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Dossier : 2008­2819(GST)I

ENTRE :

FORESTECH INDUSTRIES LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 3 novembre 2009, à Vancouver (Colombie-Britannique).

 

Devant : L'honorable juge Wyman Webb

 

Comparutions :

 

Représentant de l'appelante :

M. David Bennington

Avocate de l'intimée :

Me Holly Popenia

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L'appel de la cotisation établie au titre de la Loi sur la taxe d'accise, à l'égard de la période allant du 1er février 1996 au 30 avril 2003 (la « période »), est accueilli avec dépens, et l'affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, compte tenu du fait que l'appelante a droit aux crédits de taxe sur les intrants qu'elle a demandés dans les déclarations relatives à la TPS qu'elle a produites pour les périodes de déclaration qui ont pris fin au cours de la période ici en cause.

 

       Signé à Winnipeg (Manitoba), ce 18e jour de novembre 2009.

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de février 2010.

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 

 


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 591

Date : 20091118

Dossier : 2008­2819(GST)I

ENTRE :

FORESTECH INDUSTRIES LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Webb

[1]              Dans le présent appel, il s'agit de savoir si l'appelante a satisfait aux exigences concernant les documents énoncées au paragraphe 169(4) de la Loi sur la taxe d'accise (la « LTA ») à l'égard des divers crédits de taxe sur les intrants (les « CTI ») qu'elle a demandés en produisant ses déclarations relatives à la TPS pour les 29 périodes de déclaration qui ont pris fin au cours de la période allant du 1er février 1996 au 30 avril 2003 (la « période »). Toutes les déclarations relatives à la TPS pour ces périodes de déclaration ont été produites le 18 août 2005.

 

[2]              L'appelante s'occupait d'exploitation forestière et de construction de chemins d'exploitation sur la Sunshine Coast de la Colombie‑Britannique et dans les environs. L'appelante possédait quatre ou cinq camions à pierre entre les années 1996 et 2000 ou 2001. L'appelante possédait également deux ou trois excavatrices. Dans le cadre de son entreprise, l'appelante s'occupait également de transport par camion jusqu'en 2000 ou 2001, et les camions ont alors été vendus.

 

[3]              L'appelante n'a pas produit de déclarations de revenus ou de déclarations relatives à la TPS en temps opportun. Le comptable de l'appelante a préparé, en 2005, les déclarations de revenus de l'appelante pour ses années d'imposition 1996 à 2003, et toutes ces déclarations ont été produites en 2005, avant que les déclarations relatives à la TPS pour les périodes de déclaration de l'appelante qui ont pris fin au cours de la période aient été préparées.

 

[4]              Les états financiers de l'appelante pour ses années d'imposition qui ont pris fin entre le 30 avril 1996 et le 30 avril 2003 inclusivement indiquaient les montants suivants au titre des bénéfices (ou des pertes) pour chacune de ces années :

 

Année d'imposition

Recettes

Dépenses

Bénéfices (pertes)

1996

31 696 $

35 406 $

(3 710 $)

1997

348 476 $

348 476 $

0 $

1998

361 487 $

361 026 $

461 $

1999

445 541 $

445 541 $

0 $

2000

444 157 $

444 157 $

0 $

2001

329 261 $

329 261 $

0 $

2002

86 852 $

86 852 $

0 $

2003

484 252 $

484 252 $

0 $

 

 

[5]              Le comptable de l'appelante a déclaré que les dépenses étaient égales aux recettes pendant plusieurs années, parce qu'il avait uniquement demandé une déduction pour amortissement d'un montant égal aux bénéfices qui auraient été réalisés en l'absence de pareille déduction. Par conséquent, seule une fraction de la déduction pour amortissement qui aurait par ailleurs pu être demandée avait en fait été demandée, de façon à réduire le bénéfice à néant. Étant donné que la déduction pour amortissement (la « DPA ») est une déduction discrétionnaire et que le contribuable a le droit de demander la déduction d'un montant n'excédant pas le pourcentage applicable de la fraction non amortie du coût en capital des actifs de la catégorie appropriée[1], le contribuable a le droit de demander uniquement la déduction de la fraction de la DPA qu'il aurait par ailleurs le droit de demander (ou il peut ne rien demander à ce titre).

