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Date : 20140417


Dossier : A-557-12

Référence : 2014 CAF 102

CORAM :

LE JUGE NOËL

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE MAINVILLE

ENTRE :                                                                                                             

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

demandeur

 

et

 

SERGIY VOROBYOV

 

défendeur

 

et

 

COMMISSION DE RÉVISION AGRICOLE DU CANADA

 

intervenante

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 26 février 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 avril 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE MAINVILLE


Date : 20140417


Dossier : A-557-12

Référence : 2014 CAF 102

CORAM :

LE JUGE NOËL

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE MAINVILLE

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA)

demandeur

et

SERGIY VOROBYOV

défendeur

et

COMMISSION DE RÉVISION AGRICOLE DU CANADA

intervenante

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]               Notre Cour est saisie  d’une demande de contrôle judiciaire dirigée contre une décision de la Commission de révision agricole du Canada (la Commission) (2012 CRAC 25) par laquelle a été déclaré nul et non avenu l’examen ministériel qui a confirmé un avis de violation donnant lieu à sanction suivant le paragraphe 13(1) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, L.C. 1995, c. 40 (la Loi sur les sanctions pécuniaires). La Commission a de plus déclaré nul et non avenu l’avis de violation émis à l’encontre de M. Vorobyov (le défendeur) pour avoir importé des produits de viande en contravention de l’article 40 du Règlement sur la santé des animaux, C.R.C., ch. 296 (le Règlement).

 

[2]               La Commission a conclu que la décision ministérielle était invalide parce qu’elle avait été prise par un représentant du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile (ministre de la Sécurité publique) alors qu’aux termes de la Loi sur les sanctions pécuniaires, seul le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire (ministre de l’Agriculture) ou son représentant a le pouvoir de rendre cette décision. La Commission a en outre annulé l’avis de violation en raison des inconvénients et dépenses subis par le défendeur, sans faute de sa part.

 

[3]               Le Procureur général, agissant au nom du ministre de la Sécurité (le demandeur), soutient que la décision relative à l’examen a été prise par le ministre autorisé. Le demandeur ajoute que même si la Commission avait eu raison de conclure que le ministre de la Sécurité publique ne disposait d’aucun pouvoir décisionnel, elle n’avait pas compétence pour déclarer l’avis de violation nul et non avenu.

 

[4]               L’intervenante s’oppose à la présente demande de contrôle. Elle soutient qu’en raison de la définition du mot « ministre » énoncée à la Loi sur les sanctions pécuniaires, le ministre de la Sécurité publique n’était pas autorisé à statuer sur la révision de la violation. Elle déclare en outre qu’elle avait, par déduction nécessaire, la compétence pour déclarer l’avis de violation nul et non avenu.

 

[5]               Pour les motifs énoncés ci-dessous, je conclus que la Commission a à juste titre décidé que le ministre de la Sécurité publique n’avait pas le pouvoir de se prononcer sur la violation, mais que le jugement déclaratoire rendu par la Commission outrepassait sa compétence. Je propose donc d’accueillir la demande de contrôle judiciaire en partie et de substituer le jugement déclaratoire par une mesure de réparation que la Commission pouvait et aurait dû accorder.   

 

[6]               Les dispositions législatives pertinentes sont jointes en annexe aux présents motifs.

 

LES FAITS

[7]               Les faits qui ont donné lieu à la présente procédure en contrôle judiciaire sont relativement simples. Le 15 juin 2011, à son arrivée à l’aéroport international d’Edmonton, le défendeur s’est vu remettre un avis de violation par un agent de l’Agence ses services frontaliers du Canada (ASFC) car il aurait importé de la viande sans se conformer aux exigences prévues, en contravention de l’article 40 du Règlement (paragraphe 3 des motifs).

 

[8]               Le 20 juin 2011, le défendeur a présenté une demande de révision en vertu de l’alinéa 9(2)b) de la Loi sur les sanctions pécuniaires. La demande de révision du défendeur a été adressée au ministre de la Sécurité publique (paragraphe 5 des motifs).

