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Date: 19991020

Dossier: 96-3201-IT-G

ENTRE :

FÉDÉRATION DES CAISSES POPULAIRES DESJARDINS

DE MONTRÉAL ET DE L'OUEST-DU-QUÉBEC,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels de cotisations établies par le ministre du Revenu national (“ Ministre ”) en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (“ Loi ”) à l'égard des années d'imposition 1989 et 1992. Par la cotisation établie pour l'année 1992, le Ministre a refusé à l'appelante une déduction d'un montant de 752 640 $. Ce montant représente les contributions patronales (en vertu du Régime de rentes du Québec, de la Régie de l'assurance-maladie du Québec, de la Loi sur l'assurance-chômage et de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles) de même que la portion des avantages sociaux (en vertu d'un régime de pension créé par l'appelante et d'un régime privé d'assurances-collectives), payables par l'appelante et se rapportant aux indemnités de vacances gagnées par ses employés au cours de l'année 1992 mais à être versées dans une année subséquente. Le Ministre soutient que le montant en cause correspond à une provision ou réserve pour obligation future ou éventuelle et que par conséquent ce montant ne peut donner droit à une déduction dans le calcul du bénéfice pour l'année 1992 aux termes de l'article 9 et des alinéas 18(1)a) et 18(1)e) de la Loi, ce que l'appelante conteste. Le refus de cette déduction pour l'année d'imposition 1992 affecte directement le report du crédit d'impôt à l'investissement réclamé par l'appelante pour l'année d'imposition 1989. C'est pourquoi l'appelante a également fait appel de la cotisation établie pour l'année 1989.

[2] La seule question en litige consiste à déterminer si le montant des contributions patronales et avantages sociaux à payer par l'appelante après le 31 décembre 1992 relativement aux vacances accumulées par ses employés au cours de l'année 1992 constitue un montant au titre d'une provision ou d'une éventualité, auquel cas ce montant ne serait pas déductible pour l'appelante aux termes des alinéas 18(1)a) et 18(1)e) de la Loi. Pour fins de commodité, je vais utiliser les termes “ contributions patronales ” pour désigner à la fois les contributions patronales et les avantages sociaux, sauf lorsque le contexte exige une référence spécifique.

Faits

[3] Les employés techniques et professionnels de même que les employés de bureau de l'appelante sont régis par des conventions collectives. Aux termes de ces conventions collectives, les employés gagnent leurs vacances pendant la période de référence qui se situe entre le 1er mai et le 30 avril de chaque année. La période de référence doit être complétée avant que les employés puissent prendre leurs vacances et ces vacances doivent normalement être prises dans les 12 mois qui suivent la période de référence. Comme l'exercice financier de l'appelante se termine au 31 décembre de chaque année, les vacances gagnées au cours d'une période de référence peuvent être prises sur deux exercices financiers différents de l'appelante. Ainsi, les vacances accumulées entre le 1er mai 1992 et le 31 décembre 1992 doivent être prises entre le 1er mai 1993 et le 30 avril 1994. Il y a également une possibilité pour les employés de faire un arrangement avec leur supérieur immédiat pour prendre leurs vacances après la période normale de vacances. Ces mêmes règles s'appliquent pour les employés non syndiqués et les cadres tel qu'il est indiqué dans le guide des conditions de travail de ces employés.

[4] Selon madame Carol-Ann Tetrault Sirsly, vice-présidente attitrée au contrôle et à l'administration de l'appelante, lorsque l'employé prend ses vacances, il reçoit pour chaque semaine de vacances un pourcentage (généralement 2 pour 100) de l'ensemble des gains de l'année de la période de référence. Ce pourcentage peut varier d'un employé à l'autre selon son degré d'ancienneté ou son niveau dans l'entreprise. En contre-interrogatoire, madame Tetrault Sirsly a précisé que pour les vacances gagnées en 1992 par exemple, l'employé était rémunéré selon son salaire au moment où il prenait ses vacances en 1993 ou en 1994.

[5] Ainsi, au 31 décembre de chaque année, il y a des vacances accumulées par les employés qui n'ont pas été prises en cours d'année et auxquelles les employés ont droit. L'appelante évalue le montant des vacances à payer dans l'année subséquente à 8 pour 100 de la masse salariale de l'année courante, ce qui équivaut à environ quatre semaines de vacances annuelles pour chaque employé. Au 31 décembre 1992, le montant des vacances à payer au cours de l'année subséquente a été établi à 3 010 560 $, soit 8 pour 100 de la masse salariale de 1992 qui s'élevait à 37 632 000 $. Ces indemnités pour les vacances gagnées qui n'avaient pas encore été payées en 1992 ont été enregistrées comme dépenses au cours de l'année 1992 et acceptées par le Ministre.

[6] Par ailleurs, l'appelante a évalué le montant des contributions patronales afférentes à ces indemnités de vacances selon un taux pondéré pour l'année 1992 pour l'ensemble des régimes et des plans que l'appelante est tenue de payer. Selon madame Tetrault Sirsly, on utilise un taux pondéré pour l'année courante puisqu'on ne connaît pas nécessairement les taux exigibles pour les périodes ultérieures. L'appelante a établi ce taux à 25 pour 100 du montant des indemnités de vacances à payer au 31 décembre 1992 (25 % x 3 010 560 $), soit à 752 640 $. Ce pourcentage se détaille comme suit selon la pièce A-4 déposée en preuve :

- Régime de pension 8,10%

- Assurance-chômage 1,80%

- Régime des rentes du Québec 3,50%

- Régime de santé du Québec 3,75%

- Autres avantages

- Asssurances collectives incluant : 3,43%

Vie de base

Vie de base MMA

Rente de survivant

Personne à charge

Frais hospitaliers

Soins dentaires

Soins visuels

Assurance longue durée

- C.S.S.T. 0,44%

- C.N.T. 0,07%

- Écart relatif aux assurances 0,24% 4,18%

- Taxe compensatoire incluant jetons de présence 2,67%

- Jours de maladie et maternité 1,00% 3,67%

25,00%

[7] Selon madame Tetrault Sirsly, les assurances collectives évaluées à un pourcentage de 3,43 pour 100 des indemnités de vacances à payer représentent les primes que doit payer l'appelante pour les différents régimes d'assurances. La taxe compensatoire de 2,67 pour 100 est une taxe exigée au lieu de la taxe de vente du Québec (“ TVQ ”). Celle-ci est calculée sur l'ensemble de la masse salariale incluant les vacances gagnées mais non payées. Le paiement de cette taxe calculée sur les indemnités de vacances est effectué en même temps que les autres contributions patronales. Le montant d'un pour cent établi pour les jours de maladie et de maternité est calculé à partir d'un historique du montant d'argent payé aux employés en paiement des jours de maladie non utilisés et des congés de maternité. Les taux des contributions à l'assurance-chômage, au Régime de rentes du Québec, au régime de santé du Québec, à la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (“ CSST ”) et à la Commission des normes du travail (“ CNT ”) sont établis par les différentes lois applicables respectives. Quant au régime de pension, il semble qu'il s'agisse d'un taux pondéré calculé pour l'année courante qui est susceptible d'augmenter puisque ces taux sont toujours en croissance. Le régime de pension en vigueur n'a pas été déposé en preuve.

