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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

2001-3210(IT)G

ENTRE :

CARL BEAME,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

Appel entendu le 22 novembre 2002, à Toronto (Ontario), par

 

l'honorable juge D. W. Beaubier

 

Comparutions

 

Avocats de l'appelant :              Me Pierre Barsalou et Me Zoltan Ambrus

 

Avocate de l’intimée :                Me Marie Thérèse Boris

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1997 est rejeté avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

 

 

 

 

          Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 11e jour de décembre 2002.

 

 

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d'octobre 2004.

 

 

 

Sophie Debbané, réviseure


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20021211

Dossier: 2001-3210(IT)G

 

 

ENTRE :

CARL BEAME,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Beaubier, C.C.I.

 

[1]     L’appel en l’instance, interjeté sous le régime de la procédure générale, a été entendu à Toronto (Ontario), le 22 novembre 2002. Sunny Ngan, qui était le comptable de l’appelant durant toute la période pertinente, était le seul témoin.

 

[2]     Les paragraphes 1 à 13 de l’Avis d’appel énoncent les questions en litige. Ils se lisent comme suit :

 

[traduction]

 

1.         Adresse de l’appelant :

 

            Waterloo House

            Killarney Road

            Mallow, Co. Cork

            Irlande

 

2.         L’appelant interjette appel à l’encontre d’un avis de cotisation daté du 16 juin 1999 établi par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi ») pour l’année d’imposition 1997.

 

I.          FAITS

 

3.         Durant toute la période pertinente, l’appelant était un résident de l’Irlande.

 

4.         L’appelant a disposé de ses actions dans 1169813 Ontario Inc. (les « actions »), une société privée canadienne, réalisant un gain en capital de 8 250 824 $ et un gain en capital imposable de 6 188 117 $ au cours de l’année d’imposition 1997.

 

5.         Les actions constituaient des « biens canadiens imposables », tels qu’ils sont définis à l’alinéa 115(1)b) de la Loi.

 

6.         Avant la disposition des actions, l’appelant a obtenu un certificat de décharge du ministre en vertu de l’article 116 de la Loi, lequel a été établi en tenant compte du fait que l’impôt canadien était de 15 % (928 218 $) du gain en capital imposable de l’appelant.

 

7.         Par avis de cotisation daté du 16 juin 1999, le ministre a établi une cotisation pour l’année d’imposition 1997 selon la nouvelle hypothèse que l’impôt canadien de l’appelant était de 15 % (1 237 623 $) de l’ensemble de ses gains en capital, plutôt que 15 % de son gain en capital imposable.

 

8.         Par avis d’opposition daté du 6 août 1999, l’appelant s’est opposé à la cotisation du ministre au motif que le taux d’imposition de 15 % selon le paragraphe VI(1) de la Convention fiscale entre le Canada et l’Irlande est applicable à son gain en capital imposable de 6 188 117 $.

 

9.         Le ministre a ratifié sa cotisation pour l’année d’imposition 1997 par avis de ratification daté du 7 juin 2001 au motif que :

 

 

[traduction]

 

« la retenue d’impôt des non-résidents de 15 % a été imputée sur un revenu de 8 250 824 $ en vertu des dispositions du paragraphe I de l’article VI de la Convention fiscale entre le Canada et l’Irlande. »

 

II.        QUESTION

 

10.       La question est de savoir si le taux d’imposition de 15 % imposé sur les revenus de l’appelant tirés de sources situées au Canada, en vertu du paragraphe VI(1) de la Convention fiscale entre le Canada et l’Irlande, est applicable aux gains en capital imposables de l’appelant ou à l’ensemble de ses gains en capital.

 

III.       DISPOSITIONS LÉGISLATIVES INVOQUÉES

 

11.       L’appelant s’appuie, entre autres, sur les articles 2, 3, 38, 39, 40, 115 et 116 de la Loi de l’impôt sur le revenu, sur les paragraphes II(3), VI(1) et XVI(l) de la Convention fiscale entre le Canada et l’Irlande et sur l’article 3 de la Loi sur l’interprétation des conventions en matière d’impôts sur le revenu, S.R.C. 1985, ch. I-4.

