Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20140520


Dossier : A‑214‑13

Référence : 2014 CAF 131

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

 

 

ENTRE :

LA COMMISSION CANADIENNE

DES DROITS DE LA PERSONNE

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

BRONWYN CRUDEN

intimés

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 26 mars 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 mai 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE DAWSON

 

 

 

 


Date : 20140520


Dossier : A‑214‑13

Référence : 2014 CAF 131

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

 

 

ENTRE :

LA COMMISSION CANADIENNE

DES DROITS DE LA PERSONNE

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

BRONWYN CRUDEN

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]               La Cour est saisie d’un appel du jugement (2013 CF 520) par lequel le juge Zinn a accueilli la demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 23 septembre 2011 du Tribunal canadien des droits de la personne (2011 TCDP 13) et a annulé cette décision. Pour les motifs dont l’exposé suit, je rejetterais cet appel.

I.                   Les faits

[2]               Les faits de l’espèce, exposés en détail dans la décision du Tribunal et dans les motifs du juge de la Cour fédérale, ne sont pas contestés et peuvent se résumer brièvement comme suit. Mme Cruden souffre de diabète du type 1 et est insulino-dépendante. D’abord employée à la section organisationnelle de l’Agence canadienne de développement international (l’ACDI), elle souhaitait devenir agente de développement à la section des programmes, mais manquait pour ce faire d’expérience acquise sur le terrain. Afin d’acquérir de l’expérience de cette nature, elle a demandé à être affectée en Afghanistan. En 2007, les affectations temporaires en Afghanistan n’étaient pas subordonnées à une évaluation médicale préalable.

[3]               Madame Cruden a obtenu deux affectations temporaires en Afghanistan. La première, en 2007, s’est passée sans incident, mais la seconde, en 2008, a été écourtée en raison d’un accident hypoglycémique qu’elle a subi, à la suite duquel elle a dû rentrer au Canada contre son gré. Après cet événement, on a soumis les affectations temporaires en Afghanistan à une évaluation médicale préalable. En outre, Santé Canada a établi un document intitulé « Directives concernant les évaluations médicales en vue d’une autorisation préalable à une affectation, à un service temporaire ou à un voyage en Afghanistan » (les Directives sur l’Afghanistan). Mme Cruden a par la suite demandé d’autres affectations en Afghanistan, mais sans succès, n’ayant pu convaincre l’ACDI que les Directives sur l’Afghanistan ne s’appliquaient pas à son cas ou n’auraient pas dû y être appliquées. Il est acquis aux débats que, si elle n’avait pas souffert de diabète du type 1 ou n’eût été la mise en œuvre des Directives sur l’Afghanistan, Mme Cruden aurait été de nouveau affectée dans ce pays.

II.                La décision du Tribunal canadien des droits de la personne

[4]               Le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a conclu que Mme Cruden avait établi une preuve prima facie de discrimination de la part de Santé Canada, en raison du passage des Directives sur l’Afghanistan selon lequel « une personne souffrant d’un problème de santé chronique ne peut pas être affectée en Afghanistan » (paragraphe 72 de la décision du Tribunal et paragraphe 34 de la décision de la Cour fédérale). Le Tribunal a également conclu que Santé Canada n’avait pas démontré que cette ligne de conduite n’était pas discriminatoire.

[5]               Pour ce qui concerne la plainte contre l’ACDI, le Tribunal a conclu que Mme Cruden avait aussi établi une preuve prima facie de discrimination de la part de cet organisme. On lit en effet au paragraphe 90 de la décision du Tribunal :

90        Selon la preuve factuelle, elle a toujours été considérée comme une employée compétente et, n’eût été de sa déficience et de l’application des Directives sur l’Afghanistan, elle aurait été affectée dans ce pays comme le reste de son équipe.

[6]               Le Tribunal a aussi conclu que : « [...] l’ACDI ne s’est pas acquittée de son obligation procédurale de prendre des mesures d’accommodement en faveur de la plaignante. Cela étant, l’ACDI n’a pas fourni de motif justifiable pour ses actes discriminatoires au regard des articles 7 et 10 de la LCDP » (paragraphe 111 de la décision du Tribunal).

