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Date : 20250926


Dossier : A-335-23

Référence : 2025 CAF 175

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

LE JUGE PAMEL

 

ENTRE :

 

 

DIANNE L. STACKHOUSE

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

 

 

intimé

 

Audience tenue à Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 17 juin 2025.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2025.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LE JUGE PAMEL

 


Date : 20250926


Dossier : A-335-23

Référence : 2025 CAF 175

CORAM :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

LE JUGE PAMEL

 

ENTRE :

 

 

DIANNE L. STACKHOUSE

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

 

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MONAGHAN

[1] En général, aux fins d’impôt sur le revenu, les contribuables qui subissent une perte dans l’exploitation d’une entreprise peuvent la déduire du revenu d’une autre entreprise, du revenu tiré d’un bien ou de leur revenu d’emploi.

[2] Cependant, une règle particulière – la règle de la restriction des pertes agricoles – s’applique lorsque les pertes sont subies dans l’exploitation d’une entreprise agricole. Elle limite la partie déductible des pertes agricoles à moins que la source principale de revenu du contribuable soit l’agriculture ou une combinaison de l’agriculture et d’une autre source.

[3] L’appelante, Dianne Stackhouse, est médecin. Elle est également agricultrice. Elle subit sans cesse des pertes dans son entreprise agricole qu’elle déduit de son revenu à titre de médecin.

[4] En 2007, l’appelante a eu gain de cause, devant la Cour canadienne de l’impôt, en appel des cotisations pour les années d’imposition 1997 et 1998. Dans ces cotisations, la règle avait été appliquée pour restreindre les pertes agricoles de l’appelante. La Cour canadienne de l’impôt a conclu que la source principale de revenu de l’appelante était une combinaison de l’agriculture et de la médecine et que la règle de la restriction des pertes agricoles, telle qu’elle était alors interprétée, ne s’appliquait pas : Stackhouse c. La Reine, 2007 CCI 146.

[5] Or, cette règle a été modifiée et mise en application dès les années d’imposition se terminant après le 20 mars 2013. La modification apportée visait à appliquer la règle de la restriction des pertes agricoles lorsque le revenu du contribuable provient d’une combinaison de l’agriculture et d’une autre source de revenu, à moins que cette autre source soit secondaire.

[6] Le ministre du Revenu national a déterminé que la règle modifiée de la restriction des pertes agricoles s’appliquait, dans le cas de l’appelante, pour les années d’imposition 2014 et 2015. Il a donc établi les cotisations de l’appelante compte tenu d’une déduction maximale de 17 500 $ au titre des pertes agricoles de l’appelante pour ces années-là. L’appelante, en désaccord, s’est opposée aux cotisations. Le ministre a maintenu les cotisations, alors l’appelante a interjeté appel à la Cour canadienne de l’impôt.

[7] Cet appel a donné à la Cour canadienne de l’impôt sa première occasion de se pencher sur la règle modifiée de la restriction des pertes agricoles. La Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’agriculture constituait la source secondaire de revenu de l’appelante et, par conséquent, que la règle de la restriction des pertes agricoles s’appliquait. Elle a donc rejeté l’appel de l’appelante : Stackhouse c. Le Roi, 2023 CCI 156 (sous la plume du juge Owen).

[8] L’appelante en appelle maintenant à notre Cour, soutenant que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur dans l’interprétation de la règle modifiée de la restriction des pertes agricoles. Elle prétend que cette règle, interprétée de façon appropriée, ne s’applique pas à son cas et que, compte tenu du temps, des efforts et du capital qu’elle a consacrés à l’agriculture, l’exercice de la médecine est en fait sa source secondaire de revenu.

[9] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.

I. Contexte

[10] Depuis plus de 70 ans, la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), a restreint la déduction des pertes agricoles. Les modalités ont été modifiées à l’occasion, mais l’une d’elles n’a jamais changé : le contribuable qui subit une perte agricole peut la déduire de l’une de ses autres sources de revenu sans restriction seulement si l’agriculture, en soi ou en combinaison avec une autre source de revenu, constituait sa source principale de revenu.

[11] La règle de la restriction des pertes agricoles est énoncée à l’article 31 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le passage de cette règle qui s’applique au présent appel est le suivant :

31(1) Si le revenu d’un contribuable, pour une année d’imposition, ne provient principalement ni de l’agriculture ni d’une combinaison de l’agriculture et d’une autre source qui est une source secondaire de revenu pour lui, pour l’application des articles 3 et 111, ses pertes pour l’année, provenant de toutes les entreprises agricoles exploitées par lui, sont réputées correspondre au total des montants suivants :

31(1) If a taxpayer’s chief source of income for a taxation year is neither farming nor a combination of farming and some other source of income that is a subordinate source of income for the taxpayer, then for the purposes of sections 3 and 111 the taxpayer’s loss, if any, for the year from all farming businesses carried on by the taxpayer is deemed to be the total of

[…]

[Non souligné dans l’original.]

(Emphasis added.)

[12] Le préambule est suivi d’une formule visant à limiter la partie déductible maximale des pertes agricoles. En 2014 et 2015, la partie déductible maximale était de 17 500 $. Avant la modification de 2013, le passage cité ci-dessus était ainsi libellé :

31(1) Lorsque le revenu d’un contribuable, pour une année d’imposition, ne provient principalement ni de l’agriculture ni d’une combinaison de l’agriculture et de quelque autre source, pour l’application des articles 3 et 111, ses pertes pour l’année, provenant de toutes les entreprises agricoles exploitées par lui, sont réputées être le total des montants suivants :

31(1) Where a taxpayer’s chief source of income for a taxation year is neither farming nor a combination of farming and some other source of income, for the purposes of sections 3 and 111 the taxpayer’s loss, if any, for the year from all farming businesses carried on by the taxpayer shall be deemed to be the total of

[…]

[Non souligné dans l’original.]

(Emphasis added.)

[13] Bien qu’il soit rédigé à la forme négative, le paragraphe 31(1) vise en somme à déterminer les cas où la source principale de revenu du contribuable est l’agriculture ou une combinaison de l’agriculture et d’une autre source de revenu ou, tel que modifié, les cas où l’agriculture ou une combinaison de l’agriculture et d’une autre source secondaire de revenu. Si tel n’est pas le cas, la règle de la restriction des pertes agricoles s’applique.

[14] De toute évidence, jusqu’à la modification de 2013, l’exception de la combinaison n’imposait aucune condition aux sources de revenu qui pouvaient être la source principale de revenu, pourvu que l’agriculture ait été l’une des sources de revenu. Toutefois, en vertu de la modification, si l’agriculture est, dans la combinaison, est la source secondaire de revenu, la règle de la restriction de pertes agricoles s’applique, sauf dans un cas précis. Ce cas est prévu au paragraphe 31(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui a été ajouté en même temps et est entré en vigueur en même temps que le paragraphe 31(1) en cause, dans le présent appel.

[15] Le paragraphe 31(2) prévoit que la règle de la restriction des pertes agricoles ne s’applique pas lorsque la combinaison inclut l’agriculture et la fabrication ou la transformation au Canada de marchandises destinées à la vente et que la totalité ou la presque totalité de la production provenant de l’ensemble des entreprises agricoles que le contribuable exploite est utilisée dans la fabrication ou la transformation. Autrement dit, en pareilles circonstances, l’exception de la combinaison est interprétée comme elle l’était avant la modification de 2013, peu importe si la source secondaire de revenu est l’agriculture, la fabrication ou la transformation.

[16] Outre le contexte qu’il permet d’éclaircir, ce cas particulier n’est pas pertinent en l’espèce. En conséquence, et par souci de simplicité, je poursuis comme si seul le paragraphe 31(1) traitait de l’exception de la combinaison.

