gestion pour les années d’imposition 2010, 2013 et 2015. Aucune pénalité n’a été imposée relativement à la déduction des honoraires professionnels.

[39] Le paragraphe 163(2) est ainsi libellé :

(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants…

(2) Every person who, knowingly, or under circumstances amounting to gross negligence, has made or has participated in, assented to or acquiesced in the making of, a false statement or omission in a return, form, certificate, statement or answer (in this section referred to as a “return”) filed or made in respect of a taxation year for the purposes of this Act, is liable to a penalty of the greater of $100 and 50% of the total of…

[40] Le ministre doit donc démontrer que l’appelante a fait un faux énoncé, ou y a participé, consenti, ou acquiescé et qu’elle l’a fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. Comme le prévoit le paragraphe 163(3), le ministre a la charge d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité.

[41] En demandant une déduction pour des frais de gestion qu’elle n’a jamais supportés, l’appelante a fait un faux énoncé. Il convient de rappeler que l’appelante a reconnu que les frais de gestion n’étaient pas déductibles. Ainsi, le premier élément du critère énoncé au paragraphe 163(2), à savoir le faux énoncé, est établi. La principale question est donc de déterminer si l’appelante a fait le faux énoncé « sciemment » ou « dans des circonstances équivalant à faute lourde ».

[42] Depuis la décision de principe en la matière Venne, précitée, les tribunaux considèrent que la « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable, dont l’exercice pourrait être suffisant pour éviter l’application du sous-alinéa 152(4)a)(i) dont il est question plus haut. Dans la décision Venne, précité, au paragraphe 37, la Cour fédérale a déclaré que pour qu’il y ait faute lourde « [il] doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi ». Il a été établi que cela désigne un comportement qui « s’apparente […] à faire l’autruche » (voir Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, par. 60). Une jurisprudence considérable s’est développée depuis que la décision Venne a été rendue en 1984, ce qui n’a rien de surprenant étant donné que chaque appel implique que soient tirées des conclusions de fait concernant le rôle du contribuable dans la production du faux énoncé. Les parties ont renvoyé à bon nombre de ces décisions à l’audience. Comme il n’est ni nécessaire ni utile de les examiner toutes, je m’abstiens de le faire.

[43] Dans l’arrêt Wynter c. Canada, 2017 CAF 195 [Wynter], la Cour d’appel fédérale a confirmé que le ministre pouvait s’acquitter de son fardeau d’établir que le faux énoncé a été fait sciemment en démontrant que le contribuable avait fait preuve d’aveuglement volontaire, de sorte que la connaissance pouvait lui être imputée. Dans son explication de la distinction entre l’aveuglement volontaire et la faute lourde, la Cour a déclaré ce qui suit (par. 13) :

Un contribuable fait preuve d’ignorance volontaire lorsqu’il prend conscience de la nécessité de se renseigner, mais refuse de le faire parce qu’il ne veut pas connaître la vérité ou qu’il évite soigneusement de la connaître. Il s’agit de la notion de l’ignorance délibérée : R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, aux paragraphes 23 et 24, [2010] 1 R.C.S. 411 (Briscoe); Sansregret, au paragraphe 24. Dans ces circonstances, la doctrine de l’ignorance volontaire impute une connaissance au contribuable : Briscoe, au paragraphe 21.

[44] Alors que la faute lourde est établie par une appréciation objective, l’aveuglement volontaire nécessite une évaluation subjective du comportement du contribuable (voir Wynter, par. 12). Je tiens à préciser que l’avocat de l’appelante avait raison d’affirmer que l’aveuglement volontaire doit être apprécié d’un point de vue subjectif.

[45] En outre, la Cour d’appel fédérale a affirmé que la faute lourde, qui se distingue de l’aveuglement volontaire, « se manifeste lorsque la conduite d’un contribuable se situe considérablement en deçà de la conduite à laquelle on est en droit de s’attendre de la part d’un contribuable raisonnable. En termes simples, alors que le contribuable volontairement ignorant savait, le contribuable coupable d’une faute lourde aurait dû savoir » [Wynter, précité, par. 18].

