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Dossier : 2012-1720(GST)I

ENTRE :

9188-7646 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 26 octobre 2012, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable Rommel G. Masse, Juge suppléant

Comparutions :

 

Avocate de l'appelante :

Me Micheline Charbonneau

Avocat de l'intimée :

Me Michel Rossignol

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 15 mars 2011 et ne porte aucun numéro distinctif, pour les deux (2) périodes trimestrielles du 1er octobre 2008 au 31 décembre 2008 et du 1er janvier 2009 au 31 mars 2009, est accueilli, avec dépens et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 21e jour de mars 2013.

 

 

 

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 85

Date : 20130321

Dossier : 2012-1720(GST)I

ENTRE :

9188-7646 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge suppléant Masse

 

[1]             En l’espèce, il s’agit d’un appel à l’encontre d’une cotisation dont l’avis est daté du 15 mars 2011 sans numéro distinctif, établie en vertu de la Partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (la « LTA ») pour les deux périodes trimestrielles suivantes, soit : du 1er octobre 2008 au 31 décembre 2008 et du 1er janvier 2009 au 31 mars 2009 (les « périodes visées »), établie à l’égard de l'appelante, 9188‑7646 Québec inc. (« Sport Auto Plex »). Le montant de la cotisation s’élève à 4 770 $ qui représente des crédits de taxe sur les intrants (les « CTI ») que l'appelante a demandés et obtenus, supposément en trop, par erreur ou sans droit relativement à la taxe sur les produits et services (la « TPS ») qu’elle aurait payée lors de la fourniture de deux lots de chaussures qu’elle prétend avoir obtenus. De plus, l'intimée réclame le montant de 476,23 $ pour des intérêts sur arriéré pour un montant total de 5 246,23 $. L'intimée soutient que la taxe nette qui aurait dû être déclarée par l'appelante pour la période visée est de 699,45 $. La cotisation a été confirmée par une décision sur opposition rendue le 3 février 2012, d’où le présent appel.

 

[2]             L'intimée prétend que les CTI demandés et obtenus par l'appelante, sans droit, concernent des CTI relatifs à des fournitures de biens supposément acquis d’un fournisseur douteux, 6809821 Canada inc. (ci-après « Canada inc. »). L'intimée prétend que Canada inc. est un fournisseur de fausses factures ou de factures dites « d’accommodation » ou « de complaisance », et que l'appelante n’a jamais obtenu les lots de chaussures qu’elle prétend avoir obtenus. De plus, les pièces justificatives au soutien des CTI refusés sont fausses et/ou les renseignements fournis par l'appelante sont inadéquats et ils ne sont pas conformes aux normes exigées par le paragraphe 3(4) du Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédits de taxe sur les intrants (TPS/TVH) (le « Règlement »).

 

Contexte factuel

 

[3]             Il n’est pas contesté que l'appelante est une personne morale dûment constituée et inscrite aux fins de la partie IX de la LTA. Pendant les périodes visées, elle exploitait une entreprise de concessionnaire d’automobiles d’occasion sous la raison sociale « Sport Auto Plex ». Entre les mois de décembre 2008 et mars 2009, Sport Auto Plex a effectué deux transactions isolées par rapport à son activité habituelle, soit l’achat pour la revente de deux lots de chaussures pour femme – chose inhabituelle pour un concessionnaire d’autos. Ce sont ces deux transactions et les factures qui y sont associées qui font l’objet du présent litige.

 

[4]             Monsieur Stefanio Pendenza (ci-après « Stefanio ») est le président et un des actionnaires de Sport Auto Plex. Lorsqu’il avait 18 ans, il travaillait avec monsieur Pasqualino Cersosimo (ci‑après « Pat »), chez Aldo, un magasin de chaussures. Au mois d’août 2008, Pat est venu chez Sport Auto Plex dans le but d’acheter une voiture. Les deux hommes ne s’étaient pas vus depuis longtemps; donc, ils ont discuté longuement et ils ont renoué connaissance. Pat a fait savoir à Stefanio qu’il était dans l’importation et la distribution de souliers importés de la Chine. Par ailleurs, Pat a acheté une voiture.

 

[5]             Stefanio nous a expliqué que dans le passé il avait l’habitude d’acheter des biens comme des vêtements ou autres choses, d’un commerce ayant un entrepôt de liquidation sur la rue Chabanel. Ce commerce était Canada inc. Stefanio nous a dit que ça faisait des années que l’entrepôt était là. Au mois de décembre 2008 Stefanio et Pat ont discuté de la possibilité d’acheter et de faire la distribution d’un gros lot de souliers pour femmes que Stefanio avait vu dans l’entrepôt. Les deux se sont rendus à l’entrepôt pour examiner le lot de souliers. Puisque Pat avait de l’expérience dans le commerce de souliers, il voulait être capable de montrer à ses clients des exemplaires. Donc, Pat a pris des photos des souliers et les a montrées aux clients potentiels. Après avoir ainsi testé le marché, Stefanio et Pat ont décidé d’acheter le lot de souliers. Ils ont négocié l'achat avec monsieur Albert Malka (« Albert ») et Sport Auto Plex a acheté deux lots de chaussures. Le premier lot fut vendu de l’entrepôt directement à Nero Bianco, un commerçant de chaussures bien connu. Éventuellement, le deuxième lot de souliers a été livré à la place de commerce de Sport Auto Plex situé à Bois‑des‑Filion. Puisque Stefanio n’a que très peu d’expérience dans le domaine de la chaussure, c’est Pat qui s’est occupé de trouver des acheteurs, car c’est lui qui avait l’expertise requise. Les souliers étaient vendus ou consignés, à la compagnie appartenant à Pat soit, 9191‑0299 Québec inc. (ci-après « 9191 »). La compagnie 9191 les a ensuite vendus à Nero Bianco et à d'autres acheteurs en gros de souliers. La compagnie 9191 se faisait payer une commission de 15 %. Tous les souliers ont éventuellement été vendus.

