Date : 20251007
Dossier : A-140-23
Référence : 2025 CAF 180
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM : |
LE JUGE LASKIN LE JUGE LOCKE LA JUGE ROUSSEL |
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ENTRE : |
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PRIORITY FOUNDATION |
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appelante |
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MINISTRE DU REVENU NATIONAL |
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intimé |
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Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 24 juin 2024.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 octobre 2025.
MOTIFS DU JUGEMENT : |
LA JUGE ROUSSEL |
Y ONT SOUSCRIT : |
LE JUGE LASKIN LE JUGE LOCKE |
Date : 20251007
Dossier : A-140-23
Référence : 2025 CAF 180
CORAM : |
LE JUGE LASKIN LE JUGE LOCKE LA JUGE ROUSSEL |
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ENTRE : |
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PRIORITY FOUNDATION |
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appelante |
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et |
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MINISTRE DU REVENU NATIONAL |
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intimé |
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MOTIFS DU JUGEMENT
LA JUGE ROUSSEL
I. Aperçu
[1] Priority Foundation interjette appel en vertu de l’alinéa 172(3)a.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (LIR), relativement à la signification d’un avis d’intention de révoquer son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance. L’avis a été donné le 10 novembre 2022 par le ministre du Revenu national (ou l’Agence du revenu du Canada (ARC) agissant pour le compte du ministre), conformément aux paragraphes 149.1(3) et 168(1) de la LIR. La révocation a pris effet le 14 janvier 2023, date à laquelle l’avis a été publié dans la Gazette du Canada.
[2] La décision du ministre de révoquer l’enregistrement de Priority à titre d’organisme de bienfaisance était fondée sur son opinion selon laquelle Priority avait omis de se conformer aux exigences de la LIR en versant des dons à des donataires non reconnus. Les dons en cause ont été versés par Priority à des organismes de bienfaisance aux États-Unis.
[3] Priority fait valoir qu’aux termes du paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, 26 septembre 1980, R.T. Can. 1984 no 15 (Convention en matière d’impôts), les dons versés à un organisme de bienfaisance aux États‑Unis doivent être considérés, aux fins de l’imposition canadienne, comme des dons versés à un organisme de bienfaisance enregistré au sens de la LIR (disposition sur les dons). Selon Priority, puisqu’un organisme de bienfaisance enregistré est un « donataire reconnu »
au sens de la LIR, le ministre n’avait aucun motif de révoquer son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance.
[4] Ce n’est pas la première fois que la question de l’interprétation du paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts se pose devant la Cour (voir Prescient Foundation c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 120, et Public Television Association of Quebec c. Canada (Revenu national), 2015 CAF 170). Cependant, dans ces deux cas, la Cour a pu trancher les appels sans se prononcer sur l’interprétation à donner à la disposition sur les dons de la Convention en matière d’impôts.
[5] Les parties conviennent que la question de l’interprétation du paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts est déterminante quant aux questions qui demeurent en litige en l’espèce.
[6] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.
II. Contexte
[7] Le 6 août 2008, Priority a été constituée en corporation sans capital-actions sous le régime de la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C. (1970), ch. C-32, aujourd’hui abrogée. Aux termes de la demande de lettres patentes, les objets de Priority étaient les suivants :
[traduction]
a) solliciter et recevoir des dons, legs, fiducies, fonds et biens et, à titre bénéficiaire ou en sa qualité de fiduciaire ou de mandataire, détenir, placer, mettre en valeur, gérer, accumuler et administrer des fonds et biens aux fins de leur distribution exclusive à des organismes de bienfaisance enregistrés et à des « donataires reconnus », conformément aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu;
b) entreprendre des activités accessoires aux fins de bienfaisance susmentionnées.
(Dossier d’appel, p. 41 et 42)
[8] Peu après, Priority a présenté une demande d’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance. Le 29 octobre 2008, le ministre a délivré un avis d’enregistrement confirmant que Priority était admissible à l’exonération d’impôt en tant qu’organisme de bienfaisance enregistré par application de l’alinéa 149(1)f) de la LIR. L’avis d’enregistrement précisait aussi que Priority était désignée comme une fondation publique [traduction] « étant entendu qu’elle se limitera[it] à recevoir et à gérer des fonds dans le but exclusif de verser des dons à des “donataires reconnus” au sens du paragraphe 149.1(1) de la [LIR] »
(dossier d’appel, p. 61).
[9] Dans une lettre du 15 janvier 2019, l’ARC a avisé Priority qu’elle avait été sélectionnée pour faire l’objet d’une vérification pour les années d’imposition se terminant le 31 juillet 2015, le 31 juillet 2016 et le 31 juillet 2017, et elle lui a demandé de fournir certains renseignements et documents se rapportant à ces années d’imposition. L’ARC a expliqué que la vérification découlait du fait que Priority semblait verser des dons à des organisations qui n’étaient pas considérées comme des donataires reconnus au sens de la LIR (dossier d’appel, p. 78 et 79). En réponse, Priority a affirmé qu’elle n’avait [traduction] « remis des fonds ou des biens qu’à des organismes de bienfaisance enregistrés et à des donataires reconnus »
, étant entendu que, aux termes de la Convention en matière d’impôts, les dons à des organismes de bienfaisance américains sont considérés être des dons à des organismes de bienfaisance enregistrés (dossier d’appel, p. 82 et 83).
[10] Le 9 septembre 2021, l’ARC a remis à Priority une lettre d’équité administrative dans laquelle elle expliquait que Priority avait omis de se conformer à la loi de trois façons : (1) en ne consacrant pas les ressources à des fins de bienfaisance, notamment en faisant des dons sous forme de versements à des donataires non reconnus; (2) en ne respectant pas le contingent des versements; (3) en ne présentant pas une déclaration de renseignements dans les cas prévus par la LIR et/ou le Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945.
[11] En réponse à l’argument avancé par Priority au sujet de l’application de la Convention en matière d’impôts, l’ARC a indiqué que la Convention [traduction] « accorde un allégement fiscal limité pour les dons versés par des résidents du Canada à des organisations américaines »
. Elle a expliqué qu’aux termes du paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts, [traduction] « les dons versés par un résident du Canada à une organisation qui réside aux États‑Unis, qui est généralement exonérée de l’impôt des États‑Unis et qui pourrait avoir le statut d’organisme de bienfaisance enregistré au Canada si elle était un résident du Canada et si elle avait été créée ou établie au Canada, sont considérés comme des dons versés à un organisme de bienfaisance enregistré aux fins de la réduction de l’impôt à payer au Canada relativement au revenu du donateur provenant des États‑Unis »
(dossier d’appel, p. 115).
[12] L’ARC a ajouté que, bien qu’elle reconnaisse qu’une entité exonérée aux termes de l’alinéa 501(c)(3) du Internal Revenue Code des États‑Unis, U.S.C. 26 (entité visée à l’alinéa 501(c)(3) de la loi américaine), serait visée par le paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts, cela ne signifie pas que cette entité est un « donataire reconnu »
au sens de la LIR à qui un organisme de bienfaisance enregistré au Canada peut faire des dons sous forme de versements. L’ARC a informé Priority que le ministre avait l’intention de révoquer son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance en raison de la gravité de la non-conformité (dossier d’appel, p. 115).
[13] Priority a répondu dans une lettre du 22 décembre 2021. Elle a expliqué pourquoi l’interprétation du paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts proposée par l’ARC était, selon elle, erronée, et elle a indiqué qu’elle était disposée à soumettre la question à la Cour. L’ARC n’a pas répondu à la lettre de Priority. Le 23 février 2022, Priority a donc envoyé à l’ARC une lettre de suivi accompagnée d’une lettre rédigée en 1994 par la Direction des décisions en impôt. Dans sa lettre de suivi, Priority a indiqué que [traduction] « la Direction des décisions en impôt a accepté il y a près de trente ans que l’article XXI “considère les dons versés à un organisme de bienfaisance américain comme des dons versés à un organisme de bienfaisance enregistré au Canada” »
, et elle a précisé que c’était simplement ce qu’elle demandait à l’ARC de faire dans le présent dossier (dossier d’appel, p. 134).
