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Date: 19991026

Dossier: 1999-1680-IT-I

ENTRE :

NOEL TURGEON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1] L'appelant interjette appel à l'encontre d'une cotisation d'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1996, cotisation par laquelle le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) n'a pas admis des pertes totales de 18 632,64 $ provenant de l'exploitation d'une entreprise agricole, en se fondant sur le fait que le revenu de l'appelant pour l'année d'imposition ne provenait principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source. En se fondant sur le paragraphe 31(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”), le ministre a limité la perte de l'appelant à 8 750 $.

[2] Les parties ont convenu de déposer — sous la cote A-1 — un recueil de pièces numérotées 1 à 16 inclusivement, et toute mention d'un numéro de section particulier renverra à des documents de la pièce A-1. L'appelant a déclaré dans le cadre de son témoignage qu'il est agriculteur et qu'il habite à Leoville (Saskatchewan). Leoville est un petit village — d'environ 350 habitants — situé à mi-chemin entre Saskatoon et Meadow Lake. L'appelant a dit qu'il avait travaillé pour le village de Leoville — comme chef de l'équipe d'entretien — de 1977 jusqu'à sa retraite, soit le 1er septembre 1999. Un tableau indiquant le salaire reçu du village par l'appelant a été déposé sous la cote A-2. Les fonctions de l'appelant en tant que chef de l'équipe d'entretien incluaient le ramassage des ordures, la gestion des services d'adduction d'eau et d'égouts et l'entretien des rues. L'appelant travaillait 7 heures par jour, 5 jours par semaine, plus une heure le samedi et le dimanche relativement à des fonctions exigeant sa présence au bâtiment des pompes. Le 27 juillet 1999, le conseil du village a accepté la démission de l'appelant, prenant effet le 1er septembre. Comme l'appelant prenait une retraite anticipée, il lui a fallu accepter une pension réduite et, bien qu'il n'ait pas reçu son premier chèque, il s'attend à environ 800 $ par mois. Il avait envisagé de prendre sa retraite en 1995, mais il était demeuré au travail, compte tenu de discussions avec son comptable, qui avait fait remarquer que les rentrées d'argent provenant de la ferme n'étaient pas suffisantes pour payer les frais de l'exploitation agricole. L'appelant a suivi le conseil qui lui avait été donné, est resté au travail et a gagné 26 460 $. L'appelant est né à la ferme dans le district de Leoville et, jusqu'à ce que, en 1970, il quitte l'école — après avoir terminé sa douzième année —, il avait aidé son père à exploiter la ferme. En 1970, l'appelant avait acheté trois quarts de section de terre à son père, avait acheté du bétail et s'était lancé dans une entreprise agricole, qu'il a exploitée jusqu'en 1974, année où une grosse inondation a endommagé la maison. À la même époque, les taux d'intérêt étaient très élevés, et l'appelant a vendu les trois parcelles qu'il avait achetées à son père, mais a conservé une section de pâturage qu'il avait achetée à son frère, vers la fin de 1970. Le pâturage a été donné en location, et l'appelant a travaillé comme menuisier, jusqu'à ce que — en 1977 — il accepte le poste de chef de l'équipe d'entretien du village de Leoville. En 1988, il voulait retourner à l'agriculture — cette fois-ci pour élever des wapitis — et a présenté une demande, en date du 7 septembre 1988, à la Métis Economic Development of Saskatchewan Inc., soit une entité participant à un programme de développement économique du Nord avec la province de Saskatchewan et le gouvernement fédéral. La demande et des documents connexes ont été déposés sous la cote A-4. La lettre d'accompagnement faisait référence à divers documents établis à l'appui de la demande, soit des états de revenu, des états de trésorerie, des tableaux de la déduction pour amortissement, des calculs relatifs à la capacité d'effectuer des paiements hypothécaires et d'autres documents concernant la viabilité du projet soumis. L'appelant s'était assuré l'aide d'un comptable pour la constitution du dossier présenté au soutien de la demande de subvention. Il entendait consacrer beaucoup de temps à l'élevage de wapitis. La subvention ne venait pas et, comme elle était essentielle à la viabilité du projet, l'appelant ne pouvait aller de l'avant. Dans la lettre du 22 septembre 1988 rejetant la demande — pièce A-5 —, les présidents du secrétariat disaient que l'entreprise d'élevage de wapitis projetée semblait n'être qu'une petite entreprise familiale ne présentant que peu d'avantages pour la région, voire pas du tout. Par une lettre en date du 14 octobre 1988 — pièce A-6 —, la Savings & Credit Union Limited de Leoville disait qu'elle n'était pas disposée à prêter à l'appelant les fonds nécessaires pour acheter un troupeau de wapitis de base — comprenant 14 femelles et un mâle — et d'autres sommes nécessaires pour installer les clôtures appropriées et pour apporter des changements à la ferme existante. Une des raisons que le directeur de la coopérative de crédit avait données pour ne pas approuver la demande de prêt était qu'une récente loi provinciale limitait grandement la capacité d'un établissement de prêt de réaliser une garantie relative à un bien-fonds défini comme étant un lieu d'habitation. En 1990, l'appelant vivait dans le village de Leoville et a acheté une demi-section de terre — avec habitation — à trois kilomètres du village, soit à quelques minutes seulement de son lieu de travail. Il a emprunté 100 000 $ — le montant total du prix d'achat — à la coopérative de crédit pour acheter la terre. Il a acheté une vache et une génisse, mais a décidé de ne pas emprunter davantage pour l'achat d'autres animaux d'élevage. Il avait conservé du matériel de ses précédentes entreprises agricoles et, plus tard cette année-là, il a ajouté à son entreprise des immobilisations évaluées à 17 961 $. Un sommaire de revenus d'agriculture et d'acquisitions d'immobilisations amortissables pour la période allant de 1990 à 1998 inclusivement a été déposé sous la cote A-7. En 1991, l'appelant a acheté un tracteur plus récent, à un coût de 14 550 $. En 1992, il a ajouté à cela un distributeur de fourrage et un chargeur à benne frontale — soit dans les deux cas du matériel d'occasion, car il ne voulait pas emprunter plus d'argent pour acheter du matériel neuf. Les acquisitions d'immobilisations, d'un montant de 11 521 $, faites en 1993 comprenaient une dépierreuse, un camion d'une demi-tonne et du matériel pour clôtures. En 1994, il lui a fallu installer un nouveau revêtement pour le puits, et une Topaz 1990 a été achetée pour Mme Turgeon, pour qu'elle se rende à son travail. D'autres dépenses en immobilisations, d'un montant de 3 972 $, ont été effectuées en 1995 et, en 1996, l'appelant a acheté une presse à fourrage et a changé le moteur d'un tracteur, soit un montant total de 18 500 $. En 1997, la seule acquisition d'immobilisation a été un testeur de foin, pour une modeste somme de 295 $, et, en 1998, les dépenses afférentes à des actifs amortissables se sont élevées à 5 600 $. L'appelant ou son épouse n'ont jamais emprunté pour acheter des immobilisations, sauf pour remplacer le moteur du tracteur en 1996, vu l'importance de la somme en cause. Le troupeau a grossi entre 1992 et 1998, et les quantités ainsi que les catégories d'animaux étaient indiquées sur une feuille — pièce A-8. Le plan suivi par l'appelant était de conserver des vaches pour que le troupeau s'accroisse. Les vaches n'ont qu'un veau par année, soit 50 p. 100 de femelles et 50 p. 100 de mâles. Les animaux d'un an qui étaient conservés comprenaient des génisses et un certain nombre de bouvillons, c'est-à-dire de jeunes taureaux ayant subi une intervention chirurgicale particulière. La ligne de conduite adoptée par l'appelant consistait à assurer la croissance de son troupeau de façon indépendante ou de concert avec d'autres personnes, qui lui confiaient des vaches, dont il s'occupait en échange de 50 p. 100 de la valeur de la progéniture des vaches mises au pâturage. Ultérieurement, l'appelant a fait en sorte qu'une proportion de 60 p. 100 de cette valeur lui soit accordée, une proportion de 40 p. 100 allant au propriétaire des vaches. Là-dessus, l'appelant conservait toutes les génisses conformément à son plan de constitution de son propre troupeau, malgré le fait que les bouvillons rapportaient 10 cents de plus la livre au marché et pesaient en moyenne 50 livres de plus que les génisses. En 1996, l'appelant avait un taureau, 26 vaches et 39 veaux (soit 39 génisses), mais seulement 92 p. 100 des femelles d'élevage mettent bas chaque année, et il y a une certaine mortalité à la naissance, ce qui doit être pris en compte. En 1998, les génisses de 1996 étaient devenues des vaches, et le troupeau de l'appelant comptait 58 vaches — dont quatre avaient peu de valeur — et 56 veaux. En 1996, l'appelant n'a vendu aucun animal et a conservé toutes les génisses. À cette époque, la valeur marchande d'une vache était d'environ 1 000 $, tandis que les veaux se vendaient 500 $ et qu'un taureau rapportait environ 1 200 $. En 1997, l'appelant avait dans son troupeau 40 animaux d'un an, d'une valeur allant de 500 $ à 1 000 $ (dans le cas d'une génisse pleine); à l'âge de deux ans, une vache peut porter un veau. Le plan actuel de l'appelant est de vendre un certain nombre de génisses de manière à conserver un troupeau de base de 60 animaux, ce qui est approprié pour la superficie de terre lui appartenant. Dans sa description du travail consistant à s'occuper de tous les animaux, l'appelant a dit : “ Ce sont de bien longues journées de travail; il faut nourrir les animaux matin et soir ”. Une période d'activité particulièrement intense est la saison de mise bas, qui lui demande trois heures par jour, sept jours sur sept, y compris tout au long de la nuit, car il faut aller voir régulièrement si la mise bas est imminente. Comme sa ferme était proche du lieu du travail qu'il accomplissait pour le village de Leoville, il pouvait y retourner durant sa pause de midi pour examiner les animaux et s'acquitter d'autres tâches. En 1996, il a gardé 50 vaches en pension à sa ferme, ce qui faisait en tout 76 animaux avec les siens. Les veaux nés des 50 vaches mises au pâturage ont été répartis, l'appelant ayant droit à une part de 60 p. 100. Sur les trois semaines de vacances annuelles que son employeur lui accordait, l'appelant prenait deux semaines pour couper les foins et une semaine pour faire des bottes de paille. En 1999, l'appelant ne gardait plus d'animaux en pension et a commencé à élever des wapitis, ce qui lui demande moins de temps. Pour entreprendre l'élevage des wapitis, il a emprunté 110 000 $ à la coopérative de crédit, de manière à acheter 11 femelles. Son intention est d'être en mesure de vendre les petits d'ici quatre à cinq ans. Dans l'intervalle, il loue un reproducteur et a étudié le marché, soit principalement la vente du velours des bois des wapitis, à des compagnies pharmaceutiques. La commercialisation de viande de wapiti pour consommation publique générale n'a pas été bien développée jusqu'à maintenant. L'appelant reconnaissait avoir subi des pertes de 1990 à 1998. En 1996, son revenu d'agriculture brut a été de seulement 2 808,99 $, parce qu'il avait choisi de conserver des génisses pour ses fins de reproduction de manière à ce que son troupeau continue de s'accroître. En comparaison, son revenu brut pour 1998 a été de 36 122 $. En vue de déduire certaines dépenses pour l'année d'imposition 1996, il avait conservé tous les registres et reçus appropriés, puis il avait apporté “ la boîte au comptable, pour qu'il s'occupe de cela ”. Revenu Canada a refusé certaines dépenses concernant l'utilisation de la voiture, ainsi que des frais de téléphone et des frais d'électricité relatifs au chauffage d'abreuvoirs, qui consomment beaucoup d'énergie, outre qu'il fallait brancher le tracteur tous les jours quand il faisait froid. Pour 1995, Revenu Canada avait également restreint la perte provenant de l'exploitation de l'entreprise agricole de l'appelant, quoique, pour des années antérieures, des pertes agricoles intégrales aient été admises.

