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Dossier : 2002-2902(IT)G

ENTRE :

625041 ONTARIO LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu les 15 juin et 18 août 2004, à London (Ontario)

Devant : L'honorable juge Judith Woods

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Christian F. Specht

Avocate de l'intimée :

Me Carole Benoit

JUGEMENT

L'appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1997 est rejeté.

          Les dépens sont adjugés à l'intimée.


Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d'octobre 2004.

« J. M. Woods »

Juge Woods

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de décembre 2005.

Mario Lagacé, réviseur


Référence : 2004CCI693

Date : 20041015

Dossier : 2002-2902(IT)G

ENTRE :

625041 ONTARIO LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Woods

[1]      La société 625041 Ontario Ltd. est une société immobilière fermée dont le siège est à London en Ontario. Elle interjette appel d'une nouvelle cotisation d'impôt sur le revenu dans laquelle sa demande de 31 406 $ au titre de la déduction accordée aux petites entreprises pour l'année d'imposition 1997 lui a été refusée. Il s'agit principalement de savoir si l'appelante avait plus de cinq employés à plein temps tout au long de l'année.

[2]      La société 625041 Ontario détient et gère des biens immeubles à London depuis 1985. Dans ses états financiers pour la période en cause, soit la période allant du 1er juin 1996 au 31 mai 1997, il est indiqué que le revenu brut qu'elle a déclaré était constitué 1) de loyers et de charges communes de 557 865 $; 2) de frais de gestion de 20 000 $; 3) d'intérêts de 926 $. Pendant cette période, la société possédait ou gérait de 10 à 13 biens de location comportant au total environ 55 habitations et locaux commerciaux. Le président de la société était Peter Stavrou, et plusieurs membres de la famille Stavrou travaillaient pour la société.

[3]      Peter Stavrou a témoigné que l'entreprise avait beaucoup d'activités et qu'il était nécessaire que les membres de la famille participent à l'entreprise à plein temps et qu'ils travaillent plus de 40 heures par semaine. Il était le président de la société et supervisait les opérations. Sa fille, Alexandra, était responsable des tâches administratives de l'entreprise et travaillait à partir du bureau de la société, situé au sous-sol de la résidence de Peter Stavrou, résidence où vivait aussi Alexandra. La femme de Peter Stavrou, Bessy, travaillait comme adjointe. Elle aidait dans le bureau, faisait des commissions et accompagnait son mari lorsqu'il allait inspecter des propriétés. Les fils de Peter Stavrou, Tom et Tim, s'occupaient du travail manuel, y compris la réparation, l'entretien et la construction d'immeubles, et la femme de Tom, Noula, aidait son mari à faire du ménage, à peindre et à faire des travaux de construction mineurs.

[4]      Pour qu'un revenu de location soit considéré comme étant un revenu tiré d'une entreprise exploitée activement pour les besoins de la déduction accordée aux petites entreprises, l'entreprise ne doit pas être une « entreprise de placement déterminée » . Voici la définition de cette expression, telle qu'elle se trouve au paragraphe 125(7) :

« entreprise de placement déterminée » Entreprise [...] dont le but principal est de tirer un revenu de biens, notamment des intérêts, des dividendes, des loyers et des redevances. Toutefois, [...] l'entreprise exploitée par une société au cours d'une année d'imposition n'est pas une entreprise de placement déterminée si, selon le cas :

a) la société emploie dans l'entreprise plus de cinq employés à plein temps tout au long de l'année; [...]

[5]      La société 625041 Ontario a plaidé que son entreprise n'est pas une « entreprise de placement déterminée » parce qu'elle employait six personnes à plein temps tout au long de l'année d'imposition 1997, soit Peter Stavrou, sa femme Bessy, ses trois enfants, Tom, Tim et Alexandra, ainsi que sa bru, Noula.

[6]      L'avocate de la Couronne a dit au début de l'audience qu'elle n'était pas convaincue que Noula, Tim ou Bessy Stavrou avaient travaillé à plein temps tout au long de l'année, mais, après avoir entendu le témoignage des membres de la famille, elle a décidé de limiter son argumentation à Noula et à Tim Stavrou seulement. Mes conclusions s'appliqueront donc à ces deux personnes seulement.

[7]      Les parties conviennent que la société 625041 Ontario a le fardeau de la preuve en ce qui concerne l'emploi de Tim Stavrou, mais que c'est la Couronne qui a le fardeau de la preuve en ce qui concerne l'emploi de Noula Stavrou, étant donné qu'il ne s'agit pas d'un élément sur lequel la cotisation a été fondée.