[17] La version de l’exception de la combinaison antérieure à 2013 a fait l’objet d’importants débats et de nombreux litiges, y compris devant notre Cour et la Cour suprême du Canada. La Cour suprême s’est penchée sur la règle de la restriction des pertes agricoles dans deux affaires : Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, [Moldowan] et Canada c. Craig, 2012 CSC 43 [Craig].

[18] Ces deux arrêts portaient sur la même version de la règle de la restriction des pertes agricoles, à savoir : « [l]orsque le revenu d’un contribuable pour une année d’imposition ne provient principalement ni de l’agriculture ni d’une combinaison de l’agriculture et de quelque autre source ». Toutefois, l’arrêt Craig a renversé l’arrêt Moldowan, ce qui a mené à la modification de 2013, dont l’effet est au cœur du présent appel. Il est utile de résumer ces arrêts, à commencer par l’arrêt Moldowan.

A. 1978 : l’arrêt Moldowan

[19] Dans l’arrêt Moldowan, la Cour suprême s’est penchée sur le sens qu’il fallait donner à la « source principale de revenu ». Elle a conclu que, puisque la règle de la restriction des pertes agricoles ne s’appliquait que lorsque le contribuable avait subi des pertes agricoles, il fallait, pour donner un sens à cette disposition, mettre l’accent sur le sens de « source de revenu » : Moldowan, p. 485.

[20] La Cour suprême a expliqué que « [d]éterminer si une source de revenu est la principale “source” de revenu d’un contribuable suppose un test à la fois relatif et objectif », et non une « simple question de proportion » : Moldowan, p. 486. En fait, « [c]e qui distingue la principale “source” de revenu du contribuable, c’est l’expectative raisonnable de revenu en provenance des diverses sources, ainsi que ses habitudes et sa façon coutumière de travailler » : Moldowan, p. 486. On peut analyser ces éléments, à l’égard de chaque source de revenu, en examinant le temps consacré à celle-ci, les capitaux engagés et la rentabilité potentielle : Moldowan, p. 486.

[21] Pour ce qui est du critère à appliquer à la combinaison, la Cour suprême a dit qu’elle envisageait une personne pour qui l’agriculture est la préoccupation majeure, mais a reconnu que cette personne pouvait aussi avoir un revenu « provenant d’un investissement, d’un emploi ou d’une entreprise secondaire » : Moldowan, p. 488. Mais ces « intérêts subsidiaires » ne la ferait pas tomber sous le coup de la règle de la restriction des pertes agricoles : Moldowan, p. 488. Pour déterminer si une source de revenu autre que l’agriculture est « auxiliaire », il fallait appliquer un critère à la fois relatif et objectif, comme pour la source principale de revenu : Moldowan, p. 488.

[22] La Cour suprême a conclu que la règle de la restriction des pertes agricoles ne s’appliquait pas dans le cas d’une personne « qui peut raisonnablement s’attendre à tirer de l’agriculture la plus grande partie de son revenu ou à ce que ce soit le centre de son travail habituel » – qui, selon la Cour suprême, correspond à l’agriculteur de la catégorie (1) – mais qu’elle s’appliquait dans le cas d’une personne « pour qui l’exploitation d’une ferme est une entreprise secondaire » ou « qui ne considère pas l’agriculture, ou l’agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain » – c’est-à-dire l’agriculteur de la catégorie (2) : Moldowan, p. 487 (non italique dans l’original). L’agriculteur de la catégorie (3) n’exploiterait pas une entreprise agricole, mais ferait de l’agriculture son passe-temps, n’aurait pas le droit de déduire ses pertes agricoles.

B. 2012 : l’arrêt Craig

[23] Dans les années qui ont suivi, l’arrêt Moldowan a reçu « des critiques de la part de la magistrature, du milieu doctrinal et de la profession juridique » parce que l’effet de l’interprétation de l’exception de la combinaison était que « la principale source de revenu du contribuable doit être l’agriculture, comme pour la première catégorie » : Craig, par. 11, 12, 29.

[24] Autrement dit, bien que la règle de la restriction des pertes agricoles connaisse deux exceptions – soit l’agriculture comme source principale de revenu et la combinaison de l’agriculture et d’une autre source de revenu –, « [e]n exigeant que la seconde exception ne s’applique que lorsque l’autre source de revenu est secondaire par rapport à l’agriculture, Moldowan l’a amalgamée à la première » : Craig, par. 28.

[25] Dans l’arrêt Craig, la Cour suprême a été convaincue que la démarche relative à la question de la combinaison suivie dans l’arrêt Moldowan était incorrecte et que les facteurs pertinents justifiaient d’écarter cet arrêt et de reprendre l’interprétation du début. Parallèlement, la Cour suprême a émis une mise en garde : tout nouveau critère relatif à la combinaison ne doit pas faire en sorte qu’il soit impossible d’appliquer l’article 31 : Craig, par. 28-32.

[26] Compte tenu de ce qui précède, la Cour suprême a examiné plusieurs points qui méritent d’être revus dans le présent appel.

[27] Contrairement à l’arrêt Moldowan, selon l’exception de la combinaison telle qu’elle était alors formulée, aucune source de revenu ne devait être prédominante : Craig, par. 12, 39, 43. Quoi qu’il en soit, l’arrêt Craig suit l’arrêt Moldowan en ce sens que l’exception n’envisage pas simplement l’addition de deux sources de revenu : Craig, par. 37; Moldowan, p. 487. Ainsi, il ne suffit pas de nommer simplement deux sources de revenu ou plus et de déclarer qu’elles constituent ensemble une source principale de revenu.

[28] En fait, pour que l’agriculture, combinée à une autre source de revenu, puisse être la source principale de revenu, le contribuable « doit consacrer beaucoup de temps et de ressources à l’entreprise agricole, même s’il doit également consacrer un temps appréciable et, peut‑être, des ressources substantielles à une autre entreprise ou un emploi » : Craig, par. 41. « Dès lors que le contribuable consacre beaucoup de temps et de ressources à l’entreprise agricole, le fait qu’une autre source de revenu soit plus lucrative ne signifie pas […] que le revenu du contribuable ne provient pas principalement d’une telle combinaison » : Craig, par. 41.

[29] En termes simples, la Cour suprême a conclu que chaque source de revenu incluse dans la combinaison qui constitue la source principale de revenu doit être une activité importante, à laquelle le contribuable accorde une importance considérable : Craig, par. 42, 43, 45.

[30] Pour vérifier sa conclusion, la Cour suprême a déclaré que les facteurs tels que « le capital investi dans l’agriculture et dans la deuxième source de revenu, le revenu tiré de chacune de ces sources de revenu, le temps consacré aux deux sources de revenu et le mode de vie ordinaire du contribuable, son expérience de l’agriculture et ses intentions et attentes » doivent être pris en considération : Craig, par. 42, 45. Si ces facteurs indiquent que le contribuable accorde une importance significative à la fois à l’agriculture et aux autres activités, la combinaison de toutes ces activités constituera la source principale de revenu.

[31] Cela dit, la Cour suprême a établi que la démarche « doit rester souple et reconnaître que certains facteurs peuvent ne pas être importants » : Craig, par. 45. Il s’agit d’une appréciation factuelle relevant du juge de première instance : Craig, par. 38, 43.

