Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19990611

Dossier: 97-1713-IT-G

ENTRE :

DONALD TAYLOR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] L’appelant a interjeté appel à l’encontre d’un avis de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 1990 dans lequel le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a ajouté des honoraires de gestion de 5 000 $ et un avantage conféré à un actionnaire de 15 000 $ à son revenu pour l’année d’imposition en question. L’appelant n’était pas d’accord avec la nouvelle cotisation et il a déposé un avis d’opposition daté du 11 septembre 1995. Le ministre a par la suite ratifié la nouvelle cotisation dans un avis de ratification.

LES FAITS

[2] Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits partiel. Il est ainsi rédigé :

[TRADUCTION]

L’appelant, Donald Taylor et l’intimée, Sa Majesté la Reine, admettent les faits suivants par l’entremise de leurs procureurs sous réserve des conditions suivantes :

1) ces admissions ne sont faites que pour les fins du présent appel; et

2) les parties ont le droit de présenter une preuve additionnelle qui ne va pas en l’encontre des faits admis dans les présentes :

a) en tout temps pertinent en l’espèce, l'appelant détenait 50 p. 100 des actions de Hall Industries Ltd., (la “ société ”) et M. Edward McKibbon détenait l’autre 50 p. 100;

b) en 1989, les actionnaires et la société ont accepté en principe de transférer leur terrain de 8 hectares situé à Lower Derby, Nouveau-Brunswick, et vers le 25 septembre 1990 la société a enregistré la documentation appropriée visant à transférer ce terrain aux personnes suivantes :

- Jonathan Taylor (fils de l'appelant ) 4 hectares

- Edward McKibbon (actionnaire) 1 hectare

- Scott McKibbon (fils de l'actionnaire) 1 hectare

- Kim McKibbon (fille de l'actionnaire) 1 hectare

- Tammy McKibbon (fille de l'actionnaire) 1 hectare

c) le transfert de terrain a été fait suivant les instructions ou avec l’accord de l'appelant;

d) en tout temps pertinent en l’espèce, il y avait un lien de dépendance dans les rapports entre l'appelant et son fils;

e) la société a déclaré avoir effectué le transfert durant l’année d’imposition 1990 et avoir réalisé un produit réputé de 10 000 $, soit la valeur du terrain transféré;

f) la société a déclaré avoir subi une perte en capital de 31 000 $ et avoir payé des honoraires de gestion de 10 000 $ aux actionnaires lors du transfert du terrain;

g) la société a versé 50 p. 100 de la somme de 10 000 $ à l'appelant et l'autre 50 p. 100 à M. McKibbon à titre d’honoraires de gestion à l’égard du transfert du terrain;

h) l'appelant n’a pas déclaré les honoraires de gestion de 5 000 $ ou inclus cette somme dans le calcul de son revenu lorsqu’il a préparé sa déclaration de revenu pour année d'imposition 1990.

[3] Hall Industries Ltd. (“ Hall ”) était une société dont l'appelant détenait 50 p. 100 des actions. Le 9 novembre 1978, Hall a payé 41 000 $ pour acheter un terrain de huit hectares environ à Lower Derby au Nouveau-Brunswick sur lequel il y avait deux usines et un entrepôt. Deux incendies, un en 1980 et un autre en 1986, ont détruit les bâtiments situés sur le terrain.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[4] Les questions en litige sont les suivantes :

1. Quelle était la juste valeur marchande du terrain en question à la date du transfert?

2. Durant l’année d'imposition 1990, Hall a-t-elle conféré un avantage au sens du paragraphe 15(1) de la Loi à l’appelant, un de ses actionnaires?

LES ARGUMENTS

[5] L'appelant fait valoir que Hall a tenté en vain de vendre le terrain de 1986 à 1990. À l’époque, il y avait encore des vestiges des bâtiments détruits par les incendies sur le terrain qui était couvert de broussailles. En septembre 1990, Hall a subdivisé le terrain et transféré les lots à diverses personnes, dont Jonathan Taylor, fils de l'appelant, qui a reçu quatre hectares. L'appelant soumet que les évaluateurs avec lesquels il a communiqué lui ont indiqué qu’il ne serait pas possible d’établir la valeur du terrain à la date du transfert parce qu’il était impossible d’en déterminer l’état aux fins de l’évaluation. Il prétend de plus qu’il n’y avait aucune vente de terrains comparables dans le secteur.

