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Date: 19980401

Dossier: 97-1457-UI

ENTRE :

FLEETWAY CONSULTING SERVICES INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Le présent appel porte sur le règlement d’une question par lequel le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a déterminé que M. Hung Tong exerçait chez l’appelante un emploi assurable au sens de l’alinéa 3(1)a) de la Loi sur l’assurance-chômage (la « Loi » ) au cours de la période allant du 15 avril au 30 août 1996.

[2] Pour parvenir à son règlement, le ministre s’est appuyé sur les faits énoncés au paragraphe 6 de la réponse à l’avis d’appel (la « réponse » ), qui est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

a) l’appelante exploite une société de génie-conseil qui offre des services aux compagnies privées et aux gouvernements;

b) l’appelante a aussi obtenu un certain nombre de contrats pour élaborer, concevoir et mettre en application des logiciels;

c) l’appelante a également des contrats de dépannage avec le ministère de la Défense nationale ( « MDN » );

d) le travailleur a été embauché par l’appelante comme préposé au service de dépannage afin de fournir un appui direct au MDN en ce qui concerne divers utilisateurs et de régler les problèmes de systèmes de ce dernier;

e) une entente écrite (l’ « entente » ) a été signée par l’appelante et le travailleur;

f) le travailleur fournissait les services dans les locaux du MDN;

g) l’appelante facturait au MDN les services rendus et le travailleur était payé en retour par l’appelante au taux de 18,10 $ l’heure pour les services rendus;

h) le travailleur était payé régulièrement toutes les deux semaines;

i) le travailleur a constamment fourni les services au cours de la période visée;

j) le travailleur devait aussi se présenter aux bureaux de l’appelante de temps à autre;

k) le travailleur devait travailler sept heures et demie par jour;

l) le travailleur devait faire des heures régulières;

m) le travail du travailleur était contrôlé et supervisé par M. D. Topp, qui avait principalement pour rôle d’établir la priorité des tâches à assigner compte tenu de l’urgence des appels reçus au service de dépannage;

n) le travailleur devait fournir les services personnellement, et il ne pouvait pas engager une autre personne pour faire le travail à sa place ou confier le travail en sous-traitance;

o) l’appelante protégeait le travailleur aux termes du Régime d’indemnisation des victimes d’accidents du travail;

p) le MDN fournissait les installations et le matériel nécessaires au travailleur pour fournir les services;

q) l’appelante remboursait au travailleur tous ses frais de déplacement;

r) le travailleur ne pouvait pas réaliser de bénéfice ou subir de perte du fait qu’il fournissait les services pour l’appelante;

s) l’entreprise de l’appelante consiste à élaborer, à concevoir et à mettre en application des logiciels, et le travailleur a été embauché à titre de préposé au service de dépannage de sorte que le travailleur était intégré aux opérations de l’appelante;

t) l’appelante pouvait résilier l’entente avec le travailleur n’importe quand pour cause de rendement insatisfaisant;

u) il y avait un contrat de louage de services entre le travailleur et l’appelante;

[3] Les faits sur lesquels l’appelante s’est appuyée pour porter la décision du ministre en appel sont énoncés aux paragraphes 1 à 4 et 14 à 16 de l’avis d’appel, qui sont ainsi libellés :

[TRADUCTION]

1. L’appelante, Fleetway Consulting Services Inc., est une société de génie-conseil qui fournit des services techniques au ministère de la Défense nationale ( « MDN » ) notamment.

2. Conformément au marché de service no W8462-5-FJ2Y/01-ER entre l’appelante et Approvisionnement et Services Canada concernant l’exécution de travaux au MDN, l’appelante a fourni des services de dépannage au MDN, lesquels consistaient à apporter un soutien technique relativement aux logiciels et au matériel informatique utilisés par le MDN.

3. Le 28 mars 1996, l’appelante a signé un contrat avec M. Tong. Aux termes de ce contrat, les factures étaient établies par KT Computer Consulting Services et les paiements étaient effectués à celle-ci pour la période commençant en avril 1996 et se terminant en août 1996.

