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Date: 20010124

Dossier: 98-1936-GST-G

ENTRE :

9000-6560 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1] Entre 1995 et 1997 sévissait au Québec un réseau de contrebande de véhicules (réseau). Ce réseau utilisait un stratagème qui permettait à son ou à ses auteurs de percevoir la taxe sur les produits et services (TPS) sur l'achat de véhicules sans la remettre aux autorités fiscales[1] ou permettait de réclamer des crédits de taxe sur les intrants (CTI) sans avoir versé de TPS lors des achats.

[2] De façon succincte, le stratagème utilisé par le réseau, tel que je le comprends[2], fonctionnait de la façon suivante. Un concessionnaire d'automobiles vendait à un autochtone un véhicule de luxe, notamment un Jeep Grand Cherokee d'une valeur d'une quarantaine de mille de dollars. Comme la vente s'effectuait en faveur d'un autochtone sur une réserve indienne, aucune taxe n'était payée par cet autochtone en raison de l'application de l'article 87 de la Loi sur les Indiens. L'autochtone transférait le véhicule à une société à dénomination numérique sans qu'il ne perçoive de TPS ou de taxe de vente du Québec (TVQ) (taxes de vente)[3]. Cette société à dénomination numérique transférait à son tour le véhicule à une société exportatrice tout en percevant les taxes de vente mais sans les remettre aux autorités fiscales[4]. La société exportatrice revendait alors le véhicule hors du Canada et obtenait un CTI en remboursement de la TPS qu'elle avait versée lorsqu'elle avait acheté le véhicule à la société à dénomination numérique.

[3] Même si le ministre doit connaître les entreprises qui ont perçu les taxes de vente mais qui ne les ont pas remises, il semble incapable de les récupérer pour des raisons inexpliquées mais faciles à imaginer : elles sont, selon toute probabilité, disparues dans la nature. Toutefois, les concessionnaires que l'on retrouve au début de cette série d'opérations ont pignon sur rue et exercent toujours leurs activités. C'est à eux que le ministre a envoyé des avis de cotisation pour leur réclamer le montant de TPS qu'ils auraient dû, selon lui, percevoir lors de la vente des véhicules aux autochtones.

[4] Il y aurait présentement environ 80 concessionnaires automobiles du Québec qui auraient reçu de telles cotisations. 9000-6560 Québec Inc. (Chrysler St-Jovite) fait partie de ce groupe. Dans son cas, le ministre a établi le 7 août 1997 une cotisation d'un montant de 206 253,20 $ relativement à la période débutant le 1er juin 1996 et se terminant le 31 mai 1997 (période pertinente). Lors de sa vérification, le ministre a déterminé que Chrysler St-Jovite avait vendu 95 véhicules (95 véhicules) à des autochtones sans percevoir de TPS conformément au paragraphe 221(1) de la Loi. Ce paragraphe édicte :

221(1) La personne qui effectue une fourniture taxable doit, à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada, percevoir la taxe payable par l'acquéreur en vertu de la section II.

[5] Dans sa Réponse à l'avis d'appel et contrairement à sa pratique usuelle, le ministre n'a pas énoncé les faits sur lesquels il s'était fondé pour établir sa cotisation. Par contre, il décrit sa position de la façon suivante :

12. Pour l'ensemble de ces transactions, l'intimée soumet que l'appelante, contrairement à ce qu'elle prétend dans son avis d'appel, n'a pas vendu les véhicules automobiles à des indiens bénéficiant d'une exemption fiscale aux termes de l'article 87 de la Loi sur les indiens (S.R.C. c. I-5);

13. En effet, l'appelante, qui fait partie d'un vaste réseau de contrebande de véhicules automobiles, ne vendait à des indiens, réels ou fictifs, qu'à titre de mandataires ou de prête-noms pour une tierce partie non-autochtone et ce, apparemment dans le seul et unique but d'éviter la perception de la TPS (et de la taxe de vente du Québec, incidemment);

14. L'appelante savait très bien que les indiens n'agissaient pas en leur nom personnel puisque les transactions étaient initiées par les tiers-acquéreurs qui « commandaient » les véhicules à l'appelante à charge d'être livrés à des mandataires ou prête-noms indiens;

15. La supercherie a atteint un tel niveau qu'un représentant de l'intimé[5] a personnellement constaté, tout à fait par hasard, lors d'une vérification chez l'appelante, la réception d'une télécopie d'une carte d'identité d'un prétendu indien, télécopie qui provenait cependant du véritable acquéreur, soit 150151 Canada Inc. faisant affaires sous le nom de General Auto Leasing;

16. D'ailleurs, l'intimé a constaté avec stupéfaction que, durant la période de vérification, une grande quantité d'appels téléphoniques avaient eu lieu entre l'appelante et General Auto Leasing alors que, pour la même période, aucune transaction n'avait apparemment eu lieu en [sic] ces deux personnes;

17. Par ailleurs, l'appelante ne peut prétendre avec un minimum de sérieux qu'elle ne savait pas que les véhicules n'étaient pas réellement vendus aux prétendus indiens puisque, notamment, dans plusieurs cas, l'effet de commerce utilisé pour le paiement du véhicule faisait directement référence au véritable acquéreur, soit 9044-6964 Québec Inc.;

18. Également, dans plusieurs autres cas, l'intimé a retrouvé chez General Auto Leasing les fiches techniques provenant de l'appelante pour des véhicules soi-disant vendus à des indiens;

19. De plus, dans plusieurs cas, l'intimé a constaté que General Auto Leasing avait acheté des véhicules à des dates antérieures à celles où l'appelante prétend avoir vendu ces mêmes véhicules à des indiens !;

20. Également, l'appelante a présenté à l'intimé plusieurs prétendues attestations de réception de véhicule par un indien sur une réserve qui étaient visiblement altérées (noms cachés);

21. D'autre part et sans limiter la généralité de ce qui précède, pour une très grande quantité de transactions, l'appelante a fait défaut de présenter à l'intimé une preuve valable de livraison de véhicules sur une réserve;

22. Et pour couronner le tout, le président de l'appelante, monsieur Louis Duchesneau, a clairement admis, devant un représentant de l'intimé, que son entreprise se devait de participer à cette contrebande afin d'assurer sa survie financière.

[6] Quoique le paragraphe 21 puisse laisser croire que le ministre a établi sa cotisation en tenant pour acquis que certaines ventes pouvaient ne pas avoir réuni les conditions énoncées à l'article 87 de la Loi sur les Indiens — notamment qu'il y aurait eu défaut de présenter une preuve de livraison de véhicule sur la réserve —, le vérificateur a confirmé lors de son témoignage que sa cotisation n'était pas fondée sur ce fait. Il a pris pour acquis que toutes les ventes s'étaient effectuées sur des réserves et que les véhicules y étaient livrés. Il faut ajouter que la preuve fournie par Chrysler St-Jovite confirme que tous les contrats de vente des 95 véhicules ont été signés sur une réserve et que tous les véhicules y ont été livrés.

[7] Donc, essentiellement, le ministre prétend que Chrysler St-Jovite aurait dû percevoir la TPS lors de la vente des 95 véhicules parce que ces ventes n'auraient pas été réellement faites à des autochtones : ceux-ci, quoique signataires des contrats de vente, agissaient comme mandataires ou prête-noms pour des tiers non-autochtones. De façon subsidiaire, le procureur de l'intimée soutient que l'article 274 de la Loi, soit la règle générale anti-évitement (RGAE), s'applique ici. Il prétend que Chrysler St-Jovite faisait partie du réseau de contrebande et qu'elle y a participé activement. Elle s'est livrée à cette contrebande expressément dans le but d'éluder la perception de la TPS et ainsi d'en tirer un avantage : celui de diminuer le montant de sa taxe nette à payer, calculée selon l'article 225 de la Loi.

Faits

Version de Chrysler St-Jovite

[8] Chrysler St-Jovite exploite une concession Chrysler depuis la fin de l'année 1994. Le président de cette société, monsieur Louis Duchesneau, détient 50% d'une société de portefeuille qui possède toutes les actions de Chrysler St-Jovite. L'autre 50% appartient à un tiers.

[9] Au cours du mois d'octobre 1996, monsieur Duchesneau reçoit un appel d'un nommé Alain Boivin qui désire le rencontrer rue Ferrier à Montréal. Monsieur Duchesneau ne connaît pas cette personne. Lors de la rencontre, monsieur Boivin, une personne âgée d'environ 70 ans, propose à monsieur Duchesneau d'adresser des acheteurs à Chrysler St-Jovite en contrepartie d'une commission de 100 $ par véhicule et monsieur Duchesneau accepte. Monsieur Boivin ne se contente pas d'envoyer des clients chez Chrysler St-Jovite, mais il négocie aussi le prix d'achat pour ces clients. Monsieur Duchesneau a affirmé ne pas savoir si monsieur Boivin agissait pour le compte de General Auto Leasing (GAL), une société qu'il dit ne pas connaître. À l'appui de cette prétention, Chrysler St-Jovite a produit trois chèques totalisant 2 215 $ payables à monsieur Alain Boivin. Les chèques sont datés du 24 janvier 1997, du 31 janvier 1997 et du 28 février 1997.

