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Dossier : 2003-1246(IT)I

ENTRE :

GEORGES BÉGIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 18 novembre 2003 à Québec (Québec)

Devant : L'honorable juge P. R. Dussault

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Daniel Cantin

Avocate de l'intimée :

Me Julie David

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JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de l'année d'imposition 2001 est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada ce 10e jour de décembre 2003.

« P. R. Dussault »

Juge Dussault


Référence : 2003CCI915

Date : 20031210

Dossier : 2003-1246(IT)I

ENTRE :

GEORGES BÉGIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Dussault

[1]      Le seul point en litige dans cet appel d'une cotisation établie à l'égard de l'année d'imposition 2001 concerne le refus du ministre du Revenu national ( « Ministre » ) d'accorder à l'appelant une déduction pour pension alimentaire au montant de 7 494 $, soit une somme de 1 249 $ par mois pour la période de janvier à juin 2001. Par ailleurs, un montant de 4 500 $ a été accordé à ce titre, soit une somme de 900 $ par mois pour la période de juillet à décembre 2001.

[2]      Suite à un jugement sur mesures provisoires rendu le 9 juillet 1998, un jugement de divorce entre l'appelant et madame Claire Bérubé a été prononcé le 22 février 1999. Selon les termes de ce jugement, l'appelant a été condamné à verser à madame Bérubé une pension alimentaire mensuelle de 1 107,92 $ pour les deux enfants à charge et également une pension alimentaire de 1 200 $ par mois pour elle-même. L'indexation des pensions au 1er janvier de chaque année selon l'indice annuel des rentes était prévue au jugement (pièce A-2). Selon le même jugement, l'appelant était aussi condamné à payer à madame Bérubé, relativement au patrimoine familial et à titre alimentaire, une somme de 19 182 $ ainsi qu'une somme additionnelle de 5 000 $ à titre de provision pour frais. Ces sommes étaient payables dans les 30 jours du jugement.

[3]      A compter du 1er janvier 2000, l'appelant a cessé de verser les deux pensions alimentaires prévues dans le jugement du 22 février 1999 au motif que les deux enfants ne vivaient plus avec madame Bérubé et qu'il assumait seul tous les frais reliés à leur entretien.

[4]      Le 6 avril 2000, l'appelant a présenté en Cour supérieure une requête en modification des mesures accessoires. Des négociations se sont engagées entre les parties, chacune représentée par avocat, et une convention sur mesures accessoires a été signée par chacune d'elles et leurs avocats le 28 juin et le 3 juillet 2001 respectivement (pièce A-3). La convention a été entérinée par la Cour supérieure le 2 août 2001. Les paragraphes 1, 5, 6, 7, 8, 9 et 13 de la convention sont les plus pertinents au présent litige. Ils se lisent comme suit :

1.      Monsieur ne paiera pas de pension alimentaire à madame pour le bénéfice des enfants majeurs, tant et aussi longtemps que ces derniers ne demeureront pas avec cette dernière;

[...]

5.      À titre de pension alimentaire due à madame par monsieur en date des présentes en capital, intérêts, indexation et ce, rétroactivement à la date du jugement de divorce, monsieur verse à madame la somme de 34 000 $ payable comptant en un seul versement dans les 24 heures du jugement entérinant la présente convention;

6.      À titre de pension alimentaire, monsieur s'engage à verser à madame, à compter du jugement entérinant la présente convention, la somme de 900 $ par mois pour une durée maximale de 24 mois;

7.      La pension alimentaire établie au paragraphe précédent sera détenue au compte en fiducie de Gagné, Letarte qui paiera à madame, chaque mois, la somme de 900 $ pour la durée de 24 mois convenue;

8.      La présente entente concernant les obligations alimentaires de monsieur à l'égard de madame constitue un « clean break » qui met fin pour le futur à toute obligation alimentaire de monsieur à l'endroit de madame;

9.      Sous réserve de l'exécution complète des paragraphes 5 et 6 de la présente convention, les parties se donnent quittance complète et finale et renoncent définitivement pour l'avenir à tout aliment et/ou toute autre réclamation, sous quelque forme que ce soit, découlant du mariage et/ou de son échec, y compris du jugement de divorce;

[...]