 

[9]               La demande de révision a été transmise au ministre de la Sécurité publique, conformément à la procédure indiquée sur le site Web de l’ASFC (paragraphe 13 des motifs). Cette procédure semblait conforme à l’entente conclue entre l’ASFC et l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), qui confiait à l’ASFC la mission de procéder aux révisions ministérielles des avis de violation émis par ses agents (protocole d’entente intervenu entre l’ASFC et l’ACIA, en date du 23 juillet 2007, dossier d’appel, vol. 1, p. 58).

 

[10]           Le 15 août 2012, le défendeur a été avisé par lettre que l’avis de violation était confirmé. La lettre était signée par une représentante de l’ASFC,  « pour le ministre de la Sécurité publique » (paragraphe 6 des motifs).

 

[11]           Le 28 août 2012, le défendeur a demandé l’examen de la décision du ministre par la Commission en vertu de 9(2)b) de la Loi sur les sanctions pécuniaires (paragraphe 7 des motifs). Dans le cadre des procédures devant la Commission, l’ASFC a déposé un rapport dont l’intitulé la désignait comme partie défenderesse (paragraphe 8 des motifs).

 

[12]           Le 11 décembre 2012, la Commission a rendu une décision déclarant la décision ministérielle et l’avis de violation nuls et non avenus. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Commission devant notre  Cour. Aux termes d’une ordonnance rendue le 31 juillet 2013, la Commission a été autorisée à intervenir devant notre Cour (dossier du demandeur, vol. I, onglet 2).

 

[13]           Nous avons été informés en cours d’instance que six dossiers devant la Commission ont été suspendus dans l'attente de l’issue de la présente procédure en contrôle.

 

DÉCISION DE LA COMMISSION

[14]           La Commission a annulé la décision du ministre de la Sécurité publique ainsi que l’avis de violation au motif que ni le ministre de la Sécurité publique ni l’ASFC n’étaient légalement autorisés à procéder à la révision de l’avis de violation émis à l’encontre du défendeur. La Commission a essentiellement repris le raisonnement retenu  par la décision Iliut Razvan Puia c. Canada (Ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2012 CRAC 20, aux par. 21 à 34 (Puia), qui fut par la suite suivi dans Nisreen Abdul-Aziz c. Canada (Ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2012 CRAC 24 et paragraphe 15 des motifs.

 

[15]           D’emblée, la Commission rappelle qu’« il faut absolument, lors de la révision d’une décision de première instance et du processus décisionnel inhérent à cette décision, s’assurer que le décideur est la personne désignée par la loi » (paragraphe 15 des motifs, citant Puia, au par. 25). Selon l’article 2 de la Loi sur les sanctions pécuniaires, le ministre s’entend du  « […] ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire ou, en cas de violation constituant une contravention à la Loi sur les produits antiparasitaires, le ministre de la Santé [L.C. 2002, ch. 28 (la Loi sur les produits antiparasitaires)] ” (paragraphe 15 des motifs, citant Puia, aux par. 26 à 28).

 

[16]           Vu que les demandes de révision présentées en vertu de la Loi sur les sanctions pécuniaires ne peuvent être adressées qu’aux deux ministres identifiés ci-dessus, le ministre de la Sécurité publique ne pouvait être saisi ni disposer de la demande présentée par le défendeur en l’espèce. Selon la Commission, rien n’indique que la personne qui a traité la demande de révision au nom du ministre de la Sécurité publique exerçait un pouvoir légalement délégué au nom de l’un des ministres désignés en vertu de la Loi sur les sanctions pécuniaires (paragraphe 15 des motifs, citant Puia, aux par. 30 à 32). À ce titre, le paragraphe 24(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C., 1985, ch. I-21 (la Loi d’interprétation) ne trouve pas application en l’espèce.

