Dossier : 2022-558(IT)G
ENTRE :
BELLEVUE FÉLIX,
appelant,
et
SA MAJESTÉ LE ROI,
intimé.
Requête présentée par voie d’observations écrites, à Ottawa, Canada
Devant : L’honorable juge Dominique Lafleur
Comparutions :
Pour l’appelant :
|
L’appelant lui-même
|
Avocats de l’intimé :
|
Me Antoine Lamarre
Me Noémie Vespignani
|
ORDONNANCE
VU l’avis de requête de l’intimé (la « requête ») du 18 mai 2022 afin d’obtenir une ordonnance radiant certains passages de l’avis d’appel conformément à l’alinéa 53(1)d) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), sans autorisation de modifier l’avis d’appel, à savoir :
i) les paragraphes 36 à 50 à la section A de l’avis d’appel, intitulée
« Les faits pertinents qui servent de fondement à l’appel »;
ii) les questions (ii), (iii), (iv) et (v) à la section B de l’avis d’appel, intitulée « Les points en litige »;
iii) les paragraphes 65, 70, 73 à 91, 96 (y compris tous les sous‑paragraphes) et 97 à 100 à la section D de l’avis d’appel, intitulée « Les moyens »;
iv) à la section E de l’avis d’appel, intitulée « Conclusions recherchées », les conclusions correspondantes aux questions (ii), (iii), (iv) et (v) à la section B de l’avis d’appel intitulée « Les points en litige », soit les troisième et quatrième conclusions à la page 28 de l’avis d’appel, la première conclusion à la page 29 de l’avis d’appel ainsi que la conclusion subsidiaire de l’avis d’appel;
VU les documents déposés au dossier et la demande que la requête soit tranchée sur dossier sans comparution des parties;
ET VU les observations écrites des parties;
ET VU le consentement de l’appelant à ce que soient radiés la question (v) à la section B de l’avis d’appel, intitulée « Les points en litige », les paragraphes 97 à 100 à la section D de l’avis d’appel, intitulée « Les moyens », et la première conclusion à la page 29 à la section E de l’avis d’appel, intitulée « Conclusions recherchées »;
LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :
Pour les motifs ci-joints, la requête est accueillie avec dépens à l’intimé et les passages suivants de l’avis d’appel sont radiés :
i) les paragraphes 36 à 50 à la section A de l’avis d’appel, intitulée
« Les faits pertinents qui servent de fondement à l’appel »
;ii) les questions (ii), (iii) et (iv) à la section B de l’avis d’appel, intitulée « Les points en litige »;
iii) les paragraphes 65, 70, 73 à 91 et 96 (y compris tous les sous‑paragraphes) à la section D de l’avis d’appel, intitulée « Les moyens »;
iv) à la section E de l’avis d’appel, intitulée « Conclusions recherchées », les conclusions correspondantes aux questions (ii), (iii) et (iv) à la section B de l’avis d’appel intitulée « Les points en litige », soit les troisième et quatrième conclusions à la page 28 de l’avis d’appel ainsi que la conclusion subsidiaire de l’avis d’appel.
Vu le consentement de l’appelant, les passages suivants de l’avis d’appel sont également radiés :
i) la question (v) à la section B de l’avis d’appel, intitulée « Les points en litige »;
ii) les paragraphes 97 à 100 à la section D de l’avis d’appel, intitulée « Les moyens »;
iii) à la section E de l’avis d’appel, intitulée « Conclusions recherchées », la première conclusion à la page 29.
L’appelant n’est pas autorisé à modifier l’avis d’appel.
Au plus tard 60 jours suivant la date de la présente ordonnance, l’intimé dépose et signifie la réponse à l’avis d’appel.
Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2023.
« Dominique Lafleur »
Juge Lafleur
Référence : 2023 CCI 5
Date : 2023 01 18
Dossier : 2022-558(IT)G
ENTRE :
BELLEVUE FÉLIX,
appelant,
et
SA MAJESTÉ LE ROI,
intimé.
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
La juge Lafleur
I.
