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Date : 20240926


Dossier : A-256-23

Référence : 2024 CAF 155

CORAM :

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE ROUSSEL

LE JUGE HECKMAN

 

 

ENTRE :

 

 

MARC GRAVEL

 

 

appelant

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

intimé

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 26 septembre 2024.

Jugement rendu à l’audience à Montréal (Québec), le 26 septembre 2024.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20240926


Dossier : A-256-23

Référence : 2024 CAF 155

CORAM :

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE ROUSSEL

LE JUGE HECKMAN

 

 

ENTRE :

 

 

MARC GRAVEL

 

 

appelant

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Montréal (Québec), le 26 septembre 2024.)

LE JUGE LEBLANC

[1] La Cour est saisie de l’appel d’une ordonnance prononcée par la juge St-Louis, de la Cour fédérale, le 6 juillet 2023 (la Juge des requêtes). Aux termes de son ordonnance, la Juge des requêtes radiait, au motif qu’elle est devenue académique, la demande de contrôle judiciaire logée par l’appelant à l’encontre d’une décision de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada qui confirmait la décision de ladite Commission de prolonger pour une période de six mois la condition spéciale de libération qu’elle avait imposée à l’appelant le 14 juin 2022 après avoir annulé la suspension de sa libération conditionnelle totale. Cette condition obligeait l’appelant à demeurer pendant une période de trois mois dans un établissement résidentiel désigné.

[2] L’appelant ne conteste pas que la demande de contrôle judiciaire sous-jacente au présent appel soit devenue théorique, la Commission n’ayant pas renouvelé la condition spéciale de libération lorsque celle-ci est arrivée à échéance le 19 mars 2023. Ce que l’appelant reproche à la Juge des requêtes, c’est son application des critères jurisprudentiels établis dans l’arrêt de principe en la matière, l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, à la p. 361 (Borowski)), aux fins de guider l’exercice de la discrétion dont elle disposait en vue de déterminer si ladite demande devait néanmoins être entendue au mérite malgré son caractère théorique. L’appelant plaide, pour l’essentiel, que la décision des autorités correctionnelles de prolonger cette condition de libération, qui est désormais inscrite à son dossier carcéral, continuera d’avoir un impact sur les décisions dont il pourra faire l’objet à l’avenir, et continuera donc d’avoir une incidence réelle – et négative - sur ses droits. Cela, selon lui, justifie que sa demande de contrôle judiciaire soit examinée au mérite puisqu’il subsiste, entre les parties, un contexte contradictoire en raison de la nature et de la réalité particulières du rapport entre les autorités carcérales et les détenus sous leur autorité. Il plaide que, dans ces circonstances, l’intérêt de la justice commande un tel examen.

[3] Il est bien établi, d’entrée de jeu, qu’une demande de contrôle judiciaire peut être rejetée sommairement sur le fondement qu’elle est théorique (Lukacs c. Canada (Office des transports), 2016 CAF 227 au para. 6; Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 aux para. 47-48). Il est également bien établi que nous ne pouvons intervenir en l’espèce que si la Juge des requêtes a commis une erreur manifeste et dominante ou une erreur de droit isolable dans l’exercice de sa discrétion, une fois qu’elle a conclu que la demande de contrôle sous-jacente était académique (Peckford c. Canada (Procureur général), 2023 CAF 219 au para. 27, demande d’autorisation d’appeler à la Cour suprême du Canada rejetée le 29 août 2024, no. 41082; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33; Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 au para. 79).

[4] Or, nous sommes tous d’avis que la Juge des requêtes n’a commis, ici, aucune erreur de cette nature. L’appelant nous invite en somme, sur la base de la nature continue des rapports entre les détenus, du moins ceux, qui, comme lui, purge une peine d’emprisonnement à vie, et les autorités carcérales, à décréter que la discrétion dont disposent les tribunaux de se prononcer sur une question autrement théorique doive systématiquement être exercée en faveur de l’examen du mérite de la question. Il s’agit là toutefois d’un pas que nous ne saurions franchir.