 

[17]           Aux termes du paragraphe 24(2) de la Loi d’interprétation, une délégation de pouvoir par un ministre se limite à : un autre ministre agissant au nom de ce ministre (alinéa 24(2)a)); à toute personne au sein du ministère ou du département de ce ministre (alinéa 24(2)d)). Le paragraphe 24(2) ne peut être interprété comme autorisant des sous-délégations telles qu’en l’espèce, où le ministre de l’Agriculture délègue son pouvoir de révision au ministre de la Sécurité publique qui, à son tour, délègue son pouvoir aux agents de l’ASFC qui relèvent de lui. La maxime non potest delegare s’applique en l’espèce.

 

[18]           La Commission a de plus statué que la décision ministérielle ainsi que l’avis de violation étaient nuls et non avenus.

 

THÈSE DES PARTIES

            Le demandeur

[19]            Le demandeur soutient que la décision de la Commission doit faire l’objet d’un contrôle suivant la norme de la décision correcte, puisqu’elle porte principalement sur une question d’interprétation des lois ainsi que sur une question de droit n’appelant pas l’expertise de la Commission dans les domaines de l’agriculture et de l’agroalimentaire (mémoire du demandeur, aux par. 22 à 25).

 

[20]           Le demandeur avance trois principaux arguments au soutien de sa demande de contrôle judiciaire.

 

[21]           Premièrement, le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en concluant que le ministre de la Sécurité publique n’était pas légalement autorisé à rendre une décision en vertu du paragraphe 13(1) de la Loi sur les sanctions pécuniaires. Selon le demandeur, l’omission du ministre de la Sécurité publique à l’article 2 de la Loi sur les sanctions pécuniaires n’est qu’une simple erreur de rédaction qui résulte du délai intervenu entre la sanction royale de la Loi sur les produits antiparasitaires, en 2002, et son entrée en vigueur, en 2006. Lorsque la Loi sur les produits antiparasitaires est entrée en vigueur en 2006, elle a modifié la définition du mot « ministre » dans la Loi sur les sanctions pécuniaires, supprimant de ce fait la référence au ministre de la Sécurité publique qui avait été ajoutée dans l’intervalle, lors de  l’entrée en vigueur de la Loi sur l’Agence des services frontaliers du Canada, L.C. 2005, ch. 38, en 2005 (la Loi sur l’ASFC) (mémoire du demandeur, aux par. 44 à 58).

 

[22]           Le demandeur avance la thèse selon laquelle la Cour a le pouvoir de corriger des erreurs de rédaction lorsqu’il y a : 1) absurdité manifeste; 2) attribuable à une erreur dont on peut retracer l’origine; 3) et à laquelle il est possible de remédier par une correction évidente (mémoire du demandeur, au par. 59, citant  Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd., Markham, Lexis Nexis, 2008 à la p. 175 (Sullivan)). Le demandeur soutient que ces trois conditions sont remplies en l’espèce étant donné que : 1) la définition actuelle du mot « ministre » dans la Loi sur les sanctions pécuniaires est incompatible avec l’intention du législateur et l’esprit de la Loi sur les sanctions pécuniaires et de la Loi sur l’ASFC, ce qui conduit à un résultat absurde; 2) cette erreur de rédaction s’explique par un manque de coordination entre les modifications législatives successives apportées à la Loi sur l’ASFC et la Loi sur les sanctions pécuniaires; plus particulièrement, il est possible que les personnes chargées de la mise en œuvre de ces modifications n’aient pas eu à l’esprit le fait que l’adoption de la Loi sur les produits antiparasitaires était toujours en suspens lorsque ces deux textes législatifs ont été modifiés en décembre 2005, et qu’à la suite de son entrée en vigueur, en juin 2006, la définition du mot « ministre » ait repris sa signification initiale; 3) cette erreur de rédaction peut être facilement corrigée en écartant la version actuelle et en retenant l’article 2 de la Loi sur les sanctions pécuniaires dans sa version modifiée de 2005, qui mentionnait le ministre de la Sécurité publique (mémoire du demandeur, aux par. 62 à 74). Le demandeur ajoute que le ministre de la Sécurité publique n’a jamais prétendu agir au nom du ministre de l’Agriculture (mémoire du demandeur, au par. 81).

