Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20010308

Dossier: 2000-1513-IT-I

ENTRE :

ROBERT BARBER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

(Rendus oralement à l'audience à Toronto (Ontario),

le vendredi 2 février 2001.)

Le juge Margeson, C.C.I.

[1]            La Cour rend maintenant sa décision dans l'affaire Robert Barber et Sa Majesté la Reine. La seule question à trancher est celle de savoir si l'appelant avait droit ou non au crédit d'impôt pour personnes handicapées à charge, au titre de la déficience auditive présumée de ses deux enfants, pour les années 1997 et 1998. Le crédit d'impôt avait au départ été accordé à l'appelant au titre de la déficience des deux garçons, mais on l'avait refusé par la suite. L'appelant a indiqué dans son témoignage avoir eu droit à ce crédit d'impôt pour lui-même.

[2]            La disposition pertinente est le paragraphe 118.4(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi "). Ce paragraphe contient toutes les mesures législatives sur lesquelles nous avons à nous pencher.

[3]            La Cour convient avec l'avocate de l'intimée que les critères auxquels l'appelant doit satisfaire sont rigoureux. Toutes les déficiences ne donnent pas droit au crédit d'impôt pour personnes handicapées. Les personnes qui ont un problème auditif n'ont pas toutes forcément droit à ce crédit d'impôt. Ce n'est pas là l'objet du crédit d'impôt. Aux termes de la Loi, une personne a droit au crédit d'impôt pour personnes handicapées si elle a une déficience prolongée, c'est-à-dire si elle a duré ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure au moins 12 mois consécutifs. Ce point ne fait aucun doute. On a satisfait au critère de base en l'espèce :

b) la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

[4]            L'expression " activité courante de la vie quotidienne " est définie. Dans la présente affaire, la déficience est de nature auditive. L'ouïe intervient dans différentes activités de la vie quotidienne, bien sûr, mais c'est le fait d'entendre qui est en soi le plus important ici.

[5]            La Loi énonce ce qui suit : " le fait d'entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance ".

[6]            Un certain nombre de situations ont été commentées au cours des témoignages, et la Cour doit de là décider si oui ou non les deux garçons entendent suffisamment bien dans un endroit calme pour que cela ne limite pas toujours ou presque toujours leur capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne. Voilà donc ce sur quoi la Cour doit se pencher.

[7]            Le Dr Margo Mountjoy a témoigné. Elle connaissait les deux garçons ainsi que leurs parents. Elle se spécialise en médecine familiale ainsi qu'en médecine sportive. Elle était le médecin de famille des deux garçons et de leur père, et elle connaissait les problèmes auditifs qu'ils avaient tous les trois.

[8]            Elle a indiqué que, à sa connaissance, l'état des deux garçons ne s'était aucunement amélioré. Elle examine les garçons dans son cabinet, plus précisément dans sa salle d'examen. Elle s'adresse à eux d'une voix normale. Elle doit maintenir le contact visuel avec eux. Elle a présenté le Certificat pour le crédit pour personnes handicapées, qui constitue l'onglet 2 de la pièce A-1 des documents de l'appelant. Elle a été interrogée au sujet de certaines des questions figurant dans le questionnaire. Il était fait mention à la question 5 de la capacité de lire sur les lèvres, et on avait indiqué sur le certificat que les deux garçons étaient capables de lire sur les lèvres. Elle avait précisé ce point sur le certificat au moyen d'un addendum. Une des questions figurant sur le certificat se lit comme suit :

5. Ouïe

Votre patient peut-il entendre [sans lire sur les lèvres] de manière à comprendre une conversation orale dans un environnement calme, à l'aide d'un appareil si nécessaire? (Excluez les différences entre les langues.)

[9]            Ces mots ne sont pas énoncés expressément dans la Loi; ils figurent sur le certificat. Nous ne disposons que des passages de la Loi que j'ai déjà cités. Le médecin a répondu " non " à la question et a précisé [TRADUCTION] : " Lit sur les lèvres ". Est-ce que la déficience a duré 12 mois consécutifs ou est-il raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure au moins 12 mois consécutifs? Oui. La déficience est-elle suffisamment grave pour que le patient, même à l'aide des appareils et des médicaments indiqués ou avec des soins thérapeutiques, soit toujours ou presque toujours incapable d'accomplir les activités courantes de la vie quotidienne mentionnées précédemment? Le médecin a répondu oui.

