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Date: 19981113

Dossiers: 97-3283-IT-I; 97-3284-IT-I

ENTRE :

MARC TURCOTTE, SOLANGE CREVIER,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Ces appels ont été entendus sur preuve commune par voie de la procédure informelle. Les années d’imposition en cause pour l’appelant sont les années 1992 et 1994 et pour l’appelante, 1993 et 1994.

[2] La question en litige est de savoir si la location d’un logis au sous-sol de la résidence familiale était une entreprise commerciale de location c’est-à-dire une entreprise exercée dans le but de faire du profit.

[3] Les faits sur lesquels s'est fondé le ministre du Revenu national (le “Ministre”) pour établir ses nouvelles cotisations dans le cas de l’appelant sont décrits aux paragraphes 7, 8 et 9 de la Réponse à l’avis d’appel (la “Réponse”), comme suit :

7. Par avis de nouvelle cotisation en date du 30 octobre 1995 pour les années d'imposition 1992 et 1994, le ministre a ajouté aux revenus de l'appelant des revenus additionnels de 13 913 $ pour l'année d'imposition 1992, et de 4 829 $ pour l'année d'imposition 1994, refusant les pertes allouées précédemment.

8. Pour établir les nouvelles cotisations en date du 30 octobre 1995, pour les années d'imposition 1992 et 1994, le ministre a tenu notamment pour acquis les faits suivants :

a) au cours des années d'imposition en litige, l'appelant était copropriétaire à 50 pour-cent, avec madame Solange Crevier (ci-après, la “conjointe”), d'une propriété sise au 1554, Des Chenaies en la municipalité de Boisbriand, province de Québec (ci-après, la “propriété”);

b) la propriété a été acquise en 1988;

c) la propriété est une résidence unifamiliale avec un logement au sous-sol;

d) la propriété ne présente qu'une adresse civique, soit l'adresse de l'appelant, le 1554, Des Chenaies;

e) les revenus et dépenses suivants ont été déclarés relativement à la propriété, pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 dont le détail est en annexe :

1992 1993 1994

Revenus de

location bruts 4 275 $ 4 800 $ 4 920 $

Dépenses de

location 19 805 $ 16 113 $ 14 578 $

Pertes nettes de

location (15 530 $) (11 313 $) ( 9 658 $)

f) l'appelant a estimé que le sous-sol occupait 1/3 de la superficie totale de la propriété, et a déclaré que les dépenses de location présentées représentaient 1/3 de l'ensemble des dépenses de la propriété;

g) l'appelant a réclamé des pertes nettes de location, dans les proportions suivantes de l'ensemble des pertes nettes de location de la propriété : 100 pour-cent pour l'année d'imposition 1992, 0 pour-cent pour l'année d'imposition 1993, et 50 pour-cent pour l'année d'imposition 1994;

h) depuis l'achat de la propriété, les pertes nettes suivantes ont été déclarées relativement à la propriété :

Année Perte déclarée

1988 ( 7 788 $)

1989 ( 8 480 $)

1990 ( 8 634 $)

1991 (24 914 $)

1992 (15 530 $)

1993 (11 232 $)

1994 ( 9 658 $)

i) les intérêts hypothécaires, les taxes foncières et les assurances totalisant, à eux seuls à titres de frais fixes, 7 536 $ pour l'année d'imposition 1992, 7 622 $ pour l'année d'imposition 1993 et 7 409 $ pour l'année d'imposition 1994, dépassent les revenus bruts de 3 261 $ pour l'année 1992, de 2 822 $ pour l'année 1993 et de 2 489 $ pour l'année 1994;

j) l'appelant a mentionné lors de notre vérification qu'il savait qu'il ne ferait pas de profit avec cet investissement, et que l'unique raison pour laquelle il louait son sous-sol était dans le but d'aider au paiement de l'hypothèque;

k) l'appelant n'a pas produit de pièces justificatives pour appuyer ses dépenses pour l'année d'imposition 1992, et n'a produit que pour 3 000 $ de reçus pour des réparations pour l'année d'imposition 1994, 50 pour-cent lui étant attribuable;

l) pour les années d'impositions en litige, l'appelant a créé une augmentation de la perte nette de location en réclamant des dépenses d'amortissement;

m) l'appelant n'a pas démontré que les montants de 13 913 $ pour l'année d'imposition 1992, et de 4 829 $ pour l'année d'imposition 1994, ont été engagés en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien;

n) au cours des années d'imposition en litige, l'appelant n'avait pas d'espoir raisonnable de tirer un profit de sa propriété.