[7]               Cependant, le Tribunal a poursuivi son raisonnement en ces termes :

Même si l’ACDI n’a pas établi qu’elle a pris en considération toutes les mesures d’accommodement possibles jusqu’à contrainte excessive, j’examinerai si le fait que l’ACDI prenne de telles mesures en faveur de la plaignante en Afghanistan lui imposerait une contrainte excessive. Il est nécessaire selon moi de faire cette analyse, parce que les parties ont présenté d’importantes observations sur ce point et que cette détermination est liée à certaines des mesures de redressement que la plaignante souhaite obtenir.

[8]               Le Tribunal a conclu de cette analyse que, « pour l’ACDI, le fait d’avoir à prendre des mesures d’accommodement en faveur de [Mme Cruden] en Afghanistan constituerait une contrainte excessive » (paragraphe 117 de la décision du Tribunal). En raison de cette conclusion, le Tribunal n’a pas accordé d’indemnité se rapportant directement à une affectation en Afghanistan. Il a cependant accordé des indemnités pécuniaires autrement motivées, ainsi que des mesures de réparation systémiques.

III.             La décision de la Cour fédérale

[9]               Les parties n’ont pas contesté à l’audience de la Cour fédérale la conclusion du Tribunal selon laquelle l’affectation de Mme Cruden en Afghanistan aurait constitué une contrainte excessive pour l’ACDI. Selon la Commission canadienne des droits de la personne et Mme Cruden, la décision du Tribunal devait être confirmée malgré la conclusion relative à la contrainte excessive, en raison de l’existence d’une obligation procédurale d’adaptation (distincte de l’obligation de fond). Le juge de la Cour fédérale a rejeté cette thèse, affirmant qu’une fois qu’on eut conclu à la contrainte excessive, on aurait dû rejeter la plainte puisque la ligne de conduite attaquée ne constituait alors pas un acte discriminatoire pour l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la LCDP).

IV.             La norme de contrôle

[10]           Notre Cour a formulé les observations suivantes au paragraphe 18 de l’arrêt Canada (Agence du revenu) c. Telfer, 2009 CAF 23, [2009] 4 C.T.C. 123 :

18        [L]orsqu’une décision en matière de contrôle judiciaire est portée en appel, le rôle de la juridiction d’appel consiste simplement à décider si la juridiction inférieure a employé la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement. Le rôle de la juridiction d’appel ne se limite pas à se demander si la juridiction inférieure a commis une erreur manifeste et dominante en appliquant la norme de contrôle appropriée.

La Cour suprême du Canada a approuvé cette approche au paragraphe 45 de son arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559.

[11]           Les parties et le juge de la Cour fédérale ont tous convenu à l’audience de la demande de contrôle judiciaire que la norme de contrôle applicable à la décision du Tribunal était celle du caractère raisonnable. Dans le présent appel, les parties font également valoir que la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable, mais la Commission canadienne des droits de la personne et Mme Cruden ajoutent que, si le juge de la Cour fédérale a eu raison de conclure que le caractère raisonnable était la norme de contrôle applicable, il ne l’a pas appliquée correctement.

[12]           Notre Cour a prononcé, postérieurement à l’audience du présent appel, un arrêt intitulé Procureur général du Canada c. Johnstone et Commission canadienne des droits de la personne, 2014 CAF 110, au paragraphe 44 duquel elle a dit que relevaient de la norme de la décision correcte les deux questions juridiques à trancher, soit :

a)      la signification et la portée de la « situation de famille » en tant que motif de distinction illicite;

 

b)      le critère juridique selon lequel on peut conclure à une discrimination à première vue au regard de ce motif de distinction illicite.

[13]           Il est vrai que cet arrêt soulève la question de savoir si la présente espèce est assujettie à la norme du caractère raisonnable ou à celle de la décision correcte, mais j’arriverais à la même conclusion dans l’un ou l’autre cas.

V.                Analyse

[14]           Après avoir résumé le régime de la LCDP, au paragraphe 63 de ses motifs, le juge de la Cour fédérale en propose l’interprétation suivante :

64        Il ressort clairement des extraits précédents qu’une conclusion relative à l’existence d’un acte discriminatoire est absolument essentielle. En effet, c’est une allégation d’acte discriminatoire qui motive la plainte et c’est la conclusion relative à l’existence d’un acte discriminatoire qui donne au Tribunal le pouvoir de prendre des mesures de réparation. De plus, élément particulièrement pertinent en l’espèce, une conclusion relative à des EPJ rend irrecevable toute allégation d’acte discriminatoire et constitue un moyen de défense complet. En résumé, et dans le contexte de la présente affaire, si l’ACDI établit qu’il lui est impossible de fournir des mesures d’accommodement relativement à la déficience de Mme Cruden en Afghanistan sans subir de contrainte excessive, alors il n’y a ni acte discriminatoire, ni violation de la LCDP.