4. Pendant toute la période pertinente, M. Tong ne s’est pas présenté au travail chez l’appelante; il s’est plutôt rendu au MDN où il a rendu les services, quoiqu’il n’ait pas été partie à l’entente entre l’appelante et le MDN.

[ ... ]

14. L’appelante fait valoir que le contrat avec M. Tong n’était pas un contrat de louage de services, mais plutôt un contrat d’entreprise. M. Tong a fourni tous les services prévus aux termes de ce contrat au MDN.

15. L’appelante fait valoir qu’en appliquant le critère permettant de déterminer la nature de la relation entre un payeur et un bénéficiaire, il faut tenir compte de l’ensemble de sa relation avec M. Tong.

16. L’appelante fait valoir que, lorsqu’on examine l’ensemble de la relation, M. Tong n’était pas un employé de l’appelante.

[4] Les paragraphes 1, 2 et 4 et la première phrase du paragraphe 3 de l’avis d’appel (ci-dessus) ont été admis dans la réponse. Il n’y a pas eu d’admission ou de déni officiel des faits énoncés au paragraphe 6 de la réponse. Après avoir examiné la preuve, je suis d’avis que tous les faits énoncés dans la réponse ont été établis. Les seuls alinéas qui n’ont pas été étayés par des éléments de preuve sont les alinéas 6b) et 6j). En ce qui concerne l’alinéa 6j), comme nous le verrons plus loin, il n’a pas été admis que M. Tong était supervisé. Toutefois, on a précisé que son travail était contrôlé par un préposé principal au service de dépannage. Pour ce qui est des déclarations contenues dans les alinéas 6r) à 6u), il s’agit de conclusions de droit et il n’y a donc pas lieu pour l’instant de préciser si elles sont justes ou non.

[5] M. John Fleck, un ingénieur et aussi le président de l’appelante (qui s’appelle maintenant Fleetway Inc.), et M. Timothy Bradley, un employé du ministère de la Défense nationale (quelquefois appelé ci-après le « MDN » ), qui était l’agent de projet relativement au contrat en question en l’espèce, ont témoigné à la demande des avocats de l’appelante. Mme Patricia Gendron, un agent des appels à Revenu Canada, a témoigné à la demande de l’avocate de l’intimé.

[6] Le premier témoin, M. Fleck, a expliqué que l’appelante était une entreprise de génie-conseil qui fournissait des services de soutien à des clients gouvernementaux et commerciaux. Par exemple, si le ministère de la Défense nationale manquait de personnel spécialisé dans un domaine du génie, il pouvait signer un contrat avec l’appelante pour que celle-ci lui fournisse le personnel nécessaire. Fleetway a environ 45 employés qui assurent les services de soutien mentionnés ci-dessus. M. Fleck a déclaré qu’aucun des employés de l’appelante n’avait d’expertise dans le domaine visé par le contrat avec le MDN.

[7] La pièce A-1 est une demande de proposition du MDN émanant de Approvisionnement et Services Canada. Elle est datée du 23 mai 1995. La clause 4 de ce document décrit la nature des services requis :

[TRADUCTION]

4.0 SERVICES REQUIS

. (ci-après appelé l’ « entrepreneur » ) fournit des services professionnels en informatique au ministère de la Défense nationale — Directeur général, Gestion du programme d’équipement maritime (DGGPEM) aux fins d’assurer un service de dépannage pour un réseau local comprenant environ 370 utilisateurs, en faisant le diagnostic de pannes du réseau et de pannes d’ordinateurs et en fournissant un soutien aux applications, conformément aux modalités de l’annexe A de l’Énoncé de travail.

[ ... ]

La proposition doit inclure l’affectation de personnes bien précises pendant toute la durée du projet. Les candidats désignés doivent être prêts à s’engager pour toute la durée du contrat. Le fait que des candidats soient affectés à d’autres contrats n’est pas considéré comme une excuse valable pour les remplacer. Il ne peut y avoir de remplacement sans l’autorisation expresse du chargé de projet ou de lieu de travail.