La requête
[1] L’intimé a déposé un avis de requête (la « requête ») du 18 mai 2022 afin d’obtenir une ordonnance radiant certains passages de l’avis d’appel conformément à l’alinéa 53(1)d) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), sans autorisation de modifier l’avis d’appel, à savoir :
i) les paragraphes 36 à 50 à la section A de l’avis d’appel, intitulée
« Les faits pertinents qui servent de fondement à l’appel »
;ii) les questions (ii), (iii), (iv) et (v) à la section B de l’avis d’appel, intitulée « Les points en litige »;
iii) les paragraphes 65, 70, 73 à 91, 96 ( y compris tous les sous‑paragraphes ) et 97 à 100 à la section D de l’avis d’appel, intitulée « Les moyens »;
iv) à la section E de l’avis d’appel, intitulée « Conclusions recherchées », les conclusions correspondantes aux questions (ii), (iii), (iv) et (v) à la section B de l’avis d’appel intitulée « Les points en litige », soit les troisième et quatrième conclusions à la page 28 de l’avis d’appel, la première conclusion à la page 29 de l’avis d’appel ainsi que la conclusion subsidiaire de l’avis d’appel.
[2] L’appelant a convenu que les passages suivants devaient être radiés, à savoir :
i) La question (v) à la section B de l’avis d’appel, intitulée « Les points en litige »;
ii) les paragraphes 97 à 100 à la section D de l’avis d’appel, intitulée « Les moyens »;
iii) à la section E de l’avis d’appel, intitulée « Conclusions recherchées », la première conclusion à la page 29.
[3] Ainsi, la Cour ne se prononcera pas sur ces passages.
II.
Conclusion
[4] La requête est accueillie avec dépens à l’intimé et les passages suivants de l’avis d’appel sont radiés :
i) les paragraphes 36 à 50 à la section A de l’avis d’appel, intitulée
« Les faits pertinents qui servent de fondement à l’appel »
;ii) les questions (ii), (iii) et (iv) à la section B de l’avis d’appel, intitulée « Les points en litige »;
iii) les paragraphes 65, 70, 73 à 91 et 96 (y compris tous les sous‑paragraphes) à la section D de l’avis d’appel, intitulée « Les moyens »;
iv) à la section E de l’avis d’appel, intitulée « Conclusions recherchées », les conclusions correspondantes aux questions (ii), (iii) et (iv) à la section B de l’avis d’appel intitulée « Les points en litige », soit les troisième et quatrième conclusions à la page 28 de l’avis d’appel ainsi que la conclusion subsidiaire de l’avis d’appel.
III.
Les faits
[5] L’appelant en appelle des nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre »), dont les avis sont datés du 7 août 2015, qui ont ajouté au revenu de l’appelant selon la Loi de l’impôt sur le revenu
[1]
(la « Loi ») des revenus de location pour les années d’imposition 2006 à 2009 et qui ont refusé la déduction de dépenses de location pour les années d’imposition 2006 à 2008.
[6] Selon l’avis d’appel, la vérification fiscale de l’appelant a commencé en novembre 2009, lorsqu’un vérificateur de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») lui a fait parvenir une lettre demandant les documents pertinents à cette vérification. En mai 2009 (l’appelant voulait probablement plutôt indiquer mai 2010), l’appelant et son mandataire auraient remis quatre boîtes de documents ou pièces justificatives au vérificateur.
[7] En juillet 2010, le dossier de l’appelant aurait été transféré à la division des enquêtes criminelles de l’ARC. Lors de l’enquête, les enquêteurs auraient fait parvenir des demandes péremptoires à la Caisse Desjardins, la Banque Laurentienne, la Banque Nationale du Canada, Hydro‑Québec et Equifax Également, l’appelant aurait remis aux enquêteurs de l’ARC quatre boîtes de documents contenant des renseignements concernant l’année 2009.
[8] Enfin, en février 2014, le dossier de la division des enquêtes criminelles pour l’appelant a été transféré à la division de la vérification de l’ARC. Aucune accusation pénale ou criminelle n’a été portée contre l’appelant.
IV.
