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Date : 20240617


Dossier : A-93-23

Référence : 2024 CAF 113

CORAM :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE WALKER

 

 

ENTRE :

1048547 ONTARIO INC.

KOSTANTINOS SKOTIDAKIS

JOHN SKOTIDAKIS

ANTIGONI SKOTIDAKIS

KOSTANTINA SKOTIDAKIS

appelants

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

Audience tenue à Montréal (Québec), le 17 juin 2024.

Jugement rendu à l’audience à Montréal (Québec), le 17 juin 2024.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20240617


Dossier : A-93-23

Référence : 2024 CAF 113

CORAM :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE WALKER

 

 

ENTRE :

1048547 ONTARIO INC.

KOSTANTINOS SKOTIDAKIS

JOHN SKOTIDAKIS

ANTIGONI SKOTIDAKIS

KOSTANTINA SKOTIDAKIS

appelants

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Montréal (Québec), le 17 juin 2024.)

LE JUGE LEBLANC

[1] La Cour est saisie de l’appel d’un jugement de la juge Dominique Lafleur de la Cour canadienne de l’impôt (la Juge), rendu le 28 février 2023 (2023 TCC 24). Aux termes de son jugement, la Juge a confirmé les avis de nouvelles cotisations émis à l’encontre des appelants par l’Agence du revenu du Canada (l’Agence) aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C., 1985 (5e suppl.), c.1 (la Loi), pour l’année d’imposition se terminant au 31 décembre 2015 dans le cas de l’appelante 1048547 Ontario Inc. (la Corporation) et pour les années d’imposition 2014 et 2015 pour les autres appelants, lesquels sont frères et sœurs et tous étroitement liés aux opérations de la Corporation, soit au titre d’actionnaire, de haut-dirigeant et/ou d’employé.

[2] Les avis de nouvelles cotisations en cause ont été émis en lien avec certaines dépenses d’entreprise refusées à la Corporation. Ces dépenses sont très majoritairement des dépenses de voyage jugées par l’Agence, suite à une vérification des affaires de la Corporation entreprise aux termes de la Loi, être des dépenses personnelles dont ont profité les autres appelants, et non des dépenses d’entreprise dont la Corporation réclamait la déduction. Le montant de ces dépenses, une fois sa déduction refusée aux fins du calcul du revenu d’entreprise net de la Corporation pour l’année d’imposition se terminant le 31 décembre 2015, a été ajouté au revenu des autres appelants, pour les années d’imposition 2014 et 2015, à la hauteur du bénéfice personnel qui, selon l’Agence, en a résulté pour chacun, à titre d’avantage imposable tantôt comme actionnaire de la Corporation, tantôt comme employé de celle-ci, tel que le permettent, respectivement, le paragraphe 15(1) et l’alinéa 6(1) a) de la Loi.

[3] La Juge a rejeté l’appel logé par les appelants à l’encontre de ces avis de nouvelles cotisations principalement sur la base que les appelants n’avaient pas réussi à contrecarrer, même sur une base prima facie, les hypothèses de faits sur lesquelles reposent lesdits avis. Elle a noté à cet égard que les appelants n’avaient offert aucune preuve documentaire à cette fin et jugé plus crédible et fiable le témoignage de la vérificatrice de l’Agence ayant mené la vérification en cause. La Juge a notamment préféré ce témoignage à celui de la contrôleure de la Corporation, à qui on avait confié le mandat de répondre aux questions que pouvait avoir la vérificatrice et de lui fournir la documentation demandée. Elle a jugé le témoignage de la contrôleure vague, non-convainquant et non crédible. Finalement, la Juge a tiré une inférence négative du fait que, sans explications valables, trois des quatre autres appelants n’ont pas témoigné au procès, que celui qui a témoigné a aussi offert un témoignage vague, non-convainquant et non crédible et qu’aucune preuve documentaire n’a été présentée par les appelants pour contrer, même minimalement, les avis de nouvelles cotisations.

[4] Devant nous, les appelants plaident que la Juge a manqué aux règles de l’équité procédurale en refusant d’ajourner le procès, compte tenu des délais serrés avec lesquels leur nouveau procureur, venu en relève à leur ancien procureur à la toute dernière minute, a dû composer pour préparer l’audience. Cette question requiert que nous nous demandions si « la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para. 54).

[5] Les appelants soutiennent de plus que la Juge aurait erré en validant la position de l’Agence quant au caractère personnel des dépenses en cause et, à supposer qu’elle ait eu raison, en validant l’ajout d’une partie de ces dépenses aux revenus des autres appelants sur la base, dans le cas de deux de ces quatre appelants, qu’il s’agit là d’avantages conférés à un actionnaire et, dans le cas des deux autres, d’avantages conférés à un employé. Ces questions doivent, pour leur part, être examinées suivant la norme de contrôle applicable aux appels développée par la Cour suprême dans l’affaire Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33. Ainsi, les questions de droit à résoudre, s’il en est, doivent être examinées selon la norme de la décision correcte alors les conclusions de fait ou mixtes de fait et de droit, doivent l’être suivant la norme déférente de l’erreur manifeste et dominante.