 

[6]              En préparant les déclarations de revenus pour les années d'imposition allant de l'année 1996 à l'année 2003, le comptable a calculé le montant des dépenses qui avaient été engagées à l'aide des relevés bancaires et des chèques oblitérés. Le comptable a indiqué qu'avant de préparer les déclarations de revenus, il avait reçu divers documents de l'appelante, et notamment diverses factures et certains autres documents. Ces documents ont été retournés à Wendy Smith (l'un des deux actionnaires de l'appelante) une fois les déclarations de revenus préparées.

 

[7]              Après que les déclarations de revenus pour ces années d'imposition eurent été produites, le comptable a préparé les déclarations relatives à la TPS pour les périodes de déclaration de l'appelante qui ont pris fin au cours de la période ici en cause en se fondant sur les dépenses déclarées dans les états financiers et sur les dépenses en capital de l'appelante. Le comptable a déclaré qu'en calculant le montant de la TPS qui était payable par l'appelante, il n'a pas inclus de montant au titre des dépenses à l'égard desquelles aucune TPS n'était payable (comme les primes d'assurance, les salaires ou les traitements). Aucun montant n'a été inclus au titre de la TPS pour l'amortissement, étant donné que la TPS payable sur les immobilisations aurait été incluse au moment de l'acquisition de ces immobilisations, et non lorsque la déduction pour amortissement a été demandée. Le comptable a également calculé la TPS en se fondant sur le coût, déduction faite de la taxe de vente provinciale sur les dépenses à l'égard desquelles la taxe de vente provinciale s'appliquait. De plus, le comptable n'a pas inclus la TPS à l'égard des montants payables aux vendeurs qui, à sa connaissance, n'étaient pas inscrits aux fins de la TPS. Étant donné que le comptable exerçait sa profession dans la région, il connaissait les diverses personnes qui fournissaient des biens et services à l'appelante, et il agissait en outre comme comptable de certains gros fournisseurs qui fournissaient des biens et services à l'appelante.

 

[8]              Le montant total demandé au titre des CTI pour toutes les périodes de déclaration visées par le présent appel s'élevait à 152 534,15 $. Selon les déclarations relatives à la TPS qui avaient été produites, l'appelante demandait un remboursement pour chaque période de déclaration, sauf la dernière. Parmi les clients de l'appelante, il y avait notamment le gouvernement de la province et certaines bandes indiennes qui ne payaient pas la TPS à l'égard des services qui leur étaient fournis. Le remboursement net total demandé pour les 29 périodes de déclaration s'élevait à 7 001,07 $. Lorsque les déclarations relatives à la TPS ont initialement fait l'objet d'une cotisation, le 14 juillet 2006, des crédits de taxe sur les intrants au montant global de 139 491,46 $ ont été refusés et, par conséquent, au lieu de recevoir un remboursement de 7 001,07 $ pour toute la période, l'appelante a reçu une facture de 132 490,39 $, plus les pénalités et intérêts. Dans la cotisation initiale, plus de 91 p. 100 des crédits de taxe sur les intrants qui avaient été demandés avaient été refusés.

 

[9]              Par un avis de nouvelle cotisation daté du 2 juin 2008, des CTI additionnels de 9 790,04 $ ont été admis et, au cours de l'audience, l'intimée a reconnu que des CTI additionnels de 6 513,65 $ seraient admis. Le montant révisé des CTI qui a été refusé s'élève à 123 187,77 $, soit environ 81 p. 100 des CTI demandés par l'appelante.

 

[10]         Un inscrit a le droit de demander les crédits de taxe sur les intrants prévus à l'article 169 de la LTA. Le paragraphe 169(1) de la LTA prévoit, d'une façon générale, qu'un inscrit a droit à un CTI, compte tenu de la taxe qui est payable en vertu de la LTA relativement à des biens et des services acquis par l'inscrit pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cours de ses activités commerciales, et dans la mesure où ces biens ou services ont été acquis pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cours des activités commerciales de l'inscrit. Le paragraphe 169(4) de la LTA impose une exigence additionnelle à l'égard des documents, à laquelle il faut satisfaire afin de demander un CTI.

