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Dossier : 2003-1104(EI)

ENTRE :

DANIEL FORTIER,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 31 juillet 2003 à Québec (Québec)

 

Devant : L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

 

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 18e jour de novembre 2003.

 

 

 

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


 

 

 

Référence : 2003CCI763

Date : 20031118

Dossier : 2003-1104(EI)

ENTRE :

DANIEL FORTIER,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Savoie

 

[1]     Cet appel a été entendu à Québec (Québec), le 31 juillet 2003.

 

[2]     Il s'agit d'un appel portant sur l'assurabilité de l'emploi de l'appelant Daniel Fortier lorsqu'au service de Service Ménager Victor Inc., le payeur, pour la période en litige, soit du 5 octobre 1998 au 25 avril 2001, au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi »).

 

[3]     Le 17 décembre 2002 le ministre du Revenu national (le « Ministre ») a informé l'appelant de sa décision selon laquelle cet emploi, pour la période en litige, n'était pas assurable parce qu'il ne rencontrait pas les exigences d'un contrat de louage de services et qu'il n'existait pas de relation employeur‑employé entre lui et le payeur.

 

[4]     En rendant sa décision, le Ministre s'est fondé sur les présomptions de fait suivantes lesquelles ont été admises, niées ou ignorées par l'appelant :

 

a)         le payeur a été constitué en société le 11 avril 1995; (admis)

 

b)         le payeur exploitait une entreprise d'entretien ménager d'immeubles publics; (admis)

 

c)         l'actionnaire unique du payeur était Dyane Maltais; (admis)

 

d)         le 22 octobre 2002, Yves de Varennes, époux de Dyane Maltais, déclarait à un représentant de l'intimé que c'est lui seul qui prenait toutes décisions du payeur et qui contrôlait et dirigeait les opérations de l'entreprise; (ignoré)

 

e)         le payeur embauchait de 20 à 40 employés; (admis avec précisions)

 

f)          l'appelant avait une formation de technicien en administration; (admis)

 

g)         l'appelant avait été embauché comme contrôleur par le payeur; (admis)

 

h)         les tâches de l'appelant étaient de s'occuper de la comptabilité, de faire la tenue des livres comptables informatisée, les conciliations bancaires, les rapports gouvernementaux et la préparation des paies; (admis)

 

i)          l'appelant travaillait toujours au bureau du payeur; (admis)

 

j)          l'appelant préparait lui-même son horaire de travail; (admis)

 

k)         l'appelant n'était pas tenu de travailler un nombre d'heures précis par semaine pour le payeur; (nié tel que rédigé)

 

l)          les heures de travail de l'appelant n'étaient pas enregistrées par le payeur; (admis)

 

m)        l'appelant ne bénéficiait pas de l'assurance-groupe des employés du payeur; (admis)

 

n)         en 1998, l'appelant a subi un arrêt de travail, suite à une blessure, il n'a reçu aucune rémunération du payeur pendant trois semaines; (nié)

 

o)         l'appelant travaillait de 10 à 15 heures par semaine pour le payeur; (nié tel que rédigé)

 

p)         l'appelant pouvait quitter lorsqu'il avait terminé son travail; (admis)

 

q)         pendant toute la période en litige, le salaire de l'appelant était de 12 $ l'heure; (nié tel que rédigé)

 

r)          le 22 octobre 2002, Yves de Varennes déclarait à un représentant de l'intimé que l'appelant travaillait deux à trois jours par semaine et ne faisait pas de journée complète; (ignoré)

 

s)         le 22 octobre 2002, Yves de Varennes déclarait à un représentant de l'intimé qu'il ignorait les heures réellement travaillées par l'appelant; (ignoré)

 

t)          le 26 avril 2001, le payeur a déclaré faillite; (admis)

 

u)         le 23 avril 2001, le payeur émettait un relevé d'emploi à l'appelant qui indiquait comme premier jour de travail le 5 octobre 1998 et comme dernier jour de travail le 25 avril 2001, comme nombre d'heures assurables 1 320 heures et comme rémunération assurable totale 13 440,00 $; (admis)

 

v)         le 4 mai 2001, l'appelant, dans sa demande de prestations d'assurance-emploi auprès de Développement des ressources humaines Canada, déclarait travailler 40 heures par semaine et recevoir une rémunération de 960 $ par quinzaine alors qu'il travaillait que 10 à 15 heures par semaine à 12 $ l'heure; (nié tel que rédigé)

 

w)        le payeur et l'appelant ne pouvaient pas fournir de preuve de paiement de la rémunération de l'appelant au représentant de l'intimé; (nié)

 

x)         le relevé d'emploi de l'appelant n'est pas conforme aux heures travaillées et à la rémunération de l'appelant; (nié)

 

y)         le payeur et l'appelant ont conclu un arrangement afin de qualifier l'appelant à recevoir des prestations d'assurance-emploi plus élevées. (nié)

 

[5]     Dans son témoignage, l'appelant a soutenu que lors de son arrêt de travail en 1998, suite à une blessure, il a été rémunéré de la même façon par le payeur qui avait reçu une subvention de soutien à l'emploi.

