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Date: 19980306

Dossier: 96-2825-IT-G

ENTRE :

RENÉ FORTIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à Québec (Québec) le 30 janvier 1998 et subséquemment révisés à Ottawa (Ontario) le 6 mars 1998.)

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1] L’appelant interjette appel de cotisations émises par le Ministre du revenu national ( « Ministre » ) en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu ( « Loi » ) pour les années d’imposition 1988, 1989, 1990 et 1991.

[2] Au moment de produire ses déclarations de revenu pour chacune de ces années, l’appelant a réclamé des pertes locatives pour les années 1988 et 1989 relativement à un immeuble situé au 262-264, rue de la Couronne à Québec. Les pertes qu’il réclamait alors se chiffraient à 60 803 $ en 1988 et à 26 068 $ en 1989. Le Ministre a refusé ces pertes.

[3] L’appelant a aussi réclamé la déduction de frais financiers à l’encontre de ses revenus de l’ordre de 10 403 $ en 1989, 15 412 $ en 1990 et 25 071 $ en 1991. Ces frais financiers ont été refusés par le Ministre.

[4] L’appelant a aussi réclamé la déduction d’un montant de 31 457 $ comme une perte au titre d’un placement d’entreprise pour l’année 1991. Cette perte a aussi été refusée par le Ministre. L’avocate de l’appelant a mentionné au début de l’audience qu’elle ne contestait plus la position du Ministre eu égard à ce dernier montant.

[5] L’avocate de l’appelant a également soulevé en début d’audience que les pertes locatives s’élevaient plutôt à 141 571 $ en 1988 et à 54 437 $ en 1989. Elle a également mentionné que les frais financiers auxquels l’appelant prétend avoir droit s’élèvent à 21 499 $ en 1988, 13 824 $ en 1989, 12 997 $ en 1990 et 11 425 $ en 1991. Elle réclame également la déduction supplémentaire d’intérêts sur prêt hypothécaire commercial concernant l’immeuble de 40 921 $ en 1988 et 23 070 $ en 1989.

[6] Quant à ces nouvelles demandes, je suis d’avis que l’appelant ne peut amender son avis d’appel oralement le jour de l’audience et réclamer des dépenses largement supérieures à ce qu’il a lui-même déclaré dans ses déclarations de revenu et pour lesquelles il a été cotisé. En déposant son avis d’appel, l’appelant en appelait des cotisations émises, et par ses conclusions recherchées, demandait que les cotisations par lesquelles on lui refusait les dépenses que lui même avait réclamées dans ses déclarations de revenu soient annulées. Il ne peut à la toute dernière minute amender ses procédures et modifier de façon substantielle la nature du débat. Accepter une telle façon de procéder constituerait une iniquité procédurale qui est sanctionnée par la loi.

[7] Ceci étant dit, je vais maintenant analyser la preuve.

[8] L’appelant était, au cours des années en litige, économiste pour la Ville de Québec et recevait un salaire annuel d’environ 55 000 $. En 1985, il était partenaire avec d’autres dans l’exploitation d’une discothèque située dans l’édifice de la rue de la Couronne.

[9] Le 18 décembre 1986, cet immeuble était acheté par la compagnie 2418-7072 Québec Inc. ( « la compagnie » ) laquelle avait été constituée le 29 juillet 1986. L’appelant était l’actionnaire unique de cette compagnie. Il voulait rénover cet immeuble qui se trouvait dans un endroit de la Ville qui était appelé à se développer, le louer et éventuellement le revendre à profit.

[10] Un bar était exploité au rez-de-chaussée de cet immeuble et il y avait des chambres à louer aux étages supérieurs. Le sous-sol n’était pas fini. Compte tenu du genre de commerce exploité dans l’immeuble, l’appelant n’a pas voulu acheter personnellement cette bâtisse afin de se dégager de toute responsabilité en cas d’éventuelles poursuites en responsabilité.

[11] L’immeuble a été acheté pour la somme de 140 000 $ dont un montant de 105 000 $ a été financé sous forme de prêt hypothécaire par la Caisse Populaire, avec une balance de prix de vente de 10 000 $. L’appelant dit qu’il a financé le solde de 25 000 $ personnellement.

