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Dossier : 2001-3321(EI)

ENTRE :

9089-4114 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

MANON LABERGE,

intervenante.

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Carl Tremblay (2001‑3322(EI)) et Manon Laberge (2001‑3324(EI) et 2001-3325(EI))

le 19 août 2003 à Chicoutimi (Québec)

 

Devant : L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Frédéric Masson

 

Avocate de l'intimé :

Me Julie David

 

 

Avocat de l'intervenante :

Me Frédéric Masson

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 9e jour de décembre 2003.

 

 

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


 

 

 

Référence : 2003CCI875

Date : 20031209

Dossier : 2001-3321(EI)

ENTRE :

9089-4114 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

MANON LABERGE,

intervenante,

 

ET

 

Dossier : 2001-3322(EI)

CARL TREMBLAY,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

MANON LABERGE,

intervenante,

 

ET

 

Dossier : 2001-3324(EI)

MANON LABERGE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

CARL TREMBLAY OPÉRANT RÉNO-CONCEPT C.T.,

intervenant,

 

ET

Dossier: 2001-3325(EI)

MANON LABERGE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

9089-4114 QUÉBEC INC.,

intervenante.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Savoie

 

[1]     Ces appels ont été entendus sur preuve commune suivant les dossiers principaux 2001-3324(EI) et 2001-3325(EI).

 

[2]     Il s'agit d'appels portant sur l'assurabilité de l'emploi de l'appelante, Manon Laberge, lorsqu'au service de Carl Tremblay et de 9089-4114 Québec Inc., les « payeurs », durant les périodes en litige, soit du 24 mai au 19 novembre 1999 et du 22 mai au 10 novembre 2000 respectivement.

 

[3]     Le 23 août 2001, le ministre du Revenu national (le « Ministre ») a informé l'appelante de ses décisions selon lesquelles, après avoir examiné les conditions et les modalités d'emploi, ces emplois n'étaient pas assurables pendant les périodes en litige parce qu'un contrat de travail à peu près semblable n'aurait pas été conclu s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre elle et les payeurs.

 

[4]     En rendant sa décision, le Ministre s'est fondé sur les présomptions de fait suivantes énoncées au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel dans le dossier 2001-3324(EI) :

 

a)         le payeur exploitait une entreprise dans le domaine de la construction résidentielle, commerciale et industrielle; (admis)

 

b)         l'entreprise était exploitée sous la raison sociale « Réno-Concept C.T. »; (admis)

 

c)         le payeur était propriétaire unique de l'entreprise; (admis)

 

d)         l'appelant était la conjointe de fait de Carl Tremblay; (admis)

 

e)         le payeur était un employé à temps plein de la Commission scolaire de Chicoutimi; (nié)

 

f)          le payeur a refusé à plusieurs reprises de fournir les documents nécessaires à l'enquête de l'intimé; (nié)

 

g)         le bureau du payeur était situé à son domicile qu'il partageait avec l'appelante; (nié)

 

h)         le payeur n'avait pas de ligne téléphonique distincte pour l'entreprise et utilisait la ligne de son domicile; (nié)

 

i)          l'appelante était la secrétaire-réceptionniste de l'entreprise; (nié)

 

j)          les tâches de l'appelante consistaient à s'occuper de la comptabilité, à réponde au téléphone, à faire la correspondance et les commissions; (admis)

 

k)         l'horaire de travail de l'appelante était variable et non contrôlé; (nié)

 

l)          l'appelante était inscrite au journal des salaires avec une rémunération fixe de 480 $ par semaine peu importe le nombre d'heures réellement travaillées; (nié)

 

m)        aucune preuve d'encaissement des salaires de l'appelant n'a été fournie; (nié)

 

n)         devant le refus du payeur de fournir les documents demandés, l'intimé a été dans l'impossibilité d'établir la justification du salaire de l'appelante en fonction des activités du payeur et en fonction de la quantité et du volume des tâches de l'appelante; (nié)