 

[6]             L'appelante a déposé à la Cour, comme pièce, un cahier de documents sous la cote A‑1. Les documents que l’on retrouve à l’onglet R‑7 consistent en deux factures émises par Canada inc. à l'appelante. La facture d’achat no 4336 est datée du 22 décembre 2008 d’un montant total de 78 466,19 $. La facture d’achat no 4372 datée du 11 février 2009 est du montant de 29 216,57 $. Ce sont ces deux factures qui font l’objet du présent litige.

 

[7]             Les documents à l’onglet R‑8 consistent en trois chèques, nos 190, 191 et 217, par lesquels l'appelante a supposément payé les souliers. Le chèque no 190 de 39 233 $ est daté du 8 décembre 2008, le chèque no 191 de 39 233 $ est daté du 9 janvier 2009, et le chèque no 217 de 29 216,57 $ est daté du 9 février 2009. Ces trois chèques sont tous signés par Stefanio, payables à Canada inc. et indiquent pour « shoes » ou facture 4372.

 

[8]             L’onglet R‑9 comprend un inventaire des souliers indiquant les styles, couleurs, nombre de paquets, nombre de paires, prix et photos des souliers. L’onglet R‑10 comprend les factures de l'appelante émises à 9191. Les bons de commande de divers acheteurs se trouvent à l’onglet R‑11, et les bons de livraison se trouvent à l’onglet R‑12. Les documents de comptabilité établissant le montant de TPS perçu sur les reventes et payé sur les achats se trouvent à l’onglet R‑13 et les documents de la messagerie Purolator faisant état du fait que les souliers ont véritablement été expédiés de l’entrepôt de Sport Auto Plex aux acheteurs, sont à l’onglet R‑15.

 

[9]             Stefanio a témoigné qu’il a remis à l’Agence du revenu du Québec (l’« ARQ ») tous les documents qu’il avait dans sa possession pour établir le fait qu’il a vraiment acheté et obtenu les souliers et qu’il les a revendus. Il a payé la TPS et la taxe de vente du Québec (la « TVQ ») indiquées sur les factures que l’on retrouve à l’onglet R‑7 de la pièce A‑1. Il a perçu toutes les taxes TPS et TVQ exigibles lorsque les souliers ont été revendus et il a remis ces taxes à l’ARQ. Il a témoigné avoir bien calculé sa taxe nette et avoir à bon droit réclamé les CTI. Stefanio nous a dit qu'il n'avait aucune connaissance que Canada inc. fût un fournisseur de factures de complaisance ou un délinquant fiscal. Il affirme que les deux factures en litige ne sont pas des factures de complaisance; elles représentent de vraies transactions. Il y avait longtemps qu’il achetait des biens à l’entrepôt de la rue Chabanel. La compagnie ne faisait pas de publicité; c’était seulement un endroit où les gens savaient qu’ils pouvaient aller chercher des aubaines. C’était un commerce de liquidation.

 

[10]        Le témoignage de Stefanio n’a pas été contredit et en fait, Stefanio n’a pas été contre-interrogé.

 

[11]        Pat est un entrepreneur résidant à Terrebonne. Il est président et administrateur de la compagnie 9191. Il a toujours travaillé dans le commerce des chaussures. Son témoignage corrobore celui de Stefanio à l’égard de la façon dont les deux ont refait connaissance au mois d’août 2008. À peu près un mois plus tard, Stefanio lui a dit qu’il avait peut-être « un deal », à savoir, un lot de chaussures à vendre. Ils sont allés voir les chaussures à l’entrepôt de la rue Chabanel. Pat était d’avis que ça semblait être quelque chose de bien. Stefanio et Pat ont rencontré Albert et c’est lui qui leur a montré le lot de chaussures. Pat a photographié les souliers et ces photos se trouvent à l'onglet R‑9 de la pièce A‑1. Il a pris des photos afin de montrer la marchandise à ses clients potentiels afin de déterminer s’ils auraient intérêt à acheter les souliers. Par la suite, Stefanio et Pat ont décidé d’acheter les souliers. C’est Nero Bianco qui a fait le premier achat de 1 000 paires de chaussures. Ce lot a été expédié de l’entrepôt de la rue Chabanel directement au client. Une fois que le deuxième lot a été transféré de l’entrepôt de la rue Chabanel à l’entrepôt de Sport Auto Plex, Pat a préparé un inventaire de tous les souliers, ce qui comprenait les photos, les couleurs et les styles des souliers, pour qu’il puisse les fournir aux acheteurs potentiels (voir pièce A‑1, onglet R‑9). C’est Pat qui était chargé de revendre les souliers. Une fois que Pat avait trouvé un acheteur, Stefanio transférait à Pat les souliers pour ensuite les revendre aux éventuels acheteurs. C’est pour cette raison que les factures sont au nom de la compagnie de Pat, 9191. Pat se payait une commission de 15 % pour ce service.

 

[12]        Liette Lavoie, Carole Girard et Lofti Rejeb sont des vérificateurs à l’emploi de l’ARQ. Leurs témoignages sont à l’effet que Canada inc. était un fournisseur de factures de complaisance et un délinquant fiscal. Ils ont conclu que Canada inc. n’avait aucune activité commerciale et donc Canada inc. n’a pas réellement fourni les chaussures à l'appelante. Ils arrivent à cette conclusion pour les raisons suivantes, entre autres :

 

a.     Canada inc. faisait affaire avec des centres d’encaissement de chèques au lieu d’une banque. De plus, les chèques en question ont été déposés dans un centre d’encaissement de chèques pour être ensuite négociés chez un deuxième centre d’encaissement de chèques.

 

b.     L’adresse de Canada inc. indiquée sur les factures en litige n’est pas une adresse valide; elle n’existe pas.

 

c.      L’adresse indiquée au Registre des entreprises du Québec est différente de celle indiquée sur les factures.