[8]      En plus de la question principale, l'avocat de l'appelante a soulevé une question secondaire concernant l'interprétation du terme « entreprise de placement déterminée » et a soutenu que le terme « entreprise de placement déterminée » ne pouvait pas s'appliquer à une entreprise qui a autant d'activités que la société 625041 Ontario, même si la principale source de revenus de celle-ci provient de loyers et qu'elle n'emploie pas plus de cinq employés à plein temps. Si je comprends bien, l'argument reposait sur le renvoi à l'expression « revenu de biens » dans la définition du terme « entreprise de placement déterminée » . Il a été suggéré qu'étant donné qu'une société exploitée activement ne tire pas de « revenus de biens » , une entreprise de location exploitée activement ne devrait pas se voir refuser la déduction accordée aux petites entreprises. L'avocat de l'appelante n'a pas insisté sur l'argument cependant, vu que la jurisprudence ne joue pas en sa faveur. La Cour d'appel fédérale a tranché cette question dans l'affaire Lerric Investments Corp. v. The Queen, 2001 D.T.C. 5169, et il n'est pas nécessaire que j'examine davantage la question.

[9]      Je me penche maintenant sur les éléments de preuve concernant l'emploi de Tim et de Noula Stavrou. La preuve du ministère public repose en grande partie sur la rémunération de ces personnes, comme le montrent les feuillets T4 et les copies des chèques de paie.

[10]     Le tableau ci-dessous indique la rémunération brute indiquée sur les feuillets T4 des membres de la famille pour les années civiles 1996 et 1997.


Rémunération brute indiquée sur les feuillets T4

1996

1997

Peter Stavrou

16 000 $

24 000 $

Bessy Stavrou

24 000

24 000

Alexandra Stavrou

24 000

32 760

Tom Stavrou

20 472

29 259

Noula Stavrou

12 344

20 898

Tim Stavrou

3 750

10 355

[11]     Le tableau suivant donne un résumé des chèques de paie des membres de la famille pour la période en cause, soit la période allant du 1er juin 1996 au 31 mai 1997, qui ont été présentés comme éléments de preuve.

SOMMAIRE DES CHÈQUES

Date du chèque

Tim

Noula

Peter

Bessy

Tom

Alexandra

Juin 1996*

795 $

1 581 $

1 581 $

1 160 $

1 581 $

Juillet

732

1 581

1 581

1 086

1 581

Août

944

1 581

1 581

1 290

1 581

Septembre

1 020

1 590

1 590

1 447

1 590

Octobre

733

1 095

Novembre

1 014

1 590

1 360

1 590

Décembre

1 502 $

1 041

1 590

1 447

1 590

Janvier 1997

1 502

944

1 590

1 295

1 590

Février

573

1 600

1 600

872

1 600

Mars

1 511

1 045

1 600

1 600

1 456

1 600

Avril

1 511

872

1 600

1 600

1 236

1 600

Mai

1 110

1 600

1 600

1 456

1 600

Juin

872

1 600

1 600

1 136

1 600

*         Ce mois est en dehors de l'année d'imposition pertinente, parce que le chèque de juin se rapporte aux services fournis en mai.

[12]     Alexandra Stavrou a rassemblé ces chèques à la demande de la Couronne, et la série semble relativement complète. À l'exception de Peter et de Tim Stavrou, les employés recevaient toujours leur rémunération dans les premiers jours du mois suivant le mois où ils ont fourni leurs services. Peter Stavrou n'a pas reçu de rémunération vers la fin de 1996 pour des raisons de planification fiscale.

[13]     Les seuls éléments de preuve à l'appui de la position de l'appelante selon laquelle Tim et Noula Stavrou étaient employés à plein temps tout au long de l'année d'imposition 1997 étaient le témoignage intéressé des membres de la famille et des documents produits lors du processus d'appel. Tous les membres de la famille ont témoigné lors de l'audience, et quatre d'entre eux ont été appelés à témoigner par la Couronne. À quelques exceptions près, le témoignage des membres de la famille était évasif et non convaincant. De façon générale, ils ont témoigné qu'ils avaient peu de connaissances à l'égard de leur rémunération et qu'ils ne se souvenaient pas bien des faits relatifs à leur rémunération. C'était Peter Stavrou lui-même qui gérait l'entreprise et qui fixait la rémunération, et il n'avait qu'un souvenir particulièrement vague des faits relatifs à la rémunération.

[14]     Compte tenu de l'ensemble de la preuve, je conclus que Tim Stavrou n'était pas un employé de l'appelante tout au long de l'année d'imposition 1997 et que Noula Stavrou était seulement employée à temps partiel pendant l'année d'imposition 1997. Mes motifs suivent.

