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Date : 20140725


Dossier : A-197-13

Référence : 2014 CAF 185

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BLAIS

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

 

PLANIFICATION-ORGANISATION-PUBLICATIONS SYSTÈMES (POPS) LTÉE

et

ELIZABETH POSADA

 

appelantes

 

et

 

9054-8181 QUÉBEC INC.

et

PHILIPPE CHAPUIS

et

BENOÎT BAZOGE

 

intimés

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 18 mars 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF BLAIS

LE JUGE MAINVILLE

 


Date : 20140725


Dossier : A-197-13

Référence : 2014 CAF 185

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BLAIS

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

 

PLANIFICATION-ORGANISATION-PUBLICATIONS SYSTÈMES (POPS) LTÉE

et

ELIZABETH POSADA

 

appelantes

 

et

 

9054-8181 QUÉBEC INC.

et

PHILIPPE CHAPUIS

et

BENOÎT BAZOGE

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

[1]               La Cour est saisie de l’appel du jugement du juge en chef Crampton de la Cour fédérale (le juge), daté du 25 avril 2013 et modifié le 17 juin 2013 (2013 CF 427) rejetant l’action en dommages et intérêts de PLANIFICATION-ORGANISATION-PUBLICATIONS SYSTÈMES (POPS) LTÉE (POPS) et d’Elizabeth Posada pour violation de leurs droits d’auteurs sur divers logiciels décrits plus amplement ci-après (paragraphe 13) et nommés Ceres, Omega, Epsilon et Comex.

[2]               POPS et Elizabeth Posada (les appelantes) attaquent la majorité des conclusions du juge et tout particulièrement les modifications apportées aux motifs du jugement faites le 17 juin 2013 à la suite d’une requête des appelantes en vertu du paragraphe 397(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).

[3]               Entre autres choses, selon les appelantes, le juge a accordé à 9054-8181 Québec Inc. (IDP) une licence qui va bien au-delà de ce qui avait été demandé dans la défense et demande reconventionnelle ré-ré-amendée des intimés datée du 11 janvier 2013.

[4]               Pour les motifs qui suivent, je propose de rejeter l’appel sauf quant à la portée de la licence d’IDP, puisque selon moi, le jugement accorde en effet une licence plus étendue que celle demandée par IDP.

I.                   FAITS

[5]               Les faits de cette affaire sont complexes et plusieurs étaient controversés. Le juge les expose en détail dans ses motifs amendés (les motifs). Selon moi, il est suffisant aux fins de l’appel de souligner les faits suivants (certains de ceux-ci n’étaient pas controversés alors que d’autres durent être tranchés par le juge sur la base d’éléments de preuve contradictoires).

[6]               Comme le juge le signale au paragraphe 1 de ses motifs, l’action « découle d’un malentendu apparent qui a eu un triste aboutissement pour les trois personnes » impliquées, soit Elizabeth Posada, Philippe Chapuis et Benoît Bazoge « qui étaient autrefois des amis très proches ». 

[7]               Vers 1984, Elizabeth Posada, qui était alors étudiante, a développé un logiciel de simulation permettant aux utilisateurs, généralement des étudiants universitaires ou des dirigeants d’entreprises, de modifier certains intrants pour produire des rapports ou extrants liés à l’inventaire, à la commercialisation, aux ventes, aux données financières et à la production. Ceci leur permettait d’apprendre divers concepts d’entreprises de manière interactive (motifs aux paragraphes 16 et 17).

[8]               Pour ce faire, Elizabeth Posada a utilisé comme source un programme connu sous le nom de Business Game développé par Andrew Szendrovits, un professeur de l’Université McMaster (motifs au paragraphe 18). Ce programme circulait librement dans les universités en Ontario et au Québec (motifs au paragraphe 15).

[9]               Comme toutes les formules mathématiques et les routines de calcul d’Andrew Szendrovits étaient programmées dans le langage Fortran pour être utilisées sur des ordinateurs centraux, Elizabeth Posada a développé une interface dans le langage DOS afin que le logiciel puisse être utilisé sur des micro-ordinateurs (motifs aux paragraphes 12, 15 et 16). Elle a appelé cette version Ceres.

[10]           En 1985, POPS, la société constituée par Elizabeth Posada en décembre 1984 et dont elle est la seule dirigeante et actionnaire, a conclu une entente intitulée « contrat de promotion » avec les auteurs recensés dans ledit document : Andrew Szendrovits, Elizabeth Posada, Jérôme Doutriaux et Jean-Paul Sallenave (motifs au paragraphe 20). Ces derniers accordaient à POPS une licence exclusive et de portée très générale visant notamment la distribution, la commercialisation, la vente et l’adaptation de Ceres (motifs au paragraphe 54). En 1998, par une lettre, Andrew Szendrovits a clarifié et ajouté à l’entente (motifs aux paragraphes 58 à 61). Toutefois, ce n’est que le 28 octobre 2008 que POPS a obtenu la cession des droits d’auteur d’Andrew Szendrovits de ses ayants droit (motifs aux paragraphes 62 à 71). Le 29 octobre 2008, POPS obtenait confirmation que l’Université McMaster détenait seulement une licence d’utilisation et ne prétendait pas être titulaire de quelque droit d’auteur dans Ceres (motifs aux paragraphes 72 à 82).

[11]           Les principaux acteurs dans cette affaire, soit Elizabeth Posada, Philippe Chapuis et Benoît Bazoge, se sont connus en 1987, alors qu’ils étaient étudiants au doctorat (motifs au paragraphe 23). Ils devinrent des amis proches. Tous trois ont par la suite utilisé le logiciel Ceres dans le cadre de leurs fonctions à titre de professeurs ou chargés de cours à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). En 1989, Benoît Bazoge a acheté une licence pour l’utilisation de Ceres pour l’UQAM pour la somme de 2 000 $ et Philippe Chapuis a fait de même pour l’École Supérieure de Commerce de Tours en 1990 (motifs au paragraphe 24).