[5] Comme l’appelant le reconnait lui-même, chaque cas doit être examiné sur le fondement des faits qui lui sont propres. En l’espèce, l’impact que pourrait avoir la décision de prolonger la condition spéciale de libération sur les décisions futures des autorités carcérales à son égard est purement conjoncturel, particulièrement à la lumière du fait que cette condition n’a pas été renouvelée en mars 2023, ce qui, en soi, paraît être un développement positif au dossier carcéral de l’appelant. Comme la Cour fédérale l’a fait ressortir, il est préférable, dans ce contexte, si une telle condition devait être imposée de nouveau à l’appelant, que sa validité soit évaluée à la lumière des faits et circonstances prévalant au moment de la réimposition. Cela, à notre avis, est parfaitement compatible avec le caractère nécessairement évolutif des décisions prises en cette matière. Il est utile de rappeler, à cet égard, que le simple fait qu’une même question puisse se présenter de nouveau, et même fréquemment, ne justifie pas, à lui seul, l’examen au mérite d’un recours devenu théorique (Borowski à la p. 361).

[6] L’appelant reproche en outre à la Juge des requêtes de ne pas avoir analysé explicitement chacun des trois critères de l’arrêt Borowski. Or, bien qu’une analyse plus détaillée eut été souhaitable, cela ne justifie pas l’intervention de la Cour (Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, au para. 68). Ici, la Juge des requêtes s’est attardée aux critères qui, selon elle, ne militaient pas en faveur de l’exercice de sa discrétion. Elle s’en est également remise à la décision d’un de ses collègues dans l’affaire Adams c. Canada (Commission des libérations conditionnelles), 2022 CF 273 (Adams), une affaire présentant des traits similaires au présent dossier et où les trois critères de l’arrêt Borowski ont été analysés en détail. Cette avenue lui était ouverte.

[7] L’appelant plaide toutefois que l’affaire Adams portait davantage sur la question de savoir si la Section d’appel de la Commission était habilitée à rejeter un appel sur la base que celui-ci est devenu théorique. Il soutient de plus que les décisions rendues dans les affaires Najar c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1411 (Najar) et Gallone c. Canada (Procureur général), 2015 CF 608 (Gallone) s’imposaient davantage à la Juge des requêtes.

[8] Ces arguments sont sans mérite. D’une part, dans Adams, la Cour fédérale a procédé à sa propre analyse du caractère théorique des questions de fond qui s’y posaient et s’est elle-même demandée si elle ne devait pas néanmoins exercer sa discrétion de manière à disposer de ces questions malgré leur caractère théorique. En d’autres termes, elle a procédé à ces analyses sans égard au fait que la Section d’appel de la Commission puisse être dépourvue ou non du pouvoir de rejeter un appel sur la base que celui-ci est devenu académique (Adams au para. 38). La Juge des requêtes pouvait y trouver là un précédent utile.

[9] Quant aux affaires Najar et Gallone, elles se distinguent toutes les deux de la présente affaire. Dans un cas (Najar), ce sont des informations provenant de tiers sur les accointances du détenu en question avec des gens du milieu des gangs de rue qui étaient principalement à l’origine de la suspension de la libération conditionnelle. Dans l’autre (Gallone), la Cour fédérale a jugé qu’une importante question d’équité procédurale visant tous les détenus en situation similaire à celle de la demanderesse se posait et justifiait qu’elle soit traitée au mérite, malgré son caractère théorique. La Juge des requêtes était donc justifiée de ne pas s’estimer liée par ces deux décisions, chaque cas, il est important de le rappeler, étant tributaire des faits qui lui sont propres aux fins de l’exercice de ce qui est, pour l’essentiel, un pouvoir discrétionnaire.

[10] Enfin, l’appelant nous demande de considérer de la preuve nouvelle. Or, le fait, comme le concède l’appelant, que cette preuve aurait pu être produite devant la Juge des requêtes suffit pour rejeter cette demande. Toutefois, même en considérant cette preuve, notre position quant au sort du présent appel demeure inchangée.

[11] L’appel sera donc rejeté. Comme l’intimé ne les réclame pas, il le sera sans dépens.

« René LeBlanc »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-256-23

 

 

INTITULÉ :

MARC GRAVEL c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 septembre 2024

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE ROUSSEL

LE JUGE HECKMAN

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :

LE JUGE LEBLANC

 

COMPARUTIONS :

Coline Bellefleur

 

Pour l'appelant

 

Dominique Guimond

Maude Mercier

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Coline Bellefleur

Bellefleur Légal Inc.

Montréal (Québec)

 

Pour l'appelant

 

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour l'intimé

 

 

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