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Date: 20010118

Dossiers : 98-2034-IT-G; 98-2035-IT-G

ENTRE :

FORESBEC INC., SOCIÉTÉ DE GESTION J.N.G. INC.,

appelantes,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Ces appels ont été entendus sur preuve commune. Dans les deux cas, les appels concernent les années d'imposition des appelantes de 1990 à 1992.

[2]            Les questions en litige concernant l'appelante « Foresbec Inc. » sont :

                1)              La somme de 150 000 $ versée à Multi-Ind. au cours des années 1990 à 1992 était-elle pour un contrat de service ? L'appelante peut-elle réclamer à titre de dépenses pour gagner du revenu, au sens du paragraphe 9(1) et de l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), les montants suivants : pour l'année 1990, 12 500 $, pour l'année 1991, 75 000 $, pour l'année 1992, 62 500 $, pour un total de 150 000 $;

                2)              Si la réponse est négative le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) était-il justifié d'établir la cotisation de l'appelante pour l'année d'imposition 1990, au-delà de la période de nouvelle cotisation conformément au paragraphe 152(4) de la Loi ?; et

                3)              Est-ce que c'est sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde que l'appelante aurait inclus une dépense non admissible dans le calcul de ses revenus à l'égard des années d'imposition en litige ?

[3]            En ce qui concerne l'appelante « Société de Gestion J.N.G. Inc. » , les questions en litige sont les suivantes :

                1)              L'appelante a-t-elle reçu un avantage imposable à titre d'actionnaire de Foresbec Inc., par le paiement de la susdite somme de 150 000 $ dans les années en litige au sens du paragraphe 15(1) de la Loi ?;

                2)              Si la réponse est affirmative, le Ministre était-il justifié d'établir la cotisation de l'appelante pour les années d'imposition 1990 et 1991, au-delà de la période de nouvelle cotisation conformément au paragraphe 152(4) de la Loi ?; et

                3)              Le Ministre a-t-il correctement imposé une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi ?

[4]            L'avocat de l'appelante Société de Gestion J.N.G. Inc., a informé la Cour au début de l'audience que cette dernière retirait son appel à l'encontre de l'avis de la détermination d'une perte autre qu'en capital, établie par le Ministre à l'égard de la perte à la fin de l'année d'imposition 1992. Cet avis est en date du 20 décembre 1996

[5]            En ce qui concerne l'avis d'appel de l'appelante Foresbec Inc., l'avocat de cette dernière a demandé de modifier son avis d'appel pour enlever toute mention aux années 1993 et 1994. L'avocate de l'intimée a informé la Cour qu'elle ne s'opposait pas à cette demande. Donc l'avis d'appel est modifié tel que demandé par l'avocat de l'appelante.

[6]            Les témoins suivants ont témoigné à la demande de l'avocat des appelantes : messieurs Guy Boissé, Louis Lagassé, Yvan Bouvet, Gérald Gagnon et Jacques Maltais. Monsieur André L'Espérance a témoigné à la demande de l'avocate de l'intimée.

[7]            Monsieur Guy Boissé a expliqué que l'appelante, Société de Gestion J.N.G. Inc., ci-après J.N.G., est une société de gestion dont il a le contrôle. Cette dernière, avant mars 1989, contrôlait l'appelante Foresbec Inc., ci-après Foresbec. Monsieur Boissé était le président des deux sociétés. Foresbec est une compagnie publique dont les actions ordinaires sont cotées à la Bourse de Montréal. Elle oeuvre dans deux secteurs, soit le commerce du bois et la vente de matériaux de construction. En ce qui concerne le commerce du bois, elle fait le séchage, la classification et la commercialisation du bois surtout vers le marché d'exportation.

[8]            Monsieur Boissé a expliqué que le fait que Foresbec soit une société publique, a intéressé monsieur André L'Espérance, actionnaire important de Multi-Ind. Inc., ci-après Multi-Ind, qui désirait faire accéder son groupe à la Bourse de Montréal.

[9]            Le 8 mars 1989, J.N.G. vend 3,600,000 actions qu'elle détient dans la compagnie Foresbec à Multi-Ind pour une somme de 3 960 000 $. Une partie est payée comptant, 2 010 000 $, et une autre partie payable en trois versements, 1 950 000 $ exigibles en tranches égales les 1er avril 1992, 1993 et 1994 (pièce I-1).

[10]          Après l'acquisition, monsieur Boissé demeure en charge de l'exploitation de l'entreprise et monsieur L'Espérance préside le conseil d'administration de celle-ci. Il procède à des ré-aménagements de la structure corporative de Foresbec et à des modifications de ses ententes contractuelles avec certains clients étrangers : en particulier, une société allemande du nom de Offerman, avec laquelle il signe une entente d'exclusivité. Le contrat d'exclusivité avec Offerman prévoit que Foresbec ne vendra à aucun autre acheteur allemand qu'à cette société. De plus, quand on vendait à Offerman, on procédait par une autre compagnie canadienne, qui était Prime Wood Lumber. Offerman était à 50 pour-cent actionnaire de Prime Wood Lumber. Monsieur Boissé est complètement en désaccord avec ces changements. Ces décisions, selon lui, allaient nettement à l'encontre de l'avantage de Foresbec.

[11]          Selon l'entente (pièce I-1), au cas où la valeur totale des réclamations de l'acquéreur excéderait la franchise mentionnée à l'entente, ce dernier avait dix jours pour en informer le vendeur. Cette notification a été faite par l'acquéreur avant la fin de l'année. Cette notification ainsi que les changements opérationnels fait par monsieur L'Espérance ont causé au sein de Foresbec un conflit intense qui mettait en péril la vie de cette dernière. Si bien que les banques ont écrit à chacune des parties les 22 janvier et 23 février 1990. Ces lettres ont été déposées comme pièce A-4. Celle du 23 février 1990, adressée à monsieur Guy Boissé et une autre semblable adressée à monsieur André L'Espérance est en quelque sorte une mise en demeure de la banque de résoudre avant le 12 mars le conflit entre les deux personnes.

