Date: 19971028
Dossiers: 96-1517-UI; 96-1518-UI; 97-66-UI
ENTRE :
ACÉRICULTURE RÉMI LACHANCE ET FILS INC.,SYLVIE FECTEAU,
appelantes,
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,
intimé,
et
SYLVIE FECTEAU,
ACÉRICULTURE RÉMI LACHANCE ET FILS INC.,
intervenantes.
Motifs du jugement
Le juge Tardif, C.C.I.
[1] Les appels concernent deux déterminations à l'effet que l'emploi exécuté par l'appelante, Sylvie Fecteau, auprès de la compagnie "Acériculture Rémi Lachance et Fils Inc." était non-assurable.
[2] La première détermination en date du 16 mai 1996 portait sur les périodes du 2 février 1992 au 20 juin 1992, du 15 février 1993 au 10 juillet 1993, du 3 janvier 1994 au 23 juin 1994 et du 10 avril 1995 au 1er septembre 1995. La deuxième détermination, en date du 10 janvier 1997, portait sur la période du 18 décembre 1995 au 30 août 1996.
[3] Les parties ont procédé par le biais d'une enquête et preuve commune. L'appelante, Sylvie Fecteau, a longuement témoigné; elle a expliqué que sa participation dans le capital-actions de la compagnie, correspondant à 20 % du capital-actions, résultait de démarches initiées et orchestrées par son conjoint pour profiter d'une subvention de 15 000 $; celle-ci était versée par le Ministère de l'agriculture du Québec, dans le cadre d'un programme pour encourager l'établissement en agriculture. Elle a indiqué avoir consenti à ces démarches sans pour autant en avoir été bénéficiaire.
[4] Elle n'a rien investi et a simplement exécuté la volonté de son conjoint de fait qui a seul profité de la subvention obtenue pour sa venue en agriculture; bien plus, elle a soutenu n'avoir aucun intérêt ni participation dans les affaires de la compagnie, ajoutant que sa participation dans le capital-actions était fictive.
[5] Elle a ensuite décrit le travail exécuté au cours des périodes en litige en se référant à plusieurs dizaines de photos montrant l'aménagement des lieux où se déroulaient les activités commerciales de l'entreprise. Elle a utilisé ces mêmes photos pour décrire son travail tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des installations.
[6] Les tâches exécutées étaient très nombreuses; elle s'occupait notamment de la comptabilité de la compagnie. Elle enregistrait les réservations, était responsable de l'accueil des clients et voyait à la préparation des cédules de travail pour les employés au nombre d'une douzaine. Lorsque l'achalandage était faible, elle s'occupait elle-même de tout, c'est-à-dire de préparer et servir les repas.
[7] Après la saison des sucres, dont la durée était plus ou moins d'une dizaine de semaines, elle s'occupait de faire le ménage et nettoyage en profondeur; elle peinturait et remettait en état tout ce qui avait été utilisé dans le cours des opérations tels les poêles, les fans, la chambre froide, accessoires, appareils, tables, étagères, chaises, chaudrons, etc., etc. Les photos ont d'ailleurs démontré que les installations, les meubles et différents accessoires étaient entreposés dans un état de propreté digne de mention.
[8] Elle a ajouté avoir travaillé à l'entretien d'une plantation d'arbres; elle était aussi responsable du transport du bois de chauffage et de sa fente, travaux qu'elle effectuait généralement seule.
[9] Il n'y a aucun doute, ce qui a d'ailleurs été reconnu par l'intimé, que l'appelante a été étroitement associée à la bonne marche de l'entreprise. La contestation porte et vise principalement le travail fait après la période des repas à la cabane à sucre; l'appelante a soutenu avoir investi plusieurs semaines pour faire le ménage ce qui, selon l'intimé, était beaucoup exagéré.
[10] Outre le grief ayant trait à l'exagération du temps consacré aux travaux ultérieurs à la période des sucres, l'intimé lui oppose également :
- Le fait qu'elle travaillait en dehors des périodes en litige.
- Le fait qu'elle était inscrite au livre des salaires alors que son conjoint recevait des prestations d'assurance-chômage.