[12]           Les relations d’affaires entre POPS et IDP, la société constituée par Philippe Chapuis et Benoît Bazoge pour développer et donner des cours en parallèle à leur carrière universitaire, ont évolué au cours des années (motifs aux paragraphes 26 et 108 à 122). Avant qu’éclate le différend à l’origine de l’action intentée devant la Cour fédérale par les appelantes, Elizabeth Posada était devenue actionnaire d’IDP et avait à toute fin pratique cessé les opérations commerciales de POPS qui avait même donné à IDP le droit d’utiliser sa dénomination commerciale de POPS (version longue et abrégée) (motifs au paragraphe 100) (D.A., Vol. II, Onglet 23, page 273). Même si elle continuait d’exercer ses fonctions à l’UQAM, Elizabeth Posada était rémunérée à titre d’employée d’IDP dès le début de 2007 pour élaborer les adaptations de Ceres et les améliorations souhaitées par IDP. Elle était responsable entre autres de l’achèvement des travaux concernant le logiciel appelé Omega et sur lequel les parties travaillaient ensemble depuis au moins 1998 ainsi que de l’élaboration des logiciels qui seraient connus sous les noms de Comex et Epsilon (motifs au paragraphe 103).

[13]           Par ailleurs, pour répondre aux nombreux changements technologiques depuis le début des années 90, plusieurs versions et produits dérivés de Ceres furent développés. Omega est la version Windows de Ceres que les parties élaborent conjointement depuis au moins 1998. Omega permet aux utilisateurs de réaliser des simulations dans quatre marchés. Epsilon (également appelée Epsilon 2) est une version simplifiée d’Omega, permettant aux utilisateurs de réaliser des simulations uniquement dans deux marchés, alors que Comex (également appelée Epsilon 1) est une version encore plus simplifiée se limitant à un seul marché. Comex et Epsilon ont été élaborées aux fins d'utilisation liée aux petites et moyennes entreprises. Chacune de ces versions a été élaborée conformément à l’approche pédagogique d’IDP (motifs au paragraphe 113).

[14]           Après avoir cessé sa collaboration avec IDP suite à un désaccord concernant sa rémunération, et décidé de quitter l’actionnariat (motifs au paragraphe 27), les avocats de POPS et de sa présidente Elizabeth Posada ont le 20 octobre 2008 mis en demeure IDP de cesser d’utiliser Ceres, Epsilon et Comex, indiquant qu’IDP, qui selon eux se disait publiquement propriétaire des droits d’auteur sur Ceres et les autres produits recensés ci-dessus, n’avait et n’a jamais eu aucun droit d’utiliser ces logiciels (D.A., Vol. I, Onglet 8, pages 151 à 152).

[15]           Les parties n’ayant pu régler à l’amiable leur différend, les appelantes ont introduit leur action devant la Cour fédérale le 14 avril 2009. Le désaccord quant aux modalités du départ d’Elizabeth Posada de IDP fait aussi l’objet d’une action devant la Cour supérieure du Québec (motifs au paragraphe 27).

[16]           Après le dépôt de l’instance en Cour fédérale, POPS fait émettre le 29 juillet 2010 un certificat d’enregistrement du droit d’auteur portant sur Omega. Et le 24 août 2010, POPS obtient un certificat d’enregistrement du droit d’auteur portant sur l’œuvre intitulée « Epsilon a.k.a Comex ».

[17]           Le procès devant la Cour fédérale a eu lieu en janvier 2013 et le jugement fut rendu le 25 avril 2013. Comme je l’ai signalé, suite à une requête des appelantes, le juge a tenu une conférence téléphonique avec les parties et le jugement a été modifié conformément à un projet conjoint soumis par les parties. En effet, le juge avait demandé à celles-ci de soumettre les modifications qui s’imposaient afin de donner plein effet au dispositif du jugement daté du 25 avril 2013.

II.                DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[18]           Dans ses motifs, le juge examine en détail les éléments de preuve contradictoires présentés par les parties. Il résume comme suit ses principales conclusions au paragraphe 5 de ses motifs :

i) les droits d’auteur existent pour les produits logiciels susmentionnés;

ii) POPS est au moins un des titulaires légitimes des droits d'auteur de ces produits;

iii) [l’intimée] [IDP] est titulaire d’au moins une licence implicite d'utilisation de ces produits;

iv) les [appelantes] n’avaient pas le droit de révoquer cette licence;

v) les [intimés] n’ont pas violé les droits d'auteur des [appelantes] et ne sont donc pas tenus de payer des dommages-intérêts ou de restituer des bénéfices aux [appelantes];

vi) les [intimés] n’ont pas démontré que la conduite des [appelantes] justifiait d’accorder des dommages-intérêts punitifs et exemplaires ou l’adjudication de dépens avocat-client;

vii) les [appelantes], à l’exception de ce qui est mentionné aux points 3(i) et 3(ii) ci-dessus, n’ont pas droit aux autres réparations qu’elles ont demandées en l’espèce;

viii) les [intimés] ont droit à la totalité du montant forfaitaire de 20 000 $ dont les parties avaient convenu au titre des dépens dans la présente instance.

[19]           Le juge a aussi rayé le certificat d’enregistrement du droit d’auteur de POPS sur « Epsilon a.k.a. Comex » portant le numéro d’enregistrement 1079833 du registre des droits d’auteurs (motifs au paragraphe 144).

[20]           Afin d’éviter les redites, je me pencherai sur les autres conclusions pertinentes du juge dans le cadre de mon analyse. Toutefois, il est important de souligner d'emblée ses observations quant au poids qu’il a généralement accordé aux témoignages des trois principaux acteurs. Au paragraphe 86 de ses motifs, il écrit :

À mon avis, la preuve confirme la version des faits exposée par les [intimés] en ce qui a trait à cette question et aux autres questions examinées ci-après, à moins d’indication contraire. Lorsqu’il y a des divergences entre le témoignage de Mme Posada, d’une part, et les témoignages de M. Chapuis et de M. Bazoge, d’autre part, j’ai préféré en général les témoignages de ces derniers,  car j’ai trouvé que M. Chapuis et M. Bazoge étaient beaucoup plus francs, plus coopératifs et de manière générale plus fiables que Mme Posada, qui répondait parfois de façon évasive, qui n’était pas en mesure par moments de se rappeler des faits précis et qui adoptait parfois des positions peu crédibles.