 

o)         l'appelante rendait des services au payeur avant et après la période en litige; (nié)

 

p)         la période prétendument travaillée par l'appelante ne correspond pas avec la période qu'elle a réellement travaillée; (nié)

 

q)         le payeur et l'appelante ont conclu un arrangement dans le but de permettre à l'appelante de se qualifier pour obtenir des prestations d'assurance-emploi, tout en continuant à travailler pour le payeur. (nié)

 

[5]     Les présomptions de fait énoncées au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel dans le dossier 2001-3325(EI) sont au même effet que celles énumérées ci‑haut.

 

[6]     La preuve produite par l'appelante n'a pas réussi à prouver la fausseté des présomptions du Ministre énoncées aux alinéas e), g), i), l), o) et p).

 

[7]     Par ailleurs, il a été établi que la ligne téléphonique de la résidence servait aussi aux besoins de l'entreprise. De plus l'entreprise se servait aussi des téléphones cellulaires de l'appelante et des payeurs.

 

[8]     Il a été établi que l'horaire de travail de l'appelante était flexible et variable, à la volonté de l'appelante, pourvu que ses tâches soient accomplies.

 

[9]     En ce qui a trait à alinéa m), il faut préciser qu'en date de la Réponse à l'avis d'appel, c'est-à-dire le 13 novembre 2001, la présomption est exacte.

 

[10]    Quant à la présomption du Ministre énoncée à l'alinéa f) et de l'alinéa n) qui décrit la conséquence de ce refus, elle a fait l'objet, à l'audition, d'une demande par l'appelante pour réouverture du dossier en vue de lui permettre de présenter une preuve ayant pour objet de réfuter la teneur de l'alinéa f).

 

[11]    Cette requête inhabituelle, après avoir entendu les arguments des parties, a été accordée par la Cour.

 

[12]    Il a été précisé au départ que la réouverture du dossier ne permettrait pas aux parties de présenter une preuve ou des arguments dont la teneur ou la portée dépasseraient les paramètres de la présomption de fait exposée par le Ministre à l'alinéa 5f) de sa Réponse à l'avis d'appel et qui se lit comme suit : « le payeur a refusé à plusieurs reprises de fournir les documents nécessaires à l'enquête de l'intimé ».

 

[13]    La documentation produite par l'avocat des payeurs, Me Masson, est constituée d'une correspondance échangée entre lui et l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) entre le 28 mai et le 24 août 2001.

 

[14]    Dans sa lettre du 28 mai 2001 adressée à Me Masson, Lyne Courcy, agente des appels auprès de l'ADRC, demandait aux payeurs de produire certains documents, dont le journal caisse recettes-déboursés, les relevés bancaires et les états financiers de Réno-Concept C.T. et de 9089-4114 Québec Inc. pour les années 1999 et 2000.

 

[15]    Sur réception de cette lettre, l'avocat des payeurs a mis en doute la pertinence des documents demandés. Pour sa part, madame Courcy a mis en garde l'appelante qui, selon elle, refusait de produire la documentation demandée, et a averti l'avocat des payeurs qu'ils risquaient de recevoir des décisions du Ministre qui ne tiendraient pas compte de la portée des documents demandés puisqu'ils n'étaient pas fournis. L'avocat des payeurs, cependant, prétend qu'il n'y a jamais eu refus de fournir les documents et le libellé de ses lettres le confirme, au point où il y a peut-être lieu de se demander s'il ne trahit pas son intention quand il écrit le 6 juin 2001 ce qui suit : « Ce n'est pas que nous refusons de le faire, mais les quelques arguments que vous nous avez invoqués nous démontrent qu'il n'y a aucune pertinence à le faire pour le moment »; et dans sa lettre du 12 juin 2001 : « Or, l'objet de vos interrogations mentionné lors de nos conversations téléphoniques par rapport aux documents que vous désirez obtenir n'a aucun lien/ou aucune pertinence avec lesdites interrogations ». Madame Courcy lui répondait dans sa lettre du 18 juin 2001 : « [...] il revient à l'agent du Ministre qui agit dans un rôle quasi-judiciaire ou dans un rôle d'inspection de déterminer la meilleure façon d'en arriver à connaître la vérité dans les normes de ce qui est raisonnable. »