Les principes généraux applicables
[9] Le pouvoir de radier en tout ou en partie un acte de procédure est prévu à l’article 53 des Règles, qui dispose :
|
|
[10] Dans l’arrêt R. c. Imperial Tobacco Canada, [2011] 3 R.C.S. 45, 2011 CSC 42, la Cour suprême du Canada a établi les principes en matière de radiation d’une demande en justice. La requête en radiation ne doit pas être prise à la légère et représente « une importante mesure de gouverne judiciaire essentielle à l’efficacité et à l’équité des procès »
et « permet d’élaguer les litiges en écartant les demandes vaines et en assurant l’instruction des demandes susceptibles d’être accueillies »
(par. 19). Ainsi, le critère développé par la Cour suprême est le suivant :
[...] Le tribunal doit plutôt se demander si, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, il est raisonnablement possible que l’action soit accueillie. L’approche doit être généreuse et permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable. (par. 21)
[11] À mon avis, ces principes s’appliquent également dans les circonstances qui nous occupent, bien qu’on ne cherche à faire radier que certains passages de l’avis d’appel.
[12] Le critère pour accueillir une requête en radiation est donc rigoureux. La Cour ne doit radier tout ou partie d’un acte de procédure que s’il est évident et manifeste, notamment, qu’il ne révèle aucun moyen raisonnable d’appel et que l’appel n’a aucune chance d’être accueilli (Main Rehabilitation Co. Ltd. c. La Reine, 2004 CAF 403, au par. 3).
[13] Afin de déterminer si tout ou partie d’un acte de procédure doit être radié, les faits exposés dans l’acte sont tenus pour avérés. La Cour n’entend aucun témoignage. Comme l’a précisé notre Cour dans 881751 Ontario Limited c. La Reine, Roy c. La Reine, 2021 CCI 9 (au par. 15) :
[...] L’approche de la Cour doit être généreuse et permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais défendable. Ce n’est pas la mission du juge des requêtes de décider si un argument mérite d’être examiné, ou d’en arriver à une conclusion concernant une question litigieuse sur l’interprétation de la loi. Par conséquent, pour qu’une requête en radiation puisse être accueillie, l’irrégularité ou la non-pertinence doit être évidente et manifeste au premier coup d’oeil.
[14] En l’espèce, l’intimé demande la radiation de certains passages de l’avis d’appel sans autorisation de modifier l’avis d’appel. Pour que la Cour refuse l’autorisation de modifier, il faut que les passages ne puissent être corrigés par une modification (Collins c. La Reine, 2011 CAF 140, au par. 26, et Simon c. Canada, 2011 CAF 6, [2011] 1 R.C.F. F‑17, au par. 8).
V.
Analyse
5.1 Passages de l’avis d’appel sur les intérêts
[15] L’appelant prétend notamment que les intérêts imposés par le ministre sont exagérés; il demande à notre Cour de les réduire.
[16] Selon l’intimé, la Cour n’a pas compétence pour accorder les conclusions recherchées par l’appelant; il demande donc que ces passages soient radiés puisqu’ils ne révèlent aucun moyen raisonnable d’appel (alinéa 53(1)d) des Règles).
L’avis d’appel :
[17] Selon l’intimé, les passages suivants de l’avis d’appel sur les intérêts devraient être radiés :
i) les paragraphes 36 à 50 à la section A de l’avis d’appel, intitulée
« Les faits pertinents qui servent de fondement à l’appel »
, dans lesquels l’appelant expose les actions qu’il a prises auprès de l’intimé de septembre 2015 à octobre 2021 pour obtenir une copie de son dossier de vérification, de son dossier en matière d’enquête criminelle et de toute autre correspondance pertinente, ainsi que ses demandes faites en vertu de la Loi sur l’accès à l’information [2] pour obtenir une copie de ses dossiers;ii) le paragraphe 96 à la section D, intitulée « Les moyens », dans lequel on retrouve les arguments de l’appelant pour justifier sa demande de réduction des intérêts;
iii) la question iv) à la section B de l’avis d’appel, intitulée « Les points en litige » :
« (iv) Les intérêts sont nettement exagérés vu, notamment, le temps mis par l’intimée à procéder à une enquête criminelle improductive, le refus de donner des preuves à l’appelant et à émettre les avis de cotisation. »
iv) la conclusion subsidiaire (page 29 de l’avis d’appel, section E, intitulée « Conclusions recherchées ») :
« DIRE ET DÉCLARER que les intérêts imposés par l’Intimée sont nettement exagérés et les réduire ».
