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[traduction française officielle]

97-129(IT)I

ENTRE :

MICHELLE BRENTON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 26 janvier 1998 et jugement rendu oralement à l'audience à Calgary (Alberta), le 29 janvier 1998, par

l'honorable juge en chef adjoint Christie

Comparutions

Pour l'appelante :                       l'appelante elle-même

Avocate de l'intimée :                 Me Erica Boetcher

JUGEMENT

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de février 1998.

« D. H. Christie »

J.C.A.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de février 2003.

Philippe Ducharme, réviseur


[traduction française officielle]

Date: 19980219

Dossier: 97-129(IT)I

ENTRE :

MICHELLE BRENTON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l'audience

à Calgary (Alberta), le 29 janvier 1998.)

Le juge en chef adjoint Christie, C.C.I.

[1]      Les présents appels sont régis par la procédure informelle prévue aux articles 18 et suivants de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt. Les années 1992, 1993 et 1994 sont en cause.

[2]      L'avis d'appel est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

La présente lettre a pour objet le dépôt officiel d'un avis d'appel en réponse à l'Avis de ratification DU ministre (copie ci-jointe) concernant les nouvelles cotisations établies à mon égard pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994. Veuillez prendre note que je souhaite former mon appel sous le régime de la PROCÉDURE INFORMELLE.

Je joins à la présente une copie de la lettre que j'ai envoyée à Revenu Canada le 26 février 1996 et à l'égard de laquelle je n'ai reçu aucune réponse. Je joins également l'avis d'opposition que mon représentant, I. Graham Berg, CA, a déposé le 18 septembre 1995 en mon nom. Ces deux documents, ainsi que les avis que m'a fait parvenir Revenu Canada, devraient fournir tous les faits pertinents et les motifs à l'appui de mon appel. (Je suppose que vous avez accès à ces documents... Dans le cas contraire, je suis disposée à les fournir sur demande.)

Comme je l'ai mentionné dans ma lettre datée du 26 février 1996, j'estime que j'ai respecté la loi telle qu'elle était libellée à cette époque et, surtout, que J'AI, contrairement aux conclusions auxquelles est parvenu LE MINISTRE DANS SON AVIS DE RATIFICATION, engagé les dépenses en cause en vue de tirer ou de générer un profit d'un bien. Malheureusement, on ne peut pas toujours prévoir le rendement d'investissements particuliers, mais cela ne signifie pas que l'intention était au départ malveillante.

Dans une autre lettre que je joins à la présente, il est indiqué quel bureau d'impôt a traité mon avis d'opposition. Je souhaiterais que mon dossier soit envoyé à un bureau local de Revenu Canada afin que l'on y procède à son traitement. Les renseignements pertinents peuvent être envoyés à l'adresse suivante :

Revenu Canada

                        Division des appels

                        220, 4e avenue S.E.

Pièce 830

                        Calgary (Alberta)

T2G 0L1

                        À l'attention de Jeff Wong

Je suis convaincue que vous porterez l'attention nécessaire à mon présent appel.

Comme l'avis d'appel l'indique, un certain nombre de documents y sont joints. L'avis de ratification du ministre est ainsi rédigé :

[TRADUCTION]

Les dépenses que vous avez réclamées à titre de charges locatives aux montants de 2 392,79 $, de 10 540,91 $ et de 7 125,55 $ pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 n'ont pas été engagées en vue de tirer ou de générer un profit d'une entreprise ou d'un bien. Il s'agit plutôt de « frais personnels ou de frais de subsistance » au sens du sous-paragraphe 248(1). Par conséquent, suivant l'alinéa 18(1)h), vous ne pouvez pas déduire ces dépenses de votre revenu.

La lettre datée du 26 février 1996 est ainsi rédigée :

[traduction]

La présente lettre vient compléter l'avis d'opposition que mon représentant, I. Graham Berg, CA, a déposé en mon nom le 18 septembre 1995. Cet avis d'opposition indiquait les raisons pour lesquelles j'ai acheté la propriété située au 4605, promenade Donegal, Unité 6, à Mississauga (Ontario) et réclamé les pertes locatives subies en 1992, 1993 et 1994.

