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[TRADUCTION Française officielle]

96-4628(IT)I

ENTRE :

MAITLAND THOMPSON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 3 septembre 1998 à St. Catharines (Ontario) par

l'honorable juge Terrence P. O'Connor

Comparutions

Pour l'appelant :                                   l'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                            Me Kevin Dias

JUGEMENT

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994 sont admis et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de septembre 1998.

« T. P. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour d'avril 2003.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION Française officielle]

Date: 19980921

Dossier: 96-4628(IT)I

ENTRE :

MAITLAND THOMPSON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1]      Ces appels ont été entendus à St. Catharines (Ontario) le 3 septembre 1998, sous le régime de la procédure informelle de notre cour.

[2]      Les principaux faits et les questions à trancher sont récapitulés dans les allégations suivantes, exposées dans la réponse à l'avis d'appel :

                   [TRADUCTION]

2.          Dans le calcul de son revenu des années d'imposition 1991, 1992 et 1993, l'appelant a inscrit des pertes agricoles restreintes se chiffrant à 8 747 $, 8 748 $ et 8 747 $, respectivement; pour l'année d'imposition 1994, il a déclaré un revenu agricole net de 18 743 $, et il a porté en réduction de ce montant des pertes autres qu'en capital reportées prospectivement, plus précisément des pertes agricoles d'années antérieures, s'élevant elles aussi à 18 743 $.

3.          Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a établi à l'égard de l'appelant des cotisations visant les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994 en se fondant sur les déclarations telles qu'elles avaient été produites, par voie d'avis de cotisation datant respectivement du 15 juillet 1992, du 24 juin 1993, du 9 juin 1994 et du 22 juin 1995.

4.          Le ministre a établi de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelant pour chacune des années en cause; relativement aux déclarations de revenu des années 1991, 1992 et 1993, il a transmis des avis de nouvelles cotisations simultanés datés du 23 mai 1995, et un autre avis daté du 4 mars 1996 pour ce qui est de la déclaration de revenu de 1994.

5.          Dans les nouvelles cotisations qu'il a établies à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993, le ministre a rejeté les montants réclamés à titre de pertes agricoles restreintes [...]

6.          Pour établir ces nouvelles cotisations, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

a)          l'appelant était un employé d'Allstate du Canada, Compagnie d'Assurance, et il a déclaré au titre de cet emploi un revenu de 83 366 $, 77 821 $, 91 413 $ et 84 584 $ pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994, respectivement;

b)          depuis l'année d'imposition 1988, l'appelant a déclaré les pertes agricoles suivantes :

ANNÉE

PERTE AGRICOLE

TOTALE

PERTE RESTREINTE

PERTE AGRICOLE DÉCLARÉE

1988

13 327 $

8 327 $

5 000 $

1989

15 545 $

6 795 $

8 750 $

1990

15 280 $

6 530 $

8 750 $

1991

14 995 $

6 248 $

8 747 $

1992

14 997 $

6 249 $

8 748 $

1993

14 993 $

6 247 $

8 746 $

[...]

e)          pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994, l'appelant a déclaré un revenu agricole brut de 2 675 $, 1 181 $, 4 375 $ et 6 037    $, respectivement;

[...]

j)           l'appelant ne pouvait reporter à l'année d'imposition 1994 aucune perte agricole;

[3]      Précisons encore ce qui suit : les pertes agricoles restreintes se rapportent à l'élevage, à l'entraînement et à la course de chevaux standardbreds. L'appelant s'est toujours intéressé aux chevaux. Durant les années visées par les appels, il détenait un permis d'entraîneur. De plus, il a également eu un permis de jockey jusqu'en 1993. Il était membre de la Canadian Trotting Association et de la Société canadienne du cheval standardbred; il semble qu'il ait été membre de la première afin de pouvoir posséder et entraîner des chevaux et de la seconde, afin d'en faire l'élevage.

[4]      En 1982, l'appelant et sa famille ont élu domicile sur une ferme de 20 acres appartenant à ce dernier, située à une dizaine de milles de St. Catharines, ville où il effectuait son travail d'agent d'assurance. Il y a sur la ferme une écurie dotée de quatre stalles.

[5]      Né en 1936, l'appelant avait donc 52 ans en 1988. Au cours de son témoignage, il a dit avoir craint que le gouvernement de l'Ontario s'accapare le marché de l'assurance automobile, ce qui l'aurait peut-être forcé à prendre une retraite anticipée comme agent d'assurance. Il voulait donc disposer d'une autre source de revenus et il a pensé que l'élevage et les courses de chevaux standardbreds pourraient constituer la solution.