[3] Avant de commencer le contre-interrogatoire, l'avocate de l'intimée a dit que le ministre avait concédé que l'appelant avait une attente raisonnable de profit et avait consacré beaucoup de temps et d'énergie à l'exploitation de la ferme d'élevage. Au cours du contre-interrogatoire, l'appelant a reconnu que, entre 1970 et 1974, il avait constitué un troupeau de 60 animaux, dont l'établissement de prêt a complètement repris possession en 1975, par suite de la faillite d'une coopérative d'alimentation animale dont l'appelant avait été membre. En 1975, l'appelant a vendu la terre agricole qu'il exploitait, mais il a conservé les quarts de section de pâturage, qu'il a donné en location. Dans son travail pour le village de Leoville, il était seul responsable des services d'adduction d'eau et d'égouts et de tout autre entretien. En ce qui a trait à la section 13 — la déclaration de revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1995 —, le comptable de l'appelant avait produit la déclaration, dans laquelle il avait indiqué une perte agricole restreinte de 5 591,43 $, et une cotisation avait été établie en conséquence. Ultérieurement, l'appelant a signé un avis d'opposition — pièce R-1 — demandant au ministre d'admettre des pertes agricoles intégrales. La cotisation a toutefois été ratifiée, et l'appelant a choisi de ne pas en appeler, mais il a retenu les services de Graham Holm, comptable agréé, qui a écrit pour lui une lettre à Revenu Canada en date du 31 juillet 1997 — pièce R-2 — demandant un redressement sous forme de nouvelle cotisation admettant des pertes agricoles intégrales pour les années d'imposition 1995 et 1996. L'appelant est d'avis que, malgré le fait que sa terre pouvait accueillir 60 animaux au maximum, il existait — d'après lui — une possibilité de profit pour l'année d'imposition 1997. L'appelant a consacré autant de temps et d'énergie qu'il pouvait à l'exploitation agricole; son épouse travaillait dans le domaine des soins dispensés à domicile depuis les 18 dernières années, et le revenu de son épouse était “ bien commode pour le ménage ”. Le 24 septembre 1997, le comptable de l'appelant a écrit à Revenu Canada une autre lettre — pièce R-3 — fournissant de l'information supplémentaire à l'égard de précédents efforts de l'appelant en matière agricole. L'appelant a reconnu qu'il lui fallait un revenu d'emploi pour payer les frais de son exploitation agricole. Une photocopie d'un certificat de titre indiquait que l'appelant et son épouse, Doris, étaient tenants conjoints du bien où était exploitée l'entreprise agricole. Le prix d'achat du bien — y compris la maison et l'étable — était de 100 000 $, et ils avaient payé une somme supplémentaire de 10 000 $ pour des abreuvoirs et d'autres petits articles d'équipement. En 1990, le solde du prêt hypothécaire était d'environ 69 000 $ et, en 1998, il était de 130 240,92 $. En 1998, la valeur imposable — pour fins municipales — de la demi-section était de 68 000 $. Sur les 320 acres appartenant à l'appelant et son épouse, 35 servaient à la culture d'avoine, 110 servaient de pâturage, 110 servaient à faire pousser du foin, et le reste, c'était des buissons et des marécages. L'idée que l'appelant se fait d'une exploitation de naissage viable est d'avoir 60 vaches, plus les veaux — 55 à 57 — jusqu'à ce qu'ils soient vendus. Certaines génisses seraient conservées pour fins de reproduction, en remplacement de vaches ayant passé l'âge de reproduction, soit des vaches de 10 à 14 ans. L'appelant a reconnu qu'il avait été tenu par la coopérative de crédit de Leoville de continuer à travailler jusqu'à ce que la ferme soit autonome et que la date prévue de sa retraite avait été le mois de juillet de l'an 2000. Il a pris sa retraite plus tôt, car — à son avis — il était capable d'effectuer les paiements requis à l'égard des prêts et croyait pouvoir supporter les fardeaux financiers. Il avait acheté en 1991 un tracteur d'occasion, soit un tracteur de 1979, dont il a fallu changer le moteur — en 1996 —, ce qui avait coûté extrêmement cher. Dans le cadre des communications de son comptable avec Revenu Canada, il n'avait pas fourni les documents contenus dans sa demande de subvention de 1988 visant la mise sur pied d'une ferme d'élevage de wapitis. Lorsque, en 1998, il a pu se lancer dans l'élevage de wapitis, le prêt a été accordé moyennant le troupeau de wapitis en garantie. L'appelant a reconnu que la liste d'actifs utilisée aux fins de la déduction pour amortissement pour les années 1989 à 1998 inclusivement — pièce R-5 — indiquait un accroissement d'immobilisations d'un montant de 88 425 $. La grange existait au moment de l'achat et ne servait qu'au vêlage. En ce qui a trait aux principaux achats, un tracteur a été acquis en 1991, à un coût de 12 500 $, un nouveau moteur a été installé en 1996 et une presse à fourrage a été acquise en 1996. En 1997, d'après la déclaration de revenu de l'appelant qui figure à la section 15, l'appelant a vendu environ 24 veaux, pour 11 738 $, soit 490 $ par animal, en moyenne. Cette année-là, il y a eu certaines pertes pour cause de mortalité. En 1998, l'appelant avait 56 vaches, et la déclaration de revenu — section 16 — pour l'année d'imposition 1998 indiquait que l'appelant avait vendu 56 animaux — qu'il avait depuis leur naissance — et qu'il avait reçu en tout 34 298 $. L'appelant convenait avec l'avocate de l'intimée que la vente de 56 veaux dans une année quelconque serait à peu près le maximum possible en raison de la taille de son entreprise, soit un troupeau de base de 60 animaux. Aujourd'hui, en 1999, l'appelant a six jeunes wapitis, sept femelles adultes et quatre femelles pleines, soit des animaux qui sont tous gardés sur une parcelle clôturée d'une superficie de six acres. D'autres agriculteurs de sa région élèvent des wapitis, et le marché des bois de wapitis — y compris le velours — peut être très erratique. L'appelant entend vendre le velours par l'intermédiaire d'un courtier; le velours est apporté à une usine de transformation située à Unity (Saskatchewan). L'appelant a sa propre andaineuse et peut utiliser la moissonneuse-batteuse de son frère (il la remise dans sa ferme en échange), de sorte qu'il lui est possible de cultiver ses propres plantes fourragères.