C. 2013 : la réponse du gouvernement

[32] L’arrêt Craig a poussé le législateur à modifier le libellé de l’exception de la combinaison pour les années d’imposition se terminant après le 20 mars 2013. Les notes explicatives qui accompagnaient l’amendement proposé indiquaient que le but était de codifier l’interprétation de l’arrêt Moldowan pour remplacer celle de l’arrêt Craig :

Le paragraphe 31(1) de la Loi a pour effet de limiter les pertes agricoles qu’un contribuable peut déduire de son revenu d’autres sources au cours d’une année d’imposition, à moins que sa principale source de revenu pour l’année soit l’agriculture ou une combinaison de l’agriculture et d’une autre source. Cette restriction fait en sorte que les contribuables dont l’agriculture n’est pas la principale occupation soient limités dans leur capacité de déduire des pertes agricoles de leur revenu non agricole […]

[…]

La modification apportée au paragraphe 31(1) a pour but de codifier l’interprétation que la Cour suprême du Canada a donnée à ce paragraphe dans l’arrêt Moldowan c. la Reine, [1978] 1 RCS 480. Plus précisément, la modification précise que la déduction d’un contribuable au titre des pertes agricoles est limitée à la somme prévue au paragraphe 31(1) si le revenu du contribuable ne provient principalement ni de l’agriculture ni d’une combinaison de l’agriculture et d’une source secondaire de revenu. Cette modification remplace l’interprétation que la Cour suprême du Canada avait donnée à l’article 31 dans l’arrêt La Reine c. Craig, 2012 CSC 43. Elle s’applique aux années d’imposition se terminant après le 20 mars 2013.

Canada, Ministère des Finances, Notes explicatives relatives à la Loi de l’impôt sur le revenu, à la Loi sur la taxe d’accise et au Règlement de l’impôt sur le revenu (octobre 2013), article 14.

II. Décision de la Cour canadienne de l’impôt

A. La Cour canadienne de l’impôt détermine que l’agriculture est la source secondaire de revenu de l’appelante

[33] Passons à la décision de la Cour canadienne de l’impôt qui fait l’objet du présent appel.

[34] La Cour canadienne de l’impôt n’a pas douté que les activités agricoles de l’appelante étaient une source de revenu d’entreprise : motifs de la CCI, par. 109. Elle a reconnu que la question dont elle était saisie était de savoir si l’agriculture était sa source principale de revenu, en soi ou en combinaison avec une source secondaire : motifs de la CCI, par. 110.

[35] La Cour canadienne a reconnu que l’arrêt Moldowan n’était pas « à proprement parler un précédent pour l’interprétation de la version modifiée » de l’article 31 : motifs de la CCI, par. 95. Elle a néanmoins consacré une grande partie de son analyse à l’arrêt Moldowan.

[36] La Cour canadienne de l’impôt a d’abord établi que l’« adjectif « subordinate » est employé dans la version anglaise du paragraphe 31(1) dans le sens de [traduction] “secondaire par rapport à un autre élément (qui est l’élément principal)” » : motifs de la CCI, par. 110. Elle l’a mis en opposition avec le mot « “chief” [qui] est employé dans la version anglaise du paragraphe 31(1) dans le sens de [traduction] “le plus important”, “principal” ou “le plus grand” » : motifs de la CCI, par. 110.

[37] Pour déterminer laquelle des sources de revenu est secondaire dans la combinaison, la Cour canadienne de l’impôt a conclu qu’il lui fallait appliquer les principes de l’arrêt Moldowan pour déterminer la source prédominante : motifs de la CCI, par. 115-121. Comme elle l’a dit, « [l]a démarche générale énoncée dans l’arrêt Moldowan, interprétée de la manière susmentionnée, est conforme au texte, au contexte et à l’objectif de la version modifiée » de la règle de la restriction des pertes agricoles : motifs de la CCI, par. 121.

[38] La Cour canadienne de l’impôt s’est ensuite penchée sur la preuve et a consacré plusieurs paragraphes aux activités de l’appelante à titre de médecin et à ses activités agricoles : motifs de la CCI, par. 122-127, 129-131. Elle a constaté que l’appelante, durant toutes les années où elle s’est adonnée à l’agriculture, exerçait la médecine à temps plein. L’appelante avait consacré une quantité d’heures comparables, avant et après son travail de médecin, mais elle « accomplissait en priorité ses activités médicales lorsque survenait une situation médicale nécessitant son attention » : motifs de la CCI, par. 129.

[39] L’exercice de la médecine ne nécessite pas beaucoup de dépenses d’investissement. L’appelante louait des locaux à coût modique de la municipalité : motifs de la CCI, par. 56, 64. La Cour canadienne de l’impôt a reconnu que l’appelante avait investi beaucoup de capitaux à l’agriculture (« des millions de dollars »), mais « toutes les sommes investies par l’appelante dans la ferme provenaient du revenu net qu’elle tirait de son cabinet de médecine et, […] la ferme nécessitait pour survivre le soutien financier offert par ce revenu » : motifs de la CCI, par. 132.

[40] L’appelante avait des employés à ces deux entreprises : motifs de la CCI, par. 24 (exposé conjoint partiel des faits, par. 54, 57).

[41] Exception faite pour 1993 et 1994, l’appelante avait déclaré des pertes agricoles chaque année d’imposition depuis 1987 et des « pertes agricoles restreintes », au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu, pour les années d’imposition de 1980 à 1982 et de 1984 à 1986 : motifs de la CCI, par. 24 (exposé conjoint partiel des faits).

[42] En 2014 et en 2015, les revenus agricoles de l’appelante se sont chiffrés à 176 433 $ et à 31 128 $, alors que ses dépenses agricoles ont été de 706 796 $ et de 627 032 $ respectivement : motifs de la CCI, par. 3, 24 (exposé conjoint partiel des faits, par. 125). Elle a donc subi d’importantes pertes agricoles nettes. En revanche, les revenus bruts et les revenus professionnels tirés de l’exercice de la médecine ont été de 805 321 $ et de 648 605 $, respectivement en 2014, et de 851 621 $ et 697 050 $, respectivement, en 2015 : motifs de la CCI, par. 24 (exposé conjoint partiel des faits, par. 65, 125).

[43] En outre, de 2007 à 2015, l’appelante a tiré des revenus totaux bruts de 5 599 554 $ et des revenus totaux nets de 4 145 580 $ de l’exercice de la médecine et a encaissé chaque année une hausse de ces revenus. En revanche, durant la même période, elle a gagné des revenus totaux bruts de 290 244 $ de son entreprise agricole et a subi des pertes agricoles totales excédant les 4 000 000 $ : motifs de la CCI, par. 67, 133.

[44] La Cour canadienne de l’impôt a reconnu que l’appelante se dévouait à l’agriculture et consacrait beaucoup de temps et d’argent à son entreprise agricole, mais elle a conclu que « le cœur des tâches professionnelles quotidiennes de l’appelante était l’exercice de la médecine » et qu’elle « comptait sur son cabinet de médecine pour subvenir à ses besoins » : motifs de la CCI, par. 131, 134. Elle a conclu que « la principale source de revenu de l’appelante en 2014 et 2015 était son cabinet de médecine » : motifs de la CCI, par. 135. Selon la Cour canadienne de l’impôt, « [l]’activité agricole a toujours été une source de revenu secondaire à l’exercice de la médecine pour l’appelante, et rien ne prouve que cela est appelé à changer dans un avenir prévisible » : motifs de la CCI, par. 134, 136.

[45] La Cour canadienne de l’impôt a par conséquent rejeté l’appel de l’appelante.

B. Question préliminaire : la nomenclature

[46] Il semblerait que les parties, devant la Cour canadienne de l’impôt, aient convenu que la source principale de revenu de l’appelante reposait sur la combinaison de l’agriculture et de l’exercice de la médecine. C’est certainement la thèse soutenue par l’appelante et la conclusion de la Cour canadienne de l’impôt dans sa décision de 2007.