[6]      Il a commencé ses activités d'élevage en 1988 en faisant l'acquisition de deux juments de trois ans. Il les a fait saillir par un étalon local en contrepartie de frais relativement peu élevés (de 300 $ à 400 $). Il a choisi l'étalon en question parce qu'il aimait son pedigree. En 1988, il a préparé un plan étalé sur six ans en vue de franchir le seuil de rentabilité en 1994. Il a mentionné comme facteurs expliquant un délai aussi long le temps qui devait s'écouler entre la saillie des juments et le moment où les poulains pourraient commencer à participer à des courses, le risque que les poulains ne soient pas en parfaite santé, le risque de blessure et l'incertitude - propre à ce genre d'élevage - quant à savoir si les juments seront gravides après la saillie. Les deux premières juments ont eu des poulains, mais ces derniers n'étaient pas conformes, et les juments ont été vendues, l'une en 1990 et l'autre en 1991. En 1989, l'appelant a acquis une autre jument, Oprah, qu'il a payée 2 000 $. Selon l'appelant, cette jument avait un excellent pedigree, mais elle ne pouvait participer à des courses en raison d'un problème à une patte. Oprah a eu un poulain en 1991, et un autre en 1994. L'appelant a également possédé ou loué d'autres chevaux de peu de valeur à l'occasion. Certains ont été qualifiés de « chanceys » , ce qui désigne essentiellement des chevaux n'ayant pas fait leurs preuves comme chevaux de course. S'il avait besoin de ce genre de chevaux, c'était d'abord pour s'assurer que son permis d'entraîneur demeure en vigueur. Ce sont ces chevaux qui ont rapporté les bourses modestes au cours des années en question, car l'appelant n'a jamais fait courir l'un de ses poulains.

[7]      L'appelant ne disposait pas d'installations d'entraînement sur sa ferme, et il devait donc se rendre à un centre d'entraînement.

[8]      En ce qui concerne le temps qu'il consacrait à ses activités, l'appelant a témoigné qu'il n'était tenu de travailler que 16 heures par semaine comme agent d'assurance, mais qu'il y consacrait dans les faits de 30 à 40 heures. Il devait s'occuper des chevaux de 50 à 60 heures par semaine; l'appelant pouvait compter à cet égard sur l'aide de son fils, de sa fille et de son gendre.

[9]      Sur le plan financier, l'appelant a pu obtenir une ligne de crédit de 50 000 $ auprès d'une banque locale. Il a utilisé cette ligne de crédit aux fins de ses activités d'élevage et de dressage de chevaux standardbreds.

[10]     L'appelant s'en remettait en grande partie aux conseils de l'important cabinet comptable avec lequel il faisait affaire pour ce qui est de la préparation de ses déclarations de revenu et de la déduction des pertes agricoles restreintes. Suivant les conseils de ce cabinet, il est passé de la méthode de comptabilité de caisse à la méthode de comptabilité d'exercice.

[11]     Au cours des années 1991 à 1994, l'appelant a réduit ses pertes réelles en tenant compte de la valeur des stocks dans le calcul de son revenu net. En 1994, la valeur de ses stocks était importante, s'établissant à 48 193,34 $. C'est essentiellement à cela qu'est attribuable le revenu agricole de 18 743 $ obtenu en 1994, l'appelant portant en réduction de ce revenu des pertes agricoles inutilisées d'années antérieures s'élevant au même montant. L'appelant a indiqué que cette valeur attribuée aux stocks était raisonnable, surtout lorsque l'on tenait compte de la valeur d'Oprah et de son poulain né en 1994. Aucune évaluation n'a été produite. Le poulain en question, âgé de quatre ans en 1998, n'a toujours pas participé à une course.

[12]     L'appelant n'avait aucun plan d'activités sur papier, mais il avait élaboré mentalement le plan étalé sur six ans mentionné précédemment.

Thèse de l'appelant

[13]     L'appelant fait valoir qu'il a le droit de déduire les pertes agricoles restreintes et que son activité agricole n'est pas un simple passe-temps, étant donné qu'il est propriétaire de la ferme, qu'il y a investi beaucoup de ressources et que sa famille et lui y ont consacré beaucoup de temps, sans oublier sa connaissance des chevaux et l'intérêt qu'il leur porte. Il reconnaît que son sommaire des résultats n'a pas été très impressionnant au fil des ans, mais il explique cette situation par le risque élevé associé aux activités d'élevage et de course de chevaux standardbreds, ajoutant qu'il suffit d'un seul cheval de course de qualité pour renverser complètement la situation.

Thèse de l'intimée

[14]     L'avocat de l'intimée soutient que l'appelant n'avait pas préparé de plan et que l'entreprise qu'il exploitait n'avait aucune attente raisonnable de profit. Il mentionne le critère énoncé dans l'arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 (77 DTC 5213), et conclut que l'appelant appartient à la troisième catégorie d'agriculteurs, c'est-à-dire une personne pour qui l'agriculture est un simple passe-temps et qui n'a pas d'attente réelle de profit. Au sujet de la valeur des chevaux en 1994, l'avocat de l'intimée fait valoir qu'aucune évaluation n'a été faite et qu'on ne peut se contenter d'accepter le montant élevé fixé par l'appelant et ses comptables au titre de la valeur des stocks.