[4] Graham Holm a déclaré dans le cadre de son témoignage qu'il est comptable agréé, qu'il exerce son activité à Battleford (Saskatchewan) et qu'il a un bureau secondaire à Spiritwood, soit à environ 24 kilomètres de Leoville. Son cabinet s'est occupé de la comptabilité de l'appelant de 1990 à aujourd'hui, ce qui incluait l'établissement de déclarations de revenu. Des pertes agricoles intégrales ont été déclarées chaque année compte tenu de l'engagement de l'appelant en temps et en capital et de la croissance des stocks. En établissant la déclaration de revenu pour l'année d'imposition 1995, le bureau de M. Holm avait entrepris les calculs sur la base d'une demande de déduction de pertes agricoles intégrales d'un montant de 13 682,87 $. En vertu du paragraphe 31(1) de la Loi, la perte restreinte maximale pouvant être déduite était de 8 750 $. L'annexe pertinente a été remplie sur la base d'une perte restreinte à cause d'une erreur commise dans l'utilisation d'un nouveau logiciel, mais une lecture de la déclaration au complet aurait montré clairement que la déduction d'une perte agricole intégrale était demandée. M. Holm a reçu de Revenu Canada une lettre en date du 12 mai 1997 — pièce A-10 — reconnaissant que la déclaration de revenu de l'appelant pour 1995 indiquait une perte agricole intégrale ainsi qu'une perte agricole restreinte de 8 091,44 $. Il a reçu de Revenu Canada une lettre en date du 17 novembre 1997 — pièce A-11 — disant que les pertes agricoles pour 1995 et 1996 seraient ramenées à des pertes restreintes conformément au paragraphe 31(1) de la Loi. En décembre 1997, Graham Holm a déposé — pièce A-12 — des avis d'opposition aux cotisations pour chacune des années d'imposition 1995 et 1996, demandant que l'appelant soit autorisé à déduire des pertes agricoles intégrales. M. Holm a reçu de Revenu Canada une lettre en date du 2 janvier 1998 — pièce A-13 — l'avisant que la perte restreinte pour 1995 serait ramenée du montant initial de 8 091 $ à un montant de 5 996 $. M. Holm a ensuite reçu de Revenu Canada une lettre en date du 12 janvier 1998 — pièce A-14 — refusant une prolongation du délai pour déposer une opposition pour l'année d'imposition 1994 et accusant réception des oppositions pour les années d'imposition 1995 et 1996. M. Holm a dit que, bien que ne se souvenant pas précisément d'avoir eu des discussions avec l'appelant au sujet de la possibilité d'interjeter appel à l'encontre de la cotisation pour 1995, il croit que le montant en litige n'était pas assez important pour qu'il vaille la peine d'interjeter appel devant la Cour canadienne de l'impôt. M. Holm avait établi un document de travail — pièce A-15 — dans lequel la croissance des stocks au fil des ans était prise en compte. Il avait établi une analyse — pièce A-16 —indiquant diverses méthodes d'examen des produits et des charges et illustrant l'effet de l'utilisation de la méthode du rajustement facultatif pour inventaire et/ou de la non-utilisation de cette méthode pour fins d'analyse. Dans les déclarations de revenu effectivement produites, l'appelant a toujours utilisé la méthode du rajustement facultatif pour inventaire, car elle lui permettait d'accroître son revenu pour une année particulière et d'indiquer le montant correspondant comme charge pour l'année suivante. L'analyse de M. Holm est basée sur la comptabilité d'exercice, bien que le revenu ait été déclaré pour toute la période pertinente selon la comptabilité de caisse. Dans le tableau de ventilation — pièce A-16 —, M. Holm a inséré une colonne intitulée : Revenu net (perte) selon la méthode du rajustement pour inventaire. Avec cette méthode, les chiffres de M. Holm indiquaient des profits de 5 167 $, de 3 556 $ et de 3 634 $ pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998 respectivement. M. Holm a expliqué que la méthode du rajustement facultatif pour inventaire était utilisée pour éviter d'avoir à indiquer des revenus considérables si tout le bétail était vendu une année donnée. Par exemple, si l'appelant avait vendu tout le troupeau en 1996, il aurait eu un revenu d'environ 57 500 $, ce qui aurait donné lieu à un profit important. M. Holm avait établi un document de travail — pièce A-17 — en analysant la possibilité que l'appelant quitte l'emploi qu'il exerçait pour le village de Leoville. De l'avis de M. Holm, il fallait que l'appelant continue à exercer cet emploi, car il avait besoin de ces rentrées d'argent pour payer les frais de l'exploitation agricole. M. Holm a fait référence à la pièce A-9 — soit un état d'ajustements — concernant certaines charges non admises par le ministre. M. Holm a dit qu'il avait déduit 75 p. 100 de la prime d'assurance habitation parce que cela représentait l'utilisation commerciale de l'habitation. Bien que l'appelant n'ait pas tenu de registre en matière d'automobile permettant de distinguer l'utilisation commerciale et l'utilisation personnelle des véhicules, M. Holm avait indiqué deux tiers de tous les frais d'automobile comme se rapportant à l'entreprise. Il avait en outre indiqué 50 p. 100 des frais de téléphone et des frais d'électricité comme se rapportant à l'entreprise, car la maison était très petite, et la principale demande en énergie électrique se rapportait au chauffage des abreuvoirs.