III.             QUESTIONS EN LITIGE

[21]           Comme je l’ai déjà souligné, les appelantes attaquent pratiquement toutes les conclusions du juge qui leur sont défavorables. Aux fins du présent appel, je résumerai les questions soulevées comme suit :

a)         Le juge a-t-il erré en confirmant qu’IDP bénéficie d’une licence sur les logiciels nommés de même que sur toutes les adaptations futures, et que cette licence leur donne accès au code source et inclut le droit de le modifier?

b)         Le juge a-t-il erré en concluant que les appelantes n’avaient pas valablement répudié cette licence? Le juge a-t-il fait erreur en concluant que la licence implicite concédée aux intimés était irrévocable? Si la Cour répond affirmativement aux questions mentionnées ci-dessus, quelle est l'indemnisation à laquelle les appelantes ont droit?

c)         Le juge a-t-il erré en radiant du registre le certificat d’enregistrement du droit d’auteur numéro 1079833 daté du 24 août 2010?

d)         Le juge a-t-il erré en allouant les frais de 20 000 $ aux intimés même si les appelantes avaient obtenu confirmation qu’il existait des droits d’auteur dans les produits à l’étude et que POPS était propriétaire au moins en partie desdits droits d’auteur sur Ceres?

[22]           A l’audience, les appelantes ont confirmé qu’elles ne contestent plus qu’IDP détenait une licence pour utiliser les produits nommés Ceres, Omega, Epsilon et Comex avant que la collaboration entre IDP et Elizabeth Posada ne prenne fin en octobre 2008. Ce sont les conditions de ce droit d’utiliser ces produits qui sont en jeu. D’ailleurs, les dommages-intérêts auxquels prétendent les appelantes se limitent aux utilisations faites après cette date.

IV.             ANALYSE

[23]           La norme de contrôle applicable n’est pas contestée. Les conclusions du juge quant aux questions de droit sont soumises à la norme de la décision correcte. Pour intervenir sur des questions mixtes de fait et de droit (sauf quant à une question de droit qui peut être isolée) ou des questions de fait, les appelantes doivent établir une erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

A.                La portée de la licence quant aux adaptations futures et l’accès au code source

[24]           À l’audience, les appelantes ont insisté sur le fait que le juge avait commis deux erreurs fondamentales qui justifiaient l’intervention de notre Cour à l’égard des conclusions du juge quant à la portée de la licence quant aux adaptations futures et l’accès au code source (dispositif du jugement tel qu’amendé le 17 juin 2013, paragraphes ii) et viii); voir paragraphe 31 ci-dessous).

[25]           Premièrement, les appelantes plaident que le juge a mal interprété les droits concédés par POPS ou Elizabeth Posada à IDP. En effet, les appelantes soutiennent que le juge n’a pas suivi les bons principes de droit pour déterminer la portée de la licence implicite accordée à IDP. Selon elles, le juge aurait dû suivre l’approche systématique (cinq conditions) préconisée dans la jurisprudence anglaise, notamment par la Cour d’appel d’Angleterre dans Griggs Group Ltd. v. Evans, [2005] EWCA Civ. 11 au paragraphe 13; même si cette jurisprudence n’a pas encore été formellement suivie au Canada, elle est en accord avec les principes généraux énoncés par la Cour suprême du Canada dans les affaires telles Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467 et Netupsky et al. c. Dominion Bridge Co. Ltd., [1972] R.C.S. 368. Selon les appelantes, si le juge avait adopté cette approche, il n'aurait pu que conclure qu’IDP n’avait qu’une licence sur les logiciels tels qu’ils existaient avant la fin de la collaboration entre IDP et Elizabeth Posada.

[26]           De plus en adoptant une telle approche, le juge n’aurait pu conclure que les appelantes avaient consenti une licence qui permettait l’accès au code source de ces produits et le droit de le modifier.

[27]           Deuxièmement, les appelantes soutiennent que, de toute manière, le juge a agi ultra petita puisque les intimés n’avaient demandé qu’une licence d’utilisation des produits en cause, à savoir Ceres, Omega, Epsilon et Comex. Selon elles, les intimés n’ont jamais demandé à avoir accès au code source ni à avoir le droit de modifier les produits susmentionnés. Je traiterai seulement de la deuxième thèse des appelantes puisqu’elle me permettra de trancher les questions soulevées sous le présent titre.

[28]           Il est clair que ce n’est que le 11 janvier 2013, soit après la conclusion de l’enquête et avant l’argumentation, que les intimés ont demandé la permission d’amender la dernière version de leur défense et demande reconventionnelle afin de la rendre conforme à la preuve présentée devant le juge. Les amendements pertinents se lisent comme suit :

150. La contribution de IDP par le biais de Philippe Chapuis et Benoît Bazoge ainsi que par le biais du personnel engagé et payé par IDP pour développer et améliorer les logiciels CÉRÈS, OMEGA, EPSILON et COMEX constitue certainement une contribution suffisante confirmant l’octroi d’une licence à perpétuité desdits logiciels;

[…]

CONFIRMER que IDP, Benoît Bazoge et Philippe Chapuis bénéficient d’une licence d’utilisation à perpétuité des logiciels CÉRÈS, OMEGA, EPSILON et COMEX pour toutes fins reliées aux activités pédagogiques d’IDP.

(D.A., Vol. I, Onglet 3, pages 139 et 140)

[29]           Les appelantes n’ont pas soulevé d’objection à cette demande d’amendements tardive étant donné qu’il s’agissait simplement d’une licence d’utilisation, un point sur lequel elles se proposaient de faire des observations devant le juge sur la base des éléments de preuve produits pendant l’enquête. La permission d’amender fut donc accordée.

[30]           Les paragraphes 4(iv) et 142(ii) des motifs du juge reflètent bien la portée de la conclusion recherchée par les intimés. Au paragraphe 120 de ses motifs, le juge conclut :

Compte tenu de tout ce qui précède, je suis convaincu que Mme Posada a au moins implicitement octroyé à IDP, au nom de POPS une licence non exclusive afin d’utiliser Ceres et les différentes versions modifiées et adaptations de Ceres qui ont été élaborées ou élaborées en partie par IDP, au nom d’IDP ou en collaboration avec IDP […]

[Mon souligné.]

