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Date : 20140930


Dossier : A-135-14

Référence : 2014 CAF 216

CORAM :

LA JUGE EN CHEF PAR INTÉRIM DAWSON

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

LARRY PETER KLIPPENSTEIN

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 16 septembre 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE EN CHEF PAR INTÉRIM DAWSON

LA JUGE SHARLOW

 

 


Date : 20140930


Dossier : A-135-14

Référence : 2014 CAF 216

CORAM :

LA JUGE EN CHEF PAR INTÉRIM DAWSON

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

LARRY PETER KLIPPENSTEIN

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NEAR

I.                   Introduction

[1]               Larry Peter Klippenstein interjette appel de l'ordonnance du 25 février 2014 de la Cour fédérale (2014 CF 174, [2014] A.C.F. no 219 (QL)), par laquelle le juge Boivin a rejeté l'appel qu'il avait interjeté à l'encontre de l'ordonnance rendue le 8 juillet 2013 par le protonotaire Lafrenière.

[2]               À la suite d'une requête présentée par l'intimée en vertu du paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, le protonotaire Lafrenière avait ordonné la radiation de la déclaration de l'appelant, sans autorisation de la modifier, au motif qu'elle ne révélait aucune cause d'action valable et constituait un abus de procédure.

II.                Les faits

[3]               Les faits de la présente affaire sont nombreux. Le juge Boivin a exposé les faits pertinents aux paragraphes 3 à 16 de ses motifs. Par souci de commodité, je les reproduis ici :

[3]        Le 20 septembre 2012, Larry Peter Klippenstein (le demandeur) a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne de ne pas entendre sa plainte (no du dossier de la Cour T 1744 12).

[4]        Le 3 octobre 2012, le demandeur a tenté de présenter en preuve des affidavits n'avaient [sic] pas été faits sous serment. Le demandeur a refusé de prêter serment sur la Bible qui a été fournie par le greffe de la Cour à Winnipeg parce que ce n'était pas une Bible [TRADUCTION] « pure ». Il a déclaré qu'il aurait des problèmes de conscience s'il agissait autrement étant donné qu'il était de confession mennonite. Le greffe a demandé à la Cour des directives en ce qui concerne la preuve constituée d'affidavits qui n'ont pas été faits sous serment.

[5]        Le 5 octobre 2012, la juge Gleason de la Cour a donné des directives dans lesquelles elle ordonnait au demandeur, conformément aux articles 363 et 80 des Règles des Cours fédérales, DORS/98 106 (les Règles) et à l'article 15 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C 5, d'avoir accès à une Bible « pure » et de prêter serment sur celle-ci ou de faire une affirmation solennelle pour assurer la véracité de son affidavit.

[6]        Le demandeur a tenté d'interjeter appel de ces directives directement devant la Cour suprême du Canada. L'appel a été rejeté par le greffier.

[7]        Le 11 avril 2013, le juge en chef Crampton de la Cour a délivré un avis d'examen de l'état de l'instance demandant au demandeur de présenter des observations expliquant pourquoi sa demande ne devrait pas être rejetée pour cause de retard. Le demandeur n'a pas formulé d'observations au sujet du retard.

[8]        Le 30 avril 2013, le juge Manson de la Cour a rendu une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire pour cause de retard.

[9]        Le 6 mai 2013, le demandeur a envoyé une lettre à la Cour pour expliquer qu'il n'avait jamais reçu l'avis d'examen de l'état de l'instance.

[10]      Le 8 mai 2013, le juge Manson de la Cour a donné des directives enjoignant au demandeur de présenter une requête en vertu de l'article 399 des Règles pour faire annuler l'ordonnance du 30 avril 2013 ou d'interjeter appel de l'ordonnance à la Cour d'appel fédérale. Le demandeur n'a pas donné suite à ces directives et le juge Manson a rendu une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire dans l'instance T 1744 12.

