Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20250821


Dossier : A-205-25

Référence : 2025 CAF 147

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LEBLANC

LE JUGE HECKMAN

 

 

ENTRE :

UNIVERSAL OSTRICH FARMS INC.

appelante

et

L’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

intimée

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 15 juillet 2025.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 août 2025.

MOTIFS DU JUGEMENT DE :

LA COUR

 


Date : 20250821


Dossier : A-205-25

Référence : 2025 CAF 147

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LEBLANC

LE JUGE HECKMAN

 

 

ENTRE :

UNIVERSAL OSTRICH FARMS INC.

appelante

et

L’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

[1] L’appelante, Universal Ostrich Farms Inc., interjette appel de la décision de la Cour fédérale Universal Ostrich Farms Inc. v. Canada (Food Inspection Agency), 2025 FC 878 (le juge Zinn) (la décision de la Cour fédérale). Par cette décision, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire visant deux décisions interreliées de l’intimée, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’ACIA).

[2] La première décision, un avis de disposition émis le 31 décembre 2024, exigeait de l’appelante qu’elle procède à l’abattage de toutes les autruches de son élevage au plus tard le 1er février 2025 après que des tests en laboratoire ont confirmé la détection de cas d’influenza aviaire H5N1 hautement pathogène (l’IAHP). La deuxième décision, un refus d’exemption daté du 10 janvier 2025, rejetait la demande d’exemption que l’appelante avait présentée afin qu’au moins quelques‑unes des autruches du troupeau soient épargnées. Les deux décisions ont été rendues en application de l’article 48 de la Loi sur la santé des animaux, L.C. 1990, ch. 21 (la Loi), et en conformité avec la politique d’abattage sanitaire de l’ACIA, laquelle a été mise en œuvre suivant le Plan d’intervention en cas d’événement d’influenza aviaire hautement pathogène 2022 (le Plan d’intervention de 2022) de l’ACIA.

[3] L’appelante ne s’est pas encore conformée à la décision relative à l’avis de disposition puisque la Cour fédérale en a suspendu l’exécution en attendant que soit tranchée la demande de contrôle judiciaire qui lui avait été soumise, après quoi une juge de notre Cour siégeant seule a accordé une nouvelle suspension de l’exécution de la décision jusqu’à ce que soit tranché le présent appel devant notre Cour : Universal Ostrich Farms Inc. c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2025 CAF 122 aux para. 2, 12.

[4] En outre, l’appelante a présenté à notre Cour une requête visant à présenter de nouveaux éléments de preuve.

[5] Pour les motifs qui suivent, nous concluons que la requête visant à présenter de nouveaux éléments de preuve ainsi que le présent appel doivent être rejetés. Nous sommes conscients que notre décision pourrait mener à la mort de plus de 400 autruches appartenant à l’appelante, un dénouement assurément malheureux pour les dirigeants de l’appelante, tant sur le plan financier qu’au plan émotionnel. Bien que nous soyons très sensibles à la situation des dirigeants de l’appelante, le droit que nous sommes tenus d’appliquer nous amène inévitablement à conclure que le présent appel doit être rejeté.

[6] À cet égard, il ne revient pas à notre Cour d’établir, de modifier ou d’accorder une exemption en lien avec une politique gouvernementale. Notre unique rôle consiste plutôt à nous pencher sur le caractère raisonnable des décisions en litige dans le présent appel, conformément à la norme de contrôle fondée sur la déférence établie dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, de notre Cour et d’autres tribunaux canadiens. Puisque la politique d’abattage sanitaire est raisonnable eu égard à cette jurisprudence et que les deux décisions fondées sur cette politique, à savoir l’avis de disposition et le refus d’exemption, sont également raisonnables, nous concluons à l’unanimité que le présent appel ne peut être accueilli.

I. Contexte factuel et réglementaire

[7] Dans ses motifs, la Cour fédérale décrit de manière exhaustive le contexte factuel et réglementaire pertinent. Ainsi, nous n’avons examiné que les détails factuels et réglementaires pertinents en lien avec le présent appel.

A. Influenza aviaire et réponse du Canada

[8] L’IAHP est une maladie hautement infectieuse causée par un virus qui se répand par l’entremise d’hôtes infectés. Les autorités canadiennes et internationales s’inquiètent particulièrement de cette maladie. Bien que l’IAHP touche principalement les oiseaux sauvages, le virus peut se transmettre, par contact direct ou indirect, aux oiseaux d’élevage et même parfois aux mammifères, y compris aux humains, à l’occasion : décision de la Cour fédérale au para. 16. Le Canada a connu plusieurs éclosions d’IAHP depuis 2004, notamment l’actuelle éclosion d’IAHP de souche H5N1 (l’IAHP causée par le virus H5N1) qui s’est amorcée en 2021 : décision de la Cour fédérale aux para. 21‑23. Les virus de l’IAHP peuvent subsister pendant des mois, voire des années dans les milieux infectés : décision de la Cour fédérale au para. 16.

[9] La Loi confère au ministre des pouvoirs en matière de gestion des maladies chez les animaux. L’article 48 de la Loi est au cœur du présent appel. Cet article est ainsi rédigé :

Mesures de disposition

Disposal of affected or contaminated animals and things

48 (1) Le ministre peut prendre toute mesure de disposition, notamment de destruction, — ou ordonner à leur propriétaire, ou à la personne qui en a la possession, la responsabilité ou la charge des soins, de le faire — à l’égard des animaux ou choses qui :

48 (1) The Minister may dispose of an animal or thing, or require its owner or any person having the possession, care or control of it to dispose of it, where the animal or thing

a) soit sont contaminés par une maladie ou une substance toxique, ou soupçonnés de l’être;

(a) is, or is suspected of being, affected or contaminated by a disease or toxic substance;

b) soit ont été en contact avec des animaux ou choses de la catégorie visée à l’alinéa a) ou se sont trouvés dans leur voisinage immédiat;

(b) has been in contact with or in close proximity to another animal or thing that was, or is suspected of having been, affected or contaminated by a disease or toxic substance at the time of contact or close proximity; or

c) soit sont des substances toxiques, des vecteurs ou des agents causant des maladies, ou sont soupçonnés d’en être.

(c) is, or is suspected of being, a vector, the causative agent of a disease or a toxic substance.

Traitement

Treatment

(2) Le ministre peut par ailleurs soumettre ces animaux ou choses à un traitement, ou ordonner à ces personnes de le faire ou d’y faire procéder, s’il estime que celui-ci sera efficace dans l’élimination de la maladie ou de la substance toxique ou la prévention de la propagation.

(2) The Minister may treat any animal or thing described in subsection (1), or require its owner or the person having the possession, care or control of it to treat it or to have it treated, where the Minister considers that the treatment will be effective in eliminating or preventing the spread of the disease or toxic substance.

[…]

[10] L’article 48 de la Loi, confère au ministre un pouvoir discrétionnaire considérable lorsqu’il s’agit de déterminer si une mesure de disposition est nécessaire. En sa qualité de déléguée du ministre, l’ACIA a exercé ce pouvoir discrétionnaire par l’application de sa politique d’abattage sanitaire, laquelle exige le dépeuplement des animaux qui risquent de transmettre l’IAHP : décision de la Cour fédérale au para. 96. Adoptée pour la première fois en 2004, cette politique est exécutée suivant le Plan d’intervention de 2022, que l’ACIA met régulièrement à jour depuis sa mise en œuvre. Le Plan d’intervention de 2022 énonce des lignes directrices fondées sur des normes internationales ainsi que sur le savoir scientifique de l’ACIA : décision de la Cour fédérale aux para. 93‑95.

[11] En raison des risques associés à l’IAHP, l’ACIA en est venue à la conclusion que la seule option réaliste à la suite de la confirmation, en laboratoire, de la détection de cas d’IAHP consiste à freiner la propagation du virus en éliminant tous les oiseaux réceptifs qui y ont potentiellement été exposés. La politique d’abattage sanitaire fait également suite aux engagements que le Canada a pris à l’échelle internationale. Le fait de ne pas appliquer cette politique aurait pour le Canada d’importantes répercussions défavorables en matière de commerce international puisque des pays pourraient refuser, pendant un certain temps du moins, d’importer de la volaille canadienne : décision de la Cour fédérale aux para. 95, 98‑100.

[12] Le Plan d’intervention de 2022 est mis à jour à la lumière des leçons tirées des précédentes éclosions au Canada. Il s’agit en l’espèce de la première application par l’ACIA du Plan d’intervention de 2022 à la suite d’une éclosion au sein d’une population d’autruches. Précisons toutefois que, telle qu’elle a été élaborée, la politique d’abattage sanitaire s’applique à tous les oiseaux réceptifs : décision de la Cour fédérale au para. 102. Les autruches sont des oiseaux réceptifs. Le taux de mortalité des autruches ayant contracté l’IAHP, et plus particulièrement les plus âgées, est moins élevé que celui d’autres oiseaux d’élevage, comme les poulets ou les dindes, dont la plupart ne survivent habituellement pas à l’infection. Toutefois, selon la preuve de l’ACIA, des risques spécifiques sont associés à l’infection chez les autruches. Même si elles ne manifestent aucun signe clinique de la maladie, les autruches exposées et infectées peuvent excréter le virus et servir de réservoir favorisant la propagation de l’infection aux humains, à d’autres animaux d’élevage et aux animaux sauvages. En outre, les autruches peuvent favoriser la mutation génétique des virus de l’influenza aviaire, augmentant ainsi la capacité de ces virus à s’adapter aux mammifères.