Discussion :
[18] C’est à bon droit que l’intimé demande la radiation des passages de l’avis d’appel concernant les intérêts. En effet, l’appelant ne prétend pas que le calcul des intérêts est erroné ou que les intérêts ne sont pas exigibles conformément aux dispositions de la Loi, mais plutôt que les intérêts qui lui sont imposés sont exagérés et devraient être réduits. Toutefois, le pouvoir de réduire ou d’annuler les intérêts est conféré au ministre conformément au paragraphe 220(3.1) de la Loi. Ce pouvoir est discrétionnaire et est assujetti au contrôle exclusif de la Cour fédérale, et non de notre Cour (Loi sur les Cours fédérales
[3]
, articles 18 et 18.1, et JP Morgan Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, au par. 90).
[19] En effet, lors de l’appel d’une cotisation, la compétence de notre Cour est prévue à l’article 171 de la Loi, qui dispose :
|
|
[20] Ainsi, notre Cour doit déterminer la validité et le bien-fondé de la cotisation en fonction des dispositions applicables de la Loi et des faits donnant lieu à l’obligation du contribuable prévu par la Loi (Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20, [2013] 2 R.C.F. F‑9, au par. 31).
[21] La jurisprudence est unanime pour dire que notre Cour ne peut ordonner au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi (Raby c. La Reine, 2006 CCI 406, au par. 51, Madore c. La Reine, [1998] A.C.I. no 236 (QL), au par. 18).
[22] Pour ces motifs, vu que notre Cour n’a pas compétence pour statuer sur la demande de réduction des intérêts faite par l’appelant, les passages suivants de l’avis d’appel sont radiés, puisqu’ils ne révèlent aucun moyen raisonnable d’appel (alinéa 53(1)d) des Règles) :
i) les paragraphes 36 à 50 à la section A de l’avis d’appel, intitulée
« Les faits pertinents qui servent de fondement à l’appel »;
ii) la question (iv) à la section B de l’avis d’appel, intitulée « Les points en litige »;
iii) le paragraphe 96 (y compris tous les sous‑paragraphes) à la section D de l’avis d’appel, intitulée « Les moyens »;
iv) à la section E de l’avis d’appel, intitulée « Conclusions recherchées », la conclusion subsidiaire de l’avis d’appel.
[23] Puisqu’il n’est pas possible de remédier aux vices par une modification, la Cour n’autorise pas l’appelant à modifier l’avis d’appel.
5.2 Passages de l’avis d’appel portant sur la Charte canadienne des droits et libertés
[4]
et les articles 231.1 et 231.2 de la Loi
[24] L’appelant demande que les cotisations soient annulées au motif que l’intimé a violé les articles 7 et 8 de la Charte et que les fonctionnaires de l’ARC n’ont pas respecté les règles prévues à l’article 231.1 et aux paragraphes 231.2(2) et (3) de la Loi.
[25] L’intimé demande la radiation des passages de l’avis d’appel portant sur la Charte et les articles 231.1 et 231.2 de la Loi, puisqu’ils ne révèlent aucun moyen raisonnable d’appel (alinéa 53(1)d) des Règles).
L’avis d’appel :
[26] Selon l’intimé, les passages suivants de l’avis d’appel portant sur la Charte et les articles 231.1 et 231.2 de la Loi devraient être radiés :
i) La question (ii) à la section B de l’avis d’appel, intitulée « Les points en litige »:
« (ii) Les nouvelles cotisations contreviennent à la Charte canadienne des droits et libertés; elles sont illégales; par conséquent, les revenus ajoutés et les dépenses refusées sont illégaux; »
ii) La question (iii) à la section B de l’avis d’appel, intitulée « Les points en litige »:
« (iii) Les nouvelles cotisations dérogent aux conditions requises par les articles 231.1(2) et 231.2 et l’alinéa 231.2(3)b) de la LIR; elles sont donc nulles et de nullité absolue. »
iii) À la section E de l’avis d’appel, intitulée « Conclusions recherchées », les conclusions correspondantes aux questions (ii) et (iii) à la section B de l’avis d’appel intitulée « Les points en litige », soit les troisième et quatrième conclusions à la page 28 de l’avis d’appel:
« ANNULER les cotisations pour les année 2006 à 2009 inclusivement en raison de la violation, par l’Intimée, des articles 7 et 8 de la Charte Canadienne des droits et libertés;
ANNULER les cotisations pour les années 2006 à 2009 inclusivement pour violation, par l’Intimée, de l’article 231.1 et des paragraphes 231.2(2) et 231.2(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et ses Règlements. »
iv) Les paragraphes 65 et 70 à la section D de l’avis d’appel, intitulée « Les moyens », qui se trouvent dans une sous-section de l’avis d’appel qui traite de l’établissement des avis de cotisation après la période normale de nouvelle cotisation et non dans la sous‑section traitant de l’atteinte aux droits fondamentaux, comme le prétend l’appelant :
« 65. D’autre part, ces nouveaux motifs émanent des enquêtes criminelles et non de la division de la vérification et ont été obtenus illégalement, comme il sera démontré plus loin;
[...]