 

d.     Canada inc. utilisait différentes adresses pour différentes factures.

 

e.      Canada inc. n’a produit aucune déclaration de taxe, d’impôts ou de retenue à la source depuis le début de son exploitation.

 

f.       Canada inc. n’avait déclaré aucun employé.

 

g.     Canada inc. n’avait aucun véhicule de transport lui permettant de faire la livraison de fourniture. De plus, Albert, l’actionnaire, administrateur et président de Canada inc. ne possédait aucune voiture.

 

h.     Albert était actionnaire majoritaire et président de plusieurs compagnies dont les numéros de taxe ont été annulés rétroactivement à cause d’activités frauduleuses. Il avait aussi fait cession de ses biens dans le passé.

 

i.       Canada inc. avait un chiffre d’affaires prétendu de 4 500 000 $. Ce chiffre d’affaires est fort improbable, car Canada inc. n’avait ni le personnel ni l’équipement nécessaire pour effectuer les fournitures de biens et de services qu’il avait supposément fournis à ses supposés clients.

 

Il est donc évident que Canada inc. est une entreprise bidon et une délinquante fiscale. Canada inc. agit comme un fournisseur de factures de complaisance. Il est aussi évident que probablement Albert gagne sa vie par des moyens à l’extérieur de la loi fiscale.

 

La thèse de l’appelante

 

[13]        L’appelante soutient que, d’après toutes les pièces qui ont été versées au dossier, il est incontestable que l'appelante a véritablement acheté et reçu les deux lots de souliers de Canada inc. Il est également incontestable que ces souliers ont tous été revendus à des commerçants de chaussures par Pat. De plus, tous les renseignements exigés par la LTA et le Règlement se retrouvent sur les documents de la pièce A‑1. En tout temps, l’appelante a agi de bonne foi et l’appelante a fourni au ministre du Revenu national (le « ministre ») toute documentation demandée par lui. L’appelante n’avait aucune connaissance que Canada inc. fût un fournisseur de factures de complaisance ou un délinquant fiscal. Stefanio achetait divers biens à l’entrepôt de liquidation depuis plusieurs années. Les chaussures ont été réellement achetées, payées, livrées et revendues. L'appelante a payé la TPS et la TVQ exigible à Canada inc. et elle a également perçu ces taxes de ses clients et les a remises à l’ARQ en conformité avec la LTA. L’appelante n’a jamais réclamé des crédits de taxe sur les intrants auxquels elle n’avait pas droit et donc la cotisation devrait être rejetée et l’appel devrait être accueilli.

 

La thèse de l’intimée

 

[14]        L'intimée prétend que Canada inc. est un fournisseur de factures de complaisance qui n’exerce aucune activité commerciale et, en conséquence, l'appelante n’a jamais acquis de Canada inc., les fournitures pour lesquelles elle a demandé des CTI de 4 770 $ dans le calcul de sa taxe nette. Si l'appelante a réellement acquis lesdites fournitures, elle les a obtenues d’un tout autre fournisseur que celui indiqué sur les pièces justificatives fournies pour la période visée.

 

[15]        De plus, l’intimé soutient que les deux factures prétendument établies par Canada inc. ne répondent pas aux exigences du paragraphe 169(4) de la LTA et les exigences du Règlement. Plus précisément, les renseignements sont inadéquats quant à l’identité du fournisseur, la validité de l’adresse du fournisseur, les modalités de paiement et la suffisance de la description des souliers acquis. En ce qui a trait à la description des souliers, l'intimée prétend que la marque, le modèle, la grandeur et la couleur de chaque paire de chaussures n’étaient pas inscrits sur les factures telles qu’exigées par le Règlement. Il incombe à l’appelante d’obtenir des renseignements suffisants pour établir le montant des CTI. Les exigences réglementaires sont obligatoires et elles doivent être rigoureusement appliquées.

 

[16]        De plus, l'intimée soutient que l’appelante a démontré un manque de prudence dans ses affaires avec Canada inc. Lorsqu’un contribuable fait affaire avec des personnes ou des entités morales qui sont des délinquants fiscaux, c’est le contribuable qui traite avec ces dernières qui est tenu responsable. Il incombe au contribuable de faire des recherches dans le but de s’assurer que les fournisseurs sont des fournisseurs légitimes.

 

[17]        L'appelante ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombe à réfuter les présomptions sur lesquelles l'intimée s’est basée pour établir la cotisation. L'appelante est donc redevable au ministre du montant de la cotisation y compris les intérêts et la pénalité.

 

Les dispositions législatives

 

[18]        Les dispositions pertinentes en matière de TPS sont l’article 169 de la LTA et l’article 3 du Règlement. Les extraits pertinents sont les suivants :

 

Loi sur la taxe d’accise

 

169(1)  Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, un crédit de taxe sur les intrants d’une personne, pour sa période de déclaration au cours de laquelle elle est un inscrit, relativement à un bien ou à un service qu’elle acquiert, importe ou transfère dans une province participante, correspond au résultat du calcul suivant si, au cours de cette période, la taxe relative à la fourniture, à l’importation ou au transfert devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu’elle soit devenue payable : […]

[…]

169(4) L’inscrit peut demander un crédit de taxe sur les intrants pour une période de déclaration si, avant de produire la déclaration à cette fin :

a) il obtient des renseignements suffisants pour établir le montant du crédit, y compris les renseignements visés par règlement;

 

Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédits de taxe sur les intrants (TPS/TVH)

 

3.  Les renseignements visés à l’alinéa 169(4)a) de la Loi, sont les suivants :

a) lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de moins de 30 $ :

(i) le nom ou le nom commercial du fournisseur ou de l’intermédiaire,

(ii) si une facture a été émise pour la ou les fournitures, la date de cette facture,

[…]

(iv) le montant total payé pour la ou les fournitures;

b) lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de 30 $ ou plus et de moins de 150 $ :

(i) le nom ou le nom commercial du fournisseur ou de l’intermédiaire et le numéro d’inscription attribué, conformément au paragraphe 241(1) de la Loi, au fournisseur ou à l’intermédiaire, selon le cas,

[…]

c) lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de 150 $ ou plus :

(i) les renseignements visés aux alinéas a) et b),

(ii) soit le nom de l’acquéreur ou son nom commercial, soit le nom de son mandataire ou de son représentant autorisé,

(iii) les modalités de paiement,

(iv) une description suffisante pour identifier chaque fourniture.