[47] Toutefois, en établissant les cotisations de l’appelante pour les années d’imposition 2014 et 2015, le ministre a tenu pour acquis que « la principale source de revenu de l’appelante était l’exercice de la médecine » : motifs de la CCI, par. 3 (non italique dans l’original). La Cour canadienne de l’impôt a déclaré qu’il s’agissait d’une question mixte de fait et de droit, plutôt que d’une hypothèse de fait qui ne fait pas porter au contribuable le fardeau de la réfuter : motifs de la CCI, par. 22, 23.

[48] La Cour canadienne de l’impôt, pour résumer la thèse de l’intimé, a déclaré que ce dernier avait accepté la conclusion de la cour, en 2007, selon laquelle la combinaison de l’agriculture et l’exercice de la médecine constituait la source principale de revenu de l’appelante. Toutefois, pour 2014 et 2015, l’intimé a soutenu que « [l]a preuve établit qu[e] l’agriculture était une source de revenu secondaire par rapport au cabinet de médecine de l’appelante. Par conséquent, la principale source de revenu de l’appelante était son cabinet de médecine, qui prédominait dans la combinaison avec la source secondaire de revenu, soit l’agriculture » : motifs de la CCI, par. 83 (non italique dans l’original).

[49] La Cour canadienne de l’impôt s’est dite d’accord. Elle a mis en opposition les mots « principale » (en anglais, « chief » et « accessoire » (en anglais, « subordinate ») employés dans la version anglaise de l’article 31 : motifs de la CCI, par. 110. Elle a conclu que « la principale source de revenu de l’appelante en 2014 et 2015 était son cabinet de médecine, et que l’entreprise agricole de l’appelante était une source secondaire de revenu » : motifs de la CCI, par. 135 (non italique dans l’original).

[50] Malgré l’emploi du mot « chief », ou « principale », je ne comprends pas pourquoi l’intimé aurait soutenu, et la Cour canadienne de l’impôt conclu, que la source principale de l’appelante n’était pas la combinaison de l’agriculture et de la médecine. S’il avait été établi que l’exercice de la médecine était en soi la source principale de revenu de l’appelante, aucun besoin d’ajouter que l’agriculture était secondaire. Or, et l’intimé et la Cour canadienne de l’impôt l’ont fait.

[51] Comme je l’ai mentionné, la thèse de l’intimé, telle que résumée par la Cour canadienne de l’impôt, fait référence à « secondaire », à « combinaison », à « prédominait » et à « principale ». La Cour canadienne de l’impôt utilise le mot « secondaire » pour décrire l’entreprise agricole de l’appelante dans sa conclusion, allant jusqu’à dire que « [l]’activité agricole a toujours été une source de revenu secondaire à l’exercice de la médecine » : motifs de la CCI, par. 134.

[52] Je soupçonne que l’intimé a fait fond sur le mot « principale » pour établir les cotisations visées et pour rédiger ses observations devant la Cour canadienne de l’impôt parce que les notes explicatives de l’amendement indiquent que le but était de restaurer l’interprétation de l’arrêt Moldowan. L’arrêt Moldowan fait sans cesse référence à l’adjectif « principale », y compris dans le contexte de l’exception de la combinaison. Ayant consacré plusieurs pages de ses motifs à l’arrêt Moldowan, et vu la façon dont l’intimé a rédigé ses observations, la Cour canadienne de l’impôt, je soupçonne, a utilisé « principale » pour les mêmes raisons.

[53] Devant notre Cour, les parties ont convenu que l’exception de la combinaison était en cause. Elles ont confirmé qu’elles comprenaient que la Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’exception de la combinaison était l’exception pertinente.

[54] À la lumière de l’analyse ci-dessus, je suis convaincue que la Cour canadienne de l’impôt a appliqué l’exception de la combinaison, mais a conclu que l’agriculture était la source de revenu secondaire.

[55] Cela dit, comme la combinaison – et non l’une de ses composantes – doit être la source principale de revenu, décrire l’une des composantes comme « secondaire » ou « principale », comme l’ont fait l’intimé et la Cour canadienne de l’impôt, sème la confusion. J’utilise donc « principale », dans les présents motifs, dans le même sens que « principalement », à l’article 31, y compris pour l’exception de la combinaison. J’utilise « secondaire » et « prédominante » pour faire référence aux sources de revenu qui, ensemble, constituent la combinaison qui représente la source principale de revenu.

III. Appel

A. La thèse de l’appelante

[56] Devant notre Cour, l’appelante soutient que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en interprétant la version modifiée de l’article 31. Elle soutient que la Cour canadienne de l’impôt a appliqué l’interprétation énoncée dans l’arrêt Moldowan et a ainsi écarté le critère de la combinaison. Cette erreur de droit a mené la Cour canadienne de l’impôt à conclure à tort que l’entreprise agricole de l’appelante était secondaire à l’exercice de la médecine.

[57] Dans le contexte de l’exception de la combinaison, l’appelante fait valoir que si l’agriculture donne des résultats financiers négatifs, la priorité doit être donnée au temps, aux efforts, aux travaux et aux dépenses investis pour déterminer la source prédominante. Cette interprétation, soutient-elle, est conforme au libellé et au contexte de l’article 31 et étaye ce qu’elle estime être l’objet de cette disposition : seuls les agriculteurs moins que pleinement engagés sont assujettis à la règle de la restriction des pertes agricoles.

[58] En appliquant cette interprétation, l’appelante prétend que sa source secondaire de revenu est la médecine.

B. La thèse de l’intimé

[59] L’intimé soutient que la Cour canadienne de l’impôt n’a pas commis d’erreur. Selon lui, la modification visait non seulement [traduction] « à restaurer le critère énoncé dans l’arrêt Moldowan », mais aussi « à répondre aux critiques que la Cour suprême a formulées contre l’arrêt Moldowan dans l’arrêt Craig » : mémoire des faits et du droit de l’intimée, par. 27.

[60] L’intimé fait valoir que la détermination de la source secondaire demande une analyse à la fois relative et objective qui prend en compte divers facteurs, notamment le temps consacré, le capital investi et la rentabilité réelle et potentielle. Il affirme toutefois que les caractéristiques distinctives de la source prédominante sont les habitudes ou la façon de travailler du contribuable ou dans ses expectatives raisonnables de revenu de cette source. (Soit dit entre parenthèses, je constate qu’il s’agit des mêmes caractéristiques que celles avancées dans l’arrêt Moldowan pour distinguer la source principale de revenu.)

[61] En appliquant cette interprétation, l’intimé estime que la Cour canadienne de l’impôt a à don droit conclu que la source prédominante de revenu de l’appelante est la médecine.

IV. Analyse

A. Les questions en litige et la norme de contrôle

[62] Le présent appel porte sur l’interprétation qu’il convient de donner à l’exception modifiée de la combinaison dans l’application de la règle de la restriction des pertes agricoles. Puisque l’interprétation des lois est une question de droit, la Cour doit être convaincue que l’interprétation est correcte : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, par. 8.

[63] Les principes de l’interprétation des lois sont bien connus : les dispositions législatives doivent être interprétées compte tenu du libellé, du contexte et de l’objectif. La Cour suprême du Canada nous a récemment rappelé que :

[…] une entreprise d’interprétation législative demeure incomplète sans l’examen du contexte, de l’objet et des normes juridiques pertinentes » […]. Parallèlement, « de la même manière que le texte doit être examiné au regard du contexte et de l’objet, l’objet d’une loi et celui d’une disposition doivent être examinés en gardant continuellement un œil attentif sur le texte de la loi, lequel demeure le point d’ancrage de l’opération d’interprétation » [Renvois omis.]