[10] Normalement, monsieur Boivin communique avec un des représentants commerciaux de Chrysler St-Jovite, soit un nommé Forget, avec lequel il négocie le prix d'achat des véhicules, presque toujours des Jeep Grand Cherokee. La facture de Chrysler Canada Limitée (Chrysler Canada) pour le véhicule vendu à Chrysler St-Jovite est généralement fournie à monsieur Boivin. Cette facture consiste dans une fiche technique décrivant le véhicule, y compris son numéro d'enregistrement. Il faut noter qu'à quatre ou cinq reprises, des autochtones se présentent eux-mêmes au garage de Chrysler St-Jovite pour choisir leur véhicule.

[11] Avant de livrer le véhicule à un autochtone sur une réserve, Chrysler St-Jovite obtient une copie du certificat de statut d'Indien et souvent une copie du permis de conduire de cet autochtone. À plusieurs occasions, le livreur de Chrysler St-Jovite prend une photo de l'autochtone avec le véhicule lors de sa livraison sur la réserve. De retour au garage, il remet à madame Léveillée ou à un autre préposé du service de la comptabilité cette photo ainsi que le chèque certifié ou la traite bancaire que l'autochtone lui a remis et, dans de nombreux cas, une facturette pour l'essence achetée sur la réserve ou près de la réserve au moment de la livraison du véhicule. Cette facturette sert à établir que le véhicule a vraiment été livré sur une réserve. Le préposé du service de comptabilité rédige alors un reçu qui est aussi versé au dossier de vente constitué à l'égard de l'acheteur autochtone.

[12] Dans ce dossier, en plus des documents remis par le livreur, on retrouve bien évidemment le contrat de vente du véhicule, la facture de Chrysler Canada ou, si le véhicule provient d'un autre[6] concessionnaire, celle de ce concessionnaire, un rapport d'état confirmant à Chrysler Canada le nom de l'acquéreur du véhicule pour permettre au fabricant d'envoyer notamment des avis de rappel, et une copie du certificat de statut d'Indien et du permis de conduire de l'acquéreur.

[13] Cette pratique administrative suivie pour la vente de véhicules à des autochtones respecte les directives communiquées lors de plusieurs conversations téléphoniques par des représentants du ministre à monsieur Duchesneau et à madame Léveillée qui, à l'époque, est la contrôleuse de Chrysler St-Jovite. Des vérifications téléphoniques par Chrysler St-Jovite se font régulièrement, à toutes les trois ou quatre semaines. Les directives sont toujours les mêmes, à savoir que Chrysler St-Jovite doit conserver dans ses dossiers une copie du certificat de statut d'Indien de l'acheteur autochtone et fournir une preuve de la livraison du véhicule sur la réserve. Ces directives sont d'ailleurs conformes au bulletin de l'information technique B-039R du 25 novembre 1993 intitulé Politique administrative de la TPS - application de la TPS aux Indiens.

[14] La politique de Chrysler St-Jovite est de ne jamais livrer un véhicule à un client à moins d'être payée par chèque certifié ou par une traite bancaire, sauf dans des circonstances tout à fait exceptionnelles : par exemple, s'il s'agit d'un client de longue date et que le risque de défaut de paiement est pratiquement inexistant. Dans le cas des 95 véhicules en cause, Chrysler St-Jovite obtenait toujours un chèque certifié ou une traite bancaire, sinon le livreur repartait avec le véhicule.

[15] Ce sont les préposés du service de la comptabilité qui s'occupent de l'encaissement des chèques certifiés et des traites bancaires. De façon générale, monsieur Duchesneau n'en prend pas connaissance. Il ne sait donc pas que certaines des traites bancaires ont été émises à la demande de sociétés à dénomination numérique, notamment 9044-6964 Québec Inc. (9044).

[16] Monsieur Duchesneau a affirmé avoir cessé de faire affaire avec monsieur Boivin au début de l'année 1997. Par la suite, les acheteurs autochtones lui ont été adressés par un nommé Alain Picard, un résidant de la réserve de Kahnawake qui exploitait un commerce de vente de véhicules d'occasion. Il a dit avoir préféré faire affaire avec monsieur Picard parce qu'il pouvait obtenir un meilleur prix pour ses véhicules. Comme le nombre de Grand Cherokee qu'il pouvait vendre était limité, il a préféré les vendre aux autochtones envoyés par monsieur Picard. Le nombre de véhicules vendus à des clients qui lui avaient été adressés par monsieur Boivin s'élève donc à 20 ou 25; tous les autres auraient été vendus par l'intermédiaire de monsieur Picard.

[17] Monsieur Duchesneau a affirmé qu'il ne savait pas que les autochtones revendaient les véhicules. À sa connaissance, l'autochtone était le véritable acquéreur du véhicule et il n'était pas du tout au courant de l'existence d'un réseau de contrebande de véhicules. Bien évidemment, il a affirmé ne pas avoir fait partie d'un tel réseau. Il a dit avoir appris le rôle joué par GAL dans ce réseau seulement lors d'une rencontre avec des représentants du ministre à la fin du mois de mai 1997.

[18] Lors de cette rencontre, on montre à monsieur Duchesneau un tableau décrivant le réseau. Le nom de Chrysler St-Jovite n'y apparaît pas. D'ailleurs, on n'accusera pas monsieur Duchesneau de fraude. Tout au contraire, on reconnaît qu'il n'est pas un des auteurs du stratagème. Lors de son témoignage, monsieur Boulay, le vérificateur du ministre, n'a pas contredit cette version des faits de monsieur Duchesneau. D'ailleurs, Chrysler St-Jovite a continué à effectuer des ventes à des autochtones, même après le début de la vérification de monsieur Boulay le 21 avril 1997. Monsieur Duchesneau a même montré à monsieur Boulay deux véhicules qu'il s'apprêtait à livrer sur une réserve.

Version de l'intimée

[19] Le principal témoin de l'intimée a été monsieur Boulay. Ce dernier a pris contact avec Chrysler St-Jovite pour la première fois le 21 avril 1997. Auparavant, monsieur Boulay avait constaté lors d'une vérification effectuée chez une société exportatrice que plusieurs des véhicules exportés étaient passés entre les mains d'autochtones et que plusieurs de ces véhicules avaient été acquis chez Chrysler St-Jovite. De plus, monsieur Boulay savait que le ministre avait établi l'année précédente, soit en 1995, des cotisations à l'égard de concessionnaires ayant vendu des véhicules à des autochtones dans le cadre de réseaux de contrebande.

[20] Entre le 24 avril et le 1er mai 1997, monsieur Boulay se présente à trois reprises au lieu d'affaires de Chrysler St-Jovite et examine ses registres comptables. Il constate aussi que les CTI réclamés par Chrysler St-Jovite sont supérieurs aux montants de la TPS perçus par ce concessionnaire. Comme sa vérification porte sur la période du mois d'août 1996 à avril 1997, il dresse une liste des ventes aux autochtones pour lesquelles Chrysler St-Jovite n'a pas perçu de TPS.

[21] Monsieur Boulay retourne au ministère avec cette liste et consulte les données informatisées de la Société de l'assurance-automobile du Québec (SAAQ) pour déterminer ce qu'il était advenu des véhicules vendus aux autochtones. Trois recueils de pièces ont été produits par le procureur de l'intimée; ces recueils comptaient en tout 104 pièces. On y retrouve toute la preuve documentaire recueillie par monsieur Boulay, dont notamment les documents relatifs à chacun des 95 véhicules en cause.

[22] Pour chacun de ces véhicules, on retrouve généralement le contrat de vente entre Chrysler St-Jovite et l'autochtone, copie du certificat de statut d'Indien et du permis de conduire de l'autochtone, et un relevé informatique de la SAAQ contenant l'historique de l'immatriculation du véhicule. D'ailleurs, c'est grâce à ces relevés informatiques que le vérificateur a pu confectionner 84 diagrammes décrivant le transfert de propriété de 84 des 95 véhicules. Ces diagrammes ont été produits à la Cour comme aide-mémoire.

[23] Une représentante de la SAAQ a témoigné pour expliquer les données apparaissant aux relevés informatiques de la SAAQ. Elle a déclaré à la Cour que la date indiquée comme date d'acquisition correspondait à la date d'immatriculation auprès de la SAAQ et pas nécessairement à la date du transfert de la propriété du véhicule. Comme plusieurs transferts peuvent survenir dans une même journée, la SAAQ peut déterminer l'ordre des transferts au cours d'une même journée grâce à la signature du certificat d'immatriculation par son détenteur en faveur du nouvel acquéreur du véhicule.

[24] Parmi les documents recueillis par le vérificateur, il y avait aussi certains chèques ou traites bancaires qu'il avait pu obtenir des sociétés décrites comme des revendeurs dans ses diagrammes.