[8] La clause 5.0 de la même demande de proposition (page 12 de 30) précisait que le contrat visait la période du 28 août 1995 au 27 août 1996, avec la possibilité de prolongations jusqu’au 27 août 1997 et au 27 août 1998.

[9] Un contrat a ensuite été signé et celui-ci a été déposé en preuve sous la cote A-2. Sauf pour ce qui est des prix cités et des noms des personnes qui devaient être affectées au service de dépannage, les modalités du contrat correspondent aux conditions énoncées dans la demande de proposition. Le nom de M. Tong ne figurait pas dans le contrat. Il a remplacé l’une des personnes désignées en mars 1996, conformément à la procédure prévue dans le contrat, qui était identique à celle qui est décrite à la clause 4.0 de la demande de proposition (pièce A-1), reproduite au paragraphe 7 des présents motifs.

[10] La clause 7.0 du contrat (pièce A-2) prévoyait que l’entrepreneur recevrait un montant fixe par jour et qu’aucuns frais de déplacement ou de stationnement ne lui seraient remboursés.

[11] La clause 7.5 du même contrat définit une journée comme comprenant 7,5 heures de travail. Cette clause est ainsi libellée :

[TRADUCTION]

7.5 DÉFINITION D’UNE JOURNÉE/CALCUL PROPORTIONNEL

Une journée s’entend de 7,5 heures consécutives excluant les pauses-repas. Les paiements seront effectués à l’égard des jours réellement travaillés et ne comprendront pas les congés annuels, les jours fériés et les congés de maladie. Les heures travaillées qui représentent plus, ou moins, qu’une journée complète seront payées proportionnellement, en fonction du temps réellement travaillé, selon la formule suivante :

Heures travaillées X taux quotidien

7,5

[12] La clause 7.6 du même contrat ne prévoyait pas d’heures supplémentaires, sauf si elles étaient officiellement autorisées par le représentant du ministère. Le travail devait être effectué dans des locaux du MDN situés dans la région de la capitale nationale.

[13] À la clause 4.0 de la pièce A-2, page 4, sous la rubrique « Services requis » , figurentles noms de quatre personnes qui devaient fournir les services requis de l’entrepreneur. (Cette clause est identique à celle reproduite au paragraphe 7 des présents motifs.) M. Fleet a déclaré que trois des quatre personnes étaient des entrepreneurs indépendants et que la quatrième était un employé de l’appelante. L’une des personnes désignées a cessé d’être disponible pour travailler et M. Tong a pris sa place en conformité avec la procédure de remplacement prévue dans le contrat. Le chargé de projet ou de lieu de travail qui devait donner son consentement à l’époque en question était M. Timothy Bradley, qui était un témoin dans le présent appel.

[14] L’appelante a trois types de contrats. L’un vise les employés à temps plein, un autre, les employés à temps partiel et le dernier, les employés temporaires. Il y a également un formulaire pour les entrepreneurs indépendants. M. Fleet a déclaré que c’est M. Tong qui a demandé à être considéré comme un entrepreneur indépendant. La pièce A-3 est le contrat entre l’appelante et M. Tong. Il est daté du 28 mars 1996 et précise que l’intéressé devait entreprendre le travail le plus tôt possible, que le contrat prendrait fin le 27 août 1996 et qu’il y avait des possibilités de prolongation.

[15] M. Tong avait été embauché comme préposé au service de dépannage. Il était rétribué 18 $ l’heure. Les clauses 5 et 7 de la pièce A-3, intitulées respectivement « Lieu de travail » et « Supervision » sont ainsi libellées :

[TRADUCTION]

5. LIEU DE TRAVAIL

Le travail sera normalement effectué dans vos propres locaux. Toutefois, vous pourriez être appelé de temps à autre à travailler dans les bureaux de Fleetway ou chez les clients de Fleetway. Malgré ce qui précède, vous devrez vous présenter aux bureaux de Fleetway au moins trois fois par semaine pour remettre le travail effectué relativement à chaque tâche prévue dans le contrat et pour prendre d’autre travail au besoin.