[12]          Monsieur Boissé a expliqué qu'il y avait une grande pression de la banque pour que monsieur L'Espérance et lui en arrivent à une entente. Monsieur Boissé a décidé de racheter les actions. Pour ce faire, J.N.G. a réussi à s'allier à neuf autres actionnaires.

[13]          Le 10 mars 1990, J.N.G. rachète les actions de Foresbec. Monsieur Boissé a dit que les négociations furent très difficiles. Cela a pris une période de 12 heures pour en arriver à une entente. On n'arrêtait pas de faire des propositions. L'entente de rachat (pièce I-2), entre J.N.G. et Multi-Ind. prévoit notamment le paiement d'une somme de 1 750 000 $ et la renonciation au solde du prix de vente au montant de 1 950 000 $ de l'entente de 1989. Dans cette entente, surtout, il y a une clause par laquelle J.N.G. se porte fort que Foresbec accordera un contrat à Multi-Ind. pour les services de monsieur André L'Espérance au montant de 150 000 $. Le contrat de conseil (pièce A-1) est en date du 9 avril 1990 et est signé par J.N.G. et Foresbec. Monsieur Boissé signe au nom des deux sociétés.

[14]          La ratification du contrat de conseil (pièce A-1) est faite lors de l'assemblée des administrateurs de Foresbec tenue le 12 avril 1990. Le procès-verbal de cette assemblée a été déposé comme pièce A-3.

[15]          Monsieur Boissé soutient que monsieur L'Espérance, en signant l'entente de rachat (pièce I-2) a acquiescé à rendre des services. Monsieur Boissé dit que dans un cas de rachat d'une entreprise par un autre groupe, il est normal et souhaitable qu'on offre un contrat de conseil au dirigeant sortant. Il est normal de croire que cette personne a engagé l'entreprise ou a posé des gestes face à des tiers qui nécessitent ou nécessiteront des explications à l'avenir. La coopération qui était souhaitée de monsieur L'Espérance était à deux volets, un volet actif obtenir l'information sur les contrats déjà négociés et un volet passif l'empêcher de concurrencer.

[16]          Monsieur Boissé admet que lui et monsieur L'Espérance ne s'entendaient pas. Toutefois, il se serait attendu à ce que monsieur L'Espérance coopère une fois les actions rachetées. Selon lui, au niveau du volet passif, monsieur L'Espérance n'a pas fait de tort, mais au niveau du volet actif, il n'a pas coopéré. Il ne voulait pas retourner les appels ni signer les livres de minutes qui couvraient la période où il était en charge.

[17]          En juin 1997, les actions de Foresbec ont été vendues à une société américaine. Monsieur Boissé a informé la Cour qu'il avait le mandat des dirigeants de Foresbec pour poursuivre le présent appel.

[18]          Étrangement, c'est l'intimée qui a produit le contrat de vente des actions de 1989 comme pièce I-1 et la convention de rachat du 10 mars 1990 comme pièce I-2.

[19]          La clause à l'origine du présent litige qui se retrouve à la convention de rachat (pièce I-2) se lit comme suit :

4.              J.N.G. se porte fort que la Société accordera un contrat à MULTI-IND. pour les services de M. André L'Espérance comme conseiller pour une période de deux (2) ans, à compter de la date de clôture, pour des honoraires totaux de cent cinquante mille dollars (150 000 $) payable mensuellement par des versements de six mille deux cent cinquante dollars (6 250 $) par mois payables le dernier jour de chaque mois à compter du trente avril mil neuf cent quatre-vingt-dix (30 avril 1990) et par la suite de mois en mois jusqu'à et incluant le mois de mars mil neuf cent quatre-vingt-douze (1992); à défaut par la Société d'effectuer l'un quelconque de ces versements pour plus de quinze (15) jours, après qu'un préavis écrit de défaut lui aura été donné par MULTI-IND., le solde alors impayé deviendra immédiatement exigible avec perte du bénéfice du terme.

[20]          Il est utile de connaître également certaines autres clauses de cette entente. Ainsi la clause 5, la clause 6 vi) et la clause 8 :

5.              M. André L'Espérance déposera une déclaration solennelle à l'effet qu'il n'existe aucune entente pouvant lier la société, conclue hors du cours normal des affaires de celle-ci qui n'ait été dévoilée par écrit à celle-ci avant la date des présentes.

6.              Lors de la clôture :

...

vi)            André l'Espérance, Claude Grondin et Arnold Kostiner signeront une convention de restriction commerciale envers la société dans des formes usuelles portant sur tout le territoire du Canada et de l'Europe de l'Ouest pour trois (3) ans; et

8.              M. André L'Espérance représentera à la clôture qu'il existe une entente verbale à certaines conditions intervenues entre Primewood Lumber Inc./Guy Genest à l'effet qu'ils se sont engagés à ne pas entrer en concurrence directement ou indirectement avec la Société jusqu'au trente et un décembre mil neuf cent quatre-vingt-dix (31 décembre 1990).

[21]          Le contrat de conseil accordé à Multi-Inc. (pièce A-1) est en date du 9 avril 1990. Il est signé par J.N.G. et Foresbec. Il n'est pas signé par Multi-Ind. Voici le texte du contrat de conseil :

SOCIÉTÉ DE GESTION J.N.G. INC., société par actions de régime fédéral, ici agissant et représentée par son président monsieur Guy Boissé, ici stipulant pour Foresbec Inc. dont elle se porte fort aux présentes, accorde par les présentes à Multi-Ind. Inc. un contrat de conseil d'une durée de deux (2) ans, par lequel monsieur André L'Espérance, comme président de Multi-Ind. agira comme conseiller auprès de Foresbec Inc., et ce à compter de la date des présentes.

TERME DU CONTRAT

Le terme du contrat est pour une période de deux (2) ans à partir d'aujourd'hui et se terminera donc le neuf avril mil neuf cent quatre-vingt-douze (9 avril 1992) et ne sera aucunement prorogé soit tacitement ou explicitement à moins d'une entente par écrit dûment sanctionnée par les deux parties.