9. Au stades des oppositions les faits suivants ont été constatés :

a) l'appelant n'a pu fournir au ministre de plan d'action ou de projections de rentabilité, effectuées avant l'acquisition de la propriété;

b) l'appelant n'a pas fourni de pièces justificatives pour l'ensemble des dépenses pour les années en litige;

c) pour l'année d'imposition 1992, la dépense pour impôts fonciers présentée par l'appelant représentait 44 pour-cent du montant total des dépenses pour impôts fonciers de la propriété;

d) les pièces justificatives fournies relativement aux dépenses d'entretien et réparations étaient plutôt des dépenses personnelles de l'appelant pour les années d'imposition en litige.

[4] Dans le cas de l’appelante, les faits sont décrits au paragraphe 7 de la Réponse. Comme les faits sont à peu près identiques à ceux de l'appelant, je ne reproduirai que ceux qui diffèrent :

7. Pour établir les nouvelles cotisations en date du 30 octobre 1995, pour les années d'imposition 1993 et 1994, le ministre a tenu notamment pour acquis les faits suivants :

...

g) l'appelante a réclamé des pertes nettes de location, dans les proportions suivantes de l'ensemble des pertes nettes de location de la propriété : 0 pour-cent pour l'année d'imposition 1992, 100 pour-cent pour l'année d'imposition 1993, et 50 pour-cent pour l'année d'imposition 1994;

...

k) l'appelante n'a jamais produit de pièces justificatives pour appuyer ses dépenses pour l'année d'imposition 1993, et n'a produit que pour 3 000 $ de reçus pour des réparations pour l'année d'imposition 1994, 50 pour-cent lui étant attribuable;

...

m) l'appelante n'a pas démontré que les montants de 11 232 $ pour l'année d'imposition 1993, et de 4 829 pour l'année d'imposition 1994, ont été engagés en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien;

[5] L’appelante ne s’est pas présentée à l’audition de son appel. L’appelant a témoigné. Il a admis les alinéas 8 a) à 8 c), 8 e) à 8 l) de la Réponse.

[6] Les appelants ont acquis la propriété en 1988 au coût de 185 000 $. Les agents du Ministre ont reçu le contrat d’achat (pièce A-3) mais n’ont jamais reçu le contrat de l’emprunt hypothécaire. Le montant de l’hypothèque en 1992 était de 144 818,70 $ et le montant des intérêts versés est de 15 488,84 $ selon la pièce A-6. Cette pièce, ainsi que les pièces A-4 et A-5 montrées pour la première fois à l'audience, sont des relevés annuels établis par l'institution financière prêteuse. La pièce A-5 montre que pour l’année 1993 le solde du capital est de 142 999,34 $ et le montant d’intérêts est de 13 747,21 $. La pièce A-4 concerne l’année 1994. Le solde est de 140 646,75 $ et le montant des intérêts payés est de 11 974,95 $.

[7] Lors de l’acquisition de la maison il y avait bien un logement au sous-sol (pièce A-3). Quand il était loué, il rapportait en moyenne 400 $ par mois. La pièce A-2 est constituée de deux baux : l’un est pour la durée du 1er juillet 1990 au 12 juin 1991 et l’autre du 15 février 1992 au 30 juin 1994.

[8] Au début de l’enquête faite par les agents du Ministre, les appelants expliquaient que leur hypothèque était demeurée si haute par le fait qu’il y avait eu des vices cachés lors de l'acquisition de la maison, qu’il avait fallu poursuivre l’entrepreneur qui avait fait faillite et qu'il leur avait fallu payer les travaux pour une somme de 80 000 $. À l’audience, l’appelant a admis que les appelants n’avaient pas eu à payer ce montant.

[9] La pièce A-1 est constituée de différents documents ayant trait à la poursuite des appelants à l’encontre de l’entrepreneur pour la réparation des vices cachés de la maison. On y voit aussi un document de transaction où l’entrepreneur accepte de faire les travaux à ses frais. Toutefois, on n'y voit aucun document prouvant la faillite de l’entrepreneur ni surtout que les appelants aient eu à payer des sommes au montant de 80 000 $ pour les travaux de réparation.

