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Date: 20021204

Dossier: 2002-199-GST-I

ENTRE :

LUC BERGERON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel relatif à une cotisation portant le numéro 02304009, en date du 30 octobre 1998, pour la période du 1er janvier 1995 au 30 juin 1998. L'appel concerne la cotisation et les pénalités. La cotisation, les intérêts et les pénalités totalisent 18 405,17 $.

Faits

[2]            Ingénieur de formation et homme d'affaires avisé, l'appelant connaissait bien la gestion, l'administration et le secteur construction pour y avoir oeuvré durant plusieurs années.

[3]            À la fin de 1994, propriétaire d'un grand terrain, il décide d'y construire trois immeubles, soit deux de six (6) logements et un troisième, de deux (2) logements. Les immeubles de six (6) logements étaient respectivement situés au 62, rue Larivière et au 4, rue Aqueduc à Victoriaville et le troisième portait le numéro 60, de la même rue Larivière.

[4]            Connaissant bien les règles relatives à l'autocotisation en matière commerciale, l'appelant a cependant indiqué qu'il ignorait être assujetti à de telles règles s'il construisait des immeubles pour lui-même.

[5]            L'appelant a alors vérifié auprès de son beau-frère, Guy Samson, à l'emploi de Revenu Québec. Ce dernier lui aurait affirmé qu'il n'avait pas à s'autocotiser pour une construction d'immeubles dont il serait lui-même propriétaire.

[6]            Sceptique quant aux informations obtenues, il a vérifié auprès de son comptable; ce dernier lui a donné des indications contraires à savoir que l'obligation d'autocotisation lui était bel et bien opposable. Il s'est donc à nouveau référé à son beau-frère qui lui a re-confirmé qu'il n'avait pas à s'autocotiser.

[7]            À l'appui de ses prétentions, l'appelant a produit une déclaration signée de Guy Samson. La déclaration se lit comme suit : (pièce A-5)

2002-09-16

Je soussigné Guy Samson déclare avoir renseigné mon beau-frère Luc Bergeron sur certains aspects de la loi. Ceci a été effectué de bonne foi puisqu'il sait que je suis à l'emploi du ministère du Revenu. Je lui avais mentionné que lorsqu'une personne qui se construit un immeuble n'était pas inscrite, elle payait ses taxes et elle n'avait aucune autre intervention à effectuer. Ceci fût une erreur de ma part puisque la loi prévoie des modalités spéciales pour les autoconstructeur (autocotisation).

Guy Samson

[8]            Suite à l'émission de la cotisation, l'appelant a exprimé son opposition.

[9]            Faute de pouvoir rassembler toutes les pièces justificatives, informations et données à l'appui de ses prétentions dans le délai prescrit, il a demandé un délai additionnel; sa demande fut refusée. L'audition constitue, à certains égards, la première occasion pour l'appelant de faire valoir ses prétentions.

[10]          Dans un premier temps, il y a lieu de déterminer la juste valeur marchande des immeubles assujettis à la taxe sur les produits et services (la « TPS » ). L'appelant a soutenu que les deux (2) immeubles à six (6) logements situés au 62, rue Larivière et au 4, rue Aqueduc à Victoriaville avaient chacun une valeur respective de 212 000 $; et le troisième au 60, de la même rue Larivière une valeur de 101 500 $.

[11]          Pour soutenir ses prétentions, l'appelant et René Bacon, évaluateur dont il a requis les services, ont expliqué sommairement le cheminement suivi. Ils ont très peu justifié leurs conclusions quant à la valeur attribuée aux immeubles assujettis à la TPS. Ils ont pris pour acquis que leurs conclusions devaient être retenues. Ils ont contesté le bien-fondé des évaluations retenues par l'intimée au lieu et place de démontrer la justesse de leur propre évaluation.

[12]          L'appelant a essentiellement soumis que la juste valeur marchande retenue par l'intimée n'était pas adéquate. À l'étape de l'opposition, l'intimée a fait intervenir madame Francyne Bélanger, évaluatrice, aux fins qu'elle analyse les prétentions de l'appelant quant à la juste valeur marchande des immeubles litigieux. Cette dernière n'a préparé ni soumis d'évaluation détaillée. Elle a critiqué les évaluations de l'appelant en s'appuyant, pour ce faire, sur le prix qu'il a lui-même obtenu sur un des immeubles lors d'une vente dans les mois suivants la fin des travaux; selon elle, il s'agissait d'une donnée fiable et incontournable.