[12] Après l’acquisition de l’immeuble, l’appelant a transformé le sous-sol en brasserie. Ceci a entraîné des coûts assez importants. L’immeuble étant situé non loin du Ministère du revenu du Québec et d’un édifice du gouvernement fédéral, cela semblait profitable au début. Puis, le commerce a commencé à se détériorer lorsque les lieux furent loués à des locataires qui ne respectaient pas les réglementations municipales. La clientèle a alors commencé à diminuer.

[13] L’appelant a donc voulu rénover le haut en transformant les chambres en établissements commerciaux. Au même moment, la réglementation provinciale a changé, ce qui a entraîné des coûts supplémentaires pour l’appelant d’environ 25 000 $.

[14] Selon l’appelant, pour rentabiliser cette bâtisse, il aurait fallu qu’il aille chercher des revenus de location de 3 500 $ par mois et ces revenus n’existaient pas.

[15] La compagnie n’ayant pas de crédit, pas d’équité et aucune valeur (son seul actif, la bâtisse étant hypothéquée au maximum), l’appelant a donc dû endosser personnellement les prêts octroyés par la banque et, les fournisseurs de services, comme l’Hydro-Québec, lui ont demandé de faire des chèques personnellement. Il situe ces événements autour de l’année 1987.

[16] C’est à ce moment qu’il fut conseillé à l’appelant de transférer la responsabilité des opérations de la compagnie à lui personnellement par une résolution du conseil d’administration. Par cette résolution en date du 28 décembre 1987 (voir pièce A-1), il est dit ce qui suit :

l’administrateur unique de la compagnie propose, vu l’impossibilité de la compagnie de voir au paiement de ses obligations, de transférer à son actionnaire et administrateur unique, toute la gestion ainsi que les opérations de la compagnie, notamment l’administration de l’immeuble sis au 262 264 de la Couronne, Québec, l’exploitation d’un disco-bar exploité au 264 rue de la Couronne, à Québec, ... ainsi que la brasserie exploitée au sous-sol de ladite propriété.

Il est ainsi résolu que tous les bénéfices résultant des opérations dudit René Fortin lui seront acquis, à lui personnellement, la compagnie s’engageant spécifiquement à lui céder, à demande, tous les droits et intérêts qu’elle a dans ledit fonds de commerce, en considération de l’assumation que pourra faire ledit René Fortin de certaines dettes de la compagnie.

Ainsi, ledit René Fortin est autorisé à agir les opérations du fonds de commerce à compter du 1er janvier 1988, tout comme s’il était personnellement propriétaire dudit fonds de commerce, ...

[17] L’appelant a dit qu’il avait ainsi exploité personnellement le commerce parce qu’il n’avait pas le choix. Il se faisait de toute façon poursuivre par les fournisseurs parce que la compagnie n’était pas solvable.

[18] En septembre 1989, l’immeuble a été repris en dation en paiement.

[19] La compagnie n’a jamais produit de déclarations de revenu depuis le début de son existence. L’appelant a dit que la compagnie n’avait jamais fait de revenus puisque ce n’est pas elle qui exploitait l’entreprise. Elle n’a jamais produit non plus d’états financiers.

[20] L’appelant a aussi laissé entendre qu’il aurait exploité un casse-croûte ailleurs à Québec. Il n’a jamais déclaré de revenus de ce commerce.

[21] L’avocate de l’appelant a aussi fait entendre messieurs Raymond Paradis, comptable, qui a préparé les déclarations de revenu pour les années en litige de l’appelant, Conrad Breton, analyste financier qui a analysé les dépenses de l’appelant et Aldor Baron, comptable à la retraite qui a analysé une dernière fois les dépenses de l’appelant, après toutefois que les cotisations aient été émises.

[22] M. Paradis a mentionné qu’il avait établi les dépenses à partir des factures que lui a présentées l’appelant. Il a dit qu’elles étaient généralement en son nom personnel à l’exception des taxes foncières entre autres qui étaient au nom de la compagnie. Il a établi les revenus à partir des renseignements fournis par l’appelant sans faire d’autres vérifications. C’est lui qui a établi le montant des pertes réclamé dans les déclarations de revenu. En 1988, il n’a réclamé aucun frais financier.

