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Dossier : 2005-2621(IT)I

 

ENTRE :

 

126632 CANADA LTÉE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

__________________________________________________________________

Appel entendu le 30 août 2007, à Sherbrooke (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Avocate de l'appelante :

Me Michèle Gérin

 

Avocat de l'intimée :

Me Simon-Nicolas Crépin

__________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1998 est accueilli, sans frais, et les cotisations sont annulées, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de mars 2008.

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


 

 

 

Référence : 2008CCI132

Date : 20080314

Dossier : 2005-2621(IT)I

ENTRE :

 

126632 CANADA LTÉE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Tardif

 

 

[1]     Il s'agit d'un appel relatif aux années d'imposition 1995, 1996 et 1998. Pour ce qui est de l'année d'imposition 1997, elle n'est pas visée par l'appel étant donné que cette année‑là n'a fait l'objet d'aucune cotisation. Par conséquent, la Cour n'a pas compétence à l’égard de l’année d’imposition 1997.

 

[2]     Les questions en litige sont les suivantes :

 

a)         déterminer si l'avis d'appel modifié de l'appelante, à l'encontre d'une nouvelle notification portant qu'aucun impôt n'était payable, datée du 15 mai 2003, à l'égard de l'année d'imposition 1997, est recevable;

 

b)         déterminer, le cas échéant, si la somme de 9 429 $ fut correctement ajoutée dans le calcul du revenu de l'appelante à l'égard de l'année d'imposition 1997, à titre de revenus additionnels;

 

c)         déterminer si les sommes de 5 547 $, de 7 591 $ et de 13 245 $ furent correctement et respectivement ajoutées, dans le calcul du revenu de l'appelante, à l'égard des années d'imposition 1995, 1996 et 1998, à titre de revenus additionnels.

 

[3]     L'intimée a établi la cotisation dont il est fait appel à partir des hypothèses de fait suivantes :

 

a)         la société « 126632 Canada ltée », sous la raison sociale de « Le Café Fine Gueule » pendant la période en litige, exploitait un petit restaurant et offrait les services de traiteur;

 

b)         l’exercice financier de la société « 126632 Canada ltée », se terminait le 28 février de chaque année d’imposition;

 

c)         les actions ordinaires de la société « 126632 Canada ltée », pendant la période en litige, étaient détenues entièrement par madame Nicole Blanchette;

 

d)         madame Nicole Blanchette, au sein de la société « 126632 Canada ltée », pendant la période en litige, occupait les postes d’administrateur, de présidente et d’employée;

 

e)         le ministre, suivant le « Mémoire sur opposition » préparé par Revenu Québec, a fait sien l’entente signée le 7 janvier 2003 par madame Nicole Blanchette, représentante de la société « 126632 Canada ltée » et monsieur Rémi Boulay de Revenu Québec, à l’égard des années d’imposition 1995, 1996, 1997 et 1998;

 

f)          le ministre, suite à l’entente signée le 7 janvier 2003 par madame Nicole Blanchette, représentante de la société « 126632 Canada ltée » et monsieur Rémi Boulay de Revenu Québec, a redressé les déclarations de revenus de la société « 126632 Canada ltée » de la façon suivante :

 

 

1995

1996

1997

1998

i) revenus additionnels

5 547 $

7 591 $

9 429 $

13 245 $

 

g)         les redressements, à l’égard des années d’imposition 1995, 1996 et 1997, furent rendus possible par la production, dans les délais impartis, de la formule T2029 « Renonciation à l’application de la période normale de nouvelle cotisation » pour chacune des dites années, toutes signées par madame Nicole Blanchette, le 18 février 2000, pour le compte de la société « 126632 Canada ltée » ;

 

h)         une formule T2029 « Renonciation à l’application de la période normale de nouvelle cotisation » fut également produite pour l’année d’imposition 1998 ;

 

i)          les redressements furent calculés de la façon suivante pour chacune des années d’imposition :

 

 

 

1995

1996

1997

1998

i)

Ventes selon factures disponibles

7 401 $

11 635 $

9 478 $

8 735 $

ii)

Nombre de factures

467

1 077

816

709

iii)

ventes moyenne

15,85 $

10,80 $

11,62 $

12,32 $

iv)

Nombre de factures manquantes selon suite numérique

638

1 365

1 402

1 831

v)

Ventes additionnelles estimées iii) x iv)

10 085 $

14 322 $

16 866 $

22 074 $

vi)

Dépenses additionnelles accordées

4 538 $

6 731 $

7 437 $

8 829 $

vii)

Revenus additionnels v)-vi)

5 547 $

7 591 $

9 429 $

13 245 $

 

j)          les dépenses additionnelles proviennent de l’augmentation des coûts des marchandises vendues attribuable aux revenus additionnels de façon à maintenir les marges bénéficiaires avant l’ajout desdits revenus additionnels.