 

[16]    Le 21 juin 2001, Me Masson répondait à madame Courcy dans une lettre transmise par télécopieur, en demandant de lui fournir sa référence pour l'appuyer dans cette prétention et de lui définir la notion « [...] dans les normes de ce qui est raisonnable ».

 

[17]    Dans sa réponse, la procureure du Ministre a fourni à Me Masson les motifs du jugement de cette Cour dans l'arrêt Berthiaume c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [1998] A.C.I. no 1067.

 

[18]    Il semblerait, à première vue, que l'avocat des payeurs a reçu une réponse complète, adéquate et raisonnable à toutes ses questions posées à la procureure du Ministre. À chaque fois, il s'est vu accorder un nouveau délai, et, à chaque fois, il s'est fait dire que si le refus persistait, les payeurs risquaient de subir les décisions du Ministre sans que celui-ci ne tienne compte des documents demandés et non-fournis.

 

[19]    Il s'agit donc de déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances sous étude, le Ministre, par la voix de son agent au niveau des appels, a outrepassé son devoir, a agi de façon arbitraire et contrairement au sens du paragraphe 88(5) de la Loi sur l'assurance-emploi. Le paragraphe 88(5) décrit le cadre du pouvoir discrétionnaire du Ministre comme suit :

 

            Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (6) et pour l'application et l'exécution de la présente partie, par avis signifié à personne et envoyé par service de messagerie, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis :

 

a)         qu'elle fournisse des renseignements ou suppléments de renseignements, notamment en répondant à un questionnaire ou à un questionnaire supplémentaire;

 

b)         qu'elle produise des documents.

 

[20]    L'application et la portée de ce paragraphe ont été expliquées par la juge Lamarre Proulx de cette Cour, dans l'arrêt Berthiaume précité.

 

[21]    Il est intéressant de constater à quel point le Tribunal considère que le pouvoir discrétionnaire du Ministre, par son agent au niveau des appels, n'est pas assujetti à la volonté de l'appelante. Ainsi, la juge s'exprimait en ces termes au paragraphe 32 :

 

[...] L'agent du Ministre au niveau des appels doit rendre une décision après s'être formé une opinion sur le litige. Il a un rôle quasi-judiciaire. Mais qu'un agent du Ministre agisse dans un rôle quasi-judiciaire ou dans un rôle d'inspection, c'est à lui de déterminer la meilleure façon d'en arriver à connaître la vérité dans les normes de ce qui est raisonnable. Il me semble évident qu'une rencontre avec les appelants ou au moins une conversation téléphonique avec eux est nécessaire pour lui permettre d'évaluer les motifs d'appel et permettre aux appelants d'être entendus. Même une conversation téléphonique ne paraît pas toujours suffisante aux appelants pour exprimer la totalité de leur point de vue. Il se peut toutefois que ce mode soit acceptable pour les fins d'efficacité. Mais sûrement, il n'y a aucune obligation pour l'agent des appels de procéder par questionnaire écrit s'il juge que ce n'est pas ainsi qu'il obtiendra la meilleure lumière sur un dossier. Je suis d'avis que l'appelant, vu son manque de collaboration, ne peut se plaindre de l'absence d'enquête. Mais, de toute façon, je suis d'avis que le Ministre avait suffisamment d'information pour rendre sa décision.

 

[22]    L'analyse de ces faits porte à conclure que la position adoptée par l'appelante est à l'encontre du principe établi dans l'arrêt Berthiaume (supra).