 

[23]           Le demandeur soutient que même si seul le ministre de l’Agriculture était autorisé à procéder à l’examen, la Commission a outrepassé sa compétence en annulant l’avis de violation au motif que le défendeur avait suffisamment souffert du processus.  Selon le paragraphe 14(1) de la Loi sur les sanctions pécuniaires, les pouvoirs de la Commission se limitent à confirmer, modifier ou annuler une décision prise par le ministre en application des articles 12 et 13 de la Loi sur les sanctions pécuniaires (paragraphe 14(1)(a)); ou à déterminer la responsabilité de la personne demandant la révision  (paragraphe 14(1)(b)) (mémoire du demandeur, aux par. 87 à 89). La Commission n’a pas le pouvoir de juger en equity, pas plus qu’elle ne possède une compétence implicite ou générale l’autorisant à statuer au-delà des dispositions de la Loi sur les sanctions pécuniaires (mémoire du demandeur, aux par. 92 à 109).

 

[24]           Troisièmement, le demandeur reproche à la Commission d’avoir soulevé de son propre chef la question de la compétence, sans donner l’occasion aux parties de présenter des observations à ce sujet. Cela contreviendrait à la règle audi alteram partem et constituerait, en soi, un motif suffisant pour accueillir la demande de contrôle (mémoire du demandeur, aux par. 110 à 116). 

 

            L’intervenante

[25]           L’intervenante a axé ses observations  sur le cadre réglementaire régissant les sanctions pécuniaires et la compétence implicite de la Commission. En ce qui concerne le premier élément, la Commission souligne qu’il incombe au premier chef au ministre de l’Agriculture de mettre en application la Loi sur les sanctions pécuniaires et les lois connexes en matière d’agriculture, alors que la compétence de l’ASFC et du  ministre de la Sécurité publique se limite à l’inspection des importations aux aéroports et aux autres postes frontaliers (mémoire de l’intervenante, aux par. 6 à 12). De plus, l’intervenante appelle notre Cour à ne pas corriger la définition du mot « ministre » afin d'englober le ministre de la Sécurité publique, soulignant la déférence due au législateur fédéral lorsqu’il s’agit d’étendre la portée des mots utilisés dans des dispositions législatives et les conséquences inattendues qu’une modification de cette nature pourrait avoir sur la cohérence de la loi dans son ensemble (mémoire de l’intervenante, au par. 19).

[26]           Quant à savoir si la Commission avait compétence pour déclarer l’avis de violation nul et  non avenu, l’intervenante s’appuie sur la doctrine de la compétence par déduction nécessaire et soutient qu’elle avait le pouvoir implicite de déclarer l’avis de violation nul et non avenu dans les circonstances de l’espèce (mémoire de l’intervenante, aux par. 28 et suivants, citant ATCO Gas & Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140 (ATCO Gas)). Cette thèse est conforme à l’objectif de la Loi sur les sanctions pécuniaires, qui consiste à offrir  un système de sanctions juste et efficace (mémoire de l’intervenante, aux par 30 à 32). L’intervenante insiste sur le fait que la Commission doit être en mesure de déclarer un avis de violation nul et non avenu afin d'éviter que le défendeur soit privé de son recours en révision sans qu’il y ait eu faute de sa part (mémoire de l’intervenante, par. 34 à 39).

 

            Le défendeur

[27]           Le défendeur n’a pas pris part à l’instance.

 

ANALYSE ET DÉCISION 

Norme de contrôle

[28]           Notre Cour a récemment réitéré que la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission portant sur de pures questions de droit est celle de la décision correcte (Canada (Agence des services frontaliers) c. Tao, 2014 CAF 52, au  par. 13; Agence des services frontaliers du Canada c. Castillo, 2013 CAF 271, au par. 11). Il s’ensuit que la  norme de la décision correcte s’applique aux questions de savoir si le ministre de la Sécurité publique avait le pouvoir de rendre une décision en vertu de la Loi sur les sanctions pécuniaires et si, dans la négative, la Commission avait compétence pour annuler l’avis de violation.