- Le fait qu'il y ait eu des variations importantes au niveau du salaire et cela sans aucune justification ni corrélation avec la capacité de payer de l'entreprise.
- Le fait que les périodes de travail correspondaient sensiblement au nombre de semaines dont elle avait besoin pour recevoir des prestations d'assurance-chômage.
- Le fait qu'elle était inscrite au livre des salaires pour l'exécution de tâches très exigeantes physiquement telle la fente, le transport et le cordage du bois utilisé par la cabane à sucre, des travaux de peinture nécessitant l'utilisation d'une échelle etc. alors que son conjoint était sans travail et recevait des prestations d'assurance-chômage.
[11] Il s'agit évidemment d'un dossier où la crédibilité des témoins a beaucoup d'importance. L'appréciation de la crédibilité d'un témoin n'est pas un exercice facile; malheureusement, il n'existe pas de recette ou de moyen infaillible. En l'espèce, il n'y a aucun doute que l'appelante a très étroitement été associée à la bonne marche de l'entreprise; cette implication a-t-elle été structurée et encadrée à l'intérieur des paramètres décrits par l'appelante et son conjoint?
[12] Cette association de l'appelante aux affaires de la compagnie était-elle suffisante pour conclure qu'il s'agissait d'un véritable contrat de louage de services au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (la "Loi")?
[13] Un véritable contrat de louage de services inclut une prestation de travail en contrepartie de laquelle une rémunération est payée. Le contrat de travail doit se réaliser à l'intérieur d'un encadrement défini où il doit y avoir un lien de subordination entre le payeur et la personne qui exécute le travail.
[14] Il doit s'agir d'un véritable lien de subordination, d'une véritable rémunération et d'un véritable encadrement; en d'autres termes, il ne doit pas s'agir de faits maquillés en contrat de louage de services.
[15] Il s'agit là d'une preuve dont le fardeau incombe aux appelants. Pour relever un fardeau de preuve aussi exigeant, il est généralement nécessaire de faire témoigner les deux personnes parties au contrat de travail; leur témoignage doit être vraisemblable. Elles peuvent toutefois bonifier la valeur de leurs représentations par la production de documents divers et le témoignage de personnes étrangères en mesure d'étoffer, compléter et confirmer leur témoignage, surtout lorsqu'il y a des ambiguïtés ou des circonstances qui diluent la vraisemblance.
[16] En l'espèce, il y a plusieurs éléments qui suscitent des interrogations et qui minent la valeur du témoignage de l'appelante. Tout d'abord la durée des périodes en litige coïncide sensiblement avec le nombre de semaines nécessaires pour recevoir des prestations d'assurance-chômage; les explications fournies ne justifient ni n'expliquent les coïncidences.
[17] Dès le début de son témoignage, l'appelante a indiqué n'être pas vraiment actionnaire, contrairement aux apparences. Elle aurait en quelque sorte agi comme prête-nom à son conjoint pour obtenir une subvention de 15 000 $ qui ne lui a aucunement profité. Il s'agissait là d'un programme de soutien et d'encouragement à l'endroit de ceux et celles voulant s'établir en agriculture.
[18] Elle a également indiqué que sa lettre de démission et celle de son conjoint auprès de leur employeur étaient fictives et qu'il s'agissait là d'une simple formalité dont le but était d'obtenir un prêt au montant de 93 000 $. Pour obtenir ce prêt, les emprunteurs devaient certifier que l'agriculture était leur principale activité d'où les lettres de démission. Le payeur n'a dans les faits jamais démissionné de son emploi qu'il occupait toujours au moment de l'audition.
[19] Bien qu'il soit fait mention d'un montant de 10 000 $ payable à Rémi Lachance dans le détail du montant emprunté, le payeur a indiqué n'avoir rien payé à Rémi Lachance pour l'achat de ses actions. À quelques reprises, l'appelante a reconnu être intervenue comme co-emprunteur à titre de caution, s'empressant d'ajouter que cela était sans importance ni conséquence puisqu'elle n'avait aucun bien pour répondre de ses engagements; elle signait essentiellement parce que son conjoint le lui demandait.