[25] L'analyse de ces diagrammes révèle que les véhicules vendus par Chrysler St-Jovite font partie parfois de séries simples d'opérations et, dans d'autres cas, de séries beaucoup plus complexes. À titre d'exemple d'une série simple d'opérations, je décrirai le cas du véhicule vendu par Chrysler St-Jovite le 24 octobre 1996 à madame McComber (pièce I-5). Dans cette description des transferts par ordre chronologique[7] entre les personnes suivantes, j'indique, entre parenthèses, lorsque ces renseignements sont disponibles, le montant et la date de la vente[8] : 1) Chrysler Canada (26/09/96, 40 863 $[9]), 2) Chrysler St-Jovite (24/10/96, 42 163 $), 3) madame Margaret McComber, 4) 9037-1550 Québec Inc., 5) 2911639 Canada Inc. (25/10/96, 38 700 $, 44 100,59 $ toutes taxes

comprises (TTC)), 6) 150151 Canada Inc. (General Auto Leasing ou GAL) (28/10/96, 40 500 $, 46 151,78 (TTC))[10], 7) 2727234 Canada Inc.[11] (United Auto).

[26] Parmi les séries d'opérations plus complexes, on retrouve celle qui débute par une vente le 15 avril 1997 par Chrysler St-Jovite à Bobbi-Jo Ganley (pièce I-74), une autochtone de Kahnawake. Dans cet exemple, il y a dix transferts du même véhicule, dont trois à des autochtones différents. Voici la liste des parties impliquées dans ces transferts apparaissant par ordre chronologique[12] avec, lorsque ces renseignements sont disponibles, la mention entre parenthèses de la date[13] et du montant dont il s'agit : 1) Chrysler St-Jovite (15/4/97, 41 626 $), 2) Bobbi-Jo Ganley, 3) 9015-2372 Québec Inc. (Auto Classic) (14/04/97, 41 000 $, 46 721,55 $ (TTC)), 4) 3288943 Canada Inc. (Auto Stolz) (14/04/97, 42 000 $), 5) Tina McComber (autochtone), 6) Auto Classic, 7) Sauvé Plymouth Chrysler (15/04/97, 41 750 $), 8) Christin Norton (autochtone), 9) Auto Classic, 10) S.D. Auto et 11) 3347923 Canada Inc.[14]

[27] Parmi les faits troublants que révèle l'analyse faite par le vérificateur des documents de la pièce I-74, il y a le chèque de 46 721,55 $ fait par Auto Stolz en faveur d'Auto Classic qui est daté du 11 avril 1997, soit quatre jours avant la date de la vente par Chrysler St-Jovite à Bobbi-Jo. De plus, le contrat de vente entre Auto Classic et Auto Stolz est daté du 14 avril, soit une journée avant la date de la vente par Chrysler St-Jovite à Bobbi-Jo. Le contrat de vente entre Sauvé Plymouth — qui est daté du 15 avril 1997 — indique comme date de livraison le 14 avril 1997. La date du reçu de Sauvé Plymouth pour une somme de 41,750 $ est aussi daté du 14 avril 1997.

[28] Il y a lieu de noter que la preuve de l’intimée ne révèle pas que tous les 95 véhicules ont été revendus par les autochtones. Selon les données de la SAAQ, messieurs Donald McComber et Christin Norton possèdent toujours leur véhicule (voir les pièces I-96 et I-97). Selon les pièces I-42, I-53 et I-59, il n’y a pas de preuve non plus que les véhicules qui y sont décrits ont été revendus par les autochtones. Pour les deux derniers cas, le vérificateur reconnaît qu'il n'a pu obtenir de renseignements auprès de la SAAQ.

[29] Plusieurs des documents fournis par le vérificateur révèlent que l'argent qui a servi à payer Chrysler St-Jovite provenait de GAL. Notamment, les documents à la pièce I-35 révèlent que le 29 janvier 1997 GAL a émis un chèque certifié de 44 100,59 $ en faveur de 9044 et le même jour 9044 a fait émettre une traite bancaire en faveur de Chrysler St-Jovite, même si 9044 se trouvait à être en aval le troisième cessionnaire du véhicule après Chrysler St-Jovite[15]. De plus, la vente du véhicule entre GAL et United Auto est datée (selon une feuille de travail de United Auto) du 27 janvier 1997, soit la veille de la vente de Chrysler St-Jovite à madame Morris. De plus, selon le même document, le coût d'achat de United Auto se chiffre à 39 800 $, soit une somme inférieure au prix de 41 626 $ payé par madame Morris le 28 janvier 1997[16].

[30] Selon monsieur Boulay, il aurait dit à monsieur Duchesneau de faire attention quand il effectuait des ventes de véhicules haut de gamme et que ces véhicules étaient payés par des traites bancaires. Cette mise en garde serait apparemment intervenue le 24 ou 25 avril 1997. Le 1er mai 1997, alors qu'il achevait sa vérification dans les bureaux administratifs d'un autre garage de concessionnaire appartenant à monsieur Duchesneau, monsieur Boulay a pris connaissance d'une télécopie de « Alain à France » par laquelle l'expéditeur Alain envoyait une copie du certificat de statut d'Indien et du permis de conduire. Selon la version de monsieur Boulay, il aurait demandé à monsieur Duchesneau de lui expliquer comment il se faisait qu'il recevait des certificats de statut d'Indien par télécopie de GAL alors que les véhicules vendus à des autochtones sont par la suite acquis par GAL[17]. Monsieur Duchesneau aurait répondu qu'il n'avait pas d'autre choix que de faire des ventes à des autochtones, sinon il pouvait perdre son garage.

[31] Selon monsieur Boulay, monsieur Duchesneau savait que les véhicules ne restaient pas entre les mains des autochtones mais ne voulait pas savoir ce qui se passait par la suite. Monsieur Duchesneau lui aurait raconté l'anecdote suivante : à un moment donné, un de ses livreurs avait demandé lors de la livraison ce que les autochtones faisaient avec les véhicules. Par la suite, monsieur Duchesneau aurait reçu un « conseil » par téléphone de ne plus envoyer ce livreur parce qu'on ne pouvait pas garantir sa sécurité.

[32] Lorsqu'on lui a demandé à la fin de son témoignage de résumer les faits à l'appui de sa cotisation, monsieur Boulay a mentionné les points suivants :

Les véhicules acquis par les autochtones sont généralement transférés à nouveau le même jour ou peu après, soit dans les jours qui suivent.

ii) Il y a eu plusieurs véhicules transférés par Chrysler St-Jovite à la même personne.

Notamment, il y a eu quatre ventes à monsieur Iseequin : le 5 décembre 1996, le 20 décembre 1996, le 29 janvier 1997 et le 29 avril 1997 (pièces I-19, I-23, I-34 et I-89). Il y a eu quatre ventes à monsieur Michael Desgagnés : les 11 février 1997, 20 mars 1997, 22 avril 1997 et le 1er mai 1997 (pièces I-37, I-58, I-80 et I-92). Il y a eu aussi quatre ventes à madame Wendy Morris : les 30 octobre 1996, le 21 janvier 1997, le 28 janvier 1997 et le 8 avril 1997 (pièces I-7, I-27, I-35 et I-70). Selon le vérificateur, environ 20 autochtones ont acquis plus d'un véhicule de Chrysler St-Jovite. Donc, Chrysler St-Jovite devait savoir que ces autochtones agissaient comme prête-noms.

iii) Le fait que Chrysler St-Jovite, située à Saint-Jovite au nord de Montréal, vendait à des autochtones habitant sur la réserve de Kahnawake au sud de Montréal devait constituer un autre indice qu'il ne se pouvait pas que les autochtones agissent pour leur compte et que Chrysler St-Jovite devait connaître l'existence du réseau.

iv) Selon le vérificateur, au cours de l'été 1996, tous les concessionnaires devaient connaître l'existence de ce problème parce que le ministre avait entrepris d'établir des cotisations à l'égard de certains des concessionnaires. Cette connaissance aurait pu venir de la CCAQ.

v) Le fait que Chrysler St-Jovite ait accepté de livrer les véhicules décrits aux pièces I-30 à I-33 alors que le paiement s'est fait la journée suivante était un indice qu'elle savait qu'elle serait payée et qu'elle faisait partie du réseau.

Le contact étroit qui existait entre Chrysler St-Jovite et GAL, qui ressort des relevés des appels téléphoniques de GAL, et la présence des factures du fabricant chez GAL révèlent que Chrysler St-Jovite était très impliquée dans le réseau.

vii) Évidemment, le très grand nombre (95) de ventes de véhicules de luxe dans une si courte période aurait dû apprendre à monsieur Duchesneau qu'il y avait anguille sous roche.

[33] Lors de son contre-interrogatoire, monsieur Boulay a reconnu qu'il n'avait pas envisagé la possibilité que les autochtones aient pu acquérir leur véhicule dans le but de le revendre dans le cadre d’une entreprise bien établie ou dans le cadre d'un projet comportant un risque de nature commerciale.