L’erreur de rédaction

[29]           La première question à trancher est celle de savoir si l’omission du ministre de la Sécurité publique dans la définition du mot « ministre » énoncée à l’article 2 de la Loi sur les sanctions pécuniaires résulte d’une erreur de rédaction et, dans l’affirmative, si la Cour devrait en l’espèce y remédier. De manière générale, les tribunaux sont généralement disposés à corriger une erreur de rédaction lorsqu’il est possible de démontrer que cette erreur aboutit à une absurdité manifeste, qu’il est possible d’en retracer l’origine et qu’il est possible d’y remédier par une correction évidente (Sullivan, p. 175).

 

[30]           Il convient cependant d'opérer une distinction entre les erreurs de rédaction et les lacunes de la législation. Il est de façon générale reconnu que le juge n’a pas compétence pour corriger les lacunes d’un régime législatif :

 

[traduction] Lorsque des dispositions législatives sont trop restrictives, elles ne sont pas appliquées à des situations qui doivent être couvertes par ces dispositions si l’objectif visé par le législateur devait être atteint. Il est possible de remédier à la portée trop limitative de cette disposition en ajoutant des mots qui auront pour effet d’élargir la portée des dispositions concernées, de sorte que leur application soit étendue à d’autres cas, soit ceux qui doivent être inclus pour atteindre l’objectif retenu. La jurisprudence refuse cependant d’appliquer cette technique. Dans la mesure où il est justifiable, le recours à une interprétation atténuée afin de remédier à une inclusion excessive est considéré comme une mesure s’intégrant au domaine de l’interprétation, alors que le recours à une interprétation large comme remède à la portée trop restrictive (ou à une carence) d’une disposition relève de la modification de cette disposition, dont il convient de laisser la réalisation au législateur (Sullivan, aux p. 177 et 178).

 

[Je souligne.]

 

 

[31]           Même si le demandeur le qualifie autrement, le problème auquel il est demandé à la Cour de remédier découle d’une définition trop restrictive. Plus particulièrement, le demandeur appelle la Cour à inclure le ministre de la Sécurité publique dans la définition du mot « ministre » énoncée à l’article 2 de la Loi sur les sanctions pécuniaires.

 

[32]           Le demandeur plaide instamment que l’omission du ministre de la Sécurité publique résulte  de modifications législatives dont le processus d’adoption est entaché d’inadvertance. Même si tel était le cas, il nous est tout de même demandé de remédier à une disposition trop limitative.

 

[33]           Au-delà du fait qu’il est généralement admis que l’inclusion par interprétation équivaut à légiférer (R. c. Shubley, [1990] S.C.J.  no 1, [1990] 1 R.C.S. 3; Stone c. Woodstock (Town), [2006] N.B.J. no 277, 302 N.B.R. (2d) 165 (C.A.N.B.); Beattie c. National Frontier Insurance Co., [2003] O.J. no 4258, 68 O.R. (3d) 60 (C.A.Ont.)), l’existence d’une lacune dans une disposition législative, le cas échéant, aboutit rarement à une absurdité manifeste. Ainsi, lorsqu’une loi est jugée trop restrictive, elle est appliquée de façon plus étroite qu’elle ne le devrait.  Bien que cette situation ne soit pas idéale, il est peu probable qu’une absurdité manifeste en résulte.

 

[34]           La présente affaire en est l’illustration. Si la Cour refuse d’ajouter le ministre de la Sécurité publique à la définition, le ministre de l’Agriculture est le seul ministre qui avait le pouvoir d’agir en l’espèce. Comme l’a démontré l’intervenante, il n’y a rien d’incongru à cela.