[20] Je retiens de tous ces faits que l'appelante et son conjoint étaient très flexibles et souples dans leurs déclarations, faits et gestes et peu scrupuleux lorsqu'il était question d'obtenir un soutien financier. Ils n'hésitaient pas à certifier, par leur signature, des faits non conformes à la réalité. Pourquoi en aurait-il été autrement au niveau des faits ayant trait à l'assurabilité de l'emploi de l'appelante?
[21] Doit-on prendre pour acquis que l'appelante a dit la vérité lorsqu'elle a affirmé que la durée de ses périodes de travail n'avait rien à voir avec sa qualification aux prestations d'assurance-chômage?
[22] Doit-on prendre pour acquis qu'elle dit la vérité lorsqu'elle affirme avoir repris un travail très exigeant physiquement le 10 avril 1995 après avoir accouché au mois de février?
[23] Doit-on prendre pour acquis qu'elle dit la vérité lorsqu'elle dit avoir fendu du bois, peinturé au haut d'une échelle, après avoir dû s'attacher et cela, alors qu'elle était seule à un endroit éloigné de la résidence familiale, son conjoint recevant, quant à lui des prestations d'assurance-chômage?
[24] Il serait peut-être délicat et imprudent de conclure à partir de ces seuls constats. La preuve a aussi démontré qu'elle ne recevait pas de rémunération de façon régulière, ses chèques de paye étaient préparés et négociés en bloc de plusieurs en même temps. L'appelante signait elle-même ses propres chèques de paye, lesquels portaient très souvent des numéros consécutifs. Ces faits ressortent clairement du tableau suivant :
Chèque No. Date de À l'ordre Signataire Semaine Montant
Préparation Bénéficiaire
0996 1 avril 93 Appelante Appelante 20-27 février 596,18 $
0997 29 mars 93 Appelante Appelante 6-12 mars 298,09 $
0998 29 mars 93 Appelante Appelante 13-19 mars 93 298,09 $
0999 29 mars 93 Appelante Appelante 20-26 mars 93 298,09 $
1000 29 mars 93 Appelante Appelante 27 mars-3 avril 298,59 $
1059 13 avril 93 Appelante Appelante 4-10 avril 298,59 $
1080 22 avril 93 Appelante Appelante 11-17 avril 298,59 $
1098 28 avril 93 Appelante Appelante 18-24 avril 298,59 $
1116 13 mai 93 Appelante Appelante 2-8 mai 298,59 $
1118 19 mai 93 Appelante Appelante 9-15 mai 298,59 $
1125 27 mai 93 Appelante Appelante 16-22 mai 298,59 $
1130 2 juin 93 Appelante Appelante 23-29 mai 298,59 $
1135 10 juin 93 Appelante Appelante 30 mai-5 juin 298,59 $
1137 17 juin 93 Appelante Appelante 6-12 juin 298,59 $
1141 23 juin 93 Appelante Appelante 13-19 juin 298,59 $
1145 6 juillet 93 Appelante Appelante 29 juin-3 juillet 292,81 $
1151 27 juillet 93 Appelante Appelante 4-10 juillet 292,81 $
1152 27 juillet 93 Appelante Appelante 4 % 254,83 $
1359 18 avril 94 Appelante Appelante 16-22 janvier 351,43 $
1360 18 avril 94 Appelante Appelante 23 janvier-09 février 351,43 $
1376 25 avril 94 Appelante Appelante 6-12 février 351,43 $
1377 25 avril 94 Appelante Appelante 13-19 février 351,43 $
1404 10 mai 94 Payeur Appelante 20-26 février 244,63 $
1405 10 mai 94 Payeur Appelante 27 février-5 mars 244,63 $
1406 10 mai 94 Payeur Appelante 6-12 mars 244,63 $
1407 10 mai 94 Payeur Appelante 13-19 mars 244,63 $
1408 10 mai 94 Payeur Appelante 20-26 mars 244,63 $
1409 10 mai 94 Payeur Appelante 27 mars-2 avril 244,63 $
1410 10 mai 94 Payeur Appelante 3-9 avril 244,63 $
1411 10 mai 94 Payeur Appelante 10-16 avril 244,63 $
1412 10 mai 94 Payeur Appelante 17-23 avril 244,63 $
1413 10 mai 94 Payeur Appelante 23-30 avril + 4% 363,21 $
1417 12 mai 94 Appelante Appelante 6-12 février 351,43 $