[23] M. Paradis a établi qu’en 1991, l’avance faite par l’appelant à la compagnie était de 60 000 $. Ces avances provenaient du refinancement de sa résidence personnelle, des factures qu’il a payées personnellement et de sa mise de fonds initiale de 25 000 $. Il a également dit que bien qu’il s’était occupé du livre de paie de la brasserie, il n’en avait pas fait les états financiers puisque celle-ci était exploitée par une autre compagnie numérique.

[24] M. Breton a aussi analysé les dépenses et est arrivé approximativement aux mêmes résultats que M. Paradis sauf qu’il a rajouté des frais financiers supplémentaires.

[25] M. Baron a révisé ces dépenses à la hausse en 1997 et a estimé le prêt hypothécaire sur la résidence de l’appelant et attribué à l’exploitation de l’immeuble de la rue de la Couronne à 100 000 $. Il arrive à ce chiffre en invoquant que l’hypothèque totale est de 140 000 $ et qu’elle était initialement de 40 000 $ pour l’achat de la résidence elle-même. Il avance que le prêt aurait été augmenté de 100 000 $ en 1987 mais il ne s’appuie sur aucun document concret pour soutenir une telle hypothèse. Il a aussi diminué les revenus de loyer en disant qu’ils n’avaient pas été entièrement encaissés au cours des années.

[26] L’avocate de l’intimée a fait entendre messieurs Réjean Vaillancourt, vérificateur à Revenu Canada qui a établi la cotisation et Yves Coté, agent des appels à Revenu Canada qui a confirmé les cotisations. Tous deux ont dit qu’ils avaient refusé les pertes locatives parce que ce n’est pas l’appelant qui exploitait l’immeuble locatif mais la compagnie. Ils ont refusé la déduction des frais financiers parce que l’appelant n’a apporté aucune preuve tangible prouvant qu’ils avaient été engagés dans le but de tirer un revenu de bien ou d’entreprise. De plus, l’immeuble ayant été repris en dation en paiement en septembre 1989, la source de revenus s’il y en avait une, aurait disparu à ce moment, rendant ainsi la déduction des frais financiers impossible.

Analyse

[27] En ce qui concerne la déduction des pertes locatives, l’appelant devait démontrer qu’il avait une source de revenu tirée d’un bien ou d’une entreprise sur laquelle une perte locative pouvait être calculée.

[28] D’une part, l’immeuble ayant généré toutes les dépenses réclamées par l’appelant appartenait à la compagnie et non pas à lui personnellement. L’achat de la propriété a été fait par la compagnie, l’emprunt hypothécaire, selon le témoignage de l’appelant, a été fait au nom de la compagnie et les taxes foncières étaient, selon le témoignage de M. Paradis, au nom de la compagnie. Si cet immeuble devait générer des revenus, il est évident que c’est le propriétaire de ce bien qui en aurait tiré les bénéfices, en l’occurrence la compagnie et non pas l’appelant. En payant les dépenses afférentes à cet immeuble, l’appelant ne pouvait prétendre qu’il engageait ces dépenses en vue de tirer un revenu de ce bien.

[29] L’appelant a soumis toutefois en preuve une résolution de la compagnie par laquelle elle cédait toute l’administration de l’immeuble de même que les bénéfices que celui-ci pourrait générer à l’appelant, et ce, à compter du 1er janvier 1988. Il prétend donc qu’ayant droit aux revenus de l’immeuble, il pouvait réclamer les pertes que celui-ci lui occasionnait.

[30] Ce raisonnement pourrait être valable si l’appelant était capable de prouver selon la prépondérance des probabilités qu’au moment où la compagnie lui a ainsi cédé les revenus de l’immeuble, il avait une attente raisonnable de tirer un profit de cet immeuble. C’est ce qu’a soutenu la Cour Suprême du Canada dans l’affaire Moldowan c. La Reine, [1978] 1 S.C.R. 480.

[31] Or, l’appelant nous a dit qu’au moment où on lui a suggéré de faire cette résolution, la compagnie n’était plus du tout solvable. Les dettes engagées relativement à cet immeuble étaient déjà bien élevées (l’immeuble étant hypothéqué au maximum) et l’appelant a dit qu’il fallait s’endetter davantage pour espérer aller chercher un rendement plus élevé de la bâtisse. Les fournisseurs obligeaient l’appelant à payer personnellement et le poursuivaient même en justice. Autrement dit, il était coincé financièrement et n’avait plus le choix que de payer personnellement. Ce marasme financier devait se terminer par la reprise de possession de l’immeuble en septembre 1989.