 

[11]         En l'espèce, l'avocate de l'intimée a soutenu, dans son plaidoyer final, que l'intimée ne reconnaissait pas que l'appelante avait engagé les dépenses dont la déduction était demandée dans ses déclarations de revenus et qu'elle ne reconnaissait donc pas que ces dépenses avaient été engagées pour l'application de la LTA. Toutefois, la réponse renferme notamment les énoncés suivants :

 

[traduction]

 

A.     EXPOSÉ DES FAITS

 

[…]

 

2.      En ce qui concerne les faits allégués au deuxième paragraphe non numéroté de l'avis d'appel :

 

a)      il déclare que le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé les crédits de taxe sur les intrants (les « CTI ») à cause de l'insuffisance de la documentation à l'appui de la demande que l'appelante a faite à l'égard de la période;

 

[…]

 

7.      En déterminant le montant de la dette de l'appelante au titre de la TPS pour la période, le ministre a émis les hypothèses de fait suivantes :

 

f)        pendant la période pertinente, l'appelante a effectué des fournitures qui étaient taxables au taux normal de 7 p. 100 au cours de la période;

 

[…]

 

h)      l'appelante a demandé arbitrairement des CTI pour la période en se fondant sur ses relevés bancaires;

 

[…]

 

j)       l'appelante n'a pas justifié les CTI demandés, d’une somme de 129 701,42 $, à l'égard de ses activités commerciales pour la période.

 

B.     LES QUESTIONS À TRANCHER

 

8.      Il s'agit de savoir les CTI demandés par l'appelante, d’une somme de 129 701,42 $, pour la période ont été avec raison refusés.

 

 

D.     LES MOYENS INVOQUÉS ET LA MESURE DE REDRESSEMENT RECHERCHÉE

 

10.  Il soutient respectueusement que le ministre a dûment établi une cotisation à l'égard de l'appelante en ce qui concerne la TPS nette, les intérêts et les pénalités, au titre des articles 280, 296 et 298 de la Loi, étant donné que l'appelante a déclaré en moins la taxe nette d'un montant de 129 701,42 $ à l'égard de la période.

 

11.  Il soutient en outre que le ministre a eu raison de refuser les CTI demandés, d’une somme de 129 701,42 $, pour le motif que les montants demandés n'étaient pas justifiés à l'aide de documents, comme l'exige le paragraphe 169(4) de la Loi et le Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants.

 

[12]         Il me semble que le seul motif permettant de refuser les CTI était que l'intimée allègue que l'appelante ne s'est pas conformée aux exigences relatives aux documents énoncées au paragraphe 169(4) de la LTA. Aucune hypothèse n'a été émise au sujet du fait que l'appelante n'avait pas acquis les biens et services, à l'égard desquels la TPS au montant de 129 701,42 $ était payable, pour consommation ou utilisation dans le cours de ses activités commerciales ou que le montant de la TPS payable relativement à ces biens et services était inférieur à 129 701,42 $.

 

[13]         Dans l'arrêt The Queen v. Anchor Pointe Energy Ltd., 2003 DTC 5512, le juge Rothstein, qui était alors juge à la Cour d'appel fédérale, a dit ce qui suit :

 

[23] Alléguer l'existence d'hypothèses confère comme avantage important à la Couronne de renverser le fardeau de preuve, de sorte que le contribuable doive réfuter les hypothèses du ministre. Les faits allégués comme hypothèses doivent être précis et exacts afin que le contribuable sache bien clairement ce qu'il lui faudra prouver.