 

[23]    En regard de ce qui précède, cette Cour doit conclure que l'appelante n'a pas réussi à prouver la fausseté de l'alinéa 5f) de la Réponse à l'avis d'appel.

 

[24]    L'appelante recevait une rémunération de 480 $ par semaine, peu importe le nombre d'heures travaillées. Elle était payée 12 $ l'heure, comme les installateurs. Son salaire, dit le Ministre, n'est pas justifiable. Par ailleurs, il a été établi que la société Réno-Concept C.T., selon les états financiers, a opéré à perte pendant les exercices financiers qui coïncident avec les périodes en litige.

 

[25]    Par ailleurs, il a été établi à l'audition que l'appelante commençait son travail pour les payeurs six semaines après les autres employés et terminait avant eux. En outre, elle travaillait pour les payeurs avant et après les périodes en litige.

 

[26]    Selon la preuve de l'appelante, elle continuait à exécuter certaines tâches pendant sa période de prestations, telles la préparation de chèques de paie des employés, ce qui lui prenait, tout au plus, cinq minutes sur l'ordinateur. La preuve est silencieuse, cependant, sur ce qu'il advenait de ses autres tâches, tels les contacts avec les clients, les visites sur le chantier, les commissions à faire, le travail de bureau, et les tâches portant sur les 100 fournisseurs des payeurs, bref, les multiples tâches de l'appelante sur lesquelles on s'appuie pour soutenir que le travail de l'appelante est essentiel à l'entreprise des payeurs, même si leurs activités sont réduites pendant certaines périodes.

 

[27]    Les payeurs ont un contremaître sur le chantier, mais Carl Tremblay, l'unique actionnaire des payeurs, soutient que la présence de l'appelante est nécessaire, parce que le contremaître sur le chantier ne peut s'absenter. La période la plus active des payeurs se situe entre les mois de mai à novembre. Ceci a été confirmé par l'appelante et Carl Tremblay. Cependant, l'appelante, pendant les années 1998 et 1999, était au travail d'octobre à janvier. Sur ce point, l'appelante a tout simplement expliqué que ses services étaient requis en raison des contrats d'hiver.

 

[28]    L'analyse de la preuve révèle que parfois l'explication donnée par l'appelante soulève d'autres questions, de sorte que dans l'ensemble, ça devient incohérent. En d'autres termes, la réponse donnée par l'appelante à une question précise semble satisfaisante, à première vue, mais lorsque la preuve est analysée dans son ensemble, sa vraisemblance est mise en doute.

 

[29]    L'appelante a cité l'arrêt Théberge c. Canada (ministre du revenu national - M.R.N.), [2002] A.C.F. no 464, pour affirmer que le travail exécuté par l'appelante en dehors des périodes en litige, puisqu'il est minime, ne peut justifier la conclusion que son emploi n'est pas assurable.

 

[30]    Dans l'arrêt Théberge (supra), la Cour d'appel fédérale se penchait sur un cas semblable à celui sous étude et qui offrait les caractéristiques suivantes :

 

a)         la date du début et de la fin de la période active variait au fil des ans;

 

b)         le demandeur travaillait le minimum de semaines requis et profitait au maximum du régime d'assurance-chômage. Cela est cependant monnaie courante dans le milieu des emplois saisonniers et ne s'explique pas par le lien de dépendance;

 

c)         le demandeur s'attendait à prendre la relève de la ferme familiale et ceci explique peut-être pourquoi un père engage un fils plutôt qu'un étranger, mais n'indique en rien que les conditions d'emploi et les modalités de travail sont plus avantageuses;

 

d)         en ce qui a trait à la tenue de livres, la preuve a révélé qu'elle exigeait entre « une demi-heure et une heure par mois ». C'est là un travail négligeable pour les fins du débat,

 

e)         « pour donner un coup de main à leur père » C'était là ce qu'à peu près tout le monde faisait, c'était à peu près comme cela que ça se passait sur chaque ferme.