[14] Dans une lettre du 10 novembre 2022, le directeur général de la Direction des organismes de bienfaisance a informé Priority que le ministre avait l’intention de révoquer son enregistrement, étant donné la conclusion selon laquelle Priority ne se conformait pas aux exigences de la LIR.
[15] Dans les motifs annexés à la lettre, l’ARC a informé Priority qu’elle demeurait d’avis qu’un résident du Canada n’ayant aucun revenu provenant des États‑Unis ne pouvait pas déduire les dons versés à des entités visées à l’alinéa 501(c)(3) de la loi américaine de son revenu provenant d’autres sources. Bien que Priority résidait au Canada et pouvait avoir un revenu provenant des États‑Unis, elle ne pouvait pas bénéficier de cette disposition parce qu’elle ne cherchait pas à obtenir un allégement fiscal à l’égard de ce type de revenu. Le paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts [traduction] « n’a pas pour effet d’assimiler les entités visées à l’alinéa 501(c)(3) de la loi américaine à des “donataires reconnus” au sens de la [LIR], ce qui permettrait à un organisme de bienfaisance enregistré au Canada de faire des dons sous forme de versements à ces entités »
(dossier d’appel, p. 15). Par conséquent, Priority n’était pas administrée exclusivement à des fins de bienfaisance et ne répondait plus à la définition d’une fondation de bienfaisance. Priority a été informée qu’elle pouvait déposer un avis d’opposition auprès de la Direction générale des appels dans les 90 jours suivant la mise à la poste de l’avis d’intention de révoquer l’enregistrement.
[16] Le 19 janvier 2023, le ministre a informé Priority que l’avis de révocation de son enregistrement avait été publié dans la Gazette du Canada, partie I, volume 157, no 2, le 14 janvier 2023, et qu’à compter de cette date elle n’était plus un organisme de bienfaisance enregistré (dossier d’appel, p. 32 et 34).
[17] Le 6 février 2023, Priority a déposé un avis d’opposition dans lequel elle faisait valoir que l’interprétation du paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts par l’ARC n’était pas conforme aux règles d’interprétation des traités. Priority a répété que, selon elle, cette disposition permet à un organisme de bienfaisance enregistré de verser des dons à des entités visées à l’alinéa 501(c)(3) de la loi américaine et que ces dons devraient être considérés comme des versements admissibles. Priority a également fait valoir qu’il était déraisonnable pour l’ARC de révoquer son enregistrement avant la fin de la période d’opposition ou d’appel, alors que la question de l’interprétation de la Convention en matière d’impôts n’avait pas encore été tranchée par notre Cour (dossier d’appel, p. 474 à 484).
[18] Le 17 février 2023, l’ARC a accusé réception de l’avis d’opposition de Priority et a informé Priority que, compte tenu de l’arriéré de dossiers, un agent d’appel communiquerait avec elle dans environ six mois [traduction] « pour examiner les faits et discuter de l’opposition »
(dossier d’appel, p. 485).
[19] Priority interjette appel à la Cour, en vertu de l’alinéa 172(3)a.1) de la LIR, de l’omission du ministre de confirmer ou d’annuler l’avis d’intention de révoquer l’enregistrement de Priority dans les 90 jours suivant la signification de son avis d’opposition. Priority soutient que l’interprétation du paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts proposée par le ministre est erronée en droit.
III. Question en litige
[20] La question en litige dans le présent appel est de savoir si le ministre a commis une erreur en révoquant l’enregistrement de Priority à titre d’organisme de bienfaisance au motif qu’elle avait versé des dons à des donataires non reconnus. Pour trancher la question, la Cour doit interpréter le paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts et déterminer l’incidence de cette disposition sur la définition du terme « donataire reconnu »
énoncée au paragraphe 149.1(1) de la LIR. Autrement dit, je dois décider si le paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts permet à Priority de conserver son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance au motif qu’elle a versé des dons à des entités visées à l’alinéa 501(c)(3) de la loi américaine.
IV. Analyse
A. Norme de contrôle
[21] Les décisions qui font l’objet d’un appel prévu par l’alinéa 172(3)a.1) de la LIR sont assujetties aux normes de contrôle applicables en appel. Les questions de droit, notamment les questions liées à l’interprétation des traités, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Pour les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit en l’absence d’un principe juridique facilement isolable, la norme de contrôle applicable est celle de l’erreur manifeste et déterminante (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, par. 37; Canada c. Alta Energy Luxembourg S.A.R.L., 2021 CSC 49, par. 50; Athletes 4 Athletes Foundation c. Canada (Revenu national), 2021 CAF 145, par. 16).
[22] Je partage l’avis des parties que les questions soulevées dans le présent appel sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.
B. Cadre législatif
[23] Avant de me pencher sur l’interprétation du paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts, j’estime utile de donner un bref aperçu de haut niveau de la façon dont la LIR s’applique aux dons de bienfaisance. Bien que certaines dispositions de la LIR aient été modifiées au cours des années en cause, sauf indication contraire, ces modifications ne sont pas pertinentes aux fins de l’appel de Priority.
[24] De façon générale, la société qui fait un don de bienfaisance à un donataire reconnu peut déduire le montant du don dans le calcul de son revenu imposable (alinéa 110.1(1)a) de la LIR). Le particulier, en revanche, peut réclamer un crédit d’impôt dans le calcul de son impôt payable pour une année d’imposition (paragraphes 118.1(1) et (3) de la LIR). Les dons de bienfaisance admissibles pour une année d’imposition donnée sont généralement limités à un certain pourcentage du revenu net du donateur cette année-là. Les dons de bienfaisance admissibles mais non réclamés peuvent être reportés sur les cinq exercices ultérieurs.
[25] Pendant la majeure partie de la période de vérification en l’espèce, le paragraphe 149.1(1) de la LIR définissait ainsi le terme « donataire reconnu »
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[26] Aux fins de l’analyse qui suit, les donataires reconnus pertinents sont un organisme de bienfaisance enregistré, une université située à l’étranger qui compte d’ordinaire parmi ses étudiants des étudiants venant du Canada et que le ministre a enregistrée, et un organisme de bienfaisance étranger dont la demande d’enregistrement présentée au ministre en vertu du paragraphe 149.1(26) de la LIR a été accueillie.
[27] Le terme « organisme de bienfaisance enregistré »
est défini au paragraphe 248(1) de la LIR. Il comprend une œuvre de bienfaisance, fondation privée ou fondation publique qui réside au Canada, qui y a été constituée ou y est établie et qui a présenté au ministre une demande d’enregistrement et qui est enregistrée, au moment considéré, comme œuvre de bienfaisance, fondation privée ou fondation publique. Suivant l’alinéa 149(1)f) de la LIR, un organisme de bienfaisance enregistré est exonéré de l’impôt sur le revenu. Il peut également délivrer des reçus pour les dons qu’il reçoit. Lorsqu’un organisme de bienfaisance enregistré ne se conforme pas aux exigences de la LIR, le ministre peut révoquer son enregistrement, ce qui entraîne, entre autres, la perte de son droit à l’exonération d’impôt (paragraphes 149.1(2), (3), (4) et (4.1), alinéa 168(1)b) et paragraphe 168(2) de la LIR).