 

[35]           Le ministre de l’Agriculture assume au premier chef la charge de mettre en application la Loi sur les sanctions pécuniaires, la Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments, L.C. 1997, ch. 6, paragraphe 11 (5); la Loi sur les produits agricoles du Canada, L.R.C. 1985, ch. 20 (4e suppl.), article 2; ainsi que la Loi sur la santé des animaux, L.C. 1990, ch. 21. Cette législation est administrée et mise en œuvre par l’ACIA, un organisme qui relève du ministre de l’Agriculture.

 

[36]           L’alinéa 6a) de la Loi sur les sanctions pécuniaires confère au ministre de l’Agriculture le pouvoir de désigner des agents chargés d’émettre des avis de violation. En vertu de l’article 8 et de l’alinéa 9(2)b) de la même Loi, le ministre de l’Agriculture se voit accorder le pouvoir de réviser les avis de violation.

 

[37]           En revanche, le ministre de la Sécurité publique chapeaute l’ASFC dont la compétence se borne aux aéroports et aux postes frontaliers du Canada. La charge conférée à l’ASFC quant à  l’administration et l’exécution de la législation en matière d’agriculture est également restreinte aux activités qui ont cours en ces lieux.

 

[38]           Vu ce contexte, le fait que le ministre de l’Agriculture soit appelé à entendre les contrevenants sur les faits reprochés dans les avis de violation émis à la fois par l’ACIA et l’ASFC ne nuit pas à la saine administration du régime législatif et il n'en résulte aucune absurdité manifeste.  

 

[39]           Je conclus donc que si l’omission du ministre de la Sécurité publique de la définition du mot « ministre » est en effet attribuable à une coordination inadéquate des effets de modifications législatives successives, le libellé trop restrictif qui en résulte doit être corrigé par voie législative.

 

[40]           Il ressort donc en l’espèce que la Commission a eu raison de conclure que la décision de révision a été rendue par un ministre, ou par le délégué d’un ministre, qui n’avait pas le pouvoir de la rendre.

 

La mesure

[41]           La deuxième question à trancher est celle de savoir si la Commission avait compétence pour déclarer l’avis de violation nul et non avenu. La compétence de la Commission au titre de l’alinéa 14(1)b) de la Loi sur les sanctions pécuniaires n’est pas invoquée en l’espèce étant donné que le demandeur n’a pas sollicité l’intervention de la Commission aux termes de l’alinéa 9(2)c) de la Loi sur les sanctions pécuniaires. Il s’ensuit que la Commission n’avait pas compétence pour accorder une mesure en vertu de cette disposition. Je relève cependant qu’en vertu de l’alinéa 9(2)(c),  la Commission ne peut annuler un avis de violation en se fondant sur des motifs autres que ceux relatifs au fond de l’affaire.

 

[42]           La compétence de la Commission à l’égard d’une décision ministérielle rendue en vertu de l’alinéa 14(1)a) de la Loi sur les sanctions pécuniaires se borne à confirmer, modifier ou annuler la décision du ministre. Lorsqu’aucune décision ne lui est déférée parce que, comme en l’espèce, ladite décision a été rendue par une personne qui n'avait pas le pouvoir de la rendre, le rôle de la Commission consiste à noter au dossier l’absence de décision et de prendre acte du fait qu’elle n’a donc pas compétence pour rendre une ordonnance en vertu de l’alinéa 14(1)a).

[43]           C’est d’ailleurs ce que semble reconnaître l’intervenante. Elle invoque néanmoins la compétence qui lui est conférée par déduction nécessaire et défend la thèse selon laquelle elle doit exercer cette compétence implicite et déclarer l’avis de violation nul et non avenu, afin d’éviter qu’une injustice ne soit commise (mémoire de l’intervenante, par. 33). Elle plaide plus particulièrement ce qui suit (mémoire de l’intervenante, par. 54) :

 

[traduction] […], il est pratiquement nécessaire que la Commission soit en mesure de déclarer l’avis de violation nul et non avenu afin d’éviter que [le défendeur] ne tombe dans un gouffre procédural.