[13] Suivant le Plan d’intervention de 2022, la confirmation, en laboratoire, de la détection de l’IAHP de sous-type H5 dans un lieu infecté déclenche l’application de la politique d’abattage sanitaire. Les inspecteurs de l’ACIA ont pour directive de délivrer un avis de disposition visant tous les animaux réceptifs de la même [traduction] « unité épidémiologique », à savoir un groupe d’animaux présentant une probabilité analogue d’exposition à l’IAHP : décision de la Cour fédérale aux para. 96‑97, 102‑104. Le Plan d’intervention de 2022 expose également la marche à suivre pour la destruction des animaux ainsi que pour le nettoyage et la désinfection des lieux après la destruction. Il peut notamment s’agir de retirer la terre et autres matériaux contaminés et de prévoir une période d’inactivité pendant laquelle le terrain contaminé doit demeurer en jachère, sans présence animale : décision de la Cour fédérale au para. 104.

[14] Par l’intermédiaire d’un comité d’exemption spécialisé, l’ACIA peut exercer, au cas par cas, un certain pouvoir discrétionnaire en lien avec l’application d’exemptions. Grâce à ces exemptions, il est possible d’épargner des animaux de la ferme où se trouvent les animaux désignés aux fins du dépeuplement, dans la mesure où les animaux exemptés font partie d’une unité épidémiologique distincte et répondent à certains critères : décision de la Cour fédérale, aux para. 96‑97, 105‑109.

B. L’éclosion de décembre 2024 à la ferme de l’appelante

[15] L’appelante exploite sa ferme en tant qu’entreprise familiale depuis plus de 30 ans. Un étang se trouve près du centre de la propriété, et des canards sauvages, souvent par centaines, viennent régulièrement s’y poser. La ferme est ainsi particulièrement vulnérable à la transmission des virus aux autruches et par ces dernières, aux infections au virus de l’IAHP ainsi qu’à la contamination à long terme : décision de la Cour fédérale aux para. 16, 24. Au début de décembre 2024, l’appelante hébergeait apparemment quelque 450 autruches dans des enclos extérieurs : décision de la Cour fédérale au para. 27.

[16] En février 2020, une maladie s’est propagée dans le troupeau de l’appelante. Les tests en laboratoire menés à l’époque ont confirmé qu’il s’agissait d’une infection bactérienne, mais l’appelante allègue (sans que des tests l’aient confirmé) que l’influenza aviaire aurait pu être en cause : décision de la Cour fédérale au para. 28.

[17] En décembre 2024, environ une semaine après le passage de nombreux canards sauvages sur la propriété, plusieurs autruches ont commencé à manifester des symptômes similaires à ceux de la grippe. Environ 25 à 30 autruches sont décédées en trois semaines. L’appelante n’a pas signalé ces décès à un vétérinaire‑inspecteur désigné par l’ACIA. Le variant de l’IAHP qui circule actuellement figure au nombre des maladies déclarables énumérées dans le Règlement sur les maladies déclarables, DORS/91-2. Conformément au paragraphe 5(1) de la Loi, les cas potentiels de maladies déclarables doivent être signalés au plus proche vétérinaire‑inspecteur.

[18] Le 28 décembre 2024, après avoir reçu un signalement anonyme par l’intermédiaire de sa ligne téléphonique d’assistance sur les oiseaux malades, l’ACIA est intervenue et a imposé des mesures de quarantaine : décision de la Cour fédérale aux para. 29‑30. Le 30 décembre 2024 et pendant les semaines qui ont suivi, des inspecteurs de l’ACIA se sont rendus sur place et ont relevé divers éléments préoccupants en matière de biosécurité, notamment la présence d’oiseaux sauvages, la circulation de personnel et d’équipement d’un enclos ouvert à l’autre ainsi que des violations aux protocoles de mise en quarantaine. Ils ont également constaté que des cadavres d’autruches jonchaient le sol des enclos ou étaient traînés d’un enclos à l’autre sans qu’aucune mesure de protection appropriée ne soit prise : décision de la Cour fédérale aux para. 31, 256.

[19] Le 31 décembre 2024, les tests de détection de l’IAHP effectués à l’aide d’échantillons prélevés la veille sur deux cadavres ont révélé des résultats positifs. Le 3 janvier 2025, il a été confirmé qu’il s’agissait de la souche H5N1 de l’IAHP. Quelque 41 minutes après la réception des résultats positifs initiaux, un inspecteur de l’ACIA a délivré l’avis de disposition visant l’ensemble des autruches, conformément à l’article 48 de la Loi et au Plan d’intervention de 2022. L’appelante devait se conformer à l’avis au plus tard le 1er février 2025 : décision de la Cour fédérale aux para. 32‑33. Dans les jours qui ont suivi, des discussions entre l’ACIA et l’appelante au sujet de la possibilité de présenter une demande d’exemption se sont poursuivies. Le comité d’exemption de l’ACIA a rejeté la demande d’exemption de l’appelante le 10 janvier 2025 : décision de la Cour fédérale aux para. 34‑41.

[20] Selon l’appelante, la propagation de la maladie aurait atteint un plateau à la mi‑janvier, le dernier des 69 décès d’autruches confirmés étant survenu le 15 janvier 2025. L’appelante a demandé à notre Cour l’autorisation de produire de nouveaux éléments de preuve qui confirmeraient que le rétablissement des autruches de son troupeau s’est poursuivi. À la fin du mois de janvier, l’appelante a demandé sans succès à l’ACIA d’effectuer d’autres tests : décision de la Cour fédérale aux para. 42‑43.

II. Décision de la Cour fédérale

[21] En passant en revue les motifs de la Cour fédérale, nous en présentons un résumé général et nous nous attardons davantage, dans nos motifs, aux éléments contestés en appel.

[22] La Cour fédérale a confirmé que l’ACIA, en appliquant la politique d’abattage sanitaire, avait exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable dans le respect du texte et de l’objet de la Loi, de la documentation scientifique disponible ainsi que des considérations en matière de commerce international : décision de la Cour fédérale au para. 157. La Cour fédérale a également confirmé le caractère raisonnable de l’avis de disposition, lequel avait été délivré en application de la politique d’abattage sanitaire : décision de la Cour fédérale au para. 197. En outre, la Cour fédérale a conclu qu’il n’y avait eu aucune entrave inacceptable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre puisqu’il était loisible à l’ACIA, en sa qualité de déléguée du ministre et conformément au pouvoir discrétionnaire que l’article 48 de la Loi lui confère, de définir, dans la politique d’abattage sanitaire, la marche à suivre lorsqu’un résultat positif est obtenu après un test de détection de l’IAHP. Par ailleurs, le processus dans son ensemble permet, selon les circonstances, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire suffisant lorsqu’il s’agit de déterminer si une exemption peut être accordée : décision de la Cour fédérale au para. 192. Le refus d’exemption a lui aussi été jugé raisonnable puisqu’il ressort des motifs du comité d’exemption que ce dernier avait bien compris les critères applicables, qu’il avait adéquatement tenu compte de la preuve, qu’il avait pris en considération l’incidence de sa décision pour l’appelante et que la conclusion tirée pouvait se justifier : décision de la Cour fédérale aux para. 232‑266.

III. Analyse

A. Les nouveaux éléments de preuve devraient-ils être admis?

[23] Notre analyse s’amorce par l’examen de la requête de l’appelante visant à présenter de nouveaux éléments de preuve. L’appelante souhaite produire l’affidavit de l’un de ses dirigeants portant sur deux questions : l’assistance ineffective alléguée de l’avocat qui a représenté l’appelante devant la Cour fédérale ainsi que la bonne santé alléguée du troupeau depuis janvier 2025.

(1) L’état de santé actuel du troupeau

[24] Examinons d’abord la deuxième question. Nous faisons observer que les nouveaux éléments de preuve relatifs à cette question visent, de manière générale, à démontrer que l’abattage est inutile en raison du rétablissement allégué du troupeau et que, selon l’appelante, les décisions du ministre sont par conséquent déraisonnables. Peu importe la solidité de cette preuve, qui ne constitue pas une preuve indépendante fondée sur des données scientifiques, l’utilisation qu’il est proposé d’en faire est incompatible avec le rôle de notre Cour en matière de contrôle judiciaire.

[25] La règle générale veut que « seuls les éléments de preuve qui ont été présentés au décideur administratif soient pertinents, et ainsi recevables devant une Cour de révision. En conséquence, les éléments de preuve postérieurs à la décision sont en principe non pertinents, et donc irrecevables » (Bande indienne Coldwater c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 292 (Coldwater 2019) au para. 23. Voir également Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, [2012] A.C.F. no 93 (QL) (Access Copyright) aux para. 18‑19.

[26] La règle interdisant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve lors d’un contrôle judiciaire découle du principe selon lequel il ne revient pas à la cour de révision de tirer des conclusions de fait ni de se prononcer sur le fond de la décision administrative : Access Copyright aux para. 17‑19; Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, [2015] A.C.F. no 549 (QL) au para. 52. Il existe des exceptions à la règle générale lorsque l’admission des nouveaux éléments de preuve ne porte pas atteinte aux rôles distincts du décideur administratif et de la cour de révision : voir Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, [2015] A.C.F. 1396 (QL) aux para. 14‑18; Andrews c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2022 CAF 159 au para. 21, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 40451 (16 février 2023).

[27] L’appelante nous invite, sur la base de ces nouveaux éléments de preuve, à réévaluer les décisions de l’ACIA en nous fondant sur l’état actuel de la situation, tel que l’appelante le décrit. Ce rôle n’est pas le nôtre. Nous devons nous pencher uniquement sur le caractère raisonnable des décisions de l’ACIA au moment où elles ont été rendues. Tel est l’essence même du recours que constitue le contrôle judiciaire.