[8] Selon le témoignage de madame Tetrault Sirsly, le montant des contributions afférentes aux indemnités de vacances à payer après le 31 décembre 1992, lequel a été évalué à 752 640 $ aux fins du calcul du revenu pour l'année 1992, a été versé en 1993 au moment où les indemnités de vacances ont été versées pour chaque employé. Cette somme de 752 640 $ a été prise comme dépense au cours de l'année 1992 en vertu du principe de l'appariement entre les revenus et les dépenses applicables à chaque année, selon une pratique que l'appelante a toujours eue. En effet, l'ensemble des dépenses afférentes aux services rendus par les employés en 1992 est enregistré dans l'année 1992 même si ces dépenses n'ont pas été payées dans cette même année. Pour l'appelante, le montant des contributions patronales faisait partie des obligations à payer à la fin de l'année 1992 au même titre que les vacances à payer. Selon elle, ces obligations n'étaient assujetties à aucun événement incertain ou imprévisible. Le rapport annuel de l'appelante pour l'année 1992 fait d'ailleurs état que les états financiers vérifiés ont été préparés conformément aux principes comptables généralement reconnus (“ PCGR ”). Madame Tetrault Sirsly reconnaît toutefois que le montant de 752 640 $ a été calculé en fonction de la masse salariale de 1992 et que les montants réellement versés en 1993 en paiement des contributions patronales peuvent avoir varié compte tenu des augmentations salariales. Elle a spécifié toutefois que les sommes versées en 1993 pour les contributions patronales devaient être supérieures au montant réclamé à ce titre en 1992 et qu'il devait en avoir été ainsi au cours de toutes les autres années puisque les salaires ont toujours augmenté.

[9] Monsieur Pierre Charland, comptable et directeur de la comptabilité pour l'appelante, a expliqué de façon un peu plus détaillée la façon de calculer le montant des indemnités attribuables aux vacances gagnées et des contributions patronales s'y rapportant. De ce que je comprends, il a dit qu'au début de l'année, on établit un couru mensuel approximatif pour les vacances à partir duquel on calcule les contributions patronales sur une base mensuelle selon les taux de l'année courante. En fin d'année, ces montants sont ajustés en tenant compte également du montant établi à la fin de l'année précédente. Monsieur Charland a confirmé que les taux utilisés pour calculer les contributions patronales à payer sur les vacances gagnées au cours de l'année 1992 étaient les taux en vigueur en 1992. Il a également confirmé que les montants réels payés pouvaient être différents puisqu'ils étaient payés selon les taux applicables dans l'année où ces contributions patronales étaient effectivement versées. Selon un document intitulé “ Coût des avantages sociaux ” (pièce I-4), on voit clairement que le coût de ces contributions patronales a varié au cours des années 1990 à 1993.

[10] Monsieur Réal Labelle, professeur de comptabilité, a témoigné à titre d'expert pour le compte de l'intimée. Selon lui, d'un point de vue comptable, le montant des contributions à payer par un employeur à l'assurance-chômage, au Régime de rentes du Québec, au régime de santé du Québec, au régime de pension de l'employeur et à l'égard d'autres avantages sociaux, sur les vacances gagnées des employés à la fin d'un exercice (i.e. sur les vacances non payées et évaluées à 8 pour 100 des salaires, ce qui équivaut à une estimation prudente à son avis) constitue un montant au titre d'une provision.

[11] Monsieur Labelle a donné la définition du terme “ provision ” en comptabilité. Dans son rapport déposé sous la pièce I-5, il définit une provision comme suit à la page 3 au paragraphe 9 :

Selon le Dictionnaire de la comptabilité et de la gestion financière, en comptabilité, le terme “ provision ” signifie :

“ Obligation potentielle, par exemple la provision pour garanties, évaluée à la date de l'arrêté des comptes, que des faits survenus ou en cours rendent probable. Note – Cette obligation, qui est nettement précisée quant à sa nature, est incertaine quant à son montant et à la date où elle se réalisera. L'exécution de l'obligation ou la réalisation du risque entraîne la reprise de la provision. En France et en Belgique, les provisions pour risques et charges comprennent notamment les provisions pour risques (par exemple les provisions pour litiges et les provisions pour pertes sur change), les provisions pour pensions et obligations similaires, les provisions pour impôts et les provisions pour charges à répartir sur plusieurs exercices (par exemple les grosses réparations et les travaux d'entretien à assurer périodiquement). ” (Ménard, Louis, Dictionnaire de la comptabilité et de la gestion financière, Institut canadien des comptables agréés, Ordre des experts comptables – France, Institut des réviseurs d'entreprises – Belgique, 1994, 994 pages.)

[12] Monsieur Labelle a également déposé sous la pièce I-6, une autre définition du terme “ provision ” telle que donnée par l'Ordre des comptables agréés du Québec. On définit “ provision ” ainsi :

En comptabilité, on entend par provision la constatation comptable de la diminution de valeur d'un élément d'actif (par exemple, la provision pour dépréciation des valeurs mobilières) ou de l'augmentation du passif exigible à plus ou moins long terme (par exemple, la provision pour risques et charges), précise quant à sa nature mais incertaine quant à sa réalisation, et que des événements survenus ou en cours rendent prévisible à la date de l'établissement du bilan. [Ordre des comptables agréés du Québec, Comité de terminologie française, vol. 2, n º 4.]

[13] Lors de son témoignage, monsieur Labelle a dit qu'une provision est une obligation potentielle qui est estimée en fin d'année, à la date d'arrêté des comptes d'une entreprise. La nature et l'objet de la provision sont certains mais la date et les montants pour lesquels on fait une provision sont incertains. En d'autres mots, les montants doivent être estimés et la date à laquelle la provision va être utilisée est aussi incertaine.

[14] Selon monsieur Labelle, les contributions patronales constituent une obligation potentielle future de l'employeur. En effet, le montant de cette obligation doit être estimé et provisionné car au moment où l'on établit la provision, on ne connaît pas le montant qui sera réellement payé et on ne connaît pas la date précise à laquelle les employés vont prendre leurs vacances. Le montant des contributions à payer par l'appelante constitue donc une provision pour les raisons indiquées dans son rapport, au paragraphe 10, lequel se lit comme suit :

10. Suivant cette définition et d'un point de vue comptable, le montant des contributions à payer par un employeur (ou cotisations patronales) sur les vacances courues des employés à la fin d'un exercice (i.e. non payées et estimées à 8% des salaires) constitue un montant au titre d'une provision pour les raisons suivantes :

• En vertu de diverses législations, les indemnités de vacances et les cotisations patronales relatives à ces dernières constituent bien une obligation pour l'employeur.

• Suivant la méthode de la comptabilité d'exercice, à la date de l'arrêté des comptes, le montant de cette obligation doit être estimé et provisionné en conformité avec le principe du rapprochement des produits et des charges. Selon ce principe, l'entreprise doit imputer à un exercice donné tous les coûts (même ceux dont le montant est incertain et qu'elle doit estimer) afférents aux avantages reçus au cours de cet exercice. L'exécution de l'obligation, qui survient souvent au cours de l'exercice suivant lorsque les employés reçoivent effectivement leur indemnité de vacance, entraîne la reprise de la provision. [pièce I-5, par. 10.]

[15] Monsieur Labelle a dit n'avoir jamais vu dans les ouvrages de comptabilité de provision pour les cotisations patronales alors qu'on fait référence dans ces ouvrages à une provision pour les vacances courues. Selon lui, il est tout aussi acceptable du point de vue comptable de provisionner les contributions patronales au même titre que les vacances à payer, que d'attendre le moment où ces contributions seront versées pour les reconnaître au chapitre des dépenses. Monsieur Labelle a toutefois mentionné que cette dernière méthode donne une image plus représentative de la situation financière de l'entreprise.