[31]           Toutefois dans le jugement tel que modifié, l’on peut lire les conclusions suivantes :

ii)         [L’intimée] 9054-8181 QUÉBEC INC. (IDP) détient une licence irrévocable pour utiliser Ceres, les adaptations de Ceres appelées Omega, Epsilon 1, Epsilon 2 et Comex, et toute adaptation future de ces logiciels qui pourront être élaborées par IDP ou pour le compte d’IDP, à toutes les fins se rattachant aux activités pédagogiques d’IDP, notamment, les séminaires. Pour plus de certitude, les activités pédagogiques, à cette fin, n’incluent pas la cession, l’octroi de licences, ou tout autre transfert de tels logiciels, ou accès à ceux-ci à quiconque autre que IDP et ceux de ses responsables, gestionnaires, employés ou entrepreneurs indépendants qui doivent avoir accès à ces logiciels afin d’atteindre les objectifs de cette ordonnance.

[…]

viii)      Les [appelantes] doivent fournir à IDP, dans les 30 jours suivant la date du présent jugement, des copies des plus récentes versions de Ceres, d’Omega, de Comex et d’Epsilon, y compris le programme source, qui ont été élaborées entre 1998 et la date où Mme Posada a effectivement cessé d’être une employée d’IDP, ainsi que toute version antérieure de ces logiciels que les [intimés] pourraient identifier et demander par écrit aux [appelantes] dans un délai de 30 jours de la date de cette ordonnance, et qui seraient raisonnablement disponibles pour les [appelantes].

(Les modifications du 17 juin 2013 sont soulignées.)

[32]           L’argument des intimés à l’effet que la licence d’utilisation qu’ils demandaient inclut nécessairement l’accès au code source n’est aucunement supporté par la preuve. Les intimés admettent dans leur mémoire que le juge n’a pas indiqué dans ses motifs qu’un tel accès était une condition de la licence implicite d’utilisation ou que cet accès était nécessaire pour permettre l’utilisation demandée. Je suis d’accord qu’en présentant le projet conjoint de modifications du jugement, les appelantes ont admis que l’accès au code source était essentiel pour donner effet au jugement tel que libellé le 25 avril 2013; toutefois, cela ne me permet pas de conclure que cet accès est aussi essentiel si la portée de la licence est limitée à ce qui a été demandé dans la défense et demande reconventionnelle ré-ré-amendée du 11 janvier 2013.

[33]           Je suis consciente que selon les intimés, cette conclusion peut poser des difficultés s’il existe toujours des « bogues » dans les diverses versions existantes et que les « cas » utilisés pour les fins pédagogiques doivent ou peuvent changer avec le temps. Toutefois, ni le juge ni notre Cour ne peuvent accorder plus que ce qui a été demandé par les intimés dans leur procédure.

[34]           En effet, comme le signale notre Cour dans l'arrêt Société canadienne de perception de la copie privée c. Canadian Storage Media Alliance, 2004 CAF 424 aux paragraphes 173 et 174, le principe interdisant de statuer ultra petita, soit qu’une Cour ne doit pas accorder plus que ce qui a été demandé par les parties, est codifié à l’article 468 du Code de procédure civile du Québec. En common law, il est généralement reconnu par la jurisprudence.

[35]           Il y a donc lieu selon moi de réformer le jugement en limitant la portée de la licence à l’utilisation de toutes les versions de Ceres, Omega, Epsilon et Comex existantes à la fin de la collaboration entre Elizabeth Posada et IDP, et ce à toutes les fins se rattachant aux activités pédagogiques d’IDP telles que décrites dans le jugement. Il y a aussi lieu, selon moi, de retirer du paragraphe viii) du jugement la référence au programme source et de l’amender pour n’exiger que la communication de toutes les versions décrites ci-dessus.

V.                LA RÉVOCABILITÉ DE LA LICENCE ET LA RÉPUDIATION

[36]           Dans leur mémoire, les appelantes traitent de ces deux questions sous un même titre, je ferai donc de même (mémoire des appelantes aux paragraphes 70 et suivants).

[37]           Quant à la portée de la licence d’utilisation, les appelantes soutiennent au paragraphe 71 de leur mémoire que le juge a commis une erreur de droit en concluant qu’elle est irrévocable. Selon elles, pour qu’une telle condition puisse être incluse implicitement dans cette entente, il fallait remplir les cinq conditions dégagées par la jurisprudence anglaise à laquelle j’ai fait référence plus tôt (voir paragraphe 25 ci-dessus). Les appelantes arguent notamment qu’une telle condition n’est pas raisonnable et équitable puisque les intimés ne collaborent plus avec Elizabeth Posada et qu’il n’y a donc plus aucune contrepartie. Elles ajoutent qu’une telle condition serait aussi en conflit avec le fait que la licence était effectivement conditionnelle à une collaboration continue entre les parties.

[38]           Les appelantes soutiennent aussi que le juge a commis une erreur de droit puisque sa conclusion est contraire aux principes généraux énoncées dans Sookman, Computer, Internet and Electronic Commerce Law, Thomson Carswell, 2014, Rel. 3 à la page 2-76.1. Dans ce passage, l’auteur indique qu’une licence de logiciel pour laquelle une contrepartie a été donnée, mais qui n’inclut pas de condition expresse quant à sa durée, peut inclure une condition implicite qu’aussi longtemps qu’il n’y a pas d’inconduite (traduction de “misconduct), le titulaire de la licence pourra continuer d’utiliser le logiciel.

[39]           Je suis d’accord avec les appelantes qui indiquent dans l’avis d’appel que les relations contractuelles entre les parties doivent être examinées à la lumière du droit civil même si certains aspects sont aussi réglementés par la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42 (la Loi). Il convient de remarquer toutefois que les appelantes (et les intimés) ont demandé au juge de tenir compte de diverses décisions rendues dans des juridictions de common law et qu’elles s’appuient toujours sur cette jurisprudence devant nous. Cela explique la référence à de telles autorités dans la décision du juge.