 

IV.       MOTIFS QUE L’APPELANT ENTEND INVOQUER

 

12.       L’appelant soutient que le terme « revenu » dans la Loi et au paragraphe VI(l) de la Convention fiscale entre le Canada et l’Irlande ne vise uniquement que les gains en capital imposables de l’appelant plutôt que l’ensemble de ses gains en capital.

 

V.        REDRESSEMENT DEMANDÉ

 

13.       L’appelant demande que l’appel soit admis avec dépens et que la cotisation soit déférée au ministre pour nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le taux d’imposition de 15 % en vertu du paragraphe VI(l) de la Convention fiscale entre le Canada et l’Irlande est applicable à ses gains en capital imposables, plutôt qu’à l’ensemble de ses gains en capital.

 

[3]     Les paragraphes 1, 2, 3, 5, 6, 7, 8 et 9 de l’avis d’appel ont été admis par l’intimée. Le paragraphe 4 décrit ce que l’appelant a effectivement fait en 1997. Les autres paragraphes décrivent la position de l’appelant.

[4]     Le paragraphe 12 de l’avis d’appel décrit la question en litige. L’appelant soutient que le « revenu » au paragraphe VI(1) de la Convention fiscale entre le Canada et l’Irlande (la « Convention ») signifie « revenu imposable » comme cette expression est décrite dans la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). L’intimée soutient que la signification du terme « revenu » à l’article VI de la Convention devrait se limiter à la Convention elle-même et qu’il a un sens large.

[5]     Le comptable de l’appelant, M. Ngan, a témoigné qu’il avait demandé à Revenu Canada un certificat de décharge le 5 juillet 1996 (pièce A-1, onglet 2). Le certificat a été délivré à M. Ngan le 7 février 1997 sur le fondement des faits décrits au paragraphe 4 de l’avis d’appel en contrepartie d’un chèque à l’ordre du Receveur général au montant de 15 % du gain en capital imposable, conformément à la Loi. Selon ses calculs, le gain en capital s’établissait à 8 250 823 $ et le gain en capital imposable à 6 188 177,25 $. L’appelant a payé la somme de 928 218 $ conformément au montant stipulé dans le certificat (pièce A-1, onglet 5).

[6]     Puisque l’appelant avait payé la totalité de l’impôt selon le montant stipulé dans le certificat de décharge, il ne s’est pas empressé de produire sa déclaration de revenus. Elle était datée du 5 octobre 1998 et a été déposée en novembre. Elle énonçait les détails décrits antérieurement (pièce A-1, onglet 6).

[7]     Le 16 juin 1999, l’appelant a reçu un avis de cotisation pour un solde d’impôt impayé plus l’intérêt et la pénalité pour production tardive, soit un solde impayé de 287 049,29 $. L’avis de cotisation indiquait que [traduction] « selon la Convention fiscale entre le Canada et l’Irlande, le taux d’impôt réduit de 15 % s’applique à l’ensemble des gains en capital » (pièce A-1, onglet 7).

[8]     L’appelant a déposé un avis d’opposition le 6 août 1999 (pièce A-1, onglet 8).

[9]     Le 7 juin 2001, la cotisation a été ratifiée (pièce A-1, onglet 15) mais la pénalité a été annulée. Par la suite, le présent appel a été interjeté.

[10]    L’argumentation de l’intimée se limite au paragraphe 1 de l’article VI de la Convention, qui se lit comme suit :

 

1.         Le taux de l’impôt canadien sur le revenu (autre que le revenu provenant d’affaires exercées au Canada ou de fonctions remplies au Canada) tiré de sources situées au Canada par un résident d’Irlande n’excédera pas 15 p. cent.

[11]    L’avocat de l’appelante soutient que le terme « revenu » utilisé à l’article VI n’est pas limité à la Convention. Il a poursuivi en exposant cinq arguments. Toutefois, les deux premiers arguments constituent la base de l’action de l’appelant. Le premier est que l’article VI diminue le taux payable, ce qui est vrai. Le deuxième est que la signification du mot « revenu » doit être déterminée conformément au paragraphe 117(2), aux articles 2 et 3 et à l’alinéa 115(1)b) de la Loi.