Depuis le dépôt de mon avis d'opposition l'an dernier, j'ai vendu cette propriété. Étant donné qu'il m'était difficile de trouver des locataires, je n'ai pas été en mesure de tirer un profit de cette propriété. Il m'était de plus en plus difficile, toute seule, d'acquitter les paiements hypothécaires et, par suite de la décision par laquelle Revenu Canada refusait la déduction de toutes les pertes locatives que j'avais réclamées, j'ai été dans l'obligation de vendre la propriété. Je l'ai donc vendue à perte (soit une perte de 19 750 $), sans compter les honoraires que j'ai dû verser à un avocat, le marché des maisons en rangée et des copropriétés étant à cette époque à la baisse.

Pour les motifs énoncés dans mon avis d'opposition déposé antérieurement et compte tenu des renseignements fournis ci-dessus, j'interjette appel de la décision de Revenu Canada, afin que l'on examine de nouveaau la présente affaire. J'admets que l'ignorance n'est pas une excuse, mais j'ai réclamé ces pertes en toute légalité et sans aucune intention d'abuser du système. Mon comptable et planificateur financier m'a conseillée tout au long du processus afin de s'assurer qu'aucune erreur ne serait commise. Il a été stupéfait d'apprendre que de nouvelles cotisations avaient été établies à mon égard, affirmant qu'il était au courant de nombreux autres cas où des pertes plus importantes avaient été réclamées pour des périodes beaucoup plus longues que ma période de trois ans sans qu'aucune nouvelle cotisation n'ait été établie.

J'aimerais également mentionner que j'ai communiqué par téléphone avec une représentante de Revenu Canada lorsque j'ai reçu mon avis de cotisation initial en août 1995. La dame avec qui je me suis entretenue m'a indiqué que Revenu Canada tentait d'apporter des modifications aux règles concernant les immeubles à usage locatif et que c'était la raison pour laquelle on avait procédé à une vérification de mon dossier. Je comprends que l'on souhaite modifier ces règles, mais je ne comprends pas que l'on pénalise une contribuable qui respecte les règles alors en vigueur.

Je vous saurais gré de joindre la présente lettre à mon dossier et d'en tenir compte lorsque vous procéderez à un examen. J'ai, en toute légalité, subi les pertes que j'ai réclamées et, maintenant, s'ajoutent à cela la perte découlant de la vente de ma propriété AINSI QUE des impôts fonciers s'élevant à plus de 10 000 $. Je considère qu'il s'agit d'un important revers qui, manifestement, est TRÈS décourageant pour une honnête contribuable qui souhaitait seulement commencer à investir en vue de se créer un portefeuille de valeurs mobilières!

Enfin, s'il m'est possible de prendre d'autres mesures afin que mon dossier puisse faire l'objet d'un nouvel examen avant la période d'attente habituelle de 12 à 18 mois, je vous saurais gré de m'en faire part.

Quant à l'avis d'opposition original daté du 18 septembre 1995, il est ainsi rédigé :

MICHELLE BRENTON

NAS : 116-506-056

AVIS D'OPPOSITION - ANNEXE JOINTE

J'ai acheté la propriété en 1992 en vue de la louer entièrement, cherchant ainsi à constituer un portefeuille de valeurs mobilières. Le versement initial était relativement peu élevé, mais j'avais l'intention, grâce au revenu que je tirais pendant cette période, de verser annuellement une somme substantielle en remboursement du principal, de manière à ce que la propriété puisse, à court terme, générer suffisamment de profits pour payer les frais hypothécaires. À cette fin, j'ai obtenu un prêt hypothécaire remboursable par anticipation.

Toutefois, je n'ai pas été en mesure de mettre en oeuvre le plan prévu pour les raisons suivantes :

1.          un des locataires que j'avais choisis s'est désisté, et je n'ai pu trouver de remplaçant, même à un coût de location raisonnable;

2.          les loyers des années précédentes, en fonction desquels j'avais établi un budget, ne m'ont pas permis de réaliser des profits en raison d'une baisse du marché;

3.          les frais d'entretien et de réparations ont été beaucoup plus élevés que ce que j'avais prévu.