[5] Au cours du contre-interrogatoire, M. Holm a convenu du fait que Revenu Canada avait admis 25 p. 100 de l'assurance habitation comme charge. On a renvoyé M. Holm à la pièce R-6 — soit une analyse du salaire et des pertes agricoles —, qui indiquait qu'il y avait eu une perte effective tous les ans de 1990 à 1998 inclusivement. Pour 1996, la somme de 5 000 $ avait été soustraite du revenu, et la somme de 20 000 $ avait été ajoutée en procédant au rajustement facultatif pour inventaire concernant le bétail. Pour 1997, la somme de 20 000 $ a été prise en compte à nouveau, et la somme de 29 200 $ a été ajoutée. De l'avis de M. Holm, la situation de l'appelant était quelque peu inusitée en ce que l'appelant était en train d'accroître son troupeau. Comme il s'était engagé dans ce processus, la seule façon — de l'avis de M. Holm — dont il aurait pu réaliser un profit pour l'année d'imposition 1996 aurait été de vendre tout son troupeau, ce qui lui aurait donné un revenu important. M. Holm a expliqué que les stocks sont évalués au 31 décembre chaque année et que l'on dispose alors d'une quantité importante de fourrage, qui sera consommée l'année suivante. On avait fourni à la coopérative de crédit de l'information financière basée sur la comptabilité d'exercice, mais les déclarations de revenu ont été produites selon la comptabilité de caisse. D'après la déclaration de revenu pour 1996, l'appelant n'a vendu aucun animal cette année-là, et le revenu provenait de ristournes, d'un remboursement de taxe sur l'essence, d'autres subventions et de certaines prestations d'assurance.

[6] Au cours du réinterrogatoire, M. Holm a dit que — en 1996 — l'appelant avait 66 animaux, dont 26 vaches. Les 39 veaux étaient disponibles pour reproduction l'année suivante, la période de gestation étant d'environ 265 jours.