1418 12 mai 94 Appelante Appelante 13-19 février 351,43 $
1419 12 mai 94 Appelante Appelante 20-26 février 351,43 $
1420 12 mai 94 Appelante Appelante 27 février-5 mars 351,43 $
1421 12 mai 94 Appelante Appelante 6-12 mars 351,43 $
1422 12 mai 94 Appelante Appelante 13-19 mars 351,43 $
1423 12 mai 94 Appelante Appelante 20-26 mars 351,43 $
1424 12 mai 94 Appelante Appelante 27 mars - 2 avril 351,43 $
1437 26 mai 94 Appelante Appelante 3-9 avril 351,43 $
1438 26 mai 94 Appelante Appelante 10-16 avril 351,43 $
1439 26 mai 94 Appelante Appelante 17-23 avril 351,43 $
1440 26 mai 94 Appelante Appelante 8-14 mai 351,43 $
1441 26 mai 94 Appelante Appelante 1-7 mai 351,43 $
1442 26 mai 94 Appelante Appelante 25-28 mai 351,43 $
1443 26 mai 94 Appelante Appelante 29 mai-4 juin 351,43 $
1469 16 août 94 Appelante Appelante 5-11 juin 351,43 $
1470 16 août 94 Appelante Payeur 12-18 juin 351,43 $
1471 16 août 94 Appelante Payeur 19-25 juin 351,43 $
1472 16 août 94 Appelante Payeur 4 % 338,37 $
[25] Le moment et la durée des périodes de travail de l'appelante variaient beaucoup et cela, bien qu'il s'agissait sensiblement du même travail pour le compte et bénéfice d'une entreprise qui a toujours eu la même vocation, au cours des périodes en litige. Aux questions visant à savoir pourquoi l'appelante exécutait un travail très exigeant physiquement alors que lui, propriétaire des actions du payeur était sans travail et recevait des prestations d'assurance-chômage, il a répondu qu'il n'aimait pas ce genre de travail.
[26] Il a indiqué que si l'appelante n'avait pas exécuté le travail, il aurait dû le faire exécuter par quelqu'un d'autre. Très préoccupé par l'aspect financier de son entreprise, pourquoi ne l'a-t-il pas confié effectivement à des étrangers, à qui il aurait sans doute dû payer le salaire minimum. Aucune réponse n'a été fournie. Je doute que le travail relatif au ménage et nettoyage, au transport et cordage du bois aurait commandé un salaire de 10 $ et 12 $/heure, comme celui qui était payé à l'appelante.
[27] La prépondérance de la preuve est à l'effet que l'appelante et son conjoint ont travaillé ensemble pour se construire un patrimoine intéressant.
[28] Pour atteindre leur objectif, ils n'ont rien négligé allant même jusqu'à faire de fausses et mensongères déclarations pour obtenir et recevoir le maximum de soutien financier disponible.
[29] L'appelante, dynamique et fort dévouée à son travail, s'est beaucoup investie dans l'entreprise qui, selon elle, était la propriété exclusive de son conjoint de fait.
[30] Cette collaboration ne constitue pas pour autant un véritable contrat de louage de services au sens de la Loi. Je crois que le travail fourni par l'appelante était utile et nécessaire à la bonne marche de l'entreprise. Je ne crois toutefois pas que sa prestation de travail à plein temps se soit échelonnée sur des périodes aussi longues que celles décrites à l'audition. En dehors des périodes en litige, elle exécutait toutes les tâches reliées à l'administration de la compagnie. Certes, il s'agissait là d'un travail nécessitant peu d'heures mais il s'agissait tout de même d'une responsabilité qu'elle assumait aussi durant les périodes en litige. D'autre part, le salaire qu'elle recevait était surévalué eut égard à la nature des travaux. Finalement, je ne crois pas son conjoint, le payeur, lorsqu'il affirme qu'il ne travaillait pas et confiait à l'appelante l'exécution de plusieurs des travaux décrits.