[10]          On trouve également à l'onglet 3 un certificat concernant Graham Barber, qui a été rempli par le même médecin. On y demande à la page 1 si le patient était limité de façon marquée et, dans l'affirmative, à quelle date cela avait commencé. Le médecin a inscrit une date. Elle a indiqué que la déficience du patient était permanente. À la question de savoir en quoi le patient était limité de façon marquée, elle a indiqué : l'ouïe.

[11]          Au verso du certificat, on posait la question suivante : " Votre patient peut-il entendre? " On reprenait ensuite le passage que j'ai déjà cité au paragraphe 5; le médecin a répondu " non ". " La déficience a-t-elle duré 12 mois? " Oui. " La déficience est-elle assez grave pour que le patient soit toujours ou presque toujours limité dans l'accomplissement des activités courantes de la vie quotidienne? " Oui.

[12]          Le certificat du médecin semble certes exposer clairement son jugement de la situation, mais nous n'avons pas à nous en contenter en l'instance. Nous disposons en effet du témoignage personnel du médecin. Lorsque la question lui a été posée, elle a déclaré qu'elle estimait, ainsi qu'elle l'avait indiqué sur le certificat, que la faculté auditive des garçons était limitée de façon marquée au sens de la disposition de la Loi dont j'ai fait mention. Il appartient à la Cour de décider si cette appréciation est correcte ou non; il demeure néanmoins que les dispositions lui ont été lues, et qu'elle a rempli le questionnaire parce qu'elle estimait que la capacité des garçons était limitée de façon marquée au sens de la Loi et qu'ils étaient admissibles au crédit d'impôt pour personnes handicapées.

[13]          Le médecin a déclaré que les deux garçons souffraient d'une perte auditive grave. Elle a qualifié cette déficience de profonde et de permanente. Elle a dit que les garçons peuvent entendre dans des conditions normales lorsque le contact visuel n'est pas entravé. En d'autres termes, lorsqu'elle était en parfait contact visuel avec eux, les garçons pouvaient l'entendre normalement ou suivre une conversation normale. Leurs appareils auditifs servent simplement à amplifier les ondes sonores. Ils n'améliorent pas l'audition.

[14]          En contre-interrogatoire, on a interrogé le médecin au sujet des rapports audiologiques, et elle a indiqué que la capacité auditive des enfants s'établissait à 92 p. 100 pour l'un des garçons et à 96 p. 100 pour l'autre. Elle a dit que les garçons peuvent tenir une conversation dans un environnement normal, compte tenu des restrictions dont elle a fait mention précédemment; elle a toutefois ajouté que cette capacité serait diminuée s'ils ne lisaient pas sur les lèvres. Elle a indiqué que les garçons semblaient comprendre ses questions.

[15]          En réinterrogatoire, elle a précisé que les audiogrammes sont effectués dans une cabine insonorisée.

[16]          Robert Barber a témoigné. Il est manoeuvre. Il a lui aussi une déficience auditive. Il a indiqué n'avoir jamais éprouvé de problèmes concernant le crédit d'impôt pour personnes handicapées jusqu'à ce que surviennent les événements examinés ici. On lui a demandé ce qu'il avait fait après le rejet de sa demande de crédit d'impôt pour personnes handicapées ou après l'établissement d'une nouvelle cotisation à son égard; il a répondu avoir communiqué avec des médecins, avoir suivi leurs instructions et avoir rempli le formulaire T2201. Il a mentionné les deux certificats dont j'ai déjà parlé, les a reconnus et a dit être d'accord avec les propos tenus aujourd'hui par le médecin devant la Cour.

[17]          On a reporté le témoin à l'onglet 4 de la pièce A-1. Il s'agit d'une lettre de Revenu Canada; le témoin a indiqué que Revenu Canada l'y informait qu'il devait obtenir de nouveaux rapports. On a montré au témoin un autre document, et il a dit qu'il n'y était pas mentionné que la demande de crédit d'impôt était rejetée. Par contre, à l'onglet 10, Revenu Canada avait changé d'opinion. Pour ce qui est du document figurant à l'onglet 8, il a dit que son épouse et lui l'avaient écrit.

[18]          Ils ont essuyé une perte financière substantielle lorsqu'ils ont emménagé ailleurs pour répondre aux besoins des garçons. Ils voulaient résider là où ils trouveraient les installations nécessaires pour que les garçons puissent recevoir une éducation. Chacun des garçons porte deux appareils auditifs et utilise un système de modulation de fréquence spécial à l'école. Ils doivent également établir le contact visuel.