 

Analyse

 

          Cadre des activités commerciales de l'appelante

 

[19]        L'intimée souligne le fait que les transactions en litige ne sont pas dans le cadre des activités commerciales de l'appelante. L'appelante exploite une entreprise de concessionnaire d’automobiles d’occasion. L’achat et la vente de chaussures ne sont aucunement liés au cours des activités de cette entreprise. Ceci soulève des doutes à l’égard de la légitimité des transactions en litige.

 

[20]        Je suis d’accord avec l’avocate de l'appelante, bien que l’achat et la revente de chaussures ne soient pas l’activité principale de l'appelante, il n’y a rien dans la loi qui interdit à une société de s’aventurer parfois dans des activités secondaires ou d’accepter une opportunité d’affaire pouvant lui permettre de générer un revenu supplémentaire. Le fait que cette aventure ne cadre pas avec les activités commerciales normales de l'appelante a peu d’importance en l’espèce et ne constitue pas une preuve que les factures en litige sont des factures de complaisance.

 

          Adresse de Canada inc.

 

[21]        L'intimée soutient que l’adresse indiquée sur les factures en litige est une adresse inexistante. De plus, le fait que l’adresse indiquée sur les factures ne correspondait pas à l’adresse à laquelle Stefanio et Pat se sont prétendument rendus pour voir les souliers aurait dû éveiller chez eux des soupçons quant à l’identité véritable dudit fournisseur. L'intimée prétend qu’aucune preuve n’a été soumise pour démontrer que l’appelante avait vérifié la validité de l’adresse de Canada inc.

 

[22]        L'appelante soutient que nulle part dans la LTA il n’est indiqué que l’acheteur doit vérifier l’exactitude de l’adresse de son fournisseur. De plus, il arrive souvent que l’adresse d’un entrepôt diffère de celle du siège social ou du bureau d'administration d'une entreprise. Il n’y a rien qui empêche la même société de disposer de plusieurs locaux et entrepôts. Le fait que l’adresse sur les factures est différente que celle de l’entrepôt ne peut soulever chez l'appelante aucun doute de la malveillance de Canada inc. sans plus. Le fait que l’adresse sur les factures est différente de celle de l’entrepôt a peu d’importance. En l’espèce, Stefanio et Pat ont traité directement avec monsieur Malka, administrateur de Canada inc. Ils sont allés à l’entrepôt de Canada inc., le même entrepôt où Stefanio avait l’habitude d’acheter des biens au rabais. De plus, les numéros de TPS et de TVQ de Canada inc. figurant aux factures étaient valides à l’époque et correspondaient bien à cette entreprise. Donc, il est difficile à concevoir que la différence d’adresse aurait pu éveiller chez l'appelante des soupçons quant à l’identité véritable du fournisseur de chaussures. Finalement, Stefanio, le représentant de l'appelante, ayant visité l’entrepôt, ayant acheté et récupéré sa marchandise directement à l’entrepôt de Canada Inc. situé sur la rue Chabanel, il n’y avait pas lieu de douter que l’adresse inscrite sur la facture émise par Canada inc. était une fausse adresse.

 

[23]        J’arrive à la conclusion que la différence d’adresse a peu d’importance en l’espèce.

 

Les factures de complaisance

 

[24]        Le phénomène de « factures de complaisance » est un stratagème par lequel un contribuable, la personne dite « accommodée », fait appel aux services d'un « fournisseur de factures de complaisance ». Ce dernier émet de fausses factures à la personne « accommodée » pour des fournitures de produits et services que le fournisseur n’a pas effectuées et que la personne accommodée n’a pas acquises. Les factures de complaisance permettent à la personne accommodée d'effectuer des demandes sans droit de CTI dans le calcul de sa taxe nette.

 

[25]        Ayant considéré l’ensemble de la preuve, j’arrive à la conclusion que le ministre est justifié de conclure que Canada inc. est un délinquant fiscal et qu’elle est probablement un fournisseur de factures d’accommodation ou de complaisance. La question est de savoir si les factures ici en litige sont en fait des factures de complaisances ou si elles représentent de vraies transactions.

 

Chaussures imaginaires ou de vrais souliers?

 

[26]        J’ai déjà conclu que Canada inc. était un délinquant fiscal et un fournisseur de factures de complaisance. L'intimée soutient que l'appelante n’a pas réellement reçu de chaussures. Étant donné que Canada inc. est en fait un fournisseur douteux, dans les circonstances en l’espèce, il incombe à l'appelante de me convaincre qu’elle a réellement obtenu les lots de chaussures et donc que les factures en litige ne sont pas des factures de complaisance.

 

[27]        Bien qu’il y ait eu quelques contradictions entre le témoignage de Pat et celui de Stefanio, ces contradictions ne sont pas surprenantes étant donné qu’ils ont témoigné à l’égard des événements qui ont eu lieu il y a quatre ans. De toute façon, ces contradictions ont peu d’importance. La preuve fournie par Stefanio et par Pat me convainc que l'appelante a vraiment obtenu les deux lots de souliers pour femmes. Les documents qui ont été déposés à la Cour comme pièce A‑1 à l’appui des témoignages de Stefanio et Pat me convainquent davantage. Les photos à l’onglet 11, pièce A‑1, qui ont été prises lors de la visite à l’entrepôt de la rue Chabanel à Montréal sont une preuve convaincante. J’accepte que les chaussures aient été revendues et les bons de livraison provenant de Purolator font état du fait que les chaussures ont été livrées à divers magasins de chaussures. Ces documents indiquent clairement que les souliers ont été obtenus et revendus à des entreprises très bien connues dans le domaine des chaussures tel que Nero Bianca.