[40]           Il n’est pas utile ici de s’attarder à l’application possible de la jurisprudence anglaise, particulièrement celle qui privilégie l’approche par étapes (cinq conditions), pour déterminer les conditions implicites d’un contrat. Je note d’ailleurs qu’à l’audience, le juge avait demandé expressément aux appelantes de lui citer la jurisprudence la plus pertinente afin de déterminer les conditions implicites d’une licence. La jurisprudence anglaise maintenant citée par les appelantes pour dire que le juge a erré dans son approche n’a pas été portée à son attention. Ceci a été confirmé à l’audience devant nous. Dans les circonstances, la position des appelantes selon laquelle le juge a commis une erreur de droit en n’appliquant pas une telle jurisprudence et les cinq conditions qu'elle consacre est pour le moins surprenante.

[41]           Je ne suis pas convaincue que le juge a commis une erreur de droit que l’on peut isoler de l’analyse qu’il a faite pour déterminer l’intention réelle des parties et les conditions de la licence implicite.

[42]           Les règles d’interprétation des contrats en droit civil sont bien connues. Elles sont codifiées notamment aux articles 1426-1428 et 1432 du Code civil du Québec. Comme l'observait récemment la Cour suprême du Canada dans Union Carbide Canada Inc. c. Bombardier Inc., 2014 CSC 35 aux paragraphes 59 et 60, au Québec, l’interprétation des contrats est centrée sur l’intention des parties. Une fois qu’un contrat est valablement conclu, il est admis qu’il peut y avoir des cas où l’étude des éléments généralement pertinents pour discerner l’intention des parties, témoigne d’une absence de véritable intention commune sur un point particulier. La Cour n’a alors d’autre choix que de s’en remettre à l’interprétation qui se concilie le mieux avec le reste du contrat et avec les circonstances ayant entouré sa conclusion.

[43]           Dans ce contexte et comme l'enseigne la jurisprudence constante de la Cour d’appel du Québec, les conclusions d’un juge de première instance sur l’interprétation de l’intention des parties sont soumises à la norme d’intervention de l’erreur manifeste et dominante : Samen Investments Inc. c. Monit Management Ltd., 2014 QCCA 826 au paragraphe 52; Régie de gestion des matières résiduelles de la Mauricie c. Serres du St-Laurent Inc., 2013 QCCA 1607 au paragraphe 64; Primmum, compagnie d’assurances c. Société d’assurances collective Sodaco, 2013 QCCA 1516 au paragraphe 33; Compagnie canadienne d’assurances générales Lombard c. CIT Financial Ltd., 2012 QCCA 1811 au paragraphe 18; Compagnie de chemin de fer du littoral nord de Québec et du Labrador Inc. c. Sodexho Québec Ltée, 2010 QCCA 2408 au paragraphe 81.

[44]           Comme il devait le faire, le juge a tenu compte de la nature des ententes écrites (et de leur libellé) et verbales tout au long de la collaboration des parties au cours des années pertinentes. Il a clairement examiné les circonstances dans lesquelles ces ententes ont été conclues de même que l’interprétation que les parties leur ont donnée par leur conduite et dans leurs échanges (motifs aux paragraphes 88, 89, 98 à 102, 108 à 120,124, 128, 130 à 132).

[45]           Selon moi, il n’existe pas de règle de droit d’application générale qui empêche qu’une licence non exclusive d’utilisation puisse être irrévocable lorsque le licencié a fourni une contrepartie. Ni le droit ni la Loi ne limitent la liberté contractuelle des parties à cet égard. Dans tous les cas, il appartient au juge du procès de déterminer les conditions implicites du contrat en tenant compte de tous les éléments pertinents du contexte en droit civil.

[46]           C’est exactement ce que le juge a fait en l'occurrence  et les appelantes n’ont pas établi l’existence d’une erreur manifeste et dominante à cet égard. Naturellement et comme l’indiquent les appelantes, le mot « irrévocable » ne doit pas être compris au sens strict. Certes, il signifie notamment, comme le signale le juge, que les appelantes ne peuvent pas répudier la licence unilatéralement et à leur gré. Il n’est pas nécessaire de tenter de définir dans quels cas une telle licence pourrait être répudiée puisqu’ici et pour les motifs qui suivent, je suis satisfaite que les appelantes n’avaient pas ce droit, que la licence soit révocable en cas d’inconduite ou irrévocable.

[47]           Mais avant de discuter cette question, de brèves observations sur les deux autres  prétentions des appelantes (voir paragraphe 37 ci-dessus) sont de mise.

[48]           Premièrement, je ne peux souscrire à l’argument des appelantes qu’il est déraisonnable et inéquitable qu’IDP ne paie plus aucune contrepartie après la fin de la collaboration. Il n’y a rien d’inusité dans une telle entente, surtout lorsque l’on considère le prix des licences accordées par POPS à cette époque (soit 2 000 $ pour des licences somme toute perpétuelles (D.A., Vol. IV, Onglet 42, pages 670-671)), et le fait que les parties s’étaient entendues au début de 2007 que POPS mettrait fin à ses activités ou deviendrait tout au moins inactive et qu’elle cesserait les activités relatives à Ceres et à ses adaptations (motifs au paragraphe 100).

[49]           Le juge a conclu qu’IDP avait fourni une contrepartie importante pour le droit d’utiliser tous les logiciels en question (motifs aux paragraphes 107(ii), 118 et 119).

[50]           Compte tenu du caractère désuet de Ceres en version DOS, les conditions déterminées par le juge sont parfaitement raisonnables eu égard à la preuve qu’il s’agissait d’abord d’une licence croisée : POPS ou Elizabeth Posada pouvaient utiliser le matériel didactique d’IDP et IDP pouvait utiliser le logiciel dans le cadre de ses formations et séminaires.

[51]           Pour ce qui est de la version Windows de Ceres (Omega), le juge était parfaitement conscient de la thèse des appelantes portant que la première entente écrite en 1998 inclut les mots « à titre gracieux », ce que les appelantes traduisent par « sans contrepartie » (motifs aux paragraphes 124 et 126). Toutefois, ces mots ne sont pas, quant à moi, aussi clairs que cela, puisque IDP s’engageait dans cette entente à collaborer à l’élaboration de la version Windows.

[52]           Comme le note le juge, cette collaboration s’est traduite par un investissement très important en termes de temps et d'argent (motifs aux paragraphes 118 et 119). Selon moi, la conclusion du juge qu’IDP a donné une contrepartie ne contrevient pas à l’entente de 1998. En effet, l’expression « à titre gracieux », lue au regard du contexte, indique seulement qu’à ce moment-là, les parties étaient d’accord qu’aucune royauté ou montant forfaitaire ne serait payable pour avoir le droit d’utiliser les logiciels développés dans le cadre de la collaboration.