 

[4]     Dans un premier temps, l'appelante a fait l'objet de cotisations établies par Revenu Québec. À la suite du règlement intervenu, les informations furent transmises à l'Agence de Revenu Canada (l'« Agence ») qui a établi les nouvelles cotisations qui font objets du présent appel.

 

[5]     Dans un premier temps, Revenu Québec avait établi les cotisations à plus ou moins 200 000 $. L'appelante a, dès lors, signifié son avis d'opposition. Elle a également pris des arrangements pour faire des paiements périodiques anticipés.

 

[6]     Le dossier a alors suivi un parcours sinueux et les délais pour le traitement de l'opposition ont été très longs, et ce, malgré les diverses initiatives de l'appelante pour faire avancer le dossier.

 

[7]     La cotisation qui fait l'objet du présent appel a été établie essentiellement sur la base du règlement intervenu avec Revenu Québec.

 

[8]     Madame Blanchette, actionnaire de l'appelante, a témoigné. Elle a décrit la seule activité économique de l'entreprise, soit l’exploitation d’un restaurant.

 

[9]     Elle a reconnu que la comptabilité n'était pas un modèle. Elle a cependant affirmé avoir fourni tous les documents disponibles.

 

[10]    À titre d’actionnaire de l'appelante, madame Blanchette a expliqué avoir toujours été déterminée à tout mettre en œuvre pour maintenir en exploitation le restaurant dans lequel elle s'est investie totalement, et ce, tout en admettant avoir quelque peu négligé de mettre en place une comptabilité quotidienne impeccable.

 

[11]    Elle a fait état des nombreuses difficultés auxquelles elle avait été confrontée. Pour réussir à maintenir le restaurant en exploitation, madame Blanchette a expliqué qu'elle avait dû se départir de biens personnels, dont notamment sa voiture, lancer divers services et même travailler à l'extérieur.

 

[12]    Elle a aussi fait l'acquisition des actions de l’autre actionnaire moins déterminé et optimiste quant aux chances de survie de l'entreprise; elle a modifié les heures d'ouverture et de fermeture du restaurant pour réduire les dépenses; elle avait aussi lancé certains nouveaux services, telle la préparation de repas pour être livrés et consommés à l'extérieur.

 

[13]    Pour remettre à flot l'entreprise, elle accepte de prendre la charge d'une cantine sur un site très achalandé, plus propice et surtout plus rentable que le restaurant de l’appelante, espérant du même coup y gagner des sous.

 

[14]    Madame Blanchette a décrit les faits entourant l'établissement de la cotisation dont il est fait appel. Dans un premier temps, elle a indiqué que l’entreprise avait fait l'objet d'une vérification effectuée quelques mois auparavant par l'Agence, à la suite de quoi l'appelante avait fait l'objet d'une cotisation pour un montant plutôt minime.

 

[15]    Elle a expliqué que cette vérification s'était déroulée dans un climat de respect mutuel et de collaboration; lors de cette vérification, elle avait fourni tous les documents disponibles, et elle a affirmé qu’elle n’avait souvenir d’aucun anicroche ou grief particulier.

 

[16]    Lors de la vérification ayant conduit à la cotisation établie par Revenu Québec dont le règlement a servi de fondement à la cotisation qui est l’objet du présent appel, le tout s'est déroulé d'une toute autre manière.

 

[17]    Madame Blanchette a affirmé que la vérification s'était déroulée dans un climat de tension et que les relations avaient été très ardues et difficiles.

 

[18]    Blâmant madame Blanchette pour la piètre qualité de la comptabilité et la critiquant pour l'absence de cohérence dans le suivi de la facturation, la vérificatrice de Revenu Québec aurait établi une cotisation selon son appréciation et son bon vouloir, et ce, d'une manière arbitraire.