[46] J’en viens maintenant à la question de savoir si l’appelante avait une connaissance réelle ou subjective du fait qu’elle a fait de faux énoncés dans ses déclarations de revenus. Linda MacInnis a témoigné que, lorsque Doug Rudolph se rendait au bureau de l’appelante pour mettre la touche finale à ses déclarations, elle ne les examinait pas en détail (voir, par exemple, transcription, vol. 1, p. 20 et 121). Mme MacInnis a ajouté qu’elle n’avait pas de formation en comptabilité et qu’elle ne pensait pas avoir besoin d’examiner les déclarations en détail parce qu’elle supposait que M. Rudolph les remplissait correctement. Bien que je croie Mme MacInnis lorsqu’elle dit qu’elle ne comprenait pas les incidences fiscales de la stratégie de PI, cela n’exonère pas l’appelante (voir Tomlinson c. La Reine, 2016 CCI 246, par. 19). La question pertinente est de savoir si l’appelante a fait preuve d’aveuglement volontaire en faisant un faux énoncé.

[47] Je trouve les remarques du juge Owen aux paragraphes 49 et 50 de la décision Peck c. La Reine, 2018 CCI 52, instructives en ce qui concerne la pertinence des qualités personnelles d’un contribuable :

[49] La nature subjective de la norme de l’ignorance volontaire signifie également que les qualités personnelles de la personne peuvent être prises en compte pour déterminer si elle a fait preuve d’ignorance volontaire.

[50] En revanche, la nature objective de la norme de la faute lourde signifie que les qualités personnelles ne sont pas pertinentes à moins que la personne établisse qu’elle est incapable d’apprécier le risque qu’elle n’a pas réussi à éviter (voir l’arrêt R. c. Beatty, 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49, au paragraphe 40).

[48] Dans les affaires traitant des pénalités imposées en application du paragraphe 163(2) les tribunaux ont considéré que les qualités personnelles et les circonstances particulières suivantes, entre autres, étaient pertinentes : le niveau d’instruction, l’intelligence, les connaissances et l’expérience du contribuable; l’importance de l’avantage ou de l’omission; la possibilité de constater qu’il y avait un faux énoncé; les explications données par le spécialiste en déclarations de revenus (voir, par exemple, Torres c. La Reine, 2013 CCI 380, conf. par Strachan c. Canada, 2015 CAF 60).

[49] Pour déterminer si l’appelante a fait preuve d’aveuglement volontaire en faisant de faux énoncés dans ses déclarations, nous devons examiner le comportement de ses dirigeants, qui prenaient des décisions en son nom. L’avocat de l’appelante a dépeint les MacInnis comme des personnes simples appartenant à la classe ouvrière, les qualifiant même de [traduction] « ploucs », qui n’avaient pas l’instruction nécessaire pour comprendre ce qui se passait. Je ne suis pas d’accord.

[50] Mme MacInnis a terminé ses études secondaires, a occupé plusieurs emplois, notamment dans une agence de placement temporaire où elle effectuait du travail de bureau, ainsi que dans une agence de recouvrement et au Dartmouth Free Press. Plus important encore, Mme MacInnis était la teneuse de livres de l’appelante; elle préparait les factures à l’intention des clients, recevait et payait les factures de l’entreprise, gérait les feuilles de présence des employés, payait leurs salaires et s’assurait qu’ils reçoivent leur feuillet T4. Elle a admis avoir une [traduction] « bonne connaissance » des revenus et des dépenses de l’appelante.

[51] Bien que Richard MacInnis n’ait pas témoigné, j’accepte la description faite par Linda MacInnis de sa formation et de son rôle dans l’entreprise de l’appelante. Richard a suivi un programme d’études de deux ans pour devenir électricien et est retourné à l’école chaque année pendant quatre ans pour suivre un cours de sept semaines afin de devenir compagnon. Il a travaillé pour de petites entreprises d’électricité pendant quelques années et pour Seaboard Electric pendant huit ou neuf ans. Dans l’entreprise de l’appelante, il était responsable de la préparation des estimations et des devis et de l’exécution ou de la supervision des travaux d’électricité lorsqu’il décrochait des contrats.

[52] Je reconnais que les MacInnis n’ont pas de connaissances fiscales approfondies. Néanmoins, ce sont des gens intelligents qui dirigent une entreprise prospère dans un secteur où la sécurité est de la plus haute importance, et dont les revenus dépassaient largement le million de dollars, et même le million et demi de dollars, au cours des années d’imposition concernées.