HONORAIRES TOTAUX

Ledit contrat de conseil est ainsi accordé par une somme totale de CENT CINQUANTE MILLE DOLLARS (150 000,00$) payable mensuellement, par des versements de SIX MILLE DEUX CENT CINQUANTE DOLLARS (6,250,00$) par mois payable les derniers jours de chaque mois, à compter du trente avril mil neuf cent quatre-vingt-dix (30 avril 1990) et ce jusqu'à et incluant le trentième jour du mois de mars mil neuf cent quatre-vingt-douze (30 mars 1992). À défaut par Foresbec d'effectuer ces versements d'honoraires pour conseil pour plus de quinze 15 jours après qu'un préavis écrit de défaut aura été donné par Multi-Ind., le solde alors impayé de ladite somme de 150 000,00$ deviendra immédiatement exigible avec perte du bénéfice du terme.

[22]          La pièce A-2 est constituée des montants payés à Multi-Ind. et des factures établies par Multi-Ind. pour ses services administratifs.

[23]          Monsieur Louis Lagassé est un homme d'affaires qui a également une formation juridique. En 1989, il était un des membres du conseil d'administration de Foresbec. Il a participé aux négociations lors du rachat des actions. Il a affirmé que le but du contrat de conseil accordé à monsieur L'Espérance était de le fidéliser à l'égard de Foresbec. Il était essentiel qu'il se rende disponible. Monsieur Lagacé a également indiqué que c'était normal d'assurer une prime de départ au gestionnaire sortant.

[24]          Monsieur Yvan Bouvet est un comptable agréé. Il connaît monsieur Boissé depuis 1986. Il agissait à titre de conseiller fiscal et de vérificateur pour les entreprises de monsieur Boissé. Il a affirmé que Foresbec étant une compagnie publique, les transactions d'achat et de rachat devaient se faire près de la valeur boursière, en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec, à moins de suivre la procédure spécifique exigée par cette loi. L'écart ne pourrait pas être supérieur à 10 pour-cent de la valeur boursière. Donc les prix d'achat et de rachat auraient été rattachés à la valeur des actions à la bourse. Les actions auraient été cotées à 1,10 $ à la bourse au moment de l'achat. Un an après, au moment du rachat, elles auraient valu la moitié. Il conclut que le prix du rachat des actions ne pouvait être que de 1 750 000 $. Les autres montants versés, selon lui, ne sont pas de la nature du prix de rachat. Il est au courant qu'il y a eu un contrat de services, mais il n'a pas participé aux négociations pour l'établissement du quantum ou quoi que ce soit. Les conseillers légaux lui avaient laissé entendre qu'un tel contrat pouvait être utile pour les dossiers chauds de Foresbec. Il a admis que lors de la disposition des actions de Foresbec par J.N.G., en juin 1997, le montant de 150 000 $ a été inclus au prix de base rajusté des actions. Initialement, il ne l'avait pas fait, mais suite de conversation avec les avocats des appelantes, par mesure défensive, le montant a été inclus.

[25]          Monsieur Gérald Gagnon a témoigné à la demande de l'avocat des appelantes. Il était vérificateur à Revenu Canada pour les dossiers de base pour la région de Sherbrooke. L'avocat des appelantes lui a demandé comment il interprétait la clause 4 (rapportée au paragraphe 19 de ces motifs) de la convention intervenue entre J.N.G. et Multi-Ind. en date du 10 mars 1990 (pièce I-2). Selon sa vérification, le montant de 150 000 $ a été versé, mais pas pour des honoraires. Il a appris cela lors de sa vérification. De qui l'a-t-il appris ? De monsieur Boissé. Cette entrevue a eu lieu à la fin novembre 1994 et a été consignée dans son rapport T2020. Ce rapport a été produit comme pièce I-7. Il a demandé à monsieur Boissé quels services monsieur L'Espérance avait rendus, et celui-ci, après une certaine hésitation, l'a informé qu'il n'y avait jamais eu de services rendus, mais que c'était là le dernier point à négocier pour que l'entente puisse se conclure. Il n'a pas posé la question à savoir si monsieur Boissé savait, au moment où il a signé l'entente, que les services ne seraient pas rendus.

[26]          En ce qui concerne l'avantage à l'actionnaire J.N.G., il a considéré que cette dernière avait utilisé un actif appartenant à Foresbec, corporation dont elle était actionnaire et cela constitue un avantage imposable. Monsieur Boissé est un homme d'affaires bien informé qui connaissait bien les conséquences de cette transaction.

[27]          Monsieur André L'Espérance est devenu administrateur du conseil d'administration de Foresbec avant la date d'acquisition des actions mais il ne se souvient pas d'avoir assisté aux réunions du conseil. Immédiatement, le groupe Multi-Ind. a commencé des pourparlers pour faire l'acquisition de Foresbec.

[28]          Avant l'acquisition des actions par Multi-Ind., monsieur L'Espérance a expliqué qu'il avait avec des comptables fait l'examen des états financiers ainsi que des inventaires de l'entreprise. Il avait rencontré les principaux gestionnaires de l'entreprise. À la fin de cette journée, il s'est dit que les actions ne valaient pas le prix qui était demandé. Les points en cause étaient principalement la qualité des inventaires et les comptes recevables. Toutefois, il était intéressé à acheter et il a demandé à ses avocats de rédiger une clause à toute épreuve concernant les représentations et garanties du vendeur. Cette clause est l'article 8 de la pièce I-1.

[29]          Il était convenu lors de l'acquisition des actions que monsieur L'Espérance devenait président du conseil d'administration et que monsieur Boissé demeurait le président exécutif de la corporation. Monsieur Boissé est demeuré administrateur de celle-ci et il travaillait tous les jours chez Foresbec.