[ ... ]

7. SUPERVISION

Vous ne ferez l’objet d’aucune supervision pendant que vous effectuerez la tâche assignée, mais vous devrez vous porter garant de l’exactitude et de la bonne exécution de votre travail.

[16] M. Fleck a déclaré que la clause relative au lieu de travail n’était pas exacte étant donné que le travail était totalement effectué dans les locaux du MDN. En ce qui concerne la supervision, M. Fleck a précisé que M. Tong, du fait qu’il était un entrepreneur indépendant, ne faisait l’objet d’aucune supervision directe. Il était entièrement responsable de l’exactitude et de la bonne exécution de son travail. Il n’était pas intégré à l’effectif de l’appelante. Il n’a pas reçu de gratification comme certaines employés de l’appelante. M. Tong n’avait pas droit à des congés de maladie ou à des vacances.

[17] C’est peu de temps après avoir signé le contrat avec l’appelante que M. Tong a adopté la raison sociale KT Computer Consulting Services pour désigner son entreprise. La pièce A-5 est une série de chèques faits par l’appelante, pour les premières semaines, au nom de M. Tong personnellement et, par la suite, au nom de la compagnie de ce dernier. Lorsque M. Tong a offert ses services pour la première fois, il n’était pas encore constitué en société. M. Tong n’avait pas le pouvoir de se faire remplacer par une autre personne.

[18] La clause 15.0 du contrat (pièce A-2), à la page 9, est ainsi rédigée :

[TRADUCTION]

15.0 INSPECTION/ACCEPTATION

Tous les travaux exécutés aux termes du contrat font l’objet d’une inspection par le chargé de projet, ou son représentant délégué, avant l’acceptation de ceux-ci. Si le travail, ou une partie de celui-ci, ne répond pas aux exigences du contrat, le chargé de projet a le droit de le rejeter ou d’exiger qu’il soit repris aux frais de l’entrepreneur. Toute communication avec l’entrepreneur au sujet de la qualité du travail exécuté aux termes du présent contrat se fera par correspondance officielle, par l’entremise du chargé de projet ou de l’autorité contractante.

[19] M. Fleck a expliqué que cette clause voulait dire que, si le travail n’était pas acceptable, l’appelante avait l’obligation de le reprendre à ses frais.

[20] La clause 19.0 du contrat (pièce A-2) est rédigée dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

19.0 QUALITÉS DU PERSONNEL ET RELÈVE (s’ajoute aux Modalités générales 9676)

L’entrepreneur fournit les services des employés dont les noms sont précisés pour exécuter le travail requis à moins qu’il lui soit impossible de le faire pour des raisons indépendantes de sa volonté (par exemple, l’employé quitte la société, est en congé de maladie, en vacances, etc.) et il lui incombe de prévoir un(des) remplaçant(s) dont les compétences et le rendement sont les mêmes.

L’entrepreneur doit prévoir du personnel de relève de sorte que dans les cas de maladie imprévue, d’accident ou dans tout autre cas qui empêche une personne désignée d’exécuter son travail, il puisse la remplacer dans un délai d’au plus vingt-quatre (24) heures.

L’entrepreneur doit contrôler le travail de ses employés pour s’assurer que leur rendement est satisfaisant et que le travail progresse à la satisfaction du chargé de projet ou de lieu de travail. Le représentant de l’entrepreneur rencontrera régulièrement le chargé de projet ou de lieu de travail (une fois par mois) pour discuter du rendement du(des) programmeur(s)/analyste(s) et pour résoudre tout problème qui se présente.

L’entrepreneur s’engage à prévoir du personnel de relève compétent pour que dans tous les cas (autres que les cas de force majeure, comme il est précisé dans les modalités du contrat) où les personnes désignées sont dans l’impossibilité d’effectuer le travail relatif à la demande de service, d’autres puissent prendre leur place. La disponibilité du personnel de relève et du personnel de soutien doit être définie de façon acceptable.