[28] Suivant le paragraphe 149.1(1) de la LIR, une fondation publique, comme Priority, doit être une fondation de bienfaisance, qui est définie comme une société ou une fiducie constituée et administrée exclusivement « à des fins de bienfaisance »
et qui n’est pas une œuvre de bienfaisance. Dans l’arrêt Prescient, notre Cour a fait remarquer que, « [e]n règle générale, les œuvres de bienfaisance exercent des activités de bienfaisance, alors que les fondations de bienfaisance recueillent des fonds à des fins de bienfaisance »
(Prescient, par. 15).
[29] Pendant la période de vérification en l’espèce, le terme « fins de bienfaisance »
était défini au paragraphe 149.1(1) de la LIR comme comprenant « tout versement de fonds à un donataire reconnu […] »
(non souligné dans l’original).
[30] Vu les exigences liées à la résidence et à la constitution ou à l’établissement que comporte la définition d’« organisme de bienfaisance enregistré »
énoncée au paragraphe 248(1) de la LIR, un organisme de bienfaisance étranger comme une entité visée à l’alinéa 501(c)(3) de la loi américaine n’est pas un donataire reconnu au sens de la LIR. Par conséquent, si l’on ne tient compte que des dispositions de la LIR, les dons versés par un contribuable canadien à un organisme de bienfaisance étranger ne sont admissibles à des fins d’allégement fiscal que si l’organisme de bienfaisance étranger a été enregistré par le ministre à titre de donataire reconnu.
[31] Cela dit, il existe des situations où l’allégement fiscal découlant d’opérations transfrontalières est permis, notamment lorsqu’un pays a conclu avec un autre pays un accord bilatéral à cet effet. La Convention en matière d’impôts conclue entre le Canada et les États‑Unis est un accord de ce genre. L’article XXI de la Convention en matière d’impôts prévoit un allégement fiscal réciproque limité dans certaines situations lorsqu’un résident d’un pays verse des dons à une organisation exonérée d’impôt qui est un résident de l’autre pays.
C. Convention en matière d’impôts
[32] La Convention en matière d’impôts a été conclue en septembre 1980 et incorporée au droit canadien par l’adoption de la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États‑Unis en matière d’impôts, L.C. 1984, ch. 20. Elle a remplacé la convention en matière d’impôts antérieure entre le Canada et les États‑Unis, qui remontait à 1942. Depuis sa conclusion en 1980, la Convention en matière d’impôts a été modifiée par l’adoption de cinq protocoles, dont le dernier date de septembre 2007.
[33] L’article XXI de la Convention en matière d’impôts porte sur l’exonération d’impôt réciproque pour certains types d’organisations et sur le traitement des contributions et des dons transfrontaliers. Dans le présent appel, la disposition en cause est le paragraphe 7 de l’article XXI, qui est ainsi libellé :
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D. Principes d’interprétation des traités
[34] L’interprétation de la Convention en matière d’impôts est régie par la Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37 (Convention de Vienne). L’article 31 de la Convention de Vienne énonce la règle générale d’interprétation : un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
[35] Au paragraphe 37 de l’arrêt Alta Energy Luxembourg S.A.R.L., la Cour suprême a affirmé ce qui suit :
[…] La méthodologie prescrite [pour l’interprétation des traités] n’est toutefois pas diamétralement opposée au principe moderne qui s’applique aux lois nationales du Canada, à savoir qu’il faut examiner le sens ordinaire du texte dans son contexte et à la lumière de son but (par. 31(1) de la Convention de Vienne; Crown Forest Industries Ltd. c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 802, par. 43; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, p. 578). Cela dit, contrairement aux lois, les traités doivent être interprétés « de manière à appliquer les véritables intentions des parties » (Gladden (Succession) c. Canada, [1985] A.C.F. no 31 (QL) (1re inst.), cité avec approbation dans l’arrêt Crown Forest, par. 43). L’intérêt national de chaque État contractant doit être pris en compte dans le processus d’interprétation afin de donner plein effet à l’entente codifiée dans le traité. […]
[36] Les traités en matière d’impôts doivent être interprétés de façon libérale; il faut éviter une interprétation littérale lorsque celle-ci pourrait aller à l’encontre de l’objet du traité (Crown Forest Industries Ltd. c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 802, par. 43; Levett c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 117, par. 24).
[37] Outre la Convention de Vienne, la Loi de 1984 sur la Convention Canada‑États‑Unis en matière d’impôts prévoit que les dispositions de cette loi et de la Convention en matière d’impôts l’emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre loi (Loi de 1984 sur la Convention Canada‑États‑Unis en matière d’impôts, par. 3(2)). Cependant, les dispositions de la Loi sur l’interprétation des conventions en matière d’impôts sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. I‑4, l’emportent sur les dispositions incompatibles de la Convention en matière d’impôts (Loi de 1984 sur la Convention Canada‑États‑Unis en matière d’impôts, par. 3(2.1)).
[38] Dans l’analyse qui suit, je traite du texte, du contexte et de l’objet du paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts et de leur incidence sur l’enregistrement de Priority à titre d’organisme de bienfaisance. Les propos suivants, formulés par la Cour suprême du Canada au paragraphe 16 de l’arrêt Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, sont pertinents à l’égard de l’exercice d’interprétation :
Le point de départ de l’interprétation d’une disposition d’un traité consiste en l’examen du sens ordinaire de ses termes. Comme l’a indiqué la Chambre des lords dans l’arrêt Januzi c. Secretary of State for the Home Department, [2006] UKHL 5, [2006] 2 A.C. 426, par. 4 : [traduction] « le texte de la Convention doit être le point de départ de l’exercice d’interprétation [. . .] parce qu’il exprime ce sur quoi les parties sont convenues. Il ne faut pas considérer que les parties à une convention internationale se soient entendues sur quelque chose sur lequel elles ne se sont pas entendues, à moins que cela apparaisse clairement dans le texte par inférence nécessaire . . . »
E. Interprétation du paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts
(1) Sens ordinaire
[39] Le paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts prévoit que, aux fins de l’imposition canadienne, les dons versés par un résident du Canada à une organisation qui est un résident des États‑Unis et qui est généralement exonérée de l’impôt des États‑Unis sont considérés comme des dons versés à un organisme de bienfaisance enregistré (appelé « organisme de charité enregistré »
dans la version française de la Convention en matière d’impôts), pourvu que l’organisation américaine pourrait avoir le statut d’organisme de bienfaisance enregistré au Canada si elle était un résident du Canada et si elle avait été créée ou établie au Canada. En termes simples, cette disposition permet à un résident du Canada de demander un allégement fiscal pour des dons versés à des organismes de bienfaisance américains. Toutefois, l’allégement que le résident du Canada peut demander aux fins de l’imposition canadienne ne peut être supérieur au montant de l’allégement accordé en vertu de la LIR si le seul revenu du résident était le revenu du résident provenant des États‑Unis, ni au montant de l’allégement accordé, en matière de plafond des pourcentages, en vertu de la LIR pour des dons à des organismes de bienfaisance enregistrés.
[40] À titre d’exemple et de manière générale, disons qu’un résident du Canada a un revenu net de 1 000 $, dont 100 $ proviennent des États‑Unis, et qu’il a versé des dons à des organismes de bienfaisance américains. Les dons admissibles pour l’application de l’article 110.1 s’il s’agit d’une société ou de l’article 118.1 s’il s’agit d’un particulier se limiteraient à 75 $ (soit 75 % du revenu du donateur provenant des États‑Unis) (David Kerzner, Vitaly Timokhov et David Chodikoff, The Tax Advisor’s Guide to the Canada-US Tax Treaty, Toronto, Carswell, 2008, p. 21-30).
[41] Aux termes du paragraphe 6 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts, les contributions versées par des citoyens ou résidents des États-Unis à des organismes de bienfaisance canadiens donnent lieu à un allégement réciproque.