[53]           De plus, comme l’explique le juge, cette première entente a été modifiée à plusieurs reprises au moyen d’ententes subséquentes qu’il décrit en détail dans ses motifs. Je conclus que le juge n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en concluant comme il l’a fait au paragraphe 107.

[54]           Quant au deuxième point soulevé par les appelantes, le juge a aussi expressément rejeté comme non crédible le témoignage d’Elizabeth Posada a l’effet que la licence d’IDP était conditionnelle à sa participation continue au sein d’IDP (motifs au paragraphe 130). Il a conclu que les parties s’étaient toujours entendues sur ce que les intimés continueraient d’avoir le droit d’utiliser les programmes (motifs aux paragraphes 107i) et 112). Le juge signale d’ailleurs que du point de vue d’IDP, il aurait été illogique, compte tenu de son investissement important dans l’élaboration d’Omega, Epsilon et Comex durant de nombreuses années, de se retrouver exposée à des risques de répudiation par une décision unilatérale d’Elizabeth Posada (motifs au paragraphe 130).

[55]           J’aborderai maintenant la question de la violation de la licence, qu’elle soit grave et flagrante ou bien même fondamentale. Ici encore dans leurs observations écrites et verbales, les appelantes invitent notre Cour à substituer sa propre évaluation des éléments de preuve à celle du juge ce qui, comme je l’ai dit, n’est pas la norme applicable. Il leur fallait établir une erreur manifeste et dominante et selon moi, les appelantes ne se sont pas acquittées de leur fardeau à cet égard.

[56]           Le juge conclut d’abord au paragraphe 131 de ses motifs qu’IDP a respecté les conditions de son entente. Selon moi, cette conclusion est irréprochable.

[57]           Je suis aussi satisfaite que le juge n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante lorsqu’il a conclu qu’IDP n’était pas coupable « d’inconduite » avant d’être mise en demeure le 20 octobre 2008 par les avocats des appelantes de cesser toute utilisation de tous les logiciels  (motifs aux paragraphes 123 à 139).

[58]           Pour en venir à cette conclusion, le juge rejette notamment l’interprétation d’Elizabeth Posada d’un courriel daté du 9 octobre 2008 lequel, selon les éléments de preuve versés au dossier, semble être à l'origine de l’intervention des avocats des appelantes. L’appréciation du juge fondée sur la valeur probante des témoignages entendus et de la preuve documentaire devant lui est encore une fois inattaquable (motifs aux paragraphes 133 et 134). C’est sûrement pour cela que les appelantes ont insisté sur l’interprétation du juge d’un courriel daté du 23 octobre 2008 adressé à Elizabeth Posada par Philippe Chapuis.

[59]           Je relève d’abord que ce courriel est postérieur à la mise en demeure du 20 octobre 2008 et qu’il fut envoyé en réponse à un courriel d’Elizabeth Posada de la même date. Dans ce dernier courriel, Elizabeth Posada allègue que Philippe Chapuis « affirme publiquement avoir les droits sur la simulation ». La preuve de telles affirmations dans le cours normal des choses n’a pas été faite.

[60]           Deuxièmement, contrairement à ce que suggèrent les appelantes, selon moi, le juge n’a pas ignoré le fait que Philippe Chapuis indique notamment qu’il est cohérent et conforme à la Loi de penser que les outils développés par les employés et consultants payés par IDP appartiennent à l’entreprise (motifs au paragraphe 137). Il convient par ailleurs de noter que Philippe Chapuis confirme qu’il ne conteste pas les droits de propriété sur Ceres comme Elizabeth Posada le laisse sous-entendre dans son propre courriel, mais qu’il aimerait que l’avocat d’Elizabeth Posada lui fournisse la documentation constatant ses droits, particulièrement à l’égard de la participation d’Andrew Szendrovits.

[61]           Avant la réception de la lettre du 20 octobre 2008, la preuve indique que les intimés avaient toujours assumé de bonne foi qu’Elizabeth Posada ou POPS était propriétaire de tous les droits dans Ceres. Toutefois, comme le signale le juge, cela n’était pas exact. Elizabeth Posada n’était qu’une des auteurs de Ceres et POPS n’avait que les droits que lui avaient concédés les auteurs en vertu du contrat de promotion (voir paragraphe 10 ci-dessus).

[62]           Le point quant à la propriété des programmes développés par les employés d’IDP était tout à fait approprié surtout lorsque l’on considère le contexte de l’envoi de ce courriel. Le juge explique bien ce contexte aux paragraphes 132 à 139 de ses motifs. Il est opportun de souligner que dans les négociations qui ont suivi, les avocats des appelantes ont limité leur demande à une reconnaissance des droits de POPS quant au code source développé avant février 2007 (voir lettre des procureurs du 24 octobre 2008 (D.A., Vol. I, Onglet 8, pages 159-160)).

[63]           Il n’y a rien ici qui justifie l’intervention de notre Cour.

VI.             VIOLATION DU DROIT D’AUTEUR

[64]           Compte tenu de mes conclusions ci-dessus, le juge pouvait manifestement conclure qu’il n’y a pas eu de violation des droits d’auteur de POPS ou d’Elizabeth Posada puisqu’IDP n’a pas utilisé les divers programmes qui font l’objet de l’appel sans le consentement des appelantes (paragraphe 27(1) de la Loi).

VII.          RADIATION DU CERTIFICAT DU DROIT D’AUTEUR NUMÉRO 1079833

[65]           Tel que mentionné, le juge a radié le certificat d’enregistrement du droit d’auteur qui identifie Elizabeth Posada comme seule auteure et POPS comme seule titulaire des droits sur l’œuvre littéraire décrite comme suit : Epsilon, aussi connu sous le nom de Comex – approximativement 20 lignes de code source ou de données utilisées conjointement avec un logiciel de simulation d’entreprise [ma traduction du certificat].