 

Est-ce que Canada inc. est le fournisseur des chaussures?

 

[28]        L'intimée soutient que si l'appelante a réellement obtenu les souliers et les a revendus, l'appelante ne les a pas obtenus de Canada inc. L’intimée soutient que Canada inc. n’avait pas la capacité de fournir les lots de chaussures à l'appelante, car Canada inc. n’avait aucune activité commerciale à la connaissance de l’ARQ. Donc, l'intimée soutient que par ce fait même, l'appelante a reçu les chaussures d’un tout autre fournisseur. Cette logique n’est pas nécessairement valide.

 

[29]        Stefanio n’a pas été contredit ni contre-interrogé et donc son témoignage et celui de Pat sont les seules preuves à l’égard de la provenance des chaussures. Bien que les hypothèses de l'intimée jouissent d’une présomption de validité, elles sont au fond seulement des hypothèses et des preuves testimoniales qui ne sont pas rejetées, l'emportent sur une hypothèse. Il n’y a aucune preuve que les chaussures ne provenaient d’aucun autre fournisseur que Canada inc. Si cette preuve existait, l'intimée ne l’a pas présentée. Il est à noter que les témoins de l'intimée ne se sont pas rendus à l’entrepôt de la rue Chabanel pour vérifier si, oui ou non, il existait vraiment un entrepôt à cet endroit.

 

[30]        J’arrive à la conclusion qu’il n’y a aucune preuve que Canada inc. n’était pas le fournisseur de chaussures. En fait, les factures et la preuve testimoniale font preuve du fait que Canada inc. était le fournisseur des chaussures; l’achat des lots de chaussures le soutient, les chèques en contrepartie le démontrent, les reventes le soulignent.

 

Les renseignements suffisants pour établir les CTI

 

[31]        L’intimé soutient que les deux factures prétendument établies par Canada inc. ne répondent pas aux exigences du paragraphe 169(4) de la LTA et l’article 3 du Règlement. Plus précisément, les renseignements sont inadéquats quant à l’identité du fournisseur, la validité de l’adresse du fournisseur, les modalités de paiement et la suffisance de la description des fournitures acquises. Il incombe à l’appelante d’obtenir des renseignements suffisants pour établir le montant des CTI. Les exigences réglementaires sont obligatoires et elles doivent être rigoureusement appliquées.

 

[32]        Il est évident que les renseignements nécessaires doivent être suffisants pour établir le montant des CTI; ni plus, ni moins. Si un inscrit fournit suffisamment de renseignements pour permettre le calcul des CTI, il n’est pas obligé d’en fournir plus seulement parce que le ministre l’exige. Je suis aussi d’avis que les renseignements et les pièces justificatives visés par l’article 3 du Règlement peuvent comprendre plus que les factures qui font état d’une transaction. Bien que les factures soient des pièces justificatives très importantes, je suis d’avis que ce n’est pas indispensable que les renseignements nécessaires soient indiqués uniquement sur les factures. Tous documents pertinents en possession d’un inscrit y compris les factures, s’il y en a, peuvent fournir les renseignements nécessaires.

 

[33]        La LTA et le Règlement dressent une liste très claire quant aux informations à fournir pour prétendre avoir droit à des CTI. Le paragraphe 169(4) de la LTA édicte que l’inscrit ne peut demander un CTI que s’il obtient les renseignements visés par règlement. L’article 3 du Règlement dit clairement que les renseignements doivent comprendre :

 

a.     le nom ou le nom commercial du fournisseur,

b.     le numéro d’inscription attribué au fournisseur,

c.      si une facture a été émise, la date de la facture,

d.     le montant payé ou payable pour la fourniture,

e.      le montant de taxe payé par rapport à la facture,

f.       le nom de l’acquéreur,

g.     les modalités de paiement,

h.     une description suffisante pour identifier chaque fourniture.

 

[34]        Dans l’affaire Key Property Management Corp. c. Canada, 2004 CCI 210, [2004] G.S.T.C. 32, le juge Bowie, a statué que le but du paragraphe 169(4) de la LTA et de l’article 3 du Règlement, est de protéger le fisc contre les violations tant frauduleuses qu’innocentes. Ce but ne peut être atteint que si les exigences sont considérées comme étant obligatoires et sont rigoureusement appliquées. La juge Campbell était du même avis dans l’affaire Davis c. Canada, 2004 TCC 662, [2004] G.S.T.C. 134. Elle a statué qu’il n’est pas possible de contourner ces dispositions qui sont « manifestement obligatoires ». Dans l’affaire Les Pro‑Poseurs inc. c. La Reine, 2011 CCI 113, confirmée par la Cour d’appel fédérale, 2012 CAF 200 (CanLII), le juge Bédard, en première instance, réitère cette même thèse.

 

[35]        En l’espèce, est‑ce que les pièces justificatives fournies par l'appelante contiennent suffisamment de renseignements pour établir les montants de CTI?

 

[36]        En l’espèce, les factures émises par Canada inc. (onglet R‑7, pièce A‑1) donnent le nom du fournisseur, soit 6809821 Canada inc. Le numéro d’inscription attribué au fournisseur, soit le 853436954RT0001, est inscrit sur les factures. Ce numéro, attribué à Canada inc., était valide à l’époque des transactions. La date des transactions soit, respectivement le 22 décembre 2008 pour la facture no 4336 de 78 466,19 $ et le 11 février pour la facture no 4372 de 29 216,57 $ sont clairement indiqués sur les factures. Le prix à payer pour les chaussures est indiqué sur les factures. Le montant de TPS à payer pour chaque lot de souliers y est clairement indiqué. Le nom de l’acquéreur, 9188‑7646 Québec inc., est indiqué sur les factures. Les trois chèques eux-mêmes (pièce A‑1, onglet R‑8) font preuve des modalités de paiement.