 

[14]         Si une cotisation (ou une nouvelle cotisation) avait été établie pour le motif que l'appelante n'avait pas acquis les biens et services à l'égard desquels elle demandait les CTI, le ministre aurait dû l'indiquer en toutes lettres dans la réponse. De plus, étant donné que le vérificateur avait examiné les états financiers de l'appelante, il semble logique que, si le ministre se demandait si les dépenses dont la déduction était demandée avaient été engagées, une nouvelle cotisation aurait été établie à l'égard de l'appelante en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu aux fins du rejet de ces dépenses. Il me semble que l'omission de le faire donne à entendre que le ministre a reconnu que l'appelante avait engagé les dépenses dont la déduction était demandée.

 

[15]         À mon avis, l'intimée ne peut donc pas soulever, dans son plaidoyer final, la question de savoir si les dépenses avaient été engagées par l'appelante pour ses années d'imposition 1996 à 2003, et si l'appelante avait acquis les biens et services se rapportant à ces dépenses pour consommation ou utilisation dans le cours de ses activités commerciales. Quoi qu'il en soit, je suis convaincu, compte tenu des témoignages de James Smith (l'autre actionnaire de l'appelante) et du comptable, que l'appelante a engagé, selon la prépondérance des probabilités, les dépenses dont elle a demandé la déduction pour ses années d'imposition 1996 à 2003, et qu'elle a acquis les biens et services se rapportant à ces dépenses pour consommation ou utilisation dans le cours de ses activités commerciales. Je suis également convaincu que l'appelante a acquis les immobilisations, à l'égard desquelles la TPS était payable et pour lesquelles un CTI a été demandé, pour utilisation dans le cours de ses activités commerciales.

 

[16]         La seule question qui se pose dans le présent appel est de savoir si l'appelante a satisfait aux exigences relatives aux documents qui sont énoncées au paragraphe 169(4) de la LTA et dans le règlement d'application. Le paragraphe 169(4) de la LTA prévoit notamment ce qui suit :

 

(4) L'inscrit peut demander un crédit de taxe sur les intrants pour une période de déclaration si, avant de produire la déclaration à cette fin :

 

a) il obtient les renseignements suffisants pour établir le montant du crédit, y compris les renseignements visés par règlement;

 

[17]         Les exigences relatives aux documents qui sont énoncées au paragraphe 169(4) de la LTA et dans le Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants sont obligatoires (Systematix Technology Consultants Inc. c. Canada, 2007 CAF 226, [2007] G.S.T.C. 74).

 

[18]         Toutefois, il est important, selon moi, d'examiner ce que cette disposition exige réellement. En particulier, elle exige que les documents requis soient obtenus « avant de produire la déclaration à cette fin ».

 

[19]         Dans la décision Sikora c. La Reine, 2005 CCI 261, [2005] G.S.T.C. 90, le juge McArthur a fait les remarques suivantes :

 

[11]   Pour contrebalancer l’application rigide relative à l’obtention des « renseignements visés par règlement », il est possible de soutenir que le passage du paragraphe 169(4) qui indique que l’inscrit « obtient les renseignements suffisants » pourrait être interprété de la façon suivante : pourvu que le contribuable ait les renseignements au moment où la déclaration est produite, il n’est pas nécessaire de présenter « les renseignements visés par règlement ».

 

[12]   David Sherman, auteur respecté d’articles sur la TPS, appuie cette approche en disant ce qui suit dans un commentaire qu’il a rédigé à la suite de la décision Owraki v. The Queen, [1 [2004] G.S.T.C. 1, pages 1‑5 et 1‑6] :

 

            [TRADUCTION]

            […] On considère souvent que le paragraphe 169(4) exige que l’inscrit produise les documents au moment de la vérification ou à l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt. Toutefois, comme je l’ai dit dans des commentaires antérieurs, ce n’est pas ce que le paragraphe exige littéralement. Il exige seulement que l’inscrit ait la preuve documentaire au moment où la déclaration de TPS est produite. Si un témoin est crédible, la Cour peut conclure que l’inscrit avait les documents à un moment donné avant de produire la déclaration même si ces documents ne sont plus disponibles. Cette position a été acceptée par l’ADRC dans un jugement sur consentement devant la Cour canadienne de l’impôt lorsque j’ai présenté ce point au ministère de la Justice : voir Sherman, David, Input Tax Credits Without Documentation – Sometimes the Impossible is Possible : GST & Commodity Tax (Carswell), vol. XIII, no 9 (novembre 1999) p. 65 - 67.

