Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20001128

Dossier: 2000-2560-IT-I

ENTRE :

SOO YE LOK et JOHN S. LOK,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 22 novembre 2000.)

Le juge Hershfield

[1]            Les appelants, Soo Ye Lok et John S. Lok, ont déposé un avis d'appel commun, au premier paragraphe duquel ils demandent le remboursement de l'impôt payé au titre de l'intérêt accumulé sur des obligations d'épargne du Canada au cours d'une période de non-résidence. Soo Ye demande un rajustement des déclarations de revenu produites pour les années d'imposition 1994 et 1997, et John S. Lok demande un rajustement pour sa déclaration de 1997.

[2]            Les contribuables ont d'abord adressé leur demande de rajustement au Bureau international des services fiscaux situé à Ottawa; non satisfaits de la réponse reçue, ils ont ensuite écrit à la Direction des décisions de l'impôt à Ottawa. Cette dernière les a informés qu'elle ne pouvait accéder à leur demande puisque l'intérêt accumulé sur les obligations en cause avait été inclus à juste titre dans leur revenu et que l'impôt avait été calculé et payé comme il se devait.

[3]            C'est ainsi que les appelants en sont venus à interjeter appel du refus de Revenu Canada de modifier la déclaration de revenu de Soo Ye pour l'année d'imposition 1994 et celle des deux appelants pour l'année 1997. Tous deux demandent à la Cour de rendre une ordonnance pour que leur soit remboursé l'impôt qu'ils n'étaient pas, selon eux, tenus de payer aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[4]            Au lieu de déposer une réponse à l'avis d'appel, l'avocat de l'intimée a demandé le rejet de l'appel par voie de requête, pour deux motifs : en premier lieu, chaque contribuable doit faire appel personnellement, et, en deuxième lieu, l'appel n'a pas été formé en conformité avec les modalités prévues à l'article 169 de la Loi.

[5]            En ce qui concerne le premier motif invoqué dans la requête, j'admets que l'appelant, John S. Lok, a fait savoir, par l'entremise de son représentant, qu'il était disposé à abandonner son appel afin d'éviter tout vice de forme dans l'appel de Soo Ye. La question de savoir si l'appelant doit retirer ou non son appel ne deviendrait pertinente que si je rejetais la requête de l'intimée relativement au second motif. Si tel était le cas, je devrais me pencher à nouveau sur le premier motif de la requête. Je dirai cependant qu'un vice de forme de ce genre, dans le cadre d'un appel engagé sous le régime de la procédure informelle, ne devrait pas être un empêchement à l'audition de l'appel. L'article 4 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure informelle) précise essentiellement qu'un appel n'est assujetti à aucune condition de forme; par conséquent, la Cour pourrait tout simplement modifier ses registres pour qu'il y ait deux appels distincts et exiger par exemple des droits de dépôt supplémentaires de 100 $. Quoi qu'il en soit, ce genre de vice de forme ne constituerait probablement pas un motif de rejet. Je n'ai pas à me prononcer sur ce point sauf si, comme je l'ai précisé, l'intimée n'obtient pas gain de cause relativement au second motif de rejet.

[6]            J'aimerais en venir à ce second motif, soit que l'appel ne satisfait pas aux exigences de l'article 169 de la Loi, lequel expose la seule manière de procéder pour former un appel devant la Cour de l'impôt. Le droit sur cette question ne laisse subsister aucun doute, non seulement dans la lettre de la loi, c'est-à-dire le texte législatif, mais aussi dans presque toutes les affaires dont cette cour et les tribunaux supérieurs ont été saisis. La Cour canadienne de l'impôt ne peut être saisie d'un appel s'il n'est pas satisfait aux exigences de l'article 169. Cette disposition dit bien qu'une cotisation doit avoir été établie et que le contribuable doit avoir signifié un avis d'opposition à cette cotisation à Revenu Canada. La Cour n'a pas compétence pour instruire un appel qui ne satisfait pas aux exigences de cette disposition.

[7]            Au début de l'audience, j'ai demandé à l'avocat de l'intimée s'il avait montré aux appelants (ou s'il pouvait citer à la Cour) un quelconque précédent à l'appui de cette thèse. L'avocat de l'intimée a indiqué qu'il s'appuyait uniquement sur le libellé explicite de la disposition législative, lequel, je l'admets, est bien assez clair. Il n'en demeure pas moins qu'on aurait pu avoir la courtoisie de démontrer aux appelants, avant l'audience, ou certainement pendant celle-ci, que la requête était fondée en droit. En cherchant à déterminer si l'intérêt était payable au Canada, les appelants s'interrogeaient déjà sur le texte d'une loi compliquée et difficile à comprendre, autrement dit sur le bien-fondé de la question fondamentale. On ne devrait donc pas dresser un autre obstacle sur leur chemin en soulevant une question de procédure sans leur fournir d'explications. Il existe sur ce point de procédure plusieurs précédents, une demi-douzaine au moins, qui auraient pu être présentés aux contribuables (les appelants) et qui auraient pu les éclairer.