[66]           D’abord, les appelantes soutiennent que le juge n’a pas suffisamment motivé sa décision à l’égard de cette radiation. Elles soulignent que comme le juge a reconnu que POPS est propriétaire des droits d’auteur dans Omega, Epsilon et Comex, il ne pouvait simplement pas en venir à cette conclusion compte tenu de la preuve au dossier.

[67]           Les appelantes ajoutent que l’œuvre couverte par ce certificat est une compilation sur laquelle seule POPS peut prétendre être la titulaire des droits d’auteur (mémoire des appelantes aux paragraphes 106 à 111).

[68]           Un tel certificat d’enregistrement constitue une preuve de l’existence du droit d’auteur et du fait que la personne figurant à l’enregistrement en est le titulaire (paragraphe 53(2) de la Loi). La présomption qu’il crée peut être réfutée par une preuve crédible contraire (Fox on Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 4e éd. (Toronto: Carswell, 2014) à la page 20-6; Hughes on Copyright & Industrial Design, 2e éd. (Markham: LexisNexis Canada, 2005) aux pages 422 et 423).

[69]           Il convient de rappeler que le dispositif du jugement ne contient qu’un paragraphe quant aux droits de POPS – soit que celle-ci est titulaire des droits d’auteurs sur Ceres, le tout sujet aux droits que pourraient avoir Jérôme Doutriaux et Jean-Paul Sallenave. Dans ses motifs, comme je l’ai noté, le juge conclut seulement que POPS est l'un des titulaires des autres produits (voir paragraphe 18 ci-dessus).

[70]           De plus, quant à Epsilon et Comex, le juge se dit convaincu que les intimés ont réfuté la présomption créée par l’enregistrement de ce certificat (motifs au paragraphe 122) et que pour les motifs énoncés dans la section C. (motifs aux paragraphes 104 à 122 et, compte tenu de la référence dans le paragraphe 107, aux paragraphes 85 à 103), il y a lieu d’accorder la demande des intimés de rayer le certificat (motifs au paragraphe 144). Comme pour toute autre décision, ces motifs doivent être lus au regard de leur contexte et en tenant compte de l’ensemble de la preuve au dossier.

[71]           Selon moi, bien qu’il eût été préférable pour le juge de regrouper sous un même titre les principaux éléments allant dans le sens de sa conclusion, cela ne suffit pas pour invalider sa décision de radier étant donné que je conclus que cette conclusion est justifiable compte tenu des éléments de preuve au dossier et des conclusions de fait du juge.

[72]           En effet, bien que les intimés n’aient jamais demandé au juge dans leur défense et demande reconventionnelle ré-ré-amendée d’être déclarés titulaires des droits d’auteur sur Epsilon ou Comex, il n’en reste pas moins que le juge était tenu de considérer l’ensemble des éléments de preuve devant lui pour déterminer s’il y avait lieu d’accorder leur demande de radiation de ce certificat.

[73]           Il est loin d’être clair que ce certificat porte sur une compilation plutôt que sur les 20 lignes de code source auxquelles il réfère spécifiquement. La description qui suit la référence à ces lignes de code semble plutôt qualifier ou illustrer dans quel contexte elles sont utilisées.

[74]           Dans cette perspective et compte tenu de la conclusion de fait du juge selon laquelle Elizabeth Posada travaillait pour IDP lorsque ces lignes de code ont été écrites et que son emploi incluait l’élaboration d’Epsilon et Comex, la règle prévue au paragraphe 13(3) de la Loi s’appliquait et, à moins de stipulation contraire, IDP (l’employeur) était le premier titulaire du droit d’auteur.

[75]           Le juge ne pouvait donc ignorer qu’aux termes de cette disposition ni Elizabeth Posada (l’auteur) ni POPS (sa compagnie inactive) ne pouvaient prétendre être les seuls titulaires des droits d’auteur en l’absence d’une entente spécifique à cet effet avec IDP.

[76]           Il est clair selon moi que le juge n’était pas satisfait qu’une telle entente existait quant à Epsilon et Comex (motifs au paragraphe 132). Sur ce point particulier, les appelantes avaient le fardeau de la preuve puisqu’IDP bénéficiait de la règle générale prévue au paragraphe 13(3) de la Loi. Je conclus que, vu les éléments de preuve au dossier, il était loisible au juge de radier le certificat qui contenait une description erronée du titulaire des droits.

[77]           De la même façon, si, comme le soutiennent les appelantes, le certificat porte sur une compilation (l’ensemble du programme), je conclus que le dossier contient des éléments de preuve suffisants pour justifier  la décision du  juge de le radier.

[78]           Les appelantes, ne consacrent qu’un paragraphe dans leur mémoire à cette question (mémoire des appelantes au paragraphe 111). De plus, la preuve des appelantes quant à cette compilation est mince. Elle se résume à quelques pages du témoignage d’Elizabeth Posada (D.A., Vol. VI, Onglet 45, pages 1039 à 1040 et 1109 à 1112). Aucun expert n’a témoigné à cet égard. Selon Elizabeth Posada, Epsilon est un logiciel complet qui inclut l’interface Windows et les mêmes bibliothèques de calcul qu’Omega à l’exception des 20 lignes de code décrites dans le certificat.

[79]           Je note que l’originalité d’une œuvre n’est pas jaugée au nombre de lignes. Elizabeth Posada confirme d’ailleurs que les nouveaux liens entre les équations que représentent ces 20 lignes de code ont pris beaucoup de temps et ont été difficiles à faire. Quant aux autres commentaires du témoin sur les trois grandes parties d’un logiciel de simulation, ils semblent s’appliquer tant à Omega qu’à Epsilon qui est en grande partie un produit dérivé d’Omega. J’ai donc examiné les éléments de preuve au dossier  portant sur qui sont les auteurs de la compilation et qui sont les titulaires des droits d’auteur à la lumière de sa description la plus simple, soit qu’il s’agit d’Omega plus les 20 lignes de code. Et ce, même si le certificat lui-même ne réfère pas directement à Omega mais plutôt d’une façon générique à un logiciel de simulation.

[80]           Comme je l’ai dit, Elizabeth Posada a obtenu un certificat d’enregistrement du droit d’auteur pour Omega le 29 juillet 2010 (D.A., Cahier supplémentaire 1, Onglet 50, page 14).