[19]          Le témoin a fait des recherches afin de déterminer les preuves qu'il devait rassembler pour convaincre la Cour qu'il avait droit au crédit d'impôt. Il a essayé de déterminer le sens de l'expression " endroit calme ". Il s'est ensuite remémoré des exemples précis des difficultés éprouvées par les garçons dans le cadre de leur vie quotidienne. Il a dit qu'ils perdent le fil de la conversation lorsqu'ils sont dans une voiture en marche. Il semble que l'un d'eux s'assoie à l'arrière, l'autre à l'avant, et qu'ils ont des difficultés à communiquer ensemble. Les choses sont encore plus ardues lorsque la vitre de la portière est baissée. Je crois que le témoin voulait dire en d'autres termes que les choses devenaient alors plus difficiles.

[20]          Les difficultés de communication s'accentuent lorsqu'il y a des bruits ambiants, entre autres quand la vitre est baissée. Selon le témoin, les choses deviennent alors très difficiles. Chaque garçon utilise deux appareils auditifs à l'école, en plus d'utiliser le système audio de modulation de fréquence. Selon le témoin, les choses se passent assez bien lorsque la communication se fait avec un interlocuteur unique; les garçons éprouvent une certaine difficulté, mais sans plus. Le témoin a évoqué l'époque où ils utilisaient un système audio : un des garçons était rattaché à son père, l'autre à sa mère, de façon que les parents puissent communiquer avec les garçons lorsque ceux-ci étaient hors de vue. Désormais, dès qu'ils sont hors de vue, leur ouïe est nulle. Ils n'ont pas le système de modulation de fréquence et ne l'ont pas utilisé depuis des années, parce que les garçons n'aiment pas que d'autres personnes les voient en train de l'utiliser.

[21]          En contre-interrogatoire, le témoin a dit que le problème auditif des garçons était semblable au sien. Leur ouïe ne s'est pas améliorée. Les garçons veulent être indépendants. Pour ce qui est du téléphone, les garçons peuvent avoir une conversation, mais il y a un téléphone spécial à la maison pour leur permettre d'utiliser ce mode de communication. Ils ne pourraient pas utiliser un téléphone ordinaire. Ils ne jouent pas dans la rue. Les parents ont fait fabriquer des affiches et les ont posées dans le quartier pour prévenir les gens qu'il s'y trouvait des enfants ayant une déficience auditive.

[22]          Les garçons sont capables de rouler à bicyclette s'ils sont avec leurs parents. Ils partent parfois seuls à bicyclette, mais ils ne sortent pas du quartier, car ils le connaissent bien. Ils se baladent autour du pâté de maisons.

[23]          Il leur est déjà arrivé de répondre au téléphone. Ils regardent la télévision. Ils sont parfois capables de comprendre seuls. Ils écoutent la radio. Cela leur est difficile. Ils ne peuvent pas comprendre ce qui se dit. Par exemple, lorsqu'ils regardent la télévision, ils doivent parfois demander où en est le score. Ils ne sont pas capables de distinguer les mots. À son avis, il s'agissait simplement pour eux d'une autre sorte de bruits.

[24]          Au cours de son témoignage, Patricia Barber a dit qu'elle était secrétaire en génie. Elle est l'épouse de M. Barber. Les deux garçons sont ses enfants. Elle passe plus de temps avec eux que ne le fait son mari. Les garçons ont beaucoup de difficulté à entendre et à comprendre, même dans un endroit calme. Il est nécessaire de répéter souvent, et c'est très frustrant. Elle ne peut les appeler lorsqu'ils se trouvent dans une autre pièce. Par exemple, si les garçons sont dans une pièce à l'étage et qu'elle veut leur dire de fermer la télévision ou d'aller se coucher, elle doit se rendre dans la pièce pour le leur dire afin qu'ils comprennent.

[25]          Il peut arriver que des problèmes surgissent lorsque la famille est attablée dans la salle à manger. Un des garçons demandera la permission de faire quelque chose et son frère comprendra de travers. Un conflit peut survenir parce que l'un des garçons croit que l'autre a droit à un privilège de quelque sorte. Elle doit alors prendre le temps de leur expliquer que ce que le premier avait dit n'était pas du tout ce que le deuxième avait compris.