Pour ces motifs, j'ai été dans l'obligation de quitter mon appartement, n'ayant plus les moyens de payer le loyer et de faire face au manque à gagner relativement au bien de location. De même, je n'étais pas en mesure de réduire le montant du principal de la manière prévue au départ.

Étant donné la situation précédemment décrite, j'ai, depuis lors, mis la propriété en vente parce qu'elle avait toujours été davantage que ce dont j'avais besoin. Je dois maintenant quitter mon appartement et, si je ne peux vendre la propriété à un prix raisonnable, je devrai tenter de la louer entièrement jusqu'à ce que je puisse la vendre au prix souhaité.

Mon objectif a toujours été de faire de cette propriété un bien de placement, et elle est devenue ma résidence uniquement parce que le marché locatif n'était plus favorable et en raison d'autres mauvais calculs.

[3]      Le passage introductif et les paragraphes 1 à 9 inclusivement de la réponse à l'avis d'appel sont rédigés comme suit :

[TRADUCTION]

            En réponse à l'avis d'appel relatif aux années d'imposition 1992, 1993 et 1994, le sous-procureur général du Canada déclare ce qui suit :

A.         EXPOSÉ DES FAITS

1.          En ce qui concerne le premier paragraphe non numéroté de l'avis d'appel, il admet que le ministre du Revenu national (ci-après appelé « le ministre » ) a émis un avis de ratification daté du 28 juin 1996 relativement aux années d'imposition 1992, 1993 et 1994.

2.          En ce qui concerne le deuxième paragraphe non numéroté du même avis, il nie que l'appelante n'a pas reçu une réponse à sa lettre datée du 26 février 1996. De plus, il précise que cette lettre visait à compléter l'avis d'opposition déposé par l'appelante. En réponse à cet avis d'opposition, le ministre a confirmé les nouvelles cotisations le 28 juin 1996. Il a également répondu à l'appelant dans une lettre datée du 4 juin 1996. Il ne peut discerner, dans le reste du paragraphe, d'autres faits pouvant être admis ou niés.

3.          En ce qui concerne le troisième paragraphe non numéroté de l'avis d'appel, il nie que les dépenses réclamées ont été engagées en vue de tirer ou de générer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

4.          Il ne peut discerner, dans l'avis d'appel, d'autres faits pouvant être admis ou niés.

5.          Les déclarations de revenus initiales ont été produites aux dates suivantes :

                        pour l'année d'imposition 1992 :           le 24 juin 1993

                        pour l'année d'imposition 1993 :          le 25 avril 1994

                        pour l'année d'imposition 1994 :           le 24 avril 1995

6.          Dans le calcul de son revenu des années d'imposition 1992, 1993 et 1994, l'appelante a déduit les pertes locatives nettes suivantes (les détails figurent aux annexes 1, 2 et 3 ci-jointes) :

                        pour l'année d'imposition 1992 :            2 392 $

                        pour l'année d'imposition 1993 :            10 540 $

                        pour l'année d'imposition 1994 :            7 125 $

7.          Dans les nouvelles cotisations qu'il a établies à l'égard de l'appelante pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994, le ministre a refusé la déduction des pertes réclamées.

8.          En établissant ces nouvelles cotisations à l'égard de l'appelante, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

a)          conformément aux feuillets T4 délivrés à l'appelante, celle-ci a déclaré les revenus d'emploi suivants :

                        pour l'année d'imposition 1992 :            59 910 $

                        pour l'année d'imposition 1993 :            67 311 $

                        pour l'année d'imposition 1994 :            79 320 $

b)          de 1992 à 1994, l'appelante a déclaré, au titre de la location de sa résidence principale (ci-après appelée « la résidence » ), les pertes suivantes :

            Année               Revenu                          Revenu net

            d'imposition       brut                   Dépenses          (perte nette)____

            1992                  néant                           2 392 $                   (2 392 $)