70. L’absence de motif pour entamer une vérification et, de surcroit, une enquête criminelle est évidente; il s’agit d’une partie de pêche, tout simplement. »
v) Les paragraphes 73 à 91 à la section D de l’avis d’appel, intitulée « Les moyens », qui se trouvent dans une sous‑section de l’avis d’appel qui traite des arguments de l’appelant à l’égard de la Charte et des articles 231.1 et 231.2 de la Loi.
Les dispositions légales :
[27] Les articles 7 et 8 de la Charte disposent :
|
|
[28] Les articles 231.1 et 231.2 de la Loi disposent :
|
|
|
|
Thèses des parties :
[29] Selon l’appelant, la preuve obtenue par la division des enquêtes criminelles ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 231.1(2) et de l’article 231.2 de la Loi. Par conséquent, les cotisations contreviennent aux articles 7 et 8 de la Charte. De même, selon l’appelant, le ministre ne peut utiliser les renseignements obtenus par la division des enquêtes pour établir sa responsabilité fiscale. Pour soutenir ces arguments, l’appelant renvoie au principe établi dans l’arrêt R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 R.C.S. 757 (Jarvis), selon lequel un contribuable visé par une enquête a droit à la protection de l’article 7 de la Charte.
[30] Ainsi, selon l’appelant, les enquêteurs ne l’ont pas informé de ses droits prévus par la Charte, ce qui contrevient aux principes établis par l’arrêt Jarvis. De plus, selon l’appelant, l’arrêt Jarvis a établi le principe selon lequel lorsqu’une vérification administrative et une enquête criminelle sont menées simultanément, les enquêteurs ne peuvent utiliser que les renseignements obtenus conformément aux pouvoirs de vérification avant le début de l’enquête criminelle et ne peuvent utiliser les renseignements obtenus lors de la vérification après le début de l’enquête sur la responsabilité pénale. De plus, aucun mandat n’a été obtenu d’un tribunal pour obtenir les informations et les documents d’Equifax, d’Hydro‑Québec et des diverses banques, contrairement à ce que prévoit l’alinéa 231.2(3)b) de la Loi. Selon l’appelant, puisque l’objet dominant de l’enquête était d’établir sa responsabilité pénale, les pouvoirs d’enquête prévus aux articles 231.1 et 231.2 de la Loi ne pouvaient être utilisés par le fisc.
[31] L’appelant demande donc l’exclusion de tous les éléments de preuve obtenus illégalement selon lui par la division des enquêtes et transmis illégalement au service de la vérification de l’ARC.
[32] Selon l’intimé, l’appelant reconnaît qu’aucune accusation n’a été portée contre lui. L’appelant admet aussi que les renseignements obtenus au moyen des demandes péremptoires ont été envoyés au service de vérification de l’ARC. Selon l’avis d’appel, il est clair que ce n’est pas la responsabilité pénale ou criminelle de l’appelant qui est en litige devant notre Cour, mais bien la validité et le bien‑fondé des cotisations eu égard à la Loi.
[33] Selon l’intimé, l’enquête pénale étant écartée (comme l’a admis l’appelant), le seul objet qui demeure est l’établissement de l’obligation fiscale de l’appelant. Or, les articles 231.1 et 231.2 de la Loi confèrent indéniablement au ministre des pouvoirs qui peuvent être exercés afin d’établir l’obligation fiscale de l’appelant.
[34] Selon l’intimé, dans l’arrêt Jarvis, la Cour suprême a ordonné l’exclusion de certains registres bancaires de toute procédure criminelle ultérieure, puisqu’ils avaient été obtenus d’une manière qui porte atteinte aux droits garantis par l’article 7 de la Charte, puisque l’enquête était bien en cours au moment de la demande péremptoire (Jarvis, au par. 105). L’arrêt Jarvis ne justifie toutefois pas qu’on exclue des éléments de preuve lors d’une procédure civile (fiscale) ultérieure.