[81]           Ce certificat désigne les personnes suivantes comme les auteurs d’Omega : 

Elizabeth Posada

Andrew  Szendrovits  (décès de l’auteur : 22 novembre 1999)

Fernando Romero

[82]           Omega est décrit comme « l’adaptation Windows du logiciel de simulation d’affaires Ceres » [ma traduction du certificat]. Il s’agit donc selon Elizabeth Posada aussi d’une compilation, mais sans les ajustements et les 20 lignes de code développées pour Epsilon alors qu’elle était à l’emploi d’IDP.

[83]           Il est donc évident que le certificat pour Epsilon, s’il porte en fait sur la compilation entre les trois parties d’Omega et les 20 lignes de code, devait inclure d’autres auteurs tel Fernando Romero qui selon le contrat au dossier (D.A., Cahier supplémentaire 1, Onglet 49, page 8) a effectivement programmé l’interface Windows de Ceres. Que cet auteur ait ou non transféré la titularité de ses droits d’auteur à POPS ne lui enlève pas sa qualité d’auteur. Il aurait donc dû être inclus comme auteur de même qu’Andrew Szendrovits dans le certificat numéro 1079833 portant sur Epsilon a.k.a. Comex.

[84]           De plus, qu’Elizabeth Posada soit la seule auteure ou une des auteurs d’Epsilon a.k.a. Comex importe peu. En effet, selon le témoignage d’Elizabeth Posada, les 20 lignes de code écrites alors qu’elle était à l’emploi d’IDP sont ce qui distingue Epsilon d’Omega. Donc, même si elle était vraiment la seule auteure d’Epsilon, il me semble que cette compilation n’a pu être créée que dans le cadre de cet emploi et alors que POPS était inactive. Aux termes du paragraphe 13(3) de la Loi, IDP est, en l’absence d’une entente contraire, première titulaire du droit d’auteur (voir paragraphes 74 à 76 ci-dessus).

[85]           Vu les éléments de preuve permettant de conclure que le certificat pour Epsilon contenait de l’information erronée ou incomplète, il était loisible au juge de le radier, et ce, même si l’on considère l’œuvre décrite dans ce certificat comme une compilation.

VIII.       LES DÉPENS DE 20 000 $

[86]           Les appelantes soutiennent que le juge a commis une erreur de droit en accordant des frais de 20 000 $ entièrement aux intimés alors que les appelantes avaient quand même réussi à obtenir la confirmation qu’elles détenaient les droits d’auteur sur Ceres. Dans un tel cas de réussite partagée, la règle veut que chaque partie assume ses dépens.

[87]           Il s’agit d’une décision discrétionnaire du juge. Selon lui, les intimés ont eu en grande partie gain de cause. De plus, il ajoute que Philippe Chapuis avait confirmé en octobre 2010 que les intimés ne revendiquaient pas de droits d’auteur sur Ceres et c’est là la seule conclusion en faveur des appelantes (motifs aux paragraphes 167 et 169). Le juge relève aussi au paragraphe 152 de ses motifs que la conduite des appelantes dans le cadre des procédures avait incontestablement abouti à une augmentation importante des frais encourus par les intimés pour assurer leur défense. Ces considérations sont pertinentes aux termes du paragraphe 400(3) des Règles. Les appelantes n’ont établi aucune erreur justifiant l’intervention de notre Cour surtout lorsque l’on considère que la somme forfaitaire de 20 000 $ attribuée aux intimés ne représente qu’une portion minime des frais réels encourus.

[88]           De plus même si pour les motifs énoncés plus haut je suis d’avis qu’il faudrait réformer certaines parties du dispositif du jugement qui ont été amendées suite à une requête des appelantes, il n’y a pas lieu selon moi de modifier la conclusion du juge quant aux dépens de première instance. Toutefois pour ce qui est des dépens de l’appel, compte tenu du succès partagé, je propose que chaque partie assume ses dépens.

IX.             CONCLUSION

[89]           En conclusion, je propose que l’appel soit rejeté sauf quant à la partie du jugement traitant de la portée de la licence qui devrait être réformée comme suit :

ii)         [L’intimée] 9054-8181 QUÉBEC INC. (IDP) détient une licence irrévocable pour utiliser Ceres, les adaptations de Ceres appelées Omega, Epsilon 1, Epsilon 2 et Comex à toutes les fins se rattachant aux activités pédagogiques d’IDP, notamment, les séminaires. Pour plus de certitude, les activités pédagogiques, à cette fin, n’incluent pas la cession, l’octroi de licences, ou tout autre transfert de tels logiciels, ou accès à ceux-ci à quiconque autre que IDP et ceux de ses responsables, gestionnaires, employés ou entrepreneurs indépendants qui doivent avoir accès à ces logiciels afin d’atteindre les objectifs de cette ordonnance.

viii)      Les [appelantes] doivent fournir à IDP, dans les 30 jours suivant la date du présent jugement, des copies des plus récentes versions de Ceres, d’Omega, de Comex et d’Epsilon qui ont été élaborées avant la date où Mme Posada a effectivement cessé d’être une employée d’IDP, ainsi que toute version antérieure de ces logiciels que les [intimés] pourraient identifier et demander par écrit aux [appelantes] dans un délai de 30 jours de la date de cette ordonnance, et qui seraient raisonnablement disponibles pour les [appelantes].

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Je suis d’accord

     Pierre Blais, j.c. »

« Je suis d’accord

     Robert M. Mainville, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-197-13

 

INTITULÉ :

PLANIFICATION-ORGANISATION-PUBLICATIONS SYSTÈMES (POPS) LTÉE ET ELIZABETH POSADA c. 9054-8181 QUÉBEC INC. ET PHILIPPE CHAPUIS ET BENOÎT BAZOGE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 mars 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF BLAIS

LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 juillet 2014

 

COMPARUTIONS :

Daniel F. O'Connor

Barry B. Sookman

 

Pour les appelantes

 

Simon Grégoire

Yaël Lachkar

 

Pour les intimés

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel F. O’Connor, Avocats

L’Ile-Bizard (Québec)

McCarthy Tétrault LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour les appelantes

 

Borden Ladner Gervais, S.E.N.C.R.L., S.R.L./LLP

Montréal (Québec)

 

Pour les intimés

 

 

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