13.    Madame donne quittance de toute somme qui pourrait lui être due autres que celles prévues à la présente convention et, en conséquence, elle accepte de donner mainlevée de toutes les saisies qui ont été pratiquées dans la présente instance.

[5]      Dans son Avis d'appel, l'appelant affirme ce qui suit :

          La pension alimentaire de 12 894 $ est entièrement admissible, car elle est basée sur un nouveau jugement daté du 28 juin 2001. De plus, pour 2001 il ni [sic] avait aucun arriéré de paiement de pension alimentaire et les enfants étaient en mon entière responsabilité depuis le premier janvier 2000.

[6]      Le montant de 12 894 $ mentionné et dont l'appelant a réclamé la déduction comme pension alimentaire, résulte de l'addition du montant de 7 494 $ (1 249 $ par mois de janvier à juin 2001) et d'un montant de 5 400 $ (900 $ par mois de juillet à décembre 2001 comprenant un montant de 900 $ déposé en garantie). La déduction du montant de 900 $ donné en garantie et non versé à madame Bérubé en 2001 a été refusée et l'appelant ne conteste pas ce point.

[7]      De plus, je précise que le « nouveau jugement » est daté du 2 août et non du 28 juin 2001 date qui est simplement celle de la signature de la convention par madame Bérubé et son avocat.

[8]      Quant à l'affirmation selon laquelle « [...] pour 2001 il ni [sic] avait aucun arriéré de paiement de pension alimentaire [...] » elle est fausse. En effet, selon le relevé de compte du ministère du Revenu du Québec, aux termes de la Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires, les arrérages concernant les deux pensions que l'appelant devait payer aux termes du jugement du 22 février 1999 étaient de 45 171,97 $ au 1er août 2001 (pièce A-4). La preuve établit qu'à compter de janvier 2000 l'appelant a cessé de payer à madame Bérubé tant la pension alimentaire payable pour les enfants que celle qui était payable pour elle-même aux termes du jugement du 22 février 1999.

[9]      En réalité, le montant de 7 494 $ que l'appelant a réclamé comme déduction pour pension alimentaire en 2001 représente une partie de la somme de 34 000 $ versée à madame Bérubé selon la convention entérinée par la Cour supérieure le 2 août 2001. L'appelant caractérise cette partie comme étant six versements (de janvier à juin 2001) de la pension de 1 200 $ par mois (indexée à 1 249 $ par mois), qu'il était tenu de verser à madame Bérubé pour elle-même en vertu du jugement du 22 février 1999.

[10]     Par ailleurs, lors de son témoignage, madame Bérubé a affirmé que le paiement du 34 000 $ prévu à la convention était en règlement complet du dossier entre elle et l'appelant et non seulement au titre de ce que l'appelant lui devait à titre de pension alimentaire. Elle a notamment mentionné une somme de 19 000 $ qui lui était due au titre du patrimoine familial, somme qui lui était payable aux termes du jugement du 22 février 1999, ainsi que d'autres sommes qui lui étaient dues pour des frais d'avocat. Toutefois, selon le relevé du Ministère du Revenu du Québec (pièce A-4), la somme de 19 182 $ payable à titre alimentaire aux termes du jugement du 22 février 1999 aurait été annulée en date du 4 avril 2001. Personne n'a requis ou donné d'explication à cet égard.

[11]     L'avocat de l'appelant soutient que le paiement de la somme de 34 000 $ représente effectivement le paiement d'arrérages de versements dus, que le paiement ne change pas de nature au motif que les versements de pensions n'ont pas été effectués à temps, que l'obligation de l'appelant de verser une pension alimentaire à madame Bérubé n'a pas été éteinte par ce paiement, mais se poursuit dans le futur et que cette obligation a simplement été réduite. Il estime que le montant de 7 494 $ se qualifie donc comme pension alimentaire déductible selon les termes du paragraphe 56.1(4) et de l'alinéa 60b) de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « Loi » ). Au soutien de ses arguments l'avocat de l'appelant se réfère aux décisions dans les affaires Helmer v. M.N.R., 63 DTC 532, La Reine c. Barbara D. Sills, [1985] 2 C.F. 200, Charrier c. M.R.N., [1988] A.C.I. no 735 (Q.L.), Soldera v. M.N.R., 91 DTC 987 et Gibson v. R., 95 DTC 749.

