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Date : 20141121


Dossier : A-202-14

Référence : 2014 CAF 271

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

ENTRE :

 

LA NATION INNUE, PROTE POKER, JEREMY ANDREW, AGATHE RICH, NORA MISTENAPEO, MARIE AGATHE RICHE, CLARENCE NUI, PETER PASTEEN, EDWARD PIWAS

 

appelants

 

et

 

SIMON POKUE

 

intimé

 

Audience tenue à St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 3 novembre 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

 


Date : 20141121

Dossier : A-202-14

Référence : 2014 CAF 271

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

LA NATION INNUE, PROTE POKER, JEREMY ANDREW, AGATHE RICH, NORA MISTENAPEO, MARIE AGATHE RICHE, CLARENCE NUI, PETER PASTEEN, EDWARD PIWAS

appelants

et

SIMON POKUE

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               La Nation innue, appelante, est une entreprise sans but lucratif constituée sous le régime de la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes, L.R.C. 1970, ch. C-32. En septembre 2012, elle a tenu une élection en vue d’élire son conseil d’administration, y compris son président et son vice-président. Le président et le vice-président sont également appelés grand chef et grand chef adjoint de la Nation innue. Les deux premiers appelants désignés individuellement ont été élus, respectivement, à titre de grand chef et de grand chef adjoint. Les autres appelants ont été élus à titre d’administrateurs de la Nation innue.

[2]               Simon Pokue, l’intimé, n’a pas été élu. Il a ensuite présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale [traduction] « à l’égard de l’élection générale tenue par la Nation innue ».

[3]               Les appelants ont intenté une requête en annulation de la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente.

[4]               Le juge de la Cour fédérale a rejeté la requête, 2014 CF 325, [2014] A.C.F. no 360, au motif que la Nation innue, en tenant son élection de 2012, a agi à titre d’office fédéral. Il s’ensuit que la Cour fédérale avait compétence pour examiner la demande de contrôle judiciaire.

[5]               La Cour est saisie d’un appel de la décision de la Cour fédérale. Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la Cour fédérale a commis une erreur de droit dans sa formulation et son application du critère applicable pour répondre à la question de compétence. Par conséquent, j’accueillerais l’appel et je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

I.                   Loi applicable

[6]               Sous réserve de certaines exceptions qui ne s’appliquent pas en l’espèce, les paragraphes 18(1) et (3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, donnent compétence exclusive, en première instance, à la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire à l’égard de « tout office fédéral ».

[7]               L’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales définit le terme « office fédéral » de la façon suivante : « Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale ». Là encore, cette définition est assujettie à certaines exceptions restreintes qui ne s’appliquent pas en l’espèce.

[8]               Ces dispositions sont énoncées intégralement dans l’annexe jointe aux motifs.

II.                La question

[9]               Bien que les appelants soulèvent un certain nombre de questions, à mon sens, une seule est déterminante : la Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la Nation innue, en tenant son élection de 2012, a agi à titre d’office fédéral?

III.             La norme de contrôle

[10]           Les parties conviennent que le juge était tenu de formuler et d’appliquer le critère applicable pour déterminer si une entité est un office fédéral. Je suis d’accord. Cela est conforme à l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8.

IV.             Application de la norme de contrôle

[11]           L’arrêt de principe portant sur l’interprétation qu’il convient de donner à la définition d’office fédéral est l’arrêt Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52, 400 N.R. 137, de notre Cour. Au paragraphe 29 de ses motifs, le juge Nadon, s’exprimant au nom de la Cour, a indiqué qu’il faut procéder à une « analyse en deux étapes » pour déterminer si une entité constitue un office fédéral. La première étape consiste à déterminer la nature de la compétence ou du pouvoir exercé. La deuxième étape consiste à déterminer la source ou l’origine de la compétence ou du pouvoir exercé.

[12]           Au paragraphe 30, le juge Nadon a cité avec approbation D.J.M. Brown et J.M. Evans, au paragraphe 2:4310 de leur ouvrage intitulé « Judicial Review of Administrative Action in Canada », volume 1, édition sur feuilles mobiles (Toronto, Canvasback Publishing, 1998). Il a indiqué que le premier facteur déterminant quant à savoir si un office fait partie de la définition d’un office fédéral est la source de la compétence de l’office. Le premier facteur déterminant n’est pas la nature du pouvoir exercé ou de l’entité exerçant le pouvoir.

[13]           Rien dans l’arrêt Air Canada c. Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, [2013] 3 R.C.F. 605, du juge Stratas, ne déroge de cette analyse du droit. C’est ce que démontre le paragraphe 47 de ses motifs, où il cite l’arrêt Anisman pour affirmer qu’il est nécessaire d’« examiner la compétence ou le pouvoir particulier exercé dans un cas particulier et la source de cette compétence ou pouvoir ».