[10] Madame Johanne Desjardins, agent du Ministre, a témoigné à la demande de l’avocate de l’intimée. Elle a produit comme pièce I-4 un document publicitaire récent d’une société immobilière contenant plusieurs photos de maisons à vendre. On y voit celle des appelants. Il n’y a aucune mention d’un logis au sous-sol. Elle a téléphoné à l’agent d’immeubles qui ne savait pas du tout qu’il y avait possibilité d’un logement au sous-sol. Il lui a dit qu’il s’agissait d’une salle de jeux agréablement finie. Il n’y avait pas deux adresses mais une seule adresse.

[11] Les documents d’assurance concernant les années 1993 à 1995 ont été produits comme pièce I-3. On y lit qu’il s’agit d’une habitation principale habitée par le propriétaire. Il n’y est aucunement mentionné qu’il y a un locataire au sous-sol de la résidence. L’adresse 1554A y est mentionnée mais aux fins de l’utilisation d’un bureau accessoire à la demeure principale.

[12] Les états de compte pour taxes municipales et scolaires ont été produits comme pièces I-1 et I-2. À la pièce I-1, on voit qu’en 1991 et 1992, il y avait un deuxième logis en ce qui concerne la taxe d’eau. En 1993, il n’y a plus deux logis qui sont inscrits mais un seul. En fait un avis d’évaluation complémentaire a été envoyé à cet effet. Il en va de même pour les années subséquentes jusqu’à 1998. La pièce I-2 montre qu’en 1989, 1990, 1991 et 1992, l’appelante payait une taxe d’affaires pour une entreprise en informatique qu’elle y exerçait.

[13] L’avocate de l’intimée s’est appuyée sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Mohammad c. La Reine, en date du 28 juillet 1998, et plus particulièrement aux passages suivants :

... D'après les faits de l'espèce, la partie des dépenses locatives composée des intérêts était en elle-même suffisante pour créer une perte même si les revenus n'avaient pas fléchi en-deçà des attentes du contribuable.

...

...Ce n'est pas un cas où les revenus sont inférieurs aux attentes. C'est plutôt un cas où le contribuable ne pouvait raisonnablement s'attendre à réaliser un bénéfice tant que le montant principal de l'emprunt contracté ne serait pas réduit de façon correspondante.

...

... Le contribuable doit établir à la satisfaction de la Cour de l'impôt qu'il ou elle avait un plan réaliste en vue de réduire le principal de l'emprunt. Comme tout propriétaire l'apprend tôt ou tard, presque toutes les mensualités hypothécaires sont imputées au paiement des intérêts pendant les cinq premières années d'un prêt hypothécaire amorti sur vingt à vingt-cinq ans. Il est tout simplement irréaliste de s'attendre à ce que le système fiscal canadien subventionne l'acquisition d'un immeuble de rapport pour des périodes indéfinies. Les contribuables qui ont l'intention de financer l'acquisition d'un immeuble à usage locatif de façon qu'aucun bénéfice ne soit déclaré, malgré qu'ils aient touché la totalité des revenus locatifs prévus, ne doivent pas s'attendre à bénéficier d'un traitement fiscal favorable en l'absence d'une preuve objective et convaincante de leur intention et de leur capacité financière de rembourser une part importante de l'emprunt ayant servi à l'achat dans les quelques années qui suivent l'acquisition du bien. Si, en raison du niveau de financement, l'immeuble ne peut générer suffisamment de bénéfices pouvant servir à réduire l'emprunt en cours, alors le contribuable doit trouver d'autres sources de revenu pour parvenir à ce résultat. Si les autres sources de revenu d'un contribuable, par exemple, le revenu tiré d'un emploi, sont insuffisantes pour lui permettre de réduire le montant de l'emprunt qui a servi à l'acquisition, alors il se peut que le contribuable ait à supporter le plein coût de la perte locative.

[14] Dans la présente affaire, il est devenu douteux lors de l’audience que dans les années en cause le sous-sol ait été effectivement loué. Même en acceptant que le sous-sol ait été loué, la preuve a clairement révélé que ce bien locatif ne pouvait pas générer de profits tel que capitalisé. En effet, les frais fixes que sont les intérêts hypothécaires, les taxes foncières et les coûts d’assurances dépassaient de près de la moitié le revenu brut. Les appelants avaient invoqué la possibilité de diminuer les intérêts hypothécaires rapidement n’eut été les travaux de réparation exigés par un vice caché de construction pour la réparation duquel ils auraient eu à payer un montant de 80 000 $. Or ils n’ont apporté aucune preuve de ce paiement.

[20] En conséquence, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de novembre, 1998.

“Louise Lamarre Proulx”

J.C.C.I.

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