[6] Or, nous sommes tous d’avis que les arguments soulevés par les appelants devant nous n’ont aucun mérite. Quant à l’argument d’équité procédurale, il suffit de dire que le procureur des appelants, qui s’est par ailleurs dit prêt à procéder à l’ouverture du procès (Dossier d’appel, vol. 3, p. 684-685), n’a fait que proposer un ajournement sur la base qu’il jugeait souhaitable que le procès, fixé pour une journée 18 mois auparavant, se déroule sur deux jours consécutifs (Dossier d’appel, vol. 3, p. 693-697). Il était tout à fait loisible à la Juge de rejeter cette proposition, elle qui, du reste, a accepté de prolonger le procès d’une journée et de fixer la deuxième journée d’audience une semaine après la tenue de la première, et ce de manière à donner au procureur des appelants le temps nécessaire pour examiner le cahier de pièces produit par l’intimé au procès et pour préparer le contre-interrogatoire de la vérificatrice de l’Agence, seule témoin appelé par l’intimé au procès. Il n’y a eu, ici, aucune atteinte aux règles de l’équité procédurale, bien au contraire.

[7] Quant aux trois autres reproches adressés au jugement de la Juge, ils soulèvent des questions dominées par les faits. Comme cette Cour a eu l’occasion de l’illustrer, la norme de l’erreur manifeste et dominante, pour y satisfaire, requiert davantage que de simplement faire tomber les feuilles et les branches d’un arbre; il faut « faire tomber l’arbre tout entier » (Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 au para. 46). Cela traduit le caractère exigeant de cette norme, laquelle, en retour, requiert un degré élevé de retenue de notre part. Ce fardeau n’a pas été rencontré en l’espèce.

[8] D’une part, il était tout à fait loisible à la Juge de maintenir les hypothèses de faits de l’Agence quant au caractère personnel des dépenses de voyage en cause. Les appelants semblent oublier qu’aux termes du paragraphe 152(8) de la Loi, une cotisation (ou une nouvelle cotisation) est réputée valide et qu’il appartient dès lors au contribuable de « démolir » ces hypothèses. Pour ce faire, il doit administrer une preuve rencontrant la norme civile de la balance des probabilités (Eisbrenner c. Canada, 2020 CAF 93, aux paras. 24-25; voir aussi Amiante Spec Inc. c Canada, 2009 CAF 139 au para. 23). En l’espèce, la Juge a déterminé que ce fardeau n’avait pas été rencontré, compte tenu du peu de preuve présentée par les appelants, laquelle, selon elle, équivalait à toutes fins utiles à une absence de preuve. Cette conclusion, selon nous, est inattaquable. Il ne suffit pas de s’en prendre à la démarche suivie par la vérificatrice, comme le font les appelants, pour attaquer avec succès lesdites hypothèses. Comme l’a correctement noté la Juge, il est bien établi que la conduite du fonctionnaire du fisc, qui autorise l’établissement, ici, d’une nouvelle cotisation, n’est pas pertinente pour décider de la validité ou du bien‑fondé de celle-ci (Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20 au para. 31).

[9] Bref, la Juge a soupesé la preuve faite devant elle, noté le peu de preuve administrée par les appelants et, surtout, l’absence totale de preuve documentaire qui viendrait étayer les énoncés généraux des témoins des appelants à l’effet que les dépenses en cause sont des dépenses encourues dans le but de générer un revenu d’entreprise, et jugé la preuve de l’intimé plus crédible, fiable et convaincante. Il n’y a pas, ici, nous le répétons, matière à intervenir.

[10] D’autre part, le même constat s’impose quant aux deux derniers reproches. La preuve au dossier démontre que les deux appelants que l’Agence a jugé avoir reçu un avantage imposable à titre d’employés de la Corporation sont des employés de celle-ci (Dossier d’appel, vol. 3, p. 933). Ces appelants plaident devant nous que l’intimé devait aussi faire la preuve qu’ils étaient employés en 2014 et 2015 pour valider les avis de nouvelles cotisations émis à leur égard. Or, les appelants se trompent puisque ce fardeau leur appartenait et qu’ils ne s’en sont pas déchargé. Quant aux deux autres appelants, ils estiment qu’en tant que détenteurs d’actions privilégiées, ils ne pouvaient être cotisés comme actionnaires pour l’avantage lié aux dépenses personnelles qui leur ont été imputées. Or, comme le note l’intimé dans son mémoire, le paragraphe 15(1) de la Loi ne fait pas de distinction entre actionnaires ordinaires et actionnaires privilégiés et ces appelants ne nous ont soumis aucune autorité à l’appui de cet argument, tout comme ils n’ont pas fait la preuve que les actions qu’ils détenaient à l’époque pertinente ne leur donnait pas droit au versement d’un dividende au même titre qu’un actionnaire ordinaire.

[11] Pour toutes les raisons qui précèdent, le présent appel sera rejeté. Quant aux dépens ils feront l’objet d’une ordonnance séparée, suite à la réception des prétentions écrites des parties sur cette question.

« René LeBlanc »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-93-23

 

 

INTITULÉ :

1048547 ONTARIO INC., KOSTANTINOS SKOTIDAKIS, JOHN SKOTIDAKIS, ANTIGONI SKOTIDAKIS, KOSTANTINA SKOTIDAKIS c. SA MAJESTÉ LE ROI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 juin 2024

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE WALKER

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :

LE JUGE LEBLANC

 

COMPARUTIONS :

Michel Jasmin

 

Pour les appelants

 

Gabriel Girouard

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michel Jasmin, avocat

Québec (Québec)

 

Pour les appelants

 

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'intimé

 

 

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