[30]          Offerman voulait être l'unique client de Foresbec en Allemagne. Ce serait Offerman qui revendrait aux autres clients de Foresbec en Allemagne par l'intermédiaire de Primewood Lumber. Primewood avait été constituée à la demande d'Offerman et appartenait en partie à Offerman et en partie à monsieur Guy Genest, un ancien employé important de Foresbec. Monsieur L'Espérance a considéré que ce mode de faire affaires était approprié et avantageux.

[31]          Les faits qui ont conduit au différend entre messieurs Boissé et L'Espérance ont déjà été relatés.

[32]          En ce qui concerne le contrat de services, monsieur L'Espérance affirme que cela n'en était pas un, mais un mode de paiement des actions proposé par monsieur Boissé. La préoccupation de monsieur Boissé était de ne plus le voir. Je ne voulais pas travailler et il ne voulait pas que je travaille. Ils ne m'ont jamais demandé de coopérer. Monsieur Boissé ne voulait pas qu'il ait quelque droit pour agir dans la compagnie. Il fait noter que dans le soi-disant contrat de consultation, il n'y a aucune obligation de sa part de fournir des services. On mettait fin à un litige, c'est tout. La clause de non-concurrence (rapportée au paragraphe 20 de ces motifs) n'a fait l'objet d'aucune négociation. Cette clause est normale et de toute façon, il n'avait aucune intention de se lancer dans ce genre d'entreprise.

[33]          Monsieur Jacques Maltais est un homme d'affaires qui a siégé comme administrateur au conseil d'administration de Foresbec. Monsieur Maltais a dit qu'à titre d'administrateur de Foresbec, il était essentiel de lier monsieur L'Espérance pour assurer une certaine coopération.

Arguments des Appelantes

[34]          Selon l'avocat des appelantes, il était raisonnable pour Foresbec, dans les circonstances du rachat des actions de Foresbec par un groupe d'actionnaires, de vouloir assurer une coopération du propriétaire sortant qui était en même temps son principal administrateur. La dépense est admissible, même si en bout de ligne, l'effet n'a pas été celui escompté.

[35]          Ce qui compte, indique l'avocat, est le but pour lequel la dépense a été faite. Même si le but ultime d'une dépense est de lier une personne, cette dépense n'est pas de la nature du capital si le mode choisi de la dépense est celui d'un contrat de services. Le but du contrat de services était d'assurer la loyauté de l'ancien propriétaire et d'obtenir une coopération minimale, qu'elle soit passive ou active.

[36]          L'avocat des appelantes s'est référé à la décision de la Commission d'appel de l'impôt dans Brock et al. c. M.R.N., 67 DTC 52 et plus particulièrement à la page 54. Dans cette affaire, il y avait eu l'achat du bureau d'un comptable. Le prix d'achat était accompagné d'un contrat d'emploi de l'ancien propriétaire. Le passage cité est le suivant :

[TRADUCTION]

L'acte n'est, à mon avis, ni vague ni ambigu. Il y avait, d'une part, un prix établi et, d'autre part, un contrat de travail pour une période déterminée et pour un montant déterminé devant être établi aux termes de l'entente. Les parties à l'entente traitaient entre elles de bonne foi sans aucune intention de décevoir le fisc. L'acte était un document parfaitement légal jugé nécessaire du fait de la situation dans laquelle se trouvait l'entreprise. Certes, Armfield voulait obtenir plus d'argent et Muirhead ne pouvait recueillir plus de 15 000 $. Les deux parties en sont donc venues à un compromis : le prix serait de 15 000 $ et Armfield deviendrait un employé dont la rétribution serait une commission représentant 3 % des recettes brutes de l'entreprise. Il est également vrai qu'Armfield n'a pas fait grand-chose pour développer l'entreprise. Dans l'intervalle, il s'est rendu dans les locaux de l'entreprise à quelques occasions, a rencontré quelques-uns de ses anciens clients et n'a pris aucune mesure susceptible de nuire au commerce d'une manière ou de l'autre. On ne peut dire de la transaction qu'elle était factice et affirmer que cette entente a permis de « réduire indûment ou de façon factice » le revenu de l'appelant [...]

[37]          L'avocat se réfère aussi à la décision de Kerim Brothers Ltd. c. M.R.N., 67 DTC 326, et plus particulièrement à la page 336. Dans cette affaire, il s'agissait de la vente d'une entreprise de location. La ventilation du prix de vente prévoyait que le prix payé était pour la fraction non amortie du coût en capital de l'édifice et de l'équipement et pour le terrain et l'achalandage. Le passage cité est le suivant :

[TRADUCTION]

Un examen de l'ensemble des faits et des circonstances révélés par la preuve a permis de conclure que le contrat de vente du 9 novembre 1961 était sans contredit un contrat conclu par des parties n'ayant pas entre elles de lien de dépendance et dans le cadre duquel chacune des parties avait négocié les meilleures conditions possibles ainsi que tous les avantages qu'il était possible d'en retirer. Il n'y a rien dans la preuve qui permettrait de conclure que l'entente était de quelque manière que ce soit ou dans quelque mesure que ce soit un trompe-l'oeil ou un subterfuge, ou encore un simple truc suivant le sens que le juge Thurlow attribue à ce terme dans la décision Klondike.

L'avocat fait valoir que dans la présente affaire le contrat de services est aussi une entente entre parties sans lien de dépendance et qu'il représentait l'intention des parties.

[38]          Il s'est également référé à la décision de cette Cour dans Farm Business Consultants Inc. v. The Queen, 95 DTC 200, [1994] A.C.I. no 760, dans le but de montrer que les faits sont différents de ceux de la présente instance. Le passage cité est à la page 203 :

11             Avant la signature, M. Whalls s'est inquiété de ce que son épouse et lui auraient peut-être à supporter des obligations assez lourdes aux termes de l'accord de consultation et, au moment de la signature, une modification à ce dernier a été rédigée, que toutes les parties ont signée. En voici le texte :

                1. Les parties aux présentes conviennent de modifier comme suit leur accord de consultation daté du 17 mai 1982 :

"La Compagnie convient que Agricultural et les Whalls ne sont tenus de consacrer à cette dernière qu'un maximum de 5 jours de services par année."