[11]      Le 16 mai 2013, le demandeur a déposé une déclaration visant l'introduction d'une action contre la Couronne et l'ouverture du présent dossier (no du dossier de la Cour T 874 13). Dans sa déclaration, il demandait, entre autres, une ordonnance déclarant le greffe de la Cour fédérale à Winnipeg coupable d'outrage au tribunal, une ordonnance enjoignant à une [TRADUCTION] « cour qui a compétence » d'entendre sa demande et une ordonnance provisoire lui donnant les moyens de faire une affirmation solennelle ou de prêter serment à l'égard de sa preuve par affidavit sans troubler sa conscience et prévoyant l'adjudication de dépens.

[12]      Le 23 mai 2013, le plaignant a demandé l'autorisation d'interjeter appel de l'ordonnance, rendue le 30 avril 2013 dans l'instance T 1744 12, directement devant la Cour suprême du Canada. Après avoir d'abord rejeté la demande, le greffe de la Cour suprême du Canada l'a ensuite acceptée même si cela semblait prématuré.

[13]      Le 17 juin 2013, la défenderesse a déposé une requête pour faire radier la déclaration du demandeur dans l'instance T 874 13 conformément au paragraphe 221(1).

[14]      Le 8 juillet 2013, le protonotaire Lafrenière de la Cour a rendu une ordonnance par laquelle il radiait la déclaration du demandeur dans l'instance T 874 13 sans autorisation de la modifier et adjugeait des dépens de 300 $ à la défenderesse (ordonnance du protonotaire dans le dossier de requête, à la page 50).

[15]      Le 15 juillet 2013, le demandeur a interjeté appel de l'ordonnance auprès de la Cour.

[16]      Le 17 octobre 2013, la Cour suprême du Canada a rejeté l'appel de l'ordonnance de la Cour datée du 30 avril 2013 dans l'instance T 1744 12.

[4]               Le 25 février 2014, le juge Boivin a rejeté l'appel interjeté par M. Klippenstein de l'ordonnance du protonotaire Lafrenière.

[5]               Le juge Boivin a examiné de novo la requête en radiation de la déclaration de l'appelant. Il a estimé que la décision du protonotaire tranchait une question essentielle pour l'issue de l'affaire et devait donc être examinée de novo.

[6]               Le juge Boivin a estimé que le protonotaire n'avait pas commis d'erreur en radiant la déclaration de l'appelant. Pour arriver à cette conclusion, il s'est demandé s'il était « évident et manifeste » que la déclaration ne révélait aucune demande raisonnable (citant l'arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959). Le juge Boivin a estimé que la déclaration était très vague, qu'elle ne révélait aucun fait pertinent et qu'elle ne mentionnait aucune cause d'action. Le juge Boivin a également conclu que la déclaration constituait un abus de procédure parce que les prétentions que le demandeur y formulait étaient presque identiques à celles relatives à l'instance T‑1744‑12.

[7]               Le 6 mars 2014, M. Klippenstein a déposé à la Cour un avis d'appel de la décision du juge Boivin en vertu de l'article 27 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F‑7.

III.             La norme de contrôle

[8]               Notre Cour ne peut intervenir dans le contrôle effectué par un juge de la Cour fédérale d'une décision discrétionnaire d'un protonotaire que si le juge n'avait aucun motif de modifier la décision du protonotaire ou, advenant l'existence d'un tel motif, si la décision rendue par le juge était mal fondée ou manifestement erronée (Apotex Inc. c. Bristol‑Myers Squibb Company, 2011 CAF 34, au paragraphe 7, citant l'arrêt Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459, au paragraphe 20, et l'arrêt Z.I. Pompey Industrie c. ECU‑Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 R.C.S. 450, au paragraphe 18).

[9]               Dans l'arrêt Saint‑Brieux (Ville) c. Saskatchewan Watershed Authority, 2012 CAF 169, le juge Stratas a expliqué (au paragraphe 3) que cette norme exige que l'appelant démontre que la Cour fédérale a commis une erreur fondamentale.

