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Date: 19980105

Dossier: 96-1649-UI

ENTRE :

LINDA FARRAH,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1] L’appelante conteste une décision de l’intimé selon laquelle elle n’a pas exercé un emploi assurable auprès du payeur, Maison J. Farrah Inc., du 4 septembre 1993 au 3 septembre 1994 et du 7 novembre 1994 au 9 septembre 1995.

[2] L’intimé appuie sa décision sur l’alinéa 3(1)a) de la Loi sur l’assurance-chômage (la « Loi » ) et soutient qu’il n’existait pas de contrat de louage de services entre l’appelante et le payeur au cours des périodes en litige.

[3] La décision est basée sur les faits énoncés aux alinéas a) à p) du paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel qui se lisent :

a) Hilda Boudreau-Farrah est la seule actionnaire du payeur;

b) elle a hérité de ses actions le 31 mai 1990, après le décès de son mari;

c) elle est la mère de l’appelante;

d) jusqu’à septembre 1994, le payeur exploitait un magasin à rayons offrant des vêtements pour toute la famille ainsi que des bijoux et autres accessoires;

e) à compter de novembre 1994, le payeur a déménagé son commerce dans le sous-sol de l’appelante et s’est spécialisé dans la vente de vêtements pour dame de taille forte;

f) Hilda Boudreau-Farrah n’a jamais travaillé dans l’entreprise du payeur et ne s’en est jamais occupée;

g) elle ne regarde jamais les chiffres comptables de l’entreprise du payeur;

h) l’appelante prenait toutes les décisions concernant l’entreprise du payeur;

i) l’appelante était libre d’agir à sa guise, gérant elle-même son travail et son horaire, et fixant le taux de son propre salaire;

j) l’appelante cautionnait un contrat de crédit variable du payeur au montant de 15 000$;

k) l’appelante a contracté personnellement 3 emprunts (15 000$, 20 000$ et 10 000$) auprès de la Caisse Populaire de Lavernière pour payer les dettes du payeur;

l) l’appelante n’a pas été rémunérée du 10 septembre au 6 novembre 1994 lorsqu’elle s’est occupée du déménagement du commerce du payeur;

m) l’appelante a travaillé bénévolement pour le payeur d’octobre 1995 à février 1996;

n) l’appelante signait les chèques du payeur;

o) l’appelante n’était pas subordonnée au payeur;

p) durant les périodes en litige, il n’y avait pas de relation employeur-employée entre l’appelante et le payeur.

[4] Comme l'appelante et le payeur sont des personnes liées par application de l'alinéa 251(2)a) et des sous-alinéas 251(2)b)(i) et (iii) de la Loi de l'impôt sur le revenu, après l'audition de l'appel j'ai demandé à l'avocat de l'appelante et au représentant de l'intimé de me présenter leurs observations sur l'application du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi puisque l'intimé n'a pas, dans le cas présent, exercé la discrétion qui lui est conférée par cette disposition. Je leur ai également offert de compléter la preuve présentée, si nécessaire, ce qu'ils ont décliné préférant s'en tenir à des observations écrites. Je reviendrai sur cette question un peu plus loin.

[5] Dans son témoignage, l’appelante affirme avoir travaillé pour le payeur d’abord comme vendeuse à compter de 1980 jusqu’à la mort de son grand-père en 1986. Par la suite, elle a assumé la gérance de l’entreprise puisque son père qui avait hérité des actions de la compagnie était déjà malade. Celui-ci est décédé en 1990. La mère de l’appelante est alors devenue la seule actionnaire et l’appelante aurait continué à gérer l’entreprise jusqu’à sa fermeture en février 1996. L’appelante qui dit avoir acquis beaucoup d’expérience dans ce petit commerce familial, affirme qu’elle accomplissait toutes les tâches normalement rattachées à de telles fonctions, tant les tâches administratives que celles reliées à l’achat et à la vente.