12             Le ministre a rejeté la déduction des prétendus honoraires de consultation, et a fait droit à la déduction d'une partie du montant à titre de dépense en immobilisations admissible et d'une autre partie à titre d'intérêts. Il a établi une nouvelle cotisation à l'égard de toutes les années visées par l'appel, y compris celles qui étaient frappées de prescription, et a imposé des pénalités prévues au paragraphe 163(2) pour toutes les années visées par la nouvelle cotisation.

13             J'ai présenté le texte des accords pour montrer ce dont les parties avaient censément convenu. Les accords ne reflètent pas la réalité juridique. Hormis l'obligation d'effectuer des paiements hebdomadaires de 1 665 $, il n'a jamais été prévu de mettre à exécution l'accord de consultation. L'appelante ne s'attendait pas ou n'envisageait pas que les Whalls fournissent des services de consultation quelconques et, en fait, ils ne l'ont pas fait.

14             Point n'est besoin de réitérer la jurisprudence relative au principe de la primauté du fond sur la forme. Cela a été fait dans d'autres causes. On ne peut modifier la nature essentielle d'une opération pour des fins liées à l'impôt sur le revenu en lui donnant un nom différent. C'est la relation juridique véritable qui est déterminante, et non la terminologie employée. C'est le président de l'appelante, M. Ibbotson qui avait eu l'idée de faire passer les paiements relatifs à la liste des clients pour des honoraires de consultation parce qu'il voulait transformer les paiements relatifs à l'achalandage en des dépenses déductibles au cours des différents exercices. À l'évidence, les Whalls étaient disposés à suivre cette idée, mais leur acquiescement, et le fait qu'ils étaient disposés à inclure les paiements dans leur revenu, n'aident pas la cause de l'appelante, pas plus que le fait que le ministre n'a pas contesté l'inclusion par les Whalls des paiements dans leurs revenus. Après tout, pourquoi le ferait-il?

[39]          L'avocat des appelantes fait valoir que dans l'affaire Farm Business Consultants Inc. (supra) le nombre de jours dans ce contrat de service avait été déterminé, soit cinq jours par année ce qui était ridiculement bas et que selon la preuve qu'il avait devant lui, le juge pouvait constater que ni l'une ni l'autre des parties n'avait l'intention de respecter cette entente. Il soutient que la preuve dans la présente instance contrairement à l'affaire précédente n'avait pas pour but premier de permettre que les dépenses soient déductibles mais d'obtenir la loyauté et les services de l'ancien propriétaire.

[40]          Il se réfère à la décision de cette Cour dans Molinaro v. The Queen, 98 DTC 1636, [1998] A.C.I. no 197, et plus particulièrement à la page 1642 :

25             Les témoins appelés par l'intimée ont déclaré qu'ils considéraient que l'arrangement pris avec M. Molinaro sur le plan salarial était raisonnable et essentiel, et je peux voir pourquoi. M. Molinaro m'a fait l'effet d'une personne dynamique et énergique qui était essentielle au succès de l'entreprise.

26             Dans un tout autre ordre d'idées, je trouve très anormal que, dans un cas où une personne conclut un contrat ayant force obligatoire avec une personne avec qui elle n'a aucun lien de dépendance qui compte sur le maintien d'une relation juridique, comme il est précisé dans les documents officiels, et où la première personne est informée des conséquences légales et fiscales de ce qu'elle signe, cette première personne puisse avoir le droit de répudier le contrat au détriment tant du ministre du Revenu national que de l'autre partie. Je suppose qu'en théorie on pourrait faire valoir qu'une partie à une entente peut invoquer le principe de la primauté du fond sur la forme, mais cela semble aller à contre-courant de tous les principes de moralité commerciale et, de fait, de sens commun, qu'une personne puisse, après avoir signé solennellement et officiellement des documents juridiques rédigés avec soin sur lesquels l'autre partie s'appuie, simplement tout balayer du revers de la main et déclarer : « Cette relation juridique n'est pas à mon goût. Elle ne répond pas à mes objectifs fiscaux. Par conséquent, je lui donnerai un nom différent qui me convient mieux. » Je ne peux croire que les conseillers de M. Molinaro lui auraient dit d'aller de l'avant et de signer les ententes parce qu'il était nécessaire de conclure l'affaire, tout en lui disant que ce n'était pas la véritable transaction et qu'il pouvait ne pas en tenir compte et en concevoir une autre qui faisait davantage son affaire et, chose peut-être encore plus importante, qui faisait davantage l'affaire de Bluevest.

27             Je n'ai pas besoin de ressusciter l'ancienne doctrine de la préclusion du fait d'acte formaliste, bien qu'elle puisse s'appliquer en l'espèce (le contrat de travail était en fait scellé, ce qui est une condition essentielle à remplir pour pouvoir invoquer cette vénérable règle). Je préfère plutôt fonder mon raisonnement sur un principe encore plus ancien, à savoir celui voulant que comme on fait son lit - particulièrement si l'on a eu l'aide de comptables et d'avocats pour le faire - on se couche. Dans l'affaire Collins v. The Queen, 96 DTC 1034, à la page 1039, la Cour cite le passage suivant tiré de la décision Savoie v. The Queen, 93 DTC 552 :

En l'espèce, la situation diffère de celle des époux qui, en toute connaissance des effets juridiques de leurs gestes, choisissent de détenir un bien conjointement ou individuellement, ou selon tout autre mode de propriété. Des choix aussi réfléchis doivent être respectés puisque la forme juridique correspond alors à la réalité économique et aux intentions averties des parties.

L'avocat fait valoir que des choix réfléchis doivent être respectés.