[8]            Quoi qu'il en soit, je dirai, pour mémoire, ainsi que pour la gouverne des appelants, que la requête concernant une question de procédure déposée par la Couronne n'est pas un moyen inventé par cette dernière pour les empêcher d'engager un appel, mais une mesure fondée sur les conclusions de cette cour et des tribunaux supérieurs pour ce qui est de la procédure à suivre pour former un appel ― la seule manière possible de saisir cette cour d'un appel. Dans l'arrêt Laforme c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-559-89, 22 mai 1991, à la page 4 (91 DTC, à la page 5372) ― je donne uniquement les numéros de page et la référence pour mémoire ―, qui était en réalité un appel d'une décision de cette cour devant la Section de première instance de la Cour fédérale, il a été statué comme suit :

L'absence d'un avis d'opposition prive la Cour canadienne de l'impôt de toute compétence en appel [...]

Les parties ayant admis dans le présent appel qu'aucun avis d'opposition n'avait été déposé, la Cour canadienne de l'impôt n'a donc pas compétence pour entendre cet appel.

[9]            Se pose toutefois la question de savoir ― et j'essaie d'envisager toutes les possibilités pour le bénéfice des appelants ― s'il est possible d'examiner la correspondance que les contribuables ont échangée avec Revenu Canada pour déterminer si celle-ci ne pourrait pas prendre valeur d'avis d'opposition. J'ai eu l'occasion de me pencher sur cette question. L'avocat de l'intimée m'a fort gentiment fourni, et je tiens à l'en remercier, le précédent qui, si l'on peut dire, permet d'accréditer la thèse voulant que la correspondance puisse prendre valeur d'avis d'opposition même si elle ne satisfait pas exactement aux exigences de l'article 169 (Wichartz c. La Reine, C.C.I., no 94-432(IT)I, 12 août 1994 (94 DTC 1703), un appel engagé sous le régime de la procédure informelle).

[10]          J'aimerais me référer à cette affaire parce que c'est la seule occasion qui m'est offerte en l'espèce de conclure que la Cour pourrait être saisie de cet appel. J'aimerais me reporter au contenu de la correspondance échangée dans cette affaire, plus particulièrement à une lettre rédigée par la contribuable peu de temps après qu'elle eut reçu un avis de cotisation. Un passage de cette lettre disait ceci :

                [TRADUCTION]

Il va sans dire que j'ai été extrêmement surprise quand j'ai reçu par la poste mon avis de cotisation pour l'année 1988, avis dans lequel on m'imposait une pénalité de plus de 4 000 $ pour production tardive.

Je ne lirai pas le reste de la lettre. Selon le libellé de la Loi, il n'y a pas de formule prescrite pour signifier un avis d'opposition, mais l'article 165 précise que cet avis, peu importe sa forme, doit être adressé à la Division des appels. Cette dernière détermine quelle suite il convient de donner aux oppositions et aux appels. Si l'avis d'opposition n'aboutit pas au bureau des appels, il n'aboutit donc pas à un service qui sait comment traiter les oppositions et les appels. Si la disposition indiquant que l'avis doit être envoyé à une direction ou une division particulière de Revenu Canada se trouve dans la Loi, c'est pour que les personnes qui ont les compétences voulues pour aider à régler la question prennent connaissance de l'avis; ainsi, si le contribuable a besoin d'explications au sujet de la façon de procéder pour poursuivre sa démarche, au moins il traitera avec les bonnes personnes, c'est-à-dire celles qui connaissent la marche à suivre.

[11]          Dans l'affaire Wichartz, la lettre n'a pas été adressée à la Division des appels. Seul le service des affaires publiques a reçu le document. La Cour a conclu que Revenu Canada avait bel et bien reçu la lettre. Le ministère ne l'avait pas considérée comme un avis d'opposition, mais il était évident à la simple lecture de cette lettre que l'appelante s'opposait avec véhémence à la cotisation. La Cour a donc conclu que, même si l'opposition n'avait pas été adressée au service compétent de Revenu Canada, elle n'en constituait pas moins un avis d'opposition.