[31] Finalement, le contenu des deux déclarations statutaires signées par l'appelante confirme totalement la réalité dégagée par la prépondérance de la preuve.
Déclaration Statutaire à la Commission - Pièce I-1
...Je suis libre de déterminer mes heures et horaires de travail. Je pouvais commencer plus tard et finir plus tard selon ce qui ne convenait. Du début juillet à la fin septembre 1995, François travaillait à l'extérieur et j'étais assez honnête pour faire mon temps. Pour expliquer pourquoi. François est en chômage à certaine période pendant que c'est moi qui reçoit un salaire de l'entreprise, c'est que je suis disposé à le faire et je le fais.
J'ai fait cette déclaration librement, j'ai relu les deux pages avant signature et elle résume l'entrevue et les faits.
le 12 octobre 1995 (Je souligne)
Déclaration Statutaire à la Commission - Pièce I-2
Suite à ma déclaration du 12 octobre 1995, je me présente pour fournir les explications dont vous avez besoin face à mon droit aux prestations et j'accepte que mon conjoint François Lachance assiste à l'entrevue.
...
Il n'y a aucun contrôle sur mon travail et quand François revient, il voit bien si j'ai fait mon ouvrage ou non. Je n'ai pas d'horaire de travail et c'est variable. ... Je suis libre de déterminer mes heures de travail, je peux commencer plus tard et finir plus tard.
Je peux prendre la responsabilité d'embaucher et de congédier quelqu'un si François n'est pas là.
Les directives que je reçois de François c'est concernant ce que je fais dans le bois, peinturer etc. mais nous nous consultons sur tout. Pour le prêt que nous avons fait au moment du prêt, nous sommes tous les deux responsable François et moi.
...
François et moi sommes autorisés à signer les chèques de l'entreprise. Concernant les chèques que j'ai signé pendant les périodes que j'étais en chômage, c'est que je faisais les paiements de comptes et ne prenais aucun salaire pour cela. Concernant le fait que je reçois mes chèques de salaire en bloc, je c'est que nous n'avons pas assez d'argent et j'attend. Les employés eux ont leur salaire au fur et à mesure.
Je continue à rendre des services bénévolement pendant que je suis en chômage car c'est à la maison. Je ne déclarais rien sur mes cartes car je ne considérais pas cela comme travail.
La raison pourquoi François est en chômage à certaine période pendant que moi je suis au livre des salaires c'est que moi je suis disponible à le faire.
...
J'ai fait cette déclaration de 4 pages librement en présence de mon conjoint François Lachance. Je l'ai relue au complet moi-même avant signature et elle est véridique.
8 novembre 1995 (Je souligne)
[32] Le statut de l'appelante auprès de l'entreprise payeure était très particulier. Elle dirigeait et planifiait elle-même l'exécution de son travail. Elle signait ses propres chèques de paye. Elle attendait de très longs délais pour recevoir sa paye. Le moment où elle touchait sa rémunération était fonction des disponibilités financières de la compagnie. Elle a accepté une diminution importante de salaire dont le vrai pourquoi n'a jamais été démontré, les appelants n'ayant pas jugé à propos de déposer les états financiers.
[33] Il y a là suffisamment d'éléments pour conclure que l'appelante était associée au payeur en vertu d'une relation juridique qui pouvait, en apparence, ressembler à un contrat de travail; dans les faits et en droit, cela n'était pas la situation. D'ailleurs cela ressort assez clairement des faits suivants :
- Tous les employés recevaient leur rétribution selon les usages, soit dans les jours suivant l'exécution de leur prestation de travail. L'appelante tolérait de très longs délais pour recevoir sa paye, qui lui était souvent versée en fonction des disponibilités financières de la compagnie.