[6] Le ministre allègue que le transfert de terrain à Jonathan Taylor a été effectué suivant les instructions ou avec l’accord de l'appelant et qu’il y avait un lien de dépendance dans les rapports entre l'appelant et son fils. Hall a déclaré un produit réputé de 10 000 $ à l’égard du transfert et une perte en capital de 31 000 $ durant l’année d'imposition 1990. De plus, Hall a déclaré avoir versé des honoraires de gestion de 10 000 $ aux actionnaires. Le ministre prétend que le terrain de huit hectares avait une juste valeur marchande de 68 900 $ à la date du transfert. Le ministre fait valoir que le terrain transféré au fils de l'appelant avait une juste valeur marchande d’au moins 15 000 $ et que l'appelant et son fils n’ont rien versé en contrepartie de ce transfert. Le ministre maintient que la juste valeur marchande du terrain transféré au fils de l'appelant était de 20 000 $. En conséquence, le ministre avance que, durant l'année d'imposition 1990, l’appelant a reçu de Hall un avantage conféré à l’actionnaire de 15 000 $ et des honoraires de gestion de 5 000 $ à l’égard du transfert de terrain.

ANALYSE

LA JUSTE VALEUR MARCHANDE

[7] Le ministre prétend que le terrain en question avait une juste valeur marchande d’au moins 15 000 $ à la date du transfert au fils de l'appelant. L'appelant conteste cette prétention et met en cause la valeur marchande du terrain.

[8] Pour tenter d’établir la juste valeur marchande, l’avocat du ministre a déposé un rapport d’expertise rédigé par D.G. Stilwell. L'appelant allègue qu’il n’a pas été en mesure d’obtenir une évaluation en raison de la difficulté à déterminer l’état du terrain. Dans Ample Investments Ltd. al. v. M.N.R., 90 DTC 1748 (C.C.I.), le juge Brulé a examiné les difficultés soulevées lorsque différentes méthodes sont employées pour estimer la valeur d’un immeuble. Il s’exprime de la façon suivante à la page 1750 :

Lorsque l’on cherche à expliquer les différences d’évaluation en plus des explications données ou omises, il faut tenir compte de leur provenance.

[9] La Cour sait que la méthode fondée sur les ventes d’immeubles comparables n’est pas exacte et que les ventes font l’objet d’ajustements pour tenir compte des différences entre les immeubles. Le poids qui sera accordé au rapport de l’évaluateur dépendra des techniques, des facteurs et des sources objectives qu’il aura retenus.

[10] L'appelant prétend que le terrain en question ne pouvait être vendu et que sa valeur était nulle en raison de l’importance des problèmes de décontamination et des coûts qu’il aurait fallu engager pour la remise en état de l’emplacement. Il a mentionné en particulier les piédroits en béton et les fondations qu’il n’était pas facile d’enlever et d’autres problèmes environnementaux.

[11] Tel que mentionné ci-dessus, le ministre a déposé comme preuve le rapport d’un évaluateur qualifié capable de fournir à titre d’expert une estimation de la valeur du terrain. L’évaluateur a employé la méthode comparative qui, selon lui, était la plus fiable pour estimer la valeur du terrain. Il écrit à la page 18 :

[TRADUCTION]

J’ai analysé huit ventes afin d’obtenir une indication de la valeur marchande de la propriété à l'étude en date du 25 septembre 1990.

[12] Dans son rapport d’expertise, l’évaluateur tire la conclusion suivante :

[TRADUCTION]

Après avoir analysé et interprété les données recueillies, j’estime que la propriété à l'étude avait, aux dates ci-dessus mentionnées, la valeur suivante :

9 novembre 1978

Dix-neuf mille huit cents dollars

(19 800 $)

25 septembre 1990

Quatre-vingt-treize mille quatre cents dollars

(93 400 $)

[13] Essentiellement, l'appelant soutient que l’évaluateur s’est trompé et qu’il n’a pas tenu compte des difficultés considérables à résoudre avant de parvenir à mettre le terrain en valeur.

[14] Il appartient à l'appelant de démontrer que l’évaluation retenue par le ministre est erronée. En l’absence de toute autre preuve pertinente acceptable, le simple fait pour l'appelant d’affirmer que la valeur était nulle et qu’il y avait des difficultés à résoudre avant de mettre le terrain en valeur n’est pas suffisant pour établir que les hypothèses du ministre ne sont pas fondées.

CONCLUSION

LA JUSTE VALEUR MARCHANDE

[15] Je conclus qu’à la date du transfert des quatre hectares au fils de l'appelant, Jonathan, la parcelle de terrain avait une juste valeur marchande d’au moins 15 000 $ et qu’il n’a pas été démontré que l’hypothèse du ministre selon laquelle la juste valeur marchande s’établissait à 20 000 $ n’est pas fondée.