            1993                        3 000 $               13 540 $                 (10 540 $)

            1994                        6 000 $               13 125 $                   (7 125 $)

c)          la résidence consistait en une unité condominiale de trois chambres à coucher;

d)          à compter du mois de juillet 1993, l'appelante a loué une chambre à son amie, Anne Weremi, à un coût de 500 $ par mois, et toutes deux se partageaient l'utilisation des autres pièces de la résidence; l'appelante utilisait la chambre principale, et la troisième chambre à coucher était inoccupée;

e)          Anne Weremi a été locataire pendant sept mois en 1993 et pendant 12 mois en 1994;

f)           l'appelante n'a pas eu d'autres locataires pendant la période pertinente au présent appel;

g)          la résidence était située à l'adresse suivante :

                        4605, promenade Donegal, Unité 6

                        Mississauga (Ontario)

                        L5M 4X7

h)          la résidence a été achetée en octobre 1992 et a été vendue en 1995;

i)           l'appelante a acheté la résidence au prix de 186 000 $ et a obtenu un prêt hypothécaire de premier rang de 161 262 $;

j)           les dépenses que l'appelante a réclamées en 1992 et jusqu'au 30 juin 1993 ont été engagées avant la location de la résidence;

k)          l'appelante a ventilé les dépenses de ménage (impôts fonciers, frais d'entretien et de réparations, intérêts, assurances, services publics, charges de copropriété, câblodiffusion, téléphone, etc.) de la façon suivante :

                        charges locatives                        67 %

                        dépenses personnelles                33 %

l)           au cours de la période pertinente au présent appel, l'appelante n'a jamais fait passer d'annonce en vue de louer sa résidence, ni réclamé de frais de publicité;

m)         l'appelante ne pouvait raisonnablement s'attendre à tirer un profit de la location de sa résidence à un loyer de 500 $ par mois. Cependant, cette somme lui a permis, de façon minimale, de payer notamment le téléphone, les services publics, les charges de copropriété, les intérêts et les frais d'entretien et de réparations (les détails figurent aux annexes 1, 2 et 3 ci­­-jointes);

n)          même si la Cour devait conclure qu'elles ont été engagées en vue de tirer ou de générer un profit d'une entreprise ou d'un bien, les dépenses réclamées relativement à l'achat d'un gril au gaz, de meubles et d'un ouvre-porte de garage ont un caractère de capital et ne sont donc pas déductibles à titre de dépenses courantes;

o)          les frais d'entretien et de réparations que l'appelante a réclamés en 1993, soit 515,09 $, n'ont pas été justifiés;

p)          la location d'une partie de la résidence de l'appelante n'a à aucun moment de la période pertinente au présent appel constitué une source de revenu;

q)          l'appelante n'a tiré aucun profit de la location d'une partie de sa résidence ni n'avait d'attente raisonnable d'en tirer un profit pendant les années d'imposition 1992, 1993 et 1994;

r)           les dépenses réclamées au titre de la location d'une partie de sa résidence consistaient en des frais personnels ou des frais de subsistance de l'appelante et n'ont donc pas été engagées en vue de tirer ou de générer un profit d'une entreprise ou d'un bien;

s)          subsidiairement, si la Cour conclut que les dépenses en question ont été engagées en vue de tirer ou de générer un revenu, ces dépenses et la répartition des dépenses de ménage à laquelle a procédé l'appelante entre les dépenses personnelles et les charges locatives n'étaient pas raisonnables dans les circonstances.

B.          QUESTIONS À TRANCHER

9.          Les questions à trancher sont celles de savoir si, d'une part, l'appelante avait une attente raisonnable de tirer un profit de la location d'une partie de sa résidence pendant les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 et si, d'autre part, le ministre était justifié de refuser les charges locatives réclamées.