[41]          Il s'est référé à la décision de R.P. Bell c. M.R.N., [1962] C.T.C. 253 (C. de l'É.), et plus particulièrement aux pages 268 et 269 :

[TRADUCTION]

48             À mon avis, le contrat de travail daté du 4 juin 1953 entre la société et l'appelant est exactement ce qu'il est supposé être. Il ne fait aucun doute que l'appelant aurait pu poursuivre avec succès la société si celle-ci avait refusé d'en respecter les modalités et que la société n'aurait pas pu faire valoir comme moyen de défense à l'action que le contrat n'était pas ce qu'il était supposé être.

49             En outre, le contrat renferme les modalités auxquelles l'appelant avait tenu à assujettir la vente des actions bloquées à MM. Morrow, Lee et Smith. Il ne fait aucun doute qu'il souhaitait obtenir le contrat de travail qu'ils avaient obtenu pour lui ...

50             De plus, les modalités de l'entente sont claires et dénuées de toute ambiguïté, et ni l'appelant ni la société ne pourrait être autorisé à les contester. La société n'a pas cherché à le faire et les tentatives de l'appelant pour parvenir aux mêmes fins ne devraient pas être couronnées de succès.

...

52             Le fait que MM. Morrow, Lee ou Smith n'ont jamais demandé à l'appelant de rendre quelque service que ce soit à la société en vertu du contrat de travail de l'appelant et qu'il n'a jamais rendu quelque service que ce soit n'est pas pertinent. Si l'appelant avait intenté une action pour le motif que la société n'avait pas respecté les modalités du contrat, cette dernière n'aurait pas pu faire valoir comme moyen de défense qu'elle ne lui avait jamais demandé de lui fournir des avis ou ne l'avait jamais consulté. ...

[42]          En ce qui concerne l'application du paragraphe 152(4) de la Loi, il se réfère à la décision de M.D. Glazier Ltd. c. M.R.N., 83 DTC 48, et plus particulièrement au passage de la page 50 :

[TRADUCTION]

En fin de compte, j'estime qu'on ne devrait pas qualifier ce qui est arrivé en l'espèce de présentation erronée des faits. Il s'agit peut-être d'une erreur, mais, à ce stade de l'évolution du droit sur le paragraphe 152(4), je suis disposé à croire qu'une erreur est différente de la présentation erronée des faits, telle qu'elle s'applique aux faits de l'espèce. La preuve produite ne me permet pas de conclure qu'il y a eu négligence ou inattention au degré qu'on ne pourrait s'attendre à trouver dans le travail d'un contribuable normalement prudent et averti.

J'estime que la corporation appelante a fait tout ce qui était en son pouvoir pour présenter au ministre les faits tels qu'elle les a interprétés et vus. A mon avis, son comportement ne dénote ni une présentation erronée des faits, ni une négligence, ni une inattention.

[43]          Il s'est référé à la décision de la Cour fédérale du Canada, division de première instance, dans M.N.R. v. Bisson, 1972 F.C. 719, et plus particulièrement au passage de la page 730 :

... J'en viens donc à la conclusion que, le contribuable qui, sans aucune faute de sa part, commet une erreur en déclarant son revenu, ne fait pas une présentation erronée au sens de l'art. 46(4)a)(i). Lorsque le Ministre veut se prévaloir de cette disposition pour procéder à une nouvelle cotisation après l'expiration de 4 ans, il doit donc établir non seulement que le contribuable a commis une erreur en déclarant son revenu, mais aussi que cette erreur est attribuable à une faut de sa part.

[44]          Il se réfère à nouveau à la décision Farm Business Consultants (supra) aux pages 205 et 206 :

27             Une cour doit faire preuve d'une prudence extrême lorsqu'elle sanctionne l'imposition de pénalités prévues au paragraphe 163(2). Une conduite qui légitime l'établissement d'une nouvelle cotisation à l'égard d'une année frappée de prescription ne justifie pas d'office l'imposition d'une pénalité, et l'imposition systématique de pénalités, par le ministre, est une pratique qui est à déconseiller. Une conduite du genre de celle qui est envisagée au sous-aliné 152(4)a)(i) peut, dans certaines circonstances, servir aussi de fondement à l'imposition d'une pénalité prévue au paragraphe 163(2), qui implique la pénalisation d'une conduite plus répréhensible. Dans un tel cas, une cour doit, même en appliquant une norme de preuve civile, étudier soigneusement la preuve et chercher un degré de probabilité supérieur à celui auquel on s'attendrait dans les situations où l'on cherche à établir le bien-fondé d'allégations moins sérieuses. Par ailleurs, quand une pénalité est imposée en vertu du paragraphe 163(2) même si une norme de preuve civile est exigée, lorsque la conduite d'un contribuable cadre avec deux hypothèses viables et raisonnables, l'une qui justifie la pénalité et l'autre pas, il convient d'accorder le bénéfice du doute au contribuable, et de supprimer la pénalité. Je crois qu'en l'espèce, l'intimée a fait la preuve du degré de probabilité requis, et qu'au vu de la preuve produite, aucune hypothèse incompatible avec celle que l'intimée a avancée ne peut être défendue.

[45]          L'avocat fait valoir que si la Cour en venait à la conclusion que Foresbec ne pouvait pas déduire les paiements en question, il faut considérer que leur inclusion dans le calcul du revenu de Foresbec ne constituait qu'une erreur involontaire de la part des appelants.

Argument de l'intimée

[46]          L'avocate de l'intimée fait remarquer que c'est l'intimée qui a déposé la convention d'achat des actions de Foresbec par Multi-Ind., en date du 8 mars 1989, ainsi que la convention de rachat des mêmes actions, en date du 10 mars 1990, par J.N.G. Ces documents ont été déposés comme pièces I-1 et I-2. Elle s'étonne que des documents aussi importants pour la preuve n'aient pas été déposés lors de l'interrogatoire en chef de monsieur Boissé. Elle fait valoir que si ces documents importants n'ont pas été mis en preuve par les appelantes, c'est que ces dernières ne voulaient pas présenter une preuve claire.