[35] En conclusion, selon l’intimé, contrairement à ce que prétend l’appelant, les paragraphes 231.2(2) et (3) de la Loi ne s’appliquent pas, puisque ces paragraphes visent des personnes non désignées nommément dans la demande de renseignements, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. De plus, le paragraphe 231.2(1) de la Loi peut s’appliquer sans qu’une autorisation préalable ne soit requise.
Discussion :
[36] Tout d’abord, il faut noter que l’appelant ne soulève pas la question de la constitutionnalité d’une disposition de la Loi. L’appelant prétend plutôt que ses droits fondamentaux n’ont pas été respectés; il soulève les articles 7 et 8 de la Charte, ainsi que les articles 231.1 et 231.2 de la Loi.
[37] Pour les motifs suivants, et selon les principes jurisprudentiels bien établis décrits ci-dessous, la Cour ne peut retenir les arguments présentés par l’appelant. L’appelant ne peut invoquer les articles 7 et 8 de la Charte pour exclure les éléments de preuve obtenus par le ministre dans l’exercice de ses pouvoirs d’enquête prévus à l’article 231.1 de la Loi et par l’envoi de demandes de renseignements en vertu de l’article 231.2 de la Loi. De plus, contrairement à ce que prétend l’appelant, lors de la vérification fiscale de l’appelant, le ministre ne devait obtenir aucune autorisation judiciaire préalable.
[38] C’est donc à bon droit que l’intimé demande la radiation des passages de l’avis d’appel portant sur la Charte et les articles 231.1 et 231.2 de la Loi.
[39] La vérification de l’appelant a commencé en novembre 2009; le dossier de l’appelant a été transféré à la division des enquêtes de l’ARC en juillet 2010. Lors de cette enquête, le ministre a fait parvenir des demandes de renseignements à diverses entreprises, notamment Equifax, Hydro‑Québec et la Banque Nationale du Canada. Par la suite, en février 2014 le dossier de l’appelant a été transféré à la section de la vérification afin d’établir les cotisations qui font l’objet de l’appel à notre Cour.
[40] Ainsi, les renseignements obtenus par l’envoi des demandes de renseignements ont servi à établir les cotisations de l’appelant, et non pas à établir une quelconque responsabilité pénale ou criminelle au titre de la Loi. En effet, aucune accusation pénale ou criminelle n’a été portée contre l’appelant, ce dont l’appelant convient dans son avis d’appel. Comme mentionné auparavant, le litige devant notre Cour porte sur la validité et le bien-fondé des nouvelles cotisations dont les avis sont datés du 7 août 2015; il ne vise pas à établir une quelconque responsabilité pénale ou criminelle de l’appelant. De plus, même si le ministre a envoyé les demandes de renseignements alors que l’appelant était sous enquête, la preuve ainsi obtenue peut-être utilisée pour établir une cotisation fiscale.
[41] Dans l’arrêt Jarvis, la Cour suprême du Canada devait déterminer si la preuve obtenue par l’exercice par le ministre de ses pouvoirs d’enquête prévus à l’article 231.1 de la Loi, ainsi que par l’envoi de demandes de renseignements en vertu de l’article 231.2 de la Loi, pouvait être utilisée lors d’une poursuite relative à une infraction aux termes de la Loi (article 239 de la Loi).
[42] Selon la Cour suprême, ces pouvoirs ne pouvaient être exercés pour obtenir des déclarations verbales ou la production de documents écrits dans le but de faire progresser une enquête criminelle (Jarvis, au par. 97). Ainsi, « dès qu’un examen ou une question a pour objet prédominant d’établir la responsabilité pénale du contribuable, il faut utiliser les techniques d’enquête criminelle. À titre corollaire, toutes les garanties prévues par la Charte, pertinentes dans le contexte criminel, s’appliquent obligatoirement »
(Jarvis, au par. 98). Et dans un tel cas, le ministre ne peut plus utiliser ses pouvoirs d’enquête prévus à l’article 231.1 de la Loi ou envoyer des demandes de renseignements en vertu de l’article 231.2 de la Loi pour obtenir des éléments de preuve servant à établir la responsabilité criminelle du contribuable.