[16] Monsieur Labelle distingue les contributions patronales d'autres comptes à payer en ce que pour ces autres charges, on connaît avec précision le montant à payer et le délai pour payer. Nul n'est besoin de les estimer comme c'est le cas pour les contributions patronales. Celles-ci s'apparentent d'ailleurs plus avec les provisions pour garantie où l'on doit estimer les dépenses susceptibles d'être engagées du fait des garanties données aux clients ou avec les provisions pour créances douteuses, où l'on doit déterminer les sommes que l'on estime ne pas pouvoir recouvrer de ses clients.

[17] En contre-interrogatoire, monsieur Labelle a précisé qu'il y avait une distinction à faire entre les vacances à payer et les contributions patronales y afférentes. Pour reconnaître une obligation, donc un passif, il faut un fait qui déclenche l'existence de ce passif. Dans le cas des vacances courues, c'est le travail des employés qui fait en sorte que les vacances sont dues. En ce qui concerne les contributions patronales, celles-ci ne seront exigibles de l'employeur qu'à partir du moment où les indemnités de vacances seront payées selon un terme établi par les différentes lois applicables.

[18] Monsieur Labelle a également distingué le sens à donner aux termes “ réserve ” et “ provision ”. Une réserve est un montant qu'on réserve à partir des bénéfices non répartis (“ BNR ”). Ce n'est pas nécessairement une dette. Le montant estimé sera déduit des BNR. Une provision est un coût estimé que l'on déduit dans le calcul des bénéfices de l'année. On retrouve la définition suivante du mot “ réserve ” dans la Terminologie comptable de l'Ordre des comptables agréés du Québec (pièce I-6) :

On entend essentiellement par réserve une affectation des bénéfices à une fin donnée qui, contrairement à la provision, n'a pas pour objet de constituer une obligation réelle ou une dette éventuelle, ni de représenter la dépréciation d'une valeur à la date de l'arrêté des comptes. (Sylvain, Fernand, Dictionnaire de la comptabilité et des disciplines connexes, Toronto, Institut Canadien des Comptables Agréés, 1982, p. 431.)

[19] Monsieur Labelle a finalement réitéré en contre-interrogatoire qu'un bon appariement des revenus et des dépenses pourrait permettre en comptabilité que l'on déduise à l'encontre des revenus de 1992 la dépense relative aux contributions patronales puisque la nature de la dépense est un élément certain. Toutefois, cette dépense devrait être comptabilisée comme une provision puisque l'obligation de verser ces contributions ne naîtra qu'au moment où les indemnités de vacances seront réellement payées.

Arguments de l'appelante

[20] L'avocat de l'appelante soutient que la question en litige est de déterminer si le montant des contributions patronales à payer après le 31 décembre 1992, lequel montant a été établi globalement à 752 640 $, constitue une provision ou une éventualité au sens de l'alinéa 18(1)e) de la Loi. Selon lui, l'objectif de l'alinéa 18(1)e) est d'éviter qu'un contribuable puisse se permettre en fin d'année de réduire artificiellement ses revenus par un montant qu'il estime probablement devoir payer, sans préciser si cette obligation existe réellement mais demeure simplement probable. En d'autres termes, la question à se poser est la suivante : existe-t-il au 31 décembre 1992 une obligation absolue et inconditionnelle de payer ces contributions patronales, auquel cas l'alinéa 18(1)e) ne trouverait pas d'application ou existe-t-il à cette date simplement une obligation conditionnelle, auquel cas l'alinéa 18(1)e) serait applicable.

[21] Selon l'avocat, les expressions “ provision ” et “ éventualité ” ou en anglais “ reserve ” et “ contingent liability ” que l'on retrouve à l'alinéa 18(1)e) (cité plus loin dans mon analyse) réfèrent à l'existence même de l'obligation et non pas au moment où cette obligation doit être exécutée. Selon l'avocat de l'appelante, au 31 décembre 1992, on savait qu'il y avait une obligation inconditionnelle de payer les vacances après la fin de l'année. On savait également qu'on avait une obligation absolue au moment du versement des indemnités de vacances de payer les contributions patronales y afférentes. Selon l'avocat, le paiement des indemnités de vacances n'est pas la condition qui crée la dette relative à ces contributions mais est simplement le moment qui en fixe le terme de paiement. Il précise que la seule inconnue est le moment exact où les contributions patronales devront être versées. Quant au montant de ces contributions, il est à toutes fins pratiques connu en fin d'année. S'il y a une inconnue quant au montant maximum à payer, on connaît au moins le minimum puisque l'on connaît les salaires de 1992, lesquels vont toujours en augmentant d'année en année, et l'on connaît les taux applicables en vertu des lois précises en 1992, lesquels taux ne diminuent généralement pas d'année en année.

[22] Dans le cas actuel, l'appelante a toujours reconnu au chapitre des dépenses de l'année courante la dépense reliée aux contributions patronales à payer dans une année subséquente si celle-ci se rattachait aux vacances accumulées au cours de l'année mais non encore prises par les employés. Cette pratique a toujours été retenue lors de la rédaction des états financiers et selon l'opinion des vérificateurs, les états financiers présentés par l'appelante sont conformes aux PCGR. L'avocat de l'appelante a cité la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Time Motors Ltd. v. M.N.R., [1969] C.T.C. 190, qui traitait de l'application de l'alinéa 12(1)e) (maintenant 18(1)e)) tel qu'il se lisait alors, pour soutenir la position qu'il faut reconnaître l'importance de s'en remettre aux PCGR quant à la façon de déterminer le profit aux fins d'établir l'impôt sur le revenu.

[23] L'avocat de l'appelante a cité la définition de “ contingent liability ” que l'on retrouve dans une décision anglaise dans l'affaire Winter and Others v Inland Revenue Commissioners, [1961] 3 All ER 855, telle qu'elle a été reprise dans l'affaire L H Mandel v The Queen, [1978] CTC 780, par la Cour d'appel fédérale et qui se lit comme suit aux pages 786 et 787 :

[...] "contingent liabilities," which must mean [...] sums which will only become payable if certain things happen, and which otherwise will never become payable.

[...] Contingent liabilities must, therefore, be something different from future liabilities which are binding on the company, but are not payable until a further date. I should define a contingency as an event which may or may not occur and a contingent liability as a liability which depends for its existence upon an event which may or may not happen. [...]

[24] L'avocat de l'appelante soutient à la lumière de cette définition que le paiement des indemnités de vacances est un événement futur et certain auquel ne se rattache aucune condition. L'obligation de payer les contributions patronales est simplement différée au moment où les indemnités de vacances seront payées. Il ne s'agit donc pas d'une obligation conditionnelle ou selon le terme anglais d'une “ contingent liability ”.

[25] Par ailleurs, on donnait aussi la définition d'une obligation conditionnelle dans l'affaire Winter, laquelle a également été reprise dans l'affaire Mandel à la page 786 :

[...]A conditional obligation, or an obligation granted under a condition, the existence of which is uncertain, has no obligatory force till the condition be purified; because it is in that event only that the party declares his intention to be bound, and consequently no proper debt arises against him till it actually exists; so that the condition of an uncertain event suspends not only the execution of the obligation but the obligation itself.

[26] Selon l'avocat de l'appelante, on fait ici une distinction entre une dette conditionnelle qui dépend d'un événement dont on ne sait pas s'il va se réaliser et une obligation dont le paiement est sujet à un événement futur qui doit arriver mais dont on ne connaît pas encore la date.