Analyse

[15]     L'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) restreint les pertes agricoles à un montant calculé selon une formule lorsque le revenu d'un contribuable, pour une année d'imposition, ne provient principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source. En outre, il est bien précisé au paragraphe 248(1) de la Loi que l' « agriculture » s'entend notamment de « l'élevage [...] d'animaux de ferme » et de « l'entretien de chevaux de course » . Les tribunaux se penchent depuis des années sur l'application de l'article 31, et il est bien certain que chaque affaire doit être jugée selon les faits en cause. Les activités agricoles peuvent être classées en trois catégories, définies par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Moldowan. Voici ce qu'a déclaré le juge Dixon aux pages 487 et 488 page (DTC : à la page 5216) :

À mon avis, la Loi de l'impôt sur le revenu envisage dans son ensemble trois catégories d'agriculteur :

(1) le contribuable qui peut raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture la plus grande partie de son revenu ou à ce que ce soit le centre de son travail habituel. Ce contribuable, dont l'agriculture est le gagne-pain, est exempté de la limite imposée par le par. 13(1) pour les années où il subit des pertes provenant de son exploitation agricole;

(2) le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain mais pour qui l'exploitation d'une ferme est une entreprise secondaire. Ce contribuable a droit aux déductions prévues au par. 13(1) au titre des pertes provenant d'une exploitation agricole;

(3) le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain et qui poursuit une activité agricole comme passe-temps. Les pertes de ce contribuable provenant de son exploitation agricole qui ne constitue pas une entreprise, ne sont pas déductibles.

[16]     La Cour d'appel fédérale a analysé l'objet de l'article 31 dans l'affaire Sa Majesté la Reine c. Donnelly; voici ce qu'a indiqué le juge Robertson dans le jugement rendu le 15 octobre 1997 :

Il est bien établi que l'article 31 de la Loi vise à empêcher les « gentlemen-farmers » qui disposent d'un revenu considérable de déduire la totalité des pertes agricoles qu'ils subissent : voir l'arrêt Morrisey c. Canada, supra, aux pages 420 à 423. Plus souvent qu'autrement, cet arrêt est invoqué par les agriculteurs qui sont disposés à poursuivre l'exploitation de leur entreprise en demeurant ouvertement indifférents aux pertes subies. Concrètement et sur le plan juridique, ces agriculteurs sont des agriculteurs amateurs, mais le ministre leur accorde la déduction limitée prévue à l'article 31 de la Loi. Ces affaires concernent presque toujours des éleveurs de chevaux qui achètent ou élèvent des chevaux en vue de les faire courir. En vérité, ces entreprises ont rarement même une expectative raisonnable de profit, encore moins les éléments essentiels pour constituer la principale source de revenu de leur propriétaire.

[17]     Aux termes de l'article 18.28 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, les jugements rendus par notre cour sous le régime de la procédure informelle ne constituent pas des précédents jurisprudentiels. De ce fait, je ne suis nullement lié par le jugement - daté du 12 octobre 1994 - de la juge Lamarre, qui avait refusé la déduction des pertes réclamées par l'appelant en 1989 et en 1990, dans une affaire où les faits étaient similaires à ceux en l'espèce.

[18]     Selon moi, il faut tenir compte de toutes les caractéristiques d'une activité pour décider de la catégorie dans laquelle classer un agriculteur. Il faut également prendre en considération le risque associé à l'élevage de chevaux standardbreds et, ainsi que l'a indiqué l'appelant, le fait qu'un seul cheval de qualité puisse avoir une incidence énorme sur le plan de la rentabilité. Il faut en outre tenir compte des ressources affectées et du temps consacré par l'agriculteur en cause à l'activité. Dans la présente affaire, l'appelant avait sa propre ferme, jouait un rôle actif dans l'acquisition, la reproduction et la vente de chevaux, détenait des permis à titre d'entraîneur et, jusqu'en 1993, de jockey, et disposait des ressources nécessaires à l'exploitation de l'entreprise. Il résidait sur la ferme où les chevaux étaient pour l'essentiel mis dans une écurie, et sa famille et lui consacraient beaucoup de temps aux chevaux. Il s'intéresse de près aux pedigrees et choisit les étalons devant saillir ses juments. Comment peut-on dire qu'une telle personne est un « gentleman-farmer » ou qu'elle exerce une activité agricole à titre de passe-temps comme l'évoque la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Donnelly? Il participait activement à l'exploitation de la ferme. Des sommes substantielles ont été affectées à cette entreprise. Le fait que l'appelant ait subi des pertes ne prouve pas en soi qu'il s'agissait d'un simple passe-temps ni qu'il n'existait aucune attente raisonnable de profit.

[19]     Je suis convaincu que l'appelant exploitait une entreprise agricole à titre d' « entreprise secondaire » et que, conformément à ce qui est indiqué dans l'arrêt Moldowan, il a droit aux pertes agricoles restreintes dont il a fait état en 1991, 1992 et 1993. De plus, il pouvait, en vertu de l'article 111 de la Loi, reporter prospectivement à l'année 1994 la fraction inutilisée de ses pertes agricoles restreintes. Pour ce qui est du montant indiqué par l'appelant au titre de la valeur des stocks en 1994, la preuve qu'il a produite est la seule dont je dispose, et je souscris aux motifs qu'il a avancés pour expliquer la valeur élevée des stocks.

[20]     En conséquence, les appels sont admis et l'affaire est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de septembre 1998.

« T. P. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour d'avril 2003.

Philippe Ducharme, réviseur

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