[43] Toutefois, la tenue d’une enquête pénale n’écarte pas la possibilité que soit menée simultanément une enquête dont l’objet prédominant est d’évaluer l’obligation fiscale du contribuable. Ainsi, selon la Cour suprême :
[...] il est évident que l’on peut continuer d’avoir recours aux pouvoirs de vérification, même après le commencement d’une enquête, quoique les résultats de cette vérification ne puissent pas servir pour les besoins de l’enquête ou de la poursuite. (Jarvis, au par. 103)
[44] Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’en utilisant les pouvoirs conférés par le paragraphe 231.1(1) de la Loi alors qu’une enquête était en cours, le ministre n’avait pas violé les droits du contribuable garantis par les articles 7 et 8 de la Charte (Romanuk c. La Reine, 2013 CAF 133 (Romanuk)). Ainsi, les éléments de preuve recueillis lors de l’exercice des pouvoirs d’enquête prévus au paragraphe 231.1(1) de la Loi pouvaient servir à des fins administratives, comme l’établissement d’une cotisation (Romanuk, au par. 7). La Cour d’appel fédérale a conclu ainsi :
[8] L’usage de tels renseignements ou documents pour les besoins de l’administration de la Loi et l’établissement des nouvelles cotisations de l’appelante ne porte pas atteinte à ses droits garantis par les articles 7 et 8 de la Charte, puisque l’ARC a le droit de continuer à utiliser ses pouvoirs de vérification, pour autant que les renseignements ou documents ainsi recueillis ne soient utilisés qu’aux fins d’administration de la Loi. S’ils doivent servir à une enquête ou à une poursuite au titre de l’article 239 de la Loi, le tribunal saisi de la poursuite devra alors déterminer si l’exercice de ces pouvoirs avait pour objet prédominant de recueillir des renseignements ou des documents aux fins d’une telle enquête ou poursuite.
[Je souligne]
[45] Par la suite, dans l’arrêt Piersanti c. La Reine, 2014 CAF 243, la Cour d’appel fédérale a confirmé que notre Cour avait à bon droit rejeté la requête présentée par le contribuable au début de l’audience afin d’exclure tous les documents utilisés par le ministre pour établir les avis de nouvelle cotisation au motif que ces documents avaient été obtenus sans autorisation judiciaire au cours d’une enquête criminelle et en violation des droits que lui garantissait la Charte. Après avoir renvoyé aux principes établis dans l’arrêt Romanuk, la Cour d’appel fédérale a conclu ainsi :
[9] La juge n’a commis aucune erreur de droit lorsqu’elle a conclu que l’ARC n’a pas porté atteinte aux droits de l’appelante garantis par les articles 7 et 8 de la Charte lorsqu’elle a utilisé les renseignements recueillis pendant l’enquête criminelle pour établir de nouvelles cotisations à l’égard des obligations fiscales de l’appelante pour les années en question. La conclusion juridique de la juge est compatible avec l’arrêt Jarvis et avec le régime fiscal d’autocotisation et d’autodéclaration. [...]
[Je souligne]
[46] Dans l’arrêt Bauer c. La Reine, 2018 CAF 62, la Cour d’appel fédérale a confirmé que, lors d’un appel à notre Cour, la preuve obtenue par l’envoi de demandes de renseignements en vertu de l’article 231.2 de la Loi ne pouvait être exclue selon l’article 8 de la Charte, et ce, même si une enquête avait commencé avant l’envoi des demandes de renseignements. Selon la Cour d’appel fédérale :
[14] Bien que le recours à des demandes péremptoires en vertu de l’article 231.2 de la LIR pour obtenir des renseignements ou des documents après le début d’une enquête puisse faire en sorte que ces renseignements ou ces documents ne soient pas admissibles dans une poursuite relative à des infractions visées à l’article 239 de la LIR, cela n’empêche pas que ces renseignements ou documents soient admissibles dans une instance devant la Cour canadienne de l’impôt lorsqu’il s’agit de la validité d’une cotisation établie en vertu de la LIR. C’est l’utilisation des renseignements ou des documents qui est pertinente, et non la personne, à l’ARC, qui a délivré la demande péremptoire de renseignements ou de documents.
[...]