[42] Les parties au présent appel ne contestent pas que les œuvres de bienfaisance américaines sont exonérées d’impôt par application de l’alinéa 501(c)(3) du Internal Revenue Code des États‑Unis, ni que Priority a versé des dons à des entités visées à l’alinéa 501(c)(3) de la loi américaine. Priority ne conteste pas non plus l’application distincte du paragraphe 7 de l’article XXI aux personnes physiques et morales.
[43] Priority soutient essentiellement que le paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts devrait être interprété de façon que les dons versés par un organisme de bienfaisance enregistré au Canada à une entité visée à l’alinéa 501(c)(3) de la loi américaine soient considérés comme des dons versés à un organisme de bienfaisance enregistré, et donc à un donataire reconnu, aux fins du maintien de l’enregistrement de l’organisme de bienfaisance au Canada.
[44] À l’appui de son interprétation du paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts, Priority fait valoir que l’expression « [a]ux fins de l’imposition canadienne »
doit être interprétée de façon large, de manière à s’appliquer à l’ensemble de la LIR. Selon Priority, cette expression a élargi la portée de la version antérieure de la disposition (qui disait « [d]ans le calcul du revenu imposable »
) et vise à inclure non seulement les divers crédits et déductions liés aux dons de bienfaisance et prévus à l’article 110.1 et au paragraphe 118.1(3), mais aussi les définitions des termes clés énoncées aux articles 149.1 et 248 de la LIR, les règles relatives au contingent des versements énoncées à l’article 149.1 de la LIR, ainsi que les motifs de révocation énoncés à l’article 168 de la LIR.
[45] Priority affirme en outre qu’elle répond à la définition de « résident du Canada »
au sens où ce terme est employé dans l’expression « dons versés par un résident du Canada »
, puisqu’elle a été constituée en personne morale sous le régime de ce qui est aujourd’hui la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, L.C. 2009, ch. 23.
[46] Priority ajoute que l’expression « sont considérés comme dons versés à un organisme de charité enregistré »
est une disposition déterminative, puisque, si la Convention en matière d’impôts n’existait pas, un organisme de bienfaisance américain ne pourrait pas avoir le statut d’organisme de bienfaisance enregistré, car les organismes de bienfaisance enregistrés doivent résider au Canada. Selon Priority, le différend qui l’oppose à l’ARC repose sur ce que signifie le fait de considérer les dons comme des « dons versés à un organisme de charité enregistré »
. Priority souscrit à la définition d’un « organisme de bienfaisance enregistré »
énoncée dans la LIR. Elle affirme que les organismes de bienfaisance enregistrés sont un type de « donataire reconnu »
(selon la définition de ce terme donnée au paragraphe 149.1(1) de la LIR) et [traduction] « [qu’]il s’ensuit qu’un don considéré comme un don versé à un organisme de bienfaisance enregistré est nécessairement considéré comme un don versé à un donataire reconnu »
(mémoire des faits et du droit de Priority, par. 40).
[47] Pour ce qui est du reste du paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts, Priority fait valoir que la phrase « toutefois, aucun allégement fiscal n’est accordé […] pour des dons […] dans la mesure où un tel allégement serait supérieur au montant de l’allégement accordé en vertu de la [LIR] »
précise la première phrase de la disposition; elle n’en limite pas la portée. Selon Priority, [traduction] « si [et seulement si] un résident réclame un allégement fiscal pour des dons versés à des organismes de bienfaisance américains, l’allégement ne peut pas être supérieur à celui qui serait accordé en vertu du droit canadien »
. Priority affirme également que [traduction] « la disposition sur les dons ne dit pas que les résidents doivent demander un allégement fiscal pour ce type de dons : elle précise seulement les limites de l’allégement qui peut être accordé, s’il est demandé »
(mémoire des faits et du droit de Priority, par. 42)
[48] Le ministre ne souscrit pas à l’interprétation du paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts proposée par Priority. Il fait valoir que cette disposition vise à accorder un allégement fiscal (sous forme de déductions ou de crédits) aux résidents du Canada (personnes physiques ou morales) qui font des dons à des organismes de bienfaisance américains. Elle n’a pas pour effet de conférer aux organismes de bienfaisance américains le statut – réel ou réputé – de donataires reconnus au sens de la LIR.
[49] À l’audience, Priority a fait valoir qu’elle ne prétend pas que, par application du paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts, les entités visées à l’alinéa 501(c)(3) de la loi américaine sont considérées comme des donataires reconnus au sens de la LIR; elle prétend seulement que les dons versés à ces entités doivent être considérés comme des dons versés à des donataires reconnus aux fins de l’imposition canadienne.
[50] Avec égards, je ne vois pas en quoi la distinction est pertinente.
[51] Priority a énoncé sa thèse clairement au paragraphe 43 de son mémoire des faits et du droit :
[traduction]
Il s’ensuit que Priority, un « résident » du Canada au sens de [la Convention en matière d’impôts], peut verser des dons à des organismes de bienfaisance américains et que ces dons peuvent être « considérés comme » des dons versés à un organisme de bienfaisance enregistré « aux fins de l’imposition canadienne ». Pour un organisme de bienfaisance (par opposition à un particulier ou à une société), cela signifie que les dons constituent des versements admissibles en vertu du droit fiscal canadien. Cette interprétation concorde avec le fait que les fondations publiques canadiennes versent souvent des dons à des organismes de bienfaisance enregistrés.
[52] Il est important de se rappeler que l’enregistrement de Priority à titre d’organisme de bienfaisance a été révoqué au motif que Priority ne se conformait pas aux exigences de la LIR. Aux termes de l’alinéa 149.1(3)b), Priority devait, pour maintenir son enregistrement, faire des versements à des donataires reconnus. Pour que son argument selon lequel le ministre a commis une erreur en révoquant son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance soit retenu, Priority doit nécessairement démontrer que, par application du paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts, les entités visées à l’alinéa 501(c)(3) de la loi américaine sont considérées comme des donataires reconnus.
[53] Je partage l’avis du ministre que le libellé clair du paragraphe 7 de l’article XXI n’appuie pas l’argument de Priority selon lequel la première phrase de la disposition sur les dons lui permet en soi de maintenir son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance et que la précision qui suit ne s’applique que si le résident du Canada demande un allégement fiscal pour le type de don visé. Au contraire, le point-virgule à la fin de la première phrase donne à penser que la deuxième phrase est étroitement liée à la première. De même, le mot « toutefois »
qui suit le point-virgule donne à penser qu’il a pour objet de préciser la première phrase et qu’il est utilisé dans le sens de « mais »
. De plus, notre Cour a déjà rejeté l’argument selon lequel « les points-virgules isolent »
une partie d’un texte d’une autre (Neptune Wellness Solutions c. Canada (Agence des services frontaliers), 2020 CAF 151, par. 30 à 32).
[54] À mon avis, l’expression « [a]ux fins de l’imposition canadienne »
doit être interprétée en fonction de l’ensemble de la disposition, et rien dans le libellé du paragraphe 7 de l’article XXI ne mène à la conclusion que les entités visées à l’alinéa 501(c)(3) de la loi américaine sont considérées être des donataires reconnus aux fins du maintien de l’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance. La disposition sur les dons indique expressément que ce sont les dons qui doivent être considérés comme des dons versés à un organisme de bienfaisance enregistré. Cela ne signifie pas que les dons sont en fait des dons versés à un donataire reconnu ou que l’organisation ayant reçu les dons est considérée comme un organisme de bienfaisance enregistré ou un donataire reconnu. De plus, l’expression dans la version française « [a]ux fins de l’imposition canadienne »
renforce l’argument que l’objet du paragraphe 7 de l’article XXI est l’imposition et non le maintien de l’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance.