 

[31]    Il me paraît aller de soi, ce que confirme la preuve, que dans le cas d'une entreprise familiale consacrée à du travail saisonnier, le peu de travail qu'il reste à faire en dehors de la période active est généralement fait sans rémunération par les membres de la famille.

 

[32]    Un prestataire n'a pas à demeurer complètement inactif pendant qu'il reçoit des prestations. Ce qui précède constitue une partie des faits retenus par la Cour d'appel qui, en dernière analyse, a infirmé la décision du juge de première instance qui avait appuyé la décision du Ministre qui avait conclu à la non‑assurabilité de l'emploi du travailleur.

 

[33]    Face à cet argument, la procureure du Ministre a soutenu que l'arrêt Théberge est un cas d'espèce et n'a aucune application dans le dossier sous étude. Référant la Cour à l'arrêt 2759‑4605 Québec Inc. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2002] A.C.I. no 566, la procureure du Ministre en cite les extraits suivants sous la plume du juge Somers de cette Cour :

 

Le procureur de l'appelante réfère la Cour à la cause Carol Théberge c. Canada [...], dans laquelle la Cour d'appel fédérale a décidé que le fait que le fils d'un fermier ait travaillé sans être rémunéré sur la ferme familiale et alors qu'il retirait des prestations d'assurance‑chômage, ne pouvait affecter son assurabilité parce que l'entreprise était à caractère familial et saisonnier.

 

Cette jurisprudence est un cas d'espèce et ne saurait s'appliquer dans la cause sous étude. L'appelante était exploitée à l'année et était une entreprise à vocation particulière.

 

[34]    L'appelante demande à cette Cour de renverser la décision du Ministre. Il convient donc d'examiner dans quelles circonstances cette Cour peut intervenir dans le sens de la requête de l'appelante.

 

[35]    La Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Jencan Ltd., [1998] 1 C.F. 187 (C.A.) en a délimité les paramètres en statuant ce qui suit au paragraphe 31 :

 

L'arrêt que notre Cour a prononcé dans l'affaire Tignish, [...] exige que, lorsqu'elle est saisie d'un appel interjeté d'une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), la Cour de l'impôt procède à une analyse à deux étapes. À la première étape, la Cour de l'impôt doit limiter son analyse au contrôle de la légalité de la décision du ministre. Ce n'est que lorsqu'elle conclut que l'un des motifs d'intervention est établi que la Cour de l'impôt peut examiner le bien-fondé de la décision du ministre. Comme nous l'expliquerons plus en détail plus loin, c'est en limitant son analyse préliminaire que la Cour de l'impôt fait preuve de retenue judiciaire envers le ministre lorsqu'elle examine en appel les décisions discrétionnaires que celui‑ci rend en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). [...]

 

 

[36]    Poursuivant son analyse, le Juge en chef Isaac précisait ce qui suit, au paragraphe 33 :

 

[...] Comme il s'agit d'une décision rendue en vertu d'un pouvoir discrétionnaire, par opposition à une décision quasi-judiciaire, il s'ensuit que la Cour de l'impôt doit faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de la décision du ministre lorsque celui-ci exerce ce pouvoir. Ainsi, lorsque le juge Décary, J.C.A., déclare dans l'arrêt Ferme Émile, [...] que ce type d'appel interjeté devant la Cour de l'impôt "s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire", il voulait simplement souligner, à mon humble avis, qu'on doit faire preuve de retenue judiciaire envers les décisions que le ministre rend en vertu de cette disposition à moins que la Cour de l'impôt ne conclue que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui est contraire à la loi.

 

[37]    La Cour d'appel fédérale résumait ainsi, aux paragraphes 36 et 37 de l'arrêt Jencan (supra) les pouvoirs de cette Cour :

 

Ainsi, en limitant la première étape de l'analyse de la Cour de l'impôt à un contrôle de la légalité des décisions rendues par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), notre Cour a simplement appliqué des principes judiciaires acceptés dans le but de trouver le juste milieu entre le droit que possède le prestataire en vertu de la loi de faire contrôler la décision du ministre et la nécessité de faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de celle-ci, compte tenu du fait que le législateur fédéral a conféré un pouvoir discrétionnaire au ministre en vertu de cette disposition.