[13]          Madame Bélanger n'a pas fait préparer de dossier étoffé dans le cadre de l'évaluation des immeubles litigieux; elle a essentiellement analysé et critiqué le travail exécuté par René Bacon, tout en vérifiant certaines données. De cet exercice, elle a tiré des conclusions; elle a pris pour acquis qu'une partie du travail effectué par René Bacon était conforme; elle a émis et justifié des réserves quant à d'autres aspects pour soutenir une J.V.M. supérieure à celle de l'appelant.

[14]          Le calcul de la TPS sur un immeuble neuf assujetti devrait normalement constituer un exercice relativement simple, le coût de construction constituant en principe la base des calculs. Cette approche est d'autant plus acceptable que les tribunaux ont, à plusieurs reprises, affirmé que les coûts de construction constituaient une référence fiable pour le calcul de la TPS sur un immeuble neuf.

[15]          L'évaluation n'est pas une science exacte. En matière d'évaluation, les règles de l'art prévoient trois approches fort différentes, soit la méthode de la parité, la méthode dite de revenus et la méthode dite coût de remplacement.

[16]          En l'espèce, après avoir analysé la preuve et pris en considération les divers arguments des parties, je conclus que l'évaluation attribuée aux trois immeubles par l'intimée correspond à la juste valeur marchande qui devait être prise en considération pour le calcul de la TPS, soit 247 500 $ pour les immeubles situés au numéro 62, rue Larivière et au 4, rue Aqueduc et 115 000 $ pour le 60, rue Larivière et ce, principalement pour les motifs suivants :

·          Les immeubles comprenant six (6) logements, au 62, rue Larivière et au 4, rue Aqueduc à Victoriaville ont été vendus pour une considération de 247 500 $, le 22 décembre 1995.

·          L'appelant soutient que la considération obtenue était supérieure à la juste valeur marchande, la seule raison, selon lui, pour laquelle il a décidé de vendre. Il s'agit là d'une explication intéressée non soutenue par des faits objectifs. Quant à l'acheteur, pourquoi aurait-il accepté de débourser une considération supérieure à la juste valeur marchande ? L'acheteur n'a pas témoigné et rien dans la preuve ne justifie ou motive l'interprétation de l'appelant.

·          Quant aux autres arguments relatifs aux meubles contenus dans un des immeubles, aux différentes clauses ayant trait aux avantages conférés lors de la signature des premiers baux et aux autres déboursés effectués dans et pour la gestion et vente d'un condominium pris en échange, il s'agit, d'une part, de montants marginaux sans effet sur la juste valeur marchande et d'autre part, non pertinents pour la détermination de la valeur des immeubles à l'origine du présent litige.

·          Quant à l'immeuble situé au 60, rue Larivière, l'appelant a reproché à l'intimée de ne pas avoir pris en considération le montant de la transaction intervenue plus de trois ans après la fin des travaux de construction alors qu'elle y avait accordé une importance déterminante pour l'autre immeuble. Un délai de plus de trois ans entre la construction et la vente était un facteur suffisant pour disqualifier cette comparable d'autant plus qu'il s'agissait d'une période où les valeurs immobilières étaient changeantes. Tout immeuble peut prendre ou perdre une valeur considérable sur une période de quelques années et cela, pour une multitude de raisons, dont principalement la conjoncture économique.

·          Au niveau des deux premiers immeubles, la vente est intervenue dans les mois suivant la fin des travaux. Cette seule distinction discrédite l'argument de l'appelant, voulant que l'intimée ait manqué de cohérence dans son approche.

[17]          Le fardeau de preuve incombait à l'appelant; pour le relever, il ne suffisait pas de discréditer la qualité du travail de l'intimée, il devait aussi démontrer d'une manière convaincante et déterminante le bien-fondé de ses prétentions.

[18]          À cet égard, l'appelant a plutôt tenté de disqualifier le travail de l'intimée et a négligé de démontrer le bien-fondé de ses prétentions. Ses stratégies et tactiques ont totalement échoué. Non seulement l'appelant n'a pas miné la qualité des arguments de l'intimée, sa stratégie a plutôt permis à l'intimée d'étoffer et consolider la justesse des fondements de son évaluation.