[12]    L’avocate de l’intimée soutient que le libellé de la Convention doit être interprété de façon large et qu’il n’est pas nécessaire de se reporter à la Loi. Le passage suivant de l’arrêt La succession de John N. Gladden c. Sa Majesté la Reine, C.F. 1re inst., n° T-1425-84, 28 janvier 1985 (85 DTC 5188) a été cité à l’appui de cet argument :

 

  L'affaire La Reine c. Melford Developments, 81 D.T.C. 5020 (C.A.F.), 82 D.T.C. 6281 (C.S.C.) et 1982 2 R.C.S. 504 est très à-propos.  Les deux divisions de la Cour fédérale ainsi que la Cour suprême du Canada ont jugé en faveur des contribuables à qui on a d'abord adressé des cotisations en se fondant sur le fait qu'ils avaient omis de payer une retenue aux fins de l'impôt des non-résidents sur des frais de garantie payés à une banque allemande.  En réponse, ils ont soutenu qu'ils étaient exonérés puisque les bénéfices industriels ou commerciaux étaient exonérés en vertu des dispositions de la convention de 1956 entre le Canada et l'Allemagne en matière d'impôt sur le revenu et pour le motif que les frais de garantie devaient être classés comme tels. Le Ministre a soutenu que, en vertu d'une disposition de 1974 qui prévoyait que les frais de garantie seraient réputés être des intérêts, une retenue aux fins de l'impôt des non-résidents était payable.  L'article 3 de la Loi qui donne force de loi au traité entre le Canada et l'Allemagne est identique à l'article 3 que j'ai cité précédemment de la Loi qui donne force de loi au traité entre le Canada et les États-unis.  Voici ce que le juge Urie de la Cour d'appel fédérale a dit au sujet de l'inviolabilité d'un traité en matière fiscale (voir la p. 5024 du recueil) :

Cet alinéa (c.-à-d. l'alinéa 5 de l'article III qui permettait au Canada d'imposer les intérêts) n'habilite pas le Canada à déclarer imposables les revenus exemptés par la Convention, au titre de ces bénéfices et qui ne sont pas expressément visés par les Articles qui suivent.  À mon avis, une telle action unilatérale ne serait pas admissible, car elle violerait les clauses d'une convention ayant force obligatoire librement conclue par deux États souverains.  Cette convention ne peut être modifiée que par un accord entre les parties et non par l'action d'une des parties, qui modifie ses lois fiscales par l'adoption d'une disposition comme le paragraphe 214(15) en 1974, quelque dix-huit ans après la signature de la convention.

      Sur le même sujet, le juge Estey de la Cour suprême du Canada a fait remarquer (voir pp. 513 à 515 du recueil R.C.S.) :

... À mon avis, l'expression "législation en vigueur" au Canada qu'emploie l'accord ne comprend pas les lois que le Canada a adoptées pour redéfinir les procédures et les mécanismes d'imposition du revenu non assujetti à l'impôt en vertu de l'accord.  Une interprétation contraire de cet article donnerait du poids à l'argument de l'appelante, qui à mon avis n'a pas de fondement en droit, que le par. (2) autorise le Canada ou l'Allemagne à modifier unilatéralement le Traité en matière fiscale à l'occasion selon que l'exigent leurs besoins internes.

     En examinant ces lois et l'accord fiscal qui en découle, il faut se rappeler que l'accord international ne lève pas lui-même un impôt mais qu'il autorise simplement les parties contractantes à le faire suivant les termes de l'accord.