 

[19]    La vérificatrice a mis à exécution ses menaces et a établi une cotisation, sans explications, en tenant pour acquis que les factures prétendument manquantes représentaient des ventes non déclarées pour des repas dont elle avait établie la valeur moyenne à 40 $.

 

[20]    Cette conclusion faisait fi des explications données par madame Blanchette quant à ces factures « manquantes ». Selon cette dernière, les serveuses utilisaient à l’époque les mêmes calepins numérotés pour faire les factures que pour prendre les commandes. Les numéros sur les factures ne se suivaient donc pas nécessairement, ce qui, selon elle, pouvait expliquer l'absence de certaines factures et pouvait amener la vérificatrice à conclure qu’un plus grand nombre de repas avaient été vendus qu’en réalité.

 

[21]    La valeur moyenne des repas a été établie arbitrairement à partir des perceptions personnelles de la vérificatrice, selon le style et l’ambiance du restaurant. Les faits disponibles au moment de la vérification, telles les factures réelles établissant plutôt un prix moyen des repas à 10 $, ont été écartés du revers de la main.

 

[22]    L'évaluation arbitraire et manifestement exagérée s'est traduite par une cotisation de l'ordre de 200 000 $. Estomaquée par la réclamation, madame Blanchette a affirmé avoir communiqué avec le vérificateur de l'Agence qui avait fait une vérification dans les mois précédents pour lui expliquer la situation, ainsi que, et surtout pour, recevoir des conseils. Il s’agit-là d’une démarche pour le moins inhabituelle, mais combien révélatrice quant au contexte de la vérification effectuée par Revenu Québec.

 

[23]    Étant donné que la cotisation établie par Revenu Québec signifiait la fermeture définitive du restaurant, madame Blanchette voulait à tout prix éviter que cela ne se produise.

[24]    Son objectif ultime étant de maintenir le restaurant à flot, madame Blanchette s'est concentrée sur le dossier fiscal de manière à trouver une solution pour permettre au restaurant de survivre.

 

[25]    Madame Blanchette a expliqué qu'elle voulait en arriver à un règlement. Pour y arriver, elle avait accumulé un certain montant dont la majeure partie provenait d'activités exercées principalement à l'extérieur de la place d'affaires, soit notamment l'exploitation de la cantine. Elle a évidemment contesté le bien‑fondé de la cotisation. Le dossier a traîné pendant des mois.

 

[26]    Elle a pris un arrangement en fonction de sa capacité de payer et fait des économies dans le but de régler éventuellement le dossier. Le moment venu, elle et son avocate se sont rendues au bureau de Revenu Québec où elles ont rencontré monsieur Rémi Boulay et son superviseur pour discuter et négocier; ils en sont finalement arrivés à un règlement signé en début d'après‑midi la même journée.

 

[27]    Monsieur Rémi Boulay, présent au moment du règlement, a aussi témoigné. Il a reconnu que le cheminement du dossier avait manifestement connu un parcours inhabituel; il a indiqué ne pas être en mesure de comprendre ou d’expliquer certaines particularités, notamment au niveau des retards et de l'écart substantiel entre la première cotisation et le montant du règlement.

 

[28]    Monsieur Boulay a affirmé que des éléments comme la sympathie, la compassion, la précarité de la situation financière d’un contribuable, sa capacité de payer, la possibilité de le ruiner ou d'entraîner sa faillite sont autant des facteurs qui n'ont pas d'incidence ou d’influence sur la révision d'un dossier.

 

[29]    Selon le vérificateur, seuls les éléments pertinents jugés valables sont pris en considération lors de la révision d'un dossier à l’étape de l'opposition ou lors de discussions et de négociations en vue d'en arriver à un règlement.

 

[30]    En d'autres termes, la révision qui a conduit au règlement est le fruit de la prise en considération des seuls éléments et faits pertinents considérés pertinents, rien de plus, rien de moins.

 

[31]    De cette affirmation, qui correspond d'ailleurs à la lettre aux dispositions de la Loi, il faut conclure que la cotisation initiale de l'ordre de 200 000 $ était grossièrement exagérée, totalement arbitraire et tout à fait démesurée, eu égard à la différence entre la cotisation initiale et celle qui a fait l'objet d'un règlement.