[53] L’appelante a déduit des frais de gestion de 1 610 000 $, de 160 000 $ et de 236 556 $ pour les années d’imposition 2010, 2013 et 2015 respectivement. Pour l’année d’imposition 2010, la somme est d’une telle ampleur qu’elle a engendré une perte de plus d’un million de dollars. Avant 2010, l’appelante n’avait jamais déclaré de perte en 15 ans d’activité (transcription, vol. 1, p. 125). Linda MacInnis a dit qu’elle devait avoir des factures ou des reçus pour les dépenses énumérées à l’annexe 125 de la déclaration T2 pour 2010 et qu’elle devait avoir payé les dépenses au nom de l’appelante. Elle n’avait pas de facture pour les frais de gestion. Elle a reconnu que les biographies des actionnaires et la stratégie de PI étaient les seuls documents justificatifs se rapportant aux frais de gestion de 1 610 000 $. Linda MacInnis a témoigné qu’elle n’avait jamais vu de calculs montrant comment la valeur des biographies des actionnaires avait été établie. Bien qu’elles soient nettement inférieures à celles de 2010, les sommes déduites pour les années d’imposition 2013 et 2015 demeurent importantes et représentent plus de la moitié des frais d’exploitation déduits.

[54] Toutes les déclarations pour les années d’imposition où l’appelante a déduit les frais de gestion ont été produites après que les MacInnis eurent été cités à comparaître devant la Commission des valeurs mobilières de la Nouvelle-Écosse dans le cadre d’une enquête sur Douglas Rudolph. En outre, quand l’appelante a déposé ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2013 et 2015, les MacInnis avaient déjà assisté à une réunion avec leur ami et concurrent, Tim Jones, au bureau de son comptable, Boyd Hunter. Doug Rudolph était également présent à cette réunion, qui a eu lieu en août 2011. Dans son témoignage, M. Hunter a affirmé qu’il n’était pas impressionné par l’idée présentée par Doug Rudolph; selon lui, elle avait quelque chose de louche. À son avis, il n’y a aucune chance qu’il ait dit à l’appelante que la stratégie proposée était une bonne idée. M. Hunter ne se souvient pas de ce qu’il a dit lors de la réunion, mais il est certain qu’après la réunion, il a recommandé à Tim Jones de ne pas appliquer la stratégie (transcription, vol. 3, p. 38). Il affirme avoir dit à Tim Jones : [TRADUCTION] « Mais si vous voulez, je peux toujours leur demander des références de cas réels, et cetera, et ce sera à vous de décider si vous voulez que je passe du temps là-dessus s’ils nous en envoient » (transcription, vol. 3, p. 40).

[55] Le même jour que la réunion d’août 2011, M. Hunter a envoyé un courriel à Doug Rudolph pour lui demander de fournir de la jurisprudence à l’appui de la stratégie de PI. Doug Rudolph a répondu au courriel en incluant l’appelante et Tim Jones dans sa réponse, mais en excluant M. Hunter. Doug Rudolph n’a fourni aucun document à l’appui de la stratégie de PI, se contentant d’écrire qu’il avait transmis le message au siège social et que [traduction] « l’ARC a pour pratique de harceler les contribuables et de les menacer de poursuites judiciaires, mais préfère conclure un règlement avant le procès, car elle ne veut pas perdre ni créer de précédent » (pièce R-2). M. Jones a changé de comptable à un moment donné et, début 2014, il a échangé des courriels avec Doug Rudolph au sujet de la stratégie de PI. Cependant, lorsque M. Jones a vu un article publié dans le Chronicle Herald faisant état d’une enquête de la GRC au terme de laquelle des accusations avaient été portées contre Doug Rudolph (voir pièce R-3), il a envoyé un courriel à ce dernier, car il pensait que l’article concernait un homonyme. Quand M. Rudolph a confirmé qu’il s’agissait de lui, M. Jones a déclaré qu’il [traduction] « en avait assez » et qu’aucune explication ou justification de la part de M. Rudolph ne pourrait le faire changer d’avis. M. Jones dit avoir communiqué cette information à l’appelante.

[56] Je note que l’appelante n’a pas déduit de frais de gestion dans sa déclaration pour l’année d’imposition 2014, mais qu’elle l’a fait à nouveau pour l’année d’imposition 2015, après la parution de l’article dans le Chronicle Herald et après que Tim Jones eut communiqué avec les MacInnis à ce sujet.