Explications de Chrysler St-Jovite

[34] À l'appui de ses prétentions que Chrysler St-Jovite faisait affaire véritablement avec des autochtones, et non pas avec des autochtones agissant comme prête-noms pour quelqu'un d'autre, monsieur Duchesneau a déposé le dossier de vente constitué à l'égard de plusieurs autochtones, dont celui de monsieur André Cataford à qui Chrysler St-Jovite a remboursé une somme de 485 $ versée en trop. Monsieur Duchesneau a précisé que les représentants commerciaux de Chrysler St-Jovite recevaient une commission pour les ventes effectuées aux autochtones.

[35] Quant au fait qu'il y ait pu avoir livraison de quatre véhicules, soit ceux décrits aux pièces I-30 à I-33, sans qu'il y ait eu paiement lors de la livraison, monsieur Duchesneau a réaffirmé qu'aucun véhicule n'a été livré sans paiement du véhicule avant la livraison ou lors de la livraison. Il a expliqué que la société de transport indépendante qui a livré les véhicules en question a pu établir sa facture en date du 28 janvier alors que la livraison ne s'est effectuée réellement que le lendemain, soit le 29 janvier. Il faut aussi noter qu'il s'agissait là d'un transport de quatre véhicules sur une même remorque.

[36] Quant au fait que Chrysler St-Jovite aurait vendu plusieurs véhicules à un même autochtone, monsieur Duchesneau a déclaré ne pas l'avoir constaté durant la période pertinente. C'est son procureur qui lui a appris ce fait la veille de l'audience.

[37] Monsieur Duchesneau affirme ne pas se rappeler avoir discuté avec monsieur Boulay de la télécopie envoyée par monsieur Boivin qui avait été interceptée par monsieur Boulay. Il a appris l'existence de cette télécopie lorsque l'une de ses employés lui en a fait part. Il dit ne pas avoir constaté à l'époque que le nom de « General Auto Leasing » apparaît sur ce document. Il faut noter que ce nom n'apparaît pas sous la rubrique « expéditeur » ou dans le corps du document mais ne figure que dans l'espace réservé aux données de la transmission par modem se trouvant à l'extrémité supérieure de la télécopie.

Les démarches de la CCAQ

[38] Maître Jacques Béchard, président directeur général de la CCAQ a aussi témoigné pour décrire les démarches qu'avait entreprises cette association à partir de l'été 1996 relativement aux problèmes créés par le réseau de contrebande. Dans une lettre datée du 13 juin 1996 et adressée à monsieur Bertrand Croteau, sous-ministre adjoint et directeur général au ministère du Revenu du Québec (ministère québécois), maître Béchard décrit la CCAQ comme un organisme représentant quelque 860 concessionnaires d'automobiles, soit plus de 90 % de l'ensemble des concessionnaires de la province de Québec. Il rappelle à monsieur Croteau que la CCAQ intervient régulièrement auprès du ministère québécois pour s'assurer que ses membres respectent leurs obligations fiscales.

[39] Maître Béchard informe aussi monsieur Croteau du fait que le ministre a fait parvenir à cinq concessionnaires membres de la CCAQ des projets de cotisation reliés à un problème de non-perception de TPS lors de ventes de véhicules à des autochtones.

[40] De nombreuses démarches ont été entreprises par cette association auprès des hauts fonctionnaires du ministère québécois, auprès du ministre du Revenu du Québec et du ministre des finances du Québec et même auprès du premier ministre du Québec. Des démarches similaires ont aussi été entreprises auprès d'un ministre fédéral, monsieur Marcel Massé, de même qu'auprès du bureau du ministre du Revenu national et auprès des hauts fonctionnaires de ce ministère.

[41] Ces démarches visaient deux objectifs : d'abord convaincre le ministre de ne pas donner suite aux projets de cotisation visant certains de ses membres et, deuxièmement, de trouver une solution pour mettre fin aux abus du réseau de contrebande. Essentiellement, la solution proposée par la CCAQ visait à modifier la Loi ou les pratiques administratives de telle façon que tous les concessionnaires soient tenus de percevoir la TPS lors de la vente de véhicules à des autochtones et, comme cela existait au niveau provincial avant l'introduction de la TPS en 1991, que les autochtones puissent obtenir leur remboursement de la TPS en s'adressant au ministre.

[42] Le 11 février 1997, maître Jacques Béchard envoyait à tous les concessionnaires qui avaient reçu un projet de cotisation relativement aux ventes aux autochtones une note résumant les rencontres avec le ministère québécois. Dans cette note, il indique ce qui suit :

Nous leur [les autorités fiscales] avons rappelé que nos membres ne devraient pas faire les frais d'abus de la part d'autochtones ou de d'autres personnes, qui font le commerce de véhicules à l'insu des concessionnaires d'automobiles. Nous avons donc demandé au ministère de ne pas donner suite aux projets de cotisation et également de modifier les règles pour l'avenir, comme de recommander aux concessionnaires de taxer les ventes à des autochtones tout en leur remettant un formulaire de demande de remboursement de la taxe, comme cela se faisait avant 1992.

[43] Ce n'est qu'au mois de juillet 1997 que la CCAQ a informé clairement ses membres de la nature précise du problème posé par le réseau. Dans un article intitulé « La problématique de la vente de véhicules à des autochtones, le ministère du Revenu s'attaque aux mauvaises personnes, la CCAQ dénonce l'injustice » , on décrit le stratagème en ces termes : « L'escroquerie et les pratiques fiscales frauduleuses » . On y mentionne aussi que le manque à gagner des autorités fiscales fédérales et québécoises résultant de ce réseau s'élèverait à environ 25 millions de dollars pour une période de 18 mois, soit 12.5 millions de dollars par palier de gouvernement.

[44] Monsieur Duchesneau a indiqué qu'il n'était devenu membre de la CCAQ qu'en janvier 1997 et qu'il n'avait obtenu de celle-ci aucune information relative au réseau. Ce n'est que lors de sa rencontre du 25 mai 1997 au bureau du ministre qu'il a appris l'existence de ce réseau. Je constate que les dernières ventes visées par la cotisation sont en date du 8 mai 1997.

[45] Malgré tous ses efforts et toutes ses démarches, la CCAQ n'a pas atteint ses deux objectifs. Non seulement le ministre n'a-t-il pas annulé ses projets de cotisation des cinq concessionnaires, mais environ 80 concessionnaires d'automobiles du Québec ont reçu des avis de cotisation pour défaut d'avoir perçu la TPS lors de la vente de véhicules à des autochtones. De plus, le gouvernement canadien a rejeté la demande de modification de la Loi ou de ses pratiques administratives quant à la non-perception de la TPS lors de la vente de véhicules aux autochtones.

[46] On peut retrouver une explication de ce refus du gouvernement dans la lettre du 20 mai 1997 du sous-ministre du Revenu national. À la page 2 de cette lettre adressée à maître Béchard, le sous-ministre écrit :

Dans votre lettre, vous suggérez certaines modifications à la politique administrative du Ministère concernant les ventes à des clients indiens, en particulier dans le cas de ventes de véhicules automobiles. À cet égard, j'aimerais souligner le fait que l'article 87 de la Loi sur les Indiens fournit le fondement juridique de l'exemption de certaines formes de taxation accordée aux Indiens. Les privilèges d'exemption rattachés à cette disposition sont protégés en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982 et aucune autre loi adoptée par le Parlement ne peut les invalider. Plus précisément, la Loi sur les Indiens exonère de la taxe les achats de biens personnels d'un Indien ou d'une bande indienne situés dans une réserve, ainsi que leurs intérêts dans la réserve ou sur les terres désignées.

Les politiques administratives du Ministère ont pour but d'assurer que cette exemption de la taxe soit protégée. Les achats effectués par les Indiens (particuliers) peuvent être exonérés de la TPS lorsque ceux-ci sont faits à l'extérieur d'une réserve, à condition que les produits soient livrés à une réserve par le vendeur ou le mandataire du vendeur. L'acheteur indien n'a pas non plus à être un résident d'une réserve pour obtenir cette exemption de la taxe.

[47] Exaspérée par l'inaction des autorités fiscales, la CCAQ a publié le 4 décembre 1998 un communiqué de presse annonçant la décision des membres de la CCAQ de ne plus livrer de véhicules sur les réserves. Les véhicules vendus à des autochtones seraient livrés à leur établissement et on percevrait les deux taxes. Voici le texte de ce communiqué :

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Trafic de véhicules achetés sans taxes par des autochtones -

La CCAQ se voit obligée d'agir face à l'inaction, voire la

négligence des gouvernements

Québec, le 4 décembre 1998 - Le 23 novembre 1998, M. J.A. Gérald Drolet et Me Jacques Béchard, respectivement président du conseil d'administration et président-directeur général de la Corporation des concessionnaires d'automobiles du Québec (CCAQ), sensibilisaient la population lors d'une conférence de presse sur le trafic d'exportation d'automobiles neuves achetées sans taxes par des autochtones et revendues à des individus ou des compagnies qui sont de mèche avec eux. Ces autochtones abusent de leur statut en agissant de la sorte, et ce sont les concessionnaires qui en paient le prix.