 

[37]        Est-ce que les pièces justificatives donnent une description suffisante pour identifier chaque fourniture? La facture no 4336 décrit un lot de « 7500 Ladies Shoes » au prix unitaire de 9 $ et un lot de « 336 Ladies Shoes » au prix unitaire de 6 $. La facture no 4372 décrit un lot de « 4314 Ladies Shoes » au prix unitaire de 6 $. L'appelante soutient que la description « un lot de chaussures pour femmes » avec la quantité et le prix unitaire des souliers, est suffisante pour identifier chaque facture et pour établir le montant des CTI. Par contre, l'intimée prétend que la marque, le modèle, la grandeur et la couleur de chaque paire de chaussures n’étaient pas inscrits sur les factures telles qu’exigées par le Règlement.

 

[38]        Je ne peux pas retenir l’argument de l'intimée à cet égard. Premièrement, comme je l’ai déjà indiqué les renseignements nécessaires peuvent être établis par des pièces justificatives en possession de l’inscrit autres que des factures. Deuxièmement, lorsqu’on achète quelque chose en lot, il n’est pas raisonnable d’exiger une description détaillée de chaque pièce dans le lot, surtout quand les pièces sont toutes semblables et que les pièces comptent dans les milliers. De plus, l’inventaire à l’onglet R‑9 de la pièce A‑1 comprenant des photos des souliers nous donne amplement de renseignements et constitue une description suffisante au moins pour le deuxième lot de chaussures.

 

[39]        La jurisprudence nous enseigne en quoi consiste une description suffisante pour identifier chaque fourniture. Les fournitures consistent en des services ou des biens. Le juge Bédard dans l’affaire Les Pro-Poseurs inc., précitée, nous donne un exemple d’une « description suffisante » pour identifier la fourniture de services comme dans un cas de travaux effectués dans le domaine de la construction :

 

[46]      […] je suis d’avis qu’une description est suffisante si elle permet à l’Agence d’identifier les travaux effectués par les fournisseurs. À mon avis, les factures déposées en preuve par les appelants ne peuvent respecter la condition prévue au sous-alinéa 3(c)(iv) du Règlement que si elles comprennent au moins les renseignements suivants :

 

i)    […]

 

ii)   La nature de la fourniture. En l’espèce, si l’on se fie aux témoignages de l’appelant et de ceux qui sont venus témoigner à l’appui de la position des appelants, la quasi-totalité des services rendus par les sous-traitants douteux avait trait soit à la pose de plaques de plâtre ou soit au remplissage de joints. Par conséquent, chacune des factures déposées en preuve par les appelants devrait indiquer, selon le cas, si le fournisseur douteux avait posé des plaques de plâtre ou s’il avait rempli des joints. À mon avis, chacune des factures devait de plus indiquer le nombre de pieds carrés de plaques de plâtre posées ou le nombre de pieds carrés de plâtre qui ont fait l’objet de remplissage de joints, selon le cas.

 

 

[40]        Dans l’affaire Bijouterie Almar Inc. c. La Reine, 2010 CCI 618 (CanLII), la juge Lucie Lamarre nous enseigne à l’égard de ce que signifie une « description suffisante » lorsqu’il s’agit de la fourniture de biens :

 

[71]     Les factures […] donnaient une description globale, soit « assorted gold jewellery ». Le règlement dit que la description doit être suffisante pour identifier chaque fourniture. Le ministre a indiqué dans ses présomptions que la description n’était pas suffisante en ce que les quantités et la qualité des bijoux fournis, de même que la contrepartie exigée pour chacun d’eux, n’y apparaissaient pas.

 

[…]

 

[75]     Le règlement exige une description suffisante pour identifier chaque fourniture. L’intimée a allégué que pour ce faire, la facture doit indiquer la quantité, la qualité et la contrepartie exigée pour chaque bijou. L’intimée n’a pas expliqué sur quoi elle se basait pour identifier de telles exigences.

 

[76]     […] Mais la question demeure: que signifie l’exigence du règlement qui dit que la pièce justificative doit comporter comme renseignement une description suffisante pour identifier chaque fourniture? Le règlement ne parle pas des exigences requises selon l’intimée. Le règlement parle d’une description suffisante pour identifier chaque fourniture. Que faut-il entendre par « chaque fourniture »? Dans le cas actuel, peut-on dire qu’un bijou est une fourniture, ou bien un lot de bijoux est une fourniture? Dans le premier cas, les pièces justificatives ne seraient pas conformes, dans le deuxième cas, elles pourraient l’être. Les partis n’ont pas mis l’accent sur ce point

 

[77]     Compte tenu du peu d’éléments que je possède à ce sujet, et de l’expression plutôt vague utilisée dans le règlement, et puisque je conclus que l’intimée n’a pas démontré l’existence de factures de complaisance, je suis d’avis de considérer les factures soumises comme étant conformes au règlement. Si la pratique commerciale, usuelle dans l’industrie n’est pas conforme au règlement selon l’intimée, il lui reviendra de faire une démonstration plus approfondie que les exigences qu’elle invoque sont celles qui sont requises. En l’instance, je considère que l’appelante a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les factures soumises sont conformes aux termes de l’article trois du règlement.

 

 

[41]        Je suis d’accord avec la juge Lamarre. Si l’expression « assorted gold jewellery » est une description suffisante pour identifier chaque fourniture de biens, l’expression « 7500 Ladies Shoes » est également une description suffisante. Donc, j’arrive à la conclusion que les pièces justificatives fournies par l'appelante donnent une description suffisante pour identifier chaque fourniture et permet d’établir le montant de CTI.

 

À qui le risque – l’acheteur ou le fisc?