Piekut c. Canada (Revenu national), 2025 CSC 13, par. 45.

[64] Dans le présent appel, nous avons la chance d’avoir deux arrêts où la Cour suprême du Canada a interprété la règle de la restriction des pertes agricoles avant qu’elle ne soit modifiée. Le seul changement pertinent par rapport au présent appel est l’ajout du critère voulant que la source de revenu autre qu’agricole soit secondaire. La question qui se pose alors, vu cet ajout, est de savoir comment il faut interpréter la règle de la restriction des pertes agricoles.

[65] Pour répondre à cette question, la Cour doit tenir compte à la fois de l’arrêt Moldowan et de l’arrêt Craig. La raison est que l’arrêt Craig expliquait ce que la Cour suprême entendait par une combinaison de sources de revenu qui, ensemble, constituent une source principale de revenu : chacune doit être une activité importante à laquelle le contribuable accorde une importance considérable. La modification n’a pas d’effet sur cet aspect de l’arrêt Craig. Ainsi, l’exception de la combinaison modifiée requiert toujours que chaque source de revenu de la combinaison satisfasse au critère de l’« activité importante ».

[66] En outre, l’arrêt Craig a écarté l’arrêt Moldowan seulement dans la mesure où ce dernier avait amalgamé l’exception de la combinaison à l’exception de la source principale de revenu et avait établi que, dans une combinaison, l’agriculture devait être la source prédominante. Ce qui importe, c’est que pour déterminer si une source est une activité importante – et fait ainsi partie des sources pouvant être incluses dans une combinaison constituant la source principale de revenu – l’arrêt Craig a adopté les mêmes facteurs que l’arrêt Moldowan pour déterminer la source principale de revenu.

[67] En gardant ce contexte à l’esprit, je me tourne vers l’interprétation de la règle modifiée de la restriction des pertes agricoles énoncée au paragraphe 31(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

B. L’interprétation de l’exception de la combinaison

(1) Loi bilingue

[68] Comme la Loi de l’impôt sur le revenu a été adoptée en français et en anglais, les deux versions font donc foi du droit applicable : R. c. Quesnelle, 2014 CSC 46, par. 53; R. c. Wolfe, 2024 CSC 34, par. 58. Ainsi pour interpréter les lois bilingues, la Cour doit d’abord rechercher le sens commun des versions française et anglaise : R. c. S.A.C., 2008 CSC 47, par. 14.

[69] La Cour canadienne de l’impôt a noté que ni l’arrêt Moldowan ni l’arrêt Craig n’a pris en considération la version française de la règle de la restriction des pertes agricoles. Quoi qu’il en soit, elle a limité son analyse de la version française à un seul aspect.

[70] La Cour canadienne de l’impôt a noté que la version française est aussi « formulé[e] sous forme négative (c.‑à-d. le revenu du contribuable ne provient ni de l’agriculture ni, etc.) », mais n’utilise pas le terme « source principale de revenu » : motifs de la CCI, par. 112. En fait, la version française se concentre sur la question de savoir si, pour l’année d’imposition, le revenu du contribuable « ne provient principalement (ou surtout) ni de l’agriculture, ni d’une combinaison de l’agriculture et d’une autre source » : motifs de la CCI, par. 112. En ce sens, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que la version française soulève la même question que celle soulevée dans l’arrêt Moldowan parce que la disposition « n’entre en jeu que lorsque le contribuable a subi une perte agricole au cours de l’année » : motifs de la CCI, par. 111-113.

[71] De ce que j’en comprends, la Cour canadienne de l’impôt a conclu qu’il faut se concentrer sur la source de revenu plutôt que sur le revenu en soi pour donner un sens à cette disposition (version française et anglaise). Je suis d’accord avec la Cour canadienne de l’impôt sur ce point.

[72] La version française utilise l’adverbe « principalement » pour rendre l’idée de l’adjectif « chief ». « Principalement » se traduit par « chiefly » ou « principally ». En contexte, se demander si le revenu d’une personne provient principalement de l’agriculture ou de l’agriculture en combinaison avec une autre source de revenu revient à se demander si la source principale de revenu de cette personne est l’agriculture ou l’agriculture en combinaison avec une autre source de revenu.

[73] Je me penche sur le libellé de l’exception de la combinaison, le libellé fait maintenant référence à « une combinaison de l’agriculture et d’une autre source qui est une source secondaire de revenu » ou « a combination of farming and some other source of income that is a subordinate source of income », en anglais. Le terme « secondaire » est rendu dans la version anglaise par « subordinate ». « Secondaire » peut se traduire par « secondary », un terme que la Cour canadienne de l’impôt a utilisé en anglais en faisant référence au libellé français : motifs de la CCI, par. 112. « Secondaire » peut signifier « qui ne vient qu’au second rang, qui est d’une importance, d’une valeur, d’une qualité moindre » : Trésor de la langue française (en ligne).

[74] Je suis ainsi convaincue qu’il n’y a aucune différence entre les versions française et anglaise en ce qui concerne la description des exceptions à la règle de la restriction des pertes agricoles au paragraphe 31(1). Je peux maintenant concentrer mon analyse sur la version anglaise.

(2) Libellé

[75] Je note d’abord que l’exception de la combinaison repose sur deux sources de revenu composant ensemble la source principale de revenu du contribuable.

[76] J’accepte qu’on puisse considérer que l’arrêt Moldowan, en énonçant que l’agriculture peut être combinée à d’« autres intérêts pécuniaires, comme un revenu provenant d’un investissement, d’un emploi ou d’une entreprise secondaire », donne à croire que la combinaison pourrait inclure plus de deux sources de revenu : Moldowan, p. 488 (non italique dans l’original). Mais je ne suis pas convaincue que tel est le cas.

[77] L’exception de la combinaison a toujours été formulée au singulier – « l’agriculture [ou] une combinaison de l’agriculture et d’une autre source », et non « une combinaison de l’agriculture et d’autres sources ». Vu ce libellé, la jurisprudence qui porte sur la règle de la restriction des pertes agricoles se concentre invariablement sur l’agriculture et une autre source de revenu.

[78] Dans l’arrêt Gunn c. Canada, 2006 CAF 281 [Gunn], notre Cour a déclaré que l’exception de la combinaison a trait à l’agriculture et une « deuxième source de revenu » : par. 83. La Cour suprême a employé une expression semblable dans l’arrêt Craig : voir, par exemple, par. 37, 42, 45 (« deux sources de revenu »). Même dans l’arrêt Moldowan, elle a déclaré que la combinaison ne vise pas « la simple addition des deux sources de revenu » : p. 487.

[79] Il va sans dire que le contribuable peut toujours avoir plusieurs sources de revenu. L’appelante tirait un revenu de location, un revenu de l’agriculture et un revenu de la médecine. Toutefois, si l’on applique les enseignements de l’arrêt Craig, on peut difficilement s’imaginer une situation où le contribuable aurait plus de deux sources de revenu, chacune devant être une activité importante à laquelle il accorde une importance considérable.

[80] Cela dit, s’il devait y avoir une ambiguïté quant au nombre de sources de revenu susceptibles de composer la source principale de revenu, ce dont je doute, la modification apportée l’a dissipée. Avant la modification, l’exception de la combinaison faisait référence à « une combinaison de l’agriculture et de quelque autre source », et maintenant à « une combinaison de l’agriculture et d’une autre source qui est une source secondaire de revenu ». Le libellé actuel invite de toute évidence à comparer les deux sources de revenu qui composent la source principale de revenu – l’agriculture et la source autre que l’agriculture. L’exception de la combinaison repose sur le fait que la source de revenu autre que l’agriculture est ou non une source secondaire.