[6] Il est difficile de connaître le rôle exact de la mère de l'appelante, madame Hilda Boudreau Farrah ("Hilda Farrah") hormis le fait qu'elle ait été, au cours des périodes en litige, l'unique actionnaire et administrateur du payeur ainsi que la seule personne autorisée à transiger les affaires bancaires du payeur et ce, à tout le moins auprès de la Banque Nationale du Canada.[1]

[7] Dans une déclaration statutaire en date du 20 octobre 1995, l'appelante mentionne à deux reprises que sa mère ne s'est jamais occupé du commerce.

[8] Selon madame Danielle Chouinard, agent de participation aux décisions qui a témoigné pour l'intimé, madame Hilda Farrah n'a pu lui fournir aucune information précise concernant le commerce affirmant ne pas s'en occuper et en se contentant de référer madame Chouinard à l'appelante. Ainsi, madame Hilda Farrah n'aurait pas été au courant du chiffre d'affaires ni du revenu du commerce. Elle ignorait également le nombre d'employés, le salaire de l'appelante ainsi que le moment auquel celle-ci aurait cessé de travailler. Selon elle, l'appelante déterminait elle-même son propre horaire de travail. Elle aurait également affirmé que le commerce avait toujours été exploité au même endroit, ignorant qu'il y avait eu déménagement en 1994 et affirmant qu'il n'aurait été exploité au sous-sol de la résidence lui appartenant et où habitait l'appelante qu'en février 1996. Concernant la situation financière, madame Hilda Farrah aurait dit qu'elle savait que le commerce ne fonctionnait pas bien. Toutefois, elle n'était pas au courant de la marge de crédit mais a dit connaître l'institution financière. Elle aurait aussi mentionné qu'elle serait déjà allé chez le notaire pour hypothéquer la maison. Cependant, aucune précision n'a été apportée quant à la date de cet événement. Enfin, madame Hilda Farrah aurait affirmé qu'elle n'examinait pas les chiffres et que l'appelante n'avait pas de rapports à lui faire.

[9] Malgré tout, dans son témoignage, l'appelante affirme que c'est sa mère, qu'elle voyait de trois à quatre fois par jour, qui prenait toutes les décisions d'importance notamment concernant les emprunts, la mise à pied d'une autre employée et finalement la fermeture du commerce. Selon elle, sa mère avait un bon sens des affaires bien qu'elle avait peu d'instruction. L'appelante affirme également que sa mère ne connaissait pas les détails techniques, qu'elle n'a jamais travaillé pour l'entreprise et qu'elle ne regardait jamais les chiffres. L'appelante dit aussi qu'elle fournissait des comptes rendus à sa mère et qu'elle discutait avec elle des achats de marchandises dont elle fixait cependant elle-même le prix de vente.

[10] Quant à son horaire de travail, l'appelante affirme qu'il a toujours été fixe, de 9 h à 17 h. Son salaire n'aurait pas non plus été modifié depuis plusieurs années.

[11] L'appelante affirme n'avoir aucun autre intérêt dans l'entreprise, sa mère étant la seule actionnaire. Toutefois, le 25 février 1994 et se déclarant dûment autorisée par une résolution du conseil d'administration de la société en date du 24 février 1994, elle signe avec la Caisse populaire de Lavernière un contrat de crédit variable pour un montant de 15 000 $ au nom de la société.[2] Le document indique que l'appelante fournit un cautionnement général des montants dus par la société aux termes de ce contrat.

[12] Aucune résolution autorisant l'appelante à représenter la société n'a été soumise en preuve. Selon l'appelante, le commerce ne fonctionnait plus et c'est sa mère qui aurait pris la décision d'emprunter. L'appelante aurait simplement fait les arrangements nécessaires à la Caisse populaire où son cousin était gérant.

[13] Le 2 septembre 1994, soit deux jours avant d'être apparemment mise à pied pour la première fois pour la période s'étendant du 4 septembre au 6 novembre 1994, l'appelante emprunte, cette fois personnellement, une somme de 15 000 $ à la même Caisse populaire.[3] Elle affirme toutefois que cet emprunt de même que les autres, dont il sera question un peu plus loin, étaient faits en son nom pour la société et que c'est également la société qui remboursait. Elle n'aurait pas demandé à sa mère de signer afin « de lui enlever de la pression » .

