Date: 19990419
Dossiers: 98-307-UI; 98-50-CPP
ENTRE :
BARTIMAEUS INC.,
appelante,
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,
intimé.
Motifs du jugement
Le juge suppléant Somers, C.C.I.
[1] L'appelante interjette appel de la décision du
ministre du Revenu national (le
« ministre » ) selon laquelle l'emploi
que Judy MacKinnon, la travailleuse, a occupé du 29
janvier au 23 mai 1997 était un emploi
assurable, étant donné qu'elle avait
été engagée par une agence de placement.
[2] Le ministre se fonde sur l'article 5 de la Loi
sur l'assurance-emploi et sur l'alinéa
6g) du Règlement sur l'assurance-emploi
dans sa version modifiée. Le ministre se fonde en outre
sur l'article 27 du Régime de pensions du
Canada et sur le paragraphe 34(1) du Règlement sur
le Régime de pensions du Canada dans sa version
modifiée.
[3] L'article 6 du Règlement sur
l'assurance-emploi se lit en partie comme suit :
6. Sont inclus dans les emplois assurables, s'ils ne sont
pas des emplois exclus conformément aux dispositions du
présent règlement, les emplois suivants :
[...]
g) l'emploi exercé par une personne
appelée par une agence de placement à fournir des
services à un client de l'agence, sous la direction et
le contrôle de ce client, en étant
rétribuée par l'agence.
[4] L'article 34 du Règlement sur le
Régime de pensions du Canada se lit comme
suit :
(1) Lorsqu'une personne est placée par une agence
de placement pour la fourniture de services ou dans un emploi
auprès d'un client de l'agence, et que les
modalités régissant la fourniture des services et
le paiement de la rémunération constituent un
contrat de louage de services ou y correspondent, la fourniture
des services est incluse dans l'emploi ouvrant droit à
pension, et l'agence ou le client, quel que soit celui qui
verse la rémunération, est réputé
être l'employeur de la personne aux fins de la tenue de
dossiers, de la production des déclarations, du paiement,
de la déduction et du versement des contributions
payables, selon la Loi et le présent règlement, par
la personne et en son nom.
(2) Une agence de placement comprend toute personne ou
organisme s'occupant de placer des personnes dans des
emplois, de fournir les services de personnes ou de trouver des
emplois pour des personnes moyennant des honoraires,
récompenses ou autres formes de
rémunération.
[5] Pour rendre sa décision, le ministre s'est
fondé sur les allégations de faits suivantes,
lesquelles ont été admises ou
niées :
[TRADUCTION]
a)
l'entreprise de l'appelante fournit « aux
organisations, agences et compagnies des travailleurs
spécialisés dans le domaine des services à
l'enfance et à la jeunesse » ; (admise)
b)
les fonctions de la travailleuse consistaient à fournir
des soins professionnels à l'enfant et des services
à la famille de l'enfant; (niée)
c)
la travailleuse a été placée dans un emploi
par l'appelante; (niée)
d)
la travailleuse était sous la direction, le contrôle
et la supervision des clients de l'appelante;
(niée)
e)
la travailleuse était rétribuée par
l'appelante; (admise)
f)
les clients de l'appelante versaient des honoraires à
l'appelante pour les services fournis par la travailleuse;
(niée)
g)
la travailleuse a été placée dans son emploi
par l'appelante, qui agissait en qualité d'agence
de placement, pour fournir des services aux clients de
l'appelante, sous la direction et le contrôle de
ceux-ci, et était rétribuée par
l'appelante. (niée)
[6] Seuls deux témoins ont été entendus
à l'appui de l'appel, soit
M. William G. Carty, président de
Bartimaeus Inc., et Judy McKinnon, la travailleuse.
[7] La preuve a établi que l'entreprise de
l'appelante fournit « aux organisations, agences
et compagnies des travailleurs spécialisés dans le
domaine des services à l'enfance et à la
jeunesse » : elle agit comme intermédiaire
entre les praticiens d'exercice privé offrant des
services à l'enfance et à la jeunesse et les
organismes de services sociaux. Les services à
l'enfance visent la réadaptation des enfants qui ont
subi des lésions cérébrales. Les compagnies
d'assurances et d'autres clients font appel à
l'appelante à cette fin. Ces services sont fournis par
des particuliers qui ont les compétences requises en
matière de réadaptation des enfants.