[27] L'avocat de l'appelante s'est également référé à la doctrine québécoise pour faire la distinction entre une obligation conditionnelle et une obligation à terme. Dans le recueil écrit par Jean-Louis Baudouin, Les Obligations, 4e édition, Les Éditions Yvon Blais Inc., Cowansville (Québec), on dit ceci aux pages 468, 469, 470 et 475 (paragraphes 827, 831 et 841) :

827 - Tout comme la condition, le terme est un événement futur mais, à la différence de celle-ci, c'est un événement qui est de réalisation certaine. Le terme peut être fixe ou non selon que, dès le moment de la conclusion de l'obligation, la date d'échéance est connue et déterminée. Payer dans un an est donc un terme fixe ou déterminé, alors que payer au décès d'une personne ne l'est pas puisque, même s'il est sûr que cette personne décède, la date exacte de sa mort reste indéterminée. La jurisprudence, sous le régime du Code civil du Bas-Canada, a éprouvé parfois certaines difficultés à distinguer le terme de la condition, le premier étant parfois stipulé à la façon d'une condition.

[...]

831 - Le terme suspensif n'affecte en rien la création juridique de l'obligation, il ne fait qu'en différer l'exigibilité. Contrairement à l'obligation sous condition suspensive, et tout comme l'obligation sous condition résolutoire, l'obligation à terme prend donc naissance immédiatement, de la même façon que l'obligation pure et simple, et a donc une vie juridique parfaite pendant toute la période allant de sa création à l'échéance. Un lien d'obligation se forme entre un créancier et un débiteur véritables.

[...]

841 - À la différence du terme, la condition est un événement extrinsèque futur, mais incertain, dont dépend la naissance (condition suspensive) ou l'extinction (condition résolutoire) d'une obligation. La vie juridique de l'obligation est liée à la survenance d'un événement dont non seulement on ne saurait fixer la date, mais dont, en plus, la réalisation demeure incertaine. L'événement doit d'abord être extrinsèque et non pas essentiel à la formation même de l'engagement. [...] Il doit enfin être incertain quant à sa réalisation.

[28] Par ailleurs, dans l'affaire Day & Ross Ltd. v. The Queen, [1977] 1 C.F. 780 on a donné le sens suivant aux termes utilisés à l'alinéa 18(1)e) (anciennement 12(1)e)), aux pages 788-789 :

Les termes “réserve” et “compte de prévoyance”, qui figurent dans l'alinéa 12(1)e), impliquent la mise de côté d'un montant en vue de faire face à une éventualité, à un événement indéfini et non vérifiable, susceptible ou non de survenir; tandis que l'expression “somme ... dépensée” qui figure dans l'alinéa 12(1)a) implique une obligation présente et certaine, un montant défini et vérifiable.

L'avocat de l'appelante en conclut que l'alinéa 18(1)e) n'aura d'application que si l'on fait face à une obligation conditionnelle dont on ne connaît pas l'existence future. Selon lui, ce n'est pas le cas des contributions patronales puisque l'existence de cette obligation est connue dès le moment où les vacances sont gagnées par les employés de l'appelante.

Arguments de l'intimée

[29] L'avocate de l'intimée a d'abord rappelé en tout premier lieu que la Cour Suprême du Canada a établi clairement dans l'affaire Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, que les PCGR, bien qu'ils puissent constituer un outil de base important dans la détermination du bénéfice en droit fiscal, ne sont pas des règles de droit. Ces principes comptables doivent nécessairement occuper un rang subordonné par rapport aux règles de droit qui régissent la question (voir Canderel, précitée, page 166).

[30] Elle a ensuite abordé la question de la déductibilité des contributions patronales sous l'angle de l'alinéa 18(1)a) de la Loi, lequel article limite en soi la déductibilité de toute dépense sauf dans la mesure où elle a été engagée dans l'année par le contribuable en vue de tirer un revenu d'entreprise ou de bien. Elle s'appuie également sur l'alinéa 18(1)e) qui interdit la déduction de toute provision sauf ce qui est expressément permis par la Loi (voir à l'article 20 de la Loi). Or, les contributions patronales estimées sur des vacances à payer ne sont pas prévues dans les exceptions. Par ailleurs, l'alinéa 18(1)e) a été modifié en 1988 et sa portée a été élargie. De fait, l'ancien alinéa 18(1)e) faisait référence à “une somme transférée ou créditée au compte d'une réserve, à un compte de prévoyance” alors que le nouvel alinéa 18(1)e) fait maintenant référence à “ un montant au titre d'une provision, d'une éventualité ”. Selon l'avocate, toute la jurisprudence antérieure à 1988 sur l'alinéa 18(1)e) est peu pertinente dans la solution du cas actuel. D'ailleurs, sous l'ancienne jurisprudence, on limitait souvent la déduction d'une dépense par l'application de l'alinéa 18(1)a) compte tenu de l'étroitesse de l'alinéa 18(1)e) tel qu'il se lisait alors.

[31] Selon l'avocate de l'intimée, la question qu'il faut se poser pour résoudre la question en litige est la suivante : à quel moment l'obligation prend-elle naissance pour savoir si elle est déductible dans une année ou une autre? Car l'intimée ne conteste pas que les contributions patronales soient déductibles. Elle soutient simplement qu'elles sont déductibles dans l'année où elles sont versées.

[32] Dans les faits en l'espèce, au 31 décembre 1992, l'appelante a estimé les indemnités de vacances à payer en 1993 et 1994 à 8 pour 100 de la masse salariale réelle de 1992 (soit une moyenne de 20 jours de vacances par année). Puis, l'appelante a estimé les contributions patronales à 25 pour 100 de ces indemnités de vacances. Ce pourcentage était susceptible de varier en 1993 et 1994 au moment où les indemnités de vacances seraient payées réellement. Selon l'avocate de l'intimée, les documents déposés en preuve démontrent clairement que ce sont des estimations. De fait, pour calculer le montant des contributions patronales à payer après le 31 décembre 1992, on a pris une estimation à la fin de l'année 1991 sur laquelle on a fait une écriture de régularisation à la fin de l'année 1992 pour arriver au total des indemnités de vacances et des contributions patronales à payer après le 31 décembre 1992. Finalement, les taux appliqués pour ces contributions à payer en 1993 et 1994 ont été établis à partir des taux applicables en 1992.

[33] L'avocate de l'intimée a passé en revue les lois applicables dans le calcul des contributions patronales. Ainsi, aux termes de ces lois, l'employeur est tenu de percevoir les cotisations sur les salaires par déduction à la source sur la rémunération qu'il paie à son salarié (dans les cas où le salarié doit contribuer). Il est également tenu de remettre ces cotisations au gouvernement de même que toute contribution qu'il est lui-même tenu de faire aux termes des différentes lois applicables selon un terme établi par chacune de ces lois, lequel terme court à compter du moment où les salaires sont versés. L'avocate de l'intimée soutient donc que l'obligation de payer les contributions patronales prend naissance seulement au moment où les salaires sont versés et non avant. Par la suite, il y a des modalités de paiement pour verser ces contributions. Selon elle, il y a une distinction à faire entre le moment où l'obligation prend naissance et le terme qui est accordé pour rendre cette obligation exigible.

[34] L'avocate de l'intimée soutient que les contributions patronales constituent une provision au sens comptable et au sens de la Loi.