 

                        La situation dans l’affaire Owraki correspondait précisément à ce genre de cas. Les appelants avaient raconté une histoire vraisemblable selon laquelle ils avaient laissé une valise contenant tous leurs dossiers financiers et documents à l’appui dans un taxi en Iran. La Cour a accepté ce témoignage et a conclu que les documents exigés pour l’application du paragraphe 169(4) étaient disponibles au moment de la production de la déclaration.

 

            Voir également la décision Dosanjh, [2004] G.S.T.C. 47, où le juge Miller a appliqué la même approche. Il est encourageant de voir la Cour s’orienter vers cette direction.

 

[13]   Je ne suis pas en désaccord avec cette approche, mais, dans ce cas-ci, l’appelant n’a pas réussi à établir qu’il avait la preuve documentaire au moment où il a produit sa déclaration. Il n’a pas non plus accepté la suggestion qu’il serait préférable pour lui que l’audience soit ajournée pour lui donner la chance de présenter ses documents.

 

[20]         Dans un commentaire ultérieur, David Sherman a corrigé ce commentaire, à savoir que la personne doit avoir à sa disposition les documents requis au moment où la déclaration relative à la TPS est produite. Il a fait remarquer que la disposition exige uniquement que les documents nécessaires aient été obtenus avant la production de la déclaration relative à la TPS.

 

[21]         Dans la décision Dosanjh c. La Reine, 2004 CCI 285, [2004] G.S.T.C. 47, le juge C. Miller a dit ce qui suit :

 

[1]     […] Sauf pour 2001, le ministre n'a pas accordé de CTI à M. Dosanjh au motif que ce dernier ne les avait pas demandés et qu'il n'avait déposé aucun document approprié dans la forme prescrite lui donnant le droit de demander des CTI. Je souhaite tout d'abord mentionner mon inquiétude quant à l'approche qui consiste à se fonder sur les revenus déclarés par le contribuable pour évaluer la TPS tout en faisant complètement fi des dépenses que celui-ci a déclarées pour fixer des CTI raisonnables. Le résultat est lourd de conséquences. Je ne suggère aucunement que les contribuables puissent ignorer ouvertement les règles, il est manifeste que ce n'est pas le cas. Cependant, je dis qu'ils pourraient s'attendre à ce que leurs objections soient traitées raisonnablement, étant donné, en particulier, que la notion de « raisonnabilité » est un concept qui à été introduit libéralement dans toutes les facettes de notre législation fiscale.

 

[…]

 

[12]      Je n'interprète pas le paragraphe 169(4) comme une obligation faite au contribuable de produire les renseignements prescrits devant l'ADRC. Cette disposition exige seulement que l'inscrit « obtien[ne] les renseignements suffisants [...] ». M. Dosanjh doit donc posséder, à un moment précédant sa demande de CTI, la preuve nécessaire. L'ADRC n'a rien trouvé à redire à propos des dépenses déclarées aux fins de l'impôt sur le revenu et j'accepte la preuve de M. Dosanjh indiquant qu'il a bel et bien effectué lesdites dépenses. Il n'est pas question ici de chiffres, mais seulement de savoir si M. Dosanjh s'est acquitté de son obligation d'obtenir les renseignements prescrits et nécessaires.

 

[22]         Il fallait donc que l'appelante obtienne les documents requis à un moment donné, avant de produire ses déclarations relatives à la TPS, en 2005. Or, les documents n'étaient pas disponibles lors de la vérification et il semble qu'ils ne l'aient pas non plus été lorsque les déclarations relatives à la TPS ont été préparées et produites. Les CTI ont été calculés sur la base des dépenses dont la déduction était demandée et des immobilisations acquises, compte tenu uniquement des dépenses à l'égard desquelles la TPS était payable, de la taxe de vente provinciale qui était payable à l'égard de certaines dépenses et des vendeurs qui n'étaient pas inscrits pour l'application de la LTA.