... Il s'ensuit évidemment que l'art. 3 ou toute autre partie de la Loi de 1956 peuvent être abrogés ou modifiés.  Là n'est pas la question, mais il s'agit de savoir si les textes législatifs additionnels relatifs à la Loi de l'impôt sur le revenu ont pour effet de modifier la Loi de 1956.  La suggestion qu'ils ont cet effet est surprenante.  En matière fiscale, il existe 26 conventions, traités ou accords déjà conclus et 10 autres sont en négociation entre le Canada et d'autres pays.  Si l'argument de l'appelante est le bon, chaque révision de la Loi de l'impôt sur le revenu qu'adopte le législateur met ces accords en péril.  Pour cette raison d'ordre pratique, on peut difficilement conclure que le législateur a mis en danger avec autant de légèreté son ouvrage de 1956.  Cela ne veut pas dire qu'avant de pouvoir modifier en profondeur la Loi de 1956, le législateur doive adopter une loi intitulée "Loi portant modification de la Loi de 1956".  Mais la réciproque n'est pas vraie pour autant, c.-à-d. que chaque loi fiscale, quel que soit le motif de son adoption, puisse avoir pour effet de modifier des conventions fiscales bilatérales ou multilatérales sans un motif ou une intention avoués de le faire.

  Je suis convaincu que l'art. 3 a pour effet d'assujettir l'application de toute autre loi du Parlement, y compris la Loi de l'impôt sur le revenu, aux termes de la Loi de 1956 et de l'accord qu'elle consacre.  La seule exception serait que le législateur énonce expressément qu'il modifie la Loi de 1956.  Il n'y aurait alors aucun conflit entre la Loi de 1956 et "toute autre loi".  Cette interprétation a nécessairement pour effet d'incorporer dans l'accord, en raison du par. (2) de l'article II, à titre de définition des termes qui n'y sont pas définis, le sens qu'avaient ces termes au moment de l'adoption de l'accord.  Ainsi, tout texte législatif adopté pour quelque motif que ce soit qui a pour effet de modifier ou d'élargir la définition d'un terme comme "intérêt" reste assujetti aux termes de la Loi de 1956 en raison de la signification qu'entraîne l'art. 3 de cette loi. [...]

  La position qu'adopte l'appelante revient à affirmer que le Canada peut simplement modifier l'accord en redéfinissant le terme intérêt.

             (C'est moi qui souligne.)

      On est parvenu au même résultat en se fondant sur le même motif dans l'arrêt La Reine c. Associates Corporation of North America, 80 D.T.C. 6140 (C.A.F.).  (Voir également: Doris Lillian Gadsden c. MRN., 83 D.T.C. 127).  La question suivante porte sur l'interprétation qui doit être donnée aux termes "vente ou ... échange" dans l'article VIII du Traité.

      Contrairement à une loi fiscale ordinaire un traité ou une convention en matière d'impôt doit être interprété de façon libérale, de manière à appliquer les véritables intentions des parties.  Il faut éviter une interprétation littérale ou légaliste lorsque l'objet fondamental du traité pourrait être rejeté ou contrecarré dans la mesure où le point particulier à l'étude est visé.

      L'article 31 de la Convention de Vienne sur le Droit des traités (1969) à laquelle le Canada a souscrit régit la règle générale d'interprétation qui doit être appliquée.  L'alinéa 1 de cet article prévoit:

1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.

[13]    L’article VI de la Convention prévoit un taux de 15 % sur le « revenu ». Rien d’autre n’y est indiqué et l’adjectif « imposable » n’est pas ajouté à ce mot. Lorsque la Convention a été rédigée et adoptée en 1966 et 1967, ce terme aurait pu alors être ajouté dans la Convention par les parties, mais elles ne l’ont pas fait.

[14]    La Cour retient l’argument de l’intimée selon lequel la signification du terme « revenu » en vertu de la Convention doit être interprétée de façon large, sans qu’il soit nécessaire de se reporter à la Loi. Plus particulièrement, nous retenons le passage cité dans l’arrêt Gladden à l’appui de cet argument.

[15]    Pour ce motif, l'appel est rejeté.

[16]    L'intimée a droit aux dépens entre parties.

 

 

 

 

 

          Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 11e  jour de décembre 2002.

 

 

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d'octobre 2004.

 

 

 

Sophie Debbané, réviseure  

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