[81] Le mot « secondaire » (en anglais, « subordinate ») a plusieurs sens. Comme il s’agit d’une comparaison, son sens est « qui ne vient qu’au second rang, qui est d’une importance, d’une valeur, d’une qualité moindre » : Trésor de la langue française (en ligne), (en anglais, « of lesser importance, not principal or predominant ») : Oxford English Dictionary (en ligne), mais le terme anglais a aussi le sens de [traduction] « [d]épendant, subordonné ou secondaire par rapport à un autre élément (qui est l’élément premier ou principal) » (en anglais, « dependent upon, subservient to, or secondary to some other [chief or principal] thing ») : Oxford English Dictionary (en ligne). Je considère que ces deux définitions sont essentiellement équivalentes, mais je note par ailleurs que, selon Antidote, « secondaire » est un antonyme de « prédominant ».

[82] Cette interprétation est conforme à la démarche sur laquelle repose l’exception de la combinaison : si l’on accepte que la source principale de revenu du contribuable est constituée de la combinaison de l’agriculture et d’une autre source de revenu, cette autre source de revenu est-elle secondaire?

[83] Je ne vois donc aucune ambiguïté dans le libellé.

(3) Contexte

[84] Dans son interprétation de l’exception de la combinaison, l’arrêt Moldowan se soucie peu du contexte.

[85] Dans l’arrêt Craig, la Cour suprême a déclaré que rien, dans le contexte, ne lui permettait d’affirmer que l’agriculture doit être la source prédominante de revenu dans la combinaison : Craig, par. 39. Néanmoins, elle a ajouté que la règle de la restriction des pertes agricoles ne peut se limiter qu’aux contribuables pour qui l’agriculture n’est qu’un « passe‑temps » ou un « loisir », ceux de la catégorie 3 de la classification établie dans l’arrêt Moldowan, « parce que, pour qu’une perte agricole soit déductible, il faut d’abord que l’agriculture soit une source de revenu » : Craig, par. 39.

[86] En fin de compte, la Cour suprême a conclu que l’exception de la combinaison reposait sur le principe voulant que le contribuable doive consacrer beaucoup de temps et de ressources à l’activité agricole : Craig, par. 41. Elle s’est dite d’avis que cette interprétation est « conforme à l’économie générale de la Loi de l’impôt sur le revenu suivant laquelle, sous réserve de certaines exceptions précises, le contribuable peut déduire les pertes afférentes à une entreprise ou à une source de revenu des profits tirés d’une autre entreprise ou source de revenu » : Craig, par. 43.

[87] La Cour suprême a en outre noté que l’article 31 traite des pertes agricoles, mais qu’il ne prévoit aucune restriction des pertes agricoles lorsque seule l’agriculture constitue la source principale de revenu, ce qui implique par conséquent l’investissement de beaucoup de temps et d’argent. Les mêmes caractéristiques s’appliqueraient à l’agriculture dans la combinaison : Craig, par. 41.

[88] L’arrêt Gunn aborde le contexte dans le détail : par. 19-44. Notre Cour a noté que le contexte légal pertinent inclut à la fois le régime pour calculer les bénéfices et les pertes d’entreprise et les règles particulières applicables aux entreprises agricoles à cette fin. Elle a constaté que ces règles particulières incluaient des dispositions qui permettent de calculer selon la méthode de la comptabilité de caisse plutôt que la méthode de la comptabilité d’exercice, de traiter le coût des stocks comme une dépense (sous réserve de certaines limites) et de déclarer certaines dépenses à titre de dépenses courantes alors qu’elles sont considérées comme des dépenses en capital pour les entreprises non agricoles. (Les deux premières s’appliquent aussi aux entreprises de pêche.)

[89] Outre la liste des règles particulières prévues par la Loi de l’impôt sur le revenu qui s’appliquent aux agriculteurs dont l’arrêt Gunn fait état, je constate que plusieurs dispositions visent à soulager, parfois sous conditions, les agriculteurs (et les pêcheurs) des règles applicables aux contribuables qui exploitent d’autres types d’entreprise ou sont plus généreuses envers les agriculteurs (et les pêcheurs) :

  • (i)la possibilité de différer la comptabilisation des gains en capital accumulés sur les biens en immobilisation transférés aux enfants : par. 70(9.2)-(9.31), 73(4), 73(4.1);

  • (ii)une réserve de dix ans à la vente de biens en immobilisation aux enfants : sous‑al. 40(1)a)(iii), par. 40(1.1), sous-al. 44(1)e)(iii), par. 44(1.1);

  • (iii)une exemption accrue des gains en capital sur les gains tirés de la vente de biens immeubles, de contingents de vente, d’actions d’une société agricole familiale et d’une participation dans une société de personnes agricole familiale : par. 110.6(1), 110.6 (1.3), 110.6 (2.2);

  • (iv)la possibilité de différer la comptabilisation des gains en capital accumulés sur les biens en immobilisation précédemment transférés à un enfant qui transfère les biens par testament à son père ou à sa mère : par. 70(9.6);

  • (v)des exemptions à la règle sur la fraction à risques des sociétés en commandite : par. 96(2.1);

  • (vi)des règles particulières sur l’exemption de la résidence principale pour les habitations sur la ferme : al. 40(2)c).

[90] Dans l’arrêt Gunn, notre Cour, après avoir passé en revue l’historique législatif entier de la règle de la restriction des pertes agricoles, a conclu que cet historique « ne nous enseigne qu’une chose : à l’origine, la question de savoir si un agriculteur était soumis à une limite quant à ses pertes relevait du pouvoir entièrement discrétionnaire du ministre, mais aujourd’hui s’applique un critère légal, dépourvu de lignes directrices explicites » : Gunn, par. 43.

[91] Je suis d’accord.

[92] Bon nombre des règles particulières permettent aux agriculteurs de différer la comptabilisation ou d’accélérer la déduction des dépenses. Elles leur permettent ainsi de réduire leur revenu et de créer ou d’accroître leurs pertes. De toute évidence, c’est le choix qu’a fait le législateur pour aider les agriculteurs. Toutefois, à part la règle de la restriction des pertes agricoles, aucune des règles particulières décrites ci-dessus ne se limite qu’aux contribuables pour qui l’agriculture, seule ou en combinaison avec une autre source de revenu, constitue leur source principale de revenu.

[93] Ce contexte montre que le législateur a aussi délibérément choisi d’appliquer la règle de la restriction des pertes agricoles aux contribuables pour qui l’agriculture n’est pas en soi la source principale de revenu ni la source prédominante dans la combinaison qui constitue la source principale de revenu. Comme je le mentionne au paragraphe 15, le critère de la prédominance de l’agriculture ne s’applique pas seulement lorsque l’entreprise agricole du contribuable fournit la quasi-totalité de sa production à son entreprise « prédominante » de fabrication ou de transformation.

(4) Objet

[94] Dans l’arrêt Gunn, notre Cour a dit ne pas pouvoir trouver quoi que ce soit qui puisse expliquer de façon satisfaisante la règle de la restriction des pertes agricoles : par. 54. Je suis du même avis.

[95] Il n’est pas souhaitable d’émettre des hypothèses sur l’objet de l’article 31. Le régime particulier qui s’applique aux entreprises agricoles, y compris les règles permettant de réduire le revenu et d’accroître les dépenses, peut offrir une explication, mais il n’indique pas l’objet. Il importe de mentionner que les pêcheurs peuvent aussi se prévaloir de bon nombre des dispositions dont il est question aux paragraphes 88, 89, mais ils ne sont pas assujettis à une règle visant à restreindre leurs pertes.