 

[6]     Il a ajouté qu'il travaillait 40 heures par semaine au cours des premiers six mois de son emploi pour ensuite oeuvrer de 12 à 15 heures par semaine durant un an ou un an et demi et, par la suite, pour les sept à huit derniers mois il travaillait plus d'heures, à temps plein, soit 40 heures par semaine.

 

[7]     La preuve apportée par l'appelant n'a pas réussi à démontrer la fausseté de la présomption du Ministre énoncée à l'alinéa w) ci-haut.

 

[8]     À l'audition, l'appelant, dans son témoignage, a déclaré qu'il avait remis les documents établissant la rémunération reçue du payeur au syndic et que ceux‑ci avaient été perdus. Cette déclaration est à l'encontre de celle qu'il a faite à l'agent des appels, à savoir qu'il avait perdu ces documents lors de ses déménagements.

 

[9]     Dans son témoignage, l'appelant a soutenu que son travail était supervisé mais il travaillait seul la plupart du temps. Yves de Varennes se rendait sur les lieux occasionnellement mais ne donnait aucune directive à l'appelant; ce qui l'intéressait, c'était le résultat. Par ailleurs, il a été démontré que l'appelant décidait lui-même de son horaire, de l'organisation de son temps et de son travail. Personne ne consignait pas écrit ses heures de travail. La preuve a révélé que l'appelant n'avait aucun horaire fixe; il jugeait lui-même de ses journées de travail; il se rendait sur les lieux de son travail parfois cinq jours, parfois quatre et parfois trois jours par semaine, selon son bon gré. Lors de son embauche, l'appelant n'a reçu aucune formation et, dans l'exécution de ses tâches, n'a reçu aucune instruction sur les méthodes à utiliser.

 

[10]    Le Ministre a reconnu que dans l'exécution de son travail, l'appelant utilisait les outils et l'équipement du payeur. Le Ministre a admis, par ailleurs, que l'appelant n'encourait aucun risque de perte et n'avait aucune chance de profit puisqu'il recevait un salaire fixe. En outre, il a été établi que le travail de l'appelant était intégré à l'entreprise du payeur, mais l'appelant ne bénéficiait d'aucune couverture d'assurance-groupe ou de fonds de pension, contrairement aux autres employés. Il faut ajouter que l'appelant n'était pas couvert par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST).

 

[11]    L'enquête du Ministre a recueilli des éléments de preuve contradictoires quant à la rétribution de l'appelant; la source de ces informations sont le relevé d'emploi de l'appelant daté du 23 avril 2001 (pièce I-1), sa demande de prestations d'assurance-emploi du 4 mai 2001 (pièce I-2) et les renseignements donnés par l'appelant et par Yves de Varennes, lesquels sont énoncés au rapport sur un appel (pièce I-3).

 

[12]    Par ailleurs, le Ministre n'a pas réussi à obtenir les livres de salaires du payeur ou des preuves de paiement à l'appelant et celui-ci, se plaignant de n'avoir pu toucher ses dernières semaines de salaire n'a fait aucune réclamation auprès du syndic lors de la faillite du payeur.

 

[13]    La preuve fournie par le Ministre a révélé que l'appelant avait attribué une forte hausse de son salaire à un contrat de la Défense nationale cédé d'une société à une autre au temps opportun, mais l'enquête a révélé une faille dans cette explication lorsqu'il s'est avéré que les dates ne supportaient pas les explications de l'appelant; ceci a donc démontré la fausseté des allégations de l'appelant et amené le Ministre à mettre en doute toutes les prétentions de l'appelant. Ainsi, le Ministre a conclu qu'il y avait eu arrangement entre le payeur et l'appelant, deux personnes qui se connaissaient bien depuis longtemps, afin de permettre à l'appelant de bénéficier de prestations d'assurance-emploi plus élevées.

 

[14]    Il a été démontré que l'information fournie aux enquêteurs du Ministre a souvent été contradictoire. Ainsi, selon le relevé d'emploi de l'appelant en date du 23 avril 2001, il aurait reçu, à titre de salaire, 960 $ par quinzaine pour 49 heures de travail. Par contre, dans sa demande de prestations du 4 mai 2001, il a déclaré un salaire de 960 $ par quinzaine mais pour 80 heures de travail.

 

[15]    En outre, il a été révélé que lors d'une conversation avec le représentant du payeur, Yves de Varennes aurait déclaré que l'appelant recevait un salaire de 400 $ ou 500 $ par semaine peu importe le nombre d'heures travaillées. Aucune version n'a été retenue par le Ministre en raison de l'impossibilité de déterminer avec certitude laquelle était véridique puisque le Ministre n'a jamais pu obtenir les livres de salaires du payeur.