[55] Enfin, j’estime que l’expression « qui, au Canada, pourrait avoir le statut d’organisme de charité enregistré si elle était un résident du Canada »
utilisée dans la première phrase du paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts appuie l’interprétation selon laquelle cette disposition ne s’étend pas aux exigences pour le maintien de l’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance. Cette expression montre que le Canada avait l’intention de conserver le contrôle sur le type d’organisations pouvant bénéficier de l’application de la disposition. Autrement dit, il est présumé que, dans le cas où une organisation ne pourrait pas avoir le statut d’organisme de bienfaisance enregistré au Canada, les déductions ou les crédits seront refusés.
(2) Contexte
[56] Priority fait valoir qu’il est clair que l’article XXI vise à traiter de façon détaillée des questions liées à l’imposition transfrontalière d’entités exonérées d’impôt. Les entités exonérées d’impôt dans un pays sont censées être exonérées d’impôt dans l’autre pays. C’est ce que prévoit le paragraphe 1 de l’article XXI. Les paragraphes 6 et 7 de l’article XXI, qui commencent par une expression générale, traitent des autres questions. Priority fait valoir que, puisque l’article XXI est censé traiter de toutes les questions liées à l’imposition transfrontalière d’organismes de bienfaisance, il serait étrange d’interpréter l’article XXI comme s’il ne traitait pas du type de dons que peuvent faire les fondations de bienfaisance.
[57] Priority soutient également que, puisque le paragraphe 6 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts prévoit que les citoyens ou les résidents des États‑Unis qui versent des contributions à des organismes de bienfaisance canadiens peuvent obtenir un allégement réciproque, il est utile de se pencher sur la façon dont les dons versés à des organismes de bienfaisance canadiens sont traités aux États‑Unis. Selon Priority, il est loisible aux organismes de bienfaisance américains de verser des dons à des organismes de bienfaisance canadiens (mémoire des faits et du droit de Priority, par. 48).
[58] Priority juge également instructives les modifications qui ont été apportées au libellé de la Convention en matière d’impôts. Premièrement, elle fait valoir que la version de 1956 avait une portée moins large que la version actuelle de la disposition sur les dons. Elle commençait par « [d]ans le calcul du revenu imposable pour toute année d’imposition selon les lois canadiennes d’impôt sur le revenu »
, alors que la version actuelle de la disposition commence par « [a]ux fins de l’imposition canadienne »
. Deuxièmement, la version de 1956 prévoyait que les dons versés à des organismes de bienfaisance américains étaient alloués à titre de déductions, plutôt que considérés comme des dons versés à un organisme de bienfaisance enregistré. Troisièmement, la version de 1956 n’indiquait pas clairement à qui s’appliquait la disposition, alors que la version actuelle indique clairement qu’elle s’applique aux « résidents »
, terme défini dans la Convention en matière d’impôts comme comprenant une organisation à but non lucratif. Priority soutient que ces modifications témoignent d’une intention d’élargir l’application du paragraphe 7 de l’article XXI au-delà de l’allégement fiscal.
[59] Enfin, Priority fait valoir que, bien que le préambule de la Convention en matière d’impôts fasse partie de son contexte, il n’est pas particulièrement utile en l’espèce, si ce n’est pour confirmer que la Convention en matière d’impôts a pour objet [traduction] « de définir et de restreindre les pouvoirs d’imposition des États contractants »
(mémoire des faits et du droit de Priority, par. 53, citant Coblentz c. Canada, [1997] 1 C.F. 368, par. 17).
[60] Je conviens que le contexte du paragraphe 7 de l’article XXI est important dans le cadre de l’exercice d’interprétation.
[61] La Convention de Vienne prévoit expressément qu’il est permis de tenir compte du préambule pour interpréter un traité. En l’espèce, le préambule de la Convention en matière d’impôts dispose que le Canada et les États‑Unis « [désiraient] conclure une Convention en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune »
(Convention en matière d’impôts, préambule; voir aussi Coblentz, par. 17). Le préambule établit que les parties se sont principalement concentrées, dans la Convention en matière d’impôts, sur le pouvoir d’imposition et sur la perception d’impôts sur le revenu et sur la fortune.
[62] De plus, le paragraphe 1 de l’article II de la Convention en matière d’impôts prévoit que celle-ci « s’applique aux impôts sur le revenu et sur la fortune perçus pour le compte de chacun des États contractants, quel que soit le système de perception »
. L’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article II précise également que les impôts auxquels s’applique la Convention en matière d’impôts sont, en ce qui concerne le Canada, les impôts qui sont perçus par le gouvernement du Canada en vertu de la LIR. Cela démontre, encore une fois, que la Convention en matière d’impôts vise les impôts qui sont perçus.
[63] Je ne trouve pas convaincant l’argument de Priority selon lequel elle a le droit de bénéficier d’une interprétation large du paragraphe 7 de l’article XXI parce qu’elle satisfait à la définition de « résident »
au sens de la Convention en matière d’impôts. Bien que le paragraphe 1 de l’article IV précise que le terme « résident »
comprend une organisation à but non lucratif qui est, de par sa nature, généralement exemptée de l’impôt sur le revenu, il indique également « [qu’au] sens de la présente Convention, le terme “résident” d’un État contractant désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet État, est assujettie à l’impôt dans cet État en raison de son domicile, de sa résidence […] »
(non souligné dans l’original). Le lien qui est établi au paragraphe 1 de l’article IV entre la résidence d’une personne et son assujettissement à l’impôt donne à penser que la Convention en matière d’impôts vise la perception des impôts et non les exigences liées à l’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance.
[64] Quant à l’article XXI de la Convention en matière d’impôts, il est intitulé « Organisations exonérées »
, et il accorde de façon générale un allégement fiscal à l’égard de l’impôt sur le revenu tiré dans un pays par certaines organisations exonérées d’impôt qui résident dans l’autre pays. Notamment, le paragraphe 1 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts prévoit que « les revenus d’une organisation religieuse ou de charité ou d’une organisation œuvrant dans le domaine des sciences, de la littérature ou de l’éducation sont exonérés d’impôt dans un État contractant si elle réside dans l’autre État contractant, mais uniquement dans la mesure où ces revenus sont exonérés d’impôt dans cet autre État »
. Autrement dit, un organisme de bienfaisance enregistré au Canada qui a des revenus provenant des États‑Unis n’est pas assujetti à l’impôt aux États‑Unis, parce qu’il est exonéré d’impôt au Canada par application de l’alinéa 149(1)f) de la LIR.
[65] Il faut se rappeler que, par application du paragraphe 149(1) de la LIR, un organisme de bienfaisance enregistré (qui réside au Canada et qui y a été constitué ou y est établi suivant l’alinéa a) de la définition de ce terme énoncée à l’article 248 de la LIR) est généralement exonéré de l’impôt à payer en vertu de la partie 1 de la LIR. Si aucun traité fiscal ne prévoyait un allégement, les organisations exonérées d’impôt à l’étranger qui ont des revenus provenant du Canada seraient assujetties à l’impôt au Canada, par application des règles régissant l’imposition des non-résidents. Le paragraphe 1 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts a pour effet d’accorder un allégement fiscal aux organisations énumérées qui résident dans un pays et qui sont exonérées d’impôt dans ce pays, à l’égard de leur revenu provenant de l’autre pays.
[66] Je répète qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article XXI, la réciprocité n’existe que si l’organisation est exonérée d’impôt dans l’État contractant dans lequel elle réside. Il appartient donc à cet État de se prononcer le premier sur la question de l’exonération. À mon avis, cela démontre, encore une fois, l’intention des parties contractantes de laisser à l’État dans lequel l’organisation réside le pouvoir de déterminer les conditions que celle-ci doit respecter pour conserver son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance.