[26]          Selon le témoin, il est quasiment impossible pour les garçons d'entendre lorsqu'ils se servent d'un appareil téléphonique ordinaire. Elle ne peut alors faire aucun bruit. Par exemple, lorsque les garçons sont au téléphone, elle doit interrompre complètement ses activités dans la maison. Elle doit cesser de cogner ses casseroles, de laver la vaisselle, et peut-être même de préparer les repas, sinon ils sont incapables d'entendre.

[27]          Dans la voiture, lorsque l'un des garçons est assis à l'arrière et l'autre à l'avant, celui à l'arrière ne peut entendre ce qui se dit à l'avant. Elle a indiqué que les garçons jouent au baseball, apparemment; toutefois, même lorsqu'ils se rendent sur les buts, elle doit se tenir tout près et leur indiquer le moment où passer au but suivant. Essentiellement, elle doit leur dire quoi faire. Elle doit se placer près d'eux et leur transmettre l'information.

[28]          En contre-interrogatoire, elle a indiqué que Graham présente également un déficit de la capacité d'attention, mais que son ouïe ne s'est pas détériorée depuis que la chose a été diagnostiquée. Lorsque les deux garçons se parlent, des malentendus surviennent entre eux.

[29]          Graham Barber, un des garçons, a été assermenté. Il a neuf ans. Il est en troisième année à l'école. Il porte deux appareils auditifs en tout temps, sauf à la piscine ou dans son lit. Différentes questions lui ont été posées. On lui a demandé quelle était son équipe sportive préférée, et il a répondu le hockey. Il n'a pas compris cette question. Lorsqu'elle lui a posé ses questions, l'avocate lui tournait le dos. Lorsqu'on lui a demandé s'il se brossait les dents chaque soir, il a répondu correctement. On lui a demandé quelle boisson il préférait prendre avant de se mettre au lit, et il a répondu le jus d'orange. On lui a demandé à partir de quel âge une personne pouvait conduire une automobile. Sa réponse fut 18 ans. Il a bien répondu à cette question. Il en a raté une à cause des conversations dans la salle d'audience. Naturellement, la Cour n'a pu détecter aucune autre source de distraction dans la salle à ce moment-là.

[30]          En contre-interrogatoire, il a dit qu'il était excité à l'idée de comparaître devant la Cour. Il répondait ainsi à l'une des questions que lui a posée l'avocate de l'intimée. Il a dit qu'il aimait regarder la télévision et écouter la radio. Son jeu favori consistait à prétendre qu'il était soldat dans l'armée. J'ai remarqué qu'il semblait répondre correctement à ces questions.

[31]          James Barber, l'autre garçon, avait le droit d'être assermenté. Il comprenait en quoi consistait un serment, et l'avocate n'a élevé aucune objection sur ce point. Le garçon a été assermenté. Il a dit avoir dix ans et habiter la région de Kitchener. Il est en quatrième année. L'avocate lui a tourné le dos. Il a dit au départ qu'il ne pouvait entendre. Il a ensuite indiqué qu'il jouait à la balle. On lui a posé une autre question. Il n'a pas pu l'entendre. On lui a demandé s'il allait pêcher avec son père. Il a dit qu'il n'avait pas entendu la question. On lui a demandé ensuite s'il avait parlé avec ses grands-parents ce jour-là, et il a répondu " non ". Autant que la Cour puisse en juger, il a raté trois des cinq questions. Ses résultats sont clairement moins bons à cet égard que ceux de son frère lors de son témoignage.

[32]          L'avocate de l'appelant n'a ni présenté d'autres éléments de preuve ni appelé d'autres témoins. L'avocate de l'intimée n'a appelé aucun témoin.

Thèse de l'appelant

[33]          Lors de sa plaidoirie, l'avocate de l'appelant a dit que trois critères étaient en jeu : la déficience doit être grave et prolongée; et la capacité de la personne qui a cette déficience doit être limitée de façon marquée. Elle a ajouté que ces deux points ne font pas l'objet d'une contestation. Ils sont énoncés dans le certificat. Un certificat doit être établi, et c'est le cas dans la présente affaire. Le médecin a dit que la déficience était grave et prolongée. Elle a également déclaré être d'avis que les enfants étaient limités de façon marquée au sens de la Loi. Ils ne pouvaient comprendre ce qui se disait dans un endroit calme, selon le sens que la Cour devait donner à cette expression.

[34]          L'avocate a fait mention de différentes affaires, indiquant que celles-ci montrent clairement que l'on doit faire abstraction de la faculté de lire sur les lèvres, de même que des gestes et réactions corporelles, lorsqu'on examine cette question.