ANNEXE 1

MICHELLE BRENTON

ÉTAT DES REVENUS ET DÉPENSES

du 15 octobre au 31 décembre 1992

Revenu de location brut                                                                         0

moins les dépenses :      

Impôts fonciers                              333,13 $

Entretien et réparations                  961,43 $

Intérêts                                                       574,60 $

Assurance                                                   10,13 $

Électricité, chauffage, eau                          300,17 $

Charges de copropriété                         1 217,54 $

Total des dépenses réclamées                                                    2 392,79 $

Pertes nettes réclamées                                                  (2 392,79 $)

Remarques        1.          L'appelante n'a eu aucun locataire avant           juillet 1993.

                        2.          La cliente a réclamé les deux tiers des dépenses du ménage à titre de charges locatives, et ce, de la date d'achat de la résidence jusqu'au 31 décembre 1992.


ANNEXE 2

MICHELLE BRENTON

ÉTAT DES REVENUS ET DÉPENSES - 1993

Revenu de location brut (500 $ x 6 mois)                                         3 000 $

moins les dépenses engagées pour une période de 12 mois :

Impôts fonciers                                                 1 634,80 $

Entretien et réparations                                     2 025,61 $

Intérêts                                                             7 118,00 $

Électricité, chauffage, eau                         968,70 $

Téléphone                                               389,41 $

Câblodiffusion                                         186,85 $

Charges de copropriété                                    1 217,54 $

Total des dépenses réclamées                                                               13 540,91 $

Pertes nettes réclamées                                                                       (10 540,91 $)

Remarques        1. L'appelante n'a eu aucun locataire avant juillet 1993.

                        2. L'appelante a réclamé les deux tiers des dépenses du ménage à titre de charges locatives, et ce, pour toute l'année.

ANNEXE 3

MICHELLE BRENTON

ÉTAT DES REVENUS ET DÉPENSES - 1994

Revenu de location brut (500 $ x 12 mois)                                 6 000 $

moins les dépenses engagées pour une période de 12 mois :

Impôts fonciers                                               1 661,06 $

Entretien et réparations                                   1 054,15 $

Intérêts                                                           7 621,32 $

Téléphone                                             349,09 $

Câblodiffusion                                       217,84 $

Électricité, chauffage et eau                             1 008,30 $

Charges de copropriété                                  1 213,78 $

Total des dépenses réclamées                                                          13 125,55 $

Pertes nettes réclamées                                                                    ( 7 125,55 $)

Remarque :      L'appelante a réclamé les deux tiers des dépenses du ménage à titre de charges locatives.

[4]      Les annexes 1, 2 et 3 indiquent les déductions de pertes locatives réclamées par l'appelante dans le calcul de son revenu. Les pièces R-1, R-2 et R-3 consistent en des états des loyers de biens immobiliers que l'appelante a inclus dans ses déclarations de revenus des années en cause. Ils indiquent que, en 1992, les dépenses totales s'élevaient à 500 $ et le montant attribué aux dépenses personnelles, à 167 $. Pour l'année 1993, ces chiffres s'élèvent à 2 451 $ et à 816 $ respectivement et, pour l'année 1994, à 11 426 $ et à 3 805 $ respectivement. Si l'on convertit ces chiffres en pourcentage, cela signifie que, pour chaque année en cause, le montant attribué aux dépenses personnelles correspond à 33,3 p. 100 des dépenses totales, et celui attribué aux charges locatives, à 66,7 p. 100. Au cours de l'audience, l'appelante a admis sans hésiter qu'une répartition moitié-moitié de ces dépenses aurait été plus raisonnable.

[5]      L'appelante s'est appuyée sur l'arrêt Tonn c. La Reine, [1996] 2 C.F. 73 (96 DTC 6001), une décision de la Cour d'appel fédérale. La question en litige dans cette affaire était également la déductibilité de pertes locatives. Cet arrêt visait à expliquer la signification et l'intention véritables des motifs du jugement du juge Dickson (tel était alors son titre,) qui s'exprimait au nom de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 (77 DTC 5213). Je ferai remarquer, en passant, que l'arrêt canadien le plus fréquemment cité en matière d'impôt sur le revenu est, de loin, l'arrêt Moldowan. Pour que des pertes, qu'elles se rapportent à un bien ou à une entreprise, puissent être déductibles, il doit y avoir une source de revenu. Dans l'arrêt Moldowan, le juge Dickson déclarait ceci à la page 5215 : « Il y a d'abord eu controverse, mais il est maintenant admis que pour avoir une « source » de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit » . Plus loin, à la même page, il ajoute : « À mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. »

