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Date: 20020319

Dossier: 2000-3958-GST-I

ENTRE :

GILLES B. THIBAULT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

La juge Lamarre, C.C.I.

[1]            L'intimée a cotisé l'appelant à titre d'administrateur de la société 2863-1984 Québec Inc. (laquelle a fait faillite le 25 juin 1996) ( « société faillie » ) qui était redevable envers l'intimée d'une taxe nette, intérêts et pénalité s'élevant à 65 231,08 $ aux termes de la Loi sur la taxe d'accise ( « Loi » ) pour la période du 1er juin 1992 au 30 juin 1995.

[2]            L'intimée s'appuie sur l'article 323 de la Loi pour imputer cette dette fiscale à l'appelant, puisqu'il était administrateur de la société faillie au moment où celle-ci était tenue de verser le montant de la taxe nette au cours de cette période.

[3]            L'appelant, qui est avocat de formation, invoque pour sa défense qu'il a agi au cours de cette période avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement de la société faillie que l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[4]            Il explique qu'il a démarré son cabinet d'avocats en 1991. Au même moment, une société dont il était le seul actionnaire et administrateur, 2863-1380 Québec Inc., a acquis un immeuble, pour le sous-louer à la société faillie, laquelle agissait comme société de gestion pour le cabinet d'avocats de l'appelant. La société faillie sous-louait à son tour cet immeuble au cabinet d'avocats. Cette façon de procéder à été recommandée à l'appelant par la firme comptable, Moquin, Ménard. Je comprends du témoignage de l'appelant que ledit immeuble était occupé uniquement par son cabinet d'avocats.

[5]            L'appelant a expliqué que la société détentrice de l'immeuble n'avait aucune autre activité commerciale que celle de détenir l'immeuble. Les paiements de loyer correspondaient au montant exact de l'hypothèque. Au début, ces paiements se faisaient du cabinet d'avocats à la société faillie, qui retransférait ces sommes à la société détentrice de l'immeuble, qui à son tour effectuait les paiements d'hypothèque à la Caisse Populaire. Selon le témoignage de l'appelant, cette façon de procéder occasionnait des retards dans les paiements hypothécaires de sorte que la Caisse Populaire a accepté que ces paiements se fassent directement du cabinet d'avocats à la Caisse Populaire. Cette dernière a même fermé le compte bancaire de la société détentrice de l'immeuble.

[6]            La société faillie s'est inscrite aux fins de la taxe sur les produits et services ( « TPS » ) en 1991. Au début, l'appelant faisait affaire avec la firme comptable Moquin, Ménard pour faire sa tenue de livres. Par la suite, il a engagé son propre contrôleur au sein de son cabinet, qu'il a rémunéré au cours des années entre 30 000 $ et 60 000 $ par année. Le cabinet s'est également doté d'un système comptable informatisé recommandé par le Barreau du Québec.

[7]            Selon le témoignage de l'appelant, son cabinet d'avocats a toujours produit les déclarations de TPS et les états financiers relativement à sa pratique d'avocats au cours des années. Quant au prélèvement de la TPS sur les revenus de loyer, il a expliqué que son comptable lui avait recommandé d'exercer un choix aux termes de la Loi par lequel la société faillie renonçait aux crédits pour intrants relativement à ces loyers, et par le fait même était dispensée de prélever la TPS.

[8]            En 1995, lors d'une vérification effectuée par le ministère du Revenu du Québec ( « Revenu Québec » ), l'appelant aurait été avisé qu'il n'était pas possible d'effectuer un tel choix et que des montants de TPS auraient dû être prélevés par la société faillie sur les revenus de loyer. C'est alors que l'appelant a rencontré un représentant de Revenu Québec en présence de son comptable et de son contrôleur pour tenter de convenir des modalités de paiement de la TPS sur ces revenus de loyer.

[9]            L'appelant préconise que les montants dûs par la société faillie et pour lesquels on le tient maintenant responsable, sont ces montants de TPS qui n'ont pas été prélevés sur les montants de loyer. Il soutient que puisqu'il avait reçu un avis professionnel de ses comptables lui disant que la société faillie n'avait pas à prélever de TPS si un choix était exercé, il ne pouvait être accusé maintenant d'avoir manqué de diligence afin de prévenir le manquement.

[10]          De son côté, l'avocat de l'intimée a déposé une procuration signée par l'appelant en septembre 1995 autorisant son comptable à signer les déclarations de TPS pour la période d'avril 1992 à avril 1995. L'intimée a également déposé une copie de certaines de ces déclarations complétées au nom de la société faillie de même qu'un relevé informatique des déclarations de TPS qui auraient été alors fournies par le comptable. L'appelant soutient que ces déclarations représentent les montants de TPS qui devaient être prélevés sur les montants de loyers par la société faillie et qui ont été produites en septembre 1995 après avoir appris que le choix exercé n'était pas valide. Ceci serait confirmé selon lui par les montants fixes de revenus apparaissant sur ces déclarations de TPS puisque les revenus de loyer sont généralement fixes mensuellement, alors que le revenu d'un cabinet d'avocats est variable.