[47]          L'avocate de l'intimée se réfère à la pièce I-1, qui est la convention intervenue entre J.N.G. et Multi-Ind., le 8 mars 1989. En acceptant d'acheter les actions de Foresbec pour un prix de 3 960 000 $, Multi-Ind. a exigé de J.N.G. qu'elle lui donne des garanties quant à la valeur des actifs. C'est la demande d'exécution de ces garanties et le refus de payer le solde du prix de vente qui ont donné lieu au litige entre Multi Ind. et J.N.G.

[48]          L'avocate rappelle qu'au moment de la transaction de rachat en mars 1990, J.N.G. a un problème de liquidité. J.N.G. a réussi à réunir d'autres investisseurs mais il semblerait qu'il y a un manque d'argent. C'est à ce moment qu'on décide de faire intervenir Foresbec. Dans l'avis d'appel, on semble vouloir dire que c'est monsieur L'Espérance qui aurait exigé un contrat de consultant, alors que lors de la preuve, tous les témoins des appelantes disent qu'il est essentiel d'assurer les services de monsieur L'Espérance. Monsieur L'Espérance lors de son témoignage a dit que ce n'est pas lui qui a demandé un tel contrat de services, mais que c'était pour lui un mode de paiement des actions que Multi-Ind. détenait.

[49]          Elle rappelle aussi que le témoin monsieur Bovet a été incapable d'expliquer le calcul du montant de 150 000 $. Est-ce que c'était en fonction du salaire ou des honoraires que monsieur L'Espérance toucherait ? La convention de rachat de mars 1990 (pièce I-2) est entre J.N.G. et Multi-Ind. J.N.G. se porte fort que Foresbec accordera un contrat à Multi-Ind., mais Foresbec n'intervient pas à l'entente. C'est la raison pour laquelle, le 12 avril 1990, il est très important de faire ratifier le contrat de consultant par le conseil d'administration de Foresbec.

[50]          L'avocate fait valoir que les parties n'avaient pas l'intention qu'il y ait entre elles un contrat de service. L'avocate rappelle que monsieur Boissé a témoigné longuement pour démontrer que monsieur L'Espérance avait pris de mauvaises décisions d'affaires. En ce qui concerne l'aspect de clause de non-concurrence, l'avocate de l'intimée se réfère à l'entente (pièce I-2). Monsieur L'Espérance s'engage à signer une convention de restriction commerciale envers la société portant sur tout le territoire du Canada et de l'Europe de l'ouest pour trois ans. L'avocate de l'intimée fait valoir que la dernière partie de la clause de porte-fort, démontre clairement qu'il ne s'agit pas d'un contrat de service. Cette partie se lit comme suit :

À défaut par la société d'effectuer l'un quelconque de ces versements pour plus de 15 jours après qu'un préavis écrit de défaut lui aura été donné par Multi-Ind. le solde alors impayé deviendra immédiatement exigible avec perte du bénéfice du terme.

[51]          Le contrat de conseil (pièce A-1), reprend intégralement cette dernière phrase. Ce contrat n'est pas signé par Multi-Ind. Ce contrat ne prévoit pas la prestation des services mais la garantie de paiement dans le cadre du rachat des actions. Il n'y a pas de clause qui stipule qu'à défaut de rendre des services, il n'y a pas de paiement. Monsieur Boissé était demeuré actionnaire et administrateur de Foresbec, même alors que monsieur L'Espérance était propriétaire principal des actions. Il était au courant de tout ce qui se passait dans Foresbec même s'il était en désaccord avec plusieurs décisions. L'avocate de l'intimée fait valoir que selon monsieur Boissé, monsieur L'Espérance avait pris des décisions qui n'avaient pas de sens ou qui n'étaient pas dans l'intérêt de Foresbec, en fait, qui étaient même au détriment de Foresbec. Monsieur L'Espérance ne s'est jamais considéré au service de Foresbec et que le texte même du supposé contrat de services est à l'opposé d'un tel contrat.

[52]          L'avocate de l'intimée s'est elle aussi référée à la décision Farm Business Consultants (supra), pour faire valoir qu'elle devait être suivie d'autant plus qu'elle a été confirmée par la Cour d'appel fédérale, 96 DTC 6085.

[53]          Elle s'est aussi référée à une décision que j'ai rendue dans Thibault c. La Reine, 99 DTC 1, et plus particulièrement au paragraphe 31 de cette décision :

L’avocat de l’intimée fait valoir que le point important à déterminer est de savoir si le contrat de services entre Vermombec et Navimex faisant partie de la convention en date du 29 janvier 1987, dont il est fait mention au paragraphe 12 de ces motifs, représentait la réalité économique de la transaction. L’avocat de l’intimée soutient que ce contrat est une opération fictive au sens du droit fiscal parce qu’il n’a pas créé entre les parties les relations juridiques que ces dernières voulaient créer. Il se réfère à l’arrêt Stubart, supra, à la page 572 :

Les tribunaux ont donné il y a longtemps une définition du trompe-l'oeil qui a été reformulée dans l'arrêt Snook v. London & West Riding Investments Ltd., [1967] 1 All E.R. 518. Lord Diplock a conclu à la p. 528 qu'il n'y avait pas de trompe-l'oeil parce que les parties n'avaient rien fait :

[TRADUCTION]

... dans l'intention de faire croire à des tiers ou à la cour qu'ils créent entre les parties des obligations et droits légaux différents des obligations et droits légaux réels (s'il en est) que les parties ont l'intention de créer.

C'est la définition adoptée par le juge Martland en cette Cour dans l'arrêt Ministre du Revenu National c. Cameron, [1974] R.C.S. 1062, à la p. 1068.