[6]      Dans l'arrêt Tonn, le juge Linden, qui a rendu le jugement de la Cour, déclarait (DTC : à la page 6009) :

    À mon avis, lorsque le Ministère désire contester le caractère raisonnable des transactions d'un contribuable, il peut tout simplement, dans la plupart des cas, invoquer l'article 67, qui énonce qu'une dépense peut être déduite uniquement dans la mesure où elle est raisonnable dans les circonstances. Il n'est pas tenu d'appliquer le critère plus rigide de l'arrêt Moldowan.

Il ajoutait (DTC : à la page 6012) :

L'application du critère de l'arrêt Moldowan principalement comme critère objectif vise donc à empêcher les réductions d'impôt illégitimes; le critère ne doit pas servir d'instrument permettant de faire des conjectures sur l'appréciation commerciale des contribuables.

À la page 104 (DTC : à la page 6013), il ajoutait ceci :

[...] je, par ailleurs, reconnais que le critère de l'arrêt Moldowan devrait être appliqué avec modération lorsque l' « appréciation commerciale » du contribuable est concernée, qu'aucun élément personnel n'a été établi et que le montant des déductions réclamées n'est pas contestable à première vue. Cependant, lorsque les circonstances donnent à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait ou que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute, le contribuable devra prouver objectivement que l'activité constituait effectivement une entreprise. Par conséquent, des circonstances douteuses appelleront plus souvent un examen plus approfondi comparativement à celles qui ne soulèvent aucun doute.

À mon avis, le fait que l'appelante a habité la propriété louée et qu'elle a partagé les lieux avec une locataire introduit un « élément personnel » dans la présente affaire. De même, les premiers locataires que l'appelante a choisies étaient sa soeur et une amie qu'elle connaissait depuis deux ans, soit Anne Weremi.

[7]      Dans l'arrêt Brill et al. v. The Queen, 96 DTC 6572, le juge Linden déclarait à la page 6578 :

[traduction]

Lorsqu'on applique l'arrêt Moldowan, on ne se demande pas si un profit est réalisé, mais s'il peut raisonnablement être réalisé. Dans la mesure où il existe une possibilité raisonnable que l'entreprise réalise un profit au cours de l'année ou dans un avenir rapproché, les intérêts sont déductibles, peu importe qu'un profit soit effectivement réalisé ou non au cours d'une année d'imposition donnée. C'est la leçon qu'il faut tirer de l'arrêt Tonn, qui a simplement reformulé et clarifié l'application du principe posé dans l'affaire Moldowan. Par conséquent, lorsqu'il est impossible, comme en l'espèce, qu'un profit soit réalisé au cours de l'année ou dans un avenir rapproché, aucune déduction ne peut être permise (du moins, tant que l'affaire Moldowan régira les situations de ce type).

[8]      L'arrêt Procureur général du Canada c. Mastri est une autre décision de la Cour d'appel fédérale portant sur les pertes locatives (97 DTC 5421). Dans cette affaire, l'avocat du ministre a adopté la position selon laquelle l'arrêt Tonn était erroné et a exhorté la Cour, qui n'était pas composée des mêmes juges que dans cette affaire, à [TRADUCTION] « infirmer » la décision précédente ou [TRADUCTION] « à tout le moins à « clarifier » ce qui a été décidé dans l'arrêt Tonn » . Je dois dire en passant que je trouve étrange que le procureur général n'ait pas demandé l'autorisation d'interjeter appel du jugement Tonn devant la Cour suprême du Canada alors qu'il en était encore temps. De toute façon, l'invitation à infirmer la décision a été refusée. Cependant, le juge Robertson, qui a rendu le jugement de la Cour, a reconnu qu'il régnait une certaine confusion pour ce qui est de savoir ce qui avait en fait été décidé dans l'arrêt Tonn. À la page 5243, il déclarait ceci à propos de ce jugement :