[35]          Elle a répété que, lorsque l'on considère les faits établis dans ces affaires et que l'on tient compte de la situation décrite aujourd'hui, la salle d'audience constitue un endroit très calme. Le cabinet d'un médecin est également un endroit très calme. Il n'y a pas de bruit, il n'y a pas d'autres voix qui s'élèvent. Il s'agit d'un milieu artificiel comparativement à ce que l'on trouve dans la vie quotidienne.

[36]          L'avocate a également mentionné une autre exigence, soit que l'enfant doit être capable d'entendre de manière à comprendre. Il ne suffit pas que l'enfant puisse entendre un bruit; il doit comprendre. La troisième exigence se rapporte au concept d'endroit calme. La Loi ne définit pas en quoi consiste un endroit calme. L'avocate soutient que, pour interpréter cette expression, il convient de tenir davantage compte des situations subjectives. En ce qui concerne la puissance en décibels, il n'existe pas d'interprétation rigoureuse des résultats requis. Les tests audiologiques effectués n'ont pas été expliqués par un audiologiste, et ils ne sont pas d'une si grande utilité. De toute manière, ces tests ont été effectués dans une cabine insonorisée. Une telle cabine ne constitue pas un environnement normal où il conviendrait d'appliquer les critères, pas plus que le cabinet d'un médecin ou une salle d'audience. Telle n'était pas l'intention du législateur lorsqu'il a voulu indiquer en quoi consistait un endroit calme.

[37]          L'avocate soutenait que les situations décrites par la mère et le père des enfants devant la Cour aujourd'hui reflétaient davantage la réalité : les repas familiaux; les déplacements en automobile (parfois avec la vitre baissée); les tours à bicyclette; lorsque l'on parle aux enfants au moment où ils vont se coucher et qu'on ne peut les voir dans le noir. Selon l'avocate, les deux enfants avaient de la difficulté à communiquer avec leurs parents et à comprendre les propos qui leur étaient adressés dans toutes ces situations.

[38]          Elle a déclaré qu'un endroit calme variera d'une personne à l'autre. Dans le cas présent, il s'agit de garçons. La preuve montre qu'ils auraient de la difficulté dans n'importe quelle situation de ce genre. Si le crédit d'impôt est accordé, c'est dans le but d'aider le contribuable à acquitter une partie des frais exceptionnels qui s'imposent à l'égard d'une personne handicapée; en bout de ligne, il ne se pouvait pas que le législateur ait voulu accorder le crédit d'impôt pour personnes handicapées ou reconnaître l'admissibilité à ce crédit d'impôt uniquement lorsque l'on satisfaisait à des critères extrêmement rigoureux; sinon, les personnes qui doivent engager des dépenses importantes, comme l'appelant et sa famille, ne pourraient y avoir droit.

[39]          La faculté de lire sur les lèvres n'est pas assimilable à un appareil dont la Cour doit tenir compte en vue de décider si la déficience ouvre droit au crédit d'impôt. Lorsqu'on parle de " vie quotidienne ", on veut parler de ce qui constitue le quotidien d'une personne normale. L'appel devrait être admis.

Thèse de l'intimée

[40]          L'avocate de l'intimée a souligné la difficulté inhérente aux questions à l'étude ici, ce dont convient la Cour. Il est toujours difficile de savoir si une déficience est ou non admissible aux termes de la Loi. Il n'est pas facile de satisfaire aux critères applicables. Toutefois, ces critères n'ont pas un caractère absolu; par contre, toute personne ayant une déficience n'a pas forcément droit au crédit d'impôt.

[41]          Le paragraphe 118.4(1) de la Loi traite des exigences applicables. Il faut se trouver dans un endroit calme; la capacité de la personne handicapée doit être limitée de façon marquée; et la conversation doit se tenir avec une personne de sa connaissance. Voilà les points dont la Cour doit tenir compte.

[42]          L'avocate soutient que le cabinet du médecin constitue un endroit calme. Il s'agit du genre d'endroit auquel fait référence la Loi. Dans le cabinet du médecin, les garçons n'éprouvaient pas de difficulté. C'est là le point de vue qu'elle avance.