[15]     Je vais examiner l'emploi de Tim Stavrou en premier. Tim a gagné 3 750 $ en 1996 et 10 355 $ en 1997. Tim Stavrou et son père ont témoigné que Tim a travaillé à plein temps pendant 11 mois au cours de l'année d'imposition 1997 et qu'il n'a pas travaillé en mai 1997 à cause d'une intervention chirurgicale.

[16]     Seulement quatre chèques de paie ont été présentés comme éléments de preuve pour la période en cause, et chacun des chèques était seulement d'un peu plus de 1 500 $. Si ces chèques représentaient la rémunération se rapportant aux services fournis dans le mois précédant celui où les chèques ont été émis, ils serviraient à prouver que Tim n'a travaillé que les mois de novembre, de décembre, de février et de mars.

[17]     Peter et Tim Stavrou ont témoigné que Tim avait convenu de travailler à temps plein pendant les mois de juin, de juillet et d'août 1996 sans toucher de rémunération, et ce, seulement en échange du droit d'utiliser un appartement et de recevoir des repas à la résidence familiale. Ils ont qualifié cette période de « période de probation » , ce qui veut vraisemblablement dire que cette entente devait être pour une période temporaire. Plusieurs mois auparavant, Peter Stavrou avait découvert que son fils avait une dépendance à des médicaments sur ordonnance. Tim ne vivait pas à London et ne travaillait pas pour la société 625041 Ontario pendant la première partie de 1996. Selon le témoignage, vers le mois d'avril, Tim a convenu de travailler à plein temps sans toucher de rémunération monétaire parce que son père n'avait pas confiance en sa capacité de gérer de l'argent.

[18]     Plusieurs questions posent problème dans cette histoire, la principale étant qu'il est peu probable que le fils travaillerait à plein temps essentiellement en contrepartie d'un logement et de repas1. Aucune explication n'a été donnée sur les raisons pour lesquelles le père n'a pas retenu de fonds pour payer son fils plus tard. En outre, très peu de précisions ont été données sur l'entente, et celles qui ont été données étaient vagues et parfois contradictoires. Par exemple, les témoins ont fait savoir que la période de « probation » devait durer trois mois, mais qu'elle a commencé en avril, ce qui signifie qu'elle a duré plus de quatre mois.

[19]     Un autre problème qui se pose est que cette histoire a été racontée à l'Agence du revenu du Canada pour la première fois à l'étape de l'opposition seulement - il semblerait que rien n'a été dit à propos de cette histoire à l'étape de la vérification. Aucune explication satisfaisante n'a été donnée à cet égard.

[20]    De plus, très peu d'éléments de preuve permettent d'établir que la fourniture de l'appartement était considérée comme étant une rémunération. Tom et Noula Stavrou ont aussi vécu dans un appartement de l'appelante pendant une certaine période, et Alexandra vivait avec ses parents. Par conséquent, il est fort probable que l'utilisation que Tim a faite d'un appartement n'était rien de plus qu'un avantage dont d'autres membres de la famille ont pu bénéficier de temps à autre.

[21]     Peter et Tim Stavrou ont témoigné que Tim travaillait à plein temps pendant les mois de septembre et d'octobre 1996 et qu'il a été rémunéré au moyen d'un chèque de 1 502 $, qui a été reçu tôt en décembre. Aucune explication n'a été donnée sur la raison pour laquelle le montant de la rémunération était si bas, plus bas que ce que Tom Stavrou gagnait pour le même genre de travail et plus bas que ce que Noula Stavrou touchait pour avoir tout simplement aidé son mari à faire des travaux mineurs. Aucune raison n'a été donnée pour expliquer le retard dans le versement de la rémunération et l'émission d'un seul chèque pour deux mois de travail, tandis que le reste de la famille recevait sa rémunération chaque mois. J'estime qu'il n'y a pas assez d'éléments de preuve pour établir que Tim Stavrou était un employé de l'appelante pendant les mois de septembre et d'octobre.

[22]     Je conclus également qu'il n'y a pas assez de preuves pour établir que Tim Stavrou était employé pendant les mois de janvier et d'avril 1997. Le feuillet T4 pour 1997 indique que Tim Stavrou a reçu un total d'environ 10 000 $ en 1997. Le témoignage de Peter et de Tim Stavrou donnait à penser que Tim avait reçu une rémunération pour 10 mois, soit tous les mois, sauf ceux de mai et de décembre. Encore une fois, il me semble peu probable que Tim Stavrou aurait reçu une rémunération si basse, compte tenu de ce que Tom et Noula Stavrou avaient reçu. Par conséquent, je conclus que Tim Stavrou a travaillé moins de 10 mois au cours de 1997 et qu'il n'y a pas de preuve crédible quant aux mois où il a travaillé.