[28] Peu de décisions exigent, par leur nature, que la cour de révision qui les examine tienne compte des éléments de preuve les plus à jour : pour des exemples de circonstances exceptionnelles, voir Coldwater 2019 au para. 27; Singh Brar c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2024 CAF 114 aux para. 57‑58, autorisations de pourvoi à la CSC refusées, 41386 (27 février 2025) et 41388 (27 février 2025) (Singh Brar). Ces deux affaires sont des précédents qui peuvent être distingués. En effet, dans l’affaire Coldwater 2019, la Couronne devait se conformer à l’obligation continue de consulter les peuples autochtones, tandis que l’affaire Singh Brar concernait le caractère raisonnable du maintien du nom des appelants sur la liste d’interdiction de vol.

[29] En revanche, dans la présente affaire, un réexamen régulier des décisions relatives à l’avis de disposition et au refus d’exemption n’est pas exigé. Si la Cour fédérale n’avait pas suspendu l’exécution de l’avis de disposition, l’abattage du troupeau de l’appelante aurait eu lieu il y a plusieurs mois. Nous sommes d’avis que les suspensions accordées en l’espèce par la Cour fédérale et par une juge de notre Cour ne sauraient être invoquées de manière à permettre à l’appelante de demander à notre Cour de procéder à un réexamen qui annulerait l’application de la politique d’abattage sanitaire. Si elle souhaite demander le réexamen de l’avis de disposition à la lumière des nouveaux éléments de preuve, l’appelante doit s’adresser à l’ACIA ou au ministre.

[30] Dans la présente affaire, la seule exception potentiellement pertinente à la règle générale interdisant la présentation de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire consisterait à reconnaître que l’admission des nouveaux éléments de preuve permettrait l’exercice du pouvoir discrétionnaire de réparation de la cour de révision lorsque l’annulation de la décision et le renvoi de l’affaire pour réexamen « ne serv[iraient à] aucune fin utile » (Première Nation de Namgis c. Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 149 au para. 10d). Voir également Coldwater 2019 aux para. 25, 28.)

[31] Ce principe ne s’applique toutefois pas à la présente affaire. Même si nous en venions à la conclusion que les décisions ne sont pas raisonnables, il ne conviendrait pas en l’espèce que notre Cour annule les procédures. L’actuel état de santé apparent du troupeau ne change rien au fait qu’il revient au ministre ou à l’ACIA de décider de la réponse à une éclosion d’IAHP, et rien n’est acquis quant à la décision qui serait rendue lors d’un quelconque réexamen.

[32] Nous estimons donc que les nouveaux éléments de preuve relatifs à l’état de santé actuel du troupeau de l’appelante sont irrecevables.

(2) Preuve d’une assistance inefficace

[33] Nous refusons également d’admettre les éléments de preuve relatifs à l’assistance inefficace de l’avocat compte tenu de la nature du présent appel. L’allégation d’assistance inefficace concerne des faits survenus alors que la cour de première instance était saisie de la demande de contrôle judiciaire.

[34] Selon l’affidavit que l’appelante souhaite déposer, l’avocat ayant représenté l’appelante devant la Cour fédérale a, pour couvrir des honoraires impayés, pris une sûreté sur la somme que l’appelante recevrait, advenant la destruction du troupeau, en vertu du Règlement sur l’indemnisation en cas de destruction d’animaux ou de choses, DORS/2000-233 (le Règlement sur l’indemnisation). Le contrat de sûreté ainsi que des échanges par courriel entre les dirigeants de l’appelante, l’avocat ayant représenté cette dernière devant la Cour fédérale ainsi qu’un autre avocat ayant agi à titre d’avocat indépendant de l’appelante au sujet du contrat de sûreté, ont été joints en tant que pièces à l’affidavit. Selon l’appelante, il y a conflit d’intérêts du fait de cette sûreté.

[35] Au paragraphe 58 de l’arrêt MediaTube Corp. c. Bell Canada, 2018 CAF 127, [2018] A.C.F. no 679 (QL) (MediaTube), concernant une allégation d’assistance inefficace de l’avocat dans le cadre d’un procès (et non d’une demande de contrôle judiciaire), le juge Stratas explique qu’en présentant des éléments de preuve, « l’appelante n’a[vait] pas à satisfaire au critère rigoureux relatif aux nouveaux éléments de preuve établi dans Palmer c. la Reine, [1980] 1 R.C.S. 759 ». Dans un jugement subséquent, il est précisé que [traduction] « les éléments de preuve présentés “doivent être recevables (suivant les règles habituelles en matière de preuve), pertinents au regard des questions soulevées en appel et crédibles” » (Nguyen v. 1108911 B.C. Ltd., 2024 BCCA 48 (Nguyen) au para. 15, renvoyant à Boone v. Jones, 2023 BCCA 215 au para. 34, R. v. Aulakh, 2012 BCCA 340, 326 B.C.A.C. 177 aux para. 59‑67, et Beaulieu v. Winnipeg (City of), 2021 MBCA 93 aux para. 28‑35, 54‑63).

[36] Pour réussir sur ce point, l’appelante « doit démontrer que les actes ou les omissions de l’avocat relevaient de l’incompétence et qu’une erreur judiciaire en a résulté » (MediaTube au para. 29, renvoyant à R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520). En appel, l’existence d’un conflit ayant eu une incidence sur la façon dont l’avocat concerné s’est acquitté de sa tâche est généralement suffisante; il n’importe habituellement pas de savoir si le conflit a eu une incidence sur l’issue du procès : MediaTube au para. 57. Voir également Nguyen au para. 54.

[37] Les déclarations dont il est fait mention précédemment au sujet de l’admissibilité, en appel, d’éléments de preuve relatifs à l’incompétence dont l’avocat aurait fait preuve devant un tribunal d’instance inférieure doivent être adaptées en tenant compte du contexte d’une allégation d’assistance inefficace de l’avocat dans le cadre de l’audition d’une demande de contrôle judiciaire en première instance, et non d’un procès. En effet, des normes de contrôle distinctes s’appliquent lorsque l’appel vise un contrôle judiciaire.

[38] Si, comme en l’espèce, l’appel concerne une demande de contrôle judiciaire, notre Cour doit établir si la Cour fédérale a, à l’égard des décisions de l’ACIA, choisi la bonne norme de contrôle et l’a appliquée correctement : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 (Agraira) aux para. 45‑47; Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, [2021] 3 R.C.S. 107 (Horrocks) aux para. 10‑12. Ainsi, le rôle de notre Cour consiste essentiellement à se mettre à la place de la Cour fédérale et à examiner les décisions de l’ACIA de novo, le tout en n’accordant « aucune déférence à l’application de la norme de contrôle par le juge de révision » (Horrocks au para. 10).

[39] Notre Cour a déjà déterminé que ce qui constitue essentiellement une « reprise » en appel permet de corriger toute atteinte à l’équité procédurale qui aurait pu se produire dans le processus de demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale : voir Haynes c. Canada (Procureur général), 2023 CAF 158 aux para. 14‑16, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 41047 (6 juin 2024); Whitelaw c. Canada (Procureur général), 2025 CAF 68 aux para. 10, 16; Jagadeesh c. Banque canadienne impériale de commerce, 2024 CAF 172 au para. 40. Cette logique s’applique également aux allégations d’assistance inefficace de l’avocat dans le cadre de l’audition d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

[40] Il y aurait exception uniquement si l’appelante invoquait des erreurs commises par le juge de première instance pour lesquelles les normes de contrôle en appel s’appliquent, c’est-à-dire si le juge de première instance avait tiré des « conclusions de fait ou des conclusions de fait et de droit en s’appuyant sur les éléments de preuve produits en première instance » (Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2018 CAF 147, [2018] A.C.F. no 820 (QL) au para. 57), ou des erreurs commises par le juge de première instance dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de réparation (voir p. ex., Makivik Corporation c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 184 au para. 65). En l’espèce, l’appelante n’invoque aucune telle erreur de la part de la Cour fédérale.

[41] L’appelante ayant la possibilité de contester directement les décisions de l’ACIA en appel devant nous, les éléments de preuve relatifs à l’assistance inefficace de l’avocat ne sont d’aucune utilité en appel et ne doivent donc pas être admis en preuve : voir Nguyen au para. 15.

[42] Nous tenons également à préciser, après avoir examiné l’affidavit de l’un des dirigeants de l’appelante aux fins de son admissibilité, que la preuve soumise est loin de satisfaire aux exigences nécessaires pour établir une assistance inefficace de l’avocat, car elle ne démontre pas l’existence d’un conflit d’intérêts. Nous notons que la sûreté en question vise également tous les biens personnels actuels et futurs de l’appelante. L’appelante n’a présenté aucun élément de preuve pour démontrer que la perception de l’indemnité qu’elle aurait pu recevoir du ministre constituait pour l’avocat le seul moyen – ou même le moyen le plus réaliste – de couvrir ses honoraires. En outre, l’appelante n’a présenté aucune jurisprudence ni aucune ligne directrice du barreau d’une province selon lesquelles la prise d’une telle sûreté serait inappropriée. Rien dans la décision de la Cour fédérale ou dans le dossier dont nous sommes saisis ne nous permet de remettre en question l’intégrité de l’avocat ou la façon dont il s’est acquitté de sa tâche devant la Cour fédérale.

[43] Nous rejetons par conséquent la requête de l’appelante visant à présenter de nouveaux éléments de preuve.

B. Norme de contrôle

[44] Comme nous le mentionnons plus haut, notre Cour doit établir si la Cour fédérale a, à l’égard des décisions de l’ACIA, choisi la bonne norme de contrôle et l’a appliquée correctement : Agraira aux para. 45‑47; Horrocks aux para. 10‑12. La Cour fédérale a choisi la norme de la décision raisonnable. Les parties ne contestent pas ce choix, mais ne sont pas d’accord quant à l’application de la norme choisie.