Plutôt que de poursuivre les vrais coupables, le gouvernement du Québec, depuis maintenant près de 30 mois, livre une véritable « chasse aux sorcières » aux concessionnaires dont 70 d'entre eux ont reçu injustement des avis de cotisation du fisc québécois, qui veut récupérer plus de 5 millions de dollars en taxes non perçues lors de ventes de véhicules à des autochtones.

Depuis le début, la Corporation a proposé des solutions simples et efficaces pour mettre fin à cette situation déplorable. À titre d'exemple, elle a suggéré que les ventes de véhicules à des autochtones soient taxables et qu'il revienne à ceux-ci de réclamer un remboursement au ministère du Revenu, comme c'était le cas avant 1991.

La Corporation a également proposé que le ministère du Revenu émette à chaque autochtone un certificat confirmant au concessionnaire qu'il est exempt de TVQ et de TPS pour l'achat d'un véhicule. Enfin, elle a demandé au gouvernement de régler ce problème qui perdure depuis déjà trop longtemps avant la fin du mois de novembre.

Puisque l'État continue de se complaire au détriment de l'ensemble des contribuables de la province, la Corporation, conséquente de son ultimatum, a fait parvenir à ses 860 concessionnaires membres une lettre leur recommandant d'effectuer la livraison à leur établissement et de percevoir les deux taxes chaque fois qu'ils vendent un véhicule à un autochtone.

La CCAQ déplore l'inaction, voire la négligence des gouvernements dans ce dossier. Par cette recommandation à ses membres, elle prouve une fois de plus que les concessionnaires ont très à coeur le respect à la lettre des différentes législations qui les gouvernent.

Prétentions de l'intimée

[48] Le procureur de l'intimée soutient que Chrysler St-Jovite n'a pas vendu ses 95 véhicules à des autochtones. Les autochtones agissaient comme prête-noms ou comme mandataires pour des tiers non-autochtones. En vertu du paragraphe 221(1) de la Loi, Chrysler St-Jovite était donc tenue de percevoir la TPS. Subsidiairement, le procureur de l'intimée soutient que l'article 274 s'applique puisque Chrysler St-Jovite a bénéficié d'un avantage fiscal, à savoir la diminution de sa taxe nette calculée selon les dispositions de l'article 225 de la Loi. De plus, le procureur soutient que Chrysler St-Jovite « a participé en toute connaissance de cause à un stratagème visant la vente [de véhicules] sans TPS » . Selon lui, Chrysler St-Jovite « savait que lesdits véhicules n'étaient pas réellement vendus à des indiens lesquels servaient simplement d'intermédiaire ou de prête nom [sic] » (page 7 des notes de l'intimée). Il conclut ainsi à la page 8 de ses notes :

Le stratagème auquel a participé la requérante lui était connue [sic] dès le départ et avant même la première vente à un indien. La preuve a démontré la collusion entre les participants audit stratagème dont le seul et unique but était l'évitement fiscal et la réduction en conséquence de la taxe nette de la requérante ne respectant pas ainsi les dispositions de la Loi sur la taxe d'accise.

La position de Chrysler St-Jovite

[49] Le procureur de Chrysler St-Jovite soutient que l’intimée a la charge d'établir le bien-fondé de la cotisation du ministre. Il prétend que l’intimée a omis d'énoncer dans sa Réponse à l'avis d'appel les faits sur lesquels le ministre s'était fondé pour établir sa cotisation, ceci en violation de l'alinéa 49(1)d) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale). Il cite aussi les principes énoncés dans la jurisprudence relativement à la question de la charge de la preuve, dont notamment l'affaire Brewster v. The Queen, 76 DTC 6046, 6049, principes selon lesquels l'obligation du contribuable se limite à démolir les faits sur lesquels le ministre s'est fondé pour établir sa cotisation et selon lesquels le ministre peut soulever de nouveaux faits à l'appui de sa cotisation mais que la charge de les prouver lui revient.

[50] Quant au fond de l'affaire, le procureur soutient que Chrysler St-Jovite a respecté toutes les directives qu'elle a reçues du ministre concernant la perception ou la non-perception de la TPS. Il rappelle que, selon le bulletin de l'information technique B-039R et les directives verbales obtenues par les employés de Chrysler St-Jovite, Chrysler St-Jovite n'avait aucune obligation de percevoir la TPS lorsqu'elle effectuait une vente à un autochtone et que le véhicule était livré sur une réserve. Ici, la preuve révèle que tous les véhicules vendus à des autochtones par Chrysler St-Jovite ont été livrés sur des réserves.

[51] En ce qui concerne Chrysler St-Jovite, le véritable acquéreur était l'autochtone et ce dernier n'agissait pas comme mandataire ou comme prête-nom pour un tiers non-autochtone. Selon le procureur, la preuve n'a rien révélé qui puisse permettre à la Cour d'en arriver à la conclusion contraire. De toute façon, même si l'autochtone avait agi comme mandataire, Chrysler St-Jovite, n'étant pas au courant de l'existence du contrat de mandat, était en droit d'agir comme si l'autochtone était le véritable acquéreur des véhicules.

[52] De plus, Chrysler St-Jovite n'avait aucune obligation de faire enquête et de déterminer quelle était l'utilisation que faisait l'autochtone du véhicule acheté chez Chrysler St-Jovite.

[53] Quant à l'argument subsidiaire de l'intimée relativement à l'application de l'article 274 de la Loi, le procureur de Chrysler St-Jovite soutient que les trois éléments essentiels à son application, soit l'avantage fiscal, l'existence d'une opération d'évitement et l'abus dans l'application des dispositions de la partie IX de la Loi, ne sont pas présents ici. Chrysler St-Jovite n'a bénéficié d'aucun avantage fiscal. Voici ce que dit le procureur à la page 3 de ses notes :

Lors d'une vente à un Indien rencontrant les conditions de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, l'Appelante n'a pas à percevoir la taxe et n'a pas à la remettre au ministre. Aucun avantage ne découle de la non-perception et de la non-inclusion de la taxe dans le calcul de la taxe nette pour l'Appelante. Si nous devions déterminer qui retire un avantage de la non-perception de la taxe, nous devrions en conclure que ce sont les Indiens. Mais nous ne pourrions qualifier ce bénéfice comme étant un avantage fiscal aux fins de la Loi sur la taxe d'accise puisqu'il s'agit d'un avantage autorisé par la Loi sur les Indiens laquelle a préséance sur la Loi sur la taxe d'accise.

[54] S'il n'y a pas d'avantage fiscal, il ne peut y avoir d'opération d'évitement. Les seules opérations effectuées par Chrysler St-Jovite, c'est-à-dire les ventes aux autochtones, l'ont été principalement pour des objets véritables, « soit des objets commerciaux réalisés dans le cadre normal de l'exploitation de son entreprise » (page 5 de ses notes). Finalement, il n'y a pas eu d'abus de la Loi parce que Chrysler St-Jovite s'est conformée à la Loi et à la Loi sur les Indiens.

Analyse

[55] La première question à trancher est celle de la charge de la preuve. Qui a ici la charge d'établir ou de démolir les faits appuyant la cotisation? La règle fondamentale en matière de charge de la preuve est qu'il revient généralement au contribuable de démolir les faits sur lesquels le ministre s'est fondé pour établir sa cotisation. Il existe plusieurs décisions jurisprudentielles qui ont établi et qui appliquent cette règle. Mentionnons notamment deux décisions de la Cour suprême du Canada : Johnston v. M.N.R., 3 DTC 1182, 1183 et Hickman Motors Limited c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, 378 (97 DTC 5363, 5376). Faut-il rappeler que si on impose au contribuable la charge de démolir les faits sur lesquels le ministre s'est fondé pour établir la cotisation, il est important que l'intimée lui communique ces faits. Voici les propos que tenait le juge Bastarache dans l'affaire Banque Continentale du Canada c. Canada, [1998] 2 R.S.C. 358, 367 para. 13 (98 DTC 6501, 6505, para. 32) :

Les contribuables doivent savoir sur quelle base repose la cotisation qui leur est transmise afin de pouvoir présenter les éléments de preuve appropriés pour la contester. En l'espèce, il n'est pas évident que les faits étayent l'établissement d'une nouvelle cotisation sur la base invoquée par l'appelante.

[56] De plus, comme l'a affirmé le juge Hugessen, à l'époque juge de la Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Pollock c. La Reine, C.A.F., A-75-90, 14 octobre 1993 (94 DTC 6050), les faits présumés par le ministre doivent être énoncés dans les actes de procédure du ministre. Voici comment le juge Hugessen s'exprime sur cette question à la page 7 (DTC : page 6053) :

Selon la règle générale, il est évident que chaque partie à un procès devant cette Cour doit plaider les faits qu'elle invoque en sa faveur de telle manière à informer loyalement son adversaire des arguments qu'elle lui oppose. Si ses plaidoiries sont tellement inadéquates qu'elles ne révèlent aucun argument, elle risque de voir le tribunal les radier et de perdre ainsi son procès.