 

Compte tenu de ce qui précède, le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'était justifié d'intervenir dans la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) que s'il était établi que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui était contraire à la loi. Et, comme je l'ai déjà dit, l'obligation d'exercer un pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire implique l'existence de motifs d'intervention spécifiques. La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) - en examinant le bien-fondé de cette dernière - lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre: (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.

 

[38]    Comme il a été démontré ci-haut, les pouvoirs de cette Cour sont délimités, tel que le précise l'arrêt Jencan (supra) qui a statué que cette Cour est justifiée de modifier la décision rendue par le Ministre en vertu du sous‑alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi sur l'assurance-chômage maintenant l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi en examinant le bien‑fondé de cette dernière lorsqu'il est établi, selon le cas, que le Ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous‑alinéa 3(2)c)(ii); et, (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.

 

[39]    L'appelante avait le fardeau de prouver l'existence de ces motifs d'intervention spécifiques. Elle ne l'a pas fait. Au paragraphe 42 de l'arrêt Jencan, le Juge en chef Isaac statuait ce qui suit :

 

Ainsi, bien que la Cour de l'impôt doive faire preuve de retenue judiciaire à l'égard des décisions que le ministre rend en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) - en limitant son analyse préliminaire à un contrôle de la légalité de la décision du ministre - cette retenue judiciaire ne s'applique pas aux conclusions de fait tirées par le ministre. En affirmant que le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'est pas limité aux faits sur lesquels le ministre se fonde pour rendre sa décision, on ne trahit pas l'intention qu'avait le législateur fédéral en conférant un pouvoir discrétionnaire au ministre. Pour évaluer la façon dont le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire, la Cour de l'impôt peut tenir compte des faits qui ont été portés à son attention au cours de l'audition de l'appel. Ainsi que le juge Desjardins, J.C.A., l'a déclaré dans l'arrêt Tignish :

 

[...] la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente.

 

[40]    Cette Cour est d'avis que l'appelante n'a pas réussi à prouver les motifs d'intervention tel que l'exige le principe établi dans Jencan (supra). Dans ces circonstances, cette Cour doit conclure que le bien-fondé de son intervention n'a pas été établi par l'appelante. En conséquence, les appels sont rejetés et les décisions rendues par le Ministre sont confirmées.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 9e jour de décembre 2003.

 

 

 

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


RÉFÉRENCE :

2003CCI875

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-3321(EI), 2001-3322(EI),

2001-3324(EI) and 2001-3325(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

9089-4114 Québec Inc. et M.R.N. et Manon Laberge

Carl Tremblay et M.R.N. et Manon Laberge

Manon Laberge et M.R.N. et Carl Tremblay opérant Réno-Concept C.T.

Manon Laberge et M.R.N. et

9089-4114 Québec Inc.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Chicoutimi (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 19 août 2003

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 9 décembre 2003

 

COMPARUTIONS :

 

 

Pour les appelants :

9089-4114 Québec Inc.

Carl Tremblay

Manon Laberge

Manon Laberge

 

Me Frédéric Masson

 

 

Pour l'intimé :

Me Julie David

 

Pour les intervenants :

Manon Laberge

Manon Laberge

Carl Tremblay opérant

Réno-Concept C.T.

9089-4114 Québec Inc.

 

Me Frédéric Masson

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Pour les appelants :

 

Nom :

Me Frédéric Masson

 

Étude :

Masson Gagnon, Avocats

Chicoutimi (Québec)

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

Pour les intervenants :

 

Nom :

Me Frédéric Masson

 

Étude :

Masson Gagnon, Avocats

Chicoutimi (Québec)

 

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