[45] Les prétentions de l’appelante mettent principalement l’accent sur des erreurs que la Cour fédérale aurait commises dans sa description des principes applicables. Nous nous penchons donc sur cette question et expliquons l’approche à adopter conformément à ce que la Cour suprême du Canada nous enseigne dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 (Vavilov), l’arrêt de principe en matière de contrôle judiciaire. Nous procédons ensuite à notre propre examen du caractère raisonnable des décisions de l’ACIA.

C. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable en l’espèce

[46] Soulignons d’emblée que, dans son examen des deux décisions de l’ACIA et de l’adoption de la politique d’abattage sanitaire par cette dernière, la Cour fédérale a principalement appliqué la norme de la décision raisonnable que la Cour suprême du Canada énonce dans l’arrêt Vavilov : voir la décision de la Cour fédérale aux para. 72‑74.

[47] Avant que l’arrêt Vavilov ne soit rendu, la décision de politique faisant l’objet d’un contrôle n’était jugée déraisonnable que s’il était démontré qu’elle était « entachée de mauvaise foi, que les principes de justice naturelle n’[avaient] pas été respectés ou que des facteurs inappropriés ou étrangers à l’objet de la loi [avaient] été pris en compte » (Malcolm c. Canada (Pêches et Océans), 2014 CAF 130, [2014] A.C.F. no 499 (QL) au para. 32, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 36012 (20 novembre 2014), renvoyant à Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, 1982 CanLII 24 (CSC) (Maple Lodge), et à Carpenter Fishing Corp. c. Canada, [1998] 2 C.F. 548 (C.A.), 1997 CanLII 6391 (C.A.).

[48] Les parties ne contestent pas le fait que l’arrêt Vavilov l’emporte sur l’arrêt Maple Lodge en ce qui a trait au caractère déraisonnable d’une décision de politique. Elles n’ont porté à notre attention aucun jugement de notre Cour ou d’une autre cour d’appel sur cette question. Nous faisons cependant observer que la Cour fédérale est divisée quant à la pertinence des caractéristiques de la décision déraisonnable énoncées dans l’arrêt Maple Lodge : Mowi Canada West Inc. c. Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2022 CF 588, [2022] A.C.F. no 562 (QL) au para. 240; Saltstream Engineering Ltd. c. Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2022 CF 621 au para. 59, Barry Seafoods NB Inc. c. Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2021 CF 725 au para. 35; South Shore Trading Co. Ltd. c. Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2025 CF 174 (South Shore) aux para. 49‑51; Munroe c. Canada (Procureur général), 2021 CF 727 aux para. 40, 43‑45; Fortune Dairy Products Limited c. Canada (Procureur général), 2020 CF 540 au para. 105; Prince Edward Island Fishermen’s Association Ltd. c. Canada (Procureur général), 2025 CF 737 aux para. 81 à 84.

[49] À l’instar des parties et de la Cour fédérale, nous estimons que, en l’espèce, l’arrêt Vavilov exige la reformulation de la manière dont la norme de la décision raisonnable doit être appliquée lors du contrôle d’une décision de politique discrétionnaire, et que l’approche énoncée dans l’arrêt Vavilov l’emporte sur celle énoncée dans l’arrêt Maple Lodge.

[50] À ce sujet, il n’y a selon nous aucune raison de principe justifiant que le contrôle d’une décision de politique discrétionnaire selon la norme de la décision raisonnable ne soit pas appliquée selon le cadre établi dans l’arrêt Vavilov. Il s’agit donc de déterminer si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » : Vavilov au para. 99.

[51] L’arrêt Vavilov se veut le point de départ du contrôle judiciaire et propose un cadre général. La jurisprudence antérieure entourant le contrôle selon la norme de la décision raisonnable peut certes fournir des pistes, mais il importe que son application cadre avec les principes énoncés dans l’arrêt Vavilov : Vavilov au para. 143. Les décisions de politique discrétionnaires ne sauraient faire exception. Au paragraphe 88 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême fait observer que des décisions sont prises par des « ministres » et peuvent viser des questions « hautement politiques ». Elle précise toutefois, au paragraphe 89, que « la norme de la décision raisonnable demeure une norme unique, et les éléments du contexte entourant une décision n’altèrent pas cette norme ou le degré d’examen que doit appliquer une cour de révision », ajoutant qu’ils agissent plutôt en tant que contraintes.

[52] Aux paragraphes 25 à 30 de l’arrêt Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100, [2021] 1 R.C.F. 374 (Entertainment Software), conf. par 2022 CSC 30, [2022] 2 R.C.S. 303, notre Cour énumère une série de décisions de politique qui sont plus difficiles à faire annuler selon la norme de la décision raisonnable du fait qu’elles sont assujetties à relativement peu de contraintes. Notre Cour ajoute que, sauf exception, le contrôle des décisions de politique doit se faire conformément au cadre relatif à la norme de la décision raisonnable établi dans l’arrêt Vavilov. Ainsi, les catégories énumérées dans l’arrêt Maple Lodge se veulent dorénavant des exemples de décisions de politique discrétionnaires qui pourraient être jugées déraisonnables, mais ne constituent pas une liste exhaustive de décisions de politique déraisonnables. L’analyse qui s’impose est plutôt celle décrite dans l’arrêt Vavilov.

[53] Conformément à l’enseignement de la Cour suprême au paragraphe 83 de l’arrêt Vavilov, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable commande la retenue, et la cour de révision ne se demande pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur ni si la décision faisant l’objet du contrôle est correcte. Le rôle de la cour de révision se limite plutôt à déterminer si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée au vu des motifs que le décideur administratif a fournis, s’il y a lieu, et au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci : Vavilov aux para. 85, 99. Lorsqu’une décision n’est assortie d’aucun motif, comme c’est souvent le cas lors de l’adoption d’une politique, la cour de révision doit tout de même se pencher sur le caractère raisonnable de la politique en examinant le dossier dont le décideur administratif était saisi et en tenant compte des contraintes imposées à ce dernier, notamment les dispositions législatives applicables : Vavilov aux para. 137‑138.

[54] En l’espèce, aucuns motifs n’ont été communiqués lors de l’adoption de la politique d’abattage sanitaire ni lors de la délivrance de l’avis de disposition. Il nous incombe donc de déterminer si ces décisions sont raisonnables au vu de la Loi, plus particulièrement du large pouvoir discrétionnaire conféré au ministre ou à ses délégués en vertu de l’article 48, ainsi qu’au vu des éléments contextuels pertinents, notamment le dossier dont l’ACIA était saisie et la jurisprudence de notre Cour et de la Cour fédérale dans des affaires similaires. La décision relative au refus d’exemption était pour sa part accompagnée de motifs. L’examen du caractère raisonnable de cette décision doit donc se faire à la lumière de ces motifs ainsi que des éléments contextuels pertinents, lesquels comprennent également la Loi et le large pouvoir discrétionnaire conféré au ministre ou à ses délégués en vertu de l’article 48, ainsi que la jurisprudence de notre Cour et de la Cour fédérale dans des affaires similaires et le dossier dont le comité d’exemption était saisi, y compris les observations de l’appelante devant ce comité.

[55] Le contrôle de la décision fondée sur des faits peut se faire suivant le critère énoncé dans l’arrêt Vavilov, mais le seuil est élevé lorsqu’il s’agit d’en démontrer le caractère déraisonnable. La décision fondée sur des faits sera jugée déraisonnable si le demandeur démontre que le décideur « s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov au para. 126), ou, suivant le libellé de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), c. F-7, qu’il « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ». Voir également Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Ltd., 2021 CAF 161 (Best Buy) aux para. 114, 121‑123. Si le décideur avait à sa disposition une preuve factuelle pouvant justifier sa décision, cette décision est habituellement raisonnable (sauf s’il est démontré que le décideur n’a pas tenu compte d’éléments de preuve allant dans le sens contraire) : Best Buy aux para. 23, 129‑130.

[56] Les décisions de politique discrétionnaires sont elles aussi susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, mais, encore une fois, le seuil est élevé lorsqu’il s’agit d’en démontrer le caractère déraisonnable. En effet, il n’est pas rare que le demandeur doive démontrer que la décision discrétionnaire n’est pas conforme aux dispositions de la loi en vertu de laquelle elle a été rendue, lesquelles imposent parfois des limites quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire : Entertainment Software aux para. 31‑33. Voir également Donald J.M. Brown et autres, Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto : Thomson Reuters Canada, 2009) (édition à feuilles mobiles publiée en février 2025) (WL), § 15:63.

D. Arguments de l’appelante

[57] Comme nous le mentionnons plus haut, les observations de l’appelante portent presque exclusivement sur des erreurs que la Cour fédérale aurait commises dans son interprétation des principes juridiques applicables, et ne font qu’effleurer la question du caractère raisonnable des décisions. Par ailleurs, dans ses observations sommaires sur ce dernier point, l’appelante met principalement l’accent sur son désaccord quant à l’application de la politique d’abattage sanitaire aux autruches. Selon l’appelante, les autruches n’étaient pas dans la ligne de mire de l’ACIA lorsque celle-ci a adopté la politique d’abattage sanitaire. En outre, le taux de survie plus élevé des autruches à l’IAHP fait en sorte que ces oiseaux se distinguent des autres troupeaux d’élevage. L’appelante allègue également que notre Cour doit réexaminer les décisions de l’ACIA à la lumière de la situation actuelle. Toutefois, comme nous le précisons plus haut, il ne revient pas à notre Cour lors de l’appel du rejet d’une demande de contrôle judiciaire, ni d’ailleurs à aucune cour de révision, de procéder de la sorte.

[58] Passons aux différentes erreurs que la Cour fédérale aurait commises selon l’appelante.

(1) La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans son analyse du caractère raisonnable de la politique d’abattage sanitaire en se concentrant exclusivement sur l’existence d’un lien quelconque entre la politique et l’objet de la Loi portant sur la lutte contre les maladies?