IV.             Analyse

[10]           Le principal argument de M. Klippenstein est que la directive donnée le 5 octobre 2012 par la juge Gleason contrevenait à ses valeurs religieuses et ne lui proposait aucun moyen de déposer des documents devant la Cour. Dans sa directive, la juge Gleason a proposé à M. Klippenstein de faire une affirmation solennelle comme moyen de déposer un affidavit.

[11]           Pour des raisons d'ordre religieux, M. Klippenstein est incapable de prêter serment sur la Bible fournie par la Cour fédérale ou la Cour d'appel fédérale. M. Klippenstein affirme qu'il a été incapable de trouver dans la province du Manitoba une version de la Bible qu'il estime appropriée pour souscrire un affidavit.

[12]           Monsieur Klippenstein est disposé à souscrire un affidavit à condition que le mode utilisé n'ait aucune connotation religieuse. Toutefois, suivant sa conception des choses, le seul moyen acceptable serait de faire une « déclaration ». M. Klippenstein croit qu'une « affirmation » n'est pas acceptable, étant donné qu'il considère que le terme « affirmation » dans ce contexte comporte une connotation religieuse.

[13]           À mon avis, M. Klippenstein méconnait le sens du mot « affirmation » et, dans une large mesure, toute la présente affaire repose sur ce malheureux malentendu.

[14]           Suivant le paragraphe 80(1) des Règles des Cours fédérales, les affidavits sont établis selon la formule 80A, qui précise que les affidavits peuvent être établis sous forme de déclaration sous serment ou d'affirmation solennelle. Les règles n'exigent pas que l'affirmation solennelle soit faite sur un livre saint. Voir également le paragraphe 15(1) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑5, dans le même sens. À mon avis, M. Klippenstein se trompe tout simplement sur le sens du mot « affirmation » dans le contexte des Règles des Cours fédérales.

[15]           Dans le contexte des Règles des Cours fédérales, le mot « affirmation » vise une méthode de souscrire un affidavit qui n'a aucune connotation religieuse. M. Klippenstein n'a donc aucune raison de refuser de fournir à la Cour les documents nécessaires à l'appui de l'action qu'il a introduite.

[16]           Monsieur Klippenstein affirme également que le protonotaire n'avait pas compétence pour entendre la requête en radiation de sa déclaration, citant à l'appui le paragraphe 30(1) des Règles des Cours fédérales. M. Klippenstein soutient que la disposition de l'alinéa 30(1)b) qui permet à un juge ou à un protonotaire ne siégeant pas en Cour de juger une requête présentée en vertu de l'article 369 des Règles (requête écrite) dépend de l'alinéa 30(1)a), qui exige le consentement de toutes les parties. M. Klippenstein soutient que, comme il n'a pas consenti à ce que la requête ne soit pas examinée en audience publique, le protonotaire n'avait pas compétence.

[17]           Je rejette cet argument. Il ressort d'une simple lecture du paragraphe 30(1) des Règles que l'alinéa 30(1)b), qui permet aux protonotaires de juger une requête écrite, ne dépend pas de l'alinéa 30(1)a), comme le démontre à l'évidence la présence de l'expression « selon le cas » devant l'alinéa a), au paragraphe 30(1). De plus, l'article 221 des Règles des Cours fédérales permet à la Cour de radier une déclaration. Or, les protonotaires sont assimilés à « la Cour » selon l'article 2 des Règles des Cours fédérales.

[18]           En tout état de cause, tout problème qu'aurait pu soulever l'examen de la question par le protonotaire — une hypothèse que j'écarte — a de toute façon été résolu, compte tenu du fait que le juge des requêtes a procédé à juste titre à un examen de novo de la décision du protonotaire. À mon avis, le juge des requêtes a appliqué les bons principes de droit et a bien compris le contexte factuel pour conclure que la déclaration ne révélait aucune cause d'action valable. Je conclus que M. Klippenstein n'a pas démontré que le juge des requêtes avait commis une erreur à cet égard et encore moins une erreur qu'on pourrait qualifier d'erreur fondamentale justifiant l'intervention de notre Cour selon la norme de contrôle applicable au présent appel.