[67] Étant donné ce qui précède, je suis d’avis que le fait que la Convention en matière d’impôts vise principalement à accorder un allégement à l’égard des impôts sur le revenu et sur la fortune n’étaye pas la prétention de Priority selon laquelle la Convention en matière d’impôts s’étend aux exigences que les organismes de bienfaisance canadiens doivent respecter pour maintenir leur enregistrement. L’expression « [a]ux fins de l’imposition canadienne »
utilisée au paragraphe 7 de l’article XXI et l’expression « [a]ux fins de l’imposition des États‑Unis »
utilisée au paragraphe 6 de l’article XXI doivent être interprétées à la lumière du préambule, de l’article II, du paragraphe 1 de l’article IV et du paragraphe 1 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts, c’est-à-dire que les dispositions en question prévoient un allégement fiscal pour les dons versés par un contribuable (un particulier ou une société) ayant un revenu provenant du pays où réside l’organisme de bienfaisance bénéficiaire, revenu qui serait par ailleurs imposable dans le pays de résidence du contribuable.
[68] Cela dit, je partage l’avis de Priority que le paragraphe 7 de l’article XXI ne peut pas avoir été élargi, en 1984, dans le seul but d’inclure des crédits d’impôt, comme le ministre l’a soutenu. Le ministre n’a présenté aucune preuve à l’appui de cette prétention. Je crois comprendre que les crédits d’impôt pour dons de bienfaisance existent depuis 1988, alors que le paragraphe 7 de l’article XXI a été modifié en 1984. Quoi qu’il en soit, peu importe depuis quand les crédits d’impôt existent, je ne suis pas convaincue que l’expression « [a]ux fins de l’imposition canadienne »
visait à être large au point d’avoir une incidence sur les exigences que les organismes de bienfaisance enregistrés au Canada doivent respecter, sous le régime de la LIR, pour maintenir leur enregistrement.
[69] En plus d’examiner le paragraphe 7 de l’article XXI dans le contexte des autres dispositions de la Convention en matière d’impôts, je suis d’avis qu’il est important de tenir compte, d’une part, du contexte historique entourant l’exigence que les versements soient faits à des donataires reconnus et, d’autre part, du contexte général du régime fiscal canadien applicable aux dons de bienfaisance.
[70] Dans une demande introduite en Ontario (The Wolfe and Millie Goodman Foundation v. The Queen, dossier no 08-06199), une fondation privée demandait à la Cour supérieure de justice de l’Ontario la confirmation qu’une subvention à un organisme de bienfaisance étranger correspondait à ses fins de bienfaisance et donc comptait dans le calcul de son contingent des versements. Dans le cadre du règlement du litige, l’ARC a reconnu qu’un don versé à un organisme de bienfaisance étranger constituait une fin de bienfaisance en common law et a confirmé que, dans la mesure où le « contingent des versements »
était respecté, la fondation privée pouvait faire des versements à des donataires non reconnus qui répondaient à la définition de « bienfaisance »
selon la common law jusqu’à ce que la LIR soit modifiée (Prescient, par. 27 et 28).
[71] En réponse au règlement intervenu dans l’affaire Wolfe and Millie Goodman Foundation, la LIR a été modifiée pour permettre au ministre de révoquer l’enregistrement d’une œuvre de bienfaisance (sous‑alinéa 149.1(2)c)(ii)), d’une fondation publique (sous‑alinéa 149.1(3)b.1)(ii)) ou d’une fondation privée (sous‑alinéa 149.1(4)b.1)(ii)) qui fait un don sous forme de versement à un donataire non reconnu (Prescient, par. 29). Les modifications législatives ont été adoptées en 2013, dans le cadre de la Loi de 2012 apportant des modifications techniques concernant l’impôt et les taxes, L.C. 2013, ch. 34, et s’appliquaient de façon rétroactive aux dons versés après le 20 décembre 2002.
[72] En ce qui concerne le contexte général de la LIR, je partage l’avis du ministre que si, par application du paragraphe 7 de l’article XXI, une entité visée à l’alinéa 501(c)(3) de la loi américaine était considérée comme un organisme de bienfaisance enregistré et donc un donataire reconnu aux termes de la LIR, alors l’entité visée à l’alinéa 501(c)(3) de la loi américaine serait assujettie aux obligations liées à la tenue de registres et de livres de comptes énoncées au paragraphe 230(2) de la LIR. Elle serait obligée de tenir, à une adresse au Canada, des registres et des livres de comptes qui contiennent ce qui suit : a) des renseignements sous une forme qui permet au ministre de déterminer s’il existe des motifs de révocation de son enregistrement en vertu de la LIR; b) un double de chaque reçu, renfermant les renseignements prescrits, visant les dons qu’elle a reçus; c) d’autres renseignements sous une forme qui permet au ministre de vérifier les dons qui lui ont été faits et qui donnent droit à une déduction ou à un crédit d’impôt aux termes de la LIR. À mon avis, il serait fort inusité que le pouvoir de révocation du ministre visé à l’alinéa 230(2)a) de la LIR s’étende aux entités visées à l’alinéa 501(c)(3) de la loi américaine.
[73] De plus, comme il ressort de la définition de « donataire reconnu »
reproduite ci-dessus, la LIR prévoit déjà des cas précis où des organismes de bienfaisance étrangers sont considérés comme des donataires reconnus.
[74] Le sous‑alinéa (v) de l’alinéa a) de la définition de « donataire reconnu »
énoncée au paragraphe 149.1(1) et le paragraphe 149.1(26) prévoient qu’un organisme de bienfaisance étranger peut être enregistré comme donataire reconnu pour toute période de 24 mois s’il a reçu un don de Sa Majesté du chef du Canada et qu’il exerce des activités de secours par suite d’un désastre, fournit une aide humanitaire d’urgence ou exerce des activités dans l’intérêt national du Canada. La définition de « donataire reconnu »
énoncée au paragraphe 149.1(1) comprend aussi, au sous-alinéa (iv) de l’alinéa a), une université située à l’étranger qui compte d’ordinaire parmi ses étudiants des étudiants venant du Canada et qui est enregistrée par le ministre.
[75] Le paragraphe 7 de l’article XXI doit être interprété dans ce contexte. Le Canada ne peut pas avoir eu l’intention que les entités visées à l’alinéa 501(c)(3) de la loi américaine soient considérées, par application de cette disposition, comme des donataires reconnus aux fins du maintien de l’enregistrement d’une fondation publique à titre d’organisme de bienfaisance. Les rédacteurs de la Convention en matière d’impôts auraient très bien pu prévoir que, aux fins de l’imposition canadienne, une organisation (organisme de bienfaisance américain) est considérée comme un organisme de bienfaisance enregistré au Canada, et donc un donataire reconnu. Ils ne l’ont pas fait.
[76] Accessoirement, je note que la définition de « fins de bienfaisance »
prévue à l’article 149.1 de la LIR a été modifiée le 23 juin 2022 par remplacement de « [c]omprend le versement de fonds à un donataire reconnu »
par « [c]omprend des versements admissibles »
. L’alinéa 149.1(3)b.1) de la LIR a également été modifié de façon à prévoir que l’enregistrement d’une fondation publique peut être révoqué si celle-ci fait un versement, sauf s’il s’agit d’un versement admissible (sous-alinéa 149.1(3)b.1)(ii) de la LIR). Un versement admissible « [s]’entend d’un versement par un organisme de bienfaisance [œuvre de bienfaisance ou fondation de bienfaisance], sous forme de dons ou par la mise à disposition de ressources […] à un donataire reconnu [ou] à une organisation donataire »
qui satisfait aux exigences prescrites en matière de responsabilisation. L’une de ces exigences est que le versement soit effectué en vue de la réalisation de fins de bienfaisance de l’organisme de bienfaisance donateur. Bien que la Cour ne soit pas saisie de la question de savoir si cette modification fait en sorte qu’un organisme de bienfaisance étranger puisse être une organisation donataire, la modification appuie la position que les exigences applicables au maintien de l’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance au Canada sont prévues dans la LIR et non au paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts. De toute manière, durant la période pertinente de vérification, Priority était seulement autorisée à faire des versements à des donataires reconnus, tant sous le régime de la LIR qu’aux termes de ses documents constitutifs et de l’avis d’enregistrement la concernant.