[14] La période du 4 septembre au 6 novembre 1994 correspond selon l'appelante à celle au cours de laquelle le commerce était fermé et au cours de laquelle il y aurait eu déménagement. L'appelante admet s'être occupée de ce déménagement mais ne pas avoir été rémunérée. Par ailleurs, la pièce I-5 (en liasse) contient neuf bordereaux de dépôts bancaires signés par l'appelante au cours de cette période pour un total de plus de 11 500 $, ce qui indique malgré tout un certain niveau d'activité alors que, selon elle, le commerce était fermé.

[15] La deuxième période d'emploi de l'appelante aurait débuté le 7 novembre 1994 pour se terminer le 9 septembre 1995 et l'appelante n'aurait alors travaillé qu'une semaine sur deux. Au cours de cette période, une autre employée travaillait comme vendeuse. La pièce I-5 indique que l'appelante a continué à faire régulièrement les dépôts bancaires au cours de cette période. Elle affirme qu'elle n'était pas payée pour cette tâche qui lui prenait très peu de temps. La pièce I-7 semble indiquer aussi que la tenue de livre était faite régulièrement. Rien n'indique cependant que l'appelante n'aurait pas continué à s'occuper du commerce de façon quotidienne.

[16] Le 20 mars 1995 l'appelante emprunte à nouveau personnellement un montant de 20 000 $.

[17] Le troisième emprunt à titre personnel de l'appelante est en date du 29 septembre 1995, près de trois semaines après la fin de la deuxième période en litige. En fait, l'appelante admet avoir travaillé pour le payeur après cette période d'emploi et jusqu'en février 1996 et avoir été rémunérée au cours de certaines semaines. La pièce I-6 indique d'ailleurs trois chèques payables à son ordre et dont elle est également la signataire pour le payeur. Les chèques sont en date du 23 septembre, du 6 octobre et du 21 octobre 1995. Elle ajoute que cette rémunération a été déclarée. L'appelante affirme qu'il n'y avait pratiquement plus de travail à compter de novembre ou décembre 1995 alors qu'il ne restait qu'un client par semaine. Pourtant la pièce I-7 indique plus de 4 000 $ de ventes pour ces deux mois.

[18] Au cours de son témoignage, l'appelante a également mentionné que si elle avait travaillé sans être rémunérée à certaines périodes c'est qu'il fallait d'abord payer les frais de la bâtisse dans laquelle était exploité le commerce avant le déménagement laissant entendre que ces frais étaient élevés au point qu'il ne restait plus de revenu pour payer sa rémunération.

[19] C'est à l'appelante qu'il incombait de démontrer, par prépondérance des probabilités, qu'elle était liée au payeur par un contrat de louage de services au cours des périodes en litige.