[19]           Monsieur Klippenstein a cité de la jurisprudence appuyant son opinion que le juge des requêtes siégeant seul ne peut radier la déclaration et qu'une formation de trois juges est nécessaire pour ce faire (Canada (Procureur général) c. Courchene, 2010 MBCA 4, [2010] M.J. no 1 (QL); British Aviation Insurance Group c. Coseco Insurance Co., 2010 MBCA 56, [2010] M.J. no 167 (QL)). Ces décisions ne sont d'aucun secours pour M. Klippenstein, étant donné qu'elles visent des situations dans lesquelles un juge d'appel siège seul et est appelé à décider si un appel devrait être rejeté, contrairement à la présente situation dans laquelle un juge de la Cour fédérale siège en appel d'une ordonnance d'un protonotaire comme le prévoient les Règles des Cours fédérales.

[20]           Enfin, lors des débats, M. Klippenstein a fait valoir que notre Cour devrait autoriser l'appel de la présente affaire devant la Cour suprême du Canada. L'article 37.1 de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, ch. S‑26, dispose :

37.1 Sous réserve des articles 39 et 42, il peut être interjeté appel devant la Cour, avec l'autorisation de la Cour d'appel fédérale, d'un jugement définitif rendu par cette dernière lorsqu'elle estime que la question en jeu devrait être soumise à la Cour.

37.1 Subject to sections 39 and 42, an appeal to the Court lies with leave of the Federal Court of Appeal from a final judgment of the Federal Court of Appeal where, in its opinion, the question involved in the appeal is one that ought to be submitted to the Court for decision.

L'autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada ne devrait être accordée en vertu de l'article 37.1 que dans des situations exceptionnelles. Cette disposition ne devrait être utilisée que lorsque la question revêt une importance cruciale pour le système judiciaire et qu'il est clair que la question en jeu « devrait être soumise à la Cour ». De plus, le paragraphe 42(1) de la Loi sur la Cour suprême prévoit que l'autorisation ne peut pas être accordée lorsqu'il s'agit de l'appel d'un jugement ou d'une ordonnance rendu dans l'exercice d'un pouvoir judiciaire discrétionnaire, sauf dans des circonstances exceptionnelles qui ne s'appliquent pas en l'espèce. La décision qui nous intéresse en l'espèce, en l'occurrence la radiation d'une déclaration, constitue à mon avis une « ordonnance rendu[e] dans l'exercice d'un pouvoir judiciaire discrétionnaire ». Notre Cour ne peut donc pas accorder l'autorisation d'interjeter appel à la Cour suprême du Canada. Toutefois, si j'ai tort en tirant cette conclusion, j'estime que la question soulevée dans la présente affaire ne revêt pas une importance cruciale pour le système judiciaire et je refuserais donc de toute façon d'accorder l'autorisation demandée.

V.                Dispositif

[21]           Pour ces motifs, l'appel est rejeté avec dépens, lesquels sont fixés à 100 $. La demande présentée à notre Cour en vue d'obtenir l'autorisation d'interjeter appel à la Cour suprême du Canada est refusée.

« David G. Near »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

Eleanor R. Dawson, juge en chef par intérim »

« Je suis d'accord.

Karen Sharlow, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE LE 25 FÉVRIER 2014 PAR LE JUGE BOIVIN (2014 CF 174)

DOSSIER :

A-135-14

 

INTITULÉ :

LARRY PETER KLIPPENSTEIN c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 septembre 2014

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE EN CHEF PAR INTÉRIM DAWSON

LA JUGE SHARLOW

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 septembre 2014

 

 

COMPARUTIONS :

Larry Peter Klippenstein

 

Pour l'appelant

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Brendan Friesen

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l'intimée

 

 

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