[59] Dans un premier temps, l’appelante affirme que la Cour fédérale, plutôt que de suivre les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, s’est fondée à tort sur l’arrêt Auer c. Auer, 2024 CSC 36, [2024] A.C.S. no 36 (Auer), pour limiter son analyse du caractère raisonnable de la politique d’abattage sanitaire en se demandant uniquement si cette politique [traduction] « avait un lien avec les objectifs de lutte contre les maladies » énoncés dans la loi : mémoire des faits et du droit de l’appelante au para. 42.

[60] Dans l’arrêt Auer, la Cour suprême du Canada affirme que la norme de la décision raisonnable s’applique lors du contrôle de la validité de règlements adoptés en vertu d’une loi. Dans son analyse du caractère raisonnable des dispositions règlementaires en litige dans cette affaire, la Cour suprême a porté son attention sur les éléments contextuels de l’affaire, notamment les limites qu’impose la loi aux termes de laquelle les règlements sont promulgués : voir Auer aux para. 59‑60.

[61] Dans la décision en appel en l’espèce, la Cour fédérale a appliqué le raisonnement de l’arrêt Auer par analogie : voir la décision de la Cour fédérale au para. 75. Toutefois, contrairement à ce qu’affirme l’appelante, la Cour fédérale n’a pas limité son analyse du caractère raisonnable de la politique d’abattage sanitaire à la seule existence d’un lien quelconque entre cette politique et l’objet de la Loi relatif à la lutte contre les maladies. Son analyse avait une portée plus vaste et tenait compte des contraintes factuelles pertinentes, tout en reconnaissant qu’il ne revient pas à la cour de révision d’apprécier de nouveau la preuve ou de tirer de nouvelles conclusions de fait, particulièrement lorsque les faits sont de nature scientifique. Voilà ce qui ressort à la lecture de plusieurs passages des motifs de la Cour fédérale.

[62] À titre d’exemple, la Cour fédérale s’est exprimée ainsi aux paragraphes 75 à 79 :

[traduction]

[75] Bien que l’arrêt Auer porte précisément sur les décisions menant à la prise de mesures subordonnées à une loi, l’on peut en toute logique appliquer le raisonnement de la Cour suprême aux décisions menant à l’adoption de politiques. L’origine du pouvoir conféré constitue le principal élément de base : dans les deux contextes, le décideur exerce un vaste pouvoir discrétionnaire visant l’atteinte des objectifs de la loi. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême nous enseigne que la loi habilitante, les autres lois pertinentes et les éléments du contexte factuel constituent les « contraintes juridiques et factuelles » qui ont une incidence sur toute mesure de nature administrative : Vavilov, aux para 105-135. Ainsi, que le pouvoir discrétionnaire soit exercé par la prise de règlements ou par la formulation de directives stratégiques générales, le décideur administratif se doit de toujours interpréter les dispositions habilitantes de manière téléologique, d’agir dans les limites de la loi et de démontrer que les mesures de nature législative ou quasi législative qu’il prend visent l’atteinte des objectifs de la loi en question, compte tenu des contraintes juridiques et factuelles auxquelles il est assujetti.

[76] Par conséquent, les éléments énoncés dans l’arrêt Auer à prendre en considération lors du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doivent s’appliquer également aux décisions menant à l’adoption de politiques. Le cadre d’analyse ne doit pas se borner uniquement aux dispositions réglementaires en bonne et due forme. C’est la décision elle‑même qui importe le plus, notamment la règle d’application générale qu’elle crée, le cas échéant, quant au pouvoir conféré par la loi et à laquelle sont assujettis les décideurs administratifs qui interviennent en amont dans le processus décisionnel. Cette description englobe autant les dispositions réglementaires que les directives ministérielles, les lignes directrices émanant du Cabinet et les politiques de lutte contre les maladies. Ainsi, la cour de révision appelée à examiner une décision qui a mené à l’adoption d’une politique devrait appliquer le cadre d’analyse décrit dans l’arrêt Auer, lequel comprend les principes que sont la présomption de validité, l’interprétation téléologique et l’interdiction de procéder à un examen du bien‑fondé de la décision visée. Tout compte fait, il s’agit de déterminer si la décision d’adopter la politique est fondée sur une interprétation téléologique et rationnelle de la loi habilitante et a été prise dans le respect des contraintes procédurales, contextuelles et de fond.

[77] La retenue est particulièrement de mise lors du contrôle d’une décision stratégique visant la protection de la santé des animaux et du public contre une maladie à haut risque. C’est également ce qui ressort de la jurisprudence. Dans l’arrêt Kohl c Canada (Ministère de l’Agriculture), [1995] ACF no 1076 (CAF) (QL) [Kohl], la Cour d’appel décrit une ordonnance ministérielle prise en vertu de l’article 48 de la Loi et précise qu’il s’agit d’une « décision de principe qui n’est manifestement pas assujettie aux règles de la justice naturelle ou de l’équité dans la procédure », laquelle décision n’est susceptible de contrôle qu’en cas d’abus de pouvoir : Kohl, au para 18.

[78] Ce que nous enseigne la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kohl est on ne peut plus clair. Si la décision de politique ou de principe ordonnant de procéder à la destruction de toutes les choses et de tous les animaux infectés a été rendue de bonne foi, la cour de révision doit limiter son analyse du caractère raisonnable à la question de savoir si la destruction permet l’atteinte des objectifs de la Loi et si la preuve étaye les soupçons à l’origine de la décision. De nos jours, suivant l’arrêt Vavilov, l’établissement de l’existence d’une preuve suffisante repose assurément sur le caractère raisonnable. Autrement dit, il convient de déterminer si la preuve étaye raisonnablement les soupçons et si ces soupçons sont justifiés au regard des contraintes juridiques applicables. Si la Cour substituait à celle du ministre son interprétation des conclusions scientifiques et opérationnelles à l’origine de la décision de politique, la prérogative du ministre s’en trouverait menacée : Kohl, aux para 20-22.

[79] Les arrêts Entertainment Software, Kohl et Auer et la décision South Shore convergent vers un seul et même principe directeur : les tribunaux se veulent les gardiens de la légalité et non les juges du bien-fondé de la politique. Si le législateur délègue explicitement à des décideurs administratifs le pouvoir de prendre des décisions dans l’intérêt public, comme c’est le cas en matière de gestion de la santé des animaux et du public, les tribunaux doivent laisser à ces décideurs la responsabilité d’évaluer le bien-fondé des politiques adoptées par l’exercice de ce pouvoir, et plus particulièrement l’appréciation nuancée des facteurs de nature scientifique, économique et sociale. Lorsqu’elle effectue le contrôle judiciaire d’une décision de politique, la cour de révision ne devrait s’attarder qu’aux questions que sont le respect des contraintes juridiques et factuelles ainsi que la démonstration satisfaisante de l’exercice allégué de l’expertise technique dans la formulation de la décision de politique faisant l’objet du contrôle.

[Non souligné dans l’original.]

[63] En concluant que la politique d’abattage sanitaire n’était pas déraisonnable malgré le fait qu’elle était fondée sur ce que l’appelante a qualifié de connaissances scientifiques désuètes, la Cour fédérale s’est exprimée ainsi aux paragraphes 166 à 168 de ses motifs :

[traduction]

[…] Ces mises à jour et améliorations continues ont mené à l’élaboration du Plan d’intervention de 2022, lequel prévoit la consignation des décisions, la réalisation d’évaluations multidisciplinaires ainsi que la consultation d’experts à l’échelle internationale, notamment le Service d’inspection zoosanitaire et phytosanitaire [l’APHIS] du département de l’Agriculture des États‑Unis.

[167] Outre l’amélioration de ses guides de politique, l’ACIA s’est continuellement efforcée, au fil des années, d’envisager des solutions de rechange à la politique d’abattage sanitaire, notamment la vaccination, des stratégies de confinement comme le fait de laisser le virus circuler dans un lieu infecté, et l’élimination sélective. Le [Plan spécifiquement lié aux risques concernant l’influenza aviaire à déclaration obligatoire de 2013] proposait précisément la circulation du virus dans un lieu infecté comme solution de rechange lors de la détection d’une souche de [l’influenza aviaire faiblement pathogène] dans des installations non commerciales en région éloignée ne disposant pas de ressources adéquates. Cette solution ne figure toutefois pas dans le Plan d’intervention de 2022 compte tenu des risques accrus associés à la propagation de l’IAHP pour la santé des animaux et du public ainsi que pour l’environnement. L’ACIA a mené une importante consultation en décembre 2022 en réponse aux demandes de producteurs avicoles de la Colombie‑Britannique qui souhaitaient que l’abattage sanitaire fasse place à l’élimination sélective. Cette consultation a été menée tant à l’interne qu’à l’externe. L’Agence s’est penchée sur les avantages et les inconvénients de l’élimination sélective, plus particulièrement sur des facteurs comme la prévalence accrue de l’IAHP, la perte immédiate de certains marchés internationaux et l’augmentation potentielle du nombre de ressources nécessaires à plus long terme en matière de surveillance, ainsi que sur le report des procédures de dépeuplement. L’ACIA en est venue à la conclusion que la politique d’abattage sanitaire constituait toujours le moyen le plus efficace de limiter la propagation de l’IAHP à d’autres troupeaux, aux oiseaux sauvages et aux mammifères, y compris aux humains, tout en veillant à ce que les mesures nationales cadrent avec l’approche de gestion et de contrôle de l’IAHP acceptée à l’échelle internationale.

[168] Ces processus consultatifs exhaustifs et itératifs d’évaluation et de mise à jour ont directement trait à l’unique question sur laquelle notre Cour est effectivement appelée à se pencher sur ce point, à savoir si l’ACIA a su s’adapter aux développements de nature scientifique et politique en constante évolution, et si elle a tout de même déterminé, de manière rationnelle et en tenant compte de facteurs importants, que l’application continue de la politique d’abattage sanitaire visait adéquatement l’atteinte des objectifs de la Loi. On ne saurait conclure par la négative au vu du dossier dont je suis saisi. Les experts de la demanderesse peuvent certes accorder un poids différent aux données scientifiques ou préférer une autre approche de politique, mais le contrôle selon la norme de la décision raisonnable que notre Cour est appelée à effectuer ne s’en trouve aucunement influencé.