[35] Selon l'expert comptable qui a témoigné, une provision est une obligation potentielle à venir, une obligation future qui n'existe pas maintenant, évaluée à la date d'arrêté des comptes (au 31 décembre 1992) que des faits survenus ou en cours rendent probable. Ainsi, l'avocate de l'intimée soutient que cette définition cadre avec les contributions patronales en cause. On sait qu'elles devront être payées dans le futur mais on ne connaît pas la date exacte de paiement parce qu'on ne sait pas quand les vacances seront effectivement prises. De plus, on ne connaît pas le montant exact du paiement parce que les salaires peuvent varier et qu'il peut y avoir des impondérables quant aux taux applicables. C'est donc une estimation qui est faite et ceci correspond donc à une provision au sens comptable du terme. Le fait que cette estimation soit prudente ne change pas la nature de la provision.

[36] L'avocate de l'intimée a également cité une décision de la Cour fédérale, section de première instance, dans l'affaire Northern and Central Gas Corporation Limited v. The Queen, 85 DTC 5144. Dans cette affaire, la société appelante, une société vendant du gaz naturel, avait réalisé un gain d'inventaire qui provenait de la vente de gaz acheté avant l'augmentation des taux. Puisque les profits de la société appelante étaient réglementés par La Commission de l'énergie de l'Ontario, la société appelante savait qu'elle serait obligée de remettre ce gain aux consommateurs l'année suivante. La société appelante a donc déduit ce gain de ses revenus de l'année courante. Le Ministre a refusé cette déduction au motif qu'il s'agissait d'un montant au titre d'une provision. Madame la juge Reed a décidé que même si le montant à payer était un montant déterminable, l'obligation légale n'avait pas pris naissance dans l'année où le gain avait été réalisé. Il s'agissait donc d'une “ contingent liability ” au sens de l'alinéa 18(1)e), qui ne donnait droit à aucune déduction.

[37] L'avocate de l'intimée a par la suite fait référence à l'article 1372 du Code civil du Québec qui se lit comme suit :

Art. 1372. L'obligation naît du contrat et de tout acte ou fait auquel la loi attache d'autorité les effets d'une obligation.

Ainsi, soutient-elle, le paiement des contributions patronales ne devient une obligation qu'au moment du versement des indemnités de vacances, laquelle obligation est alors assortie de modalités de paiement.

[38] L'avocate de l'intimée a par ailleurs cité plusieurs décisions dans lesquelles il a été établi qu'une déduction ne sera pas permise et sera exclue par l'application de l'alinéa 18(1)a), sans qu'il soit nécessaire de se référer à l'alinéa 18(1)e), si celle-ci a trait à une obligation qui n'existe pas au moment où on veut prendre la déduction. Ainsi, dans l'affaire The Queen v. Burnco Industries Ltd. et al., 84 DTC 6348 (C.A.F.), le juge Pratte s'exprimait ainsi à la page 6348 (page 1 de la version française) :

À notre avis, une dépense, au sens de l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu est une obligation de payer une somme d'argent. Une dépense ne peut être engagée par un contribuable qui n'est pas obligé de verser une somme d'argent à quelqu'un d'autre. Contrairement à ce qui a été décidé par la Division de première instance, l'obligation de faire quelque chose qui peut dans l'avenir entraîner la nécessité de verser une somme d'argent ne constitue pas une dépense.

[39] Également, dans l'affaire J. L. Guay Ltée c. M.N.R., [1971] C.F. 237 (C.F., première instance), conf. 73 DTC 5373 (C.A.F.), conf. 75 DTC 5094 (C.S.C.), il s'agissait d'un contribuable qui avait engagé certains sous-traiteurs dans le cadre d'un projet de construction. Selon les contrats, le contribuable pouvait retenir 10 pour 100 du total du contrat jusqu'à ce que la construction soit complétée. Le contribuable a tenté de déduire ce montant mais le Ministre a refusé cette déduction au motif que ce montant n'était pas payable pendant l'année en question. En première instance, le juge Noël a conclu que le fait que le quantum du montant qui serait payé n'était pas certain – il pouvait être réduit s'il y avait mauvaise exécution des travaux – rendait cette somme non déductible. Il écrit ceci à la page 245 :

Dans la plupart des causes fiscales, l'on n'accepte que les montants dont la quantité exacte est établie. Ce qui veut dire que les montants provisoires ou estimés sont ordinairement rejetés et il n'est pas recommandable de calculer les profits imposables en utilisant des données qui sont conditionnelles, contingentes ou incertaines. Il faut, en effet, pour que les montants provisoires ou les estimés soient acceptés, qu'ils soient sûrs. Il est, d'autre part, toujours difficile de trouver une procédure qui permet d'arriver à un chiffre qui est sûr. Les comptables sont toujours enclins à prévoir des réserves pour des exigibilités non liquidées, car s'ils ne le font pas, l'état financier ne reflètera pas l'état véritable des affaires du client. La difficulté vient du fait que le but principal d'une comptabilité n'est pas de permettre la détermination de la dette fiscale du contribuable. En fait, le rapport comptable est destiné à indiquer d'une façon générale au contribuable l'état de ses affaires pour lui permettre de les poursuivre en toute connaissance de cause. Pour atteindre cette fin, il n'est pas nécessaire que le profit indiqué soit précis mais il doit représenter raisonnablement ce profit, tandis que la loi de l'impôt exige qu'il soit précis et, par conséquent, il est nécessairement arbitraire. [Je souligne.]

[40] Dans une cause similaire rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Newfoundland Light & Power Co. Ltd. v. The Queen, 90 DTC 6166, le juge Pratte s'exprime ainsi à la page 6173 (pages 21 et 22 de la version française) :

[...] En fait, pour qu'une dépense puisse être engagée pendant une certaine année, l'obligation de payer doit avoir pris naissance au cours de cette même année; de la même façon, il n'existe, pour un contribuable, aucun coût relié à un bien, tant que l'obligation de payer ce coût n'a pas pris naissance.

[41] La Cour d'appel fédérale a repris ce qui a été dit dans les affaires Canderel, Burnco et Guay, précitées, dans l'affaire Northwood Pulp and Timber Limited v. The Queen, 98 DTC 6640, conf. 96 DTC 1104 (C.C.I.). La société appelante avait dans cette dernière affaire l'obligation de remplacer les arbres qu'elle coupait et avait déduit dans l'année courante les coûts de reboisement pour l'année suivante. La Cour a déterminé que les coûts de reboisement n'étaient pas déductibles avant qu'ils soient engagés, et ce, aux termes de l'alinéa 18(1)a) de la Loi. Ainsi, même si on avait fait des estimations raisonnables et acceptables du point de vue comptable, cela n'en faisait pas pour autant une dépense déductible du point de vue fiscal.

[42] Dans l'affaire Co-Operators General Insurance Company v. M.N.R., 93 DTC 303 (C.C.I.), le juge Brulé a repris les critères élaborés plus haut pour déterminer si la société appelante pouvait déduire la prime maximale d'assurance qu'elle devrait payer l'année suivante. Il s'exprime ainsi aux pages 310 et 311 (pages 20, 21 et 22 de la version française) :

Pour qu'une dépense soit engagée au sens de l'alinéa 18(1)a) de la Loi, il faut d'abord qu'il existe une obligation juridique de verser une somme d'argent au cours de l'année. Sinon, la somme en question est une obligation éventuelle. [Référence est faite à l'affaire Burnco, précitée.]

[...]

Deuxième exigence, il faut que l'obligation juridique de payer ait pris naissance au cours de l'année. [Référence est faite à la décision du juge Pratte dans l'affaire Newfoundland Light & Power, précitée.]

[...]