 

[32]    Le dossier a fait l'objet d'un règlement à la suite d'une longue rencontre avec monsieur Rémi Boulay et son superviseur.

 

[33]    J'ai d'ailleurs constaté que monsieur Boulay était une personne raisonnable, calme et réfléchie, tout à fait compétente pour discuter ou négocier d'une manière professionnelle.

 

[34]    Le fait que le règlement intervenu ait occulté tous les arguments relatifs aux conséquences financières de la cotisation confirme d’une manière assez convaincante que le travail d’analyse réalisé à l'étape de la vérification sur le terrain a été bâclé et que les conclusions à l’origine de la cotisation initiale ont été grossièrement exagérées, ce qui est totalement inacceptable.

 

[35]    Le montant du règlement correspondait à peine à plus de 10 % du montant de la cotisation première. Je rappelle encore une fois que monsieur Boulay a clairement indiqué que seuls les faits pertinents doivent être pris en compte lors de l'établissement d'une cotisation.

 

[36]    Lors du règlement, il aurait été question des intérêts, l'appelante faisant alors valoir que le temps qui s’était écoulé entre la cotisation et la rencontre ne lui était pas imputable et qu'il s'agissait d'un motif pertinent pour justifier la renonciation aux intérêts courus de la part de Revenu Québec. Cet argument a été rejeté par Revenu Québec et l’appelante a dû assumer les intérêts.

 

[37]    Certes, en cette matière, le fardeau de la preuve est en principe la responsabilité du contribuable qui initie l'appel; cela ne veut cependant pas dire que les personnes à qui incombe la responsabilité de procéder à une vérification ont la faculté de faire n’importe quoi n’importe comment sur la base que le contribuable n’aura qu’à faire la preuve du bien‑fondé de ses prétentions s'il n'est pas d'accord avec une première cotisation.

 

[38]    Le travail de vérification est un exercice qui doit être fait d'une manière sérieuse et professionnelle dans le respect des droits du contribuable et à partir du respect des règles de l’art. L'exagération et l'arbitraire abusifs n'ont pas de place en cette matière.

 

[39]    Il est inacceptable d'établir une cotisation à partir d’une quelconque frustration ou de réactions mesquines et injustifiées. Si un vérificateur n'est pas en mesure d'effectuer son travail d'une manière acceptable, il n'appartient pas aux contribuables d'en assumer les conséquences.

 

[40]    Quelle conclusion peut-on tirer à partir du règlement, où ne furent pris en compte que les éléments jugés pertinents par le ministre, en l'occurrence représenté par monsieur Boulay, qui a abouti sur un montant correspondant à seulement 10 % de la première cotisation? N'est-ce pas là l'éloquente démonstration que les fondements de la première cotisation ont été grossièrement exagérés au point où il n'est pas déraisonnable de qualifier le travail de vérification de bâclé, voire même d’irresponsable?

 

[41]    Une telle situation constitue-t-elle une excuse raisonnable pour se libérer de ses responsabilités pourtant fondamentales quant à la mise en place d’un système comptable adéquat en ce qui concerne la tenue de données et de documents pour les appuyer?

 

[42]    L’appelante a‑t‑elle été prudente, vigilante et responsable dans le cadre de son obligation de tenir une comptabilité adéquate permettant d'obtenir des résultats fiables lors d'une vérification suivant les règles de l'art? La réponse est évidemment négative.

 

[43]    En l’espèce, toutefois, il m’apparaît évident que le dossier de l’appelante a fait l’objet d’une vérification bâclée menant à des conclusions sans fondements valables.

 

[44]    Les fondements utilisés pour justifier la première cotisation étaient de toute évidence grossièrement exagérés, au point où il faut conclure qu’ils étaient tout simplement déraisonnables.

 

[45]    D'ailleurs, cela ressort assez clairement du témoignage du vérificateur chargé du dossier à l’étape de l'opposition et des propos du procureur de l'intimée. Il y a lieu de reproduire un extrait de l'argumentation :

 

Plaidoirie de Me Simon-Nicolas Crépin (pages 79, 80, 81) :

 

            On nous parle de vouloir sauver l'entreprise de madame Blanchette. Monsieur Boulay vous l'a dit, l'aspect faillite d'une corporation, ça n'a absolument rien à voir avec l'aspect cotisation.