 

[42]        En l’espèce, il ressort du témoignage de Stefanio, qu’il ignorait que Canada inc. émettait des factures de complaisance et que cette société faisait l’objet d’une enquête par l’ARQ. Il n’y a aucune preuve de connaissance, connivence, collusion ou fraude de la part de l'appelante.

 

[43]        L’appelante ne conteste pas que la loi exige que toutes personnes ayant versé des sommes à titre de TPS à des fournisseurs doivent veiller à fournir des numéros d’inscription valides de ses fournisseurs lorsqu’elles demandent un CTI. L'appelante soutient qu’au moment où elle a contracté avec Canada inc. et au moment où elle a demandé les CTI, les numéros d’inscription de Canada inc. étaient valides. L'appelante soutient que ce n’est pas à elle de supporter le fardeau économique qui en résulte lorsqu’un fournisseur est un délinquant fiscal à son insu. L'appelante prétend qu’elle a toujours agi de bonne foi et qu’elle a exercé une diligence raisonnable.

 

[44]        L'appelante invoque la décision Joseph Ribkoff Inc. c. La Reine, 2003 CCI 397, [2003] G.S.T.C. 162. Dans cette affaire, on avait jugé que des services réels avaient été rendus, que l'appelante avait payé la taxe de bonne foi et que ce n’était pas à l'appelante de supporter la fraude du fournisseur. Ce n’est pas à la personne qui a payé la TPS à l’égard d’une facture de supporter le fait que la TPS n’a pas été remise consécutivement par son fournisseur, même lorsque celui‑ci est peu fiable.

 

[45]        Par contre, l’état jurisprudentiel actuel semble indiquer que la souplesse déjà permise à un inscrit par Ribkoff, précitée, n’a probablement plus d’application.

 

[46]        Un exemple très éclairant à cet égard nous est donné par le juge Boyle dans l’affaire Comtronic Computer Inc. c. Canada, 2010 CCI 55, [2010] G.S.T.C. 13. Le juge Boyle a élucidé les faits saillants au paragraphe 5 :

 

[5]     Il a été déterminé que les factures établies par cinq fournisseurs de Comtronic indiquaient des numéros d’inscription aux fins de la TPS qui, bien que valides, avaient été attribués à d’autres personnes que ces fournisseurs. Ce semble être un cas ou des actes illicites ont été commis par les fournisseurs. Personne n’a prétendu que Comtronic était complice de tels actes ou bien qu’elle était au courant du fait que les fournisseurs avaient commis quelque acte illicite que ce soit. Il est admis que Comtronic a payé les fournitures ainsi que la TPS applicable et qu’elle a reçu ces fournitures. Il semble que la TPS perçue de Comtronic n’a jamais été versée par les fournisseurs. Il convient de signaler que, par l’effet de la loi, c’est à titre de mandataires de la Couronne que les fournisseurs ont reçu la TPS payée par Comtronic.

 

 

[47]        Le juge Boyle se posait la question à savoir si c’est l’acheteur canadien ou le gouvernement canadien qui supporte le risque lié aux actes illicites commis par le fournisseur dans de telles circonstances. Il arrive à la conclusion que c’est l’acheteur canadien qui doit supporter ce risque. Le juge Boyle a souligné ce fait, comme l’a fait le juge Archambault en première instance dans Systematix Technology Consultants Inc. c. La Reine, 2006 CCI 227, confirmé par la Cour d’appel fédérale, 2007 CAF 226 (CanLII), aux paragraphes 29 et 30 de Comtronic, précitée :

 

[29]      En l’espèce, je suis lié par la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’affaire Systematix. Je dois toutefois souligner que (comme l’a fait remarquer mon collègue le juge Archambault, qui a statué sur l’affaire Systematix en première instance) cette approche stricte est une source potentielle d’injustice pour l’acheteur qui paye la TPS de bonne foi. Elle a pour conséquence que les entreprises canadiennes doivent supporter les risques liés à la fraude, au vol d’identité et aux actes illicites, et les oblige dans les faits à mettre en place des mesures de gestion du risque dans leurs relations tant avec leurs nouveaux fournisseurs qu’avec leurs fournisseurs existants de manière à déterminer quels renseignements fournis par les fournisseurs peuvent nécessiter qu’elles fassent des recherches plus approfondies. Un tel résultat peut s’avérer sévère et injuste, mais il est loisible au législateur fédéral d’instaurer un tel régime et je suis tenu d’appliquer les dispositions législatives telles qu’elles ont déjà été interprétées par la Cour d’appel fédérale.

 

[30]      La question de savoir si, en matière de perception et de versement de la TPS, c’est l’acheteur ou le fisc qui doit supporter le risque lié au vol d’identité et aux actes illicites commis par les fournisseurs est une question de politique valable qu’on pourrait débattre. Cependant, dans des circonstances comme celles en l’espèce, la Cour d’appel fédérale a jugé que le législateur fédéral s’est déjà penché sur la question. La Cour de l’impôt ne peut donc pas la réexaminer.

 

 

[48]        Le juge Boyle a spécifiquement mentionné, au paragraphe 33, que l’approche dans l’affaire Ribkoff, précitée, ne pouvait plus être retenue depuis l’arrêt de la Cour d’appel fédérale rendu dans Systematix, précité :

 

[33]      En ce qui concerne les deux arguments invoqués par l'appelante, je ne vois pas en quoi le libellé général des dispositions pertinentes, qui exige que les personnes qui demandent des CTI possèdent le numéro d’inscription attribué au fournisseur, et l’interprétation qui en a été faite par la Cour d’appel fédérale, selon laquelle ce libellé crée une obligation et doit être rigoureusement appliqué, devraient entraîner un résultat différent en l’espèce. De la même façon, même si, en première instance, le juge Archambault a fait une distinction entre l’affaire Systematix, dont il était saisi, et l’affaire Ribkoff, et même si la Cour d’appel fédérale a conclu que le juge de première instance n’avait commis aucune erreur, je ne vois pas comment l’approche adoptée par notre Cour dans la décision Ribkoff et dans d’autres décisions antérieures peut encore valoir compte tenu de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Systematix.