[12]          Il m'est donc nécessaire, en l'espèce, d'examiner la correspondance ou les pièces soumises et de déterminer si elles cadrent avec l'objet et le droit de l'affaire dont je viens de citer un passage, qui est l'affaire Witchartz, sur laquelle cette cour s'est prononcée.

[13]          J'ai en main un certain nombre de lettres. La première est la pièce A-1, qui a été produite au cours du témoignage de l'appelante Soo Ye Lok. Cette lettre, datée du 17 mars 1999, a été envoyée au Bureau international des services fiscaux; on peut y lire ceci :

                [TRADUCTION]

Nous demandons respectueusement qu'une nouvelle cotisation (rajustement) soit établie pour les années d'imposition 1994 et 1997 de Soo Ye, et pour l'année d'imposition 1997 de John, aux fins de remboursements d'impôt.

Si cette lettre constitue un avis d'opposition, elle a été rédigée après l'expiration du délai de prescription applicable à l'année 1994, mais avant l'expiration du délai applicable à l'année 1997. (La nouvelle cotisation établie à l'égard de Soo Ye pour l'année d'imposition 1997 était datée du 29 janvier 1999 et celle établie à l'égard de John pour la même année était datée du 8 juin 1998. La réponse portait la date du 17 juin 1999. La deuxième lettre, datée du 22 septembre 1999, adressée à la Direction des décisions de l'impôt, a été expédiée trop tard pour être considérée comme un avis d'opposition. Si la réponse du 17 juin prend valeur de ratification, l'appel est hors délai, sauf si une prorogation de délai est accordée.) En ce qui concerne la lettre datée du 17 mars 1999, nulle mention n'y est faite d'une cotisation établie antérieurement ou d'une opposition à une cotisation ou à une nouvelle cotisation. En fait, ce qui s'est produit en l'espèce, c'est que les contribuables ont appris d'une source externe — une émission de télévision — qu'il était à tout le moins possible que l'intérêt accumulé au cours d'une période de non-résidence au Canada fût exonéré d'impôt au Canada. Ainsi, dans l'année d'imposition 1997, par exemple, quand l'intérêt accumulé sur des obligations d'épargne pendant une période de non-résidence au Canada a dans les faits été payé aux détenteurs des obligations, c'est-à-dire les contribuables, il n'aurait pas dû être inclus par ceux-ci dans leur revenu imposable de l'année 1997. Ils ont toutefois inclus cet intérêt dans leur revenu imposable de 1997. Le régime fiscal est un régime d'autocotisation, et les contribuables ont déterminé, au moment où ils ont produit leurs déclarations de revenu, que cet intérêt était imposable. Une cotisation a été établie par la suite, mais celle-ci n'a rien changé à la manière dont l'intérêt avait été traité par les contribuables.

[14]          Ayant appris qu'ils pouvaient faire valoir que leur revenu réel était inférieur au revenu déclaré, les contribuables ont demandé l'établissement d'une cotisation ou un rajustement. Ils n'ont pas songé au fait qu'ils avaient reçu un avis de cotisation ratifiant les déclarations qu'ils avaient produites. Ils ne peuvent y avoir songé lorsqu'ils ont écrit des lettres pour s'opposer à la cotisation, alors que cette cotisation n'était pas la cause de leurs interrogations.

[15]          Le fait qu'ils ont demandé à Revenu Canada d'effectuer un rajustement volontaire distingue la présente affaire de l'affaire Witchartz. Dans cette affaire, la lettre avait été rédigée après réception d'un avis de cotisation, dans le but de contester cette cotisation.

[16]          Dans l'affaire dont je suis saisi, les contribuables ont formulé une demande de rajustement. Dans la pratique, on ne peut considérer une demande de rajustement comme un avis d'opposition à une cotisation. Il est de notoriété publique que Revenu Canada n'est pas tenu en droit d'effectuer un rajustement lorsque les contribuables ont produit des déclarations de revenu où figure le revenu imposable qu'ils ont eux-mêmes déterminé. Quoi qu'il en soit, il arrive souvent que Revenu Canada, dans les délais dans lesquels il lui est loisible d'agir, établisse de nouvelles cotisations et effectue les rajustements demandés. Il s'agit d'une procédure que Revenu Canada applique de son gré et, en l'espèce, je crois que le ministère était disposé à accéder à la demande, à condition de convenir que les renseignements fournis dans la déclaration de revenu étaient erronés.