Pour faire une substitution, l’entrepreneur doit fournir au responsable de la conception, quatre semaines avant la date prévue de la substitution, le curriculum vitae du remplaçant proposé, deux références et une preuve documentaire démontrant qu’il satisfait à toutes les exigences obligatoires cotées des critères d’évaluation décrits dans le présent énoncé de travail.

[21] En plus des trois préposés au service de dépannage, parmi lesquels figurait M. Tong, il y avait un préposé principal au service de dépannage dont les fonctions étaient de contrôler le travail des autres préposés et d’assurer aussi le service de dépannage. Il y avait également un représentant du service au client qui prenait les appels des personnes du MDN qui avaient besoin d’aide. Le préposé principal au service de dépannage déterminait la priorité des appels. Les services de ces cinq personnes étaient fournis par l’appelante aux termes du contrat.

[22] M. Fleck a fait une distinction entre supervision et contrôle. Il a déclaré qu’il n’était pas nécessaire de dire à M. Tong comment faire le travail, mais qu’il fallait lui préciser le travail à faire.

[23] Le MDN fournissait tous les outils et le matériel nécessaires.

[24] M. Timothy Bradley, un gestionnaire du MDN, a témoigné. Au cours des années en question, il gérait un réseau informatique pour le MDN. C’était lui le chargé de projet pour le contrat en question. Tous les membres de l’équipe travaillaient près de son bureau. Les appels provenaient des employés du MDN qui avaient des problèmes avec leur ordinateur. Il voyait à ce que les réparations soient effectuées correctement en entretenant des contacts avec le préposé principal au service de dépannage ou le coordonnateur qui dirigeait les membres de l’équipe relevant de lui et contrôlait les activités quotidiennes. Le chargé de projet signait les feuilles de temps hebdomadaires. Lorsque les préposés au service de dépannage arrivaient le matin, on leur remettait des relevés d’appels préparés par le représentant du service au client.

[25] Mme Patricia Gendron a témoigné pour l’intimé. Elle est agent des appels pour le ministre. Elle a dit avoir examiné la façon dont M. Tong avait déclaré son revenu les années précédentes. En 1994 et 1995, M. Tong avait déclaré que son revenu était un revenu d’emploi. Elle avait demandé à l’appelante et à M. Tong de remplir chacun un questionnaire au sujet des modalités d’emploi. Elle a précisé que lorsqu’elle a joint M. Tong, qui résidait alors à Vancouver, celui-ci lui a dit qu’il ne s’intéressait plus à l’issue de l’affaire parce qu’il avait trouvé un autre emploi. Elle a ajouté qu’il n’y avait pas de différences importantes entre les réponses fournies au sujet des conditions de travail, sauf pour ce qui était de la supervision. Le travailleur a déclaré qu’il était supervisé par un supérieur et que ce supérieur était le coordonnateur.

[26] L’avocat de l’appelante a renvoyé à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans la cause Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5025, et plus particulièrement aux extraits suivants des motifs du juge MacGuigan, aux pages 5026, 5027 et 5028 :

[ ... ] En soi, une telle entente ne détermine pas la relation qui existe entre les parties, et une cour doit examiner les faits avec soin afin de tirer ses propres conclusions:

[ ... ]

En common law, le critère traditionnel qui confirme l’existence d’une relation employeur-employé est le critère du contrôle, que le baron Bramwell a défini dans Regina v. Walker (1858), 27 L.J.M.C. 207, à la page 208:

[TRADUCTION] À mon sens, la différence entre une relation commettant-préposé et une relation mandant-mandataire est la suivante:—un mandant a le droit d’indiquer au mandataire ce qu’il doit faire, mais le commettant a non seulement ce droit, mais aussi celui de dire comment la chose doit être faite.

[ ... ]

[ ... ] Dans bien des cas, il faut, pour résoudre la question, examiner l’ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties. Ainsi, il est dans certains cas possible de décider en posant la question « à qui appartient l’entreprise » , en d’autres mots, en demandant si la partie exploite l’entreprise, c’est-à-dire qu’elle l’exploite elle-même ou pour son propre compte et pas seulement pour un supérieur.