[15]           Dans l’hypothèse où la norme de contrôle applicable serait celle de la décision correcte, je pense que le juge de la Cour fédérale a ainsi exposé la juste interprétation des dispositions de la LCDP. Dans l’hypothèse où la norme de contrôle à retenir serait celle du caractère raisonnable, j’estime pertinentes les observations suivantes formulées par le juge Moldaver au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895 (postérieur à la décision de la Cour fédérale en l’espèce) :

38        Une disposition ne se prête pas toujours à plusieurs interprétations raisonnables. Lorsque les méthodes habituelles d’interprétation législative mènent à une seule interprétation raisonnable et que le décideur administratif en retient une autre, celle‑ci est nécessairement déraisonnable, et nul droit à la déférence ne peut justifier sa confirmation (voir, p. ex., Dunsmuir, par. 75; Mowat, par. 34). Dans ce cas, les « issues raisonnables possibles » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 4) se limitent nécessairement à une seule, que le décideur administratif doit adopter.

[16]           Par conséquent, même dans le cas où la norme de contrôle à retenir est celle du caractère raisonnable, il peut n’y avoir qu’une seule interprétation raisonnable suivant le libellé de la loi applicable et les instruments d’interprétation législative. Telle est la conclusion du juge de la Cour fédérale, et j’y souscris, en grande partie pour les motifs qu’il expose. La seule interprétation raisonnable (ou l’interprétation correcte) des dispositions applicables de la LCDP est la suivante : une fois qu’il eut conclu que la satisfaction des besoins de Mme Cruden en Afghanistan aurait constitué pour l’ACDI une contrainte excessive, le Tribunal aurait dû rejeter la plainte. La LCDP ne prévoit pas d’obligation procédurale distincte d’adaptation qui pourrait justifier des mesures de réparation lorsque l’employeur démontre qu’il remplit les trois conditions du critère établi par la Cour suprême dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employees’ Union (Meiorin), [1999] 3 R.C.S. 3, [1999] A.C.S. no 46, et visant à déterminer si une norme discriminatoire à première vue est une exigence professionnelle justifiée.

[17]           La Commission canadienne des droits de la personne et Mme Cruden soutiennent que l’existence d’une obligation procédurale distincte d’adaptation aux besoins particuliers (malgré le fait qu’elle puisse constituer une contrainte excessive) est attestée par l’arrêt Meiorin de la Cour suprême du Canada, la décision ADGA Group Consultants Inc. c. Lane, 91 O.R. (3d) 649, de la Cour divisionnaire de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, ainsi que plusieurs décisions de tribunaux des droits de la personne.

[18]           Le passage de l’arrêt Meiorin qu’invoquent spécialement la Commission canadienne des droits de la personne et Mme Cruden est son paragraphe 66, libellé comme suit :

66        Malgré le chevauchement des deux examens, il peut souvent se révéler utile, en pratique, d’examiner séparément, d’abord, la procédure, s’il en est, qui a été adoptée pour étudier la question de l’accommodement, et, ensuite, la teneur réelle d’une norme plus conciliante qui a été offerte ou, subsidiairement, celle des raisons pour lesquelles l’employeur n’a pas offert une telle norme : voir, de manière générale, Lepofsky, loc. cit.

[19]           Le juge de la Cour fédérale a examiné ce passage de l’arrêt Meiorin aux paragraphes 69 et 70 de ses motifs, et je souscris à ses observations. Cependant, il me semble devoir aussi faire remarquer que ledit passage s’inscrit dans l’étude de la troisième étape du critère exposé en ces termes par la Cour suprême du Canada, au paragraphe 54 de l’arrêt en question :

54        Après avoir examiné les diverses possibilités qui s’offrent, je propose d’adopter la méthode en trois étapes qui suit pour déterminer si une norme discriminatoire à première vue est une EPJ. L’employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités :

(1)        qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;

(2)        qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;

(3)        que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

[20]           Le paragraphe 66 de l’arrêt Meiorin fait partie de l’exposition de cette troisième étape, qui commence par le passage suivant :

Troisième étape

62        Le troisième et dernier obstacle que doit franchir l’employeur consiste à démontrer que la norme contestée est raisonnablement nécessaire pour qu’il puisse atteindre l’objet qu’elle vise, dont le lien rationnel avec l’exécution du travail a été démontré à ce stade. L’employeur doit établir qu’il lui est impossible de composer avec le demandeur et les autres personnes lésées par la norme sans subir une contrainte excessive.