[43]          Lorsque l'on examine les rapports audiologiques, on voit que l'un des enfants a une capacité de compréhension des mots se chiffrant à 92 p. 100, et l'autre, à 96 p. 100. L'avocate soutenait, on peut le penser, que ces pourcentages indiquent un niveau de compréhension très élevé. Le témoignage des enfants est à ses yeux la meilleure preuve. Les enfants ont témoigné au cours de l'audience d'aujourd'hui, et ils n'ont somme toute pas éprouvé trop de difficultés.

[44]          Elle a mentionné différentes affaires, dont Cotterall c. La Reine, C.C.I., no 94-2326(IT)I, 21 mars 1995 (1995 CarswellNat 450, [1995] 2 C.T.C. 2093D #2). Dans cette affaire, où le crédit d'impôt pour personnes handicapées n'a pas été accordé en dépit du problème auditif de l'appelante, il fallait répéter à cette dernière les propos qui étaient tenus. L'appelante devait utiliser un téléphone spécial et, apparemment, elle lisait sur les lèvres. L'avocate a renvoyé la Cour au paragraphe 18, à la page 14. Elle a affirmé que cette affaire était similaire à celle qui nous occupe.

[45]          La Cour constate que, dans l'affaire en question, le Dr Sutherland, qui a témoigné pour le compte de l'intimée, a expliqué ce qu'étaient les décibels et en quoi la discrimination des mots était importante pour la compréhension. Le Dr Sutherland déclarait que, si la discrimination des mots ne s'opérait pas, il n'était pas très utile d'amplifier les sons. Nous ne disposons pas d'un tel élément de preuve dans la présente affaire. Nous avons seulement le témoignage du médecin de famille, qui n'est pas audiologiste. Je ne puis que supposer que le témoignage du Dr Sutherland dans l'affaire en question a eu une incidence marquée sur la décision du juge Rip.

[46]          L'avocate a également fait mention des affaires Lamarre c. R., C.C.I., no 94-2697(IT)I, 3 mai 1996 (1996 CarswellNat 2756, [1998] 2 C.T.C. 2708), et Cooper c. R., C.C.I., no 95-3051(IT)I, 2 juillet 1996 (1996 CarswellNat 1525, [1996] 3 C.T.C. 2189D #2). Dans l'affaire Cooper, où l'appelant était incapable de comprendre les questions qui lui étaient posées en contre-interrogatoire, le juge Christie n'a pas estimé que le crédit d'impôt pour personnes handicapées devait être accordé. Les circonstances entourant cette affaire étaient peut-être fort différentes de celles examinées aujourd'hui, mais il y a certes eu des problèmes au cours des interrogatoires aujourd'hui. La Cour tient compte de ce fait. Le juge Christie n'estimait pas que l'appelant avait éprouvé des problèmes de communication au cours de son témoignage devant la Cour.

[47]          Dans l'affaire S. Adams c. La Reine, C.C.I., no 93-3449(IT)I, 30 novembre 1994 (1994 CarswellNat 1284, [1995] 1 C.T.C. 2801D #1), l'appelant avait beaucoup de difficulté à entendre, notamment lorsque d'autres personnes se tenaient près de lui, mais son appel a néanmoins été rejeté. L'avocate est d'avis que le présent appel devrait être rejeté.

[48]          En contre-preuve, l'avocate de l'appelant a rappelé les propos du médecin, soit que les garçons pouvaient la comprendre lorsqu'ils la regardaient, mais qu'ils devaient la regarder. Le contact visuel devait être bien établi. L'avocate a réitéré les critères qui s'appliquaient selon elle, et elle a soutenu que l'appel devait être admis.

Analyse et décision

[49]          Toute affaire où quelqu'un demande un crédit d'impôt pour personnes handicapées est difficile de par sa nature même. En effet, toute personne qui demande ce crédit d'impôt en vertu des dispositions applicables a une déficience. Les dispositions législatives n'autorisent pas quiconque a une déficience quelconque à se prévaloir du crédit, mais leur application n'est pas pour autant d'une rigueur absolue. Cela ne signifie pas que ce sont uniquement les personnes ayant les déficiences les plus graves, prolongées ou débilitantes qui ont droit au crédit d'impôt. Personne, ou presque personne, ne pourrait sans doute s'acquitter du fardeau de la preuve si cette preuve devait être absolue. Or, pour l'application des dispositions pertinentes, l'appelant doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que la déficience qu'il invoque satisfait aux critères énoncés dans la Loi.