[11]          Monsieur Malo, agent de recouvrement au centre de la perception fiscale pour Revenu Québec qui a témoigné pour le compte de l'intimée, n'a pu retracer les cotisations établies à l'encontre de la société faillie. Il a dit qu'il a cotisé l'appelant à titre d'administrateur sur la base des déclarations de TPS signées par l'appelant et envoyées par l'intermédiaire de son comptable sans remise des sommes dues. Il ne pouvait dire si les montants cotisés à l'encontre de la société faillie et pour lesquels on tenait l'appelant responsable provenaient des montants de TPS non perçus sur les revenus de loyer ou sur les revenus du cabinet d'avocats.

[12]          L'intimée a produit une Réponse modifiée à l'avis d'appel le jour avant l'audition. Dans cette Réponse modifiée, l'intimée invoque comme nouvel allégué que la société faillie a produit au ministre du Revenu national ( « Ministre » ) ses déclarations trimestrielles pour les périodes du 1er juillet 1991 au 30 juin 1995 en septembre 1995, soit à l'extérieur du délai prescrit. L'appelant n'accepte pas cette prétention et soutient que des déclarations avaient été produites dans le passé et que les déclarations de TPS produites en septembre 1995 sont celles qui ont trait aux revenus de loyer. Vu que ce nouvel allégué apporté dans la Réponse modifiée est contesté, et que la Réponse modifiée a été déposée après la date de clôture des plaidoiries, j'ai accepté le dépôt de la Réponse modifiée en imposant à l'intimée le fardeau de prouver les nouveaux allégués. Or, monsieur Malo n'a pu retracer quoi que ce soit dans son dossier. Il n'a pu retracer aucune des cotisations établies à l'encontre de la société faillie pas plus que des déclarations antérieures de TPS de la société faillie.

[13]          Le vérificateur au dossier qui a établi les cotisations à l'encontre de la société faillie n'était pas présent à l'audition. Aucune explication n'a été donnée sur son absence en Cour. Vu les prétentions de l'appelant, à savoir que des déclarations ont été produites dans le passé, il revenait à l'intimée d'établir que ce n'était pas le cas. A mon avis, l'intimée n'a pas réussi à faire cette preuve. Bien que monsieur Malo n'ait pas retracé de telles déclarations dans son dossier, il n'a pas retracé non plus les cotisations établies à l'encontre de la société faillie. De toute évidence, il n'avait pas en sa possession le dossier de la société faillie. À mon avis, l'intimée n'a pas réussi, par sa preuve, à attaquer la crédibilité du témoignage de l'appelant. Ce dernier soutient qu'il a engagé un contrôleur tout au cours des années 1991 à 1995 et qu'il n'avait pas raison de douter que ce dernier n'effectuait pas les remises de TPS sur les revenus provenant du cabinet d'avocats. Par ailleurs, il explique que les remises de TPS n'ont pas été faites sur les loyers, par suite des avis professionnels donnés par son comptable. Je suis du même avis que l'appelant qu'il est difficile de soutenir que ce dernier a manqué de diligence pour prévenir le manquement alors que son conseiller professionnel avait soutenu à tort ou à raison, qu'aucune taxe n'était payable sur les loyers, par suite de l'exercice d'un choix aux termes de la Loi.

[14]          Il s'agit d'un cas, à mon avis, où l'administrateur de la société faillie a possiblement été induit en erreur (si erreur il y avait sur la possibilité d'exercer un choix ou non aux termes de la Loi, ce dont je n'ai pas à décider ici) par son conseiller professionnel et pour lequel on ne peut le tenir responsable. Tel que le disait le juge Robertson dans Soper c. La Reine, [1998] 1 C.F. 124; [1997] A.C.F. 881 au paragraphe 53, l'obligation expresse d'agir prend naissance lorsqu'un administrateur obtient des renseignements ou prend conscience de faits qui pourraient l'amener à conclure que les versements posent problème. Bien que cette remarque ait été faite dans le contexte où l'on discutait de la responsabilité d'un administrateur externe, je crois qu'elle s'applique également dans le cas où l'on ne pouvait s'attendre raisonnablement d'un administrateur interne qu'il puisse douter de l'avis possiblement erroné donné par son conseiller professionnel.

[15]          Par ailleurs, il se peut que les cotisations établies à l'encontre de la société faillie ne touchaient pas uniquement les montants de loyer, mais la preuve au dossier ne me permet pas de déterminer s'il en est autrement.

[16]          Dans ces circonstances, je suis d'avis d'accepter la défense de diligence raisonnable présentée par l'appelant en vertu du paragraphe 323(4) de la Loi et d'accueillir l'appel avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mars 2002.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :                        2000-3958(GST)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 Gilles B. Thibault et Sa Majesté La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    le 5 mars 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         l'honorable juge Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :                                      le 19 mars 2002

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                                    L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                                             Me Benoît Denis

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant(e) :

                                Nom :                                      

                                Étude :                                    

                                                                                               

Pour l'intimé(e) :                                                    Morris Rosenberg

                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Ottawa, Canada

2000-3958(GST)I

ENTRE :

GILLES B. THIBAULT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 5 mars 2002 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions

Pour l'appelant :                                L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                            Me Benoît Denis

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, pour la période du 1er juin 1992 au 30 juin 1995, dont l'avis est daté du 10 juin 1998 et portant le numéro PM-98-0115 est admis avec dépens et ladite cotisation est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mars 2002.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

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