[...] Il n'est tout simplement pas raisonnable d'affirmer que la Cour avait l'intention d'établir une règle de droit selon laquelle, même s'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit, les pertes sont déductibles d'autres sources de revenu à moins, par exemple, que l'activité productrice de revenu comporte un élément personnel. La mention que le critère de l'arrêt Moldowan devrait être appliqué « avec modération » n'est pas destinée à devenir une règle de droit, mais à être une ligne directrice fondée sur le bon sens pour les juges de la Cour de l'impôt. En d'autres termes, l'expression « avec modération » visait à expliquer que dans certains cas, par exemple, où il n'y a aucun élément personnel, le juge devrait appliquer le critère de l'attente raisonnable de profit de façon moins assidue qu'il ne l'aurait fait en présence d'un tel facteur. C'est dans ce sens que la Cour dans l'arrêt Tonn a fait une mise en garde en ce qui concerne l'appréciation rétrospective des décisions commerciales des contribuables.

Par ailleurs, un peu plus loin à la même page, il poursuivait en ces termes :

Bref, la décision de la Cour dans l'arrêt Tonn n'a pas pour but de modifier le droit établi dans l'arrêt Moldowan. L'arrêt Tonn confirme simplement l'interprétation fondée sur le bon sens selon laquelle ce n'est pas aux tribunaux de faire une appréciation rétrospective de la perspicacité commerciale d'un contribuable dont l'entreprise se révèle moins rentable que prévue.

[9]      Je reviens maintenant au lien entre le revenu locatif et les dépenses attribuées à la location, laquelle a entraîné les pertes que l'appelante a cherché à déduire. En 1992, l'appelante n'a déclaré aucun revenu, et les dépenses s'élevaient à 2 393 $. Pour l'année d'imposition 1993, les chiffres s'élèvent à 3 000 $ et à 13 541 $ respectivement. Enfin, pour l'année d'imposition 1994, ils correspondent à 6 000 $ et à 13 126 $. Cela signifie que, pour les années au cours desquelles l'appelante a tiré un revenu locatif, les chiffres correspondaient respectivement à 22 p. 100 et à 46 p. 100 des charges locatives pour ces années. En 1993, le revenu ne représentait que 42 p. 100 de l'intérêt hypothécaire à lui seul. Pour l'année d'imposition 1994, ce pourcentage était de 83 p. 100. Ainsi, même si l'appelante a tiré un revenu locatif chaque mois de l'année 1994, ce revenu était insuffisant ne serait-ce que pour payer les intérêts.

[10]     Tenant compte de la jurisprudence citée et de ses liens avec l'ensemble de la preuve, je suis d'avis que l'appelante n'avait aucune attente raisonnable de tirer un profit de ses activités de location, telles qu'elles étaient dirigées en 1992, 1993 et 1994, et qu'elle n'en aurait pas eu davantage dans un avenir rapproché si elle avait continué ce type d'activités.

[11]     Au cours de son témoignage, l'appelante a, à deux ou trois reprises, fait mention des frais de démarrage, lesquels se rapportent à une période de démarrage que l'on a décrit comme [TRADUCTION] « un délai de grâce accordé aux nouvelles activités » . Toutefois, une telle période n'aurait commencé que lorsque les activités de location de l'appelante auraient été structurées, organisées et financées de manière à ce que l'on puisse conclure qu'elles pouvaient raisonnablement lui permettre de tirer un profit au moment opportun. À cet égard, je fais référence à la décision qu'a récemment rendue la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Patricia Watt par son exécuteur testamentaire Donald Watt c. La Reine, C.A.F., no A-332-95, 24 septembre 1997 (97 DTC 5459).

[12]     Compte tenu de ce que j'ai dit ce matin en l'espèce, les présents appels ne peuvent être admis. Par conséquent, un jugement rejetant ces appels sera rendu.

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de février 2003.

Philippe Ducharme, réviseur

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