[57] Compte tenu des qualités personnelles des MacInnis et des circonstances dans lesquelles l’appelante a fait de faux énoncés, j’estime qu’elle a fait preuve d’aveuglement volontaire en déduisant des frais de gestion qu’elle n’avait pas supportés et en ne cherchant pas à savoir comment le montant de ces frais avait été établi. À aucun moment l’appelante, en la personne des MacInnis, n’a vu les signaux d’alarme indiquant la nécessité de se renseigner plus avant sur Doug Rudolph, ou même sur Rudy Terracina, qui était celui qui attribuait une valeur aux biographies des actionnaires pour la stratégie de PI. Linda MacInnis a répété à plusieurs reprises qu’elle n’avait pas posé de questions, car elle faisait confiance à Doug Rudolph.

[58] Pour reprendre les termes de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wynter, l’appelante, par l’intermédiaire des MacInnis, a délibérément décidé de ne pas se renseigner afin d’éviter de vérifier ce qui pourrait être une vérité gênante. Malgré les doutes de M. MacInnis à l’égard de la stratégie de PI, l’appelante a choisi de souscrire une garantie, ce qui, selon moi, dénote un processus de suppression des soupçons (voir Wynter, par. 17). À mon avis, cela suffit à établir l’aveuglement volontaire de sorte que la connaissance peut être imputée à l’appelante. Par conséquent, selon les enseignements de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wynter, le ministre s’est acquitté de son fardeau d’établir la connaissance en application du paragraphe 163(2) pour les années d’imposition 2010, 2013 et 2015.

[59] Comme il est mentionné ci-dessus, la faute lourde, qui se distingue de l’aveuglement volontaire, se manifeste lorsque la conduite d’un contribuable se situe considérablement en deçà de la conduite à laquelle on est en droit de s’attendre de la part d’un contribuable raisonnable. À mon avis, les conclusions présentées ci-dessus concernant l’aveuglement volontaire permettent également de conclure que le comportement de l’appelante s’écarte nettement de ce à quoi l’on pourrait s’attendre de la part d’une personne raisonnable dans les mêmes circonstances. Une personne raisonnable, dans la situation de l’appelante et de ses actionnaires, se serait renseignée auprès d’une personne indépendante sur la stratégie de PI et les explications absurdes fournies par Doug Rudolph. Une personne raisonnable se serait méfiée de la valeur énorme attribuée aux biographies et de Rudy Terracina, qui attribuait la valeur sans présenter les fondements de ses calculs. Une personne raisonnable se serait méfiée du résultat fiscal extraordinaire, soit la perte énorme résultant de la déduction des frais de gestion. Une personne raisonnable aurait demandé un avis comptable indépendant sur ces avantages fiscaux extraordinaires. Une personne raisonnable se serait renseignée sur les estimations et les factures ainsi que sur les entités auxquelles les paiements étaient destinés. Une personne raisonnable se serait renseignée après avoir appris de la Commission des valeurs mobilières de la Nouvelle-Écosse que Doug Rudolph faisait l’objet d’une enquête.

[60] À mon avis, la conduite de l’appelante dans ces circonstances s’écarte nettement de celle à laquelle on peut s’attendre d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. Comme le contribuable dans la décision Peck, précitée, l’appelante ne peut pas se contenter de dire qu’elle s’est fiée aveuglément à son comptable, par l’intermédiaire des MacInnis, sans chercher à mieux comprendre la stratégie de PI et sans vérifier l’exactitude et le bien-fondé de la déduction demandée. Qui plus est, l’appelante a ignoré les nombreux signaux d’alerte mentionnés ci-dessus (voir, par exemple, la décision Peck, précitée, par. 79).

[61] Pour ces motifs, je conclus que le ministre a établi que l’appelante a fait preuve d’aveuglement volontaire en faisant de faux énoncés dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2010, 2013 et 2015 et qu’elle l’a fait dans des circonstances équivalant à faute lourde.

La déductibilité des honoraires professionnels

[62] La troisième question en litige soulevée dans le présent appel est la déductibilité des honoraires professionnels que l’appelante a déduits dans ses déclarations pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012. Pour trancher cette question, la Cour doit déterminer si les honoraires répondent aux critères de déductibilité des dépenses d’entreprise.

[63] Je ne conteste pas l’affirmation de l’appelante selon laquelle elle exploite une entreprise d’électricité légitime et bien établie qui existe depuis près de 30 ans, et non une entreprise plus ou moins fictive. Toutefois, à mon avis, cela n’est pas déterminant pour savoir si une dépense donnée est déductible. La question est plutôt de savoir si les dépenses ont été faites dans le but de tirer un revenu de l’entreprise de l’appelante, sans quoi les dépenses ne sont pas déductibles aux termes de l’alinéa 18(1)a) de la Loi.