[32] De plus, si l’on regarde l’état des revenus de location en 1988 et 1989, tel que déclaré dans les déclarations de revenu de l’appelant, on voit que la seule dépense d’intérêt en 1988 est de 47 764 $ pour des revenus de location de 20 800 $, soit le double, et de 11 006 $ en 1989 pour des revenus de location de 6 500 $, encore une fois presque le double.

[33] Il se peut que les revenus de location aient peut-être été moins élevés qu’escomptés. Toutefois, la composante intérêts est si élevée que l’appelant devait démontrer qu’il avait un plan réaliste afin de réduire le principal de l’emprunt comme le suggérait le juge Robertson de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Mohammad c. La Reine, 97 DTC 5503, 1997 A.C.F. no 1020 (Q.L.). Ceci n’a pas été démontré. Au contraire, la preuve a révélé que l’appelant a augmenté ses emprunts au cours des années.

[34] Si la compagnie avait peut-être une attente raisonnable de réaliser un profit de l’immeuble au moment de l’acquisition en 1986 (ce que je n’ai pas à juger), je ne peux conclure, avec la preuve qui m’est présentée, qu’au moment où l’appelant a commencé à administrer l’immeuble personnellement, cette attente raisonnable de tirer un profit de la location de l’immeuble existait. Il ne faut pas oublier non plus que cet immeuble étant toujours la propriété de la compagnie, l’appelant n’avait aucun contrôle sur la reprise de possession éventuelle de l’immeuble par un créancier qui pouvait survenir à n’importe quel moment. Ce fait à lui seul, et les autres que je mentionnais plus haut, indiquent que l’appelant ne pouvait raisonnablement s’attendre à tirer un profit des bénéfices que pourrait peut-être générer l’immeuble. En conséquence, l’appelant n’était donc pas autorisé aux termes de la Loi à déduire des pertes locatives au cours des années en litige.

[35] Quant aux frais financiers, le même raisonnement s’applique. Si l’appelant n’avait pas d’attente raisonnable de profit en 1988 et 1989, la source de revenu avait disparu et les frais d’intérêt n’étaient plus déductibles aux termes de l’alinéa 20(1)c) de la Loi (voir Emerson c. La Reine, [1986] 1 CTC 422 (CAF)). Ceci est d’autant plus vrai pour les années 1990 et 1991 où l’immeuble ne se retrouvait même plus dans le patrimoine de la compagnie.

[36] Tel que le disait le juge Linden de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Corbett c. La Reine, [1997] 1 C.F. 386, à la p. 402, lorsqu’aucun profit ne peut être réalisé au cours de l’année d’imposition ni par la suite, comme en l’espèce, la déduction ne peut être permise.

[37] Par ailleurs, le juge Dickson de la Cour Suprême du Canada disait dans l’arrêt Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 S.C.R. 32 à la p. 47 ce qui suit :

Un contribuable ne peut pas, du simple fait que l’argent emprunté a servi originairement à l’achat de biens productifs de revenu, continuer à déduire les intérêts après qu’il a vendu ces biens et qu’il a affecté le produit à une utilisation inadmissible.

[38] Ainsi, une obligation continue de payer des intérêts au créancier ne prouve pas de façon concluante que le contribuable fait encore usage de l’argent emprunté et qu’il l’utilise pour produire un revenu (Bronfman Trust, supra, pp. 48 et 52).

[39] Dans la présente instance, il semble que les frais financiers ont été engagés par l’appelant en hypothéquant sa résidence personnelle afin d’avancer des fonds à la compagnie et de payer les dettes de l’immeuble. La preuve n’a pas démontré que ces emprunts ont été utilisés pour produire un revenu, soit de la compagnie elle-même, soit de l’immeuble en soi.

[40] En conclusion, je considère que l’appelant n’a pas démontré selon la prépondérance des probabilités qu’il était en droit de déduire les pertes locatives dans le calcul de ses revenus pas plus qu’il n’avait droit à la déduction des frais financiers pour chacune des années en litige.

[41] Les appels sont donc rejetés.

Signé à Ottawa (Canada) ce 6ème jour de mars 1998.

"Lucie Lamarre"

J.C.C.I.

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