- Au cours des périodes en litige, seule la cuisinière a vu sa rétribution augmenter, d'un montant beaucoup inférieur à ce qu'ont été les augmentations versées à l'appelante et qui ont progressé de la manière suivante :
1992 = 8,00 $/l'heure 1995 = 12,00 $/l'heure
1993 = 10,00 $/l'heure 1996 = 9,00 $/l'heure
1994 = 12,00 $/l'heure
- Lors de la dernière période en litige, l'appelante a vu son salaire réduit de 30 %; il n'y a eu aucune preuve à l'effet que le salaire de la cuisinière avait été ainsi réduit.
[34] Si l'appelante a renoncé aux droits lui attribuant une partie du capital-actions de la compagnie, si elle a accepté une baisse substantielle de salaire, si elle a accepté de travailler une période beaucoup plus longue pour sensiblement le même salaire, si elle a accepté de travailler bénévolement en dehors des périodes en litige, si elle acceptait de longs délais pour être payée, si elle a reçu des augmentations de salaire beaucoup supérieures aux autres employés, elle ne peut prétendre avoir été une simple employée de l'entreprise.
[35] La prépondérance de la preuve a éloquemment établi que l'appelante et son conjoint ne ménageaient aucun effort pour se construire un actif. Ils profitaient au maximum de tous les programmes disponibles de soutien financier en n'hésitant pas à fournir des informations inexactes.
[36] L'assurance-chômage n'est pas un programme de soutien à la P.M.E.; il s'agit essentiellement d'une mesure sociale pour aider les personnes ayant perdu leur emploi; cette aide est assujettie au respect de conditions spécifiques. Il doit s'agir d'un véritable emploi commandé par la réalité économique de l'entreprise qui l'a créé. En d'autres termes, les périodes d'emploi doivent être déterminées essentiellement par les besoins de l'entreprise.
[37] En l'espèce, les explications soumises par l'appelante et son conjoint ne sont pas vraisemblables. Je fais notamment référence à la durée des périodes de travail; d'autre part, il a été démontré que l'appelante s'occupait des affaires de l'entreprise en dehors des périodes en litige.
[38] Il ne suffit pas de prétendre que cela n'était pas un travail ou de minimiser l'importance de ce travail exécuté en dehors des périodes en litige pour exclure ces faits de l'analyse.
[39] Il ressort de la preuve que l'appelante était étroitement associée à la bonne marche de l'entreprise. Elle exécutait des activités sur une base annuelle; elle s'occupait de tout, comme si elle avait été copropriétaire. Le fait que l'appelante et le payeur aient décidé de maquiller le travail exécuté par l'appelante en un contrat de louage de services n'oblige en rien ce tribunal à reconnaître un tel contrat. Seuls les faits réels, plausibles et vraisemblables doivent faire partie de l'analyse visant à déterminer s'il existait, lors des périodes en litige, un véritable contrat de louage de services.
[40] En l'espèce, la preuve a clairement démontré qu'il ne s'agissait pas d'un contrat de louage de services au sens de la Loi; il s'agissait plutôt d'une prestation de travail exécutée dans le cadre d'une entreprise commune et conjointe. Le contenu des deux déclarations statutaires est éloquent quant à l'absence de contrôle sur le travail de l'appelante. D'autre part, je ne retiens pas les explications de l'appelante et de son conjoint quant à l'existence du lien de subordination; je crois qu'ils ont déformé la réalité.
[41] L'assurance-chômage est une mesure sociale mise en place pour venir en aide à ceux et celles qui perdent réellement leur emploi de façon temporaire ou définitive; il doit s'agir d'un véritable emploi et d'une véritable mise à pied, l'assurance-chômage n'étant pas un programme de soutien financier pour aider les petites et moyennes entreprises à se développer.
[42] Le travail exécuté par l'appelante pour le compte et bénéfice du payeur, au cours des périodes en litige, ne répondait pas aux exigences et critères édictés par la Loi et la jurisprudence pour être qualifié de contrat de louage de services.
[43] Pour ces motifs, les appels sont rejetés.
"Alain Tardif "
J.C.C.I.