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Date : 20140305

Dossier : A-82-13

Référence : 2014 CAF 60

CORAM : LE JUGE PELLETIER

            LA JUGE GAUTHIER

                                    LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

PAUL ABI-MANSOUR

appelant

et

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

intimée

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 mars 2014.

 

 

MOTIF DU JUGEMENT:

MAINVILLE J.A.

Y ONT SOUSCRIT:

PELLETIER J.A.

 

GAUTHIER J.A.

 


Date : 20140305

Dossier : A-82-13

Référence : 2014 CAF 60

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

PAUL ABI-MANSOUR

appelant

et

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE MAINVILLE

[1]               Les présents motifs concernent l'appel d'une décision non publiée du 7 février 2013 (l'ordonnance) par laquelle la juge Gagné de la Cour fédérale (la juge) a rejeté une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 24 novembre 2011 par laquelle le Tribunal de la dotation de la fonction publique avait refusé la demande présentée par l'appelant en vue de joindre le Conseil du Trésor comme partie à l'instance à l'égard de sa plainte en matière de dotation.

 

Le contexte de l'instance

[2]               En décembre 2010, la Commission de la fonction publique a annoncé une offre d'emploi concernant un poste du groupe et du niveau EC‑04. L'appelant a soumis sa candidature, mais il a finalement été éliminé à l'étape de la présélection au motif qu'il ne remplissait pas les conditions minimales pour ce poste.

 

[3]               L'appelant a par la suite porté plainte devant le Tribunal de la dotation de la fonction publique en vertu de l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP). Les paragraphes 30(1) et (2) et l'alinéa 77(1)a) de la LEFP sont ainsi libellés :

30. (1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

 

30. (1) Appointments by the Commission to or from within the public service shall be made on the basis of merit and must be free from political influence.

 

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

 

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l'administrateur général pour le travail à accomplir;

 

b) la Commission prend en compte :

 

(i) toute qualification supplémentaire que l'administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l'administration, pour le présent ou l'avenir,

 

(ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l'administration précisée par l'administrateur général,

 

(iii) tout besoin actuel ou futur de l'administration précisé par l'administrateur général.

(2) An appointment is made on the basis of merit when

 

 

(a) the Commission is satisfied that the person to be appointed meets the essential qualifications for the work to be performed, as established by the deputy head, including official language proficiency; and

 

(b) the Commission has regard to

 

 

(i) any additional qualifications that the deputy head may consider to be an asset for the work to be performed, or for the organization, currently or in the future,

 

(ii) any current or future operational requirements of the organization that may be identified by the deputy head, and

 

(iii) any current or future needs of the organization that may be identified by the deputy head.

 

 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d'un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui‑ci une plainte selon laquelle elle n'a pas été nommée ou fait l'objet d'une proposition de nomination pour l'une ou l'autre des raisons suivantes :

 

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l'administrateur général dans l'exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

 

 (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Tribunal's regulations — make a complaint to the Tribunal that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

 

 

 

(a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection 30(2);

 

 

 

[4]               L'appelant affirme dans sa plainte que : a) les tests d'admission préparés par la Commission de la fonction publique sont biaisés sur les plans culturel et linguistique, et les pratiques de la Commission ont transformé les personnes qui appartiennent à des minorités culturelles et linguistiques en des citoyens de seconde zone; b) les personnes chargées du concours pour lequel il a posé sa candidature ont comploté avec des fonctionnaires du Conseil du Trésor à des fins irrégulières pour modifier les conditions du concours de manière à éliminer l'appelant. L'appelant demande donc l'annulation de la nomination du candidat retenu et réclame la tenue d'un nouveau concours auquel il serait autorisé à participer.

 

[5]               Compte tenu du contexte de cette plainte et du fait que les fonctionnaires du Conseil du Trésor ont joué un rôle important pour s'assurer qu'il soit écarté du concours, l'appelant a demandé que le Tribunal de la dotation de la fonction publique joigne le Conseil du Trésor comme partie à l'instance et qu'il lui donne par ailleurs l'ordre de produire divers documents.

 

Les décisions des tribunaux inférieurs

[6]               Le Tribunal de la dotation de la fonction publique a rejeté la demande visant à joindre le Conseil du Trésor comme partie à l'instance au motif qu'il n'avait pas le pouvoir légal de prendre cette mesure. Le Tribunal a fondé sa décision sur son interprétation du paragraphe 79(1) de la LEFP :

 (1) Le plaignant visé à l'article 77, la personne qui a fait l'objet de la proposition de nomination ou qui a été nommée, la Commission et l'administrateur général, ou leurs représentants, ont le droit de se faire entendre par le Tribunal.

 (1) A person making a complaint under section 77, the person appointed or proposed for appointment, the deputy head and the Commission — or their representatives — are entitled to be heard by the Tribunal.

 

 

 

 

[7]               Néanmoins, en vertu des pouvoirs que lui confère l'alinéa 99(1)e) de la LEFP, le Tribunal de la dotation de la fonction publique a contraint un fonctionnaire du Conseil du Trésor à produire certains des documents réclamés par l'appelant.