[8] L'appelante est entrée en contact avec la
travailleuse, qui possédait ces compétences
requises; les deux parties ont conclu une entente écrite
prévoyant que la travailleuse fournirait des soins de
réadaptation aux enfants 12 heures par semaine, la
travailleuse et la famille concernée ayant établi
un horaire qui leur convenait. Les heures de travail
étaient flexibles, mais la travailleuse devait effectuer
au moins 12 heures de travail par semaine et pouvait en
faire davantage. On a soumis à la compagnie
d'assurance un plan quant au nombre d'heures
nécessaires. Après que le plan eut
été accepté, la travailleuse n'a pas
été rémunérée pour les heures
de travail supplémentaires non prévues dans le
plan.
[9] Dans le questionnaire qu'il a rempli et signé,
M. William G. Carty a répondu que la
travailleuse devait rendre compte à la compagnie
d'assurance. Celle-ci avait fixé le taux de
rémunération, et la travailleuse devait assister
aux conférences mentionnées dans le contrat. Le
client et la compagnie d'assurance décidaient de
l'efficacité du traitement. Le client pouvait
résilier le contrat s'il n'était pas
satisfait du traitement. La compagnie d'assurance fixait la
limite des frais engagés par la travailleuse. Celle-ci
remettait à l'appelante une facture quant aux heures
de travail et aux frais engagés, puis l'appelante la
payait (ce qu'elle a admis au regard de la réponse
à l'avis d'appel).
[10] La travailleuse a été congédiée
après qu'elle eut travaillé du 29 janvier
au 23 mai 1997, étant donné que les
services qu'elle fournissait aux enfants en détresse
aux termes de son contrat ne respectaient pas les normes
requises. Elle n'a en outre pas produit les rapports
exigés dans les délais voulus.
[11] La travailleuse a essentiellement corroboré le
témoignage de M. William G. Carty. Elle a
déclaré qu'elle avait la compétence
nécessaire pour s'acquitter des tâches qui lui
avaient été confiées. L'entente initiale
qu'elle avait conclue prévoyait une semaine de travail
de 12 heures. Elle ne travaillait sous la direction ou le
contrôle ni de l'appelante ni de la compagnie
d'assurance et elle établissait son propre horaire.
Elle était libre de travailler ailleurs de façon
indépendante, sans en faire mention à
l'appelante. Elle devait assister à des
conférences et remettre un rapport à
l'appelante tous les mois. Les factures étaient
envoyées à l'appelante, qui
rémunérait la travailleuse au taux de 22 $
l'heure.
[12] Les appels portent sur la question de savoir si la
travailleuse a été engagée par
l'appelante pour occuper durant la période en cause un
emploi assurable au sens de l'alinéa 6g) du
Règlement sur l'assurance-emploi et de
l'article 34 du Règlement sur le Régime
de pensions du Canada.
[13] On a mentionné de la jurisprudence aux fins des
présents appels. Parmi toutes les décisions
citées, l'arrêt de principe est la
décision Sheridan c. Canada (Ministre du Revenu
national), [1985] A.C.F. no 230, appel
no A-718-84, et les présents motifs de
jugement sont fondés sur cette décision. Les faits
sont en l'espèce similaires à ceux de la
jurisprudence mentionnée par les parties.
[14] Si l'on se reporte à l'alinéa
6g) du Règlement, l'appelante est en
fait une agence de placement visée à cette
disposition. Elle est une compagnie qui fournit à des
organisations, agences et compagnies sur une base contractuelle
des travailleurs spécialisés dans les services
à l'enfance et à la jeunesse. Dans une lettre
qu'il avait envoyée à Revenu Canada,
M. Carty indiquait que la compagnie agissait en
qualité d'intermédiaire entre les praticiens
d'exercice privé offrant des services à
l'enfance et à la jeunesse et les organismes de
services sociaux.
[15] La compagnie d'assurance a fait appel à
l'appelante aux fins de la fourniture de soins
spécialisés par des personnes compétentes.
À son tour, l'appelante a contacté la
travailleuse pour qu'elle fournisse de tels soins et
présentait une note d'honoraires à la compagnie
d'assurance.
[16] La travailleuse remettait des factures à
l'appelante, qui la payait ensuite pour les services rendus
à un taux horaire de 22 $. Le taux de
rémunération était fixé par la
compagnie d'assurance. La travailleuse a été
payée d'une manière correspondant à
celle visée à
l'alinéa 6g).