 

[23]         James Smith et le comptable de l'appelante ont témoigné à l'audience. Les actionnaires de l'appelante étaient mariés l'un à l'autre, mais Wendy Smith a quitté James Smith au mois de mai 2005. La rupture du mariage s'est faite dans un climat acrimonieux. Il semble que les conjoints aient quitté les lieux qu'ils habitaient en 2005. De plus, en 2005, leur fils est décédé. Par suite du bouleversement de leurs vies personnelles, il semble que les diverses factures et autres documents qu'ils avaient en leur possession à l'égard de la TPS payable pour les biens et services qui avaient été acquis par l'appelante au cours de la période ici en cause aient été égarés.

 

[24]         Wendy Smith n'a pas témoigné à l'audience. Son affidavit a été produit avec le consentement de l'intimée. Dans cet affidavit, Wendy Smith disait notamment ce qui suit :

 

[traduction]

 

7.         À cause de mon association à cette entreprise, je peux confirmer qu'au cours de la période allant de l'année 1996 à l'année 2003, la société (Forestech Industries Ltd.) a reçu des factures d'achat dans lesquelles la TPS était demandée et qu'elle a acquitté ces factures, et ces factures et d'autres documents ont été remis à David Bennington pour qu'il prépare les états financiers et les déclarations de revenus T2. Je peux donc confirmer que ces factures existaient au mois de juin 2005.

 

[25]         En plus de l'affidavit de Wendy Smith, l'appelante a également produit des copies de divers chèques qui ont été établis en 2000, 2001 et 2002. Les numéros de facture ou les numéros de compte étaient indiqués au recto de plusieurs de ces chèques. Les chèques étaient payables à divers fournisseurs qui avaient fourni des biens et des services à l'appelante. Rien n'indique en l'espèce que des fournisseurs aient été payés en argent. Il semble que tous les paiements aient été effectués par chèque.

 

[26]         Dans la décision Lesnick c. La Reine, 2008 CCI 522, j'ai examiné les décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans les affaires The Continental Insurance Company c. Dalton Cartage Company Limited, [1982] 1 R.S.C. 164, et Hickman Motors Limited c. La Reine, [1997] 2 R.C.S. 336, ainsi que par la Chambre des lords dans les affaires In re Doherty, [2008] UKHL 33, et In re B (Children), [2008] UKHL 35. La conclusion à laquelle je suis arrivé en me fondant sur ces décisions était la suivante :

 

[16]      Il me semble que ces décisions sont compatibles les unes avec les autres et que la question, dans une affaire civile (ce qui comprend le présent appel), sera de savoir si la preuve présentée est suffisante pour convaincre le juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la personne qui a la charge de la preuve a établi ce qu’elle était obligée d’établir. En analysant la preuve qui a été présentée, la probabilité ou l’absence de probabilité de l’événement qui est en cause est un facteur pouvant être pris en considération. Plus l’événement est improbable, plus la preuve devra être forte. À l’inverse, il me semble également qu’une personne peut être en mesure d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’un événement fort probable s’est produit en se fondant sur une preuve plus faible que celle qui est nécessaire pour établir qu’un événement improbable s’est produit.

 

[27]         Le Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants (TPS/TVH) prévoit d'une façon générale qu'une facture établie par un fournisseur à l'égard d'une fourniture taxable de biens ou de services satisfait aux exigences relatives aux documents si elle renferme les renseignements suivants :

 

a)       Pour les fournitures de moins de 30 $ :

 

(i)          le nom du fournisseur;

 

(ii)        la date de la facture;

 

(iii)      le montant total payable;

 

b)      Pour les fournitures de 30 $ ou plus et de moins de 150 $ :

 

(i)          le nom du fournisseur et son numéro d'inscription;

 

(ii)        les renseignements mentionnés aux sous‑alinéas a(ii) et (iii) ci‑dessus;

 

(iii)      le montant payable en vertu de la LTA, indiqué séparément (la taxe de vente provinciale, le cas échéant, étant également indiquée séparément);

 

c)       Pour les fournitures de 150 $ ou plus :

 

(i)          les renseignements susmentionnés;

 

(ii)        le nom de l'acquéreur;

 

(iii)      les modalités de paiement;

 

(iv)      une description suffisante pour identifier la fourniture.