[. . .]

Le cas spécial des suppositions faites par le ministre en matières fiscales est complètement différent. Il se fonde sur la nature même d'un système d'autodéclaration et d'autocalcul de la cotisation, un système dans lequel les autorités sont obligées de se fier aux déclarations du contribuable concernant les faits et les choses dont il a particulièrement connaissance. En établissant la cotisation, le ministre peut avoir à supposer certaines choses qui diffèrent de ce que le contribuable a déclaré ou qui le complètent. Dans ce cas, il le fait généralement dans ses plaidoiries, mais ce n'est pas toujours ainsi et nous avons vu, en l'espèce, un exemple où le contribuable s'est efforcé de démolir une supposition que le ministre n'a pas plaidée. Toutefois, lorsqu'une supposition est plaidée, elle a pour effet d'inverser le fardeau de la preuve et d'imposer au contribuable l'obligation de réfuter ce que le ministre a supposé. Naturellement, les suppositions qui n'ont pas été plaidées ne peuvent produire un tel effet et, à mon avis, ne nous concernent pas en l'espèce.

[...]

Cependant, lorsque le ministre n'a plaidé aucune supposition ou lorsque les suppositions qu'il a plaidées ont été en tout ou en partie démolies, il reste la possibilité au ministre, en tant que défendeur, de prouver, s'il le peut, le bien-fondé de la cotisation qu'il a établie. À cette fin, il doit supporter le fardeau de preuve qui incombe ordinairement à toute partie à un procès, soit celui de prouver les faits qui étayent sa prétention à moins que ceux-ci n'aient déjà été introduits en preuve par son adversaire. C'est une question de droit qui a fait l'objet d'une jurisprudence constante.

[Je souligne.]

[57] Ici, l'intimée n'a pas énoncé dans sa Réponse à l'avis d'appel les faits sur lesquels le ministre s'est fondé pour établir sa cotisation[18]. Elle s'est contentée d'avancer des arguments factuels, notamment ceux énoncés aux paragraphes 12 et suivants de sa Réponse à l'avis d'appel : « l'intimé soumet que [...] » . Dans ces circonstances, je crois qu'il revenait à l'intimée de faire la preuve des faits appuyant la cotisation du ministre. Elle ne bénéficiait d'aucune présomption de fait et, par conséquent, Chrysler St-Jovite n'avait pas de faits à démolir. Par contre, le ministre ayant présenté sa preuve des faits qui pouvaient appuyer sa cotisation, Chrysler St-Jovite se devait de présenter une contre-preuve. Examinons alors la preuve des deux parties.

Obligation de percevoir : paragraphe 221(1) de la Loi

[58] La principale prétention de l'intimée est que les autochtones agissaient comme prête-noms pour des tiers non-autochtones et que Chrysler St-Jovite le savait ou aurait dû le savoir. Tout d'abord, il faut noter que le vérificateur du ministre a été incapable d'indiquer au nom de quels prétendus mandants les autochtones auraient pu agir comme prête-noms ou mandataires. Toute la preuve de l'intimée quant à l'existence de contrats de mandat ou de prête-nom n'est que circonstancielle.

[59] La meilleure preuve pour établir l'existence de tels mandats aurait été le témoignage des parties à un tel prétendu contrat, soit les autochtones à qui Chrysler St-Jovite a transféré ses 95 véhicules et les personnes pour le compte de qui ils auraient acquis les véhicules. Malheureusement, l'intimée n'a pas jugé bon ou a été incapable de faire témoigner ces personnes : aucune explication de leur absence n'a été fournie par ses témoins ou par ses procureurs[19]. L'intimée avait pourtant deux motifs pour assigner ces personnes. D'abord, c'est elle qui avait la charge de la preuve à cet égard. De plus, même si l'intimée n'avait pas eu cette charge, elle devait s'attendre à ce que la présence de ces personnes soit nécessaire pour contredire le témoignage de monsieur Duchesneau selon lequel il ne savait pas si les autochtones agissaient comme prête-noms pour des tiers non-autochtones.

[60] Or monsieur Duchesneau a témoigné lors de l'audience et il a affirmé sous serment qu'en aucun temps il n'avait su que les autochtones agissaient comme prête-noms ou mandataires pour des tiers non-autochtones. Monsieur Duchesneau m'est apparu comme un témoin crédible et je n'ai pas de raison de croire qu’il a menti. Il faut aussi noter que les inscriptions apparaissant dans les registres de la SAAQ ne sont pas incompatibles avec les prétentions de Chrysler St-Jovite selon lesquelles les autochtones agissaient pour leur propre compte. Bien au contraire, les autochtones y apparaissent comme les premiers acquéreurs des véhicules vendus par Chrysler St-Jovite. D'ailleurs, dans ses diagrammes, le vérificateur du ministre décrit les transferts aux autochtones comme des « ventes » et les intermédiaires qui acquièrent par la suite les véhicules comme des « revendeurs » .

[61] Le fait que Chrysler St-Jovite a versé des commissions à monsieur Boivin et à monsieur Picard appuie sa prétention qu'elle faisait véritablement affaire avec les autochtones et que messieurs Boivin et Picard n'agissaient qu'à titre de courtiers. Il me semble que si elle avait participé au stratagème utilisé par le réseau, Chrysler St-Jovite n'aurait pas eu à verser de commissions pour trouver des acheteurs. Évidemment, il n'est pas impossible que Chrysler St-Jovite ait pu bénéficier de façon occulte d'une partie des montants de TPS perçus et non remis aux autorités fiscales. Toutefois, il n'y a aucune preuve en ce sens.

[62] Les éléments de preuve circonstancielle sur lesquels s'appuie l'intimée pour défendre sa cotisation sont nombreux et je les ai décrits plus haut. Je ne commenterai que ceux qui m’apparaissent les plus importants. De façon générale, ces éléments de preuve révèlent qu'il y a eu de la magouille. Il est clair que les autochtones, dans la très grande majorité des cas, n'avaient pas l'intention de conserver les véhicules qu'ils ont achetés et qu’ils avaient l’intention de les revendre rapidement à des sociétés à dénomination numérique. Il est clair que quelqu'un a orchestré ce stratagème d'achats et de reventes de véhicules non pas pour éviter mais pour éluder les taxes de vente dues aux autorités fiscales. Il ressort de la preuve qu'avant même qu'un véhicule soit acheté par un autochtone, on avait mis en place les arrangements nécessaires pour le paiement de ce véhicule et on savait par quels intermédiaires le véhicule allait transiter. À plusieurs occasions, on retrouve en aval un ou plusieurs contrats de vente entre ces intermédiaires dont la date de vente est antérieure à celle de la vente entre Chrysler St-Jovite et l'autochtone! Toutefois, la preuve présentée par l'intimée n'a pas réussi à démontrer que Chrysler St-Jovite (ou un de ses dirigeants) était une des auteurs du stratagème ou qu'elle a participé, en toute connaissance de la fraude, au réseau de contrebande.

[63] De façon plus particulière, le fait qu'un tiers a pu intervenir pour négocier pour le compte des autochtones, leur avancer les fonds nécessaires pour leur permettre de s'acquitter du prix d'achat n'est pas incompatible avec le fait que les véritables acquéreurs des véhicules vendus par Chrysler St-Jovite étaient bien ces autochtones. Il arrive à tous les jours qu'un acheteur ait recours à un prêteur pour financer l'acquisition d'un véhicule.

[64] La présence chez GAL de plusieurs contrats de vente entre le fabricant et le concessionnaire n'est pas non plus concluante. Monsieur Duchesneau a reconnu qu'il était pratique courante de fournir ce contrat à certains acheteurs potentiels qui l'exigeaient pour négocier le prix de vente d'un véhicule. De plus, le fait qu'un autochtone a acheté plus d'un véhicule n'est pas incompatible avec l'existence du fait juridique que les autochtones ont pu acquérir ces véhicules en leur nom propre.

[65] Non seulement je crois monsieur Duchesneau lorsqu'il affirme qu'il croyait que les autochtones agissaient pour leur propre compte, mais j'ai toutes les raisons de penser que les autochtones n'agissaient pas comme prête-noms dans ces opérations. Comme l'a reconnu le procureur de l'intimée, l'interposition entre un concessionnaire et une société à dénomination numérique d'une vente à un autochtone était essentielle pour la réussite du stratagème. Il était important que le véhicule soit vendu par le concessionnaire en franchise d'impôt en vertu de l'article 87 de la Loi sur les Indiens. La façon d'atteindre ce résultat exigeait que la vente soit véritablement faite à un autochtone et non pas à un autochtone agissant comme mandataire d'un non-autochtone. Voici comment se lit cet article :

87. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

a) le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

(2) Nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l'un de ces biens.