[96] Autrement dit, il est clair que le législateur entendait limiter la déduction des pertes agricoles des contribuables pour qui l’agriculture n’est ni la source principale de revenu ni la source prédominante de revenu de deux activités importantes qui constituent la source principale de revenu. Mais, la raison pour laquelle il l’a limitée comme il l’a fait est loin d’être claire.

[97] Cela dit, les deux parties s’entendent pour dire que c’est l’arrêt Craig qui est à l’origine de la modification de 2013. Les notes explicatives donnent à croire que la modification visait à codifier l’arrêt Moldowan.

[98] Malgré ce qu’en disent les notes explicatives, la version modifiée de l’article 31 ne peut recevoir une interprétation visant simplement « à restaurer l’arrêt Moldowan », car une interprétation « excluant du par. 31(1) [l’exception de la combinaison] n’est pas conforme au texte employé par le législateur » : Craig, par. 28, 30.

[99] En fait, « la disposition, telle qu’elle est formulée, crée deux exceptions distinctes à la limitation de la déductibilité des pertes agricoles, et il faut donner un sens à chacune d’elles » : Craig, par. 28. Ainsi, l’interprétation appropriée doit donner à l’exception de la combinaison un sens qui soit valablement différent de celui de la source principale de revenu. Le problème réside dans le fait que l’arrêt Moldowan ne l’a pas fait. Je rejette donc la suggestion de l’intimé selon laquelle la modification visait à restaurer le critère énoncé dans l’arrêt Moldowan et à répondre aux critiques formulées dans l’arrêt Craig en ce qui concerne l’analyse suivie dans l’arrêt Moldowan.

[100] L’arrêt Craig et l’arrêt Moldowan demeurent tous deux pertinents.

[101] D’une part, l’arrêt Moldowan a interprété le critère de la combinaison de façon que l’agriculture soit la source prédominante – ou la « principale source », comme l’a Cour suprême l’a malheureusement nommée – dans la combinaison, et l’autre source, « accessoire », « auxiliaire » ou « entreprise secondaire » : p. 487, 488. Les termes « auxiliaire » ou « entreprise secondaire » (en anglais, « auxiliary » et « sideline ») donnent à croire qu’il s’agit d’une activité qui en soutient une autre, qui est utile à une autre ou qui est le sous-produit d’une autre. L’arrêt Moldowan a employé le terme « accessoire » (en anglais, « subordinate » qui, comme je le mentionne plus haut, peut avoir un sens similaire : « dépendant de ou subordonné à »).

[102] D’autre part, l’arrêt Craig nous enseigne que l’arrêt Moldowan avait à tort inclus l’adjectif « secondaire » (en anglais, « subordinate ») pour qualifier la source de revenu autre que l’agriculture et exigé que l’agriculture soit prédominante. Toutefois, l’arrêt Craig nous enseigne aussi que, pour qu’une source de revenu puisse faire partie de la combinaison, elle doit être une activité importante à laquelle le contribuable accorde une importance considérable.

[103] Ainsi, la différence entre l’arrêt Craig et l’arrêt Moldowan est que ce dernier a établi non seulement que l’agriculture devait être la source prédominante de revenu, mais aussi que l’autre source de revenu dans la combinaison devait être secondaire (en anglais, « subordinate ») ou, comme l’arrêt Moldowan la qualifie, une activité auxiliaire ou une entreprise secondaire. Selon l’arrêt Craig, une entreprise auxiliaire ou secondaire n’aurait pas pu faire partie de la combinaison.

[104] L’exception de la combinaison reconnaît que ni l’agriculture ni une source autre de revenu ne peut, à elle seule, constituer la source principale de revenu du contribuable. Il en est ainsi parce que le contribuable a deux activités importantes auxquelles il accorde une importance considérable, compte tenu des facteurs déterminés à la fois par l’arrêt Moldowan et par l’arrêt Craig. En pareilles circonstances, les deux sources de revenus constituent ensemble la source principale de revenu.

[105] Telle que modifiée, l’exception de la combinaison vise à déterminer laquelle des deux sources est secondaire et, implicitement, laquelle est prédominante. Dans ce contexte, l’adjectif « secondaire » doit être interprété de façon à signifier « qui ne vient qu’au second rang, qui est d’une importance, d’une valeur, d’une qualité moindre » (Trésor de la langue française (en ligne)) par rapport à l’autre source de revenu dans la combinaison.

(5) Conclusion sur l’interprétation de l’exception de la combinaison

[106] En résumé, l’exception de la combinaison reconnaît que le contribuable peut avoir deux activités importantes – sources de revenu qui ensemble constituent sa source principale de revenu – plutôt qu’une seule source, qui soit sa source principale de revenu. Ce que l’exception de la combinaison requiert maintenant est de déterminer laquelle de ces deux sources est secondaire. Si l’agriculture est la source secondaire, la règle de la restriction des pertes agricoles s’applique. Par contre, si la source autre que l’agriculture est secondaire, la règle ne s’applique pas.

[107] J’explique ci-dessous comment procéder à cette comparaison.

C. La détermination de la source secondaire dans la combinaison

[108] En l’occurrence, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’agriculture était la source secondaire de revenu dans la combinaison : motifs de la CCI, par. 135.

[109] Pour arriver à cette conclusion, la Cour canadienne de l’impôt s’est concentrée sur les facteurs établis dans l’arrêt Moldowan : « l’expectative raisonnable de revenu en provenance des diverses sources » « ainsi que [l]es habitudes [du contribuable] et sa façon coutumière de travailler » : motifs de la CCI, par. 115. Elle a déclaré que pour vérifier ces facteurs, il faut tenir compte, « entre autres, du temps consacré, des capitaux engagés et de la rentabilité présente et éventuelle » : motifs de la CCI, par. 115.

[110] La Cour canadienne de l’impôt a souligné que l’arrêt Moldowan suppose un « test à la fois relatif et objectif » où la proportion des revenus est pertinente, mais pas déterminante : motifs de la CCI, par. 114, citant l’arrêt Moldowan. Ainsi, pour tenir compte des facteurs, il faut procéder à « une évaluation objective de l’historique des revenus produits par les sources de revenu du contribuable, et de leur potentiel »: motifs de la CCI, par. 118.

[111] La Cour canadienne de l’impôt a toutefois précisé que la liste des facteurs établis par l’arrêt Moldowan « n’est pas exhaustive », et que « tous les faits et toutes les circonstances doivent être pris en compte » parce que « les faits et circonstances objectifs dictent la qualification à donner à chaque source de revenu » : motifs de la CCI, par. 115, 117.

[112] Comme je le mentionne plus haut, au paragraphe 66, l’arrêt Craig a en somme adopté les mêmes facteurs pour déterminer si une source peut être incluse dans la combinaison : « le capital investi dans l’agriculture et dans la deuxième source de revenu, le revenu tiré de chacune de ces sources de revenu, le temps consacré aux deux sources de revenu et le mode de vie ordinaire du contribuable, son expérience de l’agriculture et ses intentions et attentes » : par. 42.

[113] Si l’on tient compte à la fois de l’arrêt Moldowan et de l’arrêt Craig, la Cour suprême nous enseigne que les facteurs à prendre en considération pour déterminer l’unique source principale de revenu (arrêt Moldowan) et pour déterminer deux sources de revenu qui peuvent être qualifiées d’activités importantes pour composer la source principale de revenu (arrêt Craig) sont les mêmes. L’exception de la combinaison requiert maintenant que les deux sources ainsi qualifiées soient comparées pour déceler celle qui est secondaire.

[114] Je conclus que la seule façon rationnelle de le faire repose sur les mêmes facteurs qui qualifient les deux sources pour faire partie de la source principale de revenu combinée.