[Non souligné dans l’original.]

[64] La Cour fédérale s’est ainsi demandé s’il y avait un fondement factuel aux soupçons de l’ACIA quant à la présence potentielle de l’IAHP au sein d’unités épidémiologiques auxquelles la politique d’abattage sanitaire s’applique, et si cette politique vise l’atteinte des objectifs de politique énoncés à la Loi. Nous ne constatons aucune erreur dans cette façon de faire et, quoi qu’il en soit, pour les motifs énoncés ci‑dessous, nous estimons, après avoir procédé à notre propre examen de la politique d’abattage sanitaire, que cette dernière est raisonnable.

(2) La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en faisant preuve d’une trop grande retenue à l’égard de la preuve fournie par les scientifiques de l’ACIA?

[65] L’appelante allègue que la Cour fédérale a fait preuve d’une trop grande retenue à l’égard de l’expertise des scientifiques de l’ACIA, affirmant que, depuis l’arrêt Vavilov, la jurisprudence de ce qu’on appelle [traduction] « l’académie des sciences » n’est plus valable en droit.

[66] À différents endroits dans ses motifs, la Cour fédérale souligne que, lors du contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, il ne revient pas à la cour de révision de trancher les différends de nature scientifique ni de se pencher sur la valeur scientifique de la décision : décision de la Cour fédérale aux para. 6, 69, 84, 133, 162‑163, 165, 168, 201. Selon l’appelante, cette formulation s’apparente à une [traduction] « approbation à l’aveuglette » inacceptable, découle d’une retenue démesurée à l’égard de l’expertise du décideur et, de ce fait, est contraire à ce qui est prévu dans l’arrêt Vavilov.

[67] Nous ne sommes pas de cet avis et estimons que la Cour fédérale a correctement appliqué l’arrêt Vavilov aux questions de nature scientifique que l’appelante avait soulevées. Comme nous le mentionnons plus haut, la cour de révision doit, suivant l’arrêt Vavilov, déterminer si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » : Vavilov au para. 99. Cette approche s’applique à toutes les décisions, y compris celles qui font intervenir l’appréciation ou la pondération d’une preuve scientifique.

[68] La cour de révision qui procède au contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’a toutefois pas à se substituer au décideur administratif : Safe Food Matters Inc. c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 19 (Safe Food) au para. 37. Elle ne peut pas soupeser de nouveau les éléments de preuve, remettre en question l’exercice du pouvoir discrétionnaire du décideur ni faire sa propre interprétation de la loi : Safe Food au para. 39. Elle doit plutôt s’en tenir à l’examen du caractère raisonnable des conclusions que le décideur administratif a tirées.

[69] En outre, certaines conclusions fondées sur l’appréciation et la pondération de la preuve scientifique, comme celles ayant mené à l’adoption de la politique d’abattage sanitaire, peuvent être plus difficiles à faire annuler puisqu’elles ont été rendues dans un contexte où les contraintes sont relativement peu nombreuses : Entertainment Software au para. 30.

[70] Soulignons que c’est souvent en affirmant qu’elles n’agissent pas en tant qu’« académie des sciences » que les Cours fédérales expriment leur retenue à l’égard des conclusions fondées sur des données scientifiques : voir Greenpeace Canada c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 114, [2016] A.C.F. no 382 (QL) aux para. 60‑61; Première Nation Coldwater c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 34, [2020] 3 R.C.F. 3 au para. 119, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 39111 (2 juillet 2020); Inverhuron & District Ratepayers’ Assn. c. Canada (Ministre de l’Environnement), [2000] A.C.F. no 682 (QL), 2000 CanLII 15291 (C.F. 1re inst.) au para. 71; Inverhuron & District Ratepayers’ Assn. c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2001 CAF 203, [2001] A.C.F. no 1008 (QL); Ontario Power Generation Inc. c. Greenpeace Canada, 2015 CAF 186, [2015] A.C.F. no 1066 (QL) au para. 126, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 36711 (28 avril 2016); South Shore au para. 58; Shelburne Elver Limited c. Canada (Procureur général), 2025 CF 566 au para. 68; Canadian Committee For a Sustainable Eel Fishery Inc. c. Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2024 CF 1951 au para. 31; Alliance du détroit de Georgia c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2025 CF 54, [2025] A.C.F. no 46 (QL) au para. 150; Première Nation de Peguis c. Canada (Procureur général), 2021 CF 990, [2021] A.C.F. no 1047 (QL) au para. 171, conf. par 2023 CAF 163; Citizens Against Radioactive Neighbourhoods c. BWXT Nuclear Energy Inc., 2022 CF 849, [2022] A.C.F. no 848 (QL) au para. 80.

[71] Comme le fait observer la Cour suprême au paragraphe 143 de l’arrêt Vavilov, les principes énoncés dans la jurisprudence antérieure à l’arrêt Vavilov, notamment la jurisprudence faisant mention de l’« académie des sciences », doivent cadrer avec ceux énoncés dans les motifs de l’arrêt Vavilov. Ainsi, l’on reconnaît qu’il revient à certains décideurs administratifs, comme l’ACIA, d’apprécier et de soupeser la preuve scientifique et que la cour de révision doit s’abstenir d’apprécier ou de soupeser de nouveau cette même preuve. Lors du contrôle judiciaire, l’intervention de la cour de révision n’est donc justifiée que si le demandeur démontre que le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui avait été soumise ou qu’il n’en a pas tenu compte : Vavilov aux para. 125‑126.

[72] Il s’agit de la bonne approche à adopter, et c’est précisément ce qu’a fait la Cour fédérale en l’espèce.

(3) La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans son interprétation de l’article 48 de la Loi?

[73] L’appelante allègue également que la Cour fédérale s’est méprise dans son interprétation de l’article 48 de la Loi.

[74] La Cour fédérale a indiqué que l’article 48 de la Loi confère au ministre un vaste pouvoir discrétionnaire, mais uniquement en lien avec les deux seules options possibles, à savoir la destruction ou le traitement, et que l’adoption d’une [traduction] « approche préconisant l’attente passive n’est tout simplement pas envisageable » (au para. 83). La Cour fédérale a ajouté que la possibilité de recourir à un traitement est [traduction] « limitée par des réalités scientifiques et opérationnelles », notamment si le traitement est réaliste du point de vue scientifique et faisable du point de vue pratique, ce qui signifie que la destruction est la seule option possible lorsqu’on ne peut recourir à un traitement : au para. 84. La Cour fédérale a également indiqué que la possibilité, pour les personnes concernées, de recevoir une indemnité en application du Règlement sur l’indemnisation cadre avec l’objet de la Loi qui se veut un outil de protection plutôt qu’un outil punitif : au para. 85.

[75] L’appelante allègue que cette interprétation à deux seules options ne cadre pas avec le caractère permissif du mot « peut » utilisé à l’article 48 de la Loi et qu’elle ne tient pas compte du contenu du paragraphe 5(1) du Règlement sur la santé des animaux, C.R.C., ch. 296 (le Règlement), selon lequel les options offertes sont la mise en quarantaine, un traitement ou la destruction. L’appelante est également d’avis que l’approche de la Cour fédérale est incompatible avec l’objectif à deux volets de la Loi, à savoir lutter contre les maladies chez les animaux et protéger les ressources animales du Canada, puisqu’elle ne met l’accent que sur le premier des deux volets.

[76] L’intimé convient que l’article 48 de la Loi pourrait ne pas limiter le choix du ministre aux deux options que sont la destruction des animaux ou leur traitement. Nous sommes du même avis et estimons donc que la Cour fédérale a commis une erreur en affirmant que l’article 48 de la Loi n’offre que deux options au ministre à la suite de la détection, chez un animal, d’une maladie possiblement transmissible. Cette erreur n’a cependant aucune incidence puisque l’argument de l’appelante est incompatible avec la nature du contrôle auquel notre Cour est appelée à procéder. En outre, les autres observations de l’appelante témoignent d’une interprétation erronée du régime législatif établi par la Loi.

[77] Notre Cour n’est pas saisie de l’appel des motifs de la Cour fédérale. Elle est plutôt appelée, comme nous le mentionnons plus haut, à rendre sa propre décision quant à l’annulation des décisions de l’ACIA.

[78] Il a déjà été établi, dans la jurisprudence des Cours fédérales, que l’article 48 de la Loi permet au ministre d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré et d’adopter une politique de nature générale prévoyant la destruction des animaux visés : David Hunt Farms Ltd. c. Canada (Ministre de l’Agriculture), [1994] A.C.F. no 314 (QL) (C.F. 1re inst.) (Hunt), conf. par [1994] A.C.F. no 677 (QL) (C.A.), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 24281 (2 février 1995). Voir également Jerram c. Canada (Ministre de l’Agriculture), [1994] 3 C.F. 17, 1994 CanLII 3471 (C.F. 1re inst.) (Jerram).

[79] Il est donc admis que le sort du troupeau de l’appelante puisse être scellé par la politique d’abattage sanitaire elle‑même plutôt que par la mise en application de cette dernière par le personnel sur le terrain. Il s’agit donc de déterminer si, lors de l’adoption de la politique d’abattage sanitaire, le ministre a adéquatement tenu compte du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 48 de la Loi d’ordonner ou non la destruction des animaux ayant été contaminés par une maladie ou s’étant trouvés dans le voisinage immédiat d’un animal contaminé ou soupçonné de l’être, notamment les animaux de la même unité épidémiologique qu’un animal dont le résultat du test de détection de l’IAHP s’est révélé positif. Pour les motifs qui suivent, nous estimons que cette option a adéquatement été prise en compte et que la politique d’abattage sanitaire est raisonnable.