[21]           Je pense comme le juge de la Cour fédérale que la Cour suprême du Canada n’avait pas l’intention de créer un droit procédural distinct en matière d’adaptation. La troisième étape du critère tient en une seule question : l’employeur a‑t‑il démontré « qu’il [lui] est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans [subir] une contrainte excessive »? Dès qu’il a démontré ce fait, l’employeur a rempli la condition de la troisième étape. En supposant que les conditions des deux premières étapes sont aussi remplies (et elles l’étaient dans la présente espèce), la norme en cause peut se définir comme une exigence professionnelle justifiée et ne constitue pas un acte discriminatoire.

[22]           La juge Gray est arrivée à la même conclusion dans la décision Emergency Health and Services Commission c. Cassidy, 2011 BCSC 1003, [2011] B.C.J. No. 1426, où elle fait observer ce qui suit :

[traduction]

34        La juge McLachlin a écrit qu’il peut souvent se révéler utile d’examiner toute procédure adoptée pour évaluer les mesures d’adaptation, mais elle n’a pas écrit que cet instrument d’analyse créait une obligation distincte à laquelle on pouvait manquer. Il ne reste donc qu’une seule question, soit celle de savoir si l’employeur pouvait prendre des mesures d’adaptation aux besoins de l’employé sans subir de contrainte excessive.

[23]           Dans l’affaire ADGA, le tribunal administratif avait conclu que l’employeur n’avait pas établi qu’il ne pouvait répondre aux besoins de l’employé sans subir de contrainte excessive. Bien qu’elle ait procédé à une analyse distincte de l’obligation procédurale d’adaptation, la Cour divisionnaire n’a pas examiné le fondement législatif de cette obligation, mais paraît plutôt avoir pris son existence pour acquise, puisqu’elle a commencé son analyse de ladite obligation en en donnant une description au paragraphe 107. Cette décision n’a pas valeur persuasive pour établir l’existence législative d’une telle obligation.

[24]           Il est vrai que d’autres décisions de tribunaux des droits de la personne ont conclu à la possibilité de prononcer des mesures de réparation pour manquement à une obligation procédurale d’adaptation, même dans des cas où l’adaptation en cause aurait constitué une contrainte excessive pour l’employeur, mais ces décisions ne peuvent nous amener à conclure qu’une telle interprétation est raisonnable ou correcte si elle n’est pas étayée par les dispositions législatives applicables. Or, comme on l’a vu aux paragraphes 14 à 16 ci‑dessus, la LCDP n’étaye pas cette interprétation.

[25]           La Commission canadienne des droits de la personne fait également valoir que le Tribunal a fondé en partie sa conclusion relative à la contrainte excessive sur des événements qui s’étaient produits en Afghanistan après qu’on eut refusé d’y réaffecter Mme Cruden. L’argument de la Commission canadienne des droits de la personne n’est pas que la conclusion susdite est déraisonnable (encore qu’elle se fonde en partie sur des événements postérieurs), mais plutôt que la preuve postérieure aux faits, bien qu’elle puisse être pertinente pour la réparation, ne l’est pas pour ce qui est de déterminer si un employeur a rempli son obligation procédurale d’adaptation. Permettre aux employeurs d’invoquer une preuve postérieure aux faits, avance la Commission canadienne des droits de la personne, reviendrait à leur donner la possibilité de fixer une norme discriminatoire à première vue sans déterminer si elle constitue une exigence professionnelle justifiée, puis de chercher plus tard à justifier cette norme en tant qu’exigence d’une telle nature.

[26]           Cependant, cet argument selon lequel la preuve postérieure aux faits n’est pas pertinente pour ce qui concerne l’obligation procédurale d’adaptation présuppose qu’une telle obligation procédurale distincte existe et qu’elle pourrait donner lieu à des mesures de réparation sous le régime de la LCDP, même dans le cas où l’employeur serait en mesure d’établir que la norme discriminatoire à première vue constitue une exigence professionnelle justifiée. Or, à mon sens, si l’employeur peut établir (serait‑ce par une preuve postérieure aux faits) que la norme discriminatoire à première vue est une exigence professionnelle justifiée, la plainte formée contre lui doit être rejetée.