[12]     L'avocate de l'intimée soutient que le paiement de la somme de 34 000 $ ne correspond aucunement aux arrérages de plus de 45 000 $ dus par l'appelant au 1er août 2001, que l'obligation de payer une pension alimentaire pour les enfants a été éteinte et que l'obligation de payer à madame Bérubé une pension alimentaire d'une somme de 1 200 $ par mois indexée a été réduite à une somme de 900 $ par mois non indexée et ce, seulement pour une période de 24 mois. Selon elle, l'obligation de payer les deux pensions selon les termes du jugement du 22 février 1999 a été éteinte.

[13]     L'avocate de l'intimée souligne également le paragraphe 13 de la convention entre les parties par lequel madame Bérubé « donne quittance de toute somme qui pourrait lui être due autres que celles prévues à la [...] convention [...] » .

[14]     Somme toute, l'avocate de l'intimée soutient que le paiement de la somme de 34 000 $ ne peut représenter un montant de pension alimentaire déductible pour l'appelant. Au soutien de ses arguments, l'avocate de l'intimée se réfère aux décisions dans les affaires MacBurnie c. Canada, [1995] A.C.I. no 817 (Q.L.), Widmer v. R., [1996] 1 C.T.C. 2647, LeBreton c. Canada, [2002] A.C.I. no 474 (Q.L.) et Jennings v. R., [2002] 2 C.T.C. 2210.

[15]     En vertu du jugement du 22 février 1999, l'appelant avait l'obligation de payer à madame Bérubé une pension alimentaire de 1 107,92 $ par mois indexée pour les enfants et une pension alimentaire de 1 200,00 $ par mois indexée pour elle-même. Au premier août 2001, les arrérages à l'égard de ces deux pensions s'établissaient à 45 171,97 $. De plus, selon le témoignage de madame Bérubé et comme on peut en inférer du paragraphe 13 de la convention entérinée par la Cour supérieure le 2 août 2001 d'autres sommes étaient dues à madame Bérubé.

[16]     Selon la convention, en contrepartie du paiement d'une somme forfaitaire de 34 000 $ et d'un montant non indexé de 900 $ par mois durant 24 mois, l'appelant obtenait l'extinction de son obligation de payer à madame Bérubé une pension alimentaire à l'égard des enfants pour le futur, l'extinction de son obligation de lui payer une pension alimentaire pour elle-même au-delà de 24 mois, l'extinction totale de son obligation de payer les arrérages de plus de 45 000 $ à l'égard des deux pensions prévues au jugement du 22 février 1999 et enfin l'extinction de son obligation de payer toute autre somme due à madame Bérubé.

[17]     Tel que mentionné au paragraphe 8 de la convention « La présente entente concernant les obligations alimentaires de monsieur à l'égard de madame constitue un "clean break" qui met fin pour le futur à toute obligation alimentaire de monsieur à l'endroit de madame » .

[18]     À mon avis, les termes mêmes de cette convention sont trop éloignés des termes du jugement du 22 février 1999 pour que l'on puisse affirmer que la somme de 34 000 $ ou une partie de cette somme, soit le montant de 7 494 $ réclamé par l'appelant, puisse être considérée payable simplement à titre d'arrérages de la pension alimentaire payable à madame Bérubé pour elle-même prévue par le jugement du 22 février 1999. En effet, il faut rappeler qu'en vertu du nouveau régime fiscal mis en place à compter du 1er mai 1997, la pension alimentaire payable à l'égard des enfants n'était pas déductible pour l'appelant.