[7] L'avocat de l'appelant soutenait que les faits cadraient avec l'abondante jurisprudence indiquant que, du point de vue du temps consacré, des capitaux engagés et de la rentabilité, effective et potentielle, l'appelant était un agriculteur de la catégorie 1 établie par le juge Dickson (titre qu'il portait alors) dans l'arrêt Moldowan v. The Queen, 77 DTC 5213, et il était donc en droit de déduire des pertes agricoles intégrales. L'avocat a fait valoir que les critères sont à la fois relatifs et objectifs et qu'il ne s'agit pas d'une simple question de proportion, de sorte que les trois facteurs doivent être pris en compte globalement, sans qu'un poids indu ne soit accordé à un critère particulier. Par exemple, la preuve démontrait que l'appelant avait décidé — en 1996 — de conserver des génisses en vue d'une rentabilité éventuelle. Concernant les dépenses, elles avaient été extrêmement élevées cette année-là parce qu'il avait fallu installer dans un tracteur un moteur reconstitué, soit un coût de plus de 16 000 $. Au cours de l'année 1996, l'appelant avait pris des vaches en pension et avait obtenu pour ses efforts une part accrue de la production de veaux de l'année. Comme l'appelant envisageait de prendre sa retraite depuis 1994, la source de revenu concurrente doit être prise en compte, ainsi que le fait que des stocks d'une valeur considérable s'étaient accumulés au fil des ans entre 1990 et 1998. Pour ce qui est des dépenses non admises, l'avocat soutenait que la preuve corroborait les dépenses supplémentaires et que l'appelant devrait avoir droit aux déductions demandées.

[8] L'avocate de l'intimée faisait remarquer que le ministre avait toujours concédé le point concernant la rentabilité, ainsi que le sérieux de l'appelant du point de vue du temps et de l'énergie qu'il consacrait à son entreprise agricole. L'avocate soutenait toutefois que la preuve ne permettait pas de conclure que l'appelant pourrait considérer l'agriculture comme étant sa principale source de revenu selon la jurisprudence. L'appelant avait été fermier entre 1970 et 1974, puis il a abandonné cette activité au profit d'un emploi à temps plein, y compris l'emploi qu'il a exercé pour le village de Leoville pendant 22 ans. La fraction non amortie du coût en capital à la fin de 1998 s'élevait à 34 000 $ et, même si tout le bétail avait été vendu en 1996, le revenu n'aurait pas dépassé les pertes accumulées jusque-là. L'avocate estimait que la preuve relative à la rentabilité indiquait que le nombre maximal de veaux pouvant être vendu une année donnée générerait — au mieux — un profit d'environ 2 000 $. L'appelant n'avait indiqué aucune déduction pour amortissement pour 1996 et n'avait cette année-là aucune possibilité de profit susceptible de faire de lui un agriculteur de la première catégorie, alors que son revenu d'emploi a été de 26 460 $.

[9] Dans l'affaire The Queen v. Donnelly, (1997) 97 DTC 5499, la Cour d'appel fédérale examinait la situation d'un médecin qui avait acheté une ferme et dont l'entreprise d'élevage de chevaux avait enregistré une suite ininterrompue de pertes pendant 21 ans. Le juge Robertson — écrivant pour la Cour — commençait les motifs de son jugement comme suit :

Même s'il s'est écoulé vingt ans depuis que l'arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, a été rendu, nous continuons d'entendre des appels concernant des contribuables qui gagnent leur revenu à la ville et le perdent à la campagne. Dans le présent appel, le contribuable intimé est un médecin qui a cherché à déduire de son revenu de profession libérale la totalité des pertes agricoles qu'il a subies au cours des années d'imposition 1986, 1987 et 1988. Selon l'arrêt Moldowan, le contribuable doit satisfaire à deux critères pour avoir gain de cause. Il doit démontrer, en premier lieu, que son exploitation agricole avait une “ expectative raisonnable de profit ” et, en second lieu, que l'agriculture est sa “ principale source de revenu ” (communément appelé l'agriculteur “ à temps complet ”). Si le contribuable est incapable de satisfaire au premier critère, il ne peut déduire aucune perte (communément appelé l'agriculteur “ amateur ”). S'il satisfait au premier critère mais pas au second, il peut déclarer une perte agricole restreinte de 5 000 $ (maintenant 8 500 $) par application de l'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu (communément appelé l'agriculteur “ à temps partiel ”).

[10] Aux pages 5500 et suivantes, le juge Robertson poursuivait en disant :

Pour déterminer si l'agriculture est la principale source de revenu d'un contribuable, il faut établir une comparaison favorable entre cette source de revenu et l'autre source de revenu du contribuable sous l'angle des capitaux investis, du temps consacré à chacune et de la rentabilité présente et future. Il s'agit d'un critère à la fois relatif et objectif. Ce n'est pas une simple question de proportion. Ces trois facteurs doivent être soupesés et aucun d'eux n'est décisif. Malgré tout, il ne saurait y avoir de doute que le facteur de la rentabilité est le principal obstacle auquel se heurtent les contribuables qui cherchent à convaincre les tribunaux que l'agriculture est leur principale source de revenu. Il en est ainsi parce que les contribuables ont la charge de prouver que le revenu net qu'ils pourraient raisonnablement s'attendre de tirer de l'agriculture est considérable par rapport à leur autre source de revenu : il s'agit invariablement d'un revenu d'emploi ou de profession libérale. Si la règle de droit était différente, la Cour de l'impôt n'aurait aucun moyen d'établir une comparaison entre les montants relatifs censés être tirés de l'agriculture et de l'autre source de revenu, ainsi que le prévoit l'article 31 de la Loi. J'approfondirai un peu plus loin la question de la mesure dans laquelle le fardeau de preuve pour ce qui est de la rentabilité diffère de celui qui régit l'expectative raisonnable de profit.

En résumé, les capitaux investis, le temps consacré à l'activité et la rentabilité sont les facteurs cumulatifs qui détermineront si l'agriculture sera considérée comme une “ entreprise secondaire ” visée par les dispositions relatives à la perte agricole restreinte. Ces principes directeurs découlent des décisions suivantes : Moldowan (supra), La Reine c. Timpson 93 D.T.C. 5281 (C.A.F.), La Reine c. Poirier 92 D.T.C. 6335 (C.A.F.), Connell c. La Reine 92 D.T.C. 6134 (C.A.F.), La Reine c. Roney 91 D.T.C. 5148 (C.A.F.), La Reine c. Morrissey 89 D.T.C. 5080 (C.A.F.), Gordon c. La Reine 89 D.T.C. 6426 (C.F. 1re inst.), Mott c. La Reine 88 D.T.C. 6359 (C.F. 1re inst.) et Mohl c. La Reine 89 D.T.C. 5237 (C.F. 1re inst.).

Nul doute qu'en l'espèce le contribuable a investi des montants considérables dans l'élevage des chevaux. Ainsi qu'il vient d'être mentionné, le contribuable a subi des pertes de près de deux millions de dollars. Ce facteur joue en sa faveur. Ce sont les deux autres éléments, soit le temps consacré à l'élevage et la rentabilité, qui posent plus de problèmes au contribuable.