 

[16]    Le Ministre a conclu qu'en raison des contradictions dans les déclarations et la preuve documentaire, il était impossible d'attacher de la crédibilité aux déclarations des parties qui n'avaient pour but que de favoriser l'appelant.

 

[17]    Cette Cour dans l'arrêt Laverdière c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.I. no 124, s'est penchée sur une situation semblable à celle sous étude. En rendant son jugement, le juge Tardif écrivait ce qui suit :

 

Par contre, je crois que le travail exécuté par l'appelant durant cette même période en 1992 ne constitue pas pour autant un véritable contrat de louage de services et ce, notamment, pour les raisons suivantes. Tout d'abord, seul un véritable contrat de travail peut rencontrer les exigences pour être qualifié de contrat de louage de services; un véritable contrat de louage de services doit regrouper certaines composantes essentielles dont une prestation de travail; son exécution doit être subordonnée à l'autorité du payeur de la rétribution. La rémunération doit être fonction de la quantité et qualité du travail exécuté.

 

Toute entente ou arrangement prévoyant des modalités de paiement de la rétribution non pas en fonction du temps ou de la période d'exécution du travail rémunéré, mais en fonction de d'autres objectifs tel tirer avantage des dispositions de la Loi, vicie la qualité du contrat de louage de services.

 

[18]    Le juge Tardif, dans un dossier similaire, reprenait à peu près les mêmes propos dans l'arrêt Duplin c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2001] A.C.I. no 136, lorsqu'il écrivait ce qui suit :

 

...Un véritable contrat de louage de services existe lorsqu'une personne fourni une prestation de travail défini dans le temps et généralement décrite à un livre de salaires, en retour de quoi, il reçoit une juste et raisonnable rémunération par le payeur qui en tout temps doit avoir un pouvoir de contrôle sur les faits et gestes de la personne qu'il rémunère. La rémunération doit correspondre à la prestation de travail exécuté pour une période de temps défini.

 

            [...]

 

            Seuls les faits réels doivent être pris en considération pour déterminer s'il a existé ou non un véritable contrat de louage de services. Souvent, les faits ont été falsifiés, maquillés ou même occultés d'où le Tribunal doit s'en remettre à l'ensemble de la preuve offerte disponible. Les seuls faits et éléments pertinents sont ceux relatifs à la prestation de travail, à la rémunération et à la présence ou non d'un lien de subordination.

 

            [...]

 

            Les composantes fondamentales d'un contrat de louage de services sont d'ordre essentiellement économique. Les registres établis, tels livres de salaires, modalités de paye, etc. doivent être réels et correspondre également à la réalité. À titre d'exemple, le livre de salaires doit consigner les heures travaillées correspondant à la paye émise. Un livre des salaires qui consigne des heures non travaillées ou ne consigne pas des heures travaillées pour la période indiquée est une indication sérieuse qu'il y a eu falsification. Il en est ainsi d'une paye qui ne correspond pas aux heures travaillées. Dans un cas comme dans l'autre, cela crée une très forte présomption que les parties ont convenu d'un scénario faux et mensonger dans le but d'en tirer divers avantages dont notamment sur le plan fiscal et assurance-emploi.

 

            Il est possible qu'un arrangement soit plus profitable à l'une des parties qu'à l'autre, mais il s'agit là d'un effet secondaire et non pertinent à la qualification au contrat de louage de services, puisque dès qu'un contrat de travail est façonné par des données fausses, inexactes ou mensongères, il ne répond plus aux conditions essentielles pour être qualifié de contrat de louage de services; ainsi lorsque la preuve est à l'effet que les registres consignant les données essentielles à l'existence d'un véritable contrat de travail sont mensongères et incomplètes, il devient alors essentiel de faire la preuve d'une façon déterminante que les faits réels soutiennent l'existence d'un véritable contrat de louage de services.

 

[19]    Les faits, en l'espèce, ont été analysés selon les critères établis dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, c'est-à-dire le contrôle du travail et du travailleur, la propriété des outils, les chances de profit et risques de perte, et l'intégration du travailleur à l'entreprise du payeur.

 

[20]    Après cette analyse, cette Cour doit conclure que l'emploi de l'appelant, pendant la période en litige, n'était pas assurable parce qu'il ne rencontrait pas les exigences d'un contrat de louage de services selon l'alinéa 5(1)a) de la Loi.

 

[21]    Cette Cour conclut, en outre, qu'il y a eu arrangement entre le payeur et l'appelant de façon à qualifier l'appelant à recevoir des prestations d'assurance‑emploi plus élevées.

 

[22]    En conséquence, l'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 18e jour de novembre 2003.

 

 

 

 

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


 

 

RÉFÉRENCE :

2003CCI763

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-1104(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Daniel Fortier et M.R.N.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 31 juillet 2003

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable S.J. Savoie,

juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :

le 18 novembre 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

 

Pour l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

 

Pour l'appelant :

 

Nom :

 

 

Étude :

 

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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