 

[...]

 

            C'est la constatation qu'a fait madame Blais de Revenu Québec, et je suis d'accord avec maître Gérin à ce sujet-là et je suis surtout d'accord avec les parties, les cotisations étaient exagérées. Je pense que l'entente A-10 reflète plutôt la réalité.

[...]

 

            Vous avez définitivement à trancher quelle est la version la plus crédible. Est-ce que c'est une entente qui intervient entre un contribuable et une instance fiscale? Madame Blanchette vous dit : c'était ça ou je faisais faillite. Vous avez monsieur Boulay qui témoigne à l'effet que, moi la faillite, c'est pas mon domaine. Je ne règle pas un dossier sur la capacité de payer de quelqu'un. Je règle le dossier en fonction des données qui sont disponibles. S'il y a un problème de faillite par la suite, ça c'est la section du recouvrement qui s'en occupe.

[Je souligne.]

 

 

[46]    Tenant pour acquis que le règlement intervenu avec Revenu Québec constitue un fondement suffisant et satisfaisant pour justifier la cotisation dont il est fait appel, le procureur de l'intimée affirme (à la page 79) « Ce serait Monsieur le Juge, exceptionnel tant qu'à moi qu'un contribuable accepte de s'entendre avec une instance fiscale, que ce soit Revenu Québec ou l'Agence de revenu du Canada pour payer plus d'impôt qu'elle en doit vraiment ». C'est là une affirmation pleine de sens et surtout très raisonnable.

 

[47]    Par contre, après avoir fait l'objet d'une cotisation, dont le montant était d’environ 200 000 $, n'était-il pas tout aussi raisonnable de régler pour un montant qui représentait environ 10 % de cette somme, compte tenu qu'il y a bel et bien eu certains petits manquements aux règles relatives à une comptabilité acceptable?

 

[48]    D'autre part, les circonstances et le contexte fort particuliers de ce dossier justifiaient également qu'une personne raisonnable veuille mettre un terme à cette saga fiscale.

 

[49]    Madame Blanchette avait tout investi pour relever le défi de garder l'entreprise à flot, et cela, malgré le fait de devoir faire face à une première cotisation dont le montant était astronomique.

 

[50]    Après cette épreuve, une personne raisonnable aurait accepté le règlement intervenu eu égard au pouvoir énorme des vérificateurs fiscaux.

 

[51]    D'entrée de jeu, madame Blanchette était tout à fait consciente que sa tenue de livres présentait des lacunes et qu'un certain nombre de documents étaient manquants, ce qui l’amenait à ressentir une certaine culpabilité, autre élément qui l’incitait à accepter le règlement proposé par Revenu Québec.

 

[52]    Elle a collaboré, elle a fait un suivi et elle a pris des initiatives pour régler le dossier ce qui a quand même pris des mois avant d’en arriver à un règlement dont la conclusion lui est attribuable.

 

[53]    Le règlement a été accepté pour en finir avec la menace que posait, comme une épée de Damoclès, la cotisation sur la survie de l’entreprise. Pourquoi l'appelante a-t-elle présenté son dossier devant la Cour après avoir réglé avec Revenu Québec?

 

[54]    Madame Blanchette disposait à un certain moment d'un montant qu'elle croyait suffisant pour régler ses obligations devant les deux instances fiscales. Étant donné qu’il lui restait de l’argent après le premier règlement, elle avait bon espoir de pouvoir en arriver à une entente avec l’Agence de revenu du Canada.

 

[55]    D'ailleurs, ce scénario se serait sans doute produit n'eût été des intérêts qui sont venus s'ajouter au principal de la cotisation et dont il a été fait mention lors du règlement.

 

[56]    Il a été fait mention que les intérêts ne seraient pas ajoutés. D'une part, Revenu Québec avait le pouvoir d’y renoncer et, d'autre part, les faits et circonstances révélés par la preuve sont tels qu'il se peut fort bien qu’il ait été mentionné que les intérêts puissent être annulés, ce qui dans les faits ne s'est pas produit.