[27] L’avocat de l’appelante a fait valoir que le travail de M. Tong n’était pas intégré à l’entreprise de l’appelante parce qu’il exécutait le travail pour le MDN. Il faudrait aussi prendre en considération le fait que M. Tong était autonome en ce sens qu’il n’était pas supervisé. La réponse à la question de savoir à qui appartient l’entreprise devrait donc être qu’elle appartenait à M. Tong.

[28] L’avocat de l’appelante soutient également qu’il y a un fil conducteur dans les autres décisions auxquelles il a renvoyé, ce fil étant que, lorsque les faits sont neutres, c’est l’entente qui l’emporte. Les décisions en question sont les suivantes : Parent (c.o.b. Brian's Towing) v. Canada (Minister of National Revenue - M.N.R., [1997] A.C.I. No 144 (C.C.I.); Royal Realty Services Ltd. v. Canada (Minister of National Revenue - M.N.R.), [1997] A.C.I. No 236 (C.C.I.); Valley General Hospital v. Canada (Minister of National Revenue - M.N.R.), [1996] A.C.I. No 710 (C.C.I.); 918855 Ontario Ltd. v. Canada (Minister of National Revenue - M.N.R.), [1997] A.C.I. No 664 (C.C.I.); Fransen Engineering Ltd. v. Canada (Minister of National Revenue - M.N.R.), [1997] A.C.I. No 1265 (C.C.I.).

[29] L’avocat de l’appelante a aussi renvoyé à la décision que j’ai rendue dans l’affaire Giroux v. R., [1996] E.T.C. 613. Dans cette affaire, j’ai conclu qu’un conseiller en gestion, qui avait été payé à la semaine pour l’exécution de contrats d’une durée de 16 semaines dans une année, et de 38 semaines dans l’autre, était un entrepreneur indépendant. Le travail était effectué chez les clients du payeur.

[30] L’avocate de l’intimé m’a renvoyée à l’arrêt M.N.R. v. Standing, (1992) 147 N.R. 238 de la Cour d’appel fédérale, dans lequel il est dit que la Cour ne peut tout simplement pas s’appuyer sur la façon dont les parties qualifient la relation. L’avocate a invoqué plus particulièrement le passage suivant :

[ ... ] Rien dans la jurisprudence ne permet d’avancer l’existence d’une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes [ ... ]

[31] Elle a fait valoir qu’en l’espèce M. Tong avait été embauché par Fleetway pour travailler sept heures et demie par jour, cinq jours par semaine, entre 7 h et 16 h 30. Il devait travailler dans les locaux du MDN, qui fournissait les outils, et il était payé au taux horaire de 18,10 $

[32] Pour ce qui est de l’aspect du contrôle, l’avocate m’a renvoyée à la clause 19.0 du contrat de l’appelante avec le MDN, pièce A-2. (Cette clause est reproduite ci-dessus, au paragraphe 20 des présents motifs.) Il y avait un coordonnateur sur place dont le rôle était de contrôler et de surveiller le travail des membres de l’équipe. Les préposés au service de dépannage devaient fournir leurs services personnellement. L’avocate a également mentionné la clause 15.0 du même document qui précise que le travail exécuté est la responsabilité de l’entrepreneur. (Cette clause est reproduite au paragraphe 18 des présents motifs.)

Conclusions

[33] La durée du contrat, la nature du travail — soit l’offre d’un soutien technique continu aux utilisateurs des ordinateurs —, l’organisation structurée dans laquelle les services étaient fournis, les heures de travail, l’endroit où le travail était exécuté et le mode de rétribution semblent des éléments qui sont normalement révélateurs d’une relation employeur-employé.