[17]          Le Bureau international des services fiscaux et la Direction des décisions de l'impôt ont en fait répondu ceci aux appelants : [TRADUCTION] « Nous ne croyons pas que les renseignements fournis dans vos déclarations de revenu soient erronés. Nous croyons qu'ils sont exacts, autrement dit que vous deviez payer de l'impôt sur le plein montant de l'intérêt dans l'année où il vous a été versé. C'est ce que dit la Loi. Il aurait fallu, pour que vous pussiez obtenir l'exemption demandée, que les sommes aient été reçues, et non pas accumulées, pendant la période où vous ne résidiez pas au Canada. » C'est ainsi qu'ils ont interprété la loi. Ils ont refusé d'effectuer les rajustements que vous (les appelants) demandiez.

[18]          Cela étant dit, pouvez-vous ensuite vous adresser à cette cour et lui demander de déterminer si la décision de Revenu Canada peut être portée en appel ou annulée? La réponse à cette question est non. La réponse se trouve à l'article 169, c'est-à-dire qu'il doit y avoir opposition à un avis de cotisation.

[19]          Il est clairement établi en droit que vous pouvez vous opposer aux cotisations d'impôt qui sont fondées sur votre propre déclaration de revenu. En d'autres termes, vous pouvez produire une déclaration de revenu et vous opposer à une cotisation qui ratifie essentiellement votre propre déclaration de revenu. Vous avez le droit de vous opposer même si Revenu Canada n'a pas contesté votre déclaration, c'est-à-dire que la cotisation ne semble à première vue pas poser de problème. Le droit vous permettrait quand même de déposer un avis d'opposition, dans le délai prescrit. Cependant, l'opposition doit se rapporter à la cotisation.

[20]          J'ai cru comprendre au cours de l'audience que les contribuables reprochent dans une certaine mesure à Revenu Canada de ne pas leur avoir expliqué la procédure à suivre. En toute justice, je dirai que la procédure, à première vue, consistait simplement à demander un rajustement et que, de manière générale, au reçu d'une telle demande, Revenu Canada procéderait exactement de la manière dont il a procédé en l'espèce. Le ministère examinerait le bien-fondé de vos affirmations et déterminerait si, au fond, vous avez raison. Le ministère aurait probablement annulé la cotisation sans qu'il vous soit nécessaire de déposer un avis d'opposition. C'est la démarche que vous (les appelants) avez entreprise et sur le fondement de laquelle on vous a conseillé d'écrire ici et là, parce que c'était une demande de rajustement.

[21]          C'est pourquoi la loi précise que l'avis d'opposition doit être adressé à la Division des appels, puisque c'est cette division ― en supposant que l'opposition parvienne d'abord au service compétent ― qui saura le mieux vous conseiller si vous avez l'intention de former un appel devant cette cour. Je me doute bien que mes propos ne satisferont pas tout à fait les appelants en l'espèce, étant donné qu'ils n'ont jamais été mis au courant de l'existence de la Division des appels et qu'ils n'ont pas été dirigés vers ce service.

[22]          Quoi qu'il en soit, même si je conclus que la lettre de mars 1999, pièce A-1, rédigée par les deux appelants, a été expédiée dans le délai prescrit pour signifier un avis d'opposition relativement à l'année d'imposition 1997, je conclus que cette lettre ne peut constituer une opposition, car on n'y trouve nulle mention d'une cotisation et d'une opposition à une cotisation, et qu'elle ne satisfait donc pas aux exigences de l'article 169. La lettre était une demande de rajustement. Il n'est pas possible dans les faits de conclure que les demandes du genre prennent valeur d'avis d'opposition dans le contexte de l'article 169.

[23]          Je rejette par conséquent les appels, faisant ainsi droit aux requêtes, au motif qu'il n'a pas été satisfait aux exigences de l'article 169.

[24]          J'ajouterai, même si cela ne fait pas partie du jugement à strictement parler, que, bien que je n'aie entendu aucun témoignage ni aucun argument au sujet du bien-fondé de l'affaire, il est probable que j'aurais confirmé la position de Revenu Canada après m'être penché sur le bien-fondé de cette affaire. Je ne tire aucune conclusion semblable, parce que je ne suis pas habilité à entendre l'appel et que je n'ai entendu aucun témoignage ni aucun argument à ce propos. À première vue, toutefois, je dirais que l'appel n'était probablement pas fondé en partant.

[25]          Ce sont là les conclusions de la Cour.

« J. Hershfield » "J.E. Hershfield"

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 11e jour de juin 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.