(3) Aucun impôt sur les successions, taxe d'héritage ou droit de succession n'est exigible à la mort d'un Indien en ce qui concerne un bien de cette nature ou la succession visant un tel bien, si ce dernier est transmis à un Indien, et il ne sera tenu compte d'aucun bien de cette nature en déterminant le droit payable, en vertu de la Loi fédérale sur les droits successoraux, chapitre 89 des Statuts revisés du Canada de 1952, ou l'impôt payable, en vertu de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès, chapitre E-9 des Statuts revisés du Canada de 1970, sur d'autres biens transmis à un Indien ou à l'égard de ces autres biens.

[66] Tel que j'interprète cet article, un autochtone bénéficie de l'exonération de l'impôt si, au moment de la vente, le véhicule est situé sur la réserve. L'exonération fiscale ne dépend pas de l'usage que peut en faire par la suite l'autochtone. Rien n'empêche un autochtone d'acheter un véhicule sur une réserve dans le but de le revendre à quelqu'un d'autre. C'est d'ailleurs l'interprétation qu'adopte le sous-ministre du Revenu national dans sa lettre du 20 mai 1997 :

Les propriétaires uniques et les sociétés de personnes appartenant à des Indiens [qui exercent des activités commerciales], en revanche, sont traités de la même façon que l'est un Indien (particulier). Ils ne sont pas tenus de payer la TPS sur les achats faits dans la réserve ou les achats à l'extérieur[20] de la réserve qui sont livrés dans la réserve.

[67] De plus, les autochtones exploitant une entreprise dont les ventes annuelles dépassent 30 000 $ doivent s'inscrire aux fins de la TPS et doivent percevoir la TPS lors de la fourniture de leurs biens et services à moins qu'il ne s'agisse d'une fourniture exonérée de TPS, notamment une fourniture faite sur une réserve à un autochtone. Cette interprétation correspond aussi à celle énoncée au bulletin de l'information technique B-039R.

[68] Finalement, l'interprétation que j'adopte correspond à celle énoncée par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Union of New Brunswick Indians (précitée). Au paragraphe 35 de cette décision, madame la juge McLachlin (tel était alors son titre) affirme :

L'emplacement du bien après la vente et l'imposition de la taxe n'est pas pertinent. Cela veut dire que les biens achetés à l'extérieur d'une réserve sont assujettis à la taxe alors que les biens acquis dans une réserve en sont exempts, peu importe l'endroit où l'acheteur à l'intention de les utiliser.

[Je souligne.]

[69] Au paragraphe 43, elle ajoute :

Par contre, le critère du "point de vente" permet aux Indiens qui vivent à l'extérieur d'une réserve d'acheter des biens en franchise dans les réserves sans égard à l'endroit où ces biens seront finalement utilisés.

[70] Puis, au paragraphe suivant, elle reconnaît :

En outre, dans beaucoup de régions du Canada, le critère de "point de vente" est avantageux pour les Indiens qui vivent dans les réserves. Premièrement, il encourage les Indiens à établir leur propre point de vente au détail dans les réserves et procure un avantage compétitif aux entreprises situées dans les réserves, favorisant ainsi la croissance de l'économie et de l'emploi.

[71] Il ressort de cette analyse, il me semble, qu'un autochtone bénéficie de l'exonération prévue à l'article 87 de la Loi sur les Indiens, qu'il achète le bien dans le but de l'utiliser personnellement — même à l'extérieur de la réserve — ou qu'il l'achète sur une réserve dans le but de le revendre dans le cadre d'une entreprise. Évidemment, si un autochtone exploite une entreprise sur une réserve ou ailleurs, il est assujetti — comme l'affirme le sous-ministre du Revenu national et tel qu'il est indiqué au bulletin de l'information technique — à l'obligation de s'inscrire et de percevoir la TPS lorsqu'il vend des biens à des non-autochtones. Les autochtones qui ont acheté les véhicules de Chrysler St-Jovite pour les revendre à profit devaient, il me semble, en vertu du paragraphe 221(1) de la Loi, percevoir la TPS lors de la revente des véhicules (voir aussi le paragraphe 148(2) de la Loi) et la remettre au ministre. La vente d'un seul véhicule dépasse 30 000 $, le seuil au-delà duquel un fournisseur cesse d'être un petit fournisseur et doit s'inscrire. Si ces autochtones avaient perçu la TPS, je ne crois pas que le ministre aurait établi une cotisation à l'égard de Chrysler St-Jovite pour défaut de percevoir.

[72] À mon avis, non seulement l'intimée n'a pas réussi à faire — comme elle y était tenue — la preuve que les autochtones agissaient comme mandataires pour des non-autochtones mais, selon toute probabilité, les autochtones agissaient dans ces opérations comme de véritables acheteurs pour leur propre compte. Comme l'intimée a échoué dans cette tâche qui lui incombait et que Chrysler St-Jovite a établi qu'elle faisait véritablement affaire avec les autochtones, j'en viens à la conclusion que Chrysler St-Jovite n'était pas tenue de percevoir de TPS lors de la vente des 95 véhicules et qu'elle n'était tenue d'ajouter aucun montant à l'égard de ces véhicules dans le calcul de sa taxe nette prévu à l'article 225 de la Loi.

RGAE : article 274 de la Loi

[73] Reste à traiter l'argument subsidiaire avancé par le procureur de l'intimée, soit celui concernant l'application de la RGAÉ énoncée à l'article 274 de la Loi. Cet article se lit ainsi :

274. (1) Définitions — Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

[...]

« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report de taxe ou d'un autre montant payable en application de la présente partie ou augmentation d'un remboursement visé par la présente partie.

(2) Disposition générale anti-évitement — En cas d'opération d'évitement, les attributs fiscaux d'une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de sorte à supprimer un avantage fiscal qui, en l'absence du présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d'une série d'opérations dont celle-ci fait partie.

(3) Opération d'évitement — L'opération d'évitement s'entend :

a) soit de l'opération dont, en l'absence du présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l'obtention d'un avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable;

b) soit de l'opération qui fait partie d'une série d'opérations dont, en l'absence du présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l'obtention d'un avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable.

(4) Champ d'application précisé — Il est entendu que l'opération dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la présente partie lue dans son ensemble — abstraction faite du présent article — n'est pas visée par le paragraphe (2).

[...]

[Je souligne.]

[74] Avant d'appliquer ces dispositions aux faits de cet appel, il faut tout d'abord rappeler que c'est à l'intimée qu'incombait la tâche de prouver les faits essentiels à leur application et ceci pour les mêmes motifs que ceux mentionnés précédemment. L'intimée se fonde d’ailleurs principalement sur les mêmes faits que ceux nécessaires à l'application du paragraphe 221(1) de la Loi. Le procureur de l'intimée soutient que les autochtones qui ont acheté les véhicules de Chrysler St-Jovite agissaient comme prête-noms pour des non-autochtones et non pas pour leur propre compte. De plus, il soutient que Chrysler St-Jovite savait que les autochtones agissaient comme prête-noms pour des tiers non-autochtones et qu’elle a participé en toute connaissance de cause au stratagème qu'était le réseau.

[75] À mon avis, l'article 274 de la Loi n'est d'aucune aide à la cause de l'intimée. Tout d'abord, il faut constater que l'intimée reproche essentiellement à Chrysler St-Jovite de ne pas avoir perçu la TPS lorsqu'elle a vendu ses véhicules aux autochtones. Si l'intimée avait réussi à établir que dans les faits Chrysler St-Jovite n'avait pas véritablement vendu ses véhicules aux autochtones mais les avait vendus aux prétendus mandants des autochtones, c'est le paragraphe 221(1) de la Loi qui se serait appliqué. En effet, Chrysler St-Jovite aurait été tenue de percevoir la TPS puisque les mandants non-autochtones n'auraient pas pu bénéficier de l'exonération fiscale prévue à l'article 87 de la Loi sur les Indiens. Il n'aurait pas été nécessaire d'avoir recours à l'article 274 de la Loi.

[76] Il faut aussi souligner que cet article ne s'applique qu'à l'égard d'un avantage fiscal que pourrait obtenir un contribuable « en l'absence du présent article [274] » . Or, si Chrysler St-Jovite avait vendu à des non-autochtones, comme le prétend à tort l'intimée, elle aurait été tenue de percevoir en vertu du paragraphe 221(1) de la Loi la TPS et d'inclure ce montant perçu dans le calcul de sa taxe nette en vertu de l'article 225 de la Loi. Chrysler St-Jovite n'aurait pas pu bénéficier de quelque avantage fiscal que ce soit.

[77] Ayant conclu que l'intimée avait échoué dans sa tâche de démontrer que Chrysler St-Jovite avait vendu des véhicules à des non-autochtones et ayant accepté la preuve de Chrysler St-Jovite qu'elle avait véritablement vendu à des autochtones et que ces derniers bénéficiaient de l'exonération prévue à l'article 87 de la Loi sur les Indiens, il s'ensuit que Chrysler St-Jovite s'est tout simplement conformée aux dispositions du paragraphe 221(1) de la Loi qui l'oblige à ne percevoir que la taxe « payable » par l'acquéreur et, ici, les autochtones n'avaient aucune taxe à payer. Chrysler St-Jovite n'avait donc aucune taxe à percevoir, tel que je l'ai conclu plus haut.