[34] L’avocat de l’appelante m’a renvoyée à la décision que j’ai rendue dans l’affaire Giroux. Quoiqu’il puisse sembler y avoir une certaine similitude entre les deux appels, si l’on considère uniquement le fait qu’un conseiller travaillait chez les clients du payeur pour de plus ou moins longues périodes, en fait, les particularités de cet emploi révélaient une toute autre situation. Dans l’affaire Giroux, il n’y avait pas d’heures de travail établies. Le conseiller pouvait travailler chez le client ou dans sa chambre d’hôtel. L’ordinateur lui appartenait. Il devait préparer des rapports après avoir examiné les activités des clients. Son travail n’était donc pas intégré aux activités du client. Je ne crois pas non plus qu’on pourrait dire que son travail était intégré à l’entreprise du payeur lorsque les contrats de ce dernier avec les clients portaient sur l’exécution d’études. En outre, le travailleur s’était lui-même décrit comme un conseiller travaillant pour son propre compte.

[35] Dans la présente affaire, après analyse des critères permettant habituellement de déterminer s’il s’agit d’un employé ou d’un travailleur autonome, je ne peux que conclure qu’ils indiquent uniquement une relation légale d’employé. Les critères habituels dont il est question ci-dessus sont le contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfice ou les risques de perte et l’intégration.

Contrôle : M. Tong devait se présenter au travail chaque jour de travail; il devait faire le travail qui lui était attribué sur un relevé d’appels préparé quotidiennement, et il devait obéir au préposé principal au service de dépannage.

Propriété des instruments de travail : Il n’y pas de problème concernant la propriété des instruments de travail : ils étaient fournis par le MDN, non par le travailleur.

Chances de bénéfice ou risques de perte : Il ne semble pas y en avoir. M. Tong était payé pour le travail effectué dans les locaux du MDN. En ce qui concerne l’élément selon lequel le travailleur n’aurait pas pu se faire remplacer par une autre personne, j’y accorde peu d’importance en l’instance parce que cela pourrait aussi s’appliquer à un conseiller travaillant pour son propre compte. Cet élément peut revêtir de l’importance dans une situation où l’identité de la personne qui exécute le travail ne devrait pas importer. Par exemple, dans le cas de la livraison de journaux, si la personne qui fait la livraison ne peut se faire remplacer, il y a des chances que ce soit un employé.

À qui appartient l’entreprise? (ou le critère de l’intégration) : La conduite antérieure et actuelle de M. Tong n’est pas celle d’un entrepreneur indépendant annonçant ou même offrant ses services comme conseiller. La société de M. Tong n’existait pas au cours des deux premiers mois pendant lesquels il a travaillé pour l’appelante, et il n’y a aucune preuve que M. Tong est aujourd’hui une entité constituée. Le témoignage de Mme Gendron semblerait plutôt indiquer le contraire. L’entente relative à la prestation des services comme entrepreneur indépendant, qui a été signée par M. Tong, ne précisait pas l’intention complète des parties à cette entente du fait que bon nombre des clauses qu’elle contenait ne concordaient pas avec les conditions de travail réelles de M. Tong. Son travail était intégré aux activités du MDN et, qui plus est, à l’entreprise de l’appelante, qui consiste à fournir du personnel de soutien aux clients fédéraux et commerciaux. Le fait que l’offre de services de préposés au dépannage à des utilisateurs d’ordinateurs était un nouveau domaine de travail pour l’appelante ne fait pas moins de ce travail une partie des activités de l’appelante. Il faut également tenir compte du fait que la prestation de ces services aurait pu continuer, avec les prolongations, pendant trois années.

[36] La situation de travail de M. Tong me rappelle celle qui est décrite dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. A.F.P.C., [1989] 2 C.F. 633, confirmé par [1991] 1 R.C.S. 614. Dans cette affaire, le gouvernement avait conclu avec une firme privée un contrat prévoyant la fourniture de services pédagogiques au ministère du Solliciteur général. La question en litige en l’espèce n’était pas de savoir s’il traitait avec des employés, parce que personne ne contestait ce fait, mais plutôt de savoir de qui relevaient les employés. Il a été conclu qu’il étaient les employés de la firme privée.

[37] En conséquence, l’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour d’avril 1998.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 6e jour de novembre 1998.

Isabelle Chénard, réviseure

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