[50]          Dans la présente affaire, la Cour est d'avis que, pour que l'appel puisse être admis, l'appelant doit la convaincre que les deux garçons avaient une déficience. Cela ne fait aucun doute. Il s'agissait d'une déficience auditive. L'appelant doit également établir que la déficience est permanente. La Cour est convaincue que tel est le cas. Un certificat doit être produit; on en a produit un. Le certificat précise que la déficience est permanente, qu'elle est grave, qu'elle est prolongée et que, à cause d'elle, les enfants de l'appelant étaient incapables d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne, conformément aux exigences de la Loi.

[51]          Aux termes de la Loi, la déficience doit être d'une nature telle que le particulier est toujours ou presque toujours incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif.

[52]          Cela dit, la Loi ne précise pas davantage en quoi consiste la déficience, et c'est aux tribunaux qu'il appartient d'en décider selon les faits en cause dans chaque affaire. Chaque affaire doit être jugée en fonction des faits qui lui sont propres. Les autres affaires sont utiles, mais il y a chaque fois certains faits au moins qui sont différents. La Cour doit donc tenir compte du droit, des dispositions applicables et de la preuve qui lui est présentée. Le sous-alinéa 118.4(1)(iv) se lit ainsi :

le fait d'entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance,

[53]          La Cour doit déterminer en quoi consiste un endroit calme. La Cour est convaincue que cela ne correspond pas au cabinet d'un médecin. Elle est également convaincue que cela ne correspond pas non plus à une cabine insonorisée dans un cabinet d'audiologiste. Selon la Cour, un endroit calme doit être le milieu normal dans lequel un particulier accomplit les activités de la vie quotidienne. Il peut s'agir d'une pièce dans laquelle on s'entretient avec des gens, d'une maison lorsque les parents s'y trouvent, lorsque d'autres activités sont exercées, lorsque les parents préparent les repas ou peut-être encore lorsque le téléphone sonne ou qu'il y a d'autres conversations autour de soi. Cela ne veut pas dire que le particulier doive être capable d'entendre lorsqu'il y a beaucoup ou énormément de bruit. On vise un milieu se situant entre ces deux extrêmes; il s'agit toutefois à n'en pas douter d'un milieu normal dans lequel une personne normale évoluerait au fil de ses activités durant une journée normale.

[54]          Dans ce genre de milieu, toutes les situations que j'ai mentionnées précédemment se produisent. Cela inclut les déplacements en automobile, parfois avec la vitre baissée, les consultations périodiques au cabinet du médecin, où l'on parle, où l'on donne des instructions, où l'on écoute la réponse du médecin. C'est aussi parler avec son père ou sa mère au moment de se mettre au lit. Pensons aussi aux conversations téléphoniques, à la capacité d'entendre le téléphone sonner. Cela inclut toutes les situations décrites à l'audience aujourd'hui.

[55]          En ce qui concerne la salle d'audience, la Cour estime qu'il s'agit d'un milieu intermédiaire. Je ne crois pas que la salle d'audience soit exactement ce que le législateur visait. Il s'agit de toute évidence d'un milieu plus calme que celui envisagé dans la Loi, mais c'est également, dans une certaine mesure, un milieu artificiel. La Cour est convaincue que, dans les conditions normales de la vie quotidienne, il y aurait plus de bruit, plus de bruits de fond, plus d'activités, par exemple le vent, la circulation automobile et les conversations environnantes, que ce que l'on peut trouver dans une salle d'audience.

[56]          La salle d'audience était très calme aujourd'hui. Il n'y avait aucune distraction. Les conversations se sont limitées aux questions des avocates, peut-être aussi du juge, et aux assermentations. Cela mis à part, l'" endroit " est très calme. Dans l'affaire Lamarre, précitée, le juge Watson a conclu que l'appelant était capable d'accomplir ses activités quotidiennes à l'aide de deux appareils auditifs. Le juge a décidé que l'appelant n'avait pas droit au crédit d'impôt pour personnes handicapées.

[57]          Voilà qui diffère de la situation exposée à la Cour aujourd'hui. La situation dont cette cour doit tenir compte est celle où l'un des témoins a été incapable de comprendre au moins une question dans cet endroit très calme, et où l'autre garçon a été incapable de comprendre plus de la moitié des questions.