 

[57]    Tel qu'indiqué précédemment, en matière fiscale, le fardeau de la preuve incombe à la personne qui initie l'appel. En l'espèce, ce fardeau incombait à l'appelante.

 

[58]    Compte tenu des faits révélés par la preuve, je ne crois pas que le règlement intervenu constitue une preuve acceptable pour justifier le bien‑fondé de la cotisation dont l'appelante fait appel, d'autant plus que ce règlement est intervenu manifestement dans le seul but de fermer un dossier très préoccupant.

 

[59]    L’Agence pouvait-elle se fonder sur les calculs effectués par Revenu Québec pour établir ces cotisations? Le procureur de l’intimée a d’ailleurs admis (voir page 6 des notes sténographiques) que l’Agence n’a pas vérifié les montants fournis par Revenu Québec et n’a fait que reprendre les mêmes chiffres.

 

[60]    Je me permets de citer les propos tenus par madame le juge L’Heureux‑Dubé dans Hickman Motors Ltd. v. R., 1997 CarswellNAT 3047, [1998] 1 C.T.C. 213, 148 D.L.R. (4th) 1, 97 D.T.C. 5363, 131 F.T.R. 317 (note), 213 N.R. 81, [1997] 2 S.C.R. 336 concernant le fardeau de la preuve :

 

 

92  Il est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités: Dobieco c. Minister of National Revenue, [1966] R.C.S. 95, et que, à l'intérieur de cette norme, différents degrés de preuve peuvent être exigés, selon le sujet en cause, pour que soit acquittée la charge de la preuve: Continental Insurance c. Dalton Cartage, [1982] 1 R.C.S. 164; Pallan c. Ministre du Revenu national, 90 D.T.C. 1102 (C.C.I.), à la p. 1106. En établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions: (Bayridge Estates c. Minister of National Revenue, 59 D.T.C. 1098 (C. éch.), à la p. 1101), et la charge initiale de « démolir » les présomptions formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable (Johnston c. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486; Kennedy c. Ministre du Revenu national, 73 D.T.C. 5359 (C.A.F.), à la p. 5361). Le fardeau initial consiste seulement à « démolir » les présomptions exactes qu'a utilisées le ministre, mais rien de plus : First Fund Genesis c. La Reine, 90 D.T.C. 6337 (C.F. 1re inst.), à la p. 6340.

 

93  L'appelant s'acquitte de cette charge initiale de « démolir » l'exactitude des présomptions du ministre lorsqu'il présente au moins une preuve prima facie : Kamin c. Ministre du Revenu national, 93 D.T.C. 62 (C.C.I.); Goodwyn c. Ministre du Revenu national, 82 D.T.C. 1679 (C.R.I.). [. . .] Il est établi en droit qu'une preuve non contestée ni contredite « démolit » les présomptions du ministre: voir par exemple MacIsaac c. Ministre du Revenu national, 74 D.T.C. 6380 (C.A.F.), à la p. 6381; Zink c. Ministre du Revenu national, 87 D.T.C. 652 (C.C.I.). Comme je l'ai déjà dit, aucune partie de la preuve produite par l'appelante en l'espèce n'a été contestée ni contredite. [. . .]

 

94  Lorsque l'appelant a « démoli » les présomptions du ministre, le « fardeau de la preuve [. . .] passe [. . .] au ministre qui doit réfuter la preuve prima facie » faite par l'appelant et prouver les présomptions : Maglib Development Corp. c. La Reine, 87 D.T.C. 5012 (C.F. 1re inst.), à la p. 5018. Ainsi, dans la présente affaire, la charge est passée au ministre, qui doit prouver ses présomptions suivant lesquelles il existe « deux entreprises » et il n'y a « aucun revenu ».

 

95  Lorsque le fardeau est passé au ministre et que celui-ci ne produit absolument aucune preuve, le contribuable est fondé à obtenir gain de cause : voir par exemple MacIsaac, précité, où la Cour d'appel fédérale a infirmé le jugement de la Division de première instance (aux pp. 6381 et 6382) pour le motif que le « témoignage n'a été ni contesté ni contredit, et aucune objection ne lui a été opposée ». Voir aussi Waxstein c. Ministre du Revenu national, 80 D.T.C. 1348 (C.R.I.); Roselawn Investments Ltd. c. Ministre du Revenu national, 80 D.T.C. 1271 (C.R.I.). Se reporter également à Zink c. Ministre du Revenu national, précité, à la p. 653, où, même si la preuve « échappait à la logique et présentait de graves lacunes de fond et de chronologie », l'appel du contribuable a été accueilli parce que le ministre n'a présenté aucune preuve quant à la source de revenu. [. . .]