En ce qui concerne le temps consacré à l'élevage, je ne suis pas convaincu que le contribuable a modifié son orientation professionnelle en 1980 au point que l'exercice de la médecine est devenu une entreprise secondaire en regard de son entreprise d'élevage. Voici les trois raisons pour lesquelles j'arrive à cette conclusion. Premièrement, la décision du contribuable de délaisser les pur-sang pour investir plutôt dans les trotteurs en 1980 est une décision d'affaires et non une modification de son orientation professionnelle. Depuis l'achat de son premier cheval en 1972, le contribuable a axé ses activités agricoles sur l'achat de chevaux pour en faire l'élevage. Deuxièmement, il ressort de la preuve que l'actuel contrat d'association entre le contribuable et d'autres médecins a été conclu en 1970. Il se peut que le contribuable ait tenté de diminuer sa charge de travail ou de prendre plus de vacances, mais le dossier ne révèle aucun changement notable dans son exercice de la médecine. Au cours des trois années en cause, le contribuable a continué de voir environ 74 patients par semaine à sa clinique [Dossier d'appel, appendice 1, à la p. 197]. En 1988, il a effectué 612 interventions chirurgicales [supra, à la p. 196]. En 1993, le contribuable acceptait encore environ 18 nouveaux patients par semaine [supra, à la p. 201]. Rien ne permet de conclure qu'il se retirait progressivement de la profession médicale. Cette constatation m'amène inexorablement à mon troisième point : le contribuable a reconnu qu'il avait besoin de son revenu provenant de l'exercice de la médecine pour vivre et financer l'achat de nouveaux chevaux et d'autres aspects de ses activités d'élevage [supra, à la p. 216]. Dans ces circonstances, il est difficile de voir comment on peut considérer le contribuable comme un homme ayant modifié son orientation professionnelle. On ne saurait nier que le contribuable consacrait énormément de temps à l'élevage des chevaux, mais ce facteur quantitatif, pris isolément, ne reflète pas fidèlement la réalité, savoir que le contribuable dépendait financièrement de l'exercice de la médecine, qui était son principal gagne-pain.

L'analyse du facteur de la rentabilité permet de dissiper les doutes qui subsistent quant à savoir si la principale source de revenu d'un contribuable est l'agriculture. Il existe une différence entre le genre de preuve qu'un contribuable doit produire concernant la rentabilité en vertu de l'article 31 de la Loi et le genre de preuve applicable à l'expectative raisonnable de profit. Dans ce dernier cas, le contribuable n'a qu'à démontrer qu'il a ou avait une expectative de profit, que ce soit un dollar ou un million de dollars. Il est bien établi en droit fiscal que les termes “ expectative raisonnable de profit ” et “ expectative de bénéfices raisonnables ” ne sont pas synonymes. En ce qui concerne la rentabilité prévue à l'article 31, toutefois, le montant est pertinent parce qu'il permet de comparer un revenu agricole potentiel avec le revenu que le contribuable a effectivement tiré de l'autre occupation. Autrement dit, nous cherchons des éléments de preuve de nature à appuyer une conclusion d'expectative raisonnable de bénéfices “ considérables ” en provenance de l'agriculture.

En l'espèce, il incombait au contribuable de démontrer ce qu'il aurait raisonnablement pu gagner n'eussent été les deux contretemps qui sont à l'origine de la perte, à savoir le décès de M. Rankin et la baisse des prix des chevaux. Je dis cela parce que le juge de la Cour de l'impôt a conclu que sans ces deux contretemps le contribuable aurait tiré la majeure partie de son revenu de l'agriculture au cours des trois années d'imposition en question. Il ne fait aucun doute que la perte de M. Rankin et les modifications qui ont été apportées aux lois fiscales américaines ont eu un effet négatif et inattendu sur l'entreprise, mais le contribuable n'a fourni aucun élément de preuve sur les bénéfices qu'il aurait pu réaliser si ces événements ne s'étaient pas produits ni sur la question de savoir si le montant aurait été jugé considérable par rapport à son revenu de profession libérale. Le contribuable ne pouvait pas se contenter d'affirmer qu'il pourrait avoir réalisé un bénéfice. Il aurait dû fournir assez d'éléments de preuve pour permettre au juge de la Cour de l'impôt d'évaluer à combien ce bénéfice aurait pu s'élever.

[11] Dans l'affaire Hover v. Minister of National Revenue, (1992) 93 DTC 98, l'honorable juge Bowman, de la Cour canadienne de l'impôt, a permis à une personne qui était à la fois agriculteur et dentiste de déduire des pertes agricoles intégrales sur une période de trois ans; aux pages 107 et 108 des motifs de son jugement, le juge Bowman disait :

La Loi ne stipule pas expressément que l'autre source de revenu doit être secondaire ou accessoire. Il semble que, si l'agriculture peut être combinée à une autre source de revenu, avec laquelle elle a ou non un rapport, elle peut tout aussi bien être combinée à un emploi ou à une entreprise important qu'à un emploi ou à une entreprise secondaire. De fait, si l'autre source de revenu n'était que secondaire ou accessoire, elle n'empêcherait pas que l'agriculture soit considérée à elle seule comme la principale source de revenu du contribuable, sans que celle-ci ne soit combinée à quelque autre source secondaire avec laquelle elle n'a aucun rapport.

[12] Dans l'affaire Spengler v. The Queen, 99 DTC 484, l'honorable juge Mogan, de la Cour canadienne de l'impôt, a admis des pertes agricoles intégrales pour les années d'imposition 1990 à 1993 inclusivement dans le cas d'un contribuable qui avait un troupeau de bovins de race limousine qu'il avait constitué au fil des ans tout en exploitant une entreprise de conseils comme superviseur de forage. Dans cette affaire-là, il y avait eu un profit effectif de 303,14 $ pour l'année d'imposition 1996, et la preuve indiquait que la ferme serait rentable lorsque, quatre ou cinq ans plus tard, le troupeau comprendrait 200 animaux, malgré le fait que cette croissance exigerait l'achat de terres supplémentaires. Dans l'affaire Spengler, le contribuable vivait à la ferme, dont il s'absentait environ le tiers du temps relativement à son entreprise dans le domaine du forage. Son épouse était en mesure de faire tout ce qu'il y avait à faire à la ferme. Après avoir fait référence à l'arrêt Donnelly, précité, le juge Mogan disait dans sa conclusion :

Il est dit dans le passage de l'arrêt Donnelly [...] que le critère des capitaux investis, du temps consacré et de la rentabilité est à la fois relatif et objectif, que ce n'est pas une simple question de proportion, que ces trois facteurs doivent être soupesés et qu'aucun d'eux n'est décisif. Les facteurs capitaux investis et temps consacré appuient fortement la cause de l'appelant. Pour ce qui est de la rentabilité, la ferme a perdu de l'argent, mais l'objet de l'article 31 est de permettre la déduction de pertes agricoles dans certaines circonstances. Eu égard au mode de vie de l'appelant et aux trois facteurs dont se compose le critère, je conclus que le revenu de l'appelant pour les années 1990, 1991 et 1992 provenait principalement de l'agriculture ou d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source. Statuer autrement serait permettre que le facteur de la rentabilité l'emporte sur les facteurs capitaux investis et temps consacré.