[20] L'analyse de la preuve présentée ne me convainc pas qu'il y avait une véritable relation employeur-employée entre le payeur et l'appelante au cours de ces périodes. Il est bien établi en jurisprudence qu'une telle relation comporte la nécessité d'un lien de subordination qui ne peut exister dans la mesure où plusieurs indices donnent à penser que l'appelante a effectivement acquis le contrôle total de l'entreprise officiellement exploitée par le payeur. En effet, l'analyse de l'ensemble de la preuve soumise laisse planer des doutes plus que sérieux sur le fait que madame Hilda Farrah ait pris ou ait même été intéressée à prendre quelque décision que ce soit à titre d'unique actionnaire et administrateur du payeur sinon de laisser à l'appelante l'entière liberté d'exploiter le commerce à sa discrétion comme si elle en était la véritable propriétaire.[4] Sans doute l'appelante a-t-elle travaillé comme vendeuse puis gérante alors que son grand-père puis son père dirigeaient l'entreprise. Toutefois, depuis que sa mère est devenue l'unique actionnaire et administrateur il semble bien, selon les éléments de preuve soumis, plus particulièrement concernant les années 1993 à 1995, que la mère de l'appelante n'a joué aucun rôle dans la gestion de l'entreprise et n'a manifesté aucun intérêt sinon de façon marginale pour ce qui s'y passait. La déclaration statutaire de l'appelante en date du 20 octobre 1995 et la vérification effectuée par madame Danielle Chouinard auprès de madame Hilda Farrah sont assez convainquantes à cet égard. Lors de son témoignage à l'audition, l'appelante a certes tenté d'attribuer à sa mère un rôle déterminant contrairement à ce qu'elle avait déclaré antérieurement. J'estime ses explications peu crédibles au regard de son comportement particulièrement en ce qui touche sa prétendue mise à pied de septembre à novembre 1994 et les engagements financiers personnels contractés tant en 1994 qu'en 1995. En effet, d'une part, rien n'établit que madame Hilda Farrah aurait eu quoi que ce soit à voir avec le fait que l'appelante a décidé à plus d'une reprise de cesser de toucher sa rémunération tout en continuant malgré tout l'exploitation du commerce sans être rémunérée et tout en présentant ce fait comme étant une cessation d'emploi. L'appelante est seule responsable de cette décision qui tend à démontrer l'absence d'un lien de subordination. D'autre part, les engagements financiers contractés par l'appelante avec les risques qu'ils comportent et, ce que l'on est porté à croire, plus ou moins hors la connaissance de la personne censée diriger le présumé employeur ne sont pas compatibles non plus avec le statut d'une employée qui n'aurait aucun intérêt dans l'entreprise. Il s'agit d'une situation d'où s'infère fortement la conclusion que l'appelante agissait comme si elle était la véritable propriétaire de l'entreprise.

[21] Dans le cas présent, il m'apparaît qu'il s'agit des éléments les plus importants et les plus pertinents au regard de la nécessité d'établir l'existence d'un contrat de louage de services au sens de l'alinéa 3(1)a) de la Loi. Justement à cause de la présence de ces éléments, je ne peux arriver à la conclusion que l'appelante a démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu'elle était liée au payeur par un tel contrat.

[22] Cette conclusion me dispense finalement de traiter de l'application de l'alinéa 3(2)c) de la Loi au sujet de laquelle l'avocat de l'appelante ainsi que le représentant de l'intimé m'ont fait parvenir leurs observations. S'il ne s'avère pas nécessaire que j'en fasse ici l'analyse, j'ajouterai simplement en terminant que je ne crois pas que l'appel aurait pu réussir en regard de cette disposition si j'avais été persuadé qu'il existait un véritable contrat de louage de services entre l'appelante et le payeur au cours des périodes en litige. L'ensemble des circonstances entourant l'exercice de ses tâches par l'appelante et auxquelles je me suis déjà référé ne m'apparaissent pas être susceptibles de mener à la conclusion que l'appelante et le payeur auraient conclu un contrat à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[23] Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de janvier 1998.

« P.R. Dussault »

J.C.C.I.



[1]            Voir la résolution bancaire en date du 31 mai 1990 sous l'onglet 1 du cahier présenté par l'avocat de l'appelante. Par ailleurs, l'intimé a présenté une résolution concernant les affaires bancaires à la même institution en date du 7 novembre 1986 (pièce I-1). À ce document, l'appelante, à titre de secrétaire, est désignée comme l'une des personnes autorisées. Toutefois, elle ne l'est pas en vertu de la résolution du 31 mai 1990.

[2]           Pièce I-3.

[3]           Pièce I-4 en liasse (Prêt no. 1).

[4]           Concernant l'ascendant ou la mainmise sur le payeur par un prétendu employé on peut se référer aux décisions de la Cour d'appel fédérale dans les affaires Scalia, C. et M.R.N. [1994] A.C.F. no. 798 (Q.L.) (C.A.); Bouillon, B. et M.R.N. [1996] A.C.F. no. 742 (Q.L.) (C.A.). Voir également la décision de la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire Therrien, P. et M.R.N. [1994] A.C.I. 859 (Q.L.), de même que le jugement de la Cour d'appel fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire dans cette affaire [1995] A.C.F. 1206 (Q.L.) (C.A.). La décision de la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire Grégoire, L. et M.R.N. [1996] A.C.I. no. 739 (Q.L.) présente un autre exemple d'une telle situation en des circonstances différentes.

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