[17] À mon avis, il est évident et manifeste que le pouvoir de l’ARC de délivrer des demandes péremptoires en vertu de l’article 231.2 de la LIR pour obtenir des renseignements ou des documents qui seront utilisés pour les besoins administratifs liés à l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard d’un contribuable n’est pas suspendu par le lancement d’une enquête. Par conséquent, les renseignements ou les documents obtenus par suite de la délivrance des demandes péremptoires en l’espèce ne peuvent être exclus, sur le fondement de l’article 8 de la Charte, de la procédure devant la Cour canadienne de l’impôt concernant la validité des nouvelles cotisations relatives à l’obligation fiscale de M. Bauer pour 2007 et 2008.
[Je souligne]
[47] Enfin, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’une cotisation fiscale est de nature civile et ne touche que des intérêts économiques, et, par conséquent, elle « ne prive pas la personne à l’égard de laquelle elle est établie de sa vie, de sa liberté ou de la sécurité de sa personne au sens de l’article 7 de la Charte »
(Gratl c. La Reine, 2012 CAF 88, au par. 8; voir également Johnson c. La Reine, 2022 CCI 31, aux par. 48 et 49).
[48] Pour ces motifs, la Cour conclut que le ministre pouvait utiliser ses pouvoirs d’enquête prévus à l’article 231.1 de la Loi de même que procéder à l’envoi de demandes de renseignements en vertu de l’article 231.2 de la Loi lors de la vérification fiscale de l’appelant même si une enquête était déjà en cours. En effet, l’objectif était d’établir l’obligation fiscale de l’appelant et non pas une quelconque responsabilité pénale ou criminelle. Les éléments de preuve ainsi obtenus par le ministre pourront être utilisés lors d’une audience devant notre Cour sur la validité et le bien-fondé des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi, dont les avis sont datés du 7 avril 2015.
[49] De plus, contrairement à ce que prétend l’appelant, le ministre ne devait obtenir aucune autorisation judiciaire préalable en vertu de la Loi. En effet, les paragraphes 231.2(2) et (3) de la Loi ne visent que les demandes de renseignements portant sur des personnes non désignées nommément, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. La personne visée par la vérification est bel et bien l’appelant, qui est une personne désignée nommément. De plus, le paragraphe 231.1(2) de la Loi ne s’applique pas en l’espèce, puisque, selon l’avis d’appel, l’appelant a lui-même remis les documents à l’ARC et on n’affirme pas qu’une vérification a eu lieu dans une « maison d’habitation ».
[50] Pour ces motifs, les faits allégués dans l’avis d’appel et tenus pour avérés ne donnent pas ouverture aux conclusions recherchées par l’appelant. Ainsi, les passages suivants de l’avis d’appel sont radiés, puisqu’ils ne révèlent aucun moyen raisonnable d’appel (alinéa 53(1)d) des Règles) :
i) les questions (ii) et (iii) à la section B de l’avis d’appel, intitulée « Les points en litige »;
ii) les paragraphes 65, 70 et 73 à 91 à la section D de l’avis d’appel, intitulée « Les moyens »;
iii) à la section E de l’avis d’appel, intitulée « Conclusions recherchées », les conclusions correspondantes aux questions (ii) et (iii) à la section B de l’avis d’appel, intitulée « Les points en litige », soit les troisième et quatrième conclusions à la page 28 de l’avis d’appel.
[51] Puisqu’il n’est pas possible de remédier aux vices par une modification, la Cour n’autorise pas l’appelant à modifier l’avis d’appel.
Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2023.
« Dominique Lafleur »
Juge Lafleur
RÉFÉRENCE :
|
2023 CCI 5
|
Nº DU DOSSIER DE LA COUR :
|
2022-558(IT)G
|
INTITULÉ :
|
BELLEVUE FÉLIX
ET LE ROI
|
LIEU:
|
Ottawa, Canada
|
MOTIFS DE L’ORDONNANCE PAR :
|
L’honorable juge Dominique Lafleur
|
DATE DE L’ORDONNANCE :
|
Le 18 janvier 2023
|
COMPARUTIONS :
Pour l’appelant :
|
L’appelant lui-même
|
Avocats de l’intimé :
|
Me Antoine Lamarre
Me Noémie Vespignani
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pour l’appelant :
Nom :
|
|
Cabinet :
|
|
Pour l’intimé :
|
François Daigle
Sous-procureur général du Canada
Ottawa, Canada
|