[64] Comme il est indiqué plus haut, l’appelante a payé des honoraires correspondant aux estimations qu’elle a reçues de Doctor Tax, estimations concernant l’impôt évité en lien avec les déclarations T1 et T2. Nous savons que le montant des honoraires correspondait à 30 % de ce qui était désigné comme l’impôt évité et que les honoraires étaient liés à la stratégie de PI. Il n’y a pas d’autres renseignements sur les services effectivement fournis à l’appelante. En outre, à la lumière de la référence à l’impôt évité en lien avec la déclaration T1, j’ajoute qu’il n’y a pas d’information sur la proportion des dépenses liées aux économies réalisées par les MacInnis sur leur impôt personnel. De toute évidence, les sommes payées en lien avec les déclarations personnelles des MacInnis ne sont pas déductibles par la société qu’est l’appelante. Je souligne également que Linda MacInnis a déclaré que Doug Rudolph ne lui avait jamais facturé la préparation de ses déclarations de revenus personnelles (transcription, vol. 1, p. 162).

[65] D’après l’avocat de l’appelante, le « service » pour lequel l’appelante a payé des honoraires professionnels était [traduction] « le service de récupération de l’impôt – la stratégie de PI concernant les frais de gestion » (transcription, vol. 3, p. 159). À l’appui de la déductibilité des honoraires professionnels, l’appelante a invoqué des décisions portant sur la question de savoir si une entreprise était effectivement exploitée (comme Hammill c. Canada, 2005 CAF 252) ou s’il existait une source de revenu (comme Canada c. Johnson, 2012 CAF 253, demande d’autorisation de pourvoi à la CSC refusée, no 35090). Je ne pense pas que ces décisions soutiennent l’argument de l’appelante selon lequel les honoraires professionnels déduits par l’appelante répondent aux critères de déductibilité prévus par la loi.

[66] Je conclus que les honoraires professionnels payés par l’appelante n’étaient pas des dépenses faites dans le but de tirer un revenu des activités de son entreprise d’électricité. Ces dépenses n’ont pas été faites à des fins professionnelles. L’appelante n’a pas pu expliquer clairement à la Cour pourquoi elle avait fait ces dépenses, comment leur montant avait été établi ni à qui elles avaient été payées exactement. Les éléments de preuve documentaires montrent que l’appelante a effectué des paiements à Doctor Tax (voir, par exemple, une traite bancaire, pièce A-11) et à une société à numéro (voir l’écriture comptable, pièce A-16). Linda MacInnis pensait que la société à numéro était la société de Doug Rudolph et elle ne savait pas si Doctor Tax était liée à Doug Rudolph ou à Agemo et à Rudy Terracina (voir, par exemple, transcription, vol. 1, p. 59). Les honoraires professionnels ne répondent pas aux critères de déductibilité des dépenses d’entreprise prévus par la loi.

VI. Conclusion

[67] Pour tous les motifs exposés ci-dessus, je conclus que le ministre était fondé :

  1. à établir une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante au-delà de la période normale de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012;

  2. à imposer des pénalités pour faute lourde sur les sommes liées aux frais de gestion pour les années d’imposition 2010, 2013 et 2015;

  3. à refuser la déduction des honoraires professionnels pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012.

[68] L’appel concernant les années d’imposition 2010, 2011, 2012, 2013 et 2015 est rejeté, avec dépens à l’intimé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mai 2023.

« Gabrielle St-Hilaire »

La juge St-Hilaire

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de septembre 2024

Sébastien D’Auteuil, jurilinguiste



RÉFÉRENCE :

2023 CCI 60

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2019-1177(IT)G

INTITULÉ :

MF ELECTRIC INCORPORATED c. SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 21, 22 et 23 et 24 novembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Gabrielle St-Hilaire

DATE DU JUGEMENT :

Le 9 mai 2023

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelante :

Me Derek B. Brett

Avocat de l’intimé :

Me Tokunbo Omisade

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Derek B. Brett

 

Cabinet :

Burnside Law Group

202, avenue Brownlow, bureau 400, Dartmouth (Nouvelle-Écosse) B3B 1T5

Pour l’intimé :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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