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Date: 19980811

Dossier: 97-3606-IT-I

ENTRE :

SANDRA L. BRYCE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge McArthur, C.C.I.

[1]                 L'appelante interjette appel contre la décision par laquelle le ministre du Revenu national a refusé la déduction des frais de 10 011,22 $ indiqués par l'appelante dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1995 selon le paragraphe 118.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi "), le ministre ayant déterminé que ce montant ne représentait pas des frais médicaux au sens du paragraphe 118.2(2) et, notamment, que les frais de déplacement n'étaient pas des frais " engagés à l'égard du particulier, du conjoint ou d'une personne à charge [...] et, si ceux-ci sont [...] incapables de voyager sans l'aide d'un préposé à leurs soins, à l'égard d'un seul particulier les accompagnant, afin d'obtenir des services médicaux ".

[2]                 L'appelante vit avec sa famille à Whitehorse (Yukon), où l'audience a eu lieu. Les faits sont tragiques et, à la demande de l'appelante, un avis de confidentialité accompagnera la transcription de la preuve présentée au procès.

[3]                 L'appelante et son époux, Gregory Bryce, ont témoigné. Ces personnes très intelligentes, aimantes, compatissantes et sachant s'exprimer sont les parents de la fille adoptive de l'appelante, Sarah. Ils ont six autres enfants. Sarah est une Amérindienne qui a maintenant 20 ans et qui a été adoptée par l'appelante peu après sa naissance; elle est née d'une jeune fille de 15 ans, avec le syndrome d'alcoolisme foetal.

[4]            L'exposé des faits sera bref. Durant ses 12 premières années, Sarah a été malade et hospitalisée " plus de 100 fois ". Elle a eu une vie perturbée depuis sa naissance. À l'âge de 12 ans, soit en 1990, elle a commencé un parcours marqué par l'abus d'alcool et d'autres substances psychoactives, des tentatives de suicide et des sévices auto-infligés ou infligés par d'autres personnes. Droguée ou non, elle était très vulnérable à l'influence de ses pairs et avait besoin d'une intense surveillance.

[5]            Vers le 1er janvier 1995, elle a été admise à l'hôpital Foothills de Calgary[1], comme patiente du Dr Wilkes. Le 4 janvier 1995, ce dernier écrivait ceci :

[TRADUCTION]

Il a fallu que Gregory et Sandra Bryce (le beau-père et la belle-mère de Sarah) restent à Calgary les 1er, 2, 3, 4 et 5 janvier 1995 pour faire admettre Sarah au programme pour jeunes adultes de l'hôpital Foothills, pour être interrogés par moi-même et d'autres membres du personnel, chaque jour, et pour travailler avec nous à l'élaboration d'un plan de traitement et d'assistance.

Des rencontres familiales avec la belle-mère et le beau-père de Sarah à toutes les trois à quatre semaines seront importantes. Matt, le frère de Sarah, qui habite à Cranbrook, devrait visiter sa soeur régulièrement. Je recommanderais fortement une aide financière concernant les frais de déplacement et de subsistance de la famille de Sarah.

[6]            Le 18 juillet 1995, le Dr Wilkes a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Sarah continue d'être traitée pour abus de substances psychoactives, syndrome de stress post-traumatique et déficience de l'attention. Gregory et Sandra Bryce ont dû aller à Calgary régulièrement pour rencontrer les différents chefs d'équipe de traitement d'Eagle Moon Lodge et participer aux différentes réunions d'examen du cas. Dates pertinentes : 23-27 mars, 13-18 avril, 5-9 mai et 15-20 juin.

Ces réunions continueront d'être importantes pour le traitement et le bien-être de Sarah au cours de l'année prochaine et de la période de traitement proposée pour Sarah. J'espère que vous appuierez la demande de soutien financier des Bryce concernant leurs frais de déplacement et de subsistance.

[7]            Sarah a été admise à Wood's Homes - Bowness Treatment Centre le 1er août 1995 et y est demeurée jusqu'au 31 août 1995. Dans un rapport, le coordonnateur clinicien écrivait en partie ceci :

[TRADUCTION]

IV. FAMILLE

Comme avant, les relations sont très étroites. Il avait été décidé que Sarah parlerait à sa mère par téléphone les mercredis et les dimanches. Sarah a trouvé cela difficile au début, mais elle a fini par l'accepter. La mère de Sarah, préoccupée de ce que Sarah était trop dépendante d'elle, estimait que limiter les contacts à deux fois par semaine serait dans le plus grand intérêt de Sarah. Par des téléconférences périodiques, Sandy est restée en contact hebdomadaire régulier avec le thérapeute et gestionnaire du cas de Sarah. Sandy est très déterminée à épauler Sarah tout au long de son traitement et à la préparer à retourner à la maison.

[8]                 L'appelante demande à pouvoir déduire comme frais médicaux des frais de déplacement qu'elle a engagés pour aller voir Sarah à Calgary, parfois avec son époux et ses enfants, 12 fois en 1995. Actuellement, il semble que l'état de Sarah soit beaucoup plus stable. Sarah vit à la maison avec ses parents. L'appelante demande également à pouvoir déduire 4 000 $ de frais d'appels téléphoniques faits en 1995 à Sarah et aux personnes chargées de s'occuper d'elle.