[80] Quant aux options disponibles aux inspecteurs visés par l’article 5 du Règlement, la Cour fédérale, au paragraphe 43 de la décision Hunt, explique que c’est au ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, et non aux inspecteurs, qu’est dorénavant conféré le pouvoir énoncé à l’article 48 de la Loi. La mise en quarantaine prévue à l’article 5 du Règlement se veut donc une mesure uniquement provisoire dans le processus. Ainsi, le Règlement ne limite pas le pouvoir du ministre d’adopter la politique d’abattage sanitaire.

[81] Autre élément clé du régime législatif : l’infection réelle n’est pas une condition préalable à la destruction. À l’article 48, il est explicitement indiqué que la destruction peut être ordonnée dès lors que l’animal est soupçonné d’être contaminé par la maladie ou qu’il a été exposé à un animal soupçonné d’être contaminé. À la page 30 de la décision Jerram, la Cour fédérale a confirmé que le « très bas niveau de tolérance au risque » du ministre peut inciter ce dernier à ordonner la destruction d’animaux qui ne sont peut-être pas infectés. Dans le même ordre d’idées, au paragraphe 30 de la décision Hunt, la Cour fédérale a confirmé que le ministre avait tenu compte de la « possibilité que ces bêtes ne soient pas atteintes par la maladie, mais que cette possibilité n’était pas suffisante pour qu’on modifie la décision en cause ». Au paragraphe 20 de l’arrêt Kohl c. Canada (Ministère de l’Agriculture), [1995] A.C.F. no 1076 (QL) (C.A.) (Kohl), notre Cour explique que la Loi confère un important pouvoir discrétionnaire au ministre et qu’elle « oblige [ce dernier] à agir dès qu’il a des soupçons ».

[82] Comme il apparaîtra clairement ci‑après, la jurisprudence dont il est fait mention plus haut et la portée du pouvoir discrétionnaire que l’article 48 de la Loi confère au ministre ne laissent qu’une très mince marge de manœuvre lorsqu’il s’agit de conclure au caractère déraisonnable de la politique d’abattage sanitaire.

(4) La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que le pouvoir discrétionnaire que confère l’article 48 de la Loi au ministre n’avait pas été indûment entravé?

[83] L’appelante allègue par ailleurs que la Cour fédérale a commis une erreur en refusant de conclure que la politique d’abattage sanitaire avait entravé de manière inacceptable le pouvoir discrétionnaire du ministre. Nous ne souscrivons pas à cette prétention et estimons que ni l’avis de disposition ni le refus d’exemption ne découlent d’une entrave au pouvoir discrétionnaire. Comme nous l’expliquons plus haut, il est précisé, dans la décision Hunt, que le ministre peut, en vertu de l’article 48 de la Loi, adopter une politique de nature générale prévoyant la destruction des animaux qui répondent à certains critères. Les inspecteurs n’ont ainsi aucun pouvoir discrétionnaire à cet égard. L’appelante affirme à tort que, en l’espèce, l’inspecteur aurait pu ou aurait dû s’écarter de la politique d’abattage sanitaire. Cet argument ne saurait être retenu au vu des conclusions tirées dans la décision Hunt.

[84] À l’instar de la Cour fédérale, nous estimons que le processus, dans son ensemble, n’a pas fait abstraction de la situation de l’appelante. La possibilité d’accorder une exemption signifie qu’un certain pouvoir discrétionnaire peut être exercé dans le cadre du processus. En l’espèce, l’appelante n’a pas satisfait aux critères d’exemption prévus dans le Plan d’intervention de 2022. L’ACIA a effectivement examiné la demande de l’appelante. Il ressort du dossier de la décision relative au refus d’exemption que l’ACIA a envisagé la possibilité de prendre des mesures qui [traduction] « s’écartent considérablement de la politique », comme l’élimination sélective qui ferait suite à des tests additionnels, mais n’a finalement pas retenu cette solution.

[85] Nous ne constatons par conséquent aucune erreur dans la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle aucune des décisions en litige ne découle d’une entrave inacceptable au pouvoir discrétionnaire.

(5) La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en ne se penchant pas sur le caractère raisonnable du refus de l’ACIA d’effectuer des tests après le rétablissement allégué du troupeau?

[86] L’appelante affirme que la Cour fédérale a commis une erreur en ne se penchant pas sur le refus de l’ACIA de soumettre le troupeau à d’autres tests. Renvoyant au paragraphe 173 de la décision Fondation David Suzuki c. Canada (Santé), 2018 CF 380, [2018] A.C.F. no 427 (QL), l’appelante soutient que la Cour fédérale aurait dû examiner le refus d’effectuer d’autres tests dans le cadre de la « conduite continue » faisant l’objet du contrôle judiciaire.

[87] La réponse à cette allégation d’erreur est simple : ces arguments n’ont pas été présentés à la Cour fédérale et n’ont pas été soulevés dans les avis de demande de contrôle judiciaire de l’appelante. On ne saurait reprocher à la Cour fédérale de ne pas avoir tenu compte d’arguments qui ne lui avaient pas été présentés.

[88] Nous estimons par conséquent qu’aucune des erreurs alléguées par l’appelante à l’encontre de la décision de la Cour fédérale ne justifie l’intervention de notre Cour.

E. Les décisions contestées étaient-elles raisonnables?

[89] Passons au point le plus pertinent en l’espèce, à savoir le caractère raisonnable des décisions de l’ACIA. Nous estimons que ces décisions sont raisonnables.

[90] Devant notre Cour, comme nous le mentionnons plus haut, l’appelante conteste principalement la politique d’abattage sanitaire, affirmant que l’ACIA a fait fi des caractéristiques particulières des autruches et refusé d’effectuer d’autres tests ou d’envisager la possibilité de prendre d’autres mesures après le rétablissement allégué des autruches. Aucun de ces arguments n’est convaincant.

[91] Contrairement à ce qu’allègue l’appelante, l’ACIA avait en sa possession des éléments de preuve au sujet des autruches avant d’adopter la politique d’abattage sanitaire. Il ressort du dossier que, bien qu’elle n’ait pas consulté directement des éleveurs d’autruches pendant le processus d’élaboration de cette politique, l’ACIA disposait d’éléments de preuve selon lesquels les autruches sont réceptives à la maladie et peuvent la transmettre à d’autres autruches ou à différentes espèces d’oiseaux. Au nombre de ces éléments de preuve, mentionnons des études scientifiques publiées sur la réceptivité des autruches à l’influenza aviaire menées en Afrique du Sud, d’où serait originaire le troupeau de l’appelante. La réceptivité de l’espèce constitue le facteur clé aux fins de l’application de la politique d’abattage sanitaire : décision de la Cour fédérale au para. 102. En outre, l’ACIA a précisément tenu compte de la situation de l’appelante et des caractéristiques particulières des autruches avant de rendre la décision relative au refus d’exemption : voir la décision de la Cour fédérale aux para. 239‑240.

[92] Selon l’appelante, le taux de survie des autruches par rapport à celui d’autres volailles, comme les poulets et les dindes, aurait dû mener à un résultat différent en l’espèce. Nous ne sommes pas du même avis. L’article 48 de la Loi n’impose pas au ministre (ou à l’ACIA, en sa qualité de déléguée du ministre) d’ordonner la destruction uniquement des animaux contaminés. Ainsi qu’il est précisé dans les décisions Hunt et Jerram et dans l’arrêt Kohl, le ministre peut agir dès lors qu’il a des soupçons, tout comme il peut prendre des décisions en matière de destruction par l’application d’une politique de nature générale. En outre, l’imposition de l’application de la politique d’abattage sanitaire aux autruches est conforme aux obligations du Canada en matière de commerce international, lesquelles figurent au nombre des éléments pertinents à prendre en considération lors de l’élaboration d’une politique en application de l’article 48 de la Loi : Hunt au para. 49; Jerram, p. 30.

[93] Pour ce qui est, de façon plus générale, du caractère raisonnable de la politique d’abattage sanitaire, le vaste pouvoir discrétionnaire que l’article 48 de la Loi leur confère permet au ministre et à l’ACIA d’exiger la destruction d’animaux dès lors qu’ils soupçonnent ces derniers d’être contaminés. Comme nous l’indiquons plus haut, notre Cour et la Cour fédérale ont reconnu la portée de ce pouvoir discrétionnaire et entériné des politiques comparables à la politique d’abattage sanitaire.

[94] Par ailleurs, lorsqu’elle a adopté la politique d’abattage sanitaire, l’ACIA disposait d’une preuve considérable sur les risques que représente l’IAHP en matière de lutte contre les maladies à l’échelle nationale, en matière de santé publique ainsi qu’en lien avec la capacité du Canada à exporter de la volaille à ses partenaires commerciaux internationaux. Cette preuve étaye amplement la décision de recourir à l’abattage comme moyen raisonnable d’atténuer les risques en question.

[95] Plus précisément, la preuve dont disposait l’ACIA démontre ce qui suit :

  • L’abattage permet de contenir efficacement la propagation de l’IAHP à d’autres lieux ou espèces en freinant l’amplification du virus découlant de la multiplication du virus chez les hôtes infectés ainsi que de l’excrétion du virus dans la nature, réduisant ainsi les chances que d’autres animaux réceptifs y soient exposés.

  • La désinfection du lieu, après le retrait des animaux, permet aussi de prévenir la propagation du virus, lequel peut subsister pendant des mois en milieu froid et humide.