[78] Ayant déterminé que l'intimée a échoué non seulement dans sa tâche de démontrer que Chrysler St-Jovite avait vendu ses véhicules à des non-autochtones, mais aussi dans sa tâche de démontrer que cette société faisait partie du réseau de contrebande, il est facile de conclure qu'aucune des trois conditions nécessaires à l'application de l'article 274 de la Loi n'a été remplie. D'abord, les ventes effectuées par Chrysler St-Jovite l'ont été principalement pour des objets véritables, soit des objets commerciaux réalisés dans le cadre normal de l'exploitation de son entreprise. Ensuite, elle n'a bénéficié d'aucun avantage fiscal, tel que ce terme est défini à l'article 274 de la Loi. Par conséquent, il n'y a pas d'abus dans l'application des dispositions de la partie IX de la Loi, lue dans son ensemble. Au contraire, appliquer l’article 274 de la Loi aux faits de cet appel constituerait un abus et une violation de cet article.

[79] S'il y a eu un avantage fiscal, c'est plutôt l'autochtone qui l'a obtenu, et ce en raison de l'article 87 de la Loi sur les Indiens. En soi, cela ne constitue pas un avantage fiscal inapproprié puisqu'il est conforme au but visé par la Loi sur les Indiens, telle qu'elle a été interprétée par la Cour suprême du Canada. L'avantage fiscal indu, c'est un non-autochtone qui l'a obtenu, selon toute vraisemblance avec la participation à tout le moins douteuse d’autochtones. Le fait que ces derniers n'ont pas perçu la TPS lors de la revente des véhicules, comme je crois qu'ils étaient tenus de le faire, a permis à l'une ou à plusieurs des sociétés à dénomination numérique d'abuser de façon éhontée du régime fiscal canadien. Malheureusement, la preuve n'a pas permis d'identifier avec certitude laquelle ou lesquelles de ces sociétés ont obtenu ces avantages frauduleux. Par contre, en établissant une cotisation à l'égard de Chrysler St-Jovite, le ministre s'en prend, à mon avis, à la mauvaise personne.

[80] Pour tous ces motifs, l'appel de Chrysler St-Jovite est admis et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que Chrysler St-Jovite n'avait à ajouter, dans le calcul de sa taxe nette prévu à l'article 225 de la Loi, aucun montant de taxe devenu percevable relativement à la vente des 95 véhicules aux autochtones. Chrysler St-Jovite a droit à ses dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de janvier 2001.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.



[1]     Au Québec, c'est le ministre du Revenu du Québec qui est chargé de l'application de la Loi sur la taxe d'accise (Loi) pour le compte du ministre du Revenu national (ministre) et il est également chargé de l'application de la Loi sur la taxe de vente du Québec.

[2]      La preuve ne fournit pas (malheureusement pour l'intimée) beaucoup de détails précis sur l’ensemble des opérations du réseau. Notamment, la preuve fournie par l'intimée n'établit pas qui n'a pas remis la TPS au ministre; elle n'établit pas non plus si on a réclamé des CTI sans avoir payé de TPS. La description la plus détaillée du réseau et du stratagème utilisé provient d'un article paru dans une publication de la Corporation des concessionnaires d'automobiles du Québec (CCAQ) que l'on retrouve à la pièce A-22.

[3]      On peut même imaginer que cette société à dénomination numérique pouvait réclamer des CTI même si elle n'avait pas versé de TPS à l'autochtone. Donc, double avantage fiscal indu.

[4]      Un autre scénario possible est le suivant : la société exportatrice ne versait pas de taxes de vente mais réclamait des CTI et leur équivalent québécois.

[5]      [sic] partout dans ce texte.

[6]      Suivant une pratique courante bien établie chez les concessionnaires d'automobiles, plusieurs des véhicules vendus par Chrysler St-Jovite proviennent d'autres concessionnaires Chrysler.

[7]      Selon les données historiques de la SAAQ.

[8]       Selon les contrats, s'ils sont disponibles.

[9]      Après rabais du fabricant.

[10]     On ne retrouve pas parmi les documents produits par l'intimée à l'onglet I-5 le contrat de vente entre madame McComber et 9037-1550 Québec Inc., ni celui entre cette dernière et 2911639 Canada Inc.

[11]     Les premières sociétés à dénomination numérique sont décrites dans le diagramme comme des « revendeurs » et la dernière comme « exportateur » .

[12]     Selon les données historiques de la SAAQ.

[13]     Selon les contrats, s'ils sont disponibles.

[14]     Cette dernière société est décrite par le vérificateur dans son diagramme comme étant l'exportatrice.

[15]     Selon les données historiques de la SAAQ et un tableau interne de United Auto, le véhicule Grand Cherokee est passé respectivement de Chrysler St-Jovite à Wendy Mary Morris, à 9037-1550 Québec Inc., à 9044, à 150151 Canada Inc. (GAL), à 2727234 Canada Inc. (United Auto) et finalement à World Imports (USA).

[16]     On retrouve des cas semblables de ventes en aval de celle faite par Chrysler St-Jovite à un autochtone dont la date est antérieure à celle de la vente à l'autochtone. Voir notamment les pièces I-12, I-16, I-21, I-22, I-29, I-30, I-32, I-34, I-35 et I-61. Relativement aux opérations décrites à la pièce I-29, il faut noter que la vente à l'autochtone par Chrysler St-Jovite est datée du 22 janvier 1997 alors que la vente en aval entre GAL et United Auto est datée du 21 janvier 1997. Toutefois, sur la feuille de travail de United Auto, son achat à GAL est en date du 23 janvier 1997 mais sa vente à World Imports (USA) est en date du 21 janvier 1997.

[17]     Je ne me souviens pas qu'on ait demandé à monsieur Duchesneau, lors de l'audience, d'expliquer comment il se fait que monsieur Alain Boivin (GAL) fournissait des documents concernant des autochtones en avril 1997 alors que monsieur Duchesneau affirme que Chrysler St-Jovite faisait affaire avec monsieur Picard depuis le mois de février ou mars 1997.

[18]    Aucune explication de l'absence de ces faits n'a été fournie lors de l'audience. Toutefois, il est probable que le ministre, lors de l'établissement de sa cotisation, a tenu pour acquis que Chrysler St-Jovite avait véritablement vendu ses véhicules à des autochtones. On retrouve au moins un indice révélateur qui appuie cette hypothèse dans les diagrammes préparés par le vérificateur du ministre. On y décrit les transferts par Chrysler St-Jovite aux autochtones comme des « ventes » et les sociétés à dénomination numérique intermédiaires comme des « revendeurs » . Comme l'intimée devait savoir, au moins lors de la rédaction de la Réponse à l'avis d'appel, que la grande majorité de ces ventes s'étaient effectuées sur une réserve indienne et que les véhicules y avaient été livrés, et qu'il serait très difficile de prétendre que la cotisation de Chrysler St-Jovite était bien fondée dans de telles circonstances, elle a probablement jugé préférable de défendre la cotisation du ministre sur une autre base, soit en faisant valoir que les autochtones n'étaient pas les véritables acheteurs des véhicules. Ainsi, l'exemption fiscale des autochtones ne pouvait s'appliquer.

Si cette explication correspond, comme je le crois, à la réalité, il faut dénoncer cette conduite de l'intimée, qui m'apparaît tout à fait insidieuse. Si l'intimée décide de défendre une cotisation sur une base différente de celle qui a été utilisée lors de la cotisation, elle devrait le reconnaître franchement et sans dissimulation. Les contribuables ont le droit de savoir clairement avant l'audition de leur appel à qui incombe la charge de la preuve.

[19] Quand j'ai demandé au procureur de Chrysler St-Jovite d'expliquer l'absence des autochtones ayant fait affaire avec sa cliente, il m'a expliqué que tant Chrysler St-Jovite que l'intimée aurait eu de la difficulté à s'assurer de la présence des autochtones à l'audience. Du point de vue de Chrysler St-Jovite, il n'était pas essentiel d'avoir la corroboration des autochtones dans ce dossier. En effet, il suffisait que Chrysler St-Jovite ne sache pas — à supposer que les autochtones aient agi comme prête-noms ou mandataires — qu'ils agissaient à ce titre.

En vertu de l'article 2157 du Code civil du Québec, un mandataire qui agit sans dévoiler son mandat est responsable envers le tiers. Voici ce qu'édicte l'article 2157 :

2157. Le mandataire qui, dans les limites de son mandat, s'oblige au nom et pour le compte du mandant, n'est pas personnellement tenu envers le tiers avec qui il contracte.

Il est tenu envers lui lorsqu'il agit en son propre nom, sous réserve des droits du tiers contre le mandant, le cas échéant.

[20] Cette interprétation ne me semble pas conforme à celle adoptée par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Union of New Brunswick Indians c. Nouveau-Brunswick, [1998] A.C.S. no 50. Voir les extraits cités plus loin dans mes motifs.

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