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Date : 20251001


Dossier : A-210-24

Référence : 2025 CAF 177

CORAM :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

LA JUGE GOYETTE

 

 

ENTRE :

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

 

 

appelant

 

 

et

 

 

FIDUCIE HISTORIA

 

 

intimée

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 1 octobre 2025.

Jugement rendu à l’audience à Montréal (Québec), le 1 octobre 2025.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE GOYETTE

 


Date : 20251001


Dossier : A-210-24

Référence : 2025 CAF 177

CORAM :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

LA JUGE GOYETTE

 

 

ENTRE :

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

 

 

appelant

 

 

et

 

 

FIDUCIE HISTORIA

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Montréal (Québec), le 1 octobre 2025.)

LA JUGE GOYETTE

[1] Fiducie Historia est une fiducie discrétionnaire de droit civil. En 2013 et 2015, elle a reçu des revenus de dividendes qu’elle a attribués et versés à l’un de ses bénéficiaires, ci-après le « Bénéficiaire Père ». Dans ses déclarations de revenus, Fiducie Historia a inclus les dividendes et les a déduits en s’appuyant sur le paragraphe 104(6) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.). Ce paragraphe permettait à une fiducie de déduire un montant « devenu payable à un bénéficiaire au cours de l’année ».

[2] Le ministre du Revenu national a refusé les déductions au motif que les montants versés au Bénéficiaire Père n’étaient pas légalement « devenus payables » au sens du paragraphe 104(6), mais aussi au sens du paragraphe 104(24) de la Loi de l’impôt sur le revenu qui prévoit qu’une somme n’est pas devenue payable à moins que le bénéficiaire n’eût eu le droit d’en exiger le paiement.

[3] Se fondant sur une entente entre les fiduciaires de Fiducie Historia et deux autres bénéficiaires de la fiducie, les fils de Bénéficiaire Père, en vertu de laquelle les fiduciaires 1) s’engageaient à exercer leurs pouvoirs selon les directives transmises par les fils, 2) à ne prendre aucune décision sans l’accord préalable des fils et 3) à démissionner en cas de désaccord avec les directives des fils, le ministre a tenu pour acquis que les fiduciaires avaient abdiqué leur libre arbitre et cessé d’exercer leurs pouvoirs au profit des fils. Le ministre a déduit que les fils étaient devenus fiduciaires dans les faits et qu’ils n’avaient pas agi conjointement avec les autres fiduciaires tel que l’exige l’article 1275 du Code civil du Québec, R.L.R.Q. c. CCQ-1991. Ainsi, selon le ministre, les versements effectués par la fiducie en 2013 et 2015 au Bénéficiaire Père étaient illégaux, voire frappés de nullité absolue, et par conséquent non déductibles en vertu du paragraphe 104(6).

[4] Les termes de l’entente étaient ambigus. En plus des passages mentionnés ci-dessus, l’entente prévoyait que les fiduciaires reconnaissaient que leur engagement d’obtenir l’accord des fils ne les libérait pas de leurs obligations envers la fiducie et ne constituait pas une délégation de leurs pouvoirs fiduciaires. L’entente prévoyait aussi que les fiduciaires allaient continuer à exercer leurs pouvoirs de fiduciaires mais qu’ils devaient le faire en adéquation avec leur engagement envers les fils.

[5] La Cour canadienne de l’impôt, s’appuyant sur les articles 1425 et 1426 du Code civil, a entrepris de donner un sens à l’entente selon l’intention commune des parties et l’interprétation qu’elles ont donnée à l’entente. La Cour canadienne de l’impôt a aussi examiné comment les fiduciaires et les fils s’étaient comportés dans les faits. Cet examen l’a menée à conclure que nonobstant l’entente, les fiduciaires ont continué d’exercer leurs pouvoirs de fiduciaires de manière conforme au Code civil et que les fils n’ont pas agi dans les faits comme fiduciaires. Ainsi, la Cour canadienne de l’impôt a déterminé qu’il n’y avait pas eu contravention à l’article 1275 du Code civil : Fiducie Historia c. Le Roi, 2024 CCI 76 aux para. 79, 83, 88 et 89.

[6] Devant nous, la Couronne allègue tout d’abord que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 1275 et une erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation des faits. Selon la Couronne, les termes de l’entente jumelés au fait que les fils devaient approuver les attributions au Bénéficiaire Père ne pouvaient mener qu’à une seule conclusion, soit que cette entente contrevient à l’article 1275, à deux autres dispositions du Code civil, ainsi qu’à l’acte de fiducie.

[7] Or, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que même si l’entente contrevenait possiblement à l’article 1275 ainsi qu’à l’acte de fiducie lequel, à l’instar de l’article 1278 du Code civil, attribue les pouvoirs aux fiduciaires sans possibilité de contrôle ou révision par les bénéficiaires, ce n’est pas ce qui s’est produit selon la preuve : décision de la Cour canadienne de l’impôt aux para. 83, 88. Lorsqu’il procède à l’établissement de cotisations, le ministre du Revenu national doit tenir compte des faits réels. Il en est donc de même pour la Cour canadienne de l’impôt lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur la validité des cotisations : Victuni c. Ministre du Revenu du Québec, [1980] 1 RCS 580; Caplan c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2006 QCCA 1322 aux paras. 36 et 37; Haeck c. Le sous-ministre du Revenu du Québec, 2001 CanLII 21284 (QC CQ); Transport Desgagnés Inc. c. MRN, 91 DTC 264 à 270. Ainsi, nous ne pouvons reprocher à la Cour canadienne de l’impôt d’avoir tenu compte des faits. Cela est d’autant plus vrai que nous ne pouvons déceler une erreur manifeste et déterminante dans son appréciation de ces faits.

[8] Par ailleurs, même en acceptant la prémisse de la Couronne selon laquelle les fils agissaient dans les faits comme fiduciaires, tout ce que l’article 1275 du Code Civil exigeait d’eux était qu’ils agissent conjointement avec les fiduciaires. Encore une fois, selon l’appréciation de la preuve par la Cour canadienne de l’impôt, c’est ce qu’ils ont fait.

[9] Enfin, la Couronne allègue que l’entente modifie l’acte de fiducie et limite les pouvoirs des fiduciaires au point d’en dénaturer la charge. Elle ajoute qu’un tribunal n’approuverait pas ces modification et limitation et que les objectifs de l’article 1275 du Code civil commandent une conclusion de nullité absolue. Compte tenu des conclusions ci-dessus, il ne nous est pas nécessaire de nous prononcer sur ce point.

[10] Dans ces circonstances, l’appel est rejeté avec dépens.

« Nathalie Goyette »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-210-24

 

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LE ROI c. FIDUCIE HISTORIA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1 octobre 2025

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

LA JUGE GOYETTE

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :

LA JUGE GOYETTE

 

COMPARUTIONS :

Vlad Zolia

Christophe Tassé-Breault

 

Pour l'appelant

 

Paul Ryan

Félix St-Vincent Gagné

Emma Alexandra Lachance

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour l'appelant

 

Spiegel Ryan s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour l'intimée

 

 

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