[9]            Dans l'avis d'appel, Gregory Bryce disait :

[TRADUCTION]

Je crois que l'état de ma fille, tel qu'il a été décrit, constituait une déficience grave et prolongée limitant de façon marquée la capacité de ma fille d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne, c'est-à-dire que l'alcoolisme, les pensées et actions suicidaires, la dépression, le stress post-traumatique et les effets de l'alcoolisme foetal, entre autres choses, limitaient grandement la capacité de ma fille de percevoir d'une manière raisonnable et réaliste. Alinéas 118.4(1)a) et b) et sous-alinéa 118.4(1)c)(i).

Je crois également que mes dépenses et les dépenses de ma famille engagées pour aller à Calgary et pour parler à Sarah par téléphone représentaient une composante essentielle du plan de traitement et d'assistance à l'intention de ma fille, ce qui a été déterminé par écrit par le psychiatre de ma fille, et j'estime que ces dépenses devraient être considérées comme des frais payés " pour le soin dans une école, une institution ou un autre endroit ". Alinéa 118.2(2)e); alinéas 118.2(2)g) et h).

[10]          En appliquant les critères énoncés à l'article 118.4, l'appelante dit qu'elle a droit au crédit d'impôt pour personnes handicapées en vertu du paragraphe 118(3). L'appelante est une travailleuse sociale qui est devenue très bien informée quant au traitement nécessaire pour Sarah. Ce traitement inclut, comme composante essentielle, une famille qui est d'un grand soutien.

Position de l'intimée

[11]                 L'appelante a déduit des frais médicaux qui ne figurent pas comme frais médicaux au paragraphe 118.2(2) de la Loi. Le paragraphe 118(3) ne s'applique pas, car il n'y avait pas d'attestation médicale, et il n'est pas satisfait aux critères prévus au paragraphe 118.4(1).

Dispositions législatives

[12]          Le paragraphe 118.2(1) est en partie ainsi rédigé :

(1) Le résultat du calcul suivant est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition :

[...]

[13]          Le paragraphe 118.2(2) est en partie ainsi rédigé :

(2) Pour l'application du paragraphe (1), les frais médicaux d'un particulier sont les frais payés :

[...]

e) pour le soin dans une école, une institution ou un autre endroit - ou le soin et la formation - du particulier, de son conjoint ou d'une personne à charge visée à l'alinéa a), qu'une personne habilitée à cette fin atteste être quelqu'un qui, en raison d'un handicap physique ou mental, a besoin d'équipement, d'installations ou de personnel spécialisés fournis par cette école ou institution ou à cet autre endroit pour le soin - ou le soin et la formation - de particuliers ayant un handicap semblable au sien;

[...]

Analyse

[14]          Sarah souffre de multiples affections touchant son état mental, ce qui inclut les effets du syndrome d'alcoolisme foetal, qui se manifeste par un trouble déficitaire de l'attention et par de la dépression, ainsi que les effets d'un mode de vie chaotique comportant l'abus de substances psychoactives ainsi que divers événements stressants, dont des agressions graves. En 1995, on a donné à Sarah des injections de Depo-Provera comme contraceptif et régulateur de l'humeur. En 1995, sans des soins constants, la vie de Sarah était en danger. On en trouve un exemple dans le rapport de Carole Sundborg[2], qui écrivait ceci à la page 3 de son rapport :

[TRADUCTION]

12 août 1995 - (Sarah) est partie à 11 h 30 sans aviser la personne soignante. Elle a rencontré un petit ami à un endroit désigné et a commencé à boire du fixatif, puis elle s'est jetée dans la rivière, et son petit ami l'en a sortie. Ce dernier a menacé de se faire frapper par un train qui s'en venait, et Sarah disait que, s'il n'arrêtait pas d'agir comme ça, elle se placerait sur la voie ferrée avec lui et qu'elle aussi serait heurtée par le train. Une troisième personne qui se trouvait là a poussé Sarah pour qu'elle ne se fasse pas frapper par le train. Le petit ami de Sarah a été heurté par le train et a été hospitalisé, souffrant d'une rupture du foie.

[15]          La maladie de Sarah n'est pas encore pleinement comprise par la profession médicale, ni évidemment par Revenu Canada et moi-même. C'est une maladie grave qui s'accompagne de nombreux symptômes exigeant un soutien, une surveillance et des soins de la part d'un personnel qualifié.

[16]          En appliquant l'alinéa 118.2(2)e) avec compassion et de façon à essayer de réaliser l'intention du Parlement, je conclus que l'appelante a engagé des frais médicaux pour le soin de Sarah dans les institutions de Calgary où Sarah a séjourné en 1995. Le Dr Wilkes, qui est une personne " habilitée à cette fin ", a attesté que Sarah était quelqu'un qui, en raison d'un handicap mental, avait besoin de personnel et de ses parents en ce qui concerne ses soins et sa formation. Faisant preuve d'un dévouement extraordinaire, l'appelante, qui est une travailleuse sociale professionnelle, a reçu des institutions de Calgary la formation nécessaire pour être assimilée au personnel visé à l'alinéa 118.2(2)e).