 

 

[49]        En l’espèce, l’intimée prétend qu’il ressort du témoignage des témoins de l’appelante qu’aucune preuve n’a été soumise pour démontrer que l’appelante avait vérifié la validité des numéros de taxe de Canada inc. et l’intimée soutient donc que l’appelante doit supporter les conséquences résultant du fait qu'elle ne s'est pas enquise de la légalité de l’entreprise du fournisseur, peu importe qu’elle a ou non agi de bonne foi.

 

[50]        L’appelante soutient qu’elle a toujours agi de bonne foi et avec diligence raisonnable dans toutes les circonstances. Il n’y a aucune preuve de connaissance, connivence, collusion ou fraude de la part de l'appelante. L’appelante n’avait aucune connaissance que Canada inc. fît l’objet d’une enquête de la part du ministre ou que Canada inc. fût un délinquant fiscal ou que Canada inc. fût un fournisseur de factures de complaisance. L'appelante affirme qu’elle n’avait aucune raison de se douter que Canada inc. était un fournisseur malveillant. L’appelante soutient qu’elle ne peut pas supporter les malversations de son fournisseur à partir du moment où elle s’est comportée de bonne foi et a fait preuve de diligence raisonnable. Dès lors que l'appelante a rempli les exigences quant aux demandes des CTI, le ministre ne peut lui en mettre plus sur les épaules. L'appelante prétend que d’imposer à l’acheteur la charge de s’assurer que son fournisseur n’est pas un fraudeur va à l’encontre des exigences légales. Seul le ministère peut savoir si un fournisseur inscrit est délinquant.

 

[51]        L’approche stricte énoncée par Systematix et Comtronic, précités, n’est pas absolue. Elle oblige les entreprises à mettre en place des mesures de gestion du risque dans leurs relations avec leurs fournisseurs et à déterminer quels renseignements fournis par les fournisseurs peuvent nécessiter qu’elles fassent des recherches plus approfondies.

 

[52]        Le juge suppléant Batiot nous donne un exemple dans l’affaire 9183‑2899 Québec Inc. c. La Reine, 2013 CCI 8 (entendue le 4 octobre 2012, décision datée du 11 janvier 2013), un cas semblable à celui en l’espèce. L'appelante avait fait affaire avec un délinquant fiscal dont les numéros d’inscription étaient valides à l’époque des transactions. Malgré le fait que le fournisseur était un fournisseur de factures de complaisance, l'appelante a en fait reçu et payé les fournitures et la taxe exigée. Le fournisseur n’a pas remis la taxe au ministre. Le juge suppléant Batiot a accepté que l'appelante ait bel et bien reçu les fournitures et il n’y avait aucune preuve de connaissance, de connivence ou de collusion de la part de l'appelante. L'appelante se fiait au fait que les numéros d’inscription du fournisseur douteux étaient valides. Le juge Batiot a accueilli l’appel en concluant que l'appelante a exercé la diligence nécessaire et raisonnable requise pour éviter de commettre l’erreur qui lui était imputée par l'intimée.

 

[53]        En l’espèce, il n’y a rien dans les circonstances, telles que connues par l'appelante, pouvant nécessiter qu’elle fasse des recherches plus approfondies à l’égard de Canada inc. Le numéro d’inscription de Canada inc. était valide à l’époque. Stefanio, le représentant de l'appelante, a souvent acheté des biens à l’entrepôt de liquidation sur la rue Chabanel. Stefanio et Pat se sont rendus sur place à l’entrepôt et ils ont vérifié l’existence des lots de chaussures. Ils ont négocié l’achat des lots de chaussures avec Albert, l’actionnaire et administrateur de Canada inc. L’appelante a véritablement acquis les lots de chaussures de Canada inc. L'appelante a payé les chaussures et la taxe exigée à Canada inc. Les numéros d’inscription indiqués sur les factures étaient valides à l’époque et l'appelante n’avait aucune raison de croire qu’ils ne l’étaient pas. L'appelante a revendu les chaussures et a perçu la TPS exigée et a remis cette taxe à l’ARQ comme elle était obligée de le faire. L’intimée était la seule personne à savoir si oui ou non Canada inc. était impliquée dans une activité commerciale illégale et la seule à pouvoir vérifier si ce fournisseur était délinquant. L'appelante n’avait aucune raison de croire que Canada inc. était un fournisseur de factures de complaisance ou un délinquant fiscal. Puisque le numéro de TPS de Canada inc. était valide, les sommes payées par l’appelante à cette compagnie sont des intrants qui peuvent être réclamés contre ses propres remises à l’ARQ. En l’espèce, et en l’absence de connaissance, connivence, collusion, fraude ou négligence de la part de l'appelante, elle pouvait légitimement croire, en personne raisonnable, diligente et avisée dans son domaine d’activités que l’auteur des factures qu’elle a produites à l’appui de sa réclamation était le véritable fournisseur des chaussures. De plus, l'appelante n’avait aucune raison de croire que le fournisseur n’aurait pas remis à l’ARQ la TPS qu’il a reçue de l'appelante à l’égard de ces factures.

 

Conclusion

 

[54]        L’appelante s’est acquittée du fardeau de preuve qui lui incombe à réfuter les hypothèses de l’intimée : Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336 (C.S.C.).

 

[55]        Pour ces motifs, l’appel est accueilli avec dépens.

 

 

Signé à Montréal, Québec, ce 21e jour de mars 2013.

 

 

 

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

 

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 85

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2012-1720(GST)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            9188-7646 QUÉBEC INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable Rommel G. Masse,

                                                          Juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 21 mars 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l'appelante :

 

Me Micheline Charbonneau

Avocat de l'intimée :

Me Michel Rossignol

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante :

                     Nom :                           Me Micheline Charbonneau

                 Cabinet :                          Me Micheline Charbonneau

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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