[54]          L'avocate de l'intimée fait valoir en terminant que Foresbec savait que les paiements faits à Multi-Ind. au cours des années 1990 à 1992 n'étaient pas pour les services de monsieur L'Espérance mais pour permettre à J.N.G. d'acheter les actions de Foresbec. Ainsi, le ministre était en droit de cotiser l'appelante Foresbec pour l'année 1990 qui était une année en dehors de la période normale de cotisation et pour les années 1991 et 1992, en refusant les déductions demandées en vertu de l'article 9 et de l'alinéa 18(1)a) de la Loi. Le Ministre était aussi en droit de cotiser J.N.G. pour les années 1990 et 1991, au-delà de la période normale de cotisation et pour l'année 1992, pour avoir reçu un avantage en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi. Il était aussi en droit d'imposer des pénalités en vertu du paragraphe 162(3) de la Loi aux deux appelantes parce que c'était sciemment qu'elles avaient fait une présentation erronée dans le calcul de leur revenu.

Conclusion

[55]          La partie pertinente des paragraphes 152(4), 15(1) et 163(2) de la Loi se lisent comme suit :

152(4)      Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l'impôt pour une année d'imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu'aucun impôt n'est payable pour l'année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d'imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l'année que dans les cas suivants :

                ...

a)             le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

(i)             soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi,

...

(Avant le 20 décembre 1991)

15(1)        La valeur de l'avantage qu'une société confère au cours d'une année d'imposition à un actionnaire ou à une personne en passe de le devenir doit être incluse dans le calcul du revenu de l'actionnaire pour l'année — sauf dans la mesure où cette valeur est réputée par l'article 84 constituer un dividende — si cet avantage est conféré autrement que :

                ...

(À partir du 20 décembre 1991)

15(1)        La valeur de l'avantage qu'une société confère, à un moment donné d'une année d'imposition, à un actionnaire ou à une personne en passe de le devenir est incluse dans le calcul du revenu de l'actionnaire pour l'année — sauf dans la mesure où cette valeur est réputée par l'article 84 constituer un dividende — si cet avantage est conféré autrement que :

...

163(2)      Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l'exercice d'une obligation prévue à la présente loi ou à son règlement, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse — appelé « déclaration » au présent article — rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d'imposition conformément à la présente loi ou à son règlement, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants :

                ...

[56]          L'argumentation de l'avocat des appelantes a porté sur le fait que le contrat de services était un contrat véritable et que l'appelante Foresbec avait droit de déduire les coûts dans le calcul de son revenu en vertu de l'article 9 et de l'alinéa 18(1)a) de la Loi. Par conséquent, aucun avantage ne pouvait être inclus dans le calcul du revenu de l'appelante J.N.G. en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi. En ce qui concerne l'application des paragraphes 152(4) et 163(2) de la Loi, il a fait valoir qu'advenant le cas où la Cour serait d'avis qu'il ne s'agit pas d'un contrat de services véritable, cette dernière devrait prendre en considération que le tout s'est fait de bonne foi et non dans un but d'évasion fiscale.

[57]          Dans chacune des décisions ci-dessus citées à l'appui de la proposition de l'avocat des appelantes, la réalité du contrat de services a été acceptée au motif que certains services avaient été rendus ou qu'il était plausible que certains services soient demandés et rendus. Dans le cas de Bell (supra), par exemple, l'employé avait conservé son bureau et était disponible pour rendre des services. De plus, dans tous les cas, les termes et conditions des contrats étaient ceux d'un contrat de services et les contrats étaient signés par les deux parties.

[58]          Dans la présente instance, la preuve ne peut être plus claire que les deux protagonistes ne veulent plus se voir. Monsieur Boissé particulièrement ne peut souffrir monsieur L'Espérance. Il n'est donc pas plausible que certains services soient demandés et soient rendus. En ce qui concerne les termes et conditions du présumé contrat de service, rapporté au paragraphe 21 de ces motifs, ils sont somme toute inexistants. Les services ne sont pas décrits ni non plus les modalités relatives à la disponibilité du conseiller. Il est même prévu qu'à défaut pour Foresbec d'effectuer les versements pour plus de quinze jours après qu'un préavis écrit de défaut aura été donné à Foresbec, le solde du montant de 150 000 $ deviendra immédiatement exigible. Rien n'est prévu pour défaut de rendre les services.

[59]          L'avocat des appelantes soutient que le contrat était utile pour assurer que monsieur L'Espérance n'agisse pas à l'encontre des intérêts de Foresbec. Il est à noter à cet égard, qu'une clause avait été prévue à cet effet dans le contrat de rachat lui-même. Cette clause avait été obtenue sans difficultés car monsieur L'Espérance ne voulait plus agir dans le domaine du bois. Ces clauses sont reproduites au paragraphe 20 de ces motifs.

[60]          Il me faut constater que les termes du contrat de services prétendu n'ont pas pour objet un contrat de services. Ainsi que dans les affaires Farm Business Consultants Inc. et Thibault (supra), le contrat de services ne réflète pas la réalité juridique des droits et obligations des parties. Il n'a jamais été prévu de mettre à exécution l'accord de consultation. Seule l'obligation d'effectuer les paiements pour le rachat des actions est prévue. Il s'agit d'un acte fictif au sens de la Loi qui avait pour but de faire croire au Ministre à la création de droits et obligations différents des droits et obligations réels que les parties avaient l'intention de créer.

[61]          Puisqu'il ne s'agit pas d'un contrat de services mais du paiement du rachat des actions de Foresbec par J.N.G., Foresbec ne peut pas déduire les paiements. En effectuant ces paiements à Multi-Ind., pour le rachat des actions de Foresbec par son actionnaire J.N.G., Foresbec a conféré un avantage à son actionnaire J.N.G.

[62]          Les deux appelantes savaient que le contrat de services était un contrat fictif. Il y a donc eu une présentation erronée des faits, faite de manière intentionnelle, ce qui permet l'application du paragraphe 152(4) de la Loi. Cette même intention donne ouverture à l'application du paragraphe 163(2) de la Loi. Il ne s'agit pas d'une négligence simple relativement à son devoir de se conformer à la Loi mais à un geste intentionnel de réclamer comme dépenses d'exploitation ce qui en fait était un paiement d'actions.

[63]          Les appels sont rejetés, avec frais sur la base d'une seule audience.

Signé à Ottawa, Canada ce 18e jour de janvier 2001.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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