En outre, le juge Pratte a rejeté l'argument voulant que, conformément aux principes comptables généralement reconnus, une dépense puisse être engagée aux fins de la Loi même s'il n'existait aucune obligation juridique de payer au cours de l'année en question. Il a déclaré, à la page 6173 :

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

“À l'audience, le principal argument de l'appelante était que le juge Martin aurait dû, plutôt que d'aborder le problème dans une optique purement légaliste, comme cela avait été fait dans les arrêts Guay et Colford, adopter une approche plus réaliste et, suivant l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Time Motors Limited c. M.R.N., trancher le litige à la lumière des principes comptables généralement reconnus, qui enseignent apparemment qu'une dépense ou un coût peuvent avoir été engagés, même si, en droit, l'obligation de payer cette dépense ou ce coût n'a pas encore pris naissance. Cet argument doit, selon moi, être rejeté. L'arrêt Time Motors n'est pas pertinent. La Cour a jugé, dans cette affaire, que l'obligation du contribuable, relativement à certaines notes de crédit, subsistait jusqu'à ce qu'elles soient satisfaites, ou jusqu'à leur échéance. Elle en est venue à cette conclusion sans avoir recours aux principes comptables. Elle s'est référée à ces principes dans le seul but de déterminer la signification à donner à l'expression “compte de prévoyance” qu'on retrouve à l'alinéa 18(1)e) de la Loi. Cette disposition n'a pas d'application en l'espèce.”

[...]

Enfin, en ce qui concerne l'alinéa 18(1)a), il faut que la somme payable puisse être déterminée au cours de l'année. En l'occurrence, on ne pouvait certainement pas déterminer si la prime maximale serait payable dans l'année. On pouvait cependant déterminer des primes supplémentaires, en fonction des calculs ou des redressements annuels portant sur une estimation des demandes d'indemnité en excédent de sinistres.

Le juge Brulé a conclu que la société appelante n'avait pas démontré qu'elle avait l'obligation juridique de verser aux réassureurs la prime maximale au cours des années en question. Ainsi, même si le montant de l'obligation pouvait être déterminé à terme et qu'il existait une probabilité de devoir verser la prime maximale, ceci ne faisait pas de cette obligation une obligation juridique au cours des années où la société appelante l'avait déduite. Le juge Brulé conclut ainsi à la page 312 (page 25 de la version française) :

La prime maximale ne présente pas les caractéristiques d'une “dépense engagée” ainsi que les a établies la jurisprudence portant sur l'interprétation de l'alinéa 18(1)a) de la Loi. D'après la formule de calcul des primes, l'appelante n'était pas obligée de payer la prime maximale au cours de chaque année de traité si l'obligation ne prenait pas naissance au cours de l'année, pas plus que la prime maximale n'était une obligation susceptible d'être déterminée au cours de l'année.

[43] L'avocate de l'intimée conclut à la lumière de toutes ces décisions que l'appelante n'a pas démontré qu'elle avait l'obligation juridique de verser les contributions patronales au cours de l'année 1992 sur les indemnités de vacances à payer après la fin de l'année. Selon elle, les montants attribués à ces contributions n'étaient que des estimations, lesquels ont été provisionnés en 1992 mais dont l'obligation juridique de payer n'avait pas encore pris naissance au cours de cette année.

Analyse

[44] L'article 9 et les alinéas 18(1)a) et 18(1)e) de la Loi sur lesquels l'intimée se fonde pour refuser la déduction en 1992 des contributions patronales à payer après la fin de l'année se lisent comme suit :

9(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.

9(1) Subject to this Part, a taxpayer's income for a taxation year from a business or property is his profit therefrom for the year.

18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

18(1) In computing the income of a taxpayer from a business or property no deduction shall be made in respect of

a) les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien;

[...]

(a) an outlay or expense except to the extent that it was made or incurred by the taxpayer for the purpose of gaining or producing income from the business or property;

[...]

e) un montant au titre d'une provision, d'une éventualité ou d'un fonds d'amortissement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie;

(e) an amount as, or on account of, a reserve, a contingent liability or amount or a sinking fund except as expressly permitted by this Part;

Historique de l'ancienne loi : L'art. 18(1) a été modifié par 1988, chap. 55, art. 10(1), applicable aux années d'imposition qui commencent après juin 1988. L'art. 18(1)e) se lisait antérieurement comme suit:

e) Réserves, etc. – une somme transférée ou créditée au compte d'une réserve, à un compte de prévoyance ou à une caisse d'amortissement, sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie;”

L'art. 18(1)e) est identique à l'art. 12(1)e), S.R.C. 1952, chap. 148.

History: S. 18(1)(e) was amended by 1988, c. 55, S. 10(1), applicable to taxation years commencing after June 1988. S. 18(1)(e) formerly read as follows:

"(e) an amount transferred or credited to a reserve, contingent account or sinking fund except as expressly permitted by this Part;"

S. 18(1)(e) is identical with S. 12(1)(e), R.S.C. 1952, c. 148.

[45] Un des arguments de l'avocat de l'appelante est que l'alinéa 18(1)e) ne doit pas être interprété de façon à empêcher la déduction de toute provision de façon globale. Selon lui, le terme “ provision ” utilisé dans cet alinéa doit se lire conjointement avec le mot “ éventualité ” aussi employé dans cet alinéa. En anglais, on se sert des mots “ reserve ” et “ contingent liability ”. Le mot “ reserve ” en anglais n'a pas selon lui le même sens que le mot “ provision ” utilisé dans la version française. La définition du mot “ reserve ” que l'on retrouve dans le volume de l'Institut canadien des comptables agréés (“ ICCA ”) doit se limiter à un montant qui peut venir réduire les BNR. Selon lui, une provision ne sera visée par l'alinéa 18(1)e) que s'il s'agit d'une provision pour une éventualité ou en anglais que s'il s'agit d'une “ contingent liability ”. Or, selon lui, on ne peut parler de provision pour éventualité ou de “ contingent liability ” dans le cas actuel. Pour dire ceci, il se réfère entre autres à un passage d'un article écrit par B. J. Arnold, “ Timing and Income Taxation: The Principles of Income Measurement for Tax Purposes ”, (Canadian Tax Paper No.71, juillet 1983) à la page 227 :

Estimates of the quantum of various rights and liabilities are a common and recurring feature of accounting practice. Such estimates are not considered to be contingencies for accounting purposes.

[46] En réponse à ce premier argument de l'appelante, je soulignerai simplement le principe bien établi de l'effet utile en matière d'interprétation des lois, voulant que chaque mot utilisé dans la législation ait sa raison d'être. P.-A. Côté, dans son recueil sur l'Interprétation des lois, 2e éd., écrit ceci à la page 259 :

En lisant un texte de loi, on doit en outre présumer que chaque terme, chaque phrase, chaque alinéa, chaque paragraphe ont été rédigés délibérément en vue de produire quelque effet. Le législateur est économe de ses paroles : il ne “ parle pas pour ne rien dire ”.

Ce même principe est énoncé par Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., à la page 159 :

It is presumed that the legislature avoids superfluous or meaningless words, that it does not pointlessly repeat itself or speak in vain. Every word in a statute is presumed to make sense and to have a specific role to play in advancing the legislative purpose.

[47] Ce principe a été appliqué par la Cour Suprême du Canada dans l'affaire Le procureur général de la province de Québec c. Carrières Ste-Thérèse Ltée, [1985] 1 R.C.S. 831, où l'on devait interpréter l'article 55 de la Loi de l'hygiène publique, S.R.Q. 1964, chap. 161, qui permettait au ministre des Affaires sociales d'exercer lui-même les pouvoirs confiés aux autorités municipales. La Cour s'exprime ainsi à la page 838 :

Interrogé lors de l'audition sur le sens et la portée des mots “lui-même”, le procureur de l'appelant a répondu qu'il s'agissait de mots inutiles. Ce n'est pas notre avis. Le législateur ne parle pas pour ne rien dire.