  • L’endiguement de la propagation de l’IAHP permet de protéger les ressources animales et d’atténuer les répercussions sur la chaîne d’approvisionnement alimentaire des Canadiens en réduisant le nombre d’oiseaux infectés à l’IAHP, ce qui revêt une grande importance puisque les éclosions de cette maladie chez les poulets et les dindes peuvent se traduire par un nombre considérable de décès au sein du troupeau exposé et nécessiter l’élimination de centaines de milliers d’oiseaux.

  • L’abattage est reconnu, sur le plan international, comme la norme applicable en matière de lutte contre l’IAHP à l’échelle nationale. À cet égard, le Canada est membre de l’Organisation mondiale de la santé animale (l’OMSA), un organisme à vocation scientifique reconnu par ses 183 États membres en tant qu’autorité mondiale en matière de santé des animaux, et par l’Organisation mondiale du commerce en tant qu’organisme responsable de l’élaboration de normes internationales relatives à la santé des animaux et aux maladies zoonotiques (maladies pouvant être transmises des animaux aux humains). L’OMSA a notamment pour rôle de définir les stratégies et les mesures les plus appropriées en matière de prévention et de lutte contre les maladies. L’OMSA appuie la mise en œuvre d’une politique d’abattage sanitaire lors des éclosions d’IAHP frappant la volaille, y compris les autruches, et une majorité d’États membres de cette organisation reconnaissent qu’il s’agit de la norme internationale en pareille situation.

  • L’abattage se veut une réponse aux risques que représente l’IAHP pour la santé publique puisque, bien que rare, la transmission de cette maladie aux humains est possible et près de la moitié des quelque 900 cas d’infection d’humains à l’influenza aviaire (H5N1) signalés au cours des dernières décennies ont été fatals.

  • L’abattage se veut une réponse efficace aux risques que représente l’IAHP en lien avec la capacité du Canada à exporter de la volaille à ses partenaires commerciaux internationaux. Conformément aux accords commerciaux conclus avec les États‑Unis, le Mexique et l’Union européenne, le Canada est tenu d’adhérer aux normes internationales en matière de santé des animaux. Les plus importants partenaires commerciaux du Canada, dont les États‑Unis, estiment que l’abattage constitue la norme internationale en matière de lutte contre l’IAHP. Suivant les normes de l’OMSA, les pays qui adoptent une politique d’abattage sanitaire à la suite de la détection de l’IAHP chez des volailles peuvent recouvrir leur statut de pays indemne à la fin d’une période minimale de 28 jours après la fin du processus d’abattage sanitaire. Si aucune telle politique n’est mise en œuvre, le statut de pays indemne ne peut être accordé que s’il est démontré que l’IAHP n’a pas été détectée chez des volailles pendant un minimum de 12 mois. Pour que l’exportation de volaille puisse reprendre après une éclosion d’IAHP, le pays importateur exige que le statut de pays ou de zone indemne ait été accordé pour l’ensemble du pays ou à l’échelle provinciale, selon les exigences du pays importateur. En réaction à l’actuelle éclosion d’IAHP et conformément aux normes de l’OMSA, le Canada a défini des zones de contrôle et peut exporter, à ses partenaires commerciaux ayant accepté cette délimitation, des volailles qui ne proviennent pas de ces zones. Ces partenaires commerciaux s’attendent à ce que la politique d’abattage sanitaire soit mise en application dans les zones de contrôle conformément aux normes de l’OMSA. Par conséquent, le fait, pour le Canada, de ne pas appliquer la politique pourrait compromettre l’acceptation de ses partenaires commerciaux quant à la délimitation des zones de contrôle, nuire à l’accès des volailles et produits de volaille canadiens aux marchés d’exportation et porter atteinte à la réputation du Canada en tant que pays capable de respecter ses obligations internationales en matière de lutte contre les maladies, y compris en matière de prévention et d’élimination des maladies.

[96] Au vu de cette preuve, nous estimons, tout comme la Cour fédérale, qu’il était raisonnable pour l’ACIA de choisir, en tant que mesure à privilégier, la destruction en temps opportun de tous les oiseaux réceptifs exposés à l’IAHP : décision de la Cour fédérale au para. 102.

[97] Nous sommes également d’avis qu’il n’était pas nécessaire que la politique d’abattage sanitaire prévoie la tenue d’autres tests ou l’adoption d’une approche plus ciblée en matière d’élimination. Selon le dossier à la disposition de notre Cour, l’ACIA a, à différents moments au fil des années, envisagé la possibilité de laisser le virus circuler en milieu infecté ou de recourir à des mesures plus ciblées en réaction aux éclosions d’influenza aviaire : décision de la Cour fédérale au para. 167. L’ACIA a fait son choix après avoir tenu compte des risques en matière de commerce international ainsi que des données scientifiques sur la transmission de l’influenza aviaire, deux facteurs qu’il est acceptable de prendre en considération aux fins de l’application de l’article 48 de la Loi : voir Jerram, p. 30; Hunt aux para. 49‑51.

[98] En outre, il était raisonnable d’ordonner, en vertu de la politique, l’élimination du troupeau dans son intégralité sans mener des tests sélectifs et malgré le fait qu’une partie du troupeau ne succomberait pas à la maladie. Comme nous l’expliquons plus haut, l’article 48 de la Loi prévoit explicitement que la destruction peut être ordonnée dès lors que l’animal est soupçonné d’être contaminé par la maladie ou qu’il a été exposé à un animal soupçonné d’être contaminé, une réalité admise à la fois dans les décisions Jerram et Hunt et dans l’arrêt Kohl. Cette conclusion se veut également pertinente en lien avec l’importance qu’accorde l’appelante au fait que seulement deux autruches ont été soumises à des tests de détection. Cet argument ne tient pas compte du nombre considérable d’autruches qui ont trouvé la mort des suites de l’éclosion, ni du fait que, en raison des mesures de biosécurité mises en place dans les installations de l’appelante par cette dernière à l’époque, toutes les autruches couraient le risque d’être exposées à l’IAHP et que, par conséquent, le résultat positif d’un seul oiseau justifiait la destruction de tous les oiseaux du troupeau, sans exception. Quoi qu’il en soit, le nombre d’échantillons prélevés n’est aucunement pertinent aux fins de la mise en œuvre du Plan d’intervention de 2022 : décision de la Cour fédérale au para. 155.

[99] La politique d’abattage sanitaire étant raisonnable, nous estimons également que l’avis de disposition et le refus d’exemption sont raisonnables. L’inspecteur était tenu de délivrer l’avis de disposition dès lors que les critères avaient été respectés.

[100] Il ressort du dossier et des motifs fournis que le comité d’exemption a tenu compte de l’état de santé du troupeau, des mesures de biosécurité mises en place ainsi que de l’importance que revêt le troupeau pour l’appelante et ses dirigeants. Après avoir envisagé la possibilité de permettre à l’appelante de conserver une partie de son troupeau, le comité d’exemption a conclu qu’il était tout simplement trop risqué de procéder à l’élimination sélective ou de laisser le virus circuler dans les installations de l’appelante, comme cette dernière l’avait proposé. Le comité d’exemption s’est exprimé ainsi :

[traduction]

La possibilité de prendre des mesures qui s’écartent considérablement de la politique (c.-à-d. avoir recours à l’élimination sélective plutôt qu’à l’abattage pour ce lieu infecté à l’IAHP (volaille non commerciale)) a été envisagée, mais il a été constaté, à la suite d’une consultation interne menée auprès d’autres directions générales (c.-à-d. Science, Affaires internationales et Politiques et programmes), que la non‑application de la politique actuelle comporterait des risques considérables, notamment des risques en lien avec la lutte contre les maladies à l’échelle nationale, une menace pour la santé publique et les répercussions anticipées en matière de commerce compte tenu de l’attente des partenaires commerciaux du Canada à l’égard de l’application d’une politique d’abattage sanitaire. Le fait de garder en vie une grande population d’oiseaux infectés à l’IAHP qui vivent à l’extérieur aurait une incidence sur la capacité du Canada à recouvrer le statut de pays indemne. En effet, le Canada devrait attendre au moins un an après la fin de la dernière éclosion, plutôt que 28 jours si la politique d’abattage sanitaire est mise en application. Également, dans des échanges entre [la Direction générale des affaires internationales] et le département de l’Agriculture des États‑Unis (USDA), il est clairement indiqué que le USDA applique et continuera d’appliquer une politique d’abattage sanitaire lors de la détection de l’IAHP dans des autrucheries. Le risque de transmission de l’IAHP aux humains, à d’autres animaux d’élevage ainsi qu’à des animaux sauvages par une grande population d’animaux infectés qui vivent à l’extérieur et qui peuvent être porteurs d’infections subcliniques est également considérable. (Dossier de décision du comité d’exemption, dossier certifié du tribunal de l’ACIA, p. 312).

[101] Nous estimons par conséquent que le comité d’examen a raisonnablement conclu que le troupeau n’était visé par aucune des catégories d’exemption énumérées dans le Plan d’intervention de 2022, et a donc raisonnablement refusé de mettre en œuvre les solutions de rechange que l’appelante avait proposées.

IV. Dispositif

[102] Nous rejetons par conséquent le présent appel, avec dépens fixés à la somme forfaitaire convenue de 7 000 $. Cette somme nous paraît appropriée compte tenu des questions soulevées et du fait que les avocats ont dû se rendre à Ottawa aux fins de l’instruction accélérée de l’appel.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« René LeBlanc »

j.c.a.

« Gerald Heckman »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-205-25

 

 

INTITULÉ :

UNIVERSAL OSTRICH FARMS INC. c. L’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 15 juillet 2025

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LEBLANC

LE JUGE HECKMAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 AOÛT 2025

COMPARUTIONS :

Umar A. Sheikh

 

POUR L’AppelantE

 

Aileen Jones

Paul Saunders

 

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sheikh Law

Victoria (Colombie-Britannique)

 

POUR L’AppelantE

 

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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