[115] Cela dit, les facteurs qui mènent à l’inclusion de l’une des sources dans la combinaison peuvent ne pas être les mêmes que ceux qui mènent à l’inclusion de l’autre source. Les facteurs à prendre en considération, dans ce contexte, servent à déterminer si chaque source est une activité importante. À cette fin, il n’est pas nécessaire de comparer les sources.

[116] Quoi qu’il en soit, une fois la combinaison établie, les deux sources doivent être comparées. Comme l’objectif de cet exercice est de déterminer la source secondaire, il peut y avoir des différences et des similarités dans les facteurs pertinents entre les deux sources, et le poids à donner à ces facteurs, dans l’exercice de la comparaison, peut ne pas être le même qu’au stade de l’analyse, dans la qualification des activités importantes. Dans tous les cas, l’évaluation revient à la Cour canadienne de l’impôt au regard de la preuve dont elle dispose.

[117] L’appelante prétend que, pour déterminer laquelle des deux sources est secondaire, il faut concentrer l’analyse sur le temps, l’attention (c.-à-d., l’énergie) et le capital investis, et non sur la rentabilité réelle ou potentielle. Elle soutient que cette démarche est plus conforme à l’application de la règle de la restriction des pertes agricoles aux seuls contribuables qui ne se consacrent pas entièrement à l’agriculture.

[118] Je ne peux accepter cette thèse.

[119] D’abord, je ne vois rien dans le libellé, le contexte et l’objectif qui étaye une telle démarche. Rien ne donne à penser que seuls certains facteurs ou que des facteurs tout autres doivent être pris en considération dans l’exercice de comparaison.

[120] Ensuite, selon les circonstances, certains des facteurs qui, selon l’appelante, sont à privilégier pourraient avantager l’agriculture, alors que l’un ou plusieurs des autres facteurs pourraient favoriser l’autre source ou donner un résultat neutre. Par exemple, l’agriculture tend à être une activité qui demande beaucoup d’investissements en capital, on pourrait invariablement toujours s’attendre à ce que le capital investi avantage l’agriculture. Ainsi, le capital investi finirait par être le facteur déterminant. Je ne vois aucune raison de procéder ainsi.

[121] Enfin, si le législateur avait voulu limiter ou préciser les facteurs pertinents, il aurait pu le faire. Plusieurs dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu requièrent que des déterminations soient faites « compte tenu de » facteurs précisés. C’est le cas notamment de la définition de « bien agricole ou de pêche admissible », pertinente en ce qui concerne l’exemption des gains en capital, qui impose la condition du « revenu brut provenant de l’entreprise agricole ou de pêche » : Loi de l’impôt sur le revenu, par. 110.6(1.3). Toutefois, la modification – visant à répondre à l’arrêt Craig et à restaurer apparemment l’arrêt Moldowan – n’a introduit aucune indication sur les facteurs pertinents même si, dans ces deux arrêts, la Cour suprême avait donné une idée des facteurs qu’elle considérait comme pertinents. On peut en déduire que le législateur était satisfait de cet aspect de ces deux arrêts.

[122] L’appelante prétend par ailleurs que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur parce qu’elle a appliqué un critère de l’expectative raisonnable de profit d’une manière incompatible avec l’arrêt Stewart c. Canada, [2002] 2 R.C.S. 645 [Stewart].

[123] Encore une fois, je ne peux accepter cette thèse.

[124] La Cour canadienne de l’impôt a expressément non seulement déclaré que l’article 31 n’impose pas le critère de l’expectative de profit, mais elle a aussi reconnu que l’historique des revenus générés par l’entreprise agricole et son potentiel ne sont pas déterminants. Mais, parallèlement, elle a ajouté qu’ils ne peuvent pas être ignorés : motifs de la CCI, par. 119, 120.

[125] Je suis d’accord. Tels sont les enseignements des arrêts Moldowan et Craig.

[126] Notablement, la Cour canadienne de l’impôt a pris en considération, comme il se doit, les circonstances dans les années d’imposition visées, mais elle ne s’est pas arrêtée là. Elle a reconnu qu’une source prédominante de revenu peut avoir existé depuis longtemps et être bien établie ou être une nouvelle source de revenu : motifs de la CCI, par. 116. Elle a pris en considération l’historique complet de l’agriculture et de la médecine de l’appelante ainsi que ses attentes et projets pour son entreprise agricole. Elle a tenu compte tant des revenus que des recettes.

[127] Bien qu’elle ait accepté que l’appelante s’attende à des recettes plus élevées de son entreprise agricole à l’avenir, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que « les faits objectifs » indiquaient que « d’importantes dépenses » devaient être faites « pour concrétiser ces attentes ». Malgré « les efforts [qu’elle a] déployés […], l’appelante [n’a fourni…] aucune preuve objective, en date de 2015, [indiquant] que la ferme deviendrait une entreprise autosuffisante dans un avenir prévisible » : motifs de la CCI, par. 128.

[128] Par ailleurs, l’arrêt Stewart porte sur l’existence d’une entreprise, et non sur les règles concernant les pertes agricoles. Il établit que l’expectative raisonnable de profit n’est pas une condition préalable pour établir qu’une entreprise est une source de revenu. Personne ne met en doute que les activités agricoles de l’appelante sont une source de revenu.

[129] Quoi qu’il en soit, l’exception de la combinaison n’entre en jeu que si l’agriculture est une entreprise. L’examen de l’historique du revenu et du potentiel dans ce contexte sert à des fins tout autres : la comparaison des deux sources de revenu.

[130] Pour conclure, je suis d’accord avec la Cour canadienne de l’impôt : « tous les faits et toutes les circonstances doivent être pris en compte », y compris, le cas échéant, « l’historique des revenus générés par l’entreprise agricole et […] son potentiel » : motifs de la CCI, par. 115, 120. Toutefois, ce facteur n’est pas le seul et aucun facteur n’est déterminant.

[131] Si l’on adapte le libellé de l’arrêt Craig, la détermination de la source secondaire dans la combinaison est une « appréciation factuelle relevant du juge de première instance »; et « [l]a démarche doit rester souple et reconnaître que certains facteurs peuvent ne pas être importants » : par. 38, 42, 45.

V. Source secondaire de revenu de l’appelante

[132] L’appelante soutient que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur manifeste et déterminante en concluant que l’agriculture était secondaire par rapport à l’exercice de la médecine.

[133] Toutefois, comme je le mentionne aux paragraphes 38 à 44 ci-dessus, la Cour canadienne de l’impôt a pris en considération la preuve tenant compte des facteurs pertinents, y compris « le mode de vie ordinaire [de l’appelante], son expérience de l’agriculture et ses intentions et attentes » : Craig, par. 42. Elle a par la suite conclu que l’agriculture était, pour l’appelante, secondaire par rapport à l’exercice de la médecine. Je ne vois aucune raison de m’immiscer dans cette conclusion mixte de droit et de fait.

[134] En conséquence, je rejetterais l’appel avec dépens.

« K.A. Siobhan Monaghan »

j.c.a.

“Je suis d’accord.

J.B. Laskin j.c.a”

“Je suis d’accord.

Peter G. Pamel j.c.a.”

Traduction certifiée conforme

Guillaume Chénard, jurilinguiste principal


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-335-23

 

INTITULÉ :

DIANNE L. STACKHOUSE c. SA MAJESTÉ LE ROI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Fredericton (nOUVEAU‑Brunswick)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 JUIN 2025

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 septembre 2025

COMPARUTIONS :

Karen Stilwell

Romain Viel

POUR L’APPELANTE

Stan McDonald

Sam Perlmutter

POUR L’INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Connors Stilwell

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

POUR L’APPELANTE

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

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