[48] Par ailleurs, les notes explicatives du ministre des Finances sur le projet de Loi concernant l'impôt sur le revenu de juin 1988 apportant un amendement à l'alinéa 18(1)e) sont à l'effet suivant :

LIR

18(1)e)

L'alinéa 18(1)e) de la Loi interdit de déduire les sommes tranférées ou créditées à une réserve, à un compte de prévoyance ou à une caisse d'amortissement, sauf autorisation expresse de la partie I de la Loi. La modification apportée à l'alinéa 18(1)e) précise l'application de cette disposition à deux égards. En premier lieu, l'expression “transférée ou créditée” est supprimée parce qu'elle peut être techniquement impropre dans le cas des éventualités et de certaines provisions. En second lieu, les éventualités sont expressément mentionnées à l'alinéa 18(1)e). Cette modification s'applique aux années d'imposition commençant après juin 1988.

[49] En regard du principe de l'effet utile et des notes explicatives, je dois conclure que le mot “ provision ” qui n'est pas rattaché par une conjonction de coordination avec le mot “ éventualité ”, doit avoir son sens propre. De même dans la version anglaise, le mot “ reserve ” n'est pas plus rattaché au mot “ contingent liability ”. Quant au sens à donner au mot “ reserve ” tel qu'utilisé à l'alinéa 18(1)e) dans sa version anglaise, il ne peut à mon avis avoir un autre sens que celui donné au mot “ provision ” dans la terminologie française. D'ailleurs, l'article 18 est un article limitatif qui restreint la déduction de certaines dépenses dans le calcul du bénéfice pour l'année. Cet article ne se rapporte aucunement au calcul des bénéfices non répartis. C'est pourquoi on ne peut donner au mot “ reserve ”, tel qu'il est utilisé à l'alinéa 18(1)e), le sens restrictif que lui donne l'ICCA. C'est ce qui ressort également du bulletin d'interprétation IT-215R, du 12 janvier 1981, portant sur l'alinéa 18(1)e). Au paragraphe 2, on peut lire :

2. En comptabilité moderne, on appelle réserve ou provision, une affectation des bénéfices non répartis ou d'autres surplus, à la discrétion du contribuable ou en vertu d'une disposition législative, du document de constitution en corporation ou des règlements d'une corporation, d'un acte de fiducie ou d'un autre accord. Toutefois, la Loi de l'impôt sur le revenu emploie le mot “réserve”, ou “provision”, dans un sens plus large. De façon plus générale, il signifie une somme mise de côté pour l'avenir.

[50] En conséquence, même si le contribuable est libre de calculer son revenu conformément aux principes commerciaux reconnus et d'adopter ceux qui conviennent dans les circonstances particulières pour donner une image fidèle de son bénéfice pour l'année, ce traitement comptable n'est pas pertinent si une règle précise est établie par la Loi. Ici, l'alinéa 18(1)e) énonce une règle précise : on ne peut déduire un montant s'il se qualifie comme une provision. Il y a par ailleurs des exceptions prévues à cette règle à l'article 20 de la Loi, lesquelles ne font pas référence toutefois aux contributions patronales. Ainsi le fait que le traitement choisi par l'appelante pour tenir compte de la dépense soit acceptable du point de vue comptable, ce qui a été démontré ici, ne veut pas dire que cette dépense doit être traitée de la même façon du point de vue fiscal s'il est établi que la dépense en question est une provision.

[51] La pratique comptable peut toutefois servir d'outil de base pour déterminer s'il s'agit d'une provision (voir Time Motors et Canderel, précitées). Selon l'expert comptable qui a témoigné, une provision se définit comme : 1) une obligation potentielle future 2) qui doit être estimée 3) qui sera payée à une date inconnue.

[52] Quant au troisième critère, la Cour suprême du Canada a établi dans l'affaire Time Motors, précitée, que l'alinéa 18(1)e) ne s'applique pas lorsqu'il s'agit d'une obligation qui doit être payée pendant une période déterminée dans le futur. Il faut se rappeler ici qu'il s'agissait de notes de crédit données par un commerçant d'automobiles d'occasion en paiement partiel de voitures acquises pour la revente. Il s'agissait d'une obligation contractée par l'acquéreur lors de l'acquisition de ces voitures en paiement du prix d'achat. Le contribuable acquéreur avait une obligation réelle vis-à-vis du vendeur de ces voitures d'acquitter ces notes de crédit si ce dernier s'en prévalait et ce, même si ces notes de crédit ne devaient être acquittées que dans une période future par ailleurs déterminée. L'obligation du contribuable avait pris naissance dès le moment où les notes de crédit avaient été données et devait subsister jusqu'à ce qu'elles soient satisfaites ou jusqu'à leur expiration. Il ne s'agissait pas non plus d'une obligation conditionnelle. Voici ce que disait à ce propos madame la juge Desjardins dans l'affaire Newfoundland Light & Power, précitée à la page 6170 (page 13 de la version française) :

La note de crédit reflétait une obligation qui existait jusqu'à l'expiration de la note : elle représentait une valeur exigible pour une valeur reçue. La faculté du client de se prévaloir ou non de la note avant son expiration n'a jamais eu pour effet de changer la nature de la dette. Si on la réclamait à échéance, la valeur exigible était remise au client. Dans le cas contraire, la valeur donnée se transformait en profit.

[53] Le même raisonnement peut s'appliquer dans le cas des indemnités de vacances. Les employés acquièrent leurs vacances au cours de l'année de référence. Ils ne pourront par contre prendre ces vacances qu'après l'expiration de cette période de référence. C'est au cours de cette même année de référence toutefois que l'obligation de payer les indemnités de vacances prend naissance pour l'appelante vis-à-vis de ses employés et cette obligation subsiste jusqu'à ce que ces montants soient acquittés dans l'année qui suit la période de référence. C'est pourquoi ces indemnités de vacances, même si elles sont estimées, ne constituent pas une provision au sens de l'alinéa 18(1)e). Elles ne constituent pas une obligation potentielle de l'employeur. Il s'agit d'une obligation juridique réelle qui existe au cours de l'année de référence mais qui sera payée dans une année future. On peut donc dire que la dépense reliée à ces indemnités de vacances a été engagée au cours de l'année de référence et est donc déductible dans le calcul du bénéfice pour l'année aux termes de l'article 9 et de l'alinéa 18(1)a) de la Loi.

[54] Ce n'est toutefois pas le cas, par contre, des contributions patronales qui se rattachent à ces indemnités de vacances. Je note à ce sujet que les parties ont abordé la question des contributions patronales comme un tout sans faire de distinction entre celles qui découlent de l'application d'une loi et celles qui résultent de l'établissement d'un régime privé. La preuve présentée ne me permet pas d'en faire la distinction. En effet, aucun contrat établissant les obligations de l'appelante en vertu de régimes privés sur les fonds de pension ou les assurances collectives n'a été déposé. Il n'appartient pas au tribunal de compenser la preuve insuffisante présentée et deviner des éléments de preuve qui paraîtraient essentiels à la solution satisfaisante du litige mais dont la preuve n'a jamais été faite. Pour le dire autrement, je ne peux rendre une décision qu'en fonction de la preuve qui a été faite et non de celle qui aurait pu être faite. Dans le cas échéant, l'appelante avait le fardeau de prouver les distinctions à faire, s'il y en avait, entre les contributions patronales exigées par voie législative et celles résultant de l'application de régimes privés. Cette preuve n'étant pas devant moi, et les parties s'étant référé uniquement au cours de leur argumentation aux contributions patronales régies par voie législative, j'aborderai donc la question des contributions patronales comme si elles étaient toutes régies de la même façon.