[17] L'autre exigence de cette disposition est que la
travailleuse doit avoir été placée pour la
fourniture de services sous la direction et le contrôle
d'un client de l'agence. En l'occurrence, la
travailleuse était sous le contrôle de la compagnie
d'assurance et des parents de l'enfant en voie de
réadaptation.
[18] La travailleuse devait, dans le cadre de ses fonctions,
remettre chaque mois un rapport d'étape à la
compagnie d'assurance. Le contrat de cette dernière a
en fait été résilié parce qu'elle
ne remettait pas les rapports dans les délais convenus.
Elle devait en outre assister à des conférences en
vue de discuter des traitements qu'elle donnait à
l'enfant. C'était le client qui jugeait de
l'efficacité de la travailleuse.
[19] Parce qu'elle avait des compétences
spécialisées, la travailleuse jouissait d'une
certaine discrétion pour ce qui est des traitements
à donner, mais elle devait atteindre les objectifs
fixés par le client. Elle déterminait son horaire,
mais celui-ci devait être suffisamment flexible pour
convenir également au client. L'assureur
décidait du nombre d'heures de travail. La
travailleuse ne pouvait charger à son gré des
heures supplémentaires à l'appelante sans avoir
obtenu le consentement de l'assureur.
[20] Le libellé de l'alinéa 6g),
notamment en ce qui concerne la direction et le contrôle,
permet une application large. Il existe divers degrés de
direction et de contrôle. S'il est vrai que la
travailleuse avait une grande discrétion quant à la
prestation de ses services, étant une spécialiste
dans le domaine, il n'en demeure pas moins que l'assureur
et le patient, par l'intermédiaire des parents,
exerçaient en bout de ligne le contrôle pour ce qui
est du type de traitements à donner et de
l'efficacité de ces traitements. Selon la preuve, les
faits correspondent à la situation visée à
l'alinéa 6g).
[21] L'avocat de l'appelante a soutenu que
l'alinéa 6g) du Règlement sur
l'assurance-emploi et le paragraphe 34(1) du
Règlement sur le Régime de pensions du
Canada devaient être interprétés
différemment puisqu'ils sont libellés
différemment. À la lecture des deux dispositions,
je ne puis souscrire à cet argument. Les
éléments essentiels sont les mêmes, et les
deux dispositions ont le même objectif.
[22] Dans l'arrêt Sheridan,
précité, la Cour d'appel fédérale
déclarait ce qui suit dans la décision qu'elle
rendait le 21 mars 1985 :
Le seul autre argument du requérant sur lequel il faut se
pencher porte que le paragraphe 12g) du
Règlement ne s’applique pas en
l’espèce car les infirmières placées
par la requérante n’étaient pas
« rémunérées » par
l’agence comme l’exige le règlement.
L’avocat a prétendu, à la lumière de
ces faits, que la requérante ne faisait qu’acheminer
la rémunération versée par les
hôpitaux. Je ne suis pas d’accord avec cette opinion.
Comme on l’a souligné plus tôt, la
requérante recevait la totalité des gains
réalisés par les infirmières dans les
hôpitaux. Par la suite, elle remettait à chaque
infirmière le montant exact gagné par chacune
d’entre elles après avoir déduit de ce
montant, dans la plupart des cas, ses honoraires de 10 %.
[...]
[23] Les faits dans cette affaire sont semblables à ceux
qui ont été présentés dans
l'affaire qui nous occupe. Je dois conclure que la
travailleuse a été placée dans son emploi au
cours de la période en question par l'appelante,
agissant à titre d'agence de placement, aux fins de la
fourniture de services sous la direction et le contrôle des
clients de l'appelante et était
rétribuée par l'appelante. La travailleuse
occupait un emploi à la fois assurable et ouvrant droit
à pension aux termes de l'alinéa 6g) du
Règlement sur l'assurance-emploi et du
paragraphe 34(1) du Règlement sur le Régime de
pensions du Canada.
[24] Les appels sont rejetés et la décision du
ministre est confirmée.
Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour
d'avril 1999.
« J. F. Somers »
J.S.C.C.I.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
Traduction certifiée conforme ce 31e jour de
janvier 2000.
Mario Lagacé, réviseur