Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980710

Dossiers: 96-4431-IT-G; 96-4432-IT-G; 96-4433-IT-G

ENTRE :

TODD BIDERMAN, MATTHEW BIDERMAN, JUSTIN BIDERMAN,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Motifs du jugement

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance, qui portent sur les cotisations établies à l'égard des appelants le 19 juillet 1995, ont été entendus sur preuve commune. Le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a réclamé aux appelants le montant de 74 723 $[1] relativement à un transfert de biens, au sens de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), effectué en leur faveur par leur père, Michael B. Biderman. Personne ne conteste qu'à toutes les époques pertinentes, Michael B. Biderman devait de l'argent à Revenu Canada et ce, depuis 1989.

[2] Dale Rochelle Biderman, épouse de Michael B. Biderman et mère de Matthew, Todd et Justin Biderman, est décédée des suites d'un cancer le 6 octobre 1991, laissant derrière elle trois enfants âgés de moins de 18 ans. Aux termes des lettres d'homologation délivrées le 15 mai 1992, Michael B. Biderman a été nommé exécuteur testamentaire. La testatrice a laissé la totalité de son patrimoine à son époux et, à son défaut, en fiducie à ses enfants.

[3] Au cours des années 1990 à 1994, les représentants de Revenu Canada ont déployé des efforts considérables pour recouvrer le montant dû par Michael B. Biderman qui, en 1992, s'élevait à plus de 50 000 $.

[4] Le 30 septembre 1994, Michael B. Biderman a signé une renonciation à ses droits à titre de bénéficiaire de la succession de son épouse. Au moment de son décès, Dale Rochelle Biderman était propriétaire d'un bien immobilier sis au 1370, promenade Hastings, London (Ontario) et de 500 actions ordinaires de Jandale Holdings Ltd. La propriété de la promenade Hastings était son lieu de résidence principal, où son époux et leurs enfants continuent de vivre. Jandale a été constituée en société par sa famille. Dale Rochelle Biderman, sa soeur Janice Slopen et ses autres frères et soeurs ont conservé les actions ordinaires.

[5] Le bien immobilier a été transféré aux appelants par acte de transfert enregistré le 7 octobre 1994 et les actions ont été transférées par déclaration de transmission datée du 30 septembre 1996, par Michael B. Biderman en sa qualité d'exécuteur testamentaire relativement à Jandale.

[6] La juste valeur marchande de la propriété de la promenade Hastings était de 180 000 $ au moment du transfert. Il n'y a aucune preuve qui porte sur la valeur des actions de Jandale Holdings Ltd. Depuis le décès de son épouse, Michael B. Biderman continue d'occuper la propriété avec ses enfants comme étant la sienne.

[7] La propriété de Hastings a été transférée dans les trois années suivant le décès de Dale Rochelle Biderman, de façon à ce qu'elle ne soit pas dévolue à Michael B. Biderman[2]. Étant donné la présomption qui existe en faveur de la dévolution, les autres biens de la défunte ont très bien pu être dévolus à la personne y ayant droit à titre de bénéficiaire. Michael B. Biderman est avocat, mais il est actuellement suspendu du barreau de l'Ontario et gagne un revenu modeste en tant que technicien en droit.

[8] Le 30 septembre 1994, Michael B. Biderman a signé une renonciation à tout droit sur la succession de sa défunte épouse. Les appelants soutiennent que, du fait de cette renonciation, la succession était tenue de transférer son actif à Earl Biderman en fiducie pour les appelants. Au moment du transfert en leur faveur, les appelants Todd, Matthew et Justin étaient âgés de 18, 20 et 16 ans.

Thèse des appelants

[9] La renonciation signée par leur père, Michael B. Biderman, signifie qu'il n'a jamais été personnellement propriétaire de l'actif de la succession. Le transfert du bien immobilier et des actions aux appelants a été effectué par la succession et non par Michael B. Biderman personnellement.

Thèse de l'intimée

[10] Michael B. Biderman devait plus de 70 000 $ à Revenu Canada. Parce qu'il était l'époux de la défunte et le père des appelants, il avait un lien de dépendance avec eux. En mai 1992, il a entrepris de verser à Revenu Canada 20 000 $ par suite de la distribution du patrimoine de son épouse défunte. Le 27 novembre 1992, le Ministre a fait enregistrer à la Cour fédérale un certificat de jugement attestant que le montant de 60 926 $ était payable par Michael B. Biderman et, le 24 février 1993, un bref de fieri facias a été délivré.