[23]     Par conséquent, je conclus que la preuve est loin de démontrer que Tim Stavrou était employé tout au long de l'année d'imposition 1997.

[24]     En ce qui concerne Noula Stavrou, j'estime que le témoignage selon lequel elle travaillait régulièrement plus de 40 heures par semaine est peu convaincant. Je conclus qu'elle n'était qu'employée à temps partiel pendant l'année d'imposition 1997. Je tire cette conclusion parce que Noula a reçu une rémunération très peu élevée pour certains des mois de la période en cause et parce qu'aucune explication satisfaisante n'a été donnée.

[25]     Contrairement à la rémunération qui a été versée à Peter, à Bessy et à Alexandra Stavrou pour le travail administratif, la rémunération versée à Tom, à Noula et à Tim Stavrou pour le travail manuel variait selon le mois. (Les chèques de Tim Stavrou ne confirment pas cela, mais c'est ce que Alexandra Stavrou a dit dans son témoignage.) Souvent, lorsque la rémunération versée pour du travail manuel varie, cela veut dire que la personne qui exécute le travail est rémunérée à l'heure. Dans le cas de Noula Stavrou, le montant des chèques allait de 573 $ à 1 110 $ par mois. On a demandé à plusieurs membres de la famille d'expliquer pourquoi le montant des chèques n'était pas toujours le même. Leurs témoignages à cet effet étaient vagues et contradictoires. Noula Stavrou a témoigné qu'elle n'avait jamais remis en question les montants qui lui ont été payés et qu'elle ne savait pas pourquoi il y avait un écart entre les chèques. Alexandra, qui a émis les chèques, a signalé qu'elle faisait les chèques pour le montant que son père lui indiquait et qu'elle ne savait pas ce sur quoi les paiements étaient fondés. Dans une petite entreprise familiale comme celle-ci, j'estime qu'il est peu probable qu'Alexandra ne connaisse pas ce sur quoi les montants étaient généralement fondés. Le témoignage de Peter Stavrou était peut-être le témoignage le plus important parce que c'est Peter Stavrou lui-même qui déterminait le montant de la rémunération. Il hésitait à admettre qu'il y avait un écart dans la rémunération. Voici un extrait de son contre-interrogatoire sur cette question :

                   [TRADUCTION]

Q. À quelle fréquence étaient-ils [les membres de la famille] payés?

R. Une fois par mois, je pense.

Q. Et aucune question n'était posée; il y avait un chèque, et le montant du chèque était toujours le même?

R. Je dirais que oui.

Q. Donc, en gros, si je divise par 12 le montant indiqué sur un des T4, j'obtiens toujours le même montant pour chaque mois?

R. Parfois, nous changions ce montant.

Q. Peu importe le nombre d'heures?

R. Oui, peu importe le nombre d'heures.

[26]     La Couronne a fait savoir qu'elle avait le fardeau de prouver que Noula Stavrou n'était pas employée à plein temps tout au long de l'année d'imposition 1997. Selon moi, il a été établi que Noula Stavrou ne travaillait qu'à temps partiel au courant de l'année en question. Sa rémunération variait considérablement d'un mois à l'autre et, souvent, elle était moins élevée que la rémunération qui pourrait être considérée comme normale si elle travaillait à plein temps.

[27]     La conclusion selon laquelle Tim Stavrou n'était pas employé tout au long de l'année pourrait suffire pour statuer sur l'appel, étant donné que la société 625041 Ontario n'avait que cinq employés tout au long de l'année et non plus de cinq employés, comme la loi l'exige. De toute manière, lorsqu'on tient compte de l'emploi à temps partiel de Noula Stavrou, on peut conclure que la société n'avait que quatre employés à temps plein tout au long de l'année, ce qui ne suffit manifestement pas.

         

[28]     L'appel est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d'octobre 2004.

« J. M. Woods »

Juge Woods

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de décembre 2005.

Mario Lagacé, réviseur

1               L'un des arguments de la Couronne était que la position de l'appelante était incompatible avec le fait que Tim Stavrou avait demandé des prestations d'aide sociale du gouvernement pendant cette période parce qu'il n'avait pas d'emploi. Étant donné que M. Stavrou avait un grave problème de toxicomanie, je ne considère pas ce fait comme étant concluant.

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