[17]          Chaque cas dépend des faits qui lui sont propres et, dans une certaine mesure, de la manière dont la Cour perçoit les faits par rapport à la loi. Je suis arrivé à ma conclusion en me fondant sur la preuve et en interprétant avec compassion l'intention du Parlement sous-jacente à l'alinéa 118.2(2)e). La décision doit être basée non seulement sur les faits, mais aussi sur des principes juridiques.

[18]          Pour ce qui est de ces principes, je me suis beaucoup fondé sur le raisonnement suivant tenu par le juge Bowman au sujet de l'article 118.3 dans l'affaire Radage c. La Reine, C.C.I., no 95-1014(IT)I, 12 juillet 1996 (96 DTC 1615, à la page 1625) :

[...]

a) L'intention du législateur semble être d'accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L'intention n'est pas d'accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d'un tel allégement fiscal, et l'intention est que cette disposition profite à de telles personnes.

b) La Cour doit, tout en reconnaissant l'étroitesse des critères énumérés aux articles 118.3 et 118.4, interpréter les dispositions d'une manière libérale, humaine et compatissante et non pas d'une façon étroite et technique. Dans l'affaire Craven c. La Reine, 94-2619(IT)I, je disais :

L'application des critères inflexibles de l'article 118.4 ne permet pas à la Cour d'user de son bon sens ou de faire montre de compassion dans l'interprétation des dispositions relatives au crédit d'impôt pour personnes handicapées prévu par la Loi de l'impôt sur le revenu -- dispositions qui doivent être appliquées avec compassion et bon sens.

Dans cette affaire-là, j'estime avoir énoncé le critère d'une manière trop étroite. Depuis, j'ai entendu de nombreuses causes relatives au crédit d'impôt pour déficience, et ma pensée a évolué. Mon point de vue actuel sur l'approche à adopter est énoncé avec plus de justesse dans des jugements comme Noseworthy c. La Reine, 95-1862(IT)I, Lawlor c. La Reine, 95-1585(IT)I, Hillier c. La Reine, 95-3097(IT)I, et Lamothe c. La Reine, 95-2868(IT)I et 95-3949(IT)I. Pour donner effet à l'intention du législateur, qui est d'accorder à des personnes déficientes un certain allégement qui atténuera jusqu'à un certain point les difficultés accrues avec lesquelles leur déficience les oblige à composer, la disposition doit recevoir une interprétation humaine et compatissante. L'article 12 de la Loi d'interprétation se lit comme suit :

Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

c) S'il existe un doute quant à savoir de quel côté de la limite se situe une personne demandant le crédit, on doit accorder à cette personne le bénéfice du doute.

[...]

[19]          Le juge Bowman traitait du crédit d'impôt pour personnes handicapées, c'est-à-dire de l'article 118.3, mais je trouve que son raisonnement, tel qu'il l'exprimait, s'applique également à la présente situation et au paragraphe 118.2(2).

[20]          Outre les montants admis par le ministre, les frais de déplacement d'un montant net de 6 012 $ sont admis. Le montant relatif aux frais téléphoniques n'est pas admis. Des frais téléphoniques ne sont pas prévus dans les frais médicaux énumérés au paragraphe 118.2(2).

[21]          Vu la déficience de Sarah, l'appelante pourrait avoir eu gain de cause dans sa demande visant à obtenir une déduction en vertu de l'article 118.3 de la Loi, mais l'approche de M. et Mme Bryce leur est venue après coup et aucune attestation sur formulaire prescrit exigée par l'alinéa 118.3(1)a.2) n'a été fournie. Cette demande échoue.

[22]          En conclusion, l'appel est admis. Par conséquent, l'appelante a le droit de déduire 6 012 $ de frais médicaux en sus du montant admis par le ministre pour l'année d'imposition 1995. Il n'y a aucune ordonnance quant aux dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour d'août 1998.

" C. H. McArthur "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 10e jour d'octobre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

97-3606(IT)I

ENTRE :

SANDRA L. BRYCE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 20 juillet 1998, à Whitehorse (Yukon), par

l'honorable juge C. H. McArthur

Comparutions

Représentant de l'appelante :                     Gregory Bryce

Avocat de l'intimée :                                    Me John C. O'Callaghan

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1995 est admis. Par conséquent, l'appelante a le droit de déduire 6 012 $ de frais médicaux en sus du montant admis par le ministre. Par contre, la déduction du montant de 4 000 $ de frais téléphoniques n'est pas admise. La cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, conformément aux motifs du jugement ci-joints. Une avis de confidentialité accompagnera la transcription de la preuve présentée au procès.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour d'août 1998.

" C. H. McArthur "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour d'octobre 2001.

Mario Lagacé, réviseur




[1] Département de psychiatrie - programme et services pour jeunes adultes.

[2] Coordonnatrice clinicienne, réseau communautaire axé sur la famille, Bowness Treatment Centre, Calgary (Alberta).

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