 

 

[44]           Dans l'affaire ATCO Gas, la Cour suprême du Canada a rappelé que la compétence d’un tribunal administratif peut aussi exister par déduction nécessaire. La Cour a plus particulièrement retenu l'observation suivante tirée de l’arrêt Re Dow Chemical Canada Inc. and Union Gas Ltd., (1982), 141 D.L.R. (3d) 641 (C.A. de l’Ont.) (Atco, par. 51):

 

[TRADUCTION] Lorsque l’objet de la législation est de créer un large cadre réglementaire, le tribunal administratif doit disposer des pouvoirs qui, par nécessité pratique et déduction nécessaire, découlent du pouvoir réglementaire qui lui est expressément conféré […]

 

 

[45]           L’objectif de la Loi sur les sanctions pécuniaires est l’établissement d’un régime juste et efficace de sanctions administratives pécuniaires garantissant la saine administration des lois agroalimentaires (article 3 de la Loi sur les sanctions pécuniaires). Cet objectif n’est manifestement pas atteint lorsque les personnes accusées de violations se voient privées de leurs recours sans faute de leur part. De la même façon, par ailleurs, l’objectif de la Loi sur les sanctions pécuniaires n’est pas atteint lorsque des avis de violation validement émis sont écartés pour des motifs qui n’ont rien à voir avec le fond de l'affaire.

[46]           À mon avis, la Commission a compétence, par déduction nécessaire, pour veiller à ce que le défendeur ne soit pas privé de son droit de contester l’avis de violation. Cependant, annuler l’avis de violation sans égard au fait que la violation a été commise ou non serait tout aussi injustifiable que de priver le défendeur de ses recours.

 

[47]           Étant donné la nature du problème posé, si la Commission avait correctement exercé la compétence qui lui est conférée par déduction nécessaire, elle aurait dû renvoyer la demande d’examen ministériel du défendeur datée du 20 juin 2011 au ministre de l’Agriculture, avec effet à compter de cette date, de sorte qu’elle puisse être étudiée par le ministre approprié et que le défendeur puisse par la suite exercer son droit de se pourvoir devant la Commission si la demande devait ne pas porter fruit. Comme la demande d’examen aurait été déposée auprès du ministre de l’Agriculture le 20 juin 2011 n’eût été la directive erronée de l’ASFC,  il convient tout à fait de préserver la date originale du dépôt.

 

[48]           J’accueillerais donc la demande de contrôle judiciaire en partie, j’annulerais la décision de la Commission déclarant l’avis de violation nul et non avenu et renverrais l’affaire devant la Commission avec directive de rendre une ordonnance référant la demande de révision ministérielle présentée par le défendeur en date du 20 juin 2011 au ministre de l’Agriculture pour prendre effet à compter de cette date.

 

« Marc Noël »

j.c.a.

« Je suis d’accord

           J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

           Robert M. Mainville j.c.a. »

Traduction certifiée
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

 

Règlement sur la santé des animaux (C.R.C., ch. 296)

Health of Animals Regulations (C.R.C., c. 296)

 

40. Il est interdit d’importer un sous-produit animal, du fumier ou une chose contenant un sous-produit animal ou du fumier, sauf en conformité avec la présente partie.

 

40. No person shall import into Canada an animal by-product, manure or a thing containing an animal by-product or manure except in accordance with this Part.

 

Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (L.C. 1995, ch. 40)

 

Agriculture and Agri-Food Administrative Monetary Penalties Act (S.C. 1995, c. 40)

 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

« ministre »

“Minister”

« ministre » Le ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire ou, en cas de violation constituant une contravention à la Loi sur les produits antiparasitaires, le ministre de la Santé. 