[11] Lorsque Michael B. Biderman a renoncé à son droit de succession et que, de ce fait, l'actif de la succession a été dévolu à ses trois fils, le Ministre a établi des cotisations à leur égard conformément à l'article 160 de la Loi pour le motif que leur père avait un droit sur cet actif lorsqu'il a signé la renonciation.

[12] Le paragraphe 160(1) de la Loi se lit comme suit :

Lorsqu'une personne a [ ... ] transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon,

[ ... ]

c) à une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

[ ... ]

[13] Le paragraphe 248(1) de la Loi se lit en partie comme suit :

« biens » signifie des biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels et comprend, sans restreindre la portée générale de ce qui précède,

a) un droit de quelque nature qu'il soit, une action ou part,

[ ... ]

Analyse

[14] L'article 160 de la Loi vise à empêcher qu'un contribuable ne frustre le Ministre de sa créance au titre d'impôts impayés en transférant ses biens à des personnes avec lesquelles il a un lien de dépendance.

[15] Les appelants soutiennent que Michael B. Biderman a validement renoncé à son droit sur le patrimoine de son épouse défunte le 30 septembre 1994 et qu'il n'avait pas le moindre droit sur le bien immobilier ou sur les actions de Jandale au moment où l'actif de la succession a été transféré aux appelants.

[16] Même si j'allais jusqu'à conclure que Michael B. Biderman a signé une renonciation valide, je n'ai aucune difficulté à juger qu'il avait un droit découlant du testament qui équivalait à la valeur nette du bien immobilier et des actions, et qu'en renonçant à ce droit, il a effectué un transfert de biens au sens de l'article 160 de la Loi. L'article 160 vise à éviter qu'un débiteur fiscal ne mette ses biens hors de la portée de Revenu Canada. L'annulation d'un legs immobilier et mobilier au moyen d'une renonciation empêche le Ministre de recouvrer un impôt qui lui est dû.

[17] Michael B. Biderman a transféré à ses fils les droits qu'il avait sur la succession de son épouse. Il a ainsi permis à ses enfants, en tant que seuls autres bénéficiaires nommés dans le testament, d'hériter des biens laissés par testament par Dale Rochelle Biderman.

[18] Le terme « transfert » doit être interprété dans un sens très général, comme il a été indiqué dans l'affaire Estate of David Fasken v. Minister of National Revenue 49 DTC 491 (C. de l'É.)

[19] Dans l'arrêt Queen v. Kieboom 92 DTC 6382 (C.A.F.), un contribuable a fait en sorte que sa compagnie émette des actions ordinaires à son épouse et à ses enfants. La Cour a statué que ce transfert indirect était en fait un transfert. Le contribuable s'était défait de certains droits de recevoir des dividendes le cas échéant. Une analogie peut être faite avec la présente affaire. Michael B. Biderman a renoncé à certains droits de recevoir une maison et des actions. Il a renoncé à son droit sur les biens de la succession de son épouse. Il s'agit d'un transfert de biens au sens du paragraphe 160(1). Bien que le transfert ait résulté de l'application de la loi, il a été déclenché par la renonciation, ainsi qu'il a été indiqué dans Les Placements R.I.O. Inc. v. The Queen 97 DTC 1223, C.C.I., à la page 1226.

[20] On a donné au terme « bien » une interprétation large. La définition énoncée au paragraphe 248(1) est générale. Dans l'affaire Kieboom, précitée, le terme « bien » est indicatif et décrit tout droit qu'une personne peut avoir.

[21] Michael B. Biderman vivait au 1370, promenade Hastings, London, au moment du décès de Dale Rochelle Biderman. Il a continué d'y vivre par la suite, tirant ainsi profit de son héritage, et il y vit encore aujourd'hui. Il a négocié avec Revenu Canada en se fondant sur le fait que les biens légués par testament étaient les siens. Il a tiré avantage de ces biens pendant presque trois ans en ayant une maison pour lui-même et pour ses enfants et, de ce fait, il ne peut prétendre avoir renoncé au testament. Il ne pouvait céder que son droit sur l'actif de la succession.

[22] En conclusion, je juge que le droit que Michael B. Biderman avait sur la succession a été dévolu à ses trois fils par un moyen indirect grâce auquel les biens ont été transférés au sens de l'article 160 de la Loi.

[23] L'appel est rejeté avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de juillet 1998.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 15e jour de décembre 1998.

Mario Lagacé, réviseur



[1] Dans tous les cas, j'ai omis les cents.

[2] Article 9 de la Loi sur l'administration des successions de l'Ontario.

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