[77] En ce qui concerne l’allégation de Priority selon laquelle il est loisible aux organismes de bienfaisance américains de verser des dons à des organismes de bienfaisance canadiens, j’estime que les éléments de preuve qui m’ont été soumis ne sont pas suffisants pour me permettre de conclure que c’est bel et bien le cas. De plus, même à supposer que les organismes de bienfaisance américains puissent verser des dons à des organismes de bienfaisance canadiens sans compromettre leur enregistrement aux États‑Unis, je ne sais pas si c’est par application du droit ou des politiques internes de ce pays. Je ne dispose pas d’éléments de preuve suffisants sur la façon dont les États‑Unis gèrent le secteur de la bienfaisance.
(3) Objet
[78] Priority fait valoir que, pour déterminer l’objet d’une disposition d’un traité, il faut d’abord définir l’objet du traité dans son ensemble, puis définir l’objet de la disposition et son emplacement dans le traité.
[79] Priority ne semble pas contester le fait que l’objet global de la Convention en matière d’impôts consiste à faciliter le commerce et l’investissement transfrontaliers, à éviter la double imposition et à énoncer les pouvoirs d’imposition respectifs des États contractants dans ce contexte. La Convention en matière d’impôts traite de diverses questions, comme la résidence (article IV), les revenus tirés de biens immeubles (article VI), les bénéfices des entreprises (article VII), les arrangements transfrontaliers entre personnes liées (article IX), les dividendes et les intérêts (articles X et XI), les gains tirés de l’aliénation de biens (article XIII), le revenu tiré d’un emploi (article XV), les pensions et les rentes (article XVIII), les organisations exonérées (article XXI), les autres revenus (article XXII), la fortune (article XXIII), l’élimination de la double imposition (article XXIV) et la non-discrimination (article XXV) (mémoire des faits et du droit de Priority, par. 55 et 56).
[80] En ce qui concerne le paragraphe 7 de l’article XXI et son pendant, le paragraphe 6 de l’article XXI, Priority fait valoir que l’intention des parties contractantes était de reconnaître dans chaque pays le statut des organismes de bienfaisance de l’autre pays et d’accorder dans chaque pays des avantages fiscaux à l’égard des dons versés au profit du secteur de bienfaisance de l’autre pays. De l’avis de Priority, la Convention en matière d’impôts témoigne de la confiance que le Canada et les États‑Unis s’accordent mutuellement en ce qui a trait à l’administration de leur secteur de bienfaisance respectif. Autrement dit, Priority fait valoir que le paragraphe 7 de l’article XXI est une disposition déterminative selon laquelle les États contractants ont l’intention de régir l’enregistrement de leurs organismes de bienfaisance.
[81] Dans l’arrêt Crown Forest, la Cour suprême du Canada a examiné l’intention des rédacteurs de la Convention en matière d’impôts ainsi que l’objet de celle-ci, et elle s’est exprimée ainsi aux paragraphes 46 et 47 de ses motifs :
46. À ce stade‑ci de l’analyse, il importe de prendre un léger recul et de déterminer avec exactitude qui devait bénéficier de la Convention. Font partie du groupe visé les Canadiens qui travaillent aux États‑Unis (ou l’inverse) et les compagnies canadiennes exploitées aux États‑Unis (ou l’inverse là encore). Afin de promouvoir le commerce international entre le Canada et les États‑Unis, on a jugé important de soustraire ces personnes physiques et morales à la double imposition (et donc de promouvoir la répartition équitable des profits des entreprises exploitées dans les deux pays) : voir le préambule de la Convention; voir également Utah Mines Ltd. c. La Reine, 92 D.T.C. 6194 (C.A.F.), et le Sénat américain (Comité sur les relations étrangères), Tax Convention and Proposed Protocols with Canada, à la p. 2 : [traduction] « Le projet de traité fiscal entre les États‑Unis et le Canada vise principalement à réduire ou à éliminer la double imposition du revenu tiré, par les citoyens et les résidents de l’un ou l’autre pays, de sources situées dans l’autre pays, et à parer à tout évitement fiscal ou à toute évasion fiscale dans les deux pays. » La Convention viserait également, de façon accessoire, à réduire les complexités administratives engendrées par l’obligation de produire simultanément des déclarations d’impôt sur le revenu dans deux régimes fiscaux non coordonnés.
47. Je remarque que les États sont compétents pour imposer tout revenu tiré d’opérations commerciales de nature nationale ou internationale. Lorsque de l’argent est remis à une partie se trouvant à l’étranger et que le revenu touché par cette dernière échappe à la compétence de l’État, celui‑ci exerce la compétence qu’il a sur l’opération en exigeant de la partie qui se trouve à l’intérieur de ses frontières qu’elle retienne une certaine partie de la somme à verser à la partie étrangère. Ce montant est ce qu’on appelle une « retenue d’impôt »; c’est cette forme d’impôt qui fait l’objet du présent pourvoi. Les retenues d’impôt créent des problèmes immédiats puisqu’il en découle une possibilité que le contribuable soit assujetti à une double imposition à l’égard de toutes les opérations à l’étranger. Ce double assujettissement émane du fait que, lors d’une opération, le gouvernement du payeur peut imposer une retenue d’impôt, alors que le gouvernement du bénéficiaire peut, en même temps, imposer le revenu. Donc, en théorie, les opérations internationales pourraient être deux fois plus imposées que les opérations nationales, d’où le risque de décourager le commerce extérieur et les opérations transfrontalières.
[82] L’explication technique préparée par le Département du Trésor des États‑Unis à l’époque où la Convention en matière d’impôts a été conclue donne des indications sur le point de vue des parties quant à l’objet de l’article XXI et, en particulier, de ses paragraphes 6 et 7 (qui, à l’époque, étaient les paragraphes 5 et 6 respectivement) :
[traduction]
Le paragraphe 5 prévoit que les contributions versées par un citoyen ou un résident des États‑Unis à une organisation qui réside au Canada et qui est généralement exonérée de l’impôt canadien sont considérées comme des contributions versées à des fins de bienfaisance, mais seulement si l’organisation pourrait être admissible à recevoir des contributions déductibles aux États‑Unis si elle résidait (c.‑à‑d. si elle avait été constituée) dans ce pays. De façon générale, le paragraphe 5 limite l’application des contributions déductibles sous le régime de la Convention au revenu provenant du Canada du citoyen ou du résident des États‑Unis, suivant la Convention en matière d’impôts. Dans le cas des contributions versées à un collège ou à une université auquel le citoyen ou résident des États‑Unis ou un membre de sa famille est ou était inscrit, cette limite spéciale ne s’applique pas. Les limites exprimées en pourcentage à l’article 170 du Code à l’égard des contributions à des fins de bienfaisance qui sont déductibles s’appliquent après celles établies par la Convention. Toute contribution qui est considérée comme une contribution versée à des fins de bienfaisance aux termes du paragraphe 5 et qui excède le montant déductible à l’égard d’une année d’imposition peut être reportée aux années d’imposition ultérieures, sous réserve des limites énoncées au paragraphe 5.
Le paragraphe 6 prévoit les règles qui s’appliquent, aux fins de l’imposition canadienne, aux déductions pour les dons versés par un résident du Canada à une organisation qui réside aux États‑Unis. Les règles énoncées au paragraphe 6 reflètent les règles énoncées au paragraphe 5. Suivant les limites actuelles en droit canadien, les déductions pour les dons versés à des œuvres de bienfaisance ne peuvent excéder 20 pour cent du revenu. Les déductions excédentaires peuvent être reportées à l’année d’imposition suivante.