INCLUSION DE L’AVANTAGE ET DU TRANSFERT DE TERRAIN DANS LE CALCUL DU REVENU EN VERTU DES PARAGRAPHES 15(1) ET 56(2)

[16] Le paragraphe 15(1) de la Loi est ainsi libellé :

15(1) La valeur de l’avantage qu’une corporation confère au cours d’une année d’imposition à un actionnaire ou à une personne en passe de le devenir doit être incluse dans le calcul du revenu de l’actionnaire pour l’année – sauf dans la mesure où cette valeur est réputée par l’article 84 constituer un dividende – si cet avantage est conféré autrement que :

a) par la réduction du capital versé, le rachat, l’annulation ou l’acquisition, par la corporation, d’actions de son capital-actions ou à la liquidation, cessation ou réorganisation de ses affaires, ou encore par une opération à laquelle l’article 88 s’applique;

b) par le paiement d’un dividende ou d’un dividende en actions;

c) en conférant à tous les propriétaires d’actions ordinaires du capital-actions de la corporation le droit d’acheter d’autres actions de la corporation; ou

d) par une opération visée à l’alinéa 84(1)c.1), c.2) ou c.3).

[17] Et le paragraphe 56(2) de la Loi est ainsi rédigé :

56(2) Tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les instruction ou avec l’accord d’un contribuable, à toute autre personne au profit du contribuable ou à titre d’avantage que le contribuable désirait voir accorder à l’autre personne – sauf une cession de tout ou partie d’une pension de retraite conformément à l’article 64.1 du Régime de pensions du Canada, ou à une disposition comparable d’un régime provincial de pensions au sens de l’article 3 de cette loi ou d’un régime provincial de pensions visé par règlement – doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement ou transfert avait été fait au contribuable.

[18] L’objet sous-jacent du paragraphe 56(2) est d'empêcher un contribuable d'échapper à son obligation de payer de l’impôt sur un avantage en faisant conférer l'avantage à un tiers. En conséquence, le paragraphe ne s’applique pas aux avantages conférés lors d’opérations commerciales conclues de bonne foi et pour lesquels une contrepartie adéquate est versée.[1] Dans l’arrêt Neuman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S. 770, 98 DTC 6297 à la page 6300, la Cour suprême du Canada a statué que le paragraphe 56(2) tel que libellé ne s’appliquait que si quatre conditions préalables étaient remplies :

1. un transfert ou un paiement à une autre personne que le contribuable;

2. le paiement ou le transfert doit être fait suivant les instructions ou avec l’accord du contribuable;

3. le paiement ou le transfert doit être fait au profit du contribuable ou à titre d’avantage qu’il souhaitait conférer à une autre personne;

4. le paiement ou le transfert aurait été inclus dans le revenu du contribuable s’il l’avait reçu lui-même.

[19] Dans Winter et al. v. The Queen, 90 DTC 6681, le juge Marceau de la Cour d’appel fédérale a ajouté une cinquième condition. Il a statué ce qui suit à la page 6684 :

...la validité d’une cotisation établie en vertu du paragraphe 56(2) de la Loi, dans le cas où le contribuable n’avait lui-même aucun droit au versement effectué ou au bien transféré, est assujettie a une condition implicite, soit celle que le bénéficiaire ou le cessionnaire n’ait pas été assujetti à l’impôt sur l’avantage qu’il a reçu.

[20] En d’autres mots, la personne qui reçoit l’avantage ne doit pas être assujettie à l’impôt. Toutefois, cette condition préalable ne s’applique que dans le cas où le contribuable n’avait lui-même aucun droit au paiement ou à l’immeuble qui a été transféré.

CONCLUSION

INCLUSION DANS LE CALCUL DU REVENU

[21] Je conclus que la juste valeur marchande du terrain était supérieure à la somme pour laquelle l’immeuble a été transféré et qu’un avantage a été conféré au fils de l'appelant. L'appelant détenait 50 p. 100 des actions de Hall, et son fils a reçu 50 p. 100 des terrains transférés. Le transfert a été effectué suivant les instructions de l'appelant. Il y avait effectivement un avantage qui aurait été inclus dans le calcul du revenu de l'appelant à titre d’avantage conféré à un actionnaire aux termes du paragraphe 15(1) de la Loi si l’avantage lui avait été versé directement.

DÉCISION

[22] L’appel est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de juin 1999.

“ D. Hamlyn ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 14e jour d'avril 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020, 91 DTC 5001 (C.S.C.), à la page 5011.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.