[27]           En l’espèce, le Tribunal a conclu que la satisfaction des besoins particuliers de Mme Cruden en Afghanistan aurait constitué pour l’ACDI une contrainte excessive. Il formule cette conclusion en termes clairs au paragraphe 117 de sa décision :

117      Pour les motifs qui suivent, je conclus que, pour l’ACDI, le fait d’avoir à prendre des mesures d’accommodement en faveur de la plaignante en Afghanistan constituerait une contrainte excessive.

[28]           Le Tribunal expose aux paragraphes 118 à 160 de sa décision les motifs de cette conclusion selon laquelle l’ACDI subirait une contrainte excessive. Or, ayant conclu que l’adaptation aux besoins de Mme Cruden en Afghanistan constituerait pour l’ACDI une contrainte excessive, le Tribunal aurait dû également conclure que l’ACDI ne commettait pas d’acte discriminatoire relativement à l’affectation de ses employés en Afghanistan. En outre, le juge de la Cour fédérale a fait observer au paragraphe 79 de ses motifs qu’il n’était pas allégué que la conduite de Santé Canada à l’égard de Mme Cruden était liée à un quelconque motif de distinction illicite. Ainsi que l’a conclu le juge de la Cour fédérale, le Tribunal, une fois convaincu que l’adaptation aux besoins de Mme Cruden en Afghanistan constituerait une contrainte excessive pour son employeur – l’ACDI –, aurait dû rejeter aussi la plainte formée à l’encontre de Santé Canada.

[29]           Le juge de la Cour fédérale a fait observer au paragraphe 81 de sa décision qu’il peut se trouver une autre situation où l’application des Directives sur l’Afghanistan pourrait avoir pour conséquence le refus d’une affectation dans ce pays à un employé déterminé, même s’il était possible pour l’employeur de répondre à ses besoins sans en subir de contrainte excessive. Cependant, cette question ne se pose pas dans la présente espèce, et le Tribunal n’a relevé aucune situation particulière de cette nature. Le juge de la Cour fédérale a également rappelé que Santé Canada prévoyait de réviser les Directives sur l’Afghanistan.

[30]           Madame Cruden a en outre avancé que l’obligation d’adaptation comprenait l’obligation de prendre d’autres mesures d’adaptation qui lui auraient permis d’acquérir une expérience sur le terrain semblable à celle qu’elle aurait acquise en Afghanistan. Mme Cruden n’a pas déposé d’avis d’appel, et la Commission canadienne des droits de la personne n’a pas soulevé cette question particulière dans l’avis d’appel qu’elle a elle‑même déposé. Cependant, la Couronne ne s’est pas opposée à ce que Mme Cruden fasse valoir ce moyen.

[31]           Quoi qu’il en soit, il appert de la décision du Tribunal que l’acte discriminatoire allégué était le refus de l’ACDI de songer à affecter de nouveau Mme Cruden en Afghanistan (paragraphe 90 de la décision du Tribunal). Il est également clair que la question liée à Santé Canada se rapportait aussi aux affectations en Afghanistan. Par conséquent, la question en litige était celle de savoir si la ligne de conduite relative aux affectations en Afghanistan, et non celle relative aux affectations dans quelque autre pays que ce soit, constituait un acte discriminatoire. Qui plus est, Mme Cruden a précisé dans sa plainte qu’elle ne demandait pas la prise de mesures d’adaptation. Elle ne saurait donc avoir gain de cause avec ce moyen.

[32]            En conséquence, je rejetterais l’appel. Les dépens devraient normalement suivre l’issue de l’instance, mais je n’adjugerais aucuns dépens contre la Commission canadienne des droits de la personne, étant donné son mandat d’intérêt public, ni contre Mme Cruden, puisqu’elle n’a pas déposé d’avis d’appel et n’a mis en litige qu’une seule question nouvelle.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

            Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A‑214‑13

INTITULÉ :

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et BRONWYN CRUDEN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 MARS 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE DAWSON

 

 

 

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Brian Smith

 

POUR L’AppelantE

 

Robert MacKinnon

Elizabeth Kikuchi

Max Binnie

 

POUR LES INTIMÉs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Services du contentieux

Commission canadienne des droits de la personne

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’AppelantE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES INTIMÉs

 

 

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