 

 

[61]    Il appartient à l’appelante de démontrer que les présomptions du ministre ne tiennent pas; une fois cela établi, le ministre ne peut pas se fier simplement sur le résultat d'une vérification inacceptable pour établir ses cotisations.

 

[62]    L’appelante avait en sa possession certains éléments pour étayer ses prétentions.

[63]    Ainsi, étant donné le contexte dans lequel il a été conclu, le règlement intervenu entre l’appelante et Revenu Québec n’a aucune pertinence en l’espèce. Pour soutenir cette conclusion, je me permets de reprendre les propos de la juge Lamarre Proux dans l’affaire Abderrahman c. R., 2000 CarswellNAT 1976, 2000 D.T.C. 2565 (Fr.), [2002] 1 C.T.C. 2429, 2000 CarswellNat 3611, au paragraphe 47, à l’effet que :

 

[. . .]  le document aurait pu être pertinent si les montants accordés l'avaient été pour des raisons relatives aux faits ou à la Loi expliquées dans l'offre ou autre document annexé. Les montants accordés l'ont été pour la seule fin de régler le litige et c'est aussi dans un but de régler le litige qu'ils étaient proposés au contribuable. Cette offre n'est donc d'aucune utilité au débat et en ce sens elle n'est pas pertinente.

 

[64]    Malgré tout ce qui précède, je disposerai toutefois du dossier à partir d'un raisonnement beaucoup plus simple.

 

[65]    Le procureur de l'intimée a indiqué dans ses observations ce qui suit :

 

            Plaidoirie de Me Simon-Nicolas Crépin (pages 78, 79, 81, 82) :

 

On s'entend là-dessus, Maître Gérin, c'est une question de crédibilité, Monsieur le Juge. Vous avez deux versions contradictoires de madame Blanchette devant vous.

 

[. . .]

 

Vous avez définitivement à trancher quelle est la version la plus crédible. Est-ce que c'est une entente qui intervient entre un contribuable et une instance fiscale? Madame Blanchette vous dit : c'était ça ou je faisais faillite.

 

[. . .]

 

Maintenant, c'est vraiment une question de crédibilité, Monsieur le Juge. Vous devez, compte tenu des circonstances, décider. Est-ce que l'entente A-10 et la comptabilité déficiente de la compagnie appelante pèsent plus que le témoignage que vous avez entendu devant vous aujourd'hui à savoir que, non ce n'était pas une comptabilité déficiente. C'était une façon de fonctionner et les factures manquantes, ce ne sont pas des véritables factures, et l'entente A-10, c'était, je pensais, pour tout régler pour éviter la faillite et pour éventuellement pouvoir continuer l'entreprise. Et je n'avais pas du tout pensé que je devrais de l'impôt à l'Agence en signant ce formulaire-là. Pour cette raison-là [. . .]

 

[66]    Or, il n'y a strictement rien dans la preuve qui me permet de croire que madame Blanchette n’était pas digne de foi. Bien au contraire, je crois qu'elle a témoigné d'une manière franche, honnête et sincère.

 

[67]    Elle a répondu d'une façon précise et directe aux questions qui lui ont été adressées. Conséquemment, je fais droit à l'appel et j'annule la cotisation dont il est fait appel.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de mars 2008.

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 


 

 

RÉFÉRENCE :                                  2008CCI132

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2005-2621(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              126632 CANADA LTÉE

                                                          et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Sherbrooke (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 30 août 2007

 

MOTIFS DES JUGEMENTS PAR :   L'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 14 mars 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l'appelante :

Me Michèle Gérin

 

Avocat de l'intimée :

Me Simon-Nicolas Crépin

 

AVOCATE INSCRITE AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante :

 

                   Nom :                             Me Michèle Gérin

                   Étude :                            Avocate

                   Ville :                              Coaticook (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Ontario

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