[13] Dans le présent appel, l'appelant est né et a été élevé dans le district de Leoville. Il a vécu à la ferme toute sa vie et s'était lancé dans l'agriculture dès la fin de ses études secondaires. À cause d'une combinaison de facteurs, il lui a fallu abandonner son activité agricole et il a travaillé comme menuisier jusqu'en 1977, année où il est devenu chef de l'équipe d'entretien du village de Leoville, poste qu'il a occupé pendant les 22 années suivantes. Lorsqu'il est retourné à l'agriculture, soit en 1990, il a acheté une terre située à seulement trois kilomètres du village, de sorte qu'il n'était qu'à quelques minutes de son lieu de travail et qu'il pouvait revenir chez lui durant la pause de midi pour s'occuper des animaux. Il est indubitable que l'appelant n'est pas un contribuable qui gagnait son revenu à la ville et le perdait à la campagne, pour reprendre des termes que le juge Robertson utilisait à la première phrase des motifs du jugement qu'il a rendu dans l'affaire Donnelly, précitée. L'appelant était plutôt quelqu'un qui avait de profondes racines dans cette région et qui avait précédemment acquis de l'expérience en agriculture, y compris dans le domaine de l'élevage de bovins. Le temps consacré à l'activité agricole était considérable et était, comme l'a concédé le ministre, suffisant eu égard à la taille de l'entreprise. Ainsi, il n'était pas nécessaire que l'appelant ait modifié son orientation professionnelle. En fait, l'emploi qu'il exerçait pour le village l'obligeait à quitter la ferme seulement une heure le samedi et le dimanche, pour aller inspecter le bâtiment des pompes au village. L'appelant coordonnait ses congés annuels de manière à pouvoir botteler du foin et de la paille. Le rapport entre son emploi et son exploitation agricole, du point de vue du temps pouvant être consacré à chaque activité, représentait un contexte quasiment idéal. Les capitaux investis dans son entreprise agricole ont été modestes au fil des ans, surtout parce qu'il ne voulait pas emprunter de fonds supplémentaires pour acheter d'autres animaux ou pour acheter des machines neuves — et extrêmement coûteuses. Il avait emprunté un montant correspondant au prix total d'achat de la propriété et n'était pas en mesure d'assurer le service d'une dette supplémentaire, bien que son épouse ait travaillé à temps plein. La thèse du ministre était que l'appelant s'était engagé dans une impasse en limitant son troupeau à 60 animaux — décision nécessaire en raison de la superficie disponible — et que, même une bonne année sans réparations coûteuses ou sans mortalité excessive parmi les veaux, le potentiel de profit — par rapport au revenu d'emploi — n'était pas important. L'avocat de l'appelant a rétorqué que le potentiel de profit pour l'année d'imposition 1996 devrait être considéré dans le contexte d'un revenu de pension modeste d'environ 800 $ par mois que l'appelant savait qu'il recevrait à sa retraite, en 1999, ce qui est tout à fait différent de la situation, plus fréquente, d'un contribuable qui tire de l'exercice d'une profession ou de l'exploitation d'une entreprise un revenu de plus de 100 000 $ pouvant servir à compenser des pertes importantes.

[14] Pour l'année d'imposition 1996, l'appelant a déclaré un revenu brut de 2 808,99 $ et des dépenses de 21 441,63 $, soit une perte nette de 18 632,64 $. Pour les années précédentes, il avait indiqué ce qui suit :

Année d'imposition Revenu brut Perte agricole nette

1990 5 304,95 $ (11 116,37 $)

1991 10 322,56 $ (18 034,34 $)

1992 7 494,09 $ (10 992,04 $)

1993 15 545,06 $ (20 335,92 $)

1994 29 205,97 $ (12 555,41 $)

1995 19 284,54 $ (13 682,87 $)

[15] Pour l'année d'imposition 1997, l'appelant a eu un revenu d'agriculture brut de 11 738 $ et des dépenses totalisant 41 099 $. Pour l'année d'imposition 1998, il a vendu des animaux qu'il avait depuis leur naissance, ce qui lui a rapporté 34 298 $, mais il a eu des dépenses de 43 134 $. Sa situation a également été modifiée par l'achat de wapitis, soit des femelles, qui lui ont coûté 90 000 $, et il a payé d'autres frais liés à l'achat de ces animaux et liés à certains ajustements faits à la clôture entourant la propriété. La preuve indique que, sans l'incorporation de wapitis au troupeau, le revenu provenant de la vente de vaches dépassait d'environ 2 693 $ les dépenses de 33 429 $ attribuables à ces animaux, d'où un léger profit, mais un profit s'inscrivant dans le contexte d'un revenu d'emploi modeste de 26 460 $. Il est habituellement utile d'examiner les profits et/ou pertes pour les années antérieures à celles qui sont en cause dans un appel et d'avoir, dans la mesure du possible, des éléments de preuve concernant les années d'exploitation postérieures à celles qui sont visées par le ministre dans une nouvelle cotisation. Du fait que l'appelant a choisi de se lancer dans l'élevage de wapitis, la situation est moins claire et, aux fins de la détermination de la rentabilité, effective ou potentielle, il ne convient pas que l'on joue avec la méthodologie, que l'on privilégie certaines dépenses ou certains achats ou que l'on présente des déclarations de revenu selon la comptabilité de caisse tout en faisant valoir l'existence d'une rentabilité selon la comptabilité d'exercice. Compte tenu des taux habituels de fécondité et de mortalité, on pourrait raisonnablement s'attendre qu'un troupeau de 60 vaches produise 52 veaux par année. Certaines génisses seront conservées pour la reproduction, et certaines vaches — après l'âge de la reproduction — seront vendues. Un veau se vend en moyenne environ 500 $, une vache se vend le double, et un taureau peut se vendre 1 200 $. Manifestement, le revenu brut — sans diminution du troupeau de base — ne va pas dépasser 30 000 $ par année, pourvu qu'il n'y ait aucune dépense exceptionnelle. Les dépenses engagées de 1992 à 1996 ont été les suivantes :