[19]     J'estime que le principe énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Minister of National Revenue v. Armstrong, [1956] S.C.R. 446, est applicable dans la présente affaire et que la somme de 34 000 $ ou une partie de celle-ci ne peut être considérée comme « un montant payable ou a recevoir à titre d'allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire [...] aux termes du jugement du 22 février 1999 » . Les montants payables, selon la convention entérinée par la Cour supérieure le 2 août 2001, ont clairement pour effet de libérer l'appelant des obligations imposées par ce jugement pour l'avenir.

[20]     Dans l'affaire Sills (précitée), aucune convention subséquente ne venait modifier l'entente écrite signée par les parties et trois paiements de 1 000 $ ont été considérés comme paiements d'arrérages dus en vertu de l'entente puisqu'à chaque occasion le paiement était inférieur à celui des arrérages dus.

[21]     Dans l'affaire Soldera (précitée), au moment d'une seconde ordonnance le contribuable devait des arrérages de 14 000 $ à l'égard d'une pension alimentaire prévue par une première ordonnance. Un paragraphe spécifique de la deuxième ordonnance prévoyait que les arrérages étaient dès lors fixés à 7 500 $ de telle sorte que le paiement de cette somme fut considéré comme un paiement partiel des arrérages de la pension prévue par la première ordonnance. Quant à la pension payable pour l'avenir, elle fut réduite de 200 $ à 100 $ par mois par la seconde ordonnance. Le juge en chef Garon de cette Cour estima qu'il n'y avait aucune disposition dans la seconde ordonnance qui libérait le contribuable de son obligation existante ou future de subvenir aux besoins de ses enfants. Selon lui, il s'agissait essentiellement d'une réduction de cette obligation tant pour le passé que pour le futur.

[22]     Par ailleurs, dans l'affaire Widmer (précitée), des arrérages de 50 590 $ étaient dus à l'appelante à l'égard d'une pension alimentaire de 795 $ par mois prévue par une ordonnance pour l'entretien de trois enfants. Après des négociations entre les parties, l'appelante accepta une somme de 15 000 $ et une réduction de la pension alimentaire de 795 $ à 600 $ par mois pour le futur. Puisque le montant reçu était très différent et de beaucoup inférieur au montant dû, il ne fut pas considéré de même nature que le montant dû c'est-à-dire « pour subvenir aux besoins des enfants » mais plutôt comme un montant payé par le débiteur pour se libérer de ses obligations existantes et obtenir la réduction de ses obligations futures.

[23]     Dans la présente affaire, il est clair que le paiement du montant de 34 000 $ et des montants de 900 $ par mois pour une durée limitée de 24 mois et sans indexation ont pour effet de libérer l'appelant de toute obligation alimentaire envers madame Bérubé pour le futur, que cette obligation découle du mariage, de son échec ou du jugement de divorce. Les paragraphes 8 et 9 de la convention reproduits plus haut laissent peu de doute à ce sujet. Le paragraphe 13 ferme la boucle en ce que madame Bérubé donne quittance de toute autre somme qui pourrait lui être due.

[24]     En ce sens, j'estime que le montant de 34 000 $ n'est pas de même nature et ne reflète pas les obligations alimentaires imposées à l'appelant par le jugement du 22 février 1999. Il s'agit d'un paiement de nature capitale fait par l'appelant dans le but d'obtenir la libération des obligations alimentaires imposées par ce jugement. En conséquence, le paiement d'une partie de ce montant, soit une somme de 7 494 $ n'est pas déductible à titre de pension alimentaire aux termes du paragraphe 56.1(4) et de l'alinéa 60 b) de la Loi.

[25]     Compte tenu de ce qui précède, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada ce 10e jour de décembre 2003.

« P. R. Dussault »

Juge Dussault


RÉFÉRENCE :

2003CCI915

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-1246(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Georges Bégin et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATES DE L'AUDIENCE :

Le 18 novembre 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge P.R. Dussault

DATE DU JUGEMENT :

le 10 décembre 2003

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me Daniel Cantin

Avocate de l'intimée :

Me Julie David

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Étude :

Ville :

Me Daniel Cantin

Gagné Letarte

Québec (Qc)

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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