[55] En ce sens, je suis d'accord avec l'avocate de l'intimée pour dire que l'obligation de payer ces contributions patronales ne prend naissance qu'au moment où les indemnités de vacances seront effectivement versées. Ce ne sont pas les services rendus par les employés qui donnent naissance à cette obligation. C'est le versement de leurs salaires qui, en vertu des différentes lois applicables, créent l'obligation pour l'employeur de verser les contributions patronales qui s'y rattachent. On ne peut donc pas dire, comme le prétend l'avocat de l'appelante, que l'obligation de payer ces contributions est une obligation existante au cours de la période de référence.

[56] L'obligation pour l'employeur de payer ces contributions patronales n'est pas une obligation à terme tel que le soutient l'avocat de l'appelante mais s'apparente plutôt à une obligation conditionnelle suspensive. Dans son recueil sur Les Obligations, précité, J.-L. Baudouin formule les observations suivantes sur la condition suspensive aux pages 475 et 479, aux paragraphes 842 et 849 :

842 - Condition suspensive - [...] La condition suspensive fait dépendre la naissance de l'obligation de l'arrivée de l'événement et retarde donc la création du lien entre les parties.

[...]

A. Condition suspensive

1. Avant l'arrivée de l'événement

849 - Inexistence de l'obligation - Droits du créancier éventuel -

Avant l'arrivée de la condition, l'obligation sous condition suspensive n'existe que potentiellement, mais pas encore réellement. Sa création demeure une simple éventualité et aucun lien effectif ne lie encore le futur créancier et le futur débiteur. Le créancier conditionnel n'a donc en principe aucun droit contre son débiteur conditionnel. Le droit n'étant pas actualisé, il ne possède aucun intérêt juridique né et actuel qui lui permettrait de requérir, par exemple, l'exécution de l'obligation. La dette n'étant pas juridiquement née, le débiteur, de son côté, n'est pas tenu de payer et peut donc répéter l'objet d'un paiement indu.

[57] C'est exactement le cas ici en ce qui concerne les contributions patronales. Au cours de la période de référence, il n'y a aucun lien effectif qui lie encore le créancier de ces contributions patronales et l'employeur qui devra payer ces contributions seulement à compter du moment où les indemnités de vacances seront effectivement versées. L'intérêt juridique du créancier ne prendra naissance qu'à partir de ce moment, et non avant. On ne peut pas dire que la dette est juridiquement née avant ce moment. Par opposition, une obligation à terme présuppose que l'obligation prend naissance immédiatement et a donc une vie juridique parfaite pendant toute la période allant de sa création à l'échéance. Un lien d'obligation se forme entre un créancier et un débiteur véritables (voir J.-L. Baudouin, page 470, paragraphe 831 précité). Il me semble qu'il s'agit là de la principale différence entre les indemnités de vacances, où un lien effectif se crée entre l'employeur débiteur et les employés créanciers alors qu'un tel lien ne peut exister entre l'employeur et le créancier des contributions patronales avant que ces indemnités de vacances soient effectivement versées. Ceci résulte des différentes lois qui régissent le paiement de ces contributions patronales.

[58] Cette même notion d'obligation conditionnelle suspensive existe en common law et a été soulevée dans l'affaire Mandel, précitée où l'on réfère à la notion d'obligation conditionnelle comme n'ayant aucune force juridique avant l'arrivée de la condition.

[59] Je considère donc que l'obligation de payer les contributions patronales à l'égard des indemnités de vacances à payer après la période de référence constitue une obligation potentielle future, telle que définie en droit. Je considère également que la preuve a démontré que cette obligation devait être estimée et ne pouvait être déterminée de façon précise au cours de l'année où les vacances s'accumulaient mais n'étaient pas encore prises par les employés.

[60] La définition de provision telle que donnée par l'expert-comptable est une obligation potentielle évaluée à la date de l'arrêté des comptes, que des faits survenus ou en cours rendent probable. Cette obligation qui est nettement précise quant à sa nature, est incertaine quant à son montant et à la date où elle se réalisera. À la lumière de l'analyse faite plus haut, je suis d'avis que la somme de 752 640 $ qui a été estimée au 31 décembre 1992 en prévision des contributions patronales à verser dans une année subséquente constitue une provision au sens de l'alinéa 18(1)e) de la Loi.

[61] Par ailleurs, l'obligation de payer ces contributions patronales ne prenant pas naissance avant le versement des indemnités de vacances, on ne peut prétendre que l'appelante a, dans la situation qui nous concerne, engagé cette dépense au cours de l'année 1992. La somme de 752 640 $ n'est donc pas déductible non plus en vertu de l'alinéa 18)(1)a) de la Loi au cours de l'année 1992. Tel que le disait le juge Pratte dans l'affaire Newfoundland Light & Power, précitée, pour qu'une dépense puisse être engagée (au sens de l'alinéa 18(1)a)) pendant une certaine année, l'obligation de payer doit avoir pris naissance au cours de cette même année. Le juge Pratte, en rendant sa décision, s'est appuyé entre autres sur la décision rendue dans l'affaire Guay, précitée, laquelle a été confirmée par la Cour suprême du Canada.

[62] Finalement, même si l'estimation de la dépense est raisonnable et acceptable du point de vue comptable, cela n'en fait pas pour autant une dépense déductible au point de vue fiscal. Pour illustrer ceci, il suffit de citer ce passage de la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Northwood Pulp and Timber, précitée, où le juge Isaac s'exprime ainsi à la page 6641 (version française [1998] A.C.F. no 1537 (C.A.F.) (Q.L.) paragraphes 6, 8 et 9) :

[para 6] Ce n'est pas parce que le contribuable a traité les frais de reboisement d'une manière généralement acceptable du point de vue comptable qu'il y a nécessairement lieu de leur accorder le même traitement du point de vue fiscal. [...]

[para 8] Le récent arrêt de la Cour suprême du Canada prononcé dans l'affaire Canderel Limited c. La Reine n'appuie pas la thèse de l'appelante en l'espèce. La Cour a dit ceci au paragraphe 53 :

[d]ans la détermination du bénéfice, le contribuable est libre d'adopter toute méthode qui n'est pas incompatible avec [- entre autres -] les principes dégagés de la jurisprudence.

[para 9] En l'espèce, la thèse de l'appelante est incompatible avec les “ les principes dégagés de la jurisprudence ”. La Cour souscrit aux propos tenus par le juge du procès dans la présente affaire :

Les décisions citées par les deux avocats montrent essentiellement que, pour le calcul des bénéfices imposables, les tribunaux ont uniformément rejeté aux fins de l'impôt sur le revenu, les montants qui sont des estimations provisoires et qui sont conditionnels, éventuels ou incertains. Tel (sic) était certes la nature des estimations que le ministre a rejetées dans la présente affaire.

[63] Je conclus donc pour toutes ces raisons que l'appelante ne pouvait déduire dans le calcul de son bénéfice pour l'année d'imposition 1992, la somme de 752 640 $, représentant une estimation des contributions patronales à payer sur les indemnités de vacances à verser dans les années subséquentes, et ce, aux termes des alinéas 18(1)a) et 18 (1)e) de la Loi.

[64] Les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour d'octobre 1999.

“ Lucie Lamarre ”

J.C.C.I.

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