1992 - 28 486,13 $

1993 - 48 380,98 $

1994 - 46 761,38 $

1995 - 37 967,41 $

1996 - 41 441,63 $ (sans aucune DPA)

[16] La capacité de l'appelant de réaliser un modeste profit en 1996 — sans tenir compte pour l'instant des réparations coûteuses faites au tracteur — était inexistante, car l'appelant avait choisi de ne pas vendre d'animaux. Cette décision doit être examinée dans le contexte du plan global de l'appelant de conserver ses génisses pour la constitution d'un troupeau de base viable pouvant représenter une source de revenu suffisante pour que l'appelant soit considéré comme un agriculteur à temps complet. Aucun profit n'a été généré en 1997, et l'année 1998 a été dominée par l'achat de wapitis dans le cadre de la même exploitation agricole, ce qui a donné lieu à encore plus de dépenses et à une perte accrue. Il semble que l'appelant ait déterminé que les bovins n'étaient pas susceptibles d'assurer des revenus suffisants pour payer les frais de l'exploitation agricole et que l'appelant ait décidé de réaliser un rêve qu'il avait déjà eu, soit élever des wapitis dans un but lucratif. En excluant pour l'instant — à des fins de démonstration — l'impact de l'achat de wapitis sur le profit pour 1998, le profit maximum qui aurait pu être réalisé strictement grâce aux bovins aurait été d'environ 2 700 $. Cette année-là, le revenu d'emploi de l'appelant a été presque 10 fois plus élevé que cela. Si les décisions prises en 1996 pouvaient être considérées comme raisonnablement susceptibles de donner lieu à une possibilité de profit pour les années ultérieures, on pourrait soutenir que le montant du profit futur serait alors comparé au revenu actuel de l'appelant provenant d'une modeste pension et que, globalement, ce profit pourrait davantage être assimilé à une source principale de revenu. Cependant, les pertes subies depuis 1990 ne peuvent être passées sous silence, et il faut une preuve forte que, objectivement, il serait possible d'interrompre le cycle et de s'attendre à un profit important non seulement par rapport au modeste revenu de pension, mais également par rapport au revenu d'emploi — que l'appelant a continué de recevoir jusqu'au 1er septembre 1999. Sinon, une personne ayant un revenu important pourrait déduire des pertes agricoles massives sur plusieurs années pour le motif que ces dépenses élevées ont été engagées en vue de produire un profit qui, bien que faible par rapport à ce qu'il en a coûté globalement, semble maintenant assez bon comparativement à d'autres sources parce que le contribuable a cessé l'activité qui avait donné lieu aux revenus importants. En fait, ce serait non pas en augmentant le revenu d'agriculture, mais plutôt en réduisant — de façon disproportionnée — le revenu non agricole que l'on rétrécirait le fossé entre le revenu d'agriculture et le revenu non agricole. C'est différent du cas d'une personne qui a été un agriculteur toute sa vie et qui gagne soudainement à la loterie. Malgré le fait que les intérêts considérables générés par la suite dépasseraient de loin le revenu d'agriculture, cette personne ne cesserait pas d'être considérée comme un agriculteur à temps plein (voir l'arrêt Moldowan, précité, à la p. 5215). Le revenu réduit de l'appelant en 1999 pourrait aider l'appelant dans un litige relatif à de futures cotisations pour des années d'imposition postérieures à celle qui est en cause dans le présent appel, mais, pour ce qui est de l'année d'imposition 1996, je n'accorde pas plus de poids à cela que ce qui a été mentionné précédemment.

[17] Dans l'affaire The Queen v. Morrissey, 89 DTC 5080, la Cour d'appel fédérale était saisie de l'appel d'un contribuable qui cherchait à déduire toutes ses pertes agricoles de son revenu autre. À la page 5084 des motifs de son jugement, le juge Mahoney disait :

Selon une bonne application du test proposé dans l'arrêt Moldowan, lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, on considère improbable la rentabilité de l'entreprise agricole en dépit du temps et des capitaux que le contribuable peut et veut bien lui consacrer, la conclusion à tirer selon le fardeau de la preuve en matière civile doit être que l'agriculture n'est pas une source principale de revenu pour l'agriculteur en question. Pour constituer un revenu dans le contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu, ce qui est reçu doit être de l'argent ou quelque chose de convertible en argent. Sans rentabilité réelle ou possible, l'agriculture ne peut être une source principale du revenu du contribuable même si la concession qu'il s'adonnait à l'agriculture avec une expectative raisonnable de profit équivaut à une concession que la preuve peut ne pas confirmer, à savoir que l'agriculture constitue au moins une source de revenu pour le contribuable.

[18] À mon sens, les arrêts Morrissey et Donnelly, précités, indiquent que la question des proportions compte. Bien qu'il importe que la Cour ait suffisamment d'éléments de preuve pour estimer le montant du profit potentiel, les faits doivent être analysés rationnellement sans exclure les hauts et les bas ordinaires du cycle normal des affaires. La possibilité de profit ne peut être basée sur un scénario idéal dans lequel aucun animal ne meurt, le vieux moteur du tracteur n'a jamais de ratés, la presse à fourrage marche à la perfection, la pompe fonctionne sans discontinuer et le prix des veaux augmente chaque jour. Malheureusement, les plus grands efforts déployés par une personne dans le cadre d'un modeste engagement de capitaux ne sont parfois pas suffisants pour satisfaire au critère établi par la jurisprudence, en raison de divers degrés d'influence de facteurs externes conjugués avec la taille restreinte de l'entreprise elle-même. Contrairement à bien des contribuables en cause dans des affaires de ce type, l'appelant n'était assurément pas un agriculteur amateur et était bien pourvu — du point de vue des compétences personnelles — pour s'acquitter de la tâche à accomplir. Cela dit, après avoir examiné tous les éléments de preuve et avoir pris en compte les observations habiles de l'avocat, je ne peux conclure que le ministre a eu tort de limiter les pertes agricoles de l'appelant pour l'année d'imposition 1996 en vertu du paragraphe 31(1) de la Loi. De plus, je ne suis pas convaincu que le ministre a eu tort de ne pas admettre certaines dépenses en cause dans le présent appel, comme cela a été indiqué précédemment, et la preuve ne me convainc pas que j'aurais apporté un rajustement à cet égard même si j'avais décidé d'admettre des pertes agricoles intégrales.

[19] L'appel est rejeté.

Signé à Toronto (Ontario), ce 26e jour d'octobre 1999.

“ D. W. Rowe ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de juillet 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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