 

[28]         Il me semble que les renseignements susmentionnés sont des renseignements que l'on s'attend normalement à trouver dans une facture établie par un fournisseur. Il me semble également que les fournisseurs, qui devaient être payés par chèque, auraient fort probablement établi des factures contenant les renseignements susmentionnés avant d'être payés. Je conclus donc que l'appelante aurait fort probablement reçu une facture de ses fournisseurs avant de les payer et qu'une telle facture aurait contenu les renseignements requis susmentionnés.

 

[29]         L'avocate de l'intimée a soutenu que l'appelante, même si elle avait en sa possession les documents requis avant de produire ses déclarations relatives à la TPS, ne devrait néanmoins pas avoir droit aux CTI, parce qu'elle n'a pas préparé ses déclarations relatives à la TPS à l'aide des documents requis. La TPS payable a été calculée à l'aide des états financiers qui avaient été préparés. Toutefois, il me semble que la façon dont le montant des CTI a été calculé importe peu, à condition que ce montant soit exact. Il me semble que, pour qu'un inscrit demande un CTI :

 

1.     Il faut déterminer le montant de la taxe que l'inscrit doit payer en vertu de la LTA pour les biens ou services qu'il a acquis pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cours de ses activités commerciales;

 

2. L'inscrit doit avoir obtenu les documents requis avant de produire la déclaration en vertu de la LTA dans laquelle le CTI est demandé.

 

[30]         Le fait que l'inscrit peut calculer ses CTI en se fondant sur des documents autres que ceux qui sont requis ne devrait pas lui faire perdre ses CTI s'il peut établir que le montant calculé est exact et qu'il avait en sa possession les documents requis (même si l'inscrit n'a pas utilisé ces documents en préparant ses déclarations). Selon la position qu'elle a prise, si l'inscrit reçoit d'un fournisseur des factures qui sont conformes aux exigences relatives aux documents ainsi que des sommaires mensuels, trimestriels ou annuels ne satisfaisant pas aux exigences relatives aux documents et si l'inscrit prépare ses déclarations relatives à la TPS à l'aide des sommaires mensuels, trimestriels ou annuels, l'avocate de l'intimée soutiendrait probablement que l'inscrit n'a pas droit à des CTI s'il perd les factures, et ce, parce que les CTI ont été calculés à l'aide de sommaires mensuels, trimestriels ou annuels ne satisfaisant pas aux exigences relatives aux documents. Il me semble que tel ne devrait pas être le résultat. Si l'inscrit peut établir que le montant des CTI demandés est exact, la façon dont ce montant a été calculé ne devrait pas importer, dans la mesure où l'inscrit a obtenu les documents requis à un moment donné avant de produire les déclarations relatives à la TPS.

 

[31]         En l'espèce, l'appelante s'est acquittée de l'obligation qui lui incombait d'établir qu'elle avait en sa possession les documents requis à un moment donné avant de produire ses déclarations relatives à la TPS. Par conséquent, l'appel est accueilli avec dépens, et l'affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, compte tenu du fait que l'appelante a droit aux CTI demandés dans les déclarations relatives à la TPS qu'elle a produites pour les périodes de déclaration qui ont pris fin au cours de la période allant du 1er février 1996 au 30 avril 2003.

 

       Signé à Winnipeg (Manitoba), ce 18e jour de novembre 2009.

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de février 2010.

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


RÉFÉRENCE :                                  2009CCI591

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2008­2819(GST)I

 

INTITULÉ :                                       FORESTECH INDUSTRIES LTD.

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 3 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 18 novembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l'appelante :

M. David Bennington

Avocate de l’intimée :

Me Holly Popenia

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] Paragraphe 1100(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu et alinéa 20(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

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