[58]          En l'espèce, le rapport d'audiologie indique que l'un des garçons n'entend qu'à 96 p. 100, ou comprend 96 p. 100 de l'information communiquée, tandis que l'autre comprend 94 p. 100 des questions. Malheureusement, nous n'avons pas avec nous un audiologiste qui pourrait nous dire ce que cela signifie au juste, mais il nous semble que, si l'on est incapable de comprendre 6 p. 100 des questions, ou même 4 p. 100 des questions, dans le cadre de la vie quotidienne, cela constitue un manque important, dont les effets pourraient être très marqués pendant une conversation. Ces pourcentages semblent élevés; toutefois, à défaut d'information plus précise quant à leur sens exact, la Cour conclut qu'ils correspondent à une déficience importante au titre de la capacité de compréhension des deux garçons.

[59]          Cette opinion de la Cour est étayée par le fait que l'un des garçons était incapable de comprendre au moins la moitié des questions (dont il a été fait état) qui lui ont été posées à l'audience lorsque l'avocate lui tournait le dos, tandis que l'autre garçon a raté au moins une question. La salle d'audience ne correspond pas à l'endroit calme mentionné dans la Loi.

[60]          Il est bien évident que les garçons lisent sur les lèvres et que la labiolecture est essentiellement ce qui leur permet d'entendre ou de comprendre ce que les autres leur disent. La Cour est convaincue que la Loi n'exige pas des gens qu'ils sachent lire sur les lèvres. La Cour ne croit pas que la Loi, en faisant mention des appareils et des médicaments indiqués, vise la lecture sur les lèvres. La Cour ne doit pas tenir compte de la lecture sur les lèvres dans sa décision.

[61]          Dans la présente affaire, la Cour est convaincue que la faculté de lire sur les lèvres était un facteur très important par rapport à la capacité des garçons de comprendre ce qu'on leur demandait.

[62]          La Cour accorde beaucoup de poids au témoignage du médecin ainsi qu'à ceux du père et de la mère, qui ont pu décrire en détail des situations précises de la vie quotidienne des deux garçons, montrant ainsi à la Cour l'étendue du problème.

[63]          Il n'a pas été établi clairement si les garçons portaient leurs appareils auditifs lorsqu'ils parlaient à leur père juste avant de se mettre au lit, et la question n'a pas été posée. La Cour a toutefois remarqué que l'un des garçons a dit n'enlever ses appareils auditifs que lorsqu'il se baigne ou qu'il va se coucher. Peut-être les enlevait-il avant d'aller se coucher; la Cour n'en est pas certaine. Nous supposerons qu'il portait encore ses appareils auditifs et qu'il n'a pas été capable de comprendre ce que son père lui disait parce que ce dernier ne le regardait pas.

[64]          La Cour tient compte de tous les facteurs examinés ainsi que des affaires mentionnées, où les appels ont été parfois admis, et parfois rejetés. La Cour doit étudier cette information et l'interpréter à la lumière des faits présentés en l'espèce. Ce type d'affaires repose sur les faits. Elles sont de nature très subjective. Tout bien considéré, la Cour est convaincue que l'appelant s'est acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver que, durant les années en cause, les garçons avaient une déficience grave et prolongée, une déficience auditive, qui les rendait toujours ou presque toujours incapables d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif. La Cour retient le libellé précis de la disposition : le fait d'entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance. Considérant, de la façon la plus raisonnable possible, la preuve présentée, la Cour est convaincue que l'appelant s'est acquitté du fardeau qui lui incombait en l'espèce.

[65]          La Cour a examiné certains des documents versés au dossier, particulièrement des documents provenant de la Division des appels de l'Île-du-Prince-Édouard, et elle est convaincue que l'agent des appels a accordé beaucoup de poids au rapport d'audiologie et au fait que l'un des garçons avait une capacité de compréhension des mots s'élevant à 94 p. 100, et l'autre, à 96 p. 100. Le crédit d'impôt pour personnes handicapées avait été accordé à l'égard d'autres années, et la preuve a montré que le ministère avait informé les parents qu'ils devaient produire de nouveaux rapports. C'est ce que les parents ont fait, et le rapport d'audiologie a dû grandement influer sur la décision prise.

[66]          De toute façon, en dépit de cela, la Cour est convaincue que l'appelant s'est acquitté du fardeau de la preuve. L'appel est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu de la conclusion de la Cour selon laquelle l'appelant a droit au crédit d'impôt pour personnes handicapées à l'égard de ses deux garçons dans les années en cause.

[67]          L'appelant aura droit à ses frais, qui seront taxés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de mars 2001.

" T. E. Margeson "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 31e jour d'août 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Philippe Ducharme, réviseur

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