Explication technique du Département du Trésor concernant la Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune signée à Washington le 26 septembre 1980 telle que modifiée par le Protocole signé à Ottawa le 14 juin 1983 et le Protocole signé à Washington le 28 mars 1984 (recueil conjoint de doctrine et de jurisprudence, p. 2244)
[83] Le document intitulé « Guidance Notice Relating to Article XXI of the Tax Convention »
[note d’orientation sur l’article XXI de la Convention en matière d’impôts] et publié par l’Internal Revenue Service (IRS) des États‑Unis (note d’orientation 99‑47) est également pertinent. Dans ce document, l’IRS a indiqué qu’à son avis l’article XXI de la Convention en matière d’impôts [traduction] « prévoit de façon générale la déduction des contributions transfrontalières versées à des fins de bienfaisance et reconnaît la réciprocité du statut d’organisation exonérée accordé aux organisations religieuses, aux organisations œuvrant dans le domaine des sciences, de la littérature ou de l’éducation ou aux œuvres de bienfaisance »
. La note d’orientation 99‑47 est en partie libellée ainsi :
[traduction]
Aux termes de la convention, les organisations religieuses, les organisations œuvrant dans le domaine des sciences, de la littérature ou de l’éducation ou les œuvres de bienfaisance reconnues et constituées sous le régime des lois des États‑Unis ou du Canada sont automatiquement reconnues comme étant exonérées d’impôt dans l’autre pays, sans qu’elles aient à le demander. Pour être admissibles à cette reconnaissance automatique au Canada, les organisations américaines doivent être reconnues comme des organisations exonérées aux termes de l’alinéa 501(c)(3) du Code. De même, Revenu Canada doit reconnaître les organisations canadiennes comme organismes de bienfaisance enregistrés au Canada. De plus, les œuvres de bienfaisance reconnues qui résident dans un pays pourront recevoir des contributions déductibles de la part des résidents de l’autre pays. Cependant, dans le cas de contributions versées par un résident ou un citoyen des États‑Unis (autres que celles versées à un collège ou à une université auquel le citoyen ou le résident ou un membre de sa famille est ou était inscrit), la loi américaine dispose que le montant global des déductions dans une année d’imposition donnée ne doit pas excéder un certain pourcentage du revenu du donateur provenant du Canada. Toute contribution excédentaire qui n’est pas déductible pour cette raison peut être reportée aux années d’imposition ultérieures, sous réserve des mêmes limites. […] Aux termes de la convention, lorsque les États‑Unis reconnaissent le statut d’organisation exonérée d’impôt d’un organisme de bienfaisance enregistré au Canada, cette reconnaissance demeure en vigueur jusqu’à ce que les États‑Unis jugent que l’organisation ne se conforme plus aux exigences pour l’obtention de ce statut sous le régime du droit américain.
(Recueil conjoint de doctrine et de jurisprudence, p. 2237)
[84] À mon avis, ces extraits appuient l’interprétation selon laquelle l’intention du Canada et des États‑Unis était de reconnaître la réciprocité du statut d’organisation exonérée reconnu aux organisations religieuses, aux organisations œuvrant dans le domaine des sciences, de la littérature ou de l’éducation ou aux œuvres de bienfaisance et de prévoir un allégement fiscal pour les dons versés par un résident d’un État contractant à une organisation exonérée d’impôt qui est un résident de l’autre État contractant, pourvu que le contribuable ait un revenu provenant de l’autre État contractant. Je ne suis pas convaincue que les rédacteurs de la Convention en matière d’impôts aient voulu que celle-ci ait une incidence sur le pouvoir de chaque pays de déterminer les exigences légales que les organismes de bienfaisance enregistrés doivent respecter pour maintenir leur enregistrement. Bref, ces extraits appuient l’opinion selon laquelle l’objet du traité était d’accorder un allégement fiscal et non de réglementer les conditions qu’une organisation doit remplir pour maintenir son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance dans son État de résidence.
[85] En plus de l’objet du paragraphe 7 de l’article XXI, il est important de tenir compte, du moins d’un point de vue conceptuel, du fait qu’un des objectifs du régime d’enregistrement des organismes de bienfaisance est de réglementer les dons versés à des fins de bienfaisance. L’exigence selon laquelle les fondations de bienfaisance publiques, comme Priority, doivent verser des dons à des « donataires reconnus »
(ou, le cas échéant, à des organisations donataires qui satisfont aux exigences de la LIR) permet au gouvernement de surveiller l’affectation des fonds, dans le but d’éviter que les dons soient utilisés à des fins répréhensibles, par exemple pour le recyclage des produits de la criminalité ou le financement des activités terroristes.
[86] De plus, comme je le mentionne plus haut, la LIR a établi un régime prévoyant l’octroi de crédits ou de déductions pour les dons de bienfaisance versés à des organismes de bienfaisance canadiens enregistrés et, dans certaines circonstances, à des universités étrangères et à des organismes de bienfaisance étrangers approuvés qui ont été enregistrés par le ministre (c‑à‑d. qui sont des donataires reconnus). Dans le cas de dons versés à des organisations exonérées d’impôt qui sont des résidents des États-Unis, l’allégement fiscal n’est possible qu’à l’égard du revenu du résident du Canada provenant des États-Unis, suivant le paragraphe 7 de l’article XXI de la Convention en matière d’impôts. Le fait d’interpréter le paragraphe 7 de l’article XXI comme le propose Priority – c’est-à-dire que les entités visées à l’alinéa 501(c)(3) de la loi américaine sont considérées comme des donataires reconnus de façon à permettre à Priority de maintenir son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance – mènerait à un résultat inhabituel. Le contribuable résident canadien – qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une personne morale – n’ayant pas de revenu provenant des États‑Unis et voulant faire un don aux organismes de bienfaisance américains à qui Priority a fait des dons aurait pu contourner l’exigence relative au revenu provenant des États‑Unis en versant les dons à Priority. Le contribuable résident canadien aurait alors pu demander un crédit d’impôt ou une déduction à l’égard de son revenu provenant du Canada, ce qui lui aurait permis de faire indirectement ce qu’il ne peut pas faire directement suivant le sens ordinaire du paragraphe 7 de l’article XXI. Ce n’est certes pas le résultat qu’envisageaient les États contractants.
[87] Compte tenu de l’ensemble des motifs qui précèdent, Priority ne m’a pas convaincue que son interprétation du paragraphe 7 de l’article XXI est correcte. Vu l’issue de l’appel et ma conclusion selon laquelle le ministre a eu raison de révoquer l’enregistrement de Priority à titre d’organisme de bienfaisance parce qu’elle avait versé des dons à des donataires non reconnus, je n’ai pas à me pencher sur l’argument de Priority voulant que le ministre aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire de retarder la révocation jusqu’à ce que la Cour tranche le présent appel. Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.
« Sylvie E. Roussel »
j.c.a.
“Je suis d’accord. |
J.B. Laskin j.c.a.” |
“Je suis d’accord. |
George R. Locke j.c.a.” |
Traduction certifiée conforme
Julie Blain McIntosh, jurilinguiste principale
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
A-140-23 |
INTITULÉ : |
PRIORITY FOUNDATION c. MINISTRE DU REVENU NATIONAL |
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Ottawa (Ontario) |
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 24 JUIN 2024 |
MOTIFS DU JUGEMENT : |
LA JUGE ROUSSEL |
Y ONT SOUSCRIT : |
LE JUGE LASKIN LE JUGE LOCKE |
DATE DES MOTIFS : |
le 7 OCTOBRE 2025 |
COMPARUTIONS :
Gib van Ert Dahlia Shuhaibar |
POUR L’APPELANTE |
Selena Sit Loretta Chun Yianni Pappas-Acreman |
POUR L’INTIMÉ |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Olthuis van Ert Vancouver (Colombie-Britannique) |
POUR L’APPELANTE |
Shalene Curtis-Micallef Sous-procureure générale du Canada |
POUR L’INTIMÉ |