[8]               L'appelant a introduit une demande de contrôle judiciaire de cette décision devant la Cour fédérale. Se fondant sur l'arrêt rendu par notre Cour dans l'affaire C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332 (C.B. Powell), la juge, à la page 2 de son ordonnance, s'est dite d'avis que [TRADUCTION] « les décisions interlocutoires des organismes et des tribunaux administratifs ne peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire que dans des circonstances exceptionnelles ». Elle a par conséquent refusé de procéder au contrôle de la décision du Tribunal de la dotation de la fonction publique au motif que les circonstances en cause n'étaient pas exceptionnelles.

 

Les questions soulevées en appel

[9]               Bien que l'appelant ait invoqué plusieurs moyens d'appel, on peut les ramener aux deux questions suivantes :

a)         La juge a‑t‑elle manqué aux principes d'équité procédurale?

b)         La juge a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande de contrôle judiciaire?

 

Analyse

[10]           À l'audience présidée par la juge, l'intimée a fait valoir qu'à cette étape‑ci de l'instance, la juge ne devait pas modifier la décision interlocutoire du Tribunal de la dotation dans la fonction publique, étant donné qu'aucune des circonstances exceptionnelles invoquées dans l'arrêt C.B. Powell ne s'appliquait. Dans le présent appel, l'appelant affirme qu'en ne soulevant pas plus tôt la question et en ne citant pas l'arrêt C.B. Powell dans son mémoire des faits et du droit, l'intimée l'a pris au dépourvu à l'audience. Par conséquent, l'appelant affirme que son droit à une audience équitable a été violé.

[11]           Après avoir examiné attentivement le dossier, je ne suis pas d'accord avec l'appelant. L'intimée a nettement soulevé la question aux paragraphes 80 à 83 de son mémoire des faits et du droit, qu'elle a produit avant l'audience tenue devant la juge (le mémoire). Je reproduis certains extraits de ce mémoire :

[TRADUCTION]

 

- « Dans l'arrêt récent Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle‑Écosse, la Cour suprême du Canada a déclaré dans les termes les plus nets que les juridictions de révision ne doivent pas intervenir dans les décisions rendues par les tribunaux administratifs à un stade préliminaire de l'instance » (mémoire, au paragraphe 80);

 

- « Ainsi que la Cour suprême l'a récemment réaffirmé dans l'arrêt Halifax, les tribunaux ne devraient pas intervenir aux stades préliminaires des processus administratifs » (mémoire, au paragraphe 82);

 

- « Ce principe s'applique manifestement à la présente affaire [...] La Cour ne devrait normalement pas intervenir à cette étape; elle devrait plutôt laisser le processus administratif suivre son cours jusqu'à son terme » (mémoire, au paragraphe 83).

 

[12]           L'appelant affirme néanmoins que ce n'est que lors de l'audience qui s'est déroulée devant la juge que l'intimée a mentionné pour la première fois l'arrêt C.B. Powell de notre Cour ainsi que les décisions dans lesquelles la Cour fédérale a appliqué cet arrêt. Toutefois, l'arrêt Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 R.C.S. 364, de la Cour suprême du Canada, que l'intimée a mentionné dans son mémoire, renvoie expressément à l'arrêt C.B. Powell.

 

[13]           Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, je ne puis conclure que la juge n'a pas permis à l'appelant de bénéficier d'une audience équitable.

 

[14]           Qui plus est, la demande de contrôle judiciaire est mal fondée.

[15]           Aucune des réparations réclamées par l'appelant dans sa plainte déposée devant le Tribunal de la dotation de la fonction publique ne peut être accordée par le Conseil du Trésor. D'ailleurs, dans sa plainte, l'appelant réclame essentiellement que la nomination faite au poste qu'il convoitait soit révoquée, qu'on le nomme à ce poste ou à un poste semblable et qu'on lui verse une indemnité financière. Aucune de ces réparations ne fait intervenir directement le Conseil du Trésor.

 

[16]           Dans ces conditions, la question de savoir si le Tribunal de la dotation de la fonction publique avait compétence pour joindre le Conseil du Trésor comme partie à l'instance n'est pas déterminante quant à l'issue de l'appel. Il n'y a aucune raison de fait ou de droit qui justifierait de joindre le Conseil du Trésor comme partie à l'instance, et ce, même si le Tribunal avait compétence pour le faire, question qu'il n'est pas nécessaire de trancher. Par conséquent, aucune question fondamentale d'équité procédurale ou de compétence n'était en litige dans la présente instance.

 

[17]           Je suis par conséquent d'avis de rejeter le présent appel, avec dépens.

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

            J.D. Denis Pelletier »

 

« Je suis d'accord.

            Johanne Gauthier »

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :                                                    A-82-13

 

APPEL D'UNE ORDONNANCE RENDUE LE 7 FÉVRIER 2013 PAR LA JUGE GAGNÉ DANS LE DOSSIER T‑2006‑11

 

INTITULÉ :

PAUL ABI-MANSOUR c. COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA, ONTARIO

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

21 JANVIER 2014

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

MAINVILLE J.A.

 

 

Y ONT SOUSCRIT

PELLETIER J.A.

GAUTHIER J.A.

 

 

DATE DES MOTIFS :

5 MARS 2014

 

 

COMPARUTIONS :

 

PAUL ABI-MANSOUR

 

L'APPELANT

(POUR son propre COMPTE)

 

RICHARD FADER

 

POUR L'INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L'INTIMÉE

 

 

 

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