 

[…]

 

 In this Act,

 

 

“Minister”

« ministre »

 “Minister” means the Minister of Agriculture and Agri-Food, except that, in relation to a violation involving a contravention of the Pest Control Products Act , it means the Minister of Health;

 

 

 (1) Si le procès-verbal inflige une sanction et que le contrevenant paie, dans le délai et selon les modalités réglementaires, le montant de celle-ci — ou, sous réserve des règlements, le montant inférieur prévu au procès-verbal — , le paiement, que le ministre accepte en règlement, vaut déclaration de responsabilité à l’égard de la violation et met fin à la poursuite.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(2) À défaut d’effectuer le paiement, le contrevenant peut, dans le délai et selon les modalités réglementaires :

 

 

 

 

a) si la sanction est de 2 000 $ ou plus, demander au ministre de conclure une transaction en vue de la bonne application de la loi agroalimentaire ou du règlement en cause;

 

 

b) contester auprès du ministre les faits reprochés;

 

 

c) demander à la Commission de l’entendre sur les faits reprochés.

 

 

[…]

 (1) Where a Notice of Violation sets out a penalty and the person named in the notice pays, in the prescribed time and manner, the amount of the penalty or, subject to the regulations, the lesser amount set out in the notice that may be paid in lieu of the penalty,

 

(a) the person is deemed to have committed the violation in respect of which the amount is paid;

 

(b) the Minister shall accept that amount as and in complete satisfaction of the penalty; and

 

(c) the proceedings commenced in respect of the violation under section 7 are ended.

 

(2) Instead of paying the penalty set out in a Notice of Violation or, where applicable, the lesser amount that may be paid in lieu of the penalty, the person named in the notice may, in the prescribed time and manner,

 

(a) if the penalty is $2,000 or more, request to enter into a compliance agreement with the Minister that ensures the person’s compliance with the agri-food Act or regulation to which the violation relates;

 

(b) request a review by the Minister of the facts of the violation; or

 

(c) request a review by the Tribunal of the facts of the violation.

 

 

 (1) Saisi d’une contestation au titre de l’alinéa 9(2)b), le ministre détermine la responsabilité du contrevenant et lui fait notifier sa décision. S’il juge que le montant de la sanction n’a pas été établi en application des règlements, il y substitue le montant qu’il estime conforme.

 

[…]

 (1) After concluding a review requested under paragraph 9(2)(b), the Minister shall determine whether or not the person requesting the review committed a violation and, where the Minister decides that the person committed a violation but considers that the amount of the penalty for the violation was not established in accordance with the regulations, the Minister shall correct the amount of the penalty for the violation, and the Minister shall cause a notice of any decision under this subsection to be served on the person who requested the review.

 (1) Saisie d’une affaire au titre de la présente loi, la Commission, par ordonnance et selon le cas, soit confirme, modifie ou annule la décision du ministre, soit détermine la responsabilité du contrevenant; en outre, si elle estime que le montant de la sanction n’a pas été établi en application des règlements, elle y substitue le montant qu’elle juge conforme. Elle fait notifier l’ordonnance à l’intéressé et au ministre.

 

[…]

 (1) After concluding a review requested under this Act, the Tribunal shall, by order, as the case may be,

 

(a) confirm, vary or set aside any decision of the Minister under section 12 or 13, or

 

(b) determine whether or not the person requesting the review committed a violation and, where the Tribunal decides that the person committed a violation but considers that the amount of the penalty for the violation, if any, was not established in accordance with the regulations, the Tribunal shall correct the amount of the penalty,

 

and the Tribunal shall cause a notice of any order made under this subsection to be served on the person who requested the review, and on the Minister.

 

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-557-12

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, (Agence des services frontaliers du Canada) c. SERGIY VOROBYOV ET COMMISSION DE RÉVISION AGRICOLE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 février 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 avril 2014

 

COMPARUTIONS :

Patricia Gravel

 

Pour le demandeur

 

Sergiy Vorobyov

 

Pour le défendeur

(SE REPRÉSENTANT SEUL)

 

Thomas Slade

 

Pour l'intervenante

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le demandeur

 

Supreme Advocacy LLP

Ottawa (Ontario)

Pour l'intervenante

 

 

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