[14]           Les faits dans l’arrêt Administration portuaire de Toronto sont nettement différents de ceux de l’espèce : toutes les parties ont accepté que les mesures en cause de l’administration portuaire aient pour source le droit fédéral. Il s’agissait de savoir si l’administration portuaire avait pris une mesure de nature privée ou avait exercé un pouvoir de nature privée.

[15]           Ayant énoncé le bon critère, je me penche maintenant sur la décision de la Cour fédérale.

[16]           D’abord, je remarque que la Cour fédérale n’a fait aucun renvoi à l’arrêt Anisman de notre Cour. S’appuyant sur l’arrêt Administration portuaire de Toronto, elle a affirmé que « le fait qu’une mesure soit ou non susceptible de contrôle judiciaire dépend principalement de la question de savoir si le pouvoir exercé est de nature publique, et non de celle de savoir si l’acteur qui l’exerce est lui‑même public du point de vue technique » (motifs, au paragraphe 17). La Cour fédérale a poursuivi en indiquant que « la question de droit à trancher en l’espèce est de savoir si l’élection de la Nation innue est de nature publique et est donc susceptible de contrôle judiciaire » (motifs, au paragraphe 19). La Cour a ensuite appliqué ce critère à la preuve dont elle disposait.

[17]           À mon humble avis, dans ces passages, la Cour fédérale a mal formulé les questions auxquelles il convenait de répondre. Les questions qu’il convenait de trancher étaient les suivantes : premièrement, quelle compétence ou quel pouvoir a été exercé? ; et, deuxièmement, quelle était la source de cette compétence ou de ce pouvoir?

[18]           La réponse à la première question est la tenue d’une élection par la Nation innue de son conseil d’administration.

[19]           La réponse à la deuxième question est que la Nation innue a le pouvoir de tenir une élection en vertu de l’article 3 de son règlement administratif no 1 (modifié par le règlement administratif no 2). Comme le reconnaît à juste titre la Cour fédérale, la Nation innue ne tient pas ses pouvoirs en matière d’élection d’une prérogative ou d’une loi fédérale (motifs, au paragraphe 20). Il s’ensuit que, en tenant l’élection de ses administrateurs en 2012, la Nation innue n’a pas exercé des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale. Par conséquent, elle n’agissait pas à titre d’office fédéral, et la Cour fédérale n’avait pas compétence pour examiner la demande de contrôle judiciaire.

[20]           L’intimé fait valoir qu’en tenant son élection, la Nation innue a agi à titre de conseil de bande et [traduction] « avait l’intention » d’exercer sa compétence ou son pouvoir prévu par une loi fédérale.

[21]           Cette observation n’a aucun fondement. La Cour fédérale n’a pas conclu qu’en tenant son élection, la Nation innue avait l’intention d’agir en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, ou en vertu de sa propre coutume; pareille conclusion ne pourrait non plus être tirée sur le fondement du dossier de preuve. L’exercice général par la Nation innue de pouvoirs non liés à l’élection n’a rien à voir avec l’analyse prescrite par la définition d’un office fédéral et par l’arrêt Anisman de notre Cour.

V.                Conclusion

[22]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel et j’annulerais l’ordonnance de la Cour fédérale avec dépens en faveur des appelants tant devant notre Cour que devant la Cour fédérale. Rendant le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire au motif qu’en tenant son élection de 2012, la Nation innue n’agissait pas ni n’avait l’intention d’agir à titre d’office fédéral.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

A.F. Scott, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


ANNEXE

L’article 2 et les paragraphes 18(1) et (3) de la Loi sur les Cours fédérales disposent :

2. « office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

2. “federal board, commission or other tribunal” means any body, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than the Tax Court of Canada or any of its judges, any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867;

 

[. . .]

 

[…]

 

18. (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

 

18. (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

 

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

 

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and

 

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

 

(b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal.

 

[. . .]

 

[…]

 

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

(3) The remedies provided for in subsections (1) and (2) may be obtained only on an application for judicial review made under section 18.1.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-202-14

 

 

INTITULÉ :

LA NATION INNUE, PROTE POKER, JEREMY ANDREW, AGATHE RICH, NORA MISTENAPEO, MARIE AGATHE RICHE, CLARENCE NUI, PETER PASTEEN, EDWARD PIWAS c. SIMON POKUE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

St. John’s (TERRE‑NEUVE‑ET-LabradoR)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 NOVEMBRE 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 NOVEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Margaret (Maggie) E. Wente

 

POUR LES Appelants

 

Michael Cabot

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Olthuis Kleer Townshend LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES Appelants

 

Gittens and Associates

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

POUR L’INTIMÉ

 

 

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