[19]          À la lumière des représentations respectives des parties, je conclus que les arguments, explications et justifications soumis par la partie intimée, sont plus dignes de foi, rendant ainsi les conclusions plus probantes.

[20]          Relever un fardeau de preuve exige certes une critique du travail ayant produit le résultat avec lequel on n'est pas d'accord, mais cela exige aussi et surtout de soumettre une présentation crédible, vraisemblable et convaincante permettant au Tribunal d'y souscrire en tout ou en partie. Faute d'une telle preuve, un appelant risque de voir son appel rejeté.

[21]          En l'espèce, l'appelant a soumis une preuve à deux volets : le premier étant d'expliquer verbalement et au moyen d'un écrit les raisons de son manquement à s'autocotiser; le deuxième étant une sévère critique de la position de l'intimée face à ses prétentions quant à la juste valeur marchande.

[22]          Quant à la partie de la preuve relative à son obligation de faire valoir une défense de diligence raisonnable pour éviter l'imposition d'une pénalité, je la rejette pour les raisons suivantes :

·          L'appelant était un homme d'affaires avisé ayant tout pour obtenir les informations et renseignements pertinents. Il s'adresse d'abord à son beau-frère, qui j'en conviens, de par son emploi, pouvait laisser croire avoir la compétence requise pour le renseigner adéquatement.

·          Or, l'appelant a lui-même admis avoir manifesté un certain scepticisme puisqu'il a cru bon en parler avec son comptable, lequel lui a donné un avis contraire. À ce moment précis, l'appelant aurait dû et devait faire le nécessaire pour obtenir les véritables renseignements auprès de personnes qualifiées et ayant la compétence pour ce faire.

·          Non seulement, il n'en a rien fait, il retourne auprès de son beau-frère pour réobtenir une confirmation de sa première opinion. Il m'apparaît évident que l'opinion de son beau-frère lui simplifiait la vie.

[23]          Étant donné l'emploi de son beau-frère Samson, l'appelant s'est sans doute dit qu'advenant un problème, cela serait largement suffisant comme excuse ou explication pour s'éviter toute conséquence désagréable.

[24]          Certes, il s'agissait d'une explication ayant une certaine valeur dans un contexte ordinaire, mais, en l'espèce, il en était tout autrement; l'appelant, ingénieur de formation, oeuvrait dans le domaine de la construction depuis plusieurs années, il connaissait les règles relatives à l'autocotisation en matière commerciale et avait accès ou côtoyait de toute évidence plusieurs professionnels oeuvrant directement dans ce domaine. En outre, les règles applicables étaient en vigueur depuis déjà plusieurs années.

[25]          Dans de telles circonstances, je ne crois pas que le comportement de l'appelant puisse être qualifié de raisonnable. Il a choisi de ne rien faire pour éviter de découvrir une vérité qui lui compliquait la vie.

[26]          Quant à la juste valeur marchande des immeubles, objet de l'autocotisation, l'appelant n'a pas relevé le fardeau de preuve qui lui incombait en démontrant d'une manière prépondérante le bien-fondé de ses prétentions. Il a essentiellement critiqué et contesté le travail de l'intimée qui a profité des questions pour justifier et consolider la raisonnabilité de ses conclusions et du même coup établir que les griefs formulés étaient sans aucun fondement.

[27]          Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada ce 4e jour de décembre 2002.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        2002-199(GST)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Luc Bergeron et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Trois-Rivières (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 17 septembre 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         L'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                      le 4 décembre 2002

COMPARUTIONS :

Pour l' appelant :                                    L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                            Me Louis Cliche

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2002-199(GST)I

ENTRE :

LUC BERGERON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 17 septembre 2002 à Trois-Rivières (Québec) par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Pour l'appelant :                                                    L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                                            Me Louis Cliche

JUGEMENT

                L'appel de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 30 octobre 1998, portant le numéro 02304009, pour la période du 1er janvier 1995 au 30 juin 1998, pour un montant total incluant